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A-193-02

2003 CAF 271

Canadien Pacifique Limitée (appelante)

c.

Office canadien des transports et Commission canadienne du blé (intimés)

Répertorié: Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Office des Transports) (C.A.)

Cour d'appel, juges Rothstein, Sexton et Sharlow J.C.A. --Ottawa, 20, 21 mai et 23 juin 2003.

Transports -- Transport ferroviaire du grain -- La Loi modifiant la Loi sur les transports au Canada réglemente les revenus annuels maximum pour le transport du grain en provenance de l'Ouest -- L'Office des transports du Canada établit le plafond de revenu pour chaque entreprise de chemin de fer -- Si le plafond de revenu est dépassé, l'excédent et une pénalité doivent être versés -- Les droits de stationnement sont exclus pour le calcul du plafond de revenu -- L'Office a estimé qu'une partie des revenus attribués par le CP aux droits de stationnement était déraisonnable et qu'ils devaient être inclus dans les revenus assujettis au plafond -- L'Office était-il habilité par les art. 150 et 151 à rendre la décision contestée? -- Définition des droits de stationnement -- Origine de la décision de l'Office -- Droit d'appel prévu par la Loi -- Question d'interprétation de la Loi et non question d'ordre technique faisant appel à l'expertise de l'Office -- Question non «polycentrique» impliquant la pondération d'intérêts -- Le contrôle de la décision s'effectue selon la norme de la décision correcte en appliquant une démarche pragmatique et fonctionnelle -- La compétence de l'Office atteint sa limite une fois que celui-ci a déterminé raisonnablement qu'un montant se rapporte à des droits de stationnement -- Intention du législateur quant au rôle de l'Office en matière de droits de stationnement -- L'Office n'a pas à entreprendre une vaste évaluation pour déterminer si les droits sont justifiés par des considérations sur le marché, les coûts ferroviaires ou les incidences sur les expéditeurs et les consignataires -- La réglementation tarifaire intensive ne s'applique plus selon la législation actuelle -- L'Office n'est pas habilité par la Loi à décider du caractère raisonnable des revenus de stationnement -- Les raisons expliquant les différents libellés de l'art. 150(3)b), 150(3)a) et 150(3)c) ont été examinées -- L'Office doit-il tenir compte du critère de proportionnalité qui compare le préjudice et l'indemnisation du propriétaire du bien à la pénalité payée par l'expéditeur -- Le pouvoir de l'entreprise de chemin de fer d'établir des politiques concernant les droits de stationnement ne porte pas atteinte à l'intégrité du régime de plafonds de revenu -- L'art. 112 de la Loi ne s'applique pas aux droits de stationnement -- La piètre qualité des communications entre le CP et ses clients pourrait faire l'objet d'une plainte de service en vertu de l'art. 113, mais elle n'est pas pertinente relativement aux droits de stationnement.

Le présent appel portait sur l'interprétation donnée par l'Office des transports du Canada des droits de stationnement prévus à l'alinéa 150(3)b) de la Loi sur les transports au Canada (la Loi) et sur la question de savoir si l'Office est habilité à juger du caractère raisonnable des droits de stationnement.

Les tarifs pour le transport ferroviaire du grain sont réglementés depuis 1897. Une loi entrée en vigueur en 2000 a remplacé la réglementation selon un barème de tarifs maximum par un système réglementant les revenus annuels maximum que peuvent toucher le Canadien Pacifique Limitée (CP) et d'autres transporteurs réglementés. Pour chaque année de récolte, l'Office détermine le plafond de revenu de chaque compagnie de chemin de fer selon la formule établie dans la Loi. Si les revenus d'un transporteur excèdent le plafond, ce transporteur est tenu de verser l'excédent de même que des pénalités, ainsi que le prévoit le Règlement sur le versement par les compagnies de chemin de fer de l'excédent de revenu pour le mouvement du grain. Les droits de stationnement sont exclus des revenus pour déterminer si le plafond a été dépassé. Ces droits sont imposés lorsqu'un expéditeur ou un consignataire retient un wagon au-delà de la période gratuite qui lui est accordée pour le chargement ou le déchargement. La décision de l'Office contestée en l'espèce établissait qu'une partie des revenus que le CP avait attribués aux droits de stationnement était déraisonnable et ordonnait que cette partie soit incluse dans le calcul des revenus assujettis au plafond. Le CP a fait valoir que l'Office a commis une erreur de droit en se prononçant sur le caractère raisonnable des revenus de stationnement du CP et en ordonnant que les sommes qu'il avait jugé déraisonnables soient incluses dans les revenus assujettis au plafond.

Bien que les «droits de stationnement» ne soient pas définis dans la Loi, il a été jugé que leur définition correspondait à celle des surestaries: [traduction] «Les surestaries sont des frais exigés par les chemins de fer pour l'immobilisation d'un wagon de marchandises au-delà du temps en franchise prévu pour le tarif applicable relevant d'arrangements spéciaux et elles visent à amener la remise prompte du wagon de marchandises et du même coup, à dédommager en partie les chemins de fer au cas où le wagon de marchandises serait retenu au-delà du temps en franchise».

La présente affaire a été présentée à l'Office à la suite d'une révision de la politique du CP sur les droits de stationnement. Selon cette politique, pour chaque jour de retard suivant la période gratuite de deux jours allouée pour le déchargement, des jours de débit par wagon étaient portés au compte de l'expéditeur ou du consignataire et un crédit était accordé lorsque les wagons étaient remis plus rapidement. Cette pratique est connue comme étant celle des «droits de stationnement moyens». Avec cette politique, les revenus des droits de stationnement du CP n'étaient que de 7 600 $ par mois. Mais, en 2001, le transporteur ferroviaire a adopté une nouvelle politique éliminant le crédit pour déchargement rapide. Suivant cette politique de «droits de stationnement absolus», les revenus des droits de stationnement du CP ont augmentés à 75 700 $ par mois.

L'Office a décidé que le montant de l'augmentation devait être inclus dans les revenus assujettis au plafond. L'Office a estimé que l'alinéa 150(3)b) «prévoit une évaluation du caractère raisonnable de l'ensemble des droits de stationnement appliqués au mouvement du grain de l'Ouest».

Les parties ont convenu que l'interprétation de cette disposition par l'Office et la question de la compétence devaient toutes deux être évaluées selon la norme de la décision correcte. Le droit d'appel prévu au paragraphe 41(1) de la Loi laissait croire qu'une norme de contrôle plus stricte s'imposait. Comme il s'agit d'une question portant sur l'interprétation de la loi et non d'une question technique, l'Office ne possédait aucune expertise justifiant l'application d'une norme de plus grande retenue. L'interprétation de la disposition n'était pas non plus une question «polycentrique» supposant une pondération d'intérêts. Tous les facteurs de la démarche pragmatique et fonctionnelle tendaient vers la norme de la décision correcte.

Arrêt: l'appel doit être accueilli.

L'Office a commis une erreur dans son interprétation de l'alinéa 150(3)b). Son mandat se limite à déterminer si un montant peut être raisonnablement désigné comme se rapportant aux droits de stationnement. Une fois cette question tranchée par l'affirmative, la limite du pouvoir de l'Office en ce qui a trait aux droits de stationnement est atteinte. L'Office n'est pas habilité à juger du caractère raisonnable des revenus de stationnement, à limiter les augmentations ou à inclure une partie quelconque des revenus de stationnement dans les revenus assujettis au plafond du transporteur.

Évaluer le caractère raisonnable ou non des droits de stationnement est une fonction qui diffère complètement du rôle que le législateur a confié à l'Office. Ce dernier devrait pour ce faire entreprendre une vaste évaluation visant à déterminer si les droits de stationnement ou l'augmentation de ces droits se justifient par des considérations sur le marché ou les coûts ferroviaires, et les incidences sur les expéditeurs et les consignataires. Ce type de réglementation tarifaire intensive n'est pas applicable dans le cadre de la législation actuelle sur le transport ferroviaire. Même dans le cas du transport ferroviaire du grain en provenance de l'Ouest, la réglementation des revenus n'est pas fondée sur le caractère raisonnable mais sur l'application d'une formule tenant compte des variations pour une année donnée des volumes, de la longueur du parcours et de l'inflation. L'alinéa 5c) de la Loi sur les transports au Canada révèle que l'intention du législateur était d'alléger la réglementation et, comme l'a exprimé le membre de l'Office dans son opinion dissidente, le mandat de l'Office «en est un de surveillance générale plutôt que de réglementation des pratiques et des politiques commerciales courantes des compagnies de chemin de fer». Il s'agissait évidemment d'un changement majeur par rapport à la situation historique en vertu de la Loi sur les chemins de fer de 1952 alors que la Commission des transports du Canada pouvait «rejeter un tarif ou partie de tarif qu'elle considère injuste ou déraisonnable». Aujourd'hui encore, en vertu de l'article 112 de la loi actuelle, un certain nombre de tarifs doivent être «commercialement équitables et raisonnables», mais cet article ne s'applique pas aux droits de stationnement. Le libellé choisi démontre que l'intention du législateur était que les droits de stationnement ne soient pas assujettis au critère du caractère raisonnable.

L'Office a fait valoir que si son pouvoir se limitait à décider si une somme est de la nature d'un droit de stationnement, l'alinéa 150(3)b) aurait été rédigé d'une manière semblable à celle des alinéas 150(3)a) et 150(3)c) qui n'obligent pas l'Office à déterminer si les incitatifs, rabais et autres indemnités pour les droits de circulation peuvent raisonnablement être désignés comme tels. Comme cette obligation est imposée en ce qui a trait aux droits de stationnement, il devrait en être déduit, selon l'Office, que son mandat est de déterminer le «caractère raisonnable des frais de stationnement dans leur ensemble». Cette inférence n'était toutefois pas justifiée. La différence de formulation découle peut-être de l'obligation imposée à l'Office par l'alinéa 150(3)b), alors qu'aucune obligation positive ne lui est imposée par les alinéas 150(3)a) et 150(3)c) en vertu desquels l'Office peut accepter les allégations d'un transporteur sans plus d'examen. Une autre raison expliquant la différence de libellé a pu être que les droits de stationnement constituaient pour les expéditeurs et les consignataires une question plus délicate que les matières dont traitent les autres alinéas. Il a aussi été suggéré que le risque que des transporteurs présentent faussement certaines sommes comme des droits de stationnement plutôt que comme des revenus assujettis à leur plafond était plus grand que pour les éléments dont traitent les autres alinéas.

L'Office a également avancé qu'il devait prendre en compte le critère de proportionnalité selon lequel on compare le préjudice subi par le propriétaire du bien et l'indemnisation correspondante à l'amende payée par l'expéditeur. On a soutenu que si la relation est disproportionnée, la somme est déraisonnable. La Cour était disposée à reconnaître que si un transporteur tentait d'imposer des droits excessivement élevés pour la détention des wagons, l'Office pourrait juger que ce ne sont pas tous les revenus découlant de ces droits qui peuvent être raisonnablement désignés comme se rapportant au stationnement. Mais ce n'est pas ce qu'a fait l'Office en l'espèce: il a voulu évaluer le caractère raisonnable des revenus de stationnement du CP. Son évaluation du caractère raisonnable est entièrement fondée sur l'adoption par le transporteur de la politique de droits de stationnement absolus plutôt que sur les droits imposés, qui étaient identiques selon l'une et l'autre politiques.

La crainte qu'avait l'Office que le pouvoir unilatéral d'un transporteur d'établir les politiques de droits de stationnement risque de nuire à l'efficacité du régime de plafonds de revenu n'était pas justifiée. Les entreprises de chemin de fer ne disposent pas du pouvoir inconditionnel de décider ce qui constitue ou non des droits de stationnement; il appartient à l'Office de juger si des montants sont désignés avec raison comme des droits de stationnement.

La Cour ne pouvait pas non plus accepter l'argument de la Commission canadienne du blé voulant que l'article 112 de la Loi habilite l'Office à évaluer le caractère raisonnable des revenus de stationnement. Cet article se reporte uniquement aux tarifs ou aux conditions de service établis par l'Office. Le nombre restreint de tarifs que peut établir l'Office comprend les tarifs de lignes conjointes et les tarifs d'interconnexion.

La suggestion selon laquelle les communications entre le CP et ses clients pourraient être de piètre qualité n'était pas pertinente quant à la question en litige en l'espèce, quoique cette situation puisse faire l'objet d'une plainte sur le niveau de service en vertu de l'article 113 de la Loi.

lois et règlements

Acte autorisant une subvention pour un chemin de fer par la Passe du Nid-de-Corbeau, S.C. 1897-98, ch. 5, art. 1e).

Loi modifiant la Loi sur les transports au Canada, L.C. 2000, ch. 16.

Loi sur les chemins de fer, S.C.R. 1952, ch. 234, art. 328. Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10, art. 5c), 112, 113, 121(2)b), 128, 150 (mod. par L.C. 2000, ch. 16, art. 10), 151 (mod., idem).

Règlement sur le versement par les compagnies de chemin de fer de l'excédent de revenu pour le mouvement du grain, DORS/2001-207.

jurisprudence

décisions appliquées:

Canadien Pacifique Ltée c. Canada (Office national des transports) (1992), 151 N.R. 16 (C.A.F.); Canadien Pacifique Ltée c. La Commission canadienne des transports, [1979] 2 C.F. 809; (1979), 99 D.L.R. (3d) 52; 26 N.R. 482 (C.A.) (opinion dissidente du juge Pratte); Barrie Public Utilities c. Assoc. canadienne de télévision par câble, [2003] 1 R.C.S. 476 (2003), 225 D.L.R. (4th) 206; 49 Admin. L.R. (3d) 161; 304 N.R. 1.

doctrine

Transportation Logistics Dictionary, 3rd ed. Washington: International Thomson Transport Press, 1989.

APPEL PRÉVU PAR LA LOI d'une décision de l'Office des transports du Canada selon laquelle une partie des revenus que le CP avait attribués aux droits de stationnement était déraisonnable et devrait être incluse dans le calcul des revenus assujettis à un plafond. Appel accueilli.

ont comparu:

Marc Shannon pour l'appelante.

Alain Langlois et Gregory E. Smart pour l'intimé Office des transports du Canada.

Margaret I. Wiebe pour l'intimée Commission canadienne du blé.

avocats inscrits au dossier:

Services juridiques du Canadien Pacifique, Calgary, pour l'appelante.

Office des transports du Canada, Hull, pour l'intimé Office des transports du Canada.

Commission canadienne du blé, Winnipeg, pour l'intimée Commission canadienne du blé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Rothstein, J.C.A.:

INTRODUCTION

[1]Le transport ferroviaire du grain destiné à l'exportation en provenance de l'Ouest du Canada à destination de Thunder Bay et, par la suite, de Vancouver et de Prince Rupert fait l'objet d'un système de réglementation des tarifs en constante évolution depuis 1897, date à laquelle a été adoptée la première disposition en la matière, le paragraphe 1(e) de la loi intitulée Acte autorisant une subvention pour un chemin de fer par la Passe du Nid-de-Corbeau, S.C. 1897-98, ch. 5. Avant le 1er août 2000, le transport du grain en provenance de l'Ouest était réglementé selon un barème de tarifs maximum. Avec l'entrée en vigueur de la Loi modifiant la Loi sur les transports au Canada, L.C. 2000, ch. 16, ce barème de tarifs maximum a été remplacé par un système réglementant les revenus annuels maximum que le Canadien Pacifique Limitée (CP), la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) et les autres compagnies de chemin de fer réglementées peuvent toucher pour le transport du grain en provenance de l'Ouest.

[2]En vertu de cette nouvelle forme de réglementation, l'Office des transports du Canada (l'Office) détermine le revenu admissible maximal (plafond de revenu) que chaque compagnie de chemin de fer peut produire à la fin d'un exercice donné se terminant le 31 juillet (année de récolte). Le plafond de revenu est calculé selon une formule établie dans la Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10, telle que modifiée par la L.C. 2000, ch. 16. Si les revenus d'une compagnie de chemin de fer pour le transport du grain en provenance de l'Ouest au cours d'une année de récolte excèdent le plafond de revenu autorisé pour cette année, la compagnie est tenue de reverser les montants excédentaires de même que des pénalités, tel que prévu dans le Règlement sur le versement par les compagnies de chemin de fer de l'excédent de revenu pour le mouvement du grain, DORS/2001-207, enregistré le 7 juin 2001.

[3]Pour déterminer si les revenus d'une compagnie de chemin de fer excèdent le plafond de revenu autorisé, certaines sommes perçues par la compagnie sont exclues du revenu total. Ainsi, les revenus découlant des droits de stationnement sont exclus des revenus de la compagnie. Généralement, les droits de stationnement sont imposés lorsqu'un expéditeur ou un consignataire conserve un wagon au-delà de la période gratuite qui lui est accordée pour le chargement ou le déchargement. Pour les fins du présent appel, les droits de stationnement sont spécifiquement définis ci-après.

[4]Dans sa décision n 664-R-2001, en date du 21 décembre 2001, l'Office a estimé qu'une partie des revenus que le CP avait attribués aux droits de stationnement était déraisonnable. L'Office a ordonné que cette partie des revenus du CP soit incluse dans le calcul des revenus assujettis au plafond.

QUESTION EN LITIGE

[5]Le CP soutient que l'Office est seulement habilité à déterminer si les sommes liées aux droits de stationnement, selon les allégations de la compagnie de chemin de fer, sont raisonnablement désignées à ce titre. Si l'Office juge qu'il est raisonnable de dire que ces revenus découlent des droits de stationnement, il atteint les limites de sa compétence. Le CP affirme que l'Office n'est pas habilité à juger du caractère raisonnable des droits de stationnement et que l'Office a commis une erreur de droit en se prononçant sur le caractère raisonnable des revenus de stationnement du CP et en ordonnant que les sommes qu'il avait jugé déraisonnables soient incluses dans les revenus assujettis au plafond de revenu.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[6]Le système de réglementation du revenu maximum est établi aux articles 150 [mod. par L.C. 2000, ch. 16, art. 10] et 151 [mod., idem] de la Loi sur les transports au Canada. Les seules dispositions pertinentes au présent appel sont les paragraphes 150(1), (2) et (3):

150. (1) Le revenu d'une compagnie de chemin de fer régie pour le mouvement du grain au cours d'une campagne agricole, calculé par l'Office, ne peut excéder son revenu admissible maximal, calculé conformément au paragraphe 151(1), pour cette campagne.

(2) Si le revenu d'une compagnie de chemin de fer régie pour le mouvement du grain au cours d'une campagne agricole, calculé par l'Office, excède son revenu admissible maximal, calculé conformément au paragraphe 151(1), pour cette campagne, la compagnie verse l'excédent et toute pénalité réglementaire en conformité avec les règlements.

(3) Pour l'application du présent article, sont exclus du revenu d'une compagnie de chemin de fer régie pour le mouvement du grain au cours d'une campagne agricole:

a) les incitatifs, rabais ou réductions semblables versés ou accordés par la compagnie;

b) les recettes attribuables aux amendes pour non-exécution, aux droits de stationnement et aux droits de stockage des wagons chargés de grain que l'Office estime justifié de considérer comme telles;

c) les indemnités pour les droits de circulation. [Je souligne.]

DÉFINITION DES DROITS DE STATIONNEMENT

[7]Les droits de stationnement ne sont pas définis dans la Loi sur les transports au Canada. Toutefois, il s'agit d'une notion bien connue et la présente Cour, dans Canadien Pacifique Ltée c. Canada (Office national des transports) (1992), 151 N.R. 16 (C.A.F.), à la page 22, a jugé que les droits de stationnement avaient été convenablement définis par le juge Pratte dans ses motifs dissidents (Canadien Pacifique Ltée c. La Commission canadienne des transports, [1979] 2 C.F. 809 (C.A.)). À la page 811, le juge Pratte s'exprime comme suit:

Selon les propos du juge Rand dans The North-West Line Elevators Association c. La Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique ([1959 R.C.S. 239, à la page 244), les surestaries [traduction]«concernant l'immobilisation indue du matériel ferroviaire.» Les parties se sont entendues, aux fins des procédures en cause sur la définition suivante des surestaries:

[traduction] Les surestaries sont des frais exigés par les chemins de fer pour l'immobilisation d'un wagon de marchandises au-delà du temps en franchise prévu pour le tarif applicable relevant d'arrangements spéciaux et elles visent à amener la remise prompte du wagon de marchandises et du même coup, à dédommager en partie les chemins de fer au cas où le wagon de marchandises serait retenu au-delà du temps en franchise.

[8]La Commission canadienne du blé prétend que cette définition n'est pas complète car elle omet de reconnaître que des droits de stationnement ne devraient pas être imposés lorsque le retard pour la remise des wagons après la période gratuite de chargement ou de déchargement est imputable à la compagnie de chemin de fer et non à l'expéditeur ou au consignataire. Le CP ne conteste pas le fait que pour exiger des droits de stationnement, le retard doit être imputable à l'expéditeur ou au consignataire. Je crois que dans la définition adoptée par la Cour, cette règle est implicite et par conséquent, j'estime que cette définition convient tout à fait au cadre du présent appel.

LA DÉCISION DE L'OFFICE

[9]Le litige devant l'Office découle d'une révision de la politique sur les droits de stationnement du CP entrée en vigueur le 1er juillet 2001. Avant cette date, la politique du CP en ce qui a trait aux droits de stationnement voulait que des jours de débit par wagon pour chaque jour de retard suivant la période gratuite de deux jours soient portés au compte de l'expéditeur ou du consignataire; au contraire, si l'expéditeur ou le consignataire remettait le wagon avant la fin de la période gratuite de deux jours, le CP lui créditait des jours de crédit. C'est ce qu'on appelle les droits de stationnement moyens. Dans le cadre d'une politique de droits de stationnement moyens, les crédits alloués à un expéditeur ou à un consignataire sont appliqués aux droits de stationnement facturés pour les wagons remis après l'expiration de la période de déchargement gratuite. Voir Transportation Logistics Dictionary, 3e éd. (Washington: International Thomson Transport Press, 1989), aux pages 68 et 69. Avec cette politique de droits de stationnement moyens, les revenus de stationnement du CP s'élevaient à environ 7 600 $ par mois.

[10]Avec l'entrée en vigueur de la révision tarifaire du 1er juillet 2001, le CP a adopté une nouvelle politique de droits de stationnement en vertu de laquelle les expéditeurs et les consignataires sont facturés pour chaque jour de retard après la fin de la période gratuite, sans toutefois que des jours de crédit ne leur soient comptés pour les wagons libérés avant la fin de la période gratuite de deux jours. Il s'agit de droits de stationnement absolus. Voir Transportation Logistics Dictionary, supra. L'Office a estimé que les revenus de stationnement du CP avaient augmenté à environ 75 700 $ par mois en raison de la nouvelle politique de droits de stationnement absolus.

[11]Le CP facturait 60 $ par wagon par jour dans le cadre de sa politique de droits de stationnement moyens pour les wagons libérés après l'expiration de la période gratuite de deux jours. Le montant des droits de stationnement n'a pas changé avec la nouvelle politique. L'augmentation des revenus découle entièrement de l'élimination des jours de crédit auparavant accordés aux expéditeurs et aux consignataires.

[12]L'Office, par une majorité de deux contre un, a conclu que le montant des revenus excédant les revenus de stationnement produits en vertu de la politique de droits de stationnement moyens devait être inclus dans les revenus du CP assujettis au plafond de revenu, à savoir toute somme excédent 7 600 $ par mois environ. Le fait d'inclure cette somme excédentaire dans les revenus assujettis au plafond de revenu pourrait entraîner une réduction des revenus du CP pour le transport du grain en provenance de l'Ouest au cours d'une campagne agricole.

[13]Pour parvenir à cette conclusion, l'Office a jugé que l'alinéa 150(3)b) «prévoit une évaluation du caractère raisonnable de l'ensemble des droits de stationnement appliqués au mouvement du grain de l'Ouest». En concluant que les revenus du CP excédant les revenus habituellement produits dans le cadre de la politique de droits de stationnement moyens, c.-à-d. les revenus excédant 7 600 $ par mois, étaient déraison-nables et devaient être assujettis au plafond de revenu du CP, l'Office précise ce qui suit:

1. que son interprétation de l'alinéa 150(3)b) est conforme à l'orientation générale du régime légal du plafond de revenu;

2. qu'aucun libellé de la LTC ne révèle une intention de s'écarter de la norme de l'industrie voulant que les droits de stationnement soient à la fois un montant déterminé servant à indemniser la compagnie de chemin de fer et une amende imposée aux expéditeurs et qu'il y ait une certaine proportion entre les deux;

3. que les droits de stationnement payables au CP en vertu de la nouvelle politique sont passés d'environ 7 600 $ à 75 700 $ par mois;

4. que l'absence de communications efficaces entre la compagnie de chemin de fer et ses clients empêchent ces derniers de gérer efficacement leur utilisation des wagons.

NORME DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

[14]Les parties conviennent que la décision de l'Office portant sur l'interprétation de l'alinéa 150(3)b) doit être évaluée selon la norme de la décision correcte. Plus particulièrement, les parties affirment que la question de savoir si l'alinéa 150(3)b) habilite l'Office à juger du caractère raisonnable des revenus de stationnement du CP et à inclure les montants qu'il estime déraisonnables aux revenus assujettis à un plafond de revenu doit être examinée selon la norme de la décision correcte.

[15]J'estime que l'analyse de la norme de contrôle faite par la Cour suprême dans Barrie Public Utilities c. Assoc. canadienne de télévision par câble, [2003] 1 R.C.S. 476, aux paragraphes 10 à 19, peut être utile au présent appel car le droit d'appel, la question relative à l'expertise et la nature de la question en litige sont semblables à ceux faisant l'objet du présent appel.

[16]La Loi sur les transports au Canada accorde un droit d'appel, avec l'autorisation de la Cour, sur toute question de droit ou de compétence. Le paragraphe 41(1) se lit comme suit:

41. (1) Tout acte--décision, arrêté, règle ou règlement--de l'Office est susceptible d'appel devant la Cour d'appel fédérale sur une question de droit ou de compétence, avec l'autorisation de la cour sur demande présentée dans le mois suivant la date de l'acte ou dans le délai supérieur accordé par un juge de la cour en des circonstances spéciales, après notification aux parties et à l'Office et audition de ceux d'entre eux qui comparaissent et désirent être entendus. [Je souligne.]

[17]Pour décider si une demande d'autorisation d'en appeler doit être accueillie ou non, la Cour évalue si une question de droit ou de compétence est raisonnablement défendable. Une fois que l'autorisation d'en appeler a été accordée, comme c'est le cas en l'espèce, le droit d'appel prévu dans la Loi est un facteur qui indique qu'une norme de contrôle plus stricte s'impose.

[18]En ce qui concerne l'expertise relative, la question en l'espèce porte sur l'interprétation de la loi. Plus particulièrement, il s'agit de déterminer si le mandat de l'Office l'habilite à juger du caractère raisonnable des revenus de stationnement d'une compagnie de chemin de fer et à ordonner qu'un montant qu'il estime déraisonnable soit inclus dans les revenus assujettis au plafond de revenu de cette compagnie. Cette question n'est pas technique. Sur ce point, l'Office ne possède aucune expertise particulière par rapport à la Cour qui justifierait une norme de retenue moins élevée. Au contraire, les questions d'interprétation de la loi relèvent généralement de la compétence des cours de justice. Ce facteur implique une norme de retenue moins élevée.

[19]La Cour doit également tenir compte de l'objet de la loi et des dispositions en cause. La majeure partie du travail de l'Office porte sur la mise en oeuvre des dispositions réglementaires de la Loi sur les transports au Canada. En ce qui a trait au transport du grain en provenance de l'Ouest, son mandat consiste à déterminer chaque année le plafond de revenu et les revenus des compagnies de chemin de fer. Toutefois, la juste interprétation de l'alinéa 150(3)b) n'est pas une question «polycentrique» exigeant la pondération d'intérêts opposés. Une fois encore, ce facteur justifie une norme de retenue moins élevée.

[20]Finalement, la question est de nature juridique. L'Office est-il habilité à juger du caractère raisonnable des droits de stationnement en vertu de l'alinéa 150(3)b)? L'Office aura l'occasion chaque année de rendre des décisions en vertu de cette disposition et la détermination de la portée de sa compétence aura une incidence sur sa manière d'aborder la question au cours des prochaines années. Cette considération indique qu'une norme de retenue moins élevée s'impose.

[21]Adoptant la démarche pragmatique et fonctionnelle aux circonstances particulières au présent appel, j'estime que ces quatre facteurs pointent vers la norme de la décision correcte.

ANALYSE

Alinéa 150(3)b)

[22]À mon humble avis, l'Office a commis une erreur dans son interprétation de l'alinéa 150(3)b). Le mandat de l'Office se limite à déterminer si un montant peut être raisonnablement désigné comme se rapportant aux droits de stationnement. Une fois que l'Office a jugé qu'un montant peut raisonnablement être désigné à ce titre, il a atteint les limites de sa compétence en ce qui a trait aux droits de stationnement. L'Office n'est pas habilité à juger du caractère raisonnable des revenus de stationnement, à limiter l'augmentation des revenus d'une compagnie de chemin de fer ou à décider qu'une partie quelconque des revenus de stationnement qu'il estime déraisonnable soit incluse dans les revenus assujettis au plafond de revenu de la compagnie.

[23]Je déduis de la décision de l'Office que selon le processus prévu à l'alinéa 150(3)b), la compagnie de chemin de fer communiquera à l'Office, entre autres renseignements, les montants de revenu qui, selon elle, concernent les droits de stationnement. Autrement dit, il appartient à la compagnie de chemin de fer de désigner en premier lieu si un montant se rapporte aux droits de stationnement. Le rôle de l'Office est de déterminer s'il est raisonnable de désigner ces montants comme tel.

[24]D'après le libellé de l'article 150 et, plus particulièrement, de l'alinéa 150(3)b), j'estime que l'intention du Parlement en ce qui a trait aux droits de stationnement est la suivante:

1. certains revenus découlant des droits de stationnement pour le transport du grain en provenance de l'Ouest ne doivent pas être assujettis au plafond de revenu d'une compagnie de chemin de fer;

2. les revenus de stationnement font partie des montants qui ne doivent pas être inclus dans les revenus assujettis au plafond de revenu d'une compagnie de chemin de fer;

3. une compagnie de chemin de fer peut désigner certaines sommes au titre des droits de stationnement alors qu'il est déraisonnable de les désigner comme tel;

4. dans le cadre de son mandat et de sa compétence, l'Office doit juger si la désignation par la compagnie de certains montants au titre des droits de stationnement est raisonnable;

5. dans le cadre de son mandat et de sa compétence, l'Office doit inclure dans les revenus assujettis au plafond de revenu d'une compagnie tout montant qu'il était déraisonnable, à son avis, de désigner au titre des droits de stationnement;

6. si l'Office juge qu'un montant pouvait être raisonnablement désigné au titre des droits de stationnement pour la compagnie, il doit exclure ce montant des revenus assujettis au plafond de revenu de la compagnie.

[25]Selon la définition des droits de stationnement retenue par la Cour, si l'Office estime qu'il est raisonnable d'affirmer que certains revenus découlent des droits imposés par une compagnie de chemin de fer pour inciter les expéditeurs et les consignataires à rendre rapidement les wagons et pour valoir compensation contre la détention des wagons au-delà de la période gratuite autorisée, il atteint les limites de sa compétence.

[26]Je pense que le membre Keith Penner a correctement interprété le rôle de l'Office dans ses motifs dissidents. Monsieur Penner:

1. a adopté la définition des droits de stationnement retenue par la Cour;

2. a examiné la politique sur les droits de stationnement du CP et a jugé qu'elle était comparable aux programmes de droits de stationnement typiques de l'industrie ferroviaire;

3. a examiné les normes de l'industrie en matière de droits de stationnement et a estimé que les droits imposés par le CP étaient conformes aux normes généralement reconnues dans ce domaine;

4. a jugé que l'absence d'un système débit-crédit tel que celui que l'on trouve dans la politique de droits de stationnement moyens ne signifie pas que l'adoption d'une politique de droits de stationnement absolus ne constitue pas des droits de stationnement;

5. a précisé qu'il ne suffit pas que des droits soient qualifiés de droits de stationnement par une compagnie de chemin de fer pour en faire de véritables droits de stationnement;

6. a donné un exemple de droits qu'on ne pourrait raisonnablement qualifier de droits de stationnement--à savoir, les droits découlant de l'élimination par une compagnie ferroviaire des périodes gratuites de chargement et de déchargement, c.-à-d. priver les expéditeurs et les consignataires de toute période gratuite.

[27]Évaluer le caractère raisonnable ou non des droits de stationnement relève d'une toute autre fonction. Cette fonction exigerait que l'Office entreprenne une vaste évaluation pour déterminer si les droits de stationnement ou l'augmentation de ces droits peuvent être justifiés par le marché et/ou les coûts ferroviaires et pour cerner les incidences sur les expéditeurs et les consignataires. Ce type de réglementation tarifaire intensive n'a plus cours en vertu de la nouvelle législation sur le transport ferroviaire. Même dans le cas du transport ferroviaire du grain en provenance de l'Ouest, plus réglementé que le transport des autres marchandises ou le transport dans d'autres régions, la réglementation des revenus des compagnies de chemin de fer n'est pas fondée sur leur caractère raisonnable mais plutôt, sur l'application d'une formule tenant compte des variations pour une année donnée des volumes, de la longueur du parcours et de l'inflation pertinente.

[28]Interpréter l'alinéa 150(3)b) de manière à conférer à l'Office un pouvoir de contrôle réglementaire intensif sur le caractère raisonnable des revenus de stationnement d'une compagnie de chemin de fer serait contraire à l'intention du Parlement d'alléger la réglementation, tel qu'il appert du paragraphe 5c) de la Loi sur les transports au Canada (Politique nationale en matière de transport):

5. [. . .]

c) la réglementation économique des transporteurs et des modes de transport se limite aux services et aux régions à propos desquels elle s'impose dans l'intérêt des expéditeurs et des voyageurs [. . .]

Je suis d'avis que le membre Penner a correctement défini le mandat de réglementation de l'Office en affirmant ce qui suit dans ses motifs dissidents:

En général, j'estime que ce genre d'évaluation de l'Office est conforme à l'opinion que le rôle de l'Office, en tant qu'organisme de réglementation, en vertu des dispositions en matière de revenu admissible, en est un de surveillance générale plutôt que de réglementation des pratiques et des politiques commerciales courantes des compagnies de chemin de fer.

[29]La réglementation des tarifs imposés par les compagnies de chemin de fer n'est pas inconnue du Parlement. Historiquement, durant la période où les compagnies ferroviaires étaient fortement réglementées, la Commission des transports du Canada était habilitée à «rejeter un tarif ou une partie de tarif qu'elle considère injuste ou déraisonnable». Voir l'article 328 de la Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1952, ch. 234. Bien que les compagnies de chemin de fer évoluent aujourd'hui dans un environnement beaucoup moins réglementé et que l'Office ne dispose pas de pouvoirs exhaustifs lui permettant de contrôler les tarifs ferroviaires, il est évident que la terminologie liée au contrôle des tarifs, s'il telle était son intention, n'était pas inconnue du Parlement. De fait, en vertu de la loi actuelle, l'article 112, qui s'applique à un certain nombre de tarifs établis par l'Office, exige que les prix soient «commercialement équitables et raisonnables vis-à-vis des parties». Bien que l'article 112 ne s'applique pas aux revenus et aux droits de stationnement, il indique le type de terminologie qu'utilise le Parlement lorsqu'il souhaite instituer un contrôle réglementaire sur le caractère raisonnable des tarifs ou des revenus des compagnies de chemin de fer.

[30]Si le Parlement avait eu l'intention d'assujettir les droits et les revenus de stationnement des compagnies de chemin de fer à la norme du caractère raisonnable, il aurait utilisé une terminologie bien établie pour préciser son intention. Ce qu'il n'a pas fait. Il a plutôt opté pour un libellé assez particulier: «les recettes attribuables [. . .] aux droits de stationnement [. . .] que l'Office estime justifié de considérer comme telles». Il faut nécessairement en déduire que le Parlement n'avait pas l'intention d'assujettir les droits et les revenus de stationnement à la norme du caractère raisonnable.

[31]Lu dans son sens ordinaire et grammatical et dans le contexte, l'alinéa 150(3)b) habilite l'Office à qualifier certaines sommes comme se rapportant ou non au stationnement. Mais il ne confère à l'Office aucun pouvoir lui permettant de juger du caractère raisonnable des revenus de stationnement.

Comparaison de l'alinéa 150(3)b) aux alinéas 150(3)a) et c)

[32]L'Office soutient que si sa fonction était limitée à la seule détermination de la nature des sommes, à savoir si elles se rapportent ou non aux droits de stationnement, l'alinéa 150(3)b) aurait été libellé d'une manière semblable aux alinéas 150(3)a) et c). Selon l'Office, rien dans les alinéas 150(3)a) et c) n'oblige l'Office à déterminer si les incitatifs, rabais et autres indemnités pour les droits de circulation allégués peuvent être raisonnablement désignés comme tel. Au contraire, l'alinéa 150(3)b) imposerait cette obligation à l'Office en ce qui a trait aux droits de stationnement. Par conséquent, l'Office en conclut que le Parlement lui a confié le mandat de déterminer le caractère raisonnable des frais de stationnement dans leur ensemble.

[33]L'Office souligne à juste titre la différence de formulation entre les alinéas 150(3)a) et c), d'une part, et l'alinéa 150(3)b), d'autre part. Toutefois, à mon humble avis, l'inférence que l'Office établit à partir de cette différence n'est pas justifiée.

[34]Cela est peut-être dû au fait que la différence de formulation découle de l'obligation qui incombe à l'Office, aux termes de l'alinéa 150(3)b), alors que les alinéas 150(3)a) et c) ne comportent aucune obligation de cette nature. En vertu de l'alinéa 150(3)b), l'Office est tenu d'examiner les montants que les compagnies de chemin de fer présentent comme des revenus découlant des droits de stationnement et de déterminer s'il est raisonnable de désigner ces revenus comme tels.

[35]Par contraste, aux alinéas 150(3)a) et c), aucune obligation positive n'incombe à l'Office de déterminer si les sommes en cause constituent effectivement des incitatifs, rabais et autres indemnités pour les droits de circulation. Bien sûr, cela ne signifie pas que l'Office n'est pas habilité à examiner les montants que les compagnies de chemin de fer présentent comme des incitatifs, rabais et autres indemnités pour les droits de circulation. Toutefois, l'Office n'est lié par aucune obligation positive de déterminer la nature de ces montants comme c'est le cas à l'alinéa 150(3)b). En vertu des alinéas a) et c), l'Office peut accepter les allégations d'une compagnie de chemin de fer sans procéder à un quelconque examen des montants en cause.

[36]La raison pour laquelle le libellé des alinéas 150a) et c), d'une part, et celui de l'alinéa b), d'autre part, diffèrent n'est pas évidente. Peut-être, comme le propose l'avocat du CP, tient-elle du fait que la question des droits de stationnement est plus délicate pour les expéditeurs et les consignataires que la question des incitatifs, rabais et autres indemnités pour les droits de circulation. De fait, par décret du 7 mai 1959 (P.C. 1959-569), la Commission des transports du Canada a reçu l'ordre de suspendre les droits imposés par les compagnies de chemin de fer pour le transport du grain en provenance de l'Ouest; ce n'est qu'en 1995 que les compagnies ferroviaires ont été autorisées de nouveau à imposer des droits de stationnement (voir les motifs dissidents du membre Penner). L'avocat de la Commission soutient que les risques que des compagnies de chemin de fer présentent faussement certaines sommes comme se rapportant aux droits de stationnement, pour les soustraire des revenus assujettis au plafond de revenu, sont bien plus grands que pour ce qui concerne les incitatifs, rabais et autres indemnités pour les droits de circulation.

[37]Peu importe les motifs justifiant la différence de formulation, le libellé de l'alinéa 150(3)b) ne confère pas à l'Office la compétence de juger du caractère raisonnable des revenus de stationnement.

Le critère de proportionnalité

[38]L'Office prétend qu'il est tenu de prendre en compte le critère de proportionnalité, «selon lequel on compare le préjudice subi par le propriétaire du bien et l'indemnisation correspondante à l'amende payée par l'expéditeur». L'Office affirme que lorsque la relation devient disproportionnée, les montants qui en découlent deviennent déraisonnables.

[39]Les droits de stationnement ont notamment pour objet d'indemniser les compagnies de chemin de fer pour l'investissement dans les wagons, c.-à-d. pour la perte de possibilités de revenus liée à la remise du wagon en retard. Je reconnais que si une compagnie de chemin de fer tentait d'imposer des droits excessivement élevés pour la détention des wagons, l'Office serait habilité à juger que tous les revenus découlant de ces droits ne peuvent être désignés comme se rapportant au stationnement.

[40]Par conséquent, l'Office peut évaluer le niveau des droits et les revenus produits par l'imposition de ces droits. Toutefois, son mandat n'est pas de juger du caractère raisonnable des droits ou des revenus de stationnement. Son mandat se limite à juger si le niveau des droits ou la manière d'imposer ces droits indique qu'une partie quelconque des revenus découlant de ces droits ne peut raisonnablement être désignée au titre des droits de stationnement.

[41]Ce n'est pas ce qu'a fait l'Office en l'espèce. Dans ses motifs, l'Office reprend le libellé de l'alinéa 150(3)b). Cependant, la phrase suivante précise que:

Cette conclusion repose sur les constatations suivantes de l'Office, à savoir que le libellé du texte de loi prévoit une évaluation du caractère raisonnable de l'ensemble des droits de stationnement.

Il apparaît clairement de ces motifs que l'Office a prétendu évaluer le caractère raisonnable des revenus de stationnement du CP.

[42]De fait, son évaluation du caractère raisonnable est entièrement fondée sur l'adoption par le CP de sa politique de droits de stationnement absolus en remplacement de son ancienne politique de droits moyens. L'évaluation de l'Office n'était pas et ne pouvait être fondée sur les droits imposés par le CP, qui étaient identiques à ceux imposés dans le cadre de l'ancienne politique, à savoir 60 $ par jour et par wagon. L'Office n'a pas tenté de réduire les droits quotidiens par wagon. Un expéditeur ayant accumulé seulement des jours de débit paierait au CP les mêmes montants au titre du stationnement en vertu de la politique de droits moyens et de la politique de droits absolus. Il est par conséquent difficile d'imaginer comment les revenus provenant de la détention des wagons au-delà de la période gratuite autorisée pourraient être désignés autrement que comme des revenus se rapportant au stationnement.

Intégrité du régime de plafonds de revenu

[43]L'Office craint que le pouvoir unilatéral des compagnies de chemin de fer d'établir les politiques de droits de stationnement risque de nuire à l'efficacité du régime de plafonds de revenu car il appartiendrait uniquement aux compagnies de chemin de fer de décider ce qui constitue des droits de stationnement et, par conséquent, quels montants résiduels constituent des revenus liés au transport de grain.

[44]Je pense que cette crainte n'est pas justifiée. Les compagnies de chemin de fer ne disposent pas du pouvoir inconditionnel de décider ce qui constitue ou non des droits de stationnement. Il appartient à l'Office de juger s'il est raisonnable de désigner certains montants au titre des droits de stationnement. Si l'Office estime que certains montants présentés par une compagnie de chemin de fer comme des revenus de stationnement ne peuvent être raisonnablement désignés à ce titre, il peut ordonner que ces montants soient inclus dans les revenus assujettis au plafond de revenu de la compagnie.

Argument de la Commission canadienne du blé

[45]La Commission canadienne du blé soutient que l'article 112 de la Loi sur les transports au Canada habilite l'Office à évaluer le caractère raisonnable des revenus de stationnement. Cette disposition se lit comme suit:

112. Les prix et conditions visant les services fixés par l'Office au titre de la présente section doivent être commercialement équitables et raisonnables vis-à-vis des parties.

[46]Je ne puis souscrire au point de vue de la Commission. Comme je l'ai mentionné plus haut, l'article 112 se rapporte uniquement aux tarifs et aux conditions de service établis par l'Office. En vertu de la Loi sur les transports au Canada, seuls certains tarifs peuvent être établis par l'Office. Par exemple, les tarifs de lignes conjointes établis par l'Office en vertu de l'alinéa 121(2)b), lorsque les compagnies de chemin de fer participant à un mouvement sur ligne conjointe ne s'entendent pas sur le tarif. Les prix d'interconnexion sont un autre exemple de tarif établi par l'Office en vertu de l'article 128. Cependant, les droits de stationnement imposés par les compagnies de chemin de fer pour le transport du grain de l'Ouest ne sont pas établis par l'Office. L'article 112 ne s'applique donc pas en l'espèce.

Communications entre le CP et ses clients

[47]Je me permets de faire une dernière remarque. En justifiant sa conclusion sur le caractère déraisonnable des droits de stationnement, l'Office semble avoir tenu compte du manque de communication efficace entre le CP et ses clients ce qui, selon l'Office, aurait empêché les clients de gérer efficacement leur utilisation des wagons. Un manque de communication de la part d'une compagnie de chemin de fer peut faire l'objet d'une plainte sur le niveau de service en vertu de l'article 113 de la Loi sur les transports au Canada. Il n'est pas nécessaire que je me prononce sur ce point. Cet élément n'a aucune pertinence pour ce qui est de déterminer s'il est raisonnable de désigner certains montants au titre des droits de stationnement.

[48]Les droits de stationnement sont imposés lorsqu'un wagon est détenu au-delà de la période gratuite en raison du défaut de l'expéditeur ou du consignataire. Lorsque le retard est imputable à la compagnie de chemin de fer, les droits de stationnement ne sont pas exigibles. Ainsi, comme le faisait remarquer l'avocat du CP, en cas d'arrivage massif découlant des activités de transport, par exemple lorsque la compagnie de chemin de fer livre plus de wagons qu'un expéditeur ou un consignataire n'est raisonnablement en mesure de gérer à la fois, entraînant la détention des wagons au-delà de la période gratuite autorisée, l'expéditeur ou le consignataire peut contester les droits de stationnement que la compagnie de chemin de fer s'apprête à imposer. S'il survient un différend quant au responsable du défaut, il appartient aux parties de le régler ou, le cas échéant, au tribunal. Cette question n'a aucune pertinence en ce qui a trait à l'alinéa 150(3)b).

CONCLUSION

[49]J'accueillerais l'appel avec dépens, j'infirmerais la décision de l'OTC et je renverrais l'affaire devant l'OTC pour que celui-ci statue à nouveau conformément aux motifs énoncés aux présentes.

Le juge Sexton, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

Le juge Sharlow, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

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