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T-1516-00

2003 CFPI 577

William J. Eddie (demandeur)

c.

Le procureur général du Canada et Carmen Louise Eddie (défendeurs)

Répertorié: Eddie c. Canada (Procureur général) (1re inst.)

Section de première instance, juge Layden-Stevenson --Toronto, 29 avril; Ottawa, 12 mai 2003.

Pensions -- Contrôle judiciaire de la décision d'un arbitre de rejeter le grief d'un agent de la GRC portant sur le partage de sa pension, en application de la Loi sur le partage des prestations de retraite (la LPPR), à la suite de la dissolution de son mariage -- L'accord de séparation prévoyait un partage à la source, par moitié, de la pension -- Le rapport d'information selon la LPPR estimait que l'épouse obtiendrait 14 929 $, mais en réalité elle a reçu 37 951,25 $ -- Raison: entre la séparation et le calcul final des prestations, la pension du demandeur était devenue acquise à l'expiration de 10 années de service, de sorte que sa valeur avait augmenté sensiblement -- Demande rejetée -- La norme de contrôle à appliquer était la norme de la décision correcte -- Le demandeur avait qualité pour agir -- La LPPR prévoit un régime de distribution des biens matrimoniaux qui diffère de celui qui est exposé dans les lois provinciales -- La LPPR ne crée aucun droit substantif, mais prévoit simplement un mécanisme de transfert -- L'évaluation actuarielle d'une pension en application de la loi provinciale diffère en général de l'évaluation selon la LPPR -- La méthode d'évaluation prévue par la LPPR sert aux propres fins du gouvernement fédéral -- Argument du demandeur: l'accord de séparation ne parle nulle part du partage de droits nés après la date de la séparation -- La date d'évaluation n'est pas la même selon la LPPR et selon les règles de fond -- L'accord de séparation faisait référence à l'estimation selon la LPPR, mais il ne précisait pas la somme à transférer -- Le demandeur était représenté par un avocat lors de la négociation de l'accord de séparation, il savait que sa pension serait acquise dans un délai de quatre mois, et il devait savoir qu'il lui fallait être séparé de son épouse pendant une période d'un an avant qu'un partage selon la LPPR puisse être demandé.

GRC -- Un membre de la Gendarmerie a déposé un grief dans lequel il contestait la valeur monétaire des prestations de retraite versées à son ex-épouse après partage de sa pension en application de la Loi sur le partage des prestations de retraite (la LPPR) -- L'arbitre de niveau I a rejeté le grief pour absence de qualité pour agir, affirmant que la décision contestée était celle d'instances extérieures à la Gendarmerie -- L'arbitre de niveau II a rejeté l'appel en raison d'une absence de qualité pour agir, ainsi que sur le fond -- La norme de contrôle à appliquer était la norme de la décision correcte -- Le demandeur avait effectivement qualité pour agir -- Selon la Loi sur la GRC, art. 31(1), tout membre lésé par une décision peut déposer un grief -- La procédure de règlement des griefs s'applique aux sujets qui intéressent les conditions d'emploi des membres -- Le régime de pensions fait partie des conditions d'emploi -- Demande de contrôle judiciaire rejetée sur le fond -- La pension du demandeur est devenue acquise à l'expiration de 10 années de service, entre la date de la séparation et la date d'évaluation selon la LPPR -- La valeur de la pension a augmenté sensiblement -- La LPPR a été correctement appliquée -- L'arbitre a eu raison de conclure que l'accord de séparation prévoyait un partage par moitié des prestations de retraite.

Le demandeur sollicitait le contrôle judiciaire de la décision d'un arbitre de niveau II, rendue en vertu de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (la Loi sur la GRC), qui avait confirmé la décision de niveau I rejetant le grief du demandeur parce qu'il n'était pas recevable selon la Loi sur la GRC.

Le demandeur s'est joint à la GRC en 1987, un an et demi après son mariage. Les époux se sont séparés en 1996. L'accord de séparation prévoyait un partage à la source, par moitié, de la pension du demandeur. Les deux ex-conjoints croyaient que la part de Mme Eddie serait d'environ 15 000 $, mais, au moment de la distribution, elle a reçu la somme de 37 951.25 $, laquelle fut transférée directement à son nom dans un REER incessible. Le demandeur a déposé un grief. Peu après la séparation, le demandeur avait requis un rapport d'information selon la Loi sur le partage des prestations de retraite (la LPPR). Le rapport indiquait que, au 26 septembre 1996, la somme à laquelle avait droit Mme Eddie était de 14 929.52 $. La pension du demandeur n'avait pas encore été acquise, car sa période de service était encore inférieure à 10 ans. Le rapport renfermait une mise en garde selon laquelle il ne s'agissait «que d'une estimation», mais il ajoutait que la valeur effective, à la date du partage en règle, serait «proche» de l'estimation. L'accord de séparation réglait le partage de la pension du demandeur. L'accord faisait référence à l'estimation selon la LPPR, et il indiquait que la pension serait partagée par moitié et que la part de l'épouse serait transférée comme somme forfaitaire dans un instrument d'épargne-retraite choisi par elle. Lorsque le partage de la pension a été calculé, il a été constaté que Mme Eddie avait droit à la somme de 37 951 $, laquelle fut transférée à son institution financière pour dépôt dans un instrument financier bloqué.

Selon le demandeur, il avait toujours eu dans l'idée que son ex-conjointe n'obtiendrait que la somme mentionnée dans le rapport estimatif LPPR. Lorsqu'il devint évident qu'il y avait impasse, en dépit de nombreuses communications, le demandeur a déposé un grief, mais l'arbitre de niveau I a rejeté le grief pour absence de qualité pour agir du demandeur. Selon la Loi sur la GRC, les membres de la Gendarmerie ont le droit de déposer un grief à l'encontre d'une décision discrétionnaire liée à la gestion des affaires de la Gendarmerie, mais non à l'encontre de décisions prises par des instances extérieures à la Gendarmerie en application de lois existantes. La décision que contestait le demandeur était régie par la LPPR, une loi fédérale qui ne conférait aucun pouvoir discrétionnaire à la GRC. La décision de niveau I fut confirmée en appel par l'arbitre de niveau II.

Jugement: la demande doit être rejetée.

Les points à décider dans le contrôle judiciaire étaient les suivants: 1) quelle était la norme de contrôle qu'il convenait d'appliquer? 2) le demandeur avait-il qualité pour agir lorsqu'il a déposé son grief? 3) si le demandeur avait qualité pour agir, quelle disposition de la LPPR était applicable au partage de la pension du demandeur?

Il y avait ici une clause privative partielle et, puisqu'il s'agissait d'une décision de niveau II, le mécanisme officiel de contrôle militait en faveur d'une retenue considérable. Par ailleurs, le décideur n'était pas plus spécialisé que la Cour pour la question de la qualité pour agir ou pour celle de la disposition législative qu'il convenait d'appliquer, ce qui militait en faveur d'un faible niveau de retenue. Le troisième facteur, à savoir l'objet du texte législatif, faisait intervenir deux textes législatifs dont les objets étaient différents. Les points en litige n'étaient pas foncièrement polycentriques. Cela militait en faveur d'un faible niveau de retenue. Le problème à résoudre pouvait être qualifié de pure question de droit, ou au minimum de question mixte de droit et de fait, mais à fort contenu juridique. Ce facteur militait en faveur d'un très faible niveau de retenue. En définitive, la norme de contrôle à appliquer était celle de la décision correcte.

Sur la question de la qualité pour agir, les lois relatives aux biens matrimoniaux relèvent de la compétence provinciale. En règle générale, les lois provinciales énoncent toutes le principe selon lequel, à la dissolution du mariage, les biens matrimoniaux sont partagés par moitié. La LPPR prévoit un régime de distribution qui diffère de celui qui est exposé dans les lois provinciales sur les biens matrimoniaux. Elle ne crée aucun droit aucun droit substantif, mais prévoit simplement un mécanisme de transfert d'argent hors des régimes fédéraux. Une demande de partage des prestations de retraite ne peut être faite en l'absence d'un accord de séparation ou d'une ordonnance judiciaire. La somme maximale transférable au conjoint non participant représente 50 p. 100 de la valeur de la prestation de retraite se rattachant à la période de cohabitation. L'évaluation actuarielle d'une pension selon les lois provinciales différera le plus souvent de l'évaluation selon la LPPR. Il a même été jugé en Ontario que, aux fins de la Loi sur le droit de la famille, on ne peut en général nullement se fier à la «valeur» établie selon la LPPR. La méthode d'évaluation prévue par la LPPR est censée servir les propres fins du gouvernement fédéral, qui sont de préserver l'intégrité du régime et de bénéficier à l'ensemble des membres. La plainte du demandeur ne concernait pas les règles de fond, mais plutôt le choix de la disposition de la LPPR en vertu de laquelle les prestations avaient été distribuées. Selon le paragraphe 31(1) de la Loi sur la GRC, un membre qui s'estime lésé par une décision peut déposer un grief, et la procédure applicable aux griefs s'étend aux conditions d'emploi des membres. Les régimes de pensions font partie des conditions d'emploi des membres. La manière dont le ministre a appliqué la LPPR n'entre pas dans la compétence d'après laquelle sont décidés les points relevant des règles de fond. L'arbitre de niveau II a commis une erreur de droit lorsqu'il a dit que la qualité pour agir du demandeur était absente.

Selon le demandeur, l'accord de séparation ne prévoyait pas un partage des droits qui ont pris naissance après la date de la séparation. Par conséquent, les fonctionnaires ont, selon lui, commis une erreur lorsqu'ils ont considéré que l'accord de séparation prévoyait un partage égal de la valeur acquise de sa pension. Selon le demandeur, la date d'évaluation était la date de la séparation.

Selon les règles de fond, la date d'évaluation est la date de la séparation, mais ce n'est pas le cas d'après les règles de la LPPR. En vertu de cette loi, la «date d'évaluation» est la date à laquelle la pension est évaluée aux fins de la distribution, en d'autres termes, la date du calcul. À la date d'évaluation selon la LPPR, la pension du demandeur était acquise, et elle a été évaluée en conséquence. L'argument du demandeur concernant la date d'évaluation n'était pas recevable.

La LPPR prévoit que le partage de la pension peut se faire par d'autres moyens et, lorsqu'une somme forfaitaire est précisée pour un partage selon la LPPR, alors le ministre transférera la somme ainsi précisée, à condition qu'elle soit inférieure à 50 p. 100 de la valeur de la prestation. La «somme forfaitaire», selon le paragraphe 8(4) de la LPPR, s'entend d'une somme certaine, déterminée. L'accord de séparation n'indiquait cependant aucune somme déterminée à transférer. Il parlait simplement du rapport estimatif LPPR et il ne précisait pas que la valeur estimative figurant dans le rapport devait servir de somme forfaitaire aux fins du transfert de la pension. Même s'il survient dans un contexte juridique particulier, un accord de séparation reste un contrat, et l'arbitre n'a pas commis d'erreur lorsqu'il a dit que l'accord de séparation signifiait que les prestations de retraite seraient partagées par moitié.

L'infortune du demandeur venait du fait que sa pension était devenue acquise, entraînant ainsi une augmentation sensible de sa valeur entre la date de la séparation et la date de l'évaluation. Mais la lettre qui accompagnait le rapport estimatif indiquait expressément que la valeur actuarielle du partage serait la valeur «à la date du partage officiel, après production et approbation» d'une demande de partage. Le demandeur était représenté par un avocat lors de la négociation de l'accord de séparation, et l'on doit supposer qu'il savait, d'une part, que, selon la LPPR, il lui fallait être séparé de son épouse pendant une période d'un an avant qu'un partage puisse être demandé et, d'autre part, que sa pension allait produire des droits acquis dans un délai de quatre mois.

L'arbitre a commis une erreur lorsqu'il a conclu à l'absence de qualité pour agir, mais sa décision au fond était correcte, et renvoyer l'affaire serait donné préséance à la forme sur le fond.

lois et règlements

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 92.

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10, art. 31 (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 16), 32 (mod., idem; L.C. 1990, ch. 8, art. 65).

Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-11.

Loi sur le droit de la famille, L.R.O. 1990, ch. F.3.

Loi sur le partage des prestations de retraite, L.C. 1992, ch. 46, ann. II, art. 2, 3, 4, 7, 8.

Règlement sur le partage des prestations de retraite, DORS/94-612, art. 2(1) «date d'évaluation», 13, 14, 15, 16.

jurisprudence

décision appliquée:

Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2003), 228 F.T.R. 19; 27 Imm. L.R. (3d) 114 (C.F. 1re inst.).

décisions examinées:

Roy c. Canada, [2002] 4 C.F. 451; (2002), 33 C.C.P.B. 118; 93 C.R.R. (2d) 296; 217 F.T.R. 249 (1re inst.); Smith c. Canada (Procureur général) (1999), 22 C.C.P.B. 229; 179 F.T.R. 134 (C.F. 1re inst.); Shafer v. Shafer (1996), 25 R.F.L. (4th) 410 (Div. gén. Ont.), conf. par (1998), 37 R.F.L. (4th) 104 (C.A. Ont.).

décisions citées:

Baker v. Baker (1998), 34 R.F.L. (4th) 364 (C.S. C.-B.); Croitor v. Croitor (2001), 192 N.S.R. (2d) 26; 14 R.F.L. (5th) 13 (C.A.); Swan c. Canada (Procureur général) (1998), 167 D.L.R. (4th) 30; 234 N.R. 12; 47 R.F.L. (4th) 282 (C.A.F.); Cornect c. Poirier-Robichaud (2000), 230 R.N.-B. (2e) 368; 13 R.F.L. (5th) 363 (C.A.); Parsons v. Parsons (1995), 17 R.F.L. (4th) 267 (Div. gén. Ont.); Christian v. Christian (1995), 139 N.S.R. (2d) 246; 10 R.F.L. (4th) 302 (C.S.); Miglin c. Miglin, [2003] 1 R.C.S. 303; (2003), 224 D.L.R. (4th) 193; 302 N.R. 201; 171 O.A.C. 201; 34 R.F.L. (5th) 255.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision d'un arbitre de niveau II, rendue en application de la Loi sur la GRC, qui avait rejeté un grief se rapportant au partage d'une pension. Demande rejetée.

ont comparu:

Martha A. Cook, pour le demandeur.

Caroline E. M. Engmann, pour le défendeur, le Procureur général du Canada.

Personne n'a comparu pour l'intimée Carmen Louise Eddie.

avocats inscrits au dossier:

Blake, Cassels & Graydon LLP, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada, pour le défendeur, le Procureur général du Canada.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

[1]Le juge Layden-Stevenson: Le demandeur, William J. Eddie, s'est joint à la GRC le 30 janvier 1987, environ un an et demi après son mariage avec Carmen Louise Eddie. Lorsque M. Eddie et son épouse se sont séparés en septembre 1996, ils ont négocié un accord de séparation censé régler toutes les questions découlant de leur mariage, notamment la question du partage des biens. Les biens comprenaient entre autres choses la pension de retraite du demand eur à la GRC. L'accord de séparation daté du 26 octobre 1996, signé par M. Eddie le 6 novembre 1996 et par Mme Eddie le 20 novembre 1996, prévoyait un partage à la source, par moitié, de la pension. À cette époque, M. Eddie et son épouse croyaient que la p art de Mme Eddie dans la pension serait d'environ 15 000 $. Au moment de la distribution, sa part se chiffrait à 37 951,25 $, et c'est cette somme qui fut transférée directement à son nom dans un REER incessible. M. Eddie a exprimé son désaccord sur la som me versée à son ex-épouse et a déposé un grief. Son grief a été rejeté à deux niveaux, et il demande aujourd'hui le contrôle judiciaire de la décision arbitrale de niveau II datée du 23 juin 2000.

INTRODUCTION

[2]La Loi sur le partage des prestations de retraite, L.C. 1992, ch. 46, ann. II (la LPPR) établit un mécanisme permettant le partage, à la source, entre conjoints ou ex-conjoints à la suite d'une dissolution du mariage, des pensions prévues par plusieurs lois fédérales énumérées dans l'article 2, dont la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada , L.R.C. (1985), ch. R-11 (la LPRGRC). Puisque la pension de M. Eddie est régie par les dispositions de la LPRGRC, tout partage à la source résultant de la dissolution de son mariage relève de la LPPR.

LES FAITS

[3]M. Eddie a commencé de verser des cotisations à son régime de retraite de la GRC dès qu'il s'est joint à la GRC en janvier 1987. En conformité avec les dispositions de la LPRGRC, s a pension est devenue acquise le 30 janvier 1997, après 10 ans de service. M. Eddie et son épouse se sont séparés le 1er septembre 1996. À cette date, ou peu de temps après (la date précise n'a pas été donnée), il a demandé un rapport d'information selon l a LPPR. Il a plus tard reçu un rapport estimatif LPPR accompagné d'une lettre du spécialiste de la paie et des avantages sociaux, de la Section de la rémunération. Le rapport estimatif LPPR renferme un sommaire du profil de la pension de M. Eddie (cotisati ons et droit à pension) et indique un transfert (en faveur de son épouse) de 14 929,52 $ au 26 septembre 1996. Le rapport précise que [traduction ] «le membre n'a pas de droits acquis à la date du partage» La lettre d'accompagnement renferme un bref résumé du rapport, parle d'une pièce jointe, à savoir «un document d'information qui décrit les calculs effectués pour déterminer la somme payable au conjoint/ex-conjoint et qui explique la nature des données qui sont présentées» (le document d'information ne fig urait pas dans le dossier de demande) et conclut par les paragraphes suivants:

[traduction] Le chiffre du partage de la pension qui est indiqué dans le rapport annexé n'est qu'une estimation de la somme maximale qui pourrait être transférée à compter d'un e date précise. Il est fondé sur les droits du membre, définis par la Loi sur la pension de retraite de la GRC (la LPRGRC), tels que les droits en question existaient au moment de la rédaction du rapport; la valeur est calculée sur la période indiquée dans la déclaration solennelle (ou l'ordonnance judiciaire ou l'accord entre conjoints) que vous avez produite.

Une valeur actuarielle du partage serait fondée sur le traitement, la durée du service et les cotisations à la date du partage officiel, après prod uction et approbation d'une demande de partage de la pension. La valeur effective serait similaire, mais non identique, à l'estimation indiquée dans le rapport annexé.

[4]Par la suite, l'accord de séparation mentionné plus haut fut négocié e t arrêté définitivement. M. Eddie et son épouse étaient tous deux représentés par des avocats. Le paragraphe 14 de l'accord de séparation traite de la pension de la GRC et prévoit ce qui suit:

[traduction]

14. PENSIONS PRIVÉES

1) Le mari garantit l'exac titude du rapport d'information produit selon la Loi sur le partage des prestations de retraite (LPPR), rapport qui figure comme annexe C et qui indique la valeur approximative d'un partage des prestations de retraite du mari selon la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada (la LPRGRC). Les parties s'entendent pour remplir et produire immédiatement les documents que pourrait demander le ministre chargé d'administrer la LPRGRC pour qu'il procède promptement au p artage par moitié des prestations de retraite du mari, entre le mari, membre d'un régime de retraite du secteur public fédéral prévu par la LPRGRC, et la femme, c'est-à -dire son épouse. Après que ce partage aura été approuvé par le ministre, la part de l'épouse sera transférée directement, comme somme forfaitaire, dans un instrument d'épargne-retraite choisi par elle. Si le mari décède avant que ce partage par moitié ne puisse être effectué par le ministre, le droit de l'épouse à tel partage constituera un privilège de premier rang sur la succession du mari.

[5]À l'automne de 1996, M. Eddie signait les documents qui devaient permettre à Mme Eddie de demander un partage de la pension de la GRC. La demande fut présentée à la secti on des services spécialisés de la GRC de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (les Services spécialisés), par poste recommandée en date du 9 juillet 1997. Les Services spécialisés ont envoyé un accusé de réception à la fois à M. Eddie et à Mme Eddie le 15 juillet 1997. Le 6 septembre 1997, les Services spécialisés transmettaient le dossier au Centre national des politiques de rémunération de la GRC (le CNPR) pour interprétation et décision, c'est-à -dire l'examen de la demande, la déclaration s olennelle et les documents justificatifs pour conformité avec la LPPR et avec le Règlement sur le partage des prestations de retraite, DORS/94-612 (le Règlement). Le 1er octobre 1997, le CNPR, par une note de service adressée aux Services spécialisés, dema ndait une copie certifiée conforme du certificat de mariage. À leur tour, le 6 décembre 1997, les Services spécialisés priaient le demandeur de produire le certificat. Par une note de service adressée aux Services spécialisés en date du 17 février 1998, le CNPR approuvait le partage de la pension. Dans une correspondance datée du 9 mars 1998, les Services spécialisés informaient à la fois M. Eddie et Mme Eddie que le partage de la pension avait été approuvé, que l'un ou l'autre pouvait contester l'approbati on en invoquant des motifs énumérés (précisés dans la correspondance) et que le délai de dépôt d'une contestation était de 90 jours. Les Services spécialisés ont procédé au calcul du partage de la pension le 9 juin 1998 et conclu que Mme Eddie avait droit au transfert d'une somme de 37 951,25 $. Par une lettre du conseiller en matière de pensions, à la Section des services de la GRC, en date du 3 juillet 1998, M. et Mme Eddie étaient tous deux informés du calcul de la valeur du partage de la pension, ainsi que du transfert en faveur de Mme Eddie. Le transfert à l'institution financière précisée par Mme Eddie, pour dépôt dans un instrument financier bloqué, eut lieu le 8 juillet 1998.

[6]Selon M. Eddie, il avait toujours eu dans l'idée que la s omme de 14 929,52 $ mentionnée dans le rapport estimatif LPPR serait transférée à son ex-épouse. C'était ainsi, dit-il, qu'il comprenait l'accord. Le 4 août 1998, il déposait un grief en application de l'article 31 [mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 16] de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10 (la Loi sur la GRC) et demandait la rétrocession d'une somme de 23 021,73 $ à son régime de retraite (la différence entre la somme transférée et la somme calculée dans le ra pport estimatif LPPR). Au cours des 15 mois suivants, il y a eu de nombreuses communications entre M. Eddie et le Groupe de la politique des avantages sociaux du Centre national des politiques de rémunération, communications qui toutes passaient par l'exam inateur/analyste de la section des griefs. Lorsqu'il devint évident qu'il y avait impasse, M. Eddie demanda que l'affaire soit transmise au Conseil consultatif des griefs et à un arbitre de niveau I.

[7]La décision de l'arbitre de niveau I, datée du 31 janvier 2000, rejetait le grief. Après examen du dossier dans son intégralité, y compris des diverses pièces de correspondance et notes de service, l'arbitre concluait que «le grief est rejeté, faute de qualité pour agir». On peut lire, dans la partie «conclusions et recommandations» de la décision, ce qui suit:

[traduction] J'ai lu tous les documents produits par les deux parties et j'ai passé en revue les documents utiles. Le paragraphe 31(1) de la Loi sur la GRC donne au x membres le droit de déposer un grief à l'encontre d'une décision, d'un acte ou d'une omission lié à la gestion des affaires de la Gendarmerie, lorsqu'il n'existe aucune autre forme de redressement. Ce droit est cependant limité à l'exercice de pouvoirs d iscrétionnaires dans les décisions qui se rapportent à la gestion des affaires de la Gendarmerie et ne concernent pas les griefs à l'encontre de décisions prises par des instances extérieures à la Gendarmerie en application de lois existantes.

Les décisio ns que conteste l'agent Eddie étaient dictées par les dispositions de la Loi sur le partage des prestations de retraite, une loi fédérale qui ne confère aucun pouvoir discrétionnaire à la GRC. Par conséquent, puisque la décision était dictée par une loi et ne concernait pas la gestion des affaires de la Gendarmerie, elle ne donne pas ouverture à un grief selon la Loi sur la GRC.

[8]M. Eddie a demandé que la décision soit revue de nouveau par un arbitre de niveau II, en application de l'articl e 32 [mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 16; L.C. 1990, ch. 8, art. 65] de la Loi sur la GRC. Son grief a été rejeté le 23 juin 2000. L'arbitre de niveau II a estimé, après examen de l'accord de séparation, que manifestement la clause de l'acc ord de séparation qui concernait la pension ne disait pas qu'une somme de 14 929,52 $ allait être payée, mais plutôt que la presta-tion allait être partagée par moitié. Il a également souscrit à la décision de niveau I selon laquelle la qualité pour agir était absente. Les parties essentielles de la décision de l'arbitre de niveau II sont reproduites ici:

[traduction] Plus précisément, selon la partie 14 de l'accord, qui concerne le partage des prestations privées, l'auteur du grief s'engageait «à remplir et à produire immédiatement les documents que pourrait demander le ministre chargé d'administrer la LPRGRC pour qu'il procède promptement au partage par moitié». L'annexe C de l'accord était un document qui indiquait qu'un paiement no n acquis de 50 p. 100 aurait été de 14 929,52 $. Le document ne dit pas que cette somme sera payée en règlement de l'accord. Je m'en remets à cet accord et je suis d'avis que l'accord prévoit un partage des prestations par moitié [. . .] Je souscris à la décision de l'arbitre de niveau I selon laquelle il n'y a pas, dans cette affaire, de qualité pour agir. L'administrateur a observé non seulement la lettre de la loi, mais également son esprit. L'argument avancé par l'auteur du grief est quant à lui dépourv u de bien-fondé.

[9]C'est de cette décision que M. Eddie demande le contrôle judiciaire. Il voudrait une ordonnance qui annule la décision, qui porte au crédit de son régime de retraite la somme de 23 021,73 $, versée à tort à Carmen Louise Eddie, et qui lui attribue les dépens.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

Loi sur la gendarmerie royale du Canada

31. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), un membre à qui une décision, un acte ou une omission liés à la gestion des affaires de la Gendarmerie causent un préjudice peut présenter son grief par écrit à chacun des niveaux que prévoit la procédure applicable aux griefs prévue à la présente partie dans le cas où la présente loi, ses règlements ou les consignes du commissaire ne prévoi ent aucune autre procédure pour corriger ce préjudice.

[. . . ]

32. (1) Le commissaire constitue le dernier niveau de la procédure applicable aux griefs; sa décision est définitive et exécutoire et, sous réserve du contrôle judiciaire prévu par la Loi sur la Cour fédérale, n'est pas susceptible d'appel ou de révision en justice.

Loi sur le partage des prestations de retraite

4. (1) Le participant, ou son conjoint ou ancien conjoint, peut, dans les circonstances prévues au paragraphe (2), demander au ministre le partage entre eux des prestations de retraite.

(2) La demande peut se faire dans l'une des circonstances suivantes:

a) un tribunal canadien compétent rend, dans une procédure de divorce, d'annulation de mariage ou de séparation, une ordonnance portant partage des prestations de retraite entre le participant et son conjoint ou ancien conjoint;

b) le participant et son conjoint ou ancien conjoint ne cohabitent plus depuis un an au moins et, avant ou après la cessation de leur cohabitation, selon le cas:

(i) un tribunal canadien compétent rend une ordonnance portant partage des prestations de retraite entre eux,

(ii) eux-mêmes sont, par accord écrit, convenus d'un tel partage.

(3) Pour l'applica tion de l'alinéa (2)b ):

a) le participant et son conjoint ou ancien conjoint sont réputés avoir vécu séparément pendant toute période de vie séparée au cours de laquelle l'un d'eux avait effectivement l'intention de vivre ainsi;

b) il n'y a pas interruption ni cessation d'une période de vie séparée du seul fait:

(i) que le participant ou son conjoint ou ancien conjoint est devenu incapable soit d'avoir ou de concevoir l'intention de prolonger la séparation soit de la prolonger de son plein gré, si le ministre estime qu'il y aurait eu probablement prolongation sans cette incapacité,

(ii) qu'il y a eu reprise de la cohabitation par le participant et son conjoint ou ancien conjoint principalement dans un but de réconciliation pendant une ou plusieurs périodes totalisant au plus quatre-vingt-dix jours.

(4) La demande est:

a) présentée par écrit avec les renseignements réglementaires;

b) accompagnée d'une copie certifiée conforme de l'ordonnance ou de l'accord et de tout autre document réglementaire.

[. . .]

7. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), le ministre, dès que possible après s'être assuré que la demande est conforme à la présente loi, donne son approbation au partage des prestations de retraite objet de la demande.

(2) Lorsqu'il est saisi d'un avis d'opposition, le ministre diffère toute décision relative à la demande, dans le cas d'un des motifs visés aux alinéas 6(2)a ) ou b), jusqu'à ce qu'il puisse en constater le bien-fondé et, dans le cas du motif visé à l'alinéa 6(2)c ), jusqu'à l'achèvement de la procédure.

(3) Le ministre refuse de donner son approbation dans les cas suivants:

a) la demande est retirée conformément aux règlements;

b) dans le cas d'un avis d'opposition où les motifs sont ceux visés aux alinéas 6(2)a) ou b), il constate leur bien-fondé et est convaincu qu'ils sont suffisants pour justifier le refus du partage;

c) l'ordonnance ou l'accord est sans effet à l'issue de la procédure visée à l'alinéa 6(2)c);

d) l'application des paragraphes 8(2) ou (3) ne permet pas de déterminer la période visée par le partage;

e) il est convaincu, d'après les éléments de preuve qui lui sont présentés, du caractère injuste du partage.

(4) Malgré le paragraphe (3), le ministre peut approuver le partage en se fonda nt sur une ordonnance rendue à l'issue de la procédure visée à l'alinéa 6(2)c ).

(5) Le ministre peut approuver le partage, même si l'ordonnance ou l'accord sur lequel la demande est fondée est antérieur à la date d'entrée en vigueur du paragraphe 4(1).

8. (1) Le partage des prestations de retraite est effectué par:

a) sous réserve du paragraphe (4), le transfert du montant qui correspond à cinquante pour cent de la valeur des prestations de retraite acquises, conformément aux règlements, par le participant pendant la période visée par le partage, soit à son conjoint ou ancien conjoint dans le cas d'un régime compensatoire, soit, dans les autres cas:

(i) à un régime de pension agréé en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu et choisi par le conjoint ou l'ancien conjoint, si ce régime prévoit la possibilité d'un tel transfert,

(ii) à un régime ou fonds d'épargne-retraite destiné au conjoint ou à l'ancien conjoint et du type prévu aux règlements,

(iii) à un établissement financier autorisé à vendre des rentes viagères ou différées du type prévu aux règlements, pour l'achat auprès de cet établissement au nom du conjoint ou de l'ancien conjoint d'une telle rente;

b) la révision, conformément aux règlements, des prestations de retraite acquises au titre du régime par le participant, et ce, malgré les dispositions du régime en cause ou de la loi qui l'a prévu ou en vertu de laquelle il a été institué.

(2) Pour l'application du paragraphe (1) mais sou s réserve du paragraphe (3), la période visée par le partage est:

a) celle au cours de laquelle, selon l'ordonnance ou l'accord, le participant et son conjoint ou ancien conjoint ont cohabité;

b) à défaut de précision dans l'ordonnance ou l'accord, celle où, de l'avis du ministre fondé sur la preuve fournie par l'un ou l'autre des intéressés, le participant et son conjoint ou ancien conjoint ont cohabité.

(3) Pour l'application du paragraphe (1), lorsque la demande est fondée sur une ordonnance qui prévo it le partage des prestations acquises par le participant pendant une période déterminée, celle-ci est la période visée par le partage.

(4) S'il est prévu dans l'ordonnance ou l'accord, ou si les intéressés conviennent, que le versement d'une somme forfai taire pourra satisfaire aux conditions de l'ordonnance ou de l'accord, et si cette somme, avec l'intérêt réglementaire, est inférieure au montant qui aurait autrement été transféré conformément à l'alinéa (1)a ), cette somme forfaitaire avec l'intérêt est l e montant qui sera transféré en application de cet alinéa au lieu du montant supérieur.

(5) Lorsque le transfert du montant visé à l'alinéa (1)a ) ne peut être effectué en raison seulement du décès du conjoint ou de l'ancien conjoint, ce montant est versé à sa succession.

(6) La date de prise d'effet de la révision visée à l'alinéa (1)b ) est déterminée conformément aux règlements et peut être antérieure à celle de la révision même.

(7) Le ministre envoie, selon les modalités réglementaires, aux intéressés un avis du partage.

Règlement sur le partage des prestations de retraite

2. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent règlement.

[. . .]

«date d'évaluation» La date à l'égard de laquelle la valeur des prestations de retraite d'un participant est établie conformément au présent règlement.

[. . .]

13. Pour l'application de l'article 8 de la Loi, la valeur des prestations de retraite acquises par le participant pendant la période visée par le partage correspond:

a) à leur valeur actuarielle actualisée à la date d'évaluation, calculée conformément aux articles 14 et 15, dans le cas d'un participant ayant des droits acquis à cette date;

b) au montant calculé conformément à l'article 16, dans le cas d'un participant n'ayant pas de droits acquis à la date d'évaluation.

POSITION DES PARTIES

[10]Au vu de leurs conclusions écrites, les parties expriment des positions diamétralement opposées sur la question de la qualité pour agir du demandeur. Durant l'audien ce, les arguments et les points en litige ont été à ce point affinés que la question de la qualité pour agir, même si elle n'a pas été éliminée, a vu sa portée considérablement réduite.

[11]Selon le demandeur, le point précis à décider est de savoir si sa pension doit être répartie en conformité avec les dispositions du paragraphe 8(1) ou avec celles du paragraphe 8(4) de la LPPR. Il affirme que c'est là la question à laquelle devait répondre l'arbitre. Le grief ne concerne pas le partage des biens matrimoniaux. Il vise plutôt, de dire le demandeur, à contester la voie choisie par le défendeur pour répartir la pension en application de la LPPR, et le dépôt d'un grief est donc la procédure à suivre. Le demandeur affirme aussi que le succès de cette demande de contrôle judiciaire tient probablement à la question de savoir si l'arbitre a bien interprété la disposition de l'accord de séparation qui traite du partage de la pension. Si la réponse est affirmative, alors le demandeur adme t que le partage a été validement effectué, d'une manière conforme au Règlement. Si la réponse est négative, alors il dit que la décision doit être annulée.

[12]Selon le défendeur, dans la mesure où le grief est un différend qui porte sur le s droits patrimoniaux des conjoints, il ne relève pas des dispositions de la Loi sur la GRC qui concernent les griefs, parce qu'il est sans rapport avec la «gestion des affaires de la Gendarmerie». La détermination des droits patrimoniaux respectifs des ép oux, y compris du droit à pension à la suite d'une séparation, est un sujet de droit provincial, qui est régi par la partie I de la Loi sur le droit de la famille , L.R.O. (1990), ch. F.3. Les dispositions de la Loi sur la GRC et de son Règlement qui sont r elatives aux griefs traitent de conflits de travail ou de sujets qui intéressent les conditions d'emploi des membres. Les droits à pension constituent une prestation d'emploi et, dans cette mesure, font partie des conditions d'emploi, mais ce n'est pas le cas du partage des biens matrimoniaux. Le défendeur concède que le demandeur a qualité pour agir en ce qui concerne la question précise suivante: le partage de la pension du demandeur relève-t-il du paragraphe 8(1) ou du paragraphe 8(4) de la LPPR? C'est là cependant la mesure de la concession. S'agissant de cette question, le défendeur affirme que l'arbitre a eu raison d'interpréter comme il l'a fait le paragraphe «pension» de l'accord de séparation et que le partage a été validement effectué en applicatio n des dispositions du paragraphe 8(1) et du Règlement.

[13]Selon les avocates des deux parties, la question de la qualité pour agir et celle de savoir quelle disposition de la LPPR s'applique au partage de la pension sont des questions de dr oit, et elles affirment que les décisions portant sur des questions de droit sont revues selon la norme de la décision correcte.

POINTS EN LITIGE

[14]Les points à décider sont les suivants:

a) la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer à la décision de l'arbitre;

b) la qualité pour agir du demandeur dans le dépôt d'un grief, selon les dispositions de la Loi sur la GRC, en ce qui a trait au partage d'une pension;

c) si le demandeur avait qualité pour agir, la disposition de la LPPR qui est applicable au partage de la pension du demandeur.

NORME DE CONTRÔLE

[15]Une analyse pragmatique et fonctionnelle milite en faveur de la position adoptée par les avocates, pour qui, vu les circonstances de cette affaire, la norme de co ntrôle qu'il convient d'appliquer est celle de la décision correcte.

[16]Le premier facteur de l'analyse concerne le mécanisme de contrôle. Le paragraphe 32(1) de la Loi sur la GRC prévoit que la décision du commissaire «est définitive et exécutoire et, sous réserve du contrôle judiciaire prévu par la Loi sur la Cour fédérale, n'est pas susceptible d'appel ou de révision en justice». Il s'agit là d'une clause privative partielle. Il est également significatif que la décision contestée soit un e décision de niveau II, qui faisait suite au premier niveau de la procédure applicable aux griefs. Le premier facteur milite en faveur d'une retenue considérable.

[17]Le deuxième facteur est celui de la spécialisation. Ici, l e décideur justifie d'une spécialisation dans la procédure applicable aux griefs, mais il n'a aucune spécialisation dans l'objet du grief. Le décideur n'est pas plus spécialisé que la Cour pour la question de la qualité pour agir ou pour celle de la dispos ition législative qui est applicable à ce cas particulier. Le deuxième facteur milite en faveur d'un faible niveau de retenue.

[18]Le troisième facteur, l'objet du texte législatif, fait intervenir ici deux textes législatifs. Les dispositio ns de la Loi sur la GRC qui ont trait aux griefs ont pour objet de résoudre les conflits de travail ou les différends portant sur les conditions d'emploi des membres de la GRC. Les dispositions de la LPPR et de son règlement d'application ont pour objet d'instituer un dispositif permettant de transférer des pensions hors de régimes fédéraux de pensions. Ici, les points en litige portent sur les droits individuels du demandeur, et l'on ne pourrait dire qu'ils sont foncièrement polycentriques. Le troisième fa cteur milite donc en faveur d'un faible niveau de retenue.

[19]Le dernier facteur concerne la nature du problème. Les points à décider ici sont surtout des points de droit. La question de la qualité pour agir est un point de droit. La questi on de savoir laquelle de deux dispositions législatives est ici applicable requiert d'interpréter une disposition contractuelle. Au mieux, il s'agit d'une pure question de droit, et ce ne saurait être moins qu'une question mixte de droit et de fait, mais à fort contenu juridique. Ce facteur milite en faveur d'un très faible niveau de retenue.

[20]Mettant tous ces facteurs en équilibre, je suis d'avis que la norme de contrôle à appliquer dans le cas qui nous occupe est celle de la décision cor recte. Par cette conclusion, je ne voudrais nullement donner à entendre que la norme de la décision correcte est celle qu'il convient d'appliquer en général aux décisions portant sur des griefs.

QUALITÉ POUR AGIR DU DEMANDEUR DANS LE DÉPÔT D'UN GRIEF, SELON LES DISPOSITIONS DE LA LOI SUR LA GRC, EN CE QUI A TRAIT AU PARTAGE D'UNE PENSION

[21]Pour des raisons de clarté et d'exhaustivité, l'analyse de cette question requiert une brève description de la nature des règles juridiques se rapportan t aux biens matrimoniaux, par opposition à la nature de la LPPR.

[22]Les règles relatives aux biens matrimoniaux relèvent de la compétence provinciale, en application du partage des pouvoirs législatifs: Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]], article 92 (propriété et droits civils). Chacune des provinces a adopté une loi sur les biens matrimoniaux et, même s'il existe des différences d'une province à une autre, les lois en question énoncent toutes le principe selon lequel, à la dissolution du mariage, les biens matrimoniaux sont partagés par moitié. Les décisions en matière de partage des biens ont engendré une jurisprudence considérable portant sur une diversité de questions, notamment les suivantes: les biens et les obligations susceptibles de partage, l'évaluation des biens et des obligations, l'établissement de s dates d'évaluation, l'exclusion de certains biens du partage, les circonstances, le cas échéant, dans lesquelles un partage inégal peut être justifié, et ainsi de suite. Les règles exposées dans les lois, ainsi que leur interprétation judiciaire, constit uent les règles de fond des biens matrimoniaux.

[23]La LPPR prévoit un régime de distribution qui diffère de celui qui est exposé dans les lois provinciales sur les biens matrimoniaux. La nature de la LPPR est décrite par le juge McKeown dan s l'affaire Roy c. Canada , [2002] 4 C.F. 451 (1re inst.) (Roy) [aux paragraphes 43 et 44]:

La LPPR a été édictée en 1992 et est entrée en vigueur en septembre 1994. Elle prévoit que, à la rupture d'un mariage ou d'une union de type conjugal, sur ordonnanc e ou accord de séparation, une partie des prestations de retraite du participant au titre des régimes de pensions du gouvernement fédéral, dont la LPRFC, peut être versée sous forme de montant global au conjoint non participant.

La Loi ne crée aucun droit substantif mais prévoit simplement un mécanisme de transfert d'argent hors des régimes fédéraux. Aux termes de la Loi, le partage de la prestation de retraite est obligatoire une fois que la demande correctement remplie est déposée, pourvu qu'il n'y soit pas fait opposition. La demande est subordonnée à une ordonnance ou à un accord de séparation portant partage de la pension. La décision de faire une demande de partage en vertu de la Loi relève de la discrétion des parties. Par conséquent, si les parties utilisent une autre méthode de partage de la valeur de la prestation de retraite, il n'est pas nécessaire selon la Loi d'en faire la demande. Le montant maximal qui peut être transféré au conjoint non participant représente 50 p. 100 de la v aleur de la prestation de retraite se rattachant à la période de cohabitation (voir l'alinéa 8(1)a )). Une fois le transfert accompli, il en résulte une réduction des prestations de retraite payables au participant parce qu'une partie de l'actif de sa pensi on a été transférée (voir alinéa 8(1)b ) et le RPPR, articles 20 [mod. par DORS/97-420, art. 4] et 21 [mod., idem, art. 5]). L'argent transféré à l'ex-conjoint ou au conjoint séparé doit être placé dans un régime de pensions, un régime enregistré d'épargne, ou auprès d'un établissement financier, de sorte que dorénavant cette personne ait effectivement sa propre pension.

[24]Dans l'affaire Smith c. Canada (Procureur général) (1999), 179 F.T.R. 134 (C.F. 1re inst.), le juge Blais faisait aussi observer que l'objet de la LPPR est [au paragraphe 20] «de fournir un mécanisme permettant d'effectuer des paiements à même le fonds de pension, et non de fixer la valeur de la pension revenant à chaque époux dans le cas d'entente sur le partage des biens par suite de la rupture de leur relation».

[25]Dans la plupart des cas, l'évaluation actuarielle d'une pension, en application des dispositions de la loi provinciale applicable, variera considérablement par rapport à une évaluation selon la LPPR. Cette divergence a été commentée par les tribunaux: Baker v. Baker (1998), 34 R.F.L. (4th) 364 (C.S. C.-B.). Dans l'affaire Shafer v. Shafer (1996), 25 R.F.L. (4th) 410 (Div. gén. Ont.), confirmée par (1998), 37 R.F.L. (4th) 104 (C.A. Ont.), le juge Métivier écrivait [au paragraphe 52]:

[traduction] [. . .] la «valeur» selon la Loi sur le partage des prestations de retraite est une valeur à l'exactitude de laquelle on ne peut en général nullement se fier dans un cas donné aux fins de la Loi sur le droit de la famille . Si intéressant qu'il puisse être de s'en remettre à une solution rapide et facile pour ces difficultés d'évaluation, la Loi ne reste qu'un mécanisme permettant de transférer des sommes en dehors du régime. La Loi sur le partage des prestations de retraite prévoit sa propre méthode d'évaluation des pensions, mais elle le fait aux propres fins du gouvernement fédéral. Il s'agit notamment de préserver l'intégrité du régime, de bénéficier à l'ensemble des membres, mais, encore un e fois, uniquement en vue d'un mécanisme de transfert de certaines sommes. Ces méthodes cependant sont sans rapport avec les lois provinciales relatives aux droits patrimoniaux et à la disposition de ces droits entre ex-conjoints.

[26]Lorsqu'une évaluation actuarielle selon les règles de fond donne un montant qui est supérieur à l'évaluation selon la LPPR et que le tribunal ordonne le partage de la pension en parts égales, le ministre ne peut verser une somme supérieure à 50 p. 100 de la vale ur de l'évaluation selon la LPPR. L'article 3 de la LPPR dit que la Loi et le Règlement ont préséance lorsqu'il y a incompatibilité avec toute autre règle de droit.

[27]La compétence des juges qui statuent sur le partage de biens matrimoniau x leur vient des lois sur les biens matrimoniaux, et c'est en vertu de telles lois qu'est faite une demande de partage des prestations de retraite. Lorsqu'il ordonne le partage des prestations de retraite du participant à un régime de retraite énuméré dans l'article 2 de la LPPR, le juge n'exerce pas une compétence qui lui serait conférée par la LPPR. La LPPR facilite simplement le partage à la source (la somme maximale qui résulte d'une évaluation selon la LPPR), une fois ce partage ordonné, sous réserve d'une demande adressée au ministre: Croitor v. Croitor (2001),192 N.S.R. (2d) 26 (C.A.).

[28]M. et Mme Eddie avaient, non pas une ordonnance judiciaire (alinéa 4(2)a ) de la LPPR), mais plutôt un accord de séparation (sous-alinéa 4(2)b )(ii) de la LPPR) qui prévoyait le partage des prestations de retraite. M. Eddie ne conteste pas le droit de son ex-épouse, et il confirme que leur idée était de partager entre eux par moitié les prestations de retraite. Il ne met pas en doute la validité de l'acc ord de séparation. Il croit simplement que les prestations n'ont pas été partagées d'après la disposition applicable de la LPPR. La plainte de M. Eddie ne concerne donc pas les règles de fond, elle concerne la manière dont le ministre, et ceux qui agissent en son nom (le CNPR), ont procédé à la distribution et, plus particulièrement, le choix de la disposition de la LPPR qui a été appliquée en la matière.

[29]La Loi sur la GRC prévoit [au paragraphe 31(1)] qu'un membre «à qui u ne décision, un acte ou une omission liés à la gestion des affaires de la Gendarmerie causent un préjudice peut présenter son grief par écrit à chacun des niveaux [. . .] dans le cas où la présente loi, ses règlements ou les consignes du commissaire ne prévoient aucune autre procédure pour corriger ce préjudice». La procédure applicable aux griefs intéresse les matières qui concernent les conditions d'emploi des membres. À mon avis, les régimes de pensions font partie des conditions d'emploi des membres. En règle générale, les différends qui se rapportent au partage de prestations de retraite entre conjoints et entre ex-conjoints relèvent des règles de fond qui concernent le partage des biens matrimoniaux, mais ce n'est pas le cas ici parce que M. Eddie ne c herche pas un redressement qui participe des règles de fond. Il prétend être lésé par la manière dont le ministre a appliqué les dispositions de la LPPR, un aspect qui ne relève pas de la compétence d'après laquelle sont décidés les points relevant des règ les de fond. À mon avis, vu la nature du point particulier soulevé par M. Eddie, la procédure applicable aux griefs est assez large pour englober sa plainte. Sur cet aspect, je suis en accord avec la position des avocates des deux parties, position selon l aquelle M. Eddie a bien la qualité requise pour contester la décision des autorités agissant au nom du ministre (le CNPR) de procéder au partage de sa pension en application du paragraphe 8(1) plutôt qu'en application du paragraphe 8(4) de la LPPR. L'arbit re de niveau II a donc commis une erreur de droit lorsqu'il a dit que la qualité pour agir du demandeur était absente.

LA DISPOSITION DE LA LPPR QUI EST APPLICABLE AU PARTAGE DE LA PENSION DU DEMANDEUR

[30]Par commodité, les dispositions pertinentes des paragraphes 8(1) et 8(4) sont de nouveau reproduites ici.

8. (1) Le partage des prestations de retraite est effectué par:

a) sous réserve du paragraphe (4), le transfert du montant qui correspond à cinquante pour cent de la valeur des prestations de retraite acquises, conformément aux règlements, par le participant pendant la période visée par le partage, soit à son conjoint ou ancien conjoint [. . .]

[. . .]

(4) S'il est prévu dans l'ordonnance ou l'accord, ou si les intéressés conviennent, que le versement d'une somme forfaitaire pourra satisfaire aux conditions de l'ordonnance ou de l'accord, et si cette somme, avec l'intérêt réglementaire, est inférieure au montant qui aurait autrement été transféré conformément à l'alinéa (1)a ), cette somme forfaitaire avec l'intérêt est le montant qui sera transféré en application de cet alinéa au lieu du montant supérieur.

[31]Selon M. Eddie, la disposition de l'accord de séparation qui concerne le partage de sa pension requiert du ministre qu'il transfère la moitié de son droit à pension non acquise. Se fondant sur le paragraphe 8(4), il soutient que la disposition contractuelle prévoit expressément le transfert d'une somme forfaitaire et précise que c'est l'annexe C (le rapport estimatif LPPR daté du 26 septembre 1996) qui indique la valeur approximative aux fins du partage. L'accord de séparation, de dire M. Eddie, ne parle nulle part du partage de droits qui ont pris naissance après la date de la séparation. Par conséquent, le ministre et les instances qui agissaient en son nom ont commis une erreur lorsqu'ils ont considéré que l'accord de séparation prévoyait un partage égal de la valeur acquise de la pension, et l'arbitre a lui aussi commis une erreur. Selon M. Eddie, la date d'évaluation est la date de la séparation, et c'est cette date qui devait être prise en compte.

[32]Les arguments avancés par M. Eddie comportent deux aspects: la date d'évaluation à retenir, et l'interprétation de la dispositi on de l'accord de séparation. J'examinerai d'abord la question de la date d'évaluation.

[33]Selon les règles de fond, la date d'évaluation est la date de la séparation. Ce n'est pas le cas selon les règles de la LPPR. Le parag raphe 2(1) du Règlement définit l'expression «date d'évaluation» comme «[l]a date à l'égard de laquelle la valeur des prestations de retraite d'un participant est établie conformément au présent règlement». Partant, selon la LPPR, la «date d'évaluation» es t la date à laquelle la pension est évaluée aux fins de la distribution, en d'autres termes, la date du calcul: Swan c. Canada (Procureur général) (1998), 167 D.L.R. (4th) 30 (C.A.F.). Ici, cette date était le 9 juin 1998. Le statut du participant (pension acquise ou pension non acquise) à la date d'évaluation, selon l'article 13 du Règlement, dira si la valeur doit être calculée conformément aux articles 14 et 15, ou conformément à l'article 16 du Règlement. La date d'évaluation selon la LPPR est postérieu re à la date de la séparation, mais seule la partie de la pension acquise durant la cohabitation est partagée. À la date d'évaluation selon la LPPR, la pension de M. Eddie était acquise et elle a été évaluée, à juste titre, conformément aux règlements appl icables. Son argument concernant la date d'évaluation n'est pas recevable. La date est fixée par règlement, et aucune disposition ne permet au ministre, à un tribunal ou à un membre du régime de la modifier. Pour que M. Eddie obtienne gain de cause, il doi t établir que le paragraphe 8(4) est la disposition applicable.

[34]La LPPR prévoit que le partage de la pension peut se faire par d'autres moyens: Roy , précité; Cornect c. Poirier-Robichaud (2000), 230 R.N.-B. (2e) 368 (C.A.); Parsons v. Parsons (1995), 17 R.F.L. (4th) 267 (Div. gén. Ont.); Christian v. Christian (1995), 139 N.S.R. (2d) 246 (C.S.). En général, les accords de séparation prévoient le versement d'une somme forfaitaire, plutôt que le versement de sommes correspondan t au droit à pension, lorsque sont transférés des actifs ou des dettes compensatoires, entraînant ainsi un rajustement de la pension à verser. Rien cependant n'empêche les conjoints de préciser une somme forfaitaire pour un autre motif. Lorsqu'une somme fo rfaitaire est précisée pour un partage selon la LPPR, le ministre transférera alors la somme ainsi précisée, à condition que, comme on l'a dit plus haut, la somme soit inférieure à 50 p. 100 de la valeur de la prestation. À mon avis, pour que M. Eddie puis se invoquer le paragraphe 8(4), il devait préciser la somme à transférer. En bref, une «somme forfaitaire» s'entend d'une somme certaine, déterminée. Le paragraphe 14 de l'accord de séparation n'indique aucune somme déterminée à transférer.

[35]L'avocate du demandeur voudrait que j'interprète cette disposition de l'accord de séparation comme une disposition signifiant que la somme déterminée sera établie par le ministre par référence à l'annexe C. Je ne penche pas pour cette manière de voir, et j'observe, en passant, que l'annexe C n'était pas annexée à l'exemplaire de l'accord de séparation qui accompagnait la demande initiale. Si je fais erreur ici, alors je ne crois pas, en tout état de cause, que le paragraphe 14 puisse être interprété com me une directive s'adressant au ministre. La première phrase du paragraphe 14 fait référence au rapport estimatif LPPR. Elle ne fait rien d'autre que s'y référer. Elle ne spécifie pas ni ne signifie une acceptation de la valeur contenue dans le rapport com me la valeur devant servir de somme forfaitaire aux fins du transfert de la pension à Mme Eddie. Ç'aurait pu être le cas, mais ce ne l'a pas été. Le dispositif du paragraphe qui concerne le partage de la prestation ne fait aucune référence au rapport estim atif. Pour ce qui est du partage, le paragraphe est ainsi formulé:

[traduction] Les parties s'entendent pour remplir et produire immédiatement les documents que pourrait demander le ministre chargé d'administrer la LPRGRC pour qu'il procède promptement au partage par moitié des prestations de retraite du mari, entre le mari, membre d'un régime de retraite du secteur public fédéral prévu par la LPRGRC, et la femme, c'est-à -dire son épouse. Après que ce partage aura été approuvé par le ministre, la part de l'épouse sera transférée directement, comme somme forfaitaire, dans un instrument d'épargne-retraite choisi par elle. Si le mari décède avant que ce partage par moitié ne puisse être effectué par le ministre, le droit de l'épouse à tel partage constituera u n privilège de premier rang sur la succession du mari.

[36]À mon avis, ce texte, loin de signaler une intention de transférer une somme forfaitaire, constitue une affirmation selon laquelle Mme Eddie aura droit à 50 p. 100 de la pension de M . Eddie. Sur ce point, la disposition est compatible avec l'ensemble de l'accord. Si l'intention était autre, alors il appartenait aux parties à l'accord de l'exprimer. Les accords de séparation sont des contrats. Ils surviennent dans un contexte juridique particulier et se distinguent des contrats commerciaux, mais ils sont néanmoins des contrats: Miglin c. Miglin , [2003] 1 R.C.S. 303. J'arrive à la conclusion que l'arbitre n'a pas commis d'erreur lorsqu'il a dit que la disposition de l'accord de séparatio n signifiait que les prestations de retraite seraient partagées par moitié.

[37]Ce résultat pourra sembler difficile à accepter pour M. Eddie, dont l'évaluation de la pension entre dans un pourcentage relativement faible de cas où, entre la date de la séparation et la date de l'évaluation, la pension devient acquise et par conséquent voit sa valeur s'accroître sensiblement. Cependant, M. Eddie doit admet tre que le rapport estimatif initial était précisément cela--une estimation de la valeur d'une pension avec droits non acquis. La lettre qui l'accompagnait indiquait expressément qu'«une valeur actuarielle du partage serait fondée sur le traitement, la durée du service et les cotisations à la date du partage officiel, après production et approbation d'une demande de partage de la pension» (non souligné dans l'original). M. Eddie était représenté par un avocat lors de la négociation et de la signature de l'ac cord de séparation, et l'on doit supposer qu'il savait qu'il lui fallait être séparé de son épouse pendant une période d'un an avant qu'un partage puisse être demandé (sous-alinéa 4(2)b )(ii) de la LPPR). Il savait, ou aurait dû savoir (ayant été membre de la Gendarmerie durant neuf ans et huit mois), que sa pension était sur le point de produire des droits acquis. La correspondance touchant l'approbation du partage mentionnait que «la somme payable en vertu de la LPPR représentera 50 p. 100 de la valeur présente actuarielle, calculée en conformité avec la Loi, des prestations qui auront été acquises durant cette période» (non souligné dans l'original).

[38]Finalement, je suis d'avis que l'arbitre a commis une erreur de droit lorsqu'il a conclu à l'absence de qualité pour agir. L'arbitre a eu raison de dire que «l'accord prévoit un partage des prestations par moitié» et que «l'argument avancé par l'auteur du grief est dépourvu de bien-fondé». Si l'arbitre ne s'était prononcé que sur la question de la qualité pour agir, sans statuer sur le fond, je renverrais l'affaire pour nouvelle décision. Cependant, malgré la présence d'une erreur sujette à révision, il n'est pas opportun de renvoyer l'affaire, étant donné qu'elle a été jugée au fond, et jugée correctement. Renvoyer l'affaire serait donner préséance à la forme sur le fond. Les circonstances dans lesquelles un tribunal peut refuser d'accorder un redressement malgré l'existence d'une erreur sujette à révision sont exposées dans l'affaire Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2003), 228 F.T.R. 19 (C.F. 1re inst.). Je fais miens les mots employés par mon collègue le juge Gibson lorsqu'il écrivait [au paragraphe 31]: «Reconnaissant qu'il doit être exceptionnel et assurémen t pas de pratique générale de refuser d'accorder réparation alors qu'une erreur révisable a été commise, j'estime qu'un tel refus se justifie en l'espèce».

[39]La demande de contrôle judiciaire est rejetée et une ordonnance en disposera ainsi. Le défendeur n'a pas demandé les dépens et il n'en sera pas adjugé.

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