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DES-4-02

2003 CFPI 759

AFFAIRE INTÉRESSANT un certificat déposé en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi);

ET le renvoi de ce certificat à la Cour fédérale du Canada, conformément au paragraphe 77(1) et aux articles 78 et 80 de la Loi;

ET Mohamed Harkat.

Répertorié: Harkat (Re) (1re inst.)

Section de première instance, juge Dawson--Ottawa, 12 et 19 juin 2003.

Citoyenneté et Immigration -- Exclusion et renvoi -- Renvoi de réfugiés -- Requête visant l'obtention d'une ordonnance en vertu de l'art. 79 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés pour suspendre le dépôt d'un certificat de sécurité à la Cour afin de permettre la présentation d'une demande de protection au ministre -- Question en litige: moment de la décision du ministre quant à la mesure de renvoi si la personne est interdite de territoire -- M. Harkat est reconnu réfugié au sens de la Convention -- Le ministre et le solliciteur général ont ultérieurement signé un certificat de sécurité qui a été déposé à la Cour fédérale pour qu'il soit décidé de son caractère raisonnable -- Le certificat allègue que M. Harkat est interdit de territoire en tant que terroriste ou en tant que membre d'une organisation terroriste -- Demande de protection en vertu de l'art. 112 de la Loi -- La question est de savoir si, étant déjà une personne protégée (art. 115(1) de la Loi), il a le droit de demander la protection -- Explication du régime du certificat de sécurité -- Explication de la nouvelle notion d'«asile» -- Explication de l'examen des risques avant renvoi -- Principes d'interprétation législative applicables -- Sens ordinaire et grammatical du texte -- Contexte législatif général -- Le Règlement ne modifie pas la protection prévue par la Loi -- Le régime législatif ne crée pas un résultat absurde -- L'intention de la Loi est d'activer les procédures et de protéger la sécurité en interdisant le territoire canadien aux personnes qui constituent un danger pour la sécurité -- La Loi ne prévoit qu'une seule décision quant au renvoi de M. Harkat -- L'objet du contrôle judiciaire n'est pas de substituer la discrétion de la Cour à celle du ministre mais d'évaluer la légalité de la décision du ministre au vu du dossier dont il est saisi.

Cette demande visant l'obtention d'une ordonnance en vertu de l'article 79 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés mettait en cause le moment de la décision du ministre sur la question de savoir si M. Harkat pouvait être renvoyé du Canada s'il était conclu en l'espèce qu'il était interdit de territoire.

La qualité de réfugié au sens de la Convention a été reconnue à M. Harkat en 1997, mais en 2002, le ministre et le solliciteur général ont signé un certificat de sécurité qui a été déposé à la Cour en vertu du paragraphe 77(1) afin de décider du caractère raisonnable de celui-ci. Selon le certificat, M. Harkat est interdit de territoire au Canada en vertu des alinéas 34(1)c) et f) (se livrer au terrorisme ou être membre d'une organisation dont on croit qu'elle a été ou sera l'auteur d'un acte de terrorisme). M. Harkat a alors demandé la protection en vertu de l'article 112. Son avocat a été informé que M. Harkat ne pouvait pas présenter une telle demande car, à titre de réfugié au sens de la Convention, il était déjà une personne protégée suivant le paragraphe 115(1). La question était donc de savoir s'il avait le droit de présenter une demande de protection selon le paragraphe 112(1).

Jugement: la requête est rejetée.

L'article 81 prévoit que si un certificat est jugé raisonnable, ce certificat 1) fait foi de l'interdiction de territoire de la personne qui y est nommée; 2) constitue une mesure de renvoi sans appel; 3) est en vigueur et la personne visée ne peut dès lors demander la protection au titre du paragraphe 112(1). Il est donc capital que toute demande de protection présentée pour le compte d'une personne nommée dans un certificat soit déposée avant que l'on dispose du caractère raisonnable du certificat.

L'«asile» est une nouvelle notion dans la Loi. Une «personne à protéger» est une personne décrite à l'article premier de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants des Nations Unies ou une personne à qui la protection aurait été accordée en vertu de l'ancienne Loi sur l'immigration à titre de membre de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada. En vertu du paragraphe 95(2), une personne à qui l'asile a été conféré est une «personne protégée». Ayant été reconnu réfugié au sens de la Convention, M. Harkat est une «personne protégée»; il n'aurait pas pu obtenir la protection de réfugié en déposant maintenant une demande de protection puisqu'un certificat de sécurité a été délivré.

Suivant le paragraphe 115(1), une personne protégée ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait d'un motif énoncé dans la Convention ou la torture. Mais ce principe comporte des exceptions restreintes, dont l'une est qu'une personne interdite de territoire pour des raisons de sécurité peut être renvoyée si elle ne devrait pas être présente au Canada en raison soit de la gravité de ses actes passés, soit du danger qu'elle constitue pour la sécurité du Canada.

Une personne visée par une mesure de renvoi ou nommée dans un certificat de sécurité peut demander un examen des risques avant renvoi mais, en vertu du paragraphe 112(3), la personne nommée dans un certificat de sécurité n'a droit qu'à un examen modifié des risques avant renvoi. Une telle personne n'est pas évaluée par rapport à la Convention mais seulement par rapport aux motifs prévus à l'article 97 de la Loi, à savoir l'exposition au risque de torture, de mort ou de traitements cruels et inusités. De plus, une décision favorable n'a pas pour effet de conférer l'asile (paragraphe 114(1)). Elle n'a pour effet que de surseoir à la mesure de renvoi pour le pays ou le lieu en cause. Le sursis peut même être révoqué par le ministre si les circonstances changent (paragraphe 114(2)).

À titre de réfugié au sens de la Convention, M. Harkat est une «personne protégée» et il n'est donc pas admissible à un examen des risques avant renvoi. Pour qu'il puisse l'être, il faudrait lire le paragraphe 112(1) comme si le passage «et qui n'est pas visée au paragraphe 115(1)» ne s'y trouvait pas. Pour que le paragraphe 115(2) agisse de manière à exclure de l'application du paragraphe 115(1) une personne dans la situation de M. Harkat, il faut que la personne soit «interdite de territoire pour raison de sécurité». Le fait d'être nommée dans un certificat ne rend pas une personne interdite de territoire pour raison de sécurité au sens du paragraphe 115(2) car ce n'est qu'une fois que le certificat est jugé raisonnable que l'interdiction de territoire est établie.

Bien que le texte de la Loi soit limpide et qu'il faudrait des arguments contextuels convaincants pour justifier une interprétation différente, la Cour a examiné la question de savoir si une interprétation fondée sur le sens ordinaire des mots utilisés 1) était compatible avec le règlement; 2) produisait un résultat absurde ou était compatible avec l'économie de la Loi; 3) était compatible avec l'objet de la Loi. Le Règlement ne pouvait pas modifier l'étendue de la protection que prévoit la Loi. La Cour ne pouvait pas accepter l'allégation de M. Harkat selon laquelle on aboutit à un résultat absurde si une personne non reconnue à titre de réfugiée au sens de la Convention obtient un examen des risques avant renvoi avant la décision concernant le certificat rendue en vertu de l'article 80 ainsi que, sans autorisation, le contrôle judiciaire de l'examen, alors qu'un réfugié au sens de la Convention n'obtient un examen des risques, «si examen il y a», qu'après la décision concernant le certificat et qu'il faut une autorisation pour le contrôle judiciaire. L'économie de la loi ne prévoit pas des droits moindres pour les réfugiés au sens de la Convention. Ceux-ci conservent le droit de ne pas être «refoulés» à moins que le ministre décide, conformément à l'alinéa 115(2)b), qu'une personne ne devrait pas être présente au Canada en raison soit de la gravité de ses actes passés, soit du danger qu'elle constitue pour la sécurité du pays. Cette situation a été comparée à celle d'une personne à qui la protection de réfugié n'a pas été reconnue et qui est nommée dans un certificat. Celle-ci n'a droit qu'à un examen modifié des risques avant renvoi. De plus, cet examen ne peut avoir comme résultat l'octroi de la protection de réfugié, mais ne peut que surseoir à la mesure de renvoi, une protection similaire à celle dont jouit une personne ayant le statut de réfugié. Alors qu'une autorisation est requise pour le contrôle judiciaire de la décision du ministre de «refouler», il suffit au demandeur d'invoquer des arguments un tant soit peu défendables. Si l'autorisation en est accordée, il est possible d'interjeter appel de la décision lorsqu'une question est certifiée par la Cour. La décision du juge désigné quant au caractère raisonnable d'un certificat et à la légalité de l'examen des risques avant renvoi n'est pas susceptible d'appel. On a aussi noté que la Loi vise à activer les procédures d'immigration tout en veillant à protéger la sécurité de la société canadienne par l'interdiction de territoire aux personnes qui constituent un danger pour la sécurité.

La Cour ne pouvait pas non plus accepter l'argument de M. Harkat voulant que la Loi visait à intégrer à l'enquête portant sur le caractère raisonnable du certificat toutes les questions relatives au renvoi. Agir ainsi risquerait en fait d'amoindrir la protection d'une personne dans la situation de M. Harkat. La Loi ne prévoit qu'une seule décision quant au renvoi de M. Harkat et cette façon de procéder est plus simple.

Il a également été souligné que le but du contrôle judiciaire n'est pas de substituer la discrétion de la Cour à celle du ministre, mais d'évaluer plutôt la légalité de la décision du ministre au vu du dossier dont il est saisi.

M. Harkat s'appuyait enfin sur la décision rendue par le juge MacKay dans l'affaire Jaballah (Re) publiée récemment, mais celle-ci se distinguait de la présente affaire en ce que M. Jaballah n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

La demande du ministère public visant une ordonnance relative aux dépens a été rejetée, la présente requête ayant soulevé un point nouveau non encore tranché par la jurisprudence.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 10 décembre 1984, [1987] R.T. Can. no 36, art. 1. Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1(4) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 2(1) «étranger», 3(1)h),i), (3)d),f), 34(1)c),f), 77, 79, 80, 81, 95, 96, 97, 112, 113, 114, 115, ann.

Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 160(1),(3)b).

jurisprudence

décision appliquée:

Bristol-Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général) (2003), 226 D.L.R. (4th) 138; 24 C.P.R. (4th) 417; 303 N.R. 63 (C.A.F.).

distinction faite d'avec:

Jaballah (Re), [2003] 3 C.F. 85; (2002), 224 F.T.R. 20 (C.F. 1re inst.).

décisions citées:

Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84; (2002), 208 D.L.R. (4th) 107; 37 Admin. L.R. (3d) 252; 18 Imm. L.R. (3d) 93; 280 N.R. 268; Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (2000), 47 Admin. L.R. 317; 109 N.R. 239 (C.A.F.).

REQUÊTE en vue d'obtenir une ordonnance en vertu de l'article 79 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, suspendant le dépôt d'un certificat à la Cour fédérale pour permettre la présentation d'une demande de protection et la décision du ministre quant à cette demande. Ordonnance rejetant la requête.

ont comparu:

Donald A. MacIntosh et I. John Loncar pour le ministère de la Justice.

James H. Mathieson et Michael W. Dale pour le solliciteur général du Canada.

Rocco Galati et Bruce Engel pour Mohamed Harkat.

avocats inscrits au dossier:

Le sous-procureur général du Canada pour le ministère de la Justice et pour le solliciteur général du Canada.

Rocco Galati, Toronto, et Bruce Engel, Ottawa, pour Mohamed Harkat.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

[1]Le juge Dawson: M. Harkat a demandé qu'une ordonnance soit rendue en vertu de l'article 79 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) en vue de suspendre la présente affaire pour qu'il puisse présenter une demande de protection et que le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le ministre) en dispose. Le point à trancher dans cette requête est essentiellement le moment où le ministre décidera si M. Harkat peut être expulsé du Canada si, en l'espèce, il est conclu que ce dernier est interdit de territoire au Canada. Ce point, quant à lui, dépend de la détermination de l'intention du législateur, telle qu'exprimée dans la Loi.

CONTEXTE

[2]Le fondement factuel du présent litige est le suivant. La qualité de réfugié au sens de la Convention a été reconnue à M. Harkat le 24 février 1997.

[3]Par la suite, le 10 décembre 2002, un certificat, portant la signature du ministre et du Solliciteur général du Canada (le certificat de sécurité, ou certificat), a été déposé à la présente Cour, conformément au paragraphe 77(1) de la Loi, afin qu'il soit décidé de son caractère raisonnable. Selon le certificat de sécurité, M. Harkat est interdit de territoire au Canada en vertu des alinéas 34(1)c) et f) de la Loi. Aux termes de ces dispositions, un résident permanent ou un étranger est interdit de territoire pour raison de sécurité parce qu'il s'est livré au terrorisme ou parce qu'il est membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle est, a été ou sera l'auteur d'actes de terrorisme. À l'époque où le certificat de sécurité a été délivré, M. Harkat était un «étranger» au sens de la Loi [le paragraphe 2(1)], et n'avait pas acquis le statut de résident permanent.

[4]Le 24 décembre 2002, l'avocat de M. Harkat a donné officiellement avis de la demande de protection de M. Harkat en vertu de l'article 112 de la Loi. En réponse, il a été indiqué à l'avocat de M. Harkat que comme la qualité de réfugié au sens de la Convention avait déjà été reconnue à M. Harkat, ce dernier était une personne protégée visée au paragraphe 115(1) de la Loi. De ce fait, M. Harkat ne pouvait pas demander une protection en vertu de l'article 112 de la Loi.

LE POINT EN LITIGE

[5]La question juridique à trancher dans la présente requête consiste à savoir si M. Harkat a le droit de demander une protection en vertu du paragraphe 112(1) de la Loi. Dans l'affirmative, il s'ensuit qu'il a le droit de demander la suspension de la présente affaire en attendant qu'il soit disposé de la demande de protection.

ANALYSE

(i)     Les dispositions applicables de la Loi

[6]Examinons tout d'abord le cadre législatif qui s'applique à la présente requête, et plus précisément l'interdépendance des dispositions de la Loi portant sur les certificats de sécurité, la protection des réfugiés et les examens des risques avant renvoi. Les dispositions de la Loi auxquelles je me reporte sont énoncées à l'annexe A jointe aux présents motifs.

a)     Le régime du certificat de sécurité

[7]L'un des effets de la délivrance d'un certificat de sécurité, selon le paragraphe 77(2) de la Loi, est qu'au moment du renvoi du certificat à la Cour, aucune instance ne peut être engagée ou poursuivie à l'égard de la personne nommée dans ce certificat. La seule exception à cette disposition est la demande de protection prévue au paragraphe 112(1) de la Loi. La suspension d'instance que prévoit le paragraphe 77(2) est maintenue jusqu'à ce qu'il ait été décidé du caractère raisonnable du certificat.

[8]Pour ce qui est des demandes de protection, à la demande du ministre ou d'un étranger nommé dans le certificat, le juge désigné pour instruire l'instance relative au certificat (le juge désigné) doit, conformément au paragraphe 79(1) de la Loi, suspendre l'affaire concernant le caractère raisonnable du certificat afin que le ministre puisse disposer de la demande de protection. Lorsque cela est fait, le ministre est tenu de notifier la décision à l'étranger et au juge désigné, lequel, à ce moment-là, reprend l'affaire concernant le certificat. En plus de se prononcer sur le caractère raisonnable du certificat, le juge est ensuite également tenu de contrôler la légalité de la décision du ministre sur la demande de protection. Ce contrôle est fondé sur les motifs de contrôle judiciaire énumérés au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5)]. Voir le paragraphe 79(2) de la Loi.

[9]À la conclusion de ce processus, le juge annule le certificat s'il est d'avis que ce dernier n'est pas raisonnable. Si le juge n'annule pas le certificat et conclut que ce dernier est raisonnable, mais détermine que la décision sur la demande de protection n'a pas été rendue légalement, il annule la décision et suspend de nouveau l'affaire jusqu'à ce que l'on ait rendu une nouvelle décision sur la demande de protection. Voir l'article 80 de la Loi.

[10]S'il est déterminé que le certificat est raisonnable, il s'ensuit trois choses, énumérées à l'article 81 de la Loi. Le certificat:

a) fait foi de l'interdiction de territoire;

b) constitue une mesure de renvoi en vigueur et sans appel;

c) la personne visée ne peut dès lors demander la protection au titre du paragraphe 112(1).

[11]Il est donc capital que toute demande de protection présentée pour le compte d'une personne nommée dans un certificat soit déposée avant que l'on dispose du caractère raisonnable du certificat.

b)     La protection conférée

[12]L'«asile» est une nouvelle notion contenue dans la Loi. Une personne se voit conférer l'asile, en vertu de l'article 95 de la Loi, sur constat qu'elle est soit un réfugié, au sens de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés [28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6] (la définition est intégrée à la Loi, à l'article 96), soit une personne à protéger, au sens du paragraphe 97(1) de la Loi. La personne qui correspond à la définition d'une «personne à protéger» est celle qui est décrite à l'article premier de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, [10 décembre 1984, [1987] R.T. Can. no 36] ou celle à qui l'on aurait accordé une protection en vertu de l'ancienne Loi sur l'immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2] à titre de membre de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada.

[13]L'asile est également conféré, selon l'alinéa 95(1)c) de la Loi, lorsque le ministre accorde une demande de protection, sauf si une demande de protection est accordée à l'égard d'une personne nommée dans un certificat de sécurité.

[14]Le paragraphe 95(2) de la Loi prescrit qu'une personne à qui l'asile est conféré est «protégée», sous réserve seulement de la perte de ce statut en raison de certains faits ultérieurs expressément énumérés, et dont aucun n'est en litige en l'espèce.

[15]M. Harkat est donc une «personne protégée», du fait de la décision rendue le 24 février 1997 qu'il est un réfugié au sens de la Convention. Toute demande de protection maintenant déposée, étant une demande déposée après la délivrance du certificat de sécurité, ne pourrait pas faire en sorte que l'on confère à M. Harkat la protection et que ce dernier devienne une personne protégée.

[16]Les personnes protégées se voient conférer un avantage important. Le paragraphe 115(1) dispose qu'une telle personne ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait d'un motif énoncé dans la Convention, ou la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités. Cette protection comporte des exceptions restreintes. L'exception à ce principe général de non-refoulement qui pourrait s'appliquer à M. Harkat figure à l'alinéa 115(2)b) de la Loi, lequel prescrit qu'une personne interdite de territoire pour raison de sécurité peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution si, de l'avis du ministre, cette personne ne devrait pas être présente au Canada en raison soit de la nature et de la gravité de ses actes passés, soit du danger qu'elle constitue pour la sécurité du Canada.

c)     L'examen des risques avant renvoi

[17]En général, toute personne présente au Canada et sous le coup d'une mesure de renvoi en vigueur, ou nommée dans un certificat de sécurité, peut demander un examen des risques avant renvoi. Les exceptions à ce droit général sont énoncées aux paragraphes 112(1) et (2) de la Loi. Il est convenu que les exceptions figurant au paragraphe 112(2) ne s'appliquent pas à M. Harkat. Nous reviendrons plus tard à l'exception contenue au paragraphe 112(1).

[18]Le paragraphe 112(3) prescrit que les demandeurs interdits de territoire pour divers motifs, dont le fait d'être nommés dans un certificat de sécurité, ne sont admissibles qu'à un examen modifié des risques avant renvoi. Une personne nommée dans un certificat de sécurité n'est pas évaluée par rapport à la crainte de persécution au sens de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés mais plutôt par rapports aux motifs énumérés à l'article 97 de la Loi (voir l'alinéa 113d) de la Loi). Cela oblige à évaluer si le demandeur s'expose au risque d'être soumis à la torture ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

[19]Il existe une autre distinction lorsque le demandeur d'un tel examen est décrit dans un certificat de sécurité. Cette distinction, exposée à l'alinéa 114(1)b) de la Loi, prévoit qu'une décision favorable n'aura pas pour effet de conférer l'asile. L'effet d'une décision favorable en l'espèce est plutôt de surseoir à la mesure de renvoi. Ce sursis peut, conformément au paragraphe 114(2) de la Loi, être révoqué par le ministre si les circonstances applicables ont changé.

(ii)     Les principes d'interprétation législative applica-bles

[20]Ayant décrit de façon générale le régime législatif, j'examinerai maintenant les principes à appliquer pour déterminer l'intention du législateur, telle qu'exprimée dans la Loi.

[21]Les parties conviennent que l'approche à suivre pour interpréter la Loi est la suivante: les termes de la Loi doivent être lus dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, le sens de la loi et l'intention du législateur. Voir, par exemple, Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, au paragraphe 27.

[22]Comme l'a signalé la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Bristol-Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général) (2003), 226 D.L.R. (4th) 138, au paragraphe 13:

Cette conception globale de l'interprétation d'une loi [. . .] exige d'une cour de justice qu'elle retienne le sens qui est le plus compatible avec le texte et le contexte de la disposition en cause. L'on ne peut faire abstraction ni de l'un ni de l'autre. Cependant, plus le «sens ordinaire» du texte est clair, plus les considérations d'ordre contextuel doivent être pressantes pour justifier une autre interprétation, spécialement lorsqu'il s'agit d'ajouter des mots à ceux utilisés par le législateur.

(iii)     Le sens ordinaire et grammatical du texte pertinent

[23]Examinons tout d'abord les termes exacts que le législateur a employés dans la Loi. Les dispositions clés sont les paragraphes 112(1), 115(1) et (2) et 95(1) et (2), dont le texte, par souci de commodité, est reproduit ci-dessous:

112. (1) La personne se trouvant au Canada et qui n'est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

[. . .]

115. (1) Ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, la personne protégée ou la personne dont il est statué que la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée.

(2) Le paragraphe (1) ne s'applique pas à l'interdit de territoire:

a) pour grande criminalité qui, selon le ministre, constitue un danger pour le public au Canada;

b) pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée si, selon le ministre, il ne devrait pas être présent au Canada en raison soit de la nature et de la gravité de ses actes passés, soit du danger qu'il constitue pour la sécurité du Canada.

[. . .]

95. (1) L'asile est la protection conférée à toute personne dès lors que, selon le cas:

a) sur constat qu'elle est, à la suite d'une demande de visa, un réfugié ou une personne en situation semblable, elle devient soit un résident permanent au titre du visa, soit un résident temporaire au titre d'un permis de séjour délivré en vue de sa protection;

b) la Commission lui reconnaît la qualité de réfugié ou celle de personne à protéger;

c) le ministre accorde la demande de protection, sauf si la personne est visée au paragraphe 112(3).

(2) Est appelée personne protégée la personne à qui l'asile est conféré et dont la demande n'est pas ensuite réputée rejetée au titre des paragraphes 108(3), 109(3) ou 114(4). [Non souligné dans l'original.]

[24]Le paragraphe 112(1) de la Loi spécifie quelle personne peut demander la protection et obtenir un examen des risques avant renvoi. Est expressément exclue la personne «visée au paragraphe 115(1)». Le paragraphe 115(1) traite de la «personne protégée» ou de la «personne dont il est statué que la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée» (la dernière disposition n'est pas pertinente en l'espèce). Le paragraphe 95(2) dispose que la «personne protégée» est «la personne à qui l'asile est conféré [en vertu du paragraphe (1)]».

[25]Par conséquent, comme la qualité de réfugié lui a été reconnue, M. Harkat est une «personne protégée» et donc une personne visée au paragraphe 115(1) de la Loi. Il s'ensuit, selon le sens ordinaire et grammatical de la Loi, qu'il n'est pas une personne admissible à un examen des risques avant renvoi. Pour qu'il puisse l'être, il aurait fallu lire le paragraphe 112(1) comme si le passage «et qui n'est pas visée au paragraphe 115(1)» ne s'y trouvait pas.

[26]Il est allégué pour le compte de M. Harkat que le paragraphe 115(1) doit être lu de pair avec l'exception à cette disposition, qui figure au paragraphe 115(2). Le fait de lire les deux ensemble a pour résultat, est-il dit, de soustraire M. Harkat de la portée du paragraphe 115(1).

[27]Cet argument présente, à mon humble avis, deux difficultés. Premièrement, le paragraphe 112(1) ne traite pas des personnes visées aux «paragraphes 115(1) et (2)». Il aurait été facile que la disposition soit libellée ainsi si le législateur l'avait voulu. Deuxièmement, pour que le paragraphe 115(2) agisse de manière à exclure une personne du paragraphe 115(1) dans des circonstances comme celles auxquelles fait face M. Harkat, il faut que l'intéressé soit «interdit de territoire pour raison de sécurité». Je ne suis pas convaincue que le simple fait d'être nommé dans un certificat fait que l'on est interdit de territoire pour raison de sécurité comme l'envisage le paragraphe 115(2), car ce n'est pas avant que l'on ait déterminé que le certificat est raisonnable que l'on prouve de manière concluante l'interdiction de territoire de la personne qui y est nommée (voir l'alinéa 81a) de la Loi). Toute indication d'une telle interdiction ne subsisterait pas, selon moi, si le certificat était annulé. Cette interprétation est compatible avec la position du ministère public au sujet de la présente requête, à savoir que M. Harkat n'est pas interdit de territoire avant que la Cour ait déterminé que le certificat est raisonnable.

(iv)     Le contexte législatif général

[28]Le sens grammatical et ordinaire des mots employés se justifie lorsqu'on lit les dispositions applicables dans le contexte entier de la Loi. (Bien que je note incidemment que le texte de la loi semble limpide, et nécessite un examen contextuel convaincant pour justifier un sens différent.) Cependant, pour pouvoir interpréter d'un point de vue contextuel les dispositions qui régissent le droit à un examen des risques avant renvoi, j'examinerai si l'interprétation fondée sur le sens ordinaire des mots employés:

a) est compatible avec le règlement afférent à la Loi;

b) produit un résultat absurde ou, alors, est compatible avec l'économie de la loi;

c) est compatible avec l'objet et l'intention de la Loi.

a)     Le Règlement

[29]Il est allégué pour le compte de M. Harkat que l'interprétation qu'il fait de la Loi découle du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement) et notamment du paragraphe 160(1) et de l'alinéa 160(3)b). Le texte de ces dispositions est le suivant:

160. (1) Sous réserve du paragraphe (2), pour l'application du paragraphe 112(1) de la Loi, toute personne peut faire une demande de protection après avoir reçu du ministère un avis à cet effet.

[. . .]

(3) L'avis est donné:

[. . .]

b) dans le cas de la personne mentionnée dans le certificat prévu au paragraphe 77(1) de la Loi, lorsque le résumé de la preuve visé à l'alinéa 78h) de la Loi est fourni.

[30]Selon moi, la réponse à cet argument réside dans le libellé du paragraphe 160(1) du Règlement, où il est indiqué que les dispositions sont «pour l'application du paragraphe 112(1) de la Loi» et que «toute personne peut faire une demande de protection après avoir reçu du ministre un avis à cet effet». Il est un fait constant qu'un avis n'a pas été fourni à M. Harkat. À mon sens, cela était approprié, car les dispositions réglementaires existent pour l'application du paragraphe 112(1) de la Loi et que ce dernier, comme je l'ai conclu plus tôt, n'autorise pas qu'une demande de protection soit présentée par une personne qui, s'étant vu reconnaître la qualité de réfugié, est déjà protégée.

[31]Autrement dit, le Règlement ne peut modifier l'étendue de la protection que prévoit la Loi.

b)     Résultat absurde?

[32]Il est allégué pour le compte de M. Harkat que cette interprétation mène aux résultats absurdes suivants:

(i) une personne à qui l'on n'a pas reconnu la qualité de réfugié au sens de la Convention obtient un examen des risques avant renvoi, avant la détermination, prévue à l'article 80, d'un certificat, et le contrôle judiciaire de la décision rendue sur la demande de protection, sans autorisation, conformément au paragraphe 79(2) de la Loi; cependant,

(ii) une personne à qui l'on a reconnu la qualité de réfugié au sens de la Convention, doit attendre et ensuite obtenir un examen des risques, «si examen il y a», après la détermination du certificat, ce pourquoi il faudrait obtenir une autorisation en vue de soumettre la décision à un contrôle judiciaire. C'est là, au dire de l'avocat de M. Harkat, [traduction] «un résultat absurde et illogique, qui ne cadre pas avec l'intention claire de protéger contre la torture et l'économie évidente de la Loi».

[33]Ceci étant dit avec respect, je ne suis pas d'accord. L'économie de la loi que j'ai décrite plus tôt ne mène pas à un amoindrissement des droits dont jouit une personne à qui l'on a reconnu la qualité de réfugié au sens de la Convention et conféré ainsi la protection avant la délivrance d'un certificat de sécurité. Cette personne conserve en tout temps le droit de ne pas être refoulée à moins que le ministre décide, conformément à l'alinéa 115(2)b) de la Loi, qu'elle ne devrait pas être présente au Canada en raison soit de la nature et de la gravité de ses actes passés, soit du danger qu'elle constitue pour la sécurité du pays.

[34]Par comparaison, une personne à qui l'on n'a pas octroyé la protection et qui est nommée dans un certificat de sécurité a droit uniquement à un examen modifié des risques avant renvoi. Cet examen ne peut tenir compte de l'existence d'une crainte fondée de persécution pour un motif énoncé dans la Convention et ne peut donner lieu à l'octroi de la protection. Le résultat de la décision favorable est un sursis à la mesure de renvoi, qui confère une protection similaire à celle dont jouit une personne protégée.

[35]Il est vrai que si, après les procédures relatives au certificat, le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire pour refouler une personne protégée, cette décision ne peut être contrôlée que par la Cour si cette dernière l'autorise. Cependant, pour l'octroi d'une autorisation, le seuil en droit est peu élevé et il suffit au demandeur d'invoquer des arguments un tant soit peu défendables: voir Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 47 Admin. L.R. 317 (C.A.F.), au paragraphe 1. Cela ne crée pas un résultat absurde, et est contrebalancé, en partie du moins, par le fait que si l'on accorde l'autorisation, il est possible d'interjeter appel de la décision qui en résulte lorsqu'une question est certifiée par la Cour. Par comparaison, la décision du juge désigné quant au caractère raisonnable du certificat et à la légalité de l'examen des risques avant renvoi n'est en aucun cas susceptible d'appel.

c)     L'objet et l'intention de la Loi

[36]Il est un fait constant que l'un des objets de la Loi est de simplifier ou d'activer les procédures d'immigration au Canada, tout en veillant à protéger la sécurité du pays, à garantir la sécurité de la société canadienne et à promouvoir, à l'échelle internationale, la justice et la sécurité par l'interdiction de territoire aux personnes qui constituent un danger pour la sécurité. Voir les alinéas 3(1)h) et i) de la Loi.

[37]En outre, il convient d'interpréter et d'appliquer la Loi d'une manière garantissant que les décisions prises en vertu de cette dernière sont conformes à la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11, (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] et conformes aux instruments internationaux portant sur les droits de l'homme dont le Canada est signataire. Voir les alinéas 3(3)d) et f) de la Loi.

[38]À mon avis, aucun élément de l'interprétation que je fais du paragraphe 112(1) n'est pas conforme aux objets de la Loi ou la Charte, ni aux instruments internationaux portant sur les droits de la personne. Cette interprétation reflète plutôt le fait que, comme l'a déclaré la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Chieu, précité, au paragraphe 59: «[L]a Loi traite les citoyens différemment des résidents permanents, qui à leur tour sont traités différemment des réfugiés au sens de la Convention, lesquels sont traités différemment des détenteurs de visas et des résidents illégaux. C'est un aspect important du régime législatif que différentes catégories de personnes soient traitées différemment, avec les adaptations voulues selon les différents droits et les différentes situations des personnes faisant partie de ces groupes». Bien que ces propos aient été écrits à propos de l'ancienne Loi sur l'immigration, je considère qu'ils s'appliquent tout autant à la Loi actuelle.

[39]M. Harkat prétend que cette interprétation contredit l'objet de la Loi qui consiste à simplifier les procédures, en ce sens que cette dernière vise à intégrer toutes les questions de renvoi à l'enquête portant sur le caractère raisonnable du certificat. Là encore, je ne suis pas d'accord. Premièrement, intégrer ainsi la procédure aurait comme effet, pour les motifs énoncés plus tôt, d'amoindrir la protection déjà conférée à une personne comme M. Harkat, qui bénéficie présentement de la protection en qualité de réfugié au sens de la Convention. Deuxièmement, l'interprétation que préconise M. Harkat mènerait à la suspension de la présente instance, ensuite à la décision concernant un examen des risques avant renvoi et, enfin, à la conclusion des procédures relatives au certificat. À la fin de tout cela, M. Harkat aurait encore, selon moi, le droit dont il bénéficie actuellement de ne pas être refoulé sans que le ministre rende une autre décision, laquelle serait susceptible d'un contrôle judiciaire, après autorisation de la Cour. La Loi, selon l'interprétation que j'en fais, ne prévoit qu'une seule décision sur renvoi éventuel de M. Harkat. Cette interprétation assure une procédure plus simplifiée.

[40]M. Harkat fait valoir aussi que toute décision que prend le ministre en vertu de l'article 115 en vue de son renvoi doit être soumise à un contrôle judiciaire, après autorisation, devant un juge différent de celui qui a été désigné. L'autre juge, soutient-il, n'aurait pas en main le dossier complet présentement soumis à la Cour. Je ne suis pas convaincue que ce serait le cas. Tout contrôle judiciaire de la décision du ministre serait fondé sur le dossier soumis au ministre, un dossier qui peut être au moins aussi exhaustif que celui que détient actuellement la Cour. En outre, la nature de la décision rendue au stade du contrôle judiciaire est de ne pas substituer la discrétion de la Cour à celle du ministre au sujet de tous les faits dont la Cour a connaissance. La fonction de la Cour dans un contrôle judiciaire est plutôt d'évaluer la légalité de la décision du ministre, au vu du dossier qui lui est soumis.

[41]Il reste un dernier point. M. Harkat s'est fondé sur la décision de mon collègue le juge MacKay, dans l'affaire Jaballah (Re), [2003] 3 C.F. 85 (1re inst.), pour étayer son interprétation de la Loi. Toutefois, M. Jaballah n'était pas un réfugié au sens de la Convention et, de ce fait, ses circonstances peuvent être distinguées de celles qui concernent M. Harkat. Le juge MacKay n'était pas tenu d'examiner le régime législatif qui s'applique à un réfugié au sens de la Convention.

CONCLUSION

[42]Pour ces motifs, je suis arrivée à la conclusion que M. Harkat ne peut demander la protection en vertu du paragraphe 112(1) de la Loi. Une ordonnance, rejetant la requête, sera donc rendue.

[43]Le ministère public sollicite sa part des dépens liés à la présente requête. Comme il s'agit d'un point nouveau, non encore tranché par la jurisprudence, je considère, en exerçant mon pouvoir discrétionnaire, que chaque partie devrait supporter ses propres dépens. Aucune ordonnance ne sera rendue quant aux dépens.

ANNEXE A

77. (1) Le ministre et le solliciteur général du Canada déposent à la Section de première instance de la Cour fédérale le certificat attestant qu'un résident permanent ou qu'un étranger est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée pour qu'il en soit disposé au titre de l'article 80.

(2) Il ne peut être procédé à aucune instance visant le résident permanent ou l'étranger au titre de la présente loi tant qu'il n'a pas été statué sur le certificat; n'est pas visée la demande de protection prévue au paragraphe 112(1).

[. . .]

79. (1) Le juge suspend l'affaire, à la demande du résident permanent, de l'étranger ou du ministre, pour permettre à ce dernier de disposer d'une demande de protection visée au paragraphe 112(1).

(2) Le ministre notifie sa décision sur la demande de protection au résident permanent ou à l'étranger et au juge, lequel reprend l'affaire et contrôle la légalité de la décision, compte tenu des motifs visés au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale.

80. (1) Le juge décide du caractère raisonnable du certificat et, le cas échéant, de la légalité de la décision du ministre, compte tenu des renseignements et autres éléments de preuve dont il dispose.

(2) Il annule le certificat dont il ne peut conclure qu'il est raisonnable; si l'annulation ne vise que la décision du ministre il suspend l'affaire pour permettre au ministre de statuer sur celle-ci.

(3) La décision du juge est définitive et n'est pas susceptible d'appel ou de contrôle judiciaire.

81. Le certificat jugé raisonnable fait foi de l'interdiction de territoire et constitue une mesure de renvoi en vigueur et sans appel, sans qu'il soit nécessaire de procéder au contrôle ou à l'enquête; la personne visée ne peut dès lors demander la protection au titre du paragraphe 112(1).

[. . .]

95. (1) L'asile est la protection conférée à toute personne dès lors que, selon le cas:

a) sur constat qu'elle est, à la suite d'une demande de visa, un réfugié ou une personne en situation semblable, elle devient soit un résident permanent au titre du visa, soit un résident temporaire au titre d'un permis de séjour délivré en vue de sa protection;

b) la Commission lui reconnaît la qualité de réfugié ou celle de personne à protéger;

c) le ministre accorde la demande de protection, sauf si la personne est visée au paragraphe 112(3).

(2) Est appelée personne protégée la personne à qui l'asile est conféré et dont la demande n'est pas ensuite réputée rejetée au titre des paragraphes 108(3), 109(3) ou 114(4).

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention--le réfugié--la personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée:

a) soit au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumise à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant:

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d'autres personnes originaires de ce pays ou qui s'y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes--sauf celles infligées au mépris des normes internationales--et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d'une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

[. . .]

112. (1) La personne se trouvant au Canada et qui n'est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

(2) Elle n'est pas admise à demander la protection dans les cas suivants:

a) elle est visée par un arrêté introductif d'instance pris au titre de l'article 15 de la Loi sur l'extradition;

b) sa demande d'asile a été jugée irrecevable au titre de l'alinéa 101(1)e);

c) si elle n'a pas quitté le Canada après le rejet de sa demande de protection, le délai prévu par règlement n'a pas expiré;

d) dans le cas contraire, six mois ne se sont pas écoulés depuis son départ consécutif soit au rejet de sa demande d'asile ou de protection, soit à un prononcé d'irrecevabilité, de désistement ou de retrait de sa demande d'asile.

(3) L'asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants:

a) il est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée;

b) il est interdit de territoire pour grande criminalité pour déclaration de culpabilité au Canada punie par un emprisonnement d'au moins deux ans ou pour toute déclaration de culpabilité à l'extérieur du Canada pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans;

c) il a été débouté de sa demande d'asile au titre de la section F de l'article premier de la Convention sur les réfugiés;

d) il est nommé au certificat visé au paragraphe 77(1).

113. Il est disposé de la demande comme il suit:

a) le demandeur d'asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n'étaient alors pas normalement accessibles ou, s'ils l'étaient, qu'il n'était pas raisonnable, dans les circonstances, de s'attendre à ce qu'il les ait présentés au moment du rejet;

b) une audience peut être tenue si le ministre l'estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

c) s'agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98;

d) s'agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3), sur la base des éléments mentionnés à l'article 97 et, d'autre part:

(i) soit du fait que le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité constitue un danger pour le public au Canada,

(ii) soit, dans le cas de tout autre demandeur, du fait que la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu'il constitue pour la sécurité du Canada.

114. (1) La décision accordant la demande de protection a pour effet de conférer l'asile au demandeur; toutefois, elle a pour effet, s'agissant de celui visé au paragraphe 112(3), de surseoir, pour le pays ou le lieu en cause, à la mesure de renvoi le visant.

(2) Le ministre peut révoquer le sursis s'il estime, après examen, sur la base de l'alinéa 113d) et conformément aux règlements, des motifs qui l'ont justifié, que les circonstances l'ayant amené ont changé.

(3) Le ministre peut annuler la décision ayant accordé la demande de protection s'il estime qu'elle découle de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait.

(4) La décision portant annulation emporte nullité de la décision initiale et la demande de protection est réputée avoir été rejetée.

Principe du non-refoulement

115. (1) Ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, la personne protégée ou la personne dont il est statué que la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée.

(2) Le paragraphe (1) ne s'applique pas à l'interdit de territoire:

a) pour grande criminalité qui, selon le ministre, constitue un danger pour le public au Canada;

b) pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée si, selon le ministre, il ne devrait pas être présent au Canada en raison soit de la nature et de la gravité de ses actes passés, soit du danger qu'il constitue pour la sécurité du Canada.

(3) Une personne ne peut, après prononcé d'irrecevabilité au titre de l'alinéa 101(1)e), être renvoyée que vers le pays d'où elle est arrivée au Canada sauf si le pays vers lequel elle sera renvoyée a été désigné au titre du paragraphe 102(1) ou que sa demande d'asile a été rejetée dans le pays d'où elle est arrivée au Canada.

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