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T-1993-02

2003 CFPI 115

Darlene Francis, James Gabriel, en sa qualité de grand chef, Clarence Simon, en sa qualité de chef, et Mary Chéné, en sa qualité de chef (demandeurs)

c.

Le Conseil mohawk de Kanesatake, Steven Bonspille, en sa qualité de chef, Pearl Bonspille, en sa qualité de chef, John Harding, en sa qualité de chef, et le procureur général du Canada (défendeurs)

Répertorié: Francis c. Conseil mohawk de Kanesatake (1re inst.)

Section de première instance, juge Martineau--Ottawa, 16 décembre 2002 et 31 janvier 2003.

Peuples autochtones -- Élections -- Contrôle judiciaire de la décision du Conseil de tenir une élection partielle [traduction] «conformément au code électoral de Kanesatake» par suite du décès du chef -- La question en litige est de savoir si les membres non-résidents de la Bande peuvent voter -- Survol historique -- Le décès du chef a donné lieu à une impasse au sein du Conseil -- Le directeur général du Conseil a pris des mesures visant à faire en sorte que l'élection partielle se déroule d'une façon strictement conforme aux dispositions du code, qui prévoient l'exclusion des membres non-résidents de la Bande -- Les exigences du code n'ont jamais été suivies au cours des élections antérieures -- Depuis 1991, les élections étaient dirigées par un organisme de l'extérieur indépendant; cette fois-ci elles l'ont été par des scrutateurs qui ont été élus sans que les non-résidents soient informés -- Les scrutateurs sont probablement partiaux -- La Section de première instance de la Cour fédérale a compétence pour statuer sur la demande -- La Loi sur les Indiens permet que les élections se déroulent conformément à la coutume de la Bande -- Examen des principes de droit généraux qui s'appliquent à la coutume de la Bande -- Aucune coutume ne peut être reconnue à moins de faire l'objet d'un large consensus -- La coutume n'est pas immuable -- Pratique pouvant satisfaire au critère du large consensus -- Examen de certaines décisions rendues à ce sujet -- Question de savoir si l'approbation par une majorité des membres tant résidents que non-résidents est nécessaire -- Il est nécessaire de savoir comment un code électoral a été appliqué en pratique -- Le code n'a jamais été adopté de façon officielle, mais a plutôt été utilisé comme «ligne directrice» -- Adoption de pratiques parallèles qui font maintenant partie de la coutume de la Bande -- Analyse du contexte dans lequel le code a été «adopté» -- Avant 1991, la sélection des chefs du Conseil était faite par les Clan Mothers -- Cette façon de procéder a engendré de l'insatisfaction -- Une majorité des membres de la Bande se sont prononcés en faveur du processus électoral -- L'exclusion générale des non-résidents qui était prévue dans le projet de code était une conséquence des caractéristiques personnelles -- Le projet de code prévoyait également l'élimination du recours à un cabinet de consultants de l'extérieur pour diriger les élections -- Seulement 6 p. 100 des électeurs admissibles se sont exprimés en faveur de l'adoption «en principe» du projet de code -- Le code n'a pas été adopté par un «large consensus» et ne constitue pas la coutume de la Bande -- L'application à la lettre des exigences du code relatives à la résidence irait à l'encontre de la coutume de la Bande -- La Bande a accepté implicitement les règles de justice naturelle -- Crainte raisonnable de partialité -- La présente affaire ne concerne pas la question de savoir si les Indiens ont le droit de contrôler leur processus électoral, mais porte essentiellement sur un différend entre deux factions au sujet du processus qui devrait s'appliquer à l'égard d'une élection donnée -- Coutume contemporaine et non ancestrale -- La présente affaire ne permet pas d'invoquer le droit à l'autonomie gouvernementale des autochtones -- La Cour annule la décision attaquée et accorde aux membres du Conseil un peu de temps pour fixer une nouvelle date d'élection et s'entendre sur le choix d'un organisme indépendant qui dirigera la tenue du vote.

Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Droits à l'égalité -- Demande en vue d'annuler une résolution du Conseil concernant la tenue d'une élection partielle d'une bande indienne -- Les pouvoirs de réglementation de la Bande sont visés par l'art. 32 de la Charte -- Il n'est pas nécessaire que la Cour se prononce sur les arguments fondés sur l'art. 15 de la Charte -- La Cour suprême du Canada a invalidé, en vertu de l'art. 15 de la Charte, la disposition de la Loi sur les Indiens qui avait pour effet de retirer aux membres d'une bande indienne vivant en dehors des réserves le droit de voter -- La question de savoir si le jugement de la Cour suprême du Canada s'applique également aux élections d'une bande régie par sa coutume est une question de droit complexe qui reste encore à trancher -- La présente affaire ne permet pas d'invoquer le droit à l'autonomie gouvernementale des Autochtones, étant donné qu'elle porte sur un différend entre deux factions et non sur le droit des Indiens de contrôler leur processus électoral.

Droit administratif -- Contrôle judiciaire -- Certiorari -- Demande en vue d'annuler une résolution du Conseil concernant l'élection partielle d'une bande indienne -- Des déclarations et d'autres mesures injonctives sont également sollicitées -- La question en litige est de savoir si les membres non-résidents de la Bande ont le droit de voter -- Le directeur général a pris des mesures visant à faire en sorte que les non-résidents soient exclus conformément aux dispositions du projet de code électoral -- L'exclusion prévue au code n'a pas été appliquée lors des élections tenues au cours de la dernière décennie -- La pratique de confier à un cabinet de consultants la tâche de diriger le déroulement des élections a été remplacée par le recours à des membres élus de la Bande qui étaient partiaux et n'avaient aucune compétence spécialisée dans ce domaine -- Les pouvoirs d'un conseil de bande sont semblables à ceux d'un conseil municipal -- Les décisions d'un conseil de bande sont susceptibles de révision de la même manière que celles d'un office fédéral, même en ce qui concerne une élection tenue conformément à la coutume de la bande et non conformément à la Loi sur les Indiens -- Seulement 6 p. 100 des électeurs admissibles ont approuvé en principe le projet de code -- Le nombre de participants est très faible comparativement à celui des récentes élections -- Le code a été modifié en profondeur depuis, mais n'a jamais été ratifié par les membres de la Communauté -- Le règlement auquel le code renvoie ne peut être exécutoire que si celui-ci a été ratifié -- La Bande a implicitement accepté les règles de justice naturelle -- Les membres non-résidents n'ont pas été informés de la tenue d'une assemblée visant à élire les scrutateurs et ceux-ci n'ont pas été élus dans le cadre d'un scrutin secret -- Crainte raisonnable de partialité -- La décision est annulée, mais la demande de mandamus ou d'ordonnance de faire n'est pas tranchée dans la présente ordonnance -- La Cour accorde aux membres du Conseil un peu de temps pour fixer une nouvelle date d'élection et s'entendre sur le choix d'un organisme indépendant qui dirigera la tenue du vote.

Compétence de la Cour fédérale -- Section de première instance -- Demande de contrôle judiciaire d'une décision d'un conseil de bande indienne concernant une élection partielle -- Contestation de la compétence de la Cour -- La Section de première instance de la Cour fédérale a compétence pour accorder les réparations demandées -- Le Conseil de bande est un office fédéral, même si ses élections se déroulent conformément à une coutume et non conformément à la Loi sur les Indiens -- Étant donné que c'est la Loi sur les Indiens qui permet la tenue d'élections conformément au droit coutumier, le refus de reconnaître le droit de vote d'un membre de la Bande est une décision susceptible de révision en vertu des art. 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale -- La Section de première instance de la Cour fédérale a compétence pour prononcer un jugement déclaratoire, même si les élections suivant la coutume sont tenues en vertu du pouvoir inhérent de la bande: Bone c. Conseil de la bande indienne de Sioux Valley no 290.

Demande de contrôle judiciaire d'une résolution que les membres du Conseil de bande de Kanesatake ont adoptée à l'unanimité afin d'exiger la tenue d'une élection partielle [traduction] «conformément au code électoral de Kanesatake» par suite du décès de l'ancien chef. Les demandeurs, dont trois sont membres du Conseil et le quatrième, un membre non-résident de la Bande, demandent à la Cour d'annuler la décision attaquée, de déclarer en quoi consiste la coutume de la Bande et de prononcer d'autres mesures injonctives. Les parties ne s'entendaient pas sur les effets de la résolution, notamment sur la question de savoir si les membres non-résidents de la Bande pouvaient participer au processus électoral, et la décision à ce sujet pourrait influencer le résultat de l'élection partielle.

Le fonctionnement du Conseil a été miné par des dissensions internes profondes ainsi que par de nombreux litiges. L'état d'urgence qui a donné lieu à l'audition accélérée de la présente demande découle de l'impasse créée par le décès du chef Gabriel. Le directeur général du Conseil a pris un certain nombre de mesures visant à faire en sorte que l'élection partielle se déroule d'une façon strictement conforme aux dispositions du code, qui prévoient l'exclusion des non-résidents. Les membres non-résidents de la Bande n'ont pas été avisés de la tenue d'une assemblée de la Communauté aux fins de l'élection des scrutateurs et d'un conseil des aînés. Il semble que les non-résidents ne seront pas autorisés à voter et que leur exclusion, même si elle était mentionnée dans le code, n'a jamais été exigée au cours des élections antérieures. Depuis 1991, les élections étaient dirigées par un organisme de l'extérieur indépendant, alors que dans ce cas-ci, les scrutateurs sont probablement partiaux.

Jugement: la demande doit être accueillie en partie; la décision attaquée doit être annulée, mais la demande de mandamus ou d'ordonnance de faire ne doit pas être tranchée pour l'instant.

Les défendeurs ont soutenu que la Cour n'avait pas compétence pour trancher la présente demande, mais ils ne pouvaient avoir gain de cause à cet égard. La Section de première instance a compétence, en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, pour accorder les réparations demandées en l'espèce à l'encontre de tout office fédéral et la Cour fédérale ainsi que d'autres cours de justice ont déjà statué qu'un conseil de bande est un office fédéral. Il a également été décidé que cette conclusion s'appliquait lorsque l'élection du conseil avait lieu conformément à la coutume de la bande et non conformément à la Loi sur les Indiens. L'argument des défendeurs selon lequel un conseil de bande est un office fédéral uniquement lorsqu'il exerce des pouvoirs découlant de la Loi sur les Indiens ne pouvait être retenu, la décision que la Cour a rendue dans Bigstone c. Big Eagle n'ayant pas les effets que les défendeurs lui attribuent. Il n'est plus juste désormais de dire que les pouvoirs d'un conseil de bande ressemblent quelque peu à ceux d'un conseil d'administration d'une société. Il est préférable de comparer les conseils de bande à des conseils municipaux. Les pouvoirs de réglementation de la Bande étaient indéniablement visés par l'article 32 de la Charte. C'est le paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens qui permet de reconnaître l'application du droit coutumier au déroulement des élections d'un conseil de bande, de sorte qu'un conseil ainsi élu a qualité conformément à la Loi sur les Indiens. Par conséquent, le refus de reconnaître le droit d'un membre d'une bande de voter lors d'une élection tenue suivant la coutume de la bande est une décision susceptible de révision en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale.

La Cour ne pouvait non plus accepter l'argument selon lequel il s'agissait d'une question purement interne qui devait être tranchée par la Communauté. Dans Bone c. Conseil de la bande indienne de Sioux Valley n 290, la Cour a statué qu'elle avait compétence pour prononcer un jugement déclaratoire, même si elle a fait remarquer que les élections suivant la coutume sont tenues en vertu du pouvoir inhérent de la bande et non en vertu d'un pouvoir délégué en application de la loi.

Avant d'examiner le fond du présent litige, la Cour a passé en revue certains principes de droit généraux qui s'appliquent à la coutume de la Bande. D'abord, il incombe à ceux qui invoquent la «coutume» de prouver son contenu et les écarts par rapport à celle-ci. La Loi n'énonce aucune ligne directrice quant à la façon de déterminer la coutume. Dans la décision Bigstone, le juge Strayer a indiqué que la «coutume» devrait inclure des pratiques qui sont généralement acceptables pour les membres de la bande et qui font l'objet d'un large consensus. Les «pratiques» pourraient être établies soit par des actes répétitifs, soit au moyen d'une mesure isolée comme l'adoption d'un code électoral. La coutume n'est pas immuable, mais évolue selon les circonstances. La question demeure celle de savoir quelles sont les personnes dont le consentement doit être obtenu pour l'établissement d'une coutume. Le critère du «large consensus» a été commenté dans plusieurs décisions. La réponse dépendait d'un certain nombre de facteurs. Si, par exemple, l'assemblée générale était tenue à un endroit ou à un moment faisant en sorte qu'il est difficile pour plusieurs membres d'y assister et qu'il n'y avait aucune possibilité de voter par procuration, elle pourrait ne pas satisfaire au critère. Une autre question est de savoir si l'approbation par une majorité des membres tant résidents que non-résidents d'une bande est nécessaire pour qu'il soit possible de dire que la voix de l'ensemble de la communauté a été entendue.

Il était nécessaire de savoir comment un code électoral avait été appliqué en pratique à certaines questions, par exemple relativement à la question de savoir qui a le droit de voter et qui dirigera le déroulement des élections. Il arrive fréquemment que des attitudes, habitudes, abstentions, opinions partagées et assentiments tacites se manifestent parallèlement à l'application d'une règle codifiée et viennent préciser, nuancer ou compléter le texte de celle-ci. Ces comportements peuvent devenir la nouvelle coutume de la bande. Pour qu'une règle devienne une coutume, la pratique qu'elle vise doit être fermement établie, généralisée et suivie de manière uniforme et délibérée par une majorité de la communauté. Si un large consensus est démontré, il permettra de ne pas tenir compte de l'opinion d'un nombre infime de membres qui se sont constamment opposés à la règle. À la lumière de toutes les décisions examinées, la question pouvait être formulée comme suit: la résolution, la décision ou le code était-il fondé sur un consensus majoritaire de toutes les personnes qui, d'après la preuve, semblaient être membres de la Bande, quel que soit leur lieu de résidence?

En l'espèce, le code et le règlement connexe n'ont jamais été adoptés de façon officielle, mais le code a généralement été utilisé comme «ligne directrice» concernant la tenue des élections. Cette situation a donné lieu à des pratiques parallèles qui font maintenant partie de la coutume de la Bande. C'est pourquoi il est loisible aux demandeurs de soutenir que la décision attaquée, qui exigeait la tenue d'une partielle «d'une manière rigoureusement conforme» au code devrait être annulée au motif qu'elle va à l'encontre de la coutume de la Bande. Les défendeurs ont allégué que la Communauté avait adopté le code lors d'une assemblée publique qui a été tenue en 1992 et au cours de laquelle un «large consensus» avait été atteint et le fait que le code n'avait pas été respecté à la lettre ne signifiait pas pour autant qu'il avait été modifié. Compte tenu des positions contradictoires des parties, la Cour a dû analyser le contexte dans lequel le code avait été «adopté» et vérifier si un «large consensus» avait été atteint.

Avant 1991, la sélection des chefs du Conseil était faite par les Clan Mothers conformément à la coutume de la Bande, mais cette façon de procéder a engendré de l'insatisfaction chez certains membres de la Communauté et, au cours de trois décennies, des efforts visant à remplacer le système traditionnel par un système d'élection ont été déployés, mais en vain. En 1988, préoccupé par cette question, le ministre des Affaires indiennes et du Nord a demandé qu'un référendum soit tenu, mais le droit du ministre de tenir ce référendum a été contesté. La Cour a finalement décidé que la tenue du référendum était possible, Le référendum a eu lieu en 1991, sous la direction d'un organisme neutre dont le Ministère avait retenu les services. Une majorité des membres de la Bande ont voté en faveur du processus électoral.

L'organisme neutre a alors dirigé l'élection d'un conseil provisoire et tous les membres de la Bande âgés d'au moins 18 ans étaient admissibles à voter, quel que soit leur lieu de résidence. En 1992, le même organisme s'est vu à nouveau confier le mandat de diriger le déroulement de l'élection, cette fois «conformément à la nouvelle coutume définie dans le code électoral de Kanesatake». L'élection devait avoir lieu le 30 mai, même si le code devait être rédigé sous forme finale et soumis à l'approbation des membres de la Bande. En mars ou avril, le projet de code a été distribué parmi les membres de la Communauté. Le projet de code prévoyait l'exclusion des non-résidents de la procédure de mise en candidature et du mécanisme de votation. Une exception à cette exclusion générale a été accordée aux membres «domiciliés» qui étaient absents pour «des raisons temporaires», notamment pour des études ou des vacances. Il était évident que les auteurs du projet de code considéraient l'exclusion des non-résidents comme une conséquence des caractéristiques personnelles des membres d'une bande, ce qui allait à l'encontre du communiqué de presse du 25 avril selon lequel tous les membres de la Bande seraient admissibles à voter, quel que soit leur lieu de résidence. Le projet de code avait également pour effet d'éliminer le recours à un cabinet de consultants de l'extérieur, étant donné que la liste d'électeurs admissibles serait établie par cinq personnes de la Communauté. De plus, un «conseil des aînés» serait mis sur pied et chargé d'entendre les appels déposés par les candidats défaits.

Le 20 mai 1992, le projet de code a fait l'objet de discussions lors d'une assemblée de la Communauté et une motion visant à faire en sorte que le projet soit adopté en principe et que le nouveau conseil finalise le code et le présente à la Communauté en vue de sa ratification finale a été adoptée par un vote de 68 personnes contre 16. À la fin de l'assemblée, le grand chef a annoncé la nouvelle date d'élection, soit le 13 juin, sans préciser que les non-résidents étaient exclus lorsqu'il a mentionné [traduction] «assurez-vous que votre nom figure sur la liste des électeurs». Les non-résidents figuraient sur la liste d'électeurs préparée par le cabinet de consultants. Des 567 personnes qui ont voté, 169 étaient des non-résidents.

Depuis l'élection de 1992, la pratique a consisté à permettre à tous les non-résidents de voter, notamment dans le cadre d'un plébiscite tenu en 2000 relativement à la ratification de l'Entente sur la régie des terres de Kanesatake et du Code d'administration des terres des Mohawks de Kanesatake avant l'adoption par le Parlement de la Loi sur le gouvernement du territoire provisoire de Kanesatake en 2001.

Les 68 voix exprimées en faveur de l'adoption en principe du projet de code ne représentaient que 6 p. 100 des personnes qui étaient des électeurs admissibles à l'époque. Le nombre de participants, soit 85 personnes, était remarquablement faible comparativement aux nombres d'électeurs qui ont été recensés lors des élections tenues depuis 1992 ou lors du plébiscite de 2000, soit de 400 à 750 électeurs. Les défendeurs n'ont pas réussi à prouver que cette participation constituait un «large consensus» suffisant pour permettre de considérer le code comme le document énonçant la coutume de la Bande.

La preuve a indiqué l'existence d'une intention constante, exprimée publiquement au moyen de différents communiqués et résolutions du Conseil, de permettre aux non-résidents de voter et de faire appel à des organismes indépendants pour l'organisation et la surveillance du processus électoral. L'intervention d'un conseil des aînés ou de scrutateurs n'avait été demandée à aucune de ces élections. Le fait que les membres de la Bande avaient acquiescé à ces pratiques indiquait l'existence d'un large consensus. Même s'il est vrai qu'après l'élection de 1998, 85 membres se sont plaints du fait qu'elle ne s'était pas déroulée [traduction] «d'une manière rigoureusement conforme au code» et que, au cours d'une assemblée de la Communauté tenue en octobre 2002, à laquelle 60 personnes ont assisté, une résolution a été adoptée afin que les règles de procédure relatives à l'élection qui avaient été adoptées en principe en 1992 soient suivies en entier, sans dérogation ni exception lors de toute élection ultérieure du grand chef et du Conseil, la Cour n'était pas disposée à conclure pour autant que le «large consensus» mentionné ci-dessus n'existait plus. L'avis se rapportant à l'assemblée d'octobre 2002 était insuffisant.

La Cour a dû en arriver à la conclusion que l'application à la lettre des exigences relatives à la résidence qui sont mentionnées au code irait à l'encontre de la coutume de la Bande. De plus, l'application rigoureuse des dispositions du règlement qui prévoient l'élection de scrutateurs et d'un conseil des aînés irait également à l'encontre de la coutume de la Bande depuis 1992.

En plus de l'absence d'un large consensus, il existait d'autres obstacles juridiques à l'application à la lettre du code et du règlement. D'abord, le code visé par la décision attaquée ne correspond pas au projet de code qui a été approuvé «en principe» à l'assemblée de la Communauté tenue en 1992, mais plutôt à la version sensiblement modifiée qui semble avoir été préparée pour l'élection de 1995. Aucune version finale du projet de code n'a été présentée à des fins de ratification aux membres de la Communauté, malgré le fait que cette présentation était exigée en vertu d'une résolution adoptée en 1992. Encore là, le règlement auquel l'article 9 du code renvoie ne pourrait être légalement exécutoire que si le code lui-même avait été ratifié.

En 1991, la Bande a opté pour le processus démocratique d'un système électoral. Le recours par le Conseil à des organismes indépendants au cours des élections antérieures permettait de veiller à ce que tous les électeurs et les candidats soient traités équitablement et sans discrimination. Cette pratique démontrait que la Bande avait implicitement accepté les règles de justice naturelle. La Cour a constaté que la convocation à l'assemblée de décembre 2002 concernant l'élection des scrutateurs et d'un conseil des aînés n'avait pas été envoyée aux membres non-résidents. De plus, aucune de ces personnes n'avait été élue dans le cadre d'un scrutin secret. À tout le moins, une crainte raisonnable de partialité existait au sujet des scrutateurs et du conseil des aînés. Enfin, aucun de ces scrutateurs ne possédait de compétences spécialisées quant à la façon de diriger une élection.

Même si la Cour n'était pas tenue d'exprimer un avis définitif au sujet des arguments fondés sur l'article 15 de la Charte, elle a souligné que la Cour suprême du Canada avait invalidé le paragraphe 77(1) de la Loi sur les Indiens (qui avait pour effet de retirer aux membres d'une bande indienne vivant en dehors des réserves le droit de voter aux élections du conseil de bande), au motif que cette disposition était incompatible avec l'article 15 de la Charte. La question était de savoir si ce jugement s'appliquerait aux élections d'une bande régie par sa coutume. Bien qu'elle ait été soulevée dans des litiges récemment portés à l'attention de la Cour fédérale, cette question de droit complexe reste encore à trancher.

La présente affaire ne concernait pas la question de savoir si les Mohawks de Kanesatake avaient le droit de contrôler leur processus électoral, mais portait essentiellement sur un différend entre deux factions au sujet du processus qui devrait s'appliquer dans le cas sous étude. De plus, la «coutume» à laquelle les parties ont fait allusion en l'espèce était une coutume contemporaine et non une coutume ancestrale. Dans ce contexte, la présente affaire ne permettait pas d'invoquer le droit à l'autonomie gouvernementale des autochtones.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 15, 32.

Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 35.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2 «office fédéral», (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1), 18 (mod., idem, art. 4), 18.1 (édicté, idem, art. 5), 18.2 (édicté, idem), 28 (mod., idem, art. 8).

Loi sur le gouvernement du territoire provisoire de Kanesatake, L.C. 2001, ch. 8, art. 7.

Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, art. 2(1) «conseil de la bande», 74, 81 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 15; L.C. 2000, ch. 12, art. 152).

jurisprudence

décisions appliquées:

Canatonquin c. Gabriel, [1980] 2 C.F. 792; [1981] 4 C.N.L.R. 61 (C.A.); conf. [1978] 1 C.F. 124 (1re inst.); Trotchie c. La Reine et autres, [1981] 2 C.N.L.R. 147 (C.F. 1re inst.); Bigstone c. Big Eagle, [1993] 1 C.N.L.R. 25; (1992), 52 F.T.R. 109 (C.F. 1re inst.); Francis c. Conseil Mohawks d'Akwesasne (1993), 62 F.T.R. 314 (C.F. 1re inst.); Frank c. Bottle, [1994] 2 C.N.L.R. 45; (1993), 65 F.T.R. 89 (C.F. 1re inst.); Bone c. Conseil de la bande indienne de Sioux Valley no 290, [1996] 3 C.N.L.R. 54; (1996), 107 F.T.R. 133 (C.F. 1re inst.); Chefs héréditaires traditionnels des six nations c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord), [1992] 3 C.N.L.R. 156; (1991), 43 F.T.R. 132 (C.F. 1re inst.).

distinction faite d'avec:

R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507; (1996), 137 D.L.R. (4th) 289; [1996] 9 W.W.R. 1; 23 B.C.L.R. (3d) 1; 80 B.C.A.C. 81; 109 C.C.C. (3d) 1; [1996] 4 C.N.L.R. 177; 50 C.R. (4th) 1; 200 N.R. 1.

décisions examinées:

Ross c. Conseil Mohawk de Kanesatake, 2003 CFPI 531; [2003] A.C.F. no 683 (1re inst.) (QL); Gabriel c. Conseil des Mohawks de Kanesatake, 2002 CFPI 483; [2002] A.C.F. no 635 (1re inst.) (QL); Bonspille c. Conseil des Mohawks de Kanesatake, [2003] 1 C.F. 521 (1re inst.); Bonspille c. Conseil Mohawk de Kanesatake, 2002 CFPI 831; [2002] A.C.F. no 1230 (1re inst.) (QL); Procureur général du Canada c. Lavell, [1974] R.C.S. 1349; (1973), 38 D.L.R. (3d) 481; 7 C.N.L.C. 236; 23 C.R.N.S. 197; 11 R.F.L. 333; McArthur v. Canada (Department of Indian Affairs and Northern Development) (1992), 91 D.L.R. (4th) 666; 102 Sask. R. 300; [1992] 4 C.N.L.R. 33 (C.B.R. Sask.); Bande indienne de McLeod Lake c. Chingee (1998), 165 D.L.R. (4th) 358; [1999] 1 C.N.L.R. 106; 153 F.T.R. 257 (C.F. 1re inst.); Première nation du Lac des Mille Lacs c. Chapman, [1998] 4 C.N.L.R. 57; (1998), 149 F.T.R. 227 (C.F. 1re inst.); Napoleon v. Garbitt, [1997] B.C.J. no 1250 (C.S.); Crow c. Conseil de la bande indienne des Blood, [1997] 3 C.N.L.R. 76; (1996), 107 F.T.R. 270 (C.F. 1re inst.); Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord), [1999] 2 R.C.S. 203; (1999), 173 D.L.R. (4th) 1; [1999] 3 C.N.L.R. 19; 61 C.R.R. (2d) 189; 239 N.R. 1.

décisions citées:

Rider v. Ear (1979), 103 D.L.R. (3d) 168; [1979] 6 W.W.R. 226; [1979] 4 C.N.L.R. 119 (C.S. Alb. (1re inst.)); Administration régionale Crie c. Canada (Administrateur fédéral), [1991] 3 C.F. 533; (1991), 81 D.L.R. (4th) 659; 1 Admin. L.R. (2d) 173; [1991] 3 C.N.L.R. 82; 127 N.R. 52 (C.A.); Samson Cree Nation v. Canada (Minister of Indian and Northern Affairs) (1999), 239 A.R. 214 (C.B.R.); Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [2000] 1 C.F. 325; (1999), 176 D.L.R. (4th) 35; [2000] 1 C.N.L.R. 21; 99 DTC 5564; 243 N.R. 302; 26 R.P.R. (3d) 151 (C.A.); SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573; (1986), 33 D.L.R. (4th) 174; [1987] 1 W.W.R. 577; 9 B.C.L.R. (2d) 273; 38 C.C.L.T. 184; 87 CLLC 14,002; 25 C.R.R. 321; [1987] D.L.Q. 69; Joe c. John, [1991] 3 C.N.L.R. 63; (1990), 34 F.T.R. 280 (C.F. 1re inst.); Scrimbitt c. Conseil de la bande indienne de Sakimay, [2000] 1 F.C. 513; [2000] 1 C.N.L.R. 205; (1999), 69 C.R.R. (2d) 295; 178 F.T.R. 210 (1re inst.); Gabriel c. Nicholas, [1983] A.C.F. no 2 (C.F. 1re inst.) (QL); Gros-Louis c. Conseil de la Nation Huronne- Wendat, [2000] A.C.F. no 1529 (1re inst.) (QL); Hall c. Bande indienne Dakota Tipi, [2000] 4 C.N.L.R. 108 (C.F. 1re inst.).

DEMANDE de contrôle judiciaire en vue de faire annuler une décision concernant l'élection partielle d'une bande indienne et d'obtenir un jugement déclaratoire ainsi que des mesures injonctives. Demande accueillie en partie.

ont comparu:

Peter B. Annis et Ian B. Houle pour les demandeurs.

Martin W. Mason et Sebastien Spano pour le défendeur le Conseil mohawk de Kanesatake.

Anick Pelletier pour le défendeur le procureur général du Canada.

avocats inscrits au dossier:

Vincent Dagenais Gibson LLP, Ottawa, pour les demandeurs.

Gowling Lafleur Henderson LLP, Ottawa, pour le défendeur le Conseil mohawk de Kanesatake.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur le procureur général du Canada.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance et l'ordonnance rendus par

[1]Le juge Martineau: La communauté Mohawk de Kanesatake (la Communauté ou la Bande) est une bande visée par la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5 (la Loi), et administrée par le Conseil mohawk de Kanesatake (le Conseil), qui se compose de six chefs et d'un grand chef. Les membres du Conseil, l'un des défendeurs désignés, sont choisis conformément à la coutume de la Bande et nommés pour un mandat de trois ans. Les dernières élections générales ont eu lieu en 2001.

[2]Le 3 octobre 2002, le chef Crawford Gabriel est décédé.

[3]Le 26 novembre 2002, le Conseil a adopté une résolution (la décision attaquée) visant à exiger la tenue d'une élection partielle le 4 janvier 2003 [traduction] «conformément au code électoral de Kanesatake (le code) (pièce «C» jointe à l'affidavit supplémentaire de James Gabriel en date du 3 décembre 2002 et pièce «D» jointe à l'affidavit de James Gabriel en date du 1er décembre 2002). La résolution a été adoptée à l'unanimité, mais il n'y a aucun consensus à l'heure actuelle sur ses effets. Les enjeux sont de taille, car la participation des membres non résidents de la Bande au processus électoral ou leur exclusion de ce processus pourrait influencer le résultat de la prochaine élection partielle. Les demandeurs, dont trois sont membres du Conseil et le quatrième, un membre non-résident de la Bande, ont déposé la présente demande de contrôle judiciaire afin de demander à la Cour d'annuler la décision attaquée, de déclarer en quoi consiste la coutume de la Bande et de prononcer d'autres mesures injonctives.

I     LES FAITS À L'ORIGINE DU LITIGE

[4]Le fait que l'élection partielle doit avoir lieu et se dérouler conformément à la coutume de la Bande plutôt qu'aux dispositions de la Loi lorsqu'un arrêté a été pris en application du paragraphe 74(1) de la Loi n'est pas contesté. Bien que le procureur général du Canada, qui représente le ministre des Affaires indiennes et du Nord Canada (AINC), ait été désigné à titre de défendeur, il ne joue aucun rôle dans le déroulement des élections tenues conformément à la «coutume de la Bande». Par conséquent, son statut s'apparente davantage à celui d'un «mis en cause» et il ne sera pas appelé «défendeur» dans les présents motifs d'ordonnance et dans l'ordonnance connexe; le mot «défendeur» est donc réservé au Conseil et aux trois chefs ainsi désignés.

[5]Des dissensions internes profondes entre les membres du Conseil, qui sont associés à deux factions opposées, ont sérieusement miné le fonctionnement du Conseil et donné lieu à des litiges aussi incessants qu'excessifs. Les trois chefs demandeurs ont été réélus en 2001, tandis que les trois chefs défendeurs ont été nouvellement élus en 2001. Le chef Crawford Gabriel était également un chef nouvellement élu. Depuis les élections de 2001, les demandes suivantes ont été présentées à la Cour:

a) Ross c. Conseil Mohawk de Kanesatake (dossier no T-1915-01), demande visant à annuler la cessation des fonctions du chef de police intérimaire. Dans cette affaire, la Cour a entendu la demande, mais n'a pas encore rendu d'ordonnance définitive à la date des présents motifs et de la présente ordonnance [les motifs de l'ordonnance ont été rendus le 29-04-03; 2003 CFPI 531; [2003] A.C.F. no 683 (1re inst.) (QL)].

b) Gabriel c. Conseil des Mohawks de Kanesatake, 2002 CFPI 483; [2002] A.C.F. no 635 (1re inst.) (QL) (Gabriel), demande visant à annuler la destitution du demandeur James Gabriel comme grand chef, l'un des chefs réélus. Dans cette affaire, les chefs nouvellement élus ont donné suite à leurs points de vue selon lesquels les non-résidents ne devraient pas être autorisés à voter à une assemblée communautaire convoquée le 6 décembre 2001 au sujet de la destitution du grand chef James Gabriel. La Cour a prononcé une injonction interlocutoire et a ordonné la réintégration de celui-ci jusqu'à ce que la présente demande soit tranchée définitivement. Dans sa décision, Mme le juge Tremblay- Lamer a souligné que ce dernier, qui est devenu grand chef pour la première fois en 1996 et a subséquemment été réélu en 1998 et 2001, «appuyait fortement les initiatives que la police avait prises pour réprimer les activités criminelles dans le territoire, en particulier le commerce illégal de drogue». Toutefois, elle a ajouté ce qui suit: «des élections de l'an 2001, quatre nouveaux conseillers ont été élus. Or, les nouveaux conseillers ne partageaient pas le point de vue du demandeur. Ils mettaient l'accent sur la responsabilité publique plutôt que sur des questions de police et de sécurité» (aux paragraphes 5 et 6).

c) Bonspille c. Conseil des Mohawks de Kanesatake, [2003] 1 C.F. 521 (1re inst.), demande visant à annuler la cessation des fonctions de deux commissaires de police. La Cour a prononcé une injonction provisoire et a ordonné la réintégration de Louise Bonspille et de Brenda Etienne à titre de membres de la commission de police des Mohawks de Kanesatake jusqu'à ce qu'une ordonnance interlocutoire soit rendue en l'espèce.

d) Bonspille c. Conseil mohawk de Kanesatake, 2002 CFPI 831; [2002] A.C.F. no 1230 (1re inst.) (QL), demande visant à annuler une tentative du Conseil en vue de nommer de nouveaux commissaires, laquelle tentative irait à l'encontre de l'entente tripartite sur la surveillance policière. Aucune ordonnance définitive n'a été rendue dans cette affaire.

e) Marie Chéné c. Conseil mohawk de Kanesatake (dossier no T-1884-02), demande visant à annuler la destitution du chef Chéné du Conseil, qui est également un chef réélu. La Cour a prononcé une injonction provisoire et a ordonné la réintégration de Marie Chéné jusqu'à ce qu'elle entende la demande d'injonction interlocutoire. Une ordonnance a été rendue le 19 novembre 2002.

[6]L'état d'urgence qui a donné lieu à l'audition accélérée de la présente demande le 16 décembre 2002 découle de l'impasse créée par le décès du chef Crawford Gabriel. Dans la mesure où ce dernier se rangeait habituellement du côté des trois chefs défendeurs, son appui permettait à ceux-ci de conserver une majorité au Conseil. Le 17 décembre 2002, par suite de la demande que les demandeurs ont présentée à l'audience, après avoir été convaincu que les trois conditions relatives à la délivrance d'une injonction interlocutoire étaient respectées, j'ai ordonné un sursis à l'exécution de la décision attaquée jusqu'à ce que la présente demande de contrôle judiciaire soit tranchée définitivement.

[7]À ce moment-ci, j'aimerais souligner que, d'après la preuve au dossier, le directeur général du Conseil, Barry Bonspille, qui agissait apparemment au nom du Conseil et en vertu de la décision attaquée, a pris depuis le 26 novembre 2002 un certain nombre de mesures visant à faire en sorte que l'élection partielle se déroule d'une façon «strictement conforme» aux dispositions du code, qui prévoient de manière générale l'exclusion des membres non-résidents de la Bande (article 2) et l'élection de «scrutateurs» ainsi que des membres d'un «conseil des aînés» (articles 7.1 et 8, paragraphe 2). Le directeur général a même tenté de reporter la date d'élection du 4 janvier 2003 au 11 janvier 2003 afin de respecter l'exigence actuelle du code selon laquelle un délai d'au moins 21 jours doit s'être écoulé entre l'assemblée de mise en candidature et la tenue de l'élection (article 6.1).

[8]De plus, le 4 décembre 2002, une assemblée de la Communauté a eu lieu aux fins de l'élection des scrutateurs et d'un conseil des aînés. Les membres non-résidents de la Bande n'ont pas été avisés de cette assemblée. D'après la preuve versée au dossier, il est probable, compte tenu de la position qu'ont adoptée les chefs défendeurs et le directeur général, agissant au nom du Conseil, que les non-résidents ne seraient pas autorisés à voter. Selon cette position, pour avoir le droit de voter, les non-résidents doivent être visés par l'une des exceptions restreintes mentionnées au code. Dans la mesure où certains non-résidents pourraient être admissibles, ils seraient encore tenus de prendre des mesures précises pour faire inscrire leurs noms sur la liste d'électeurs par les scrutateurs. En pratique, cela signifie qu'ils seraient encore tenus de convaincre un scrutateur qu'ils ont le droit de voter.

[9]Comme nous le verrons plus loin, il appert de la preuve que les scrutateurs et les membres du conseil des aînés sont probablement partiaux. Cela étant dit, bien que le code ou le règlement qui y est joint renferme des dispositions concernant l'élection d'un conseil des aînés et de scrutateurs, ces exigences n'ont jamais été suivies au cours des élections antérieures; même si elle était mentionnée dans le code, l'exclusion des non-résidents n'a jamais été exigée en pratique au cours des élections antérieures. Depuis 1991, les non-résidents âgés d'au moins 18 ans ont constamment été autorisés à voter et les élections étaient dirigées par un organisme de l'extérieur indépendant.

[10]Dans la présente affaire, les demandeurs sollicitent l'annulation de la décision attaquée, qui exige la tenue d'une élection partielle le 4 janvier 2003 et d'une assemblée de mise en candidature le 19 décembre 2002. Ils demandent également un jugement déclaratoire portant que, suivant la coutume électorale de la bande, tous les membres inscrits doivent avoir le droit de voter à toutes les élections générales et partielles relatives aux postes du Conseil et les élections en question doivent être dirigées par un organisme indépendant dont le Conseil retient les services pour assurer la surveillance du vote, le tout selon la procédure suivie au cours des élections antérieures tenues [traduction] «conformément au code». Les demandeurs sollicitent un jugement déclaratoire portant que l'assemblée de la Communauté tenue le 4 décembre 2002 en vue de l'élection d'un conseil des aînés et de scrutateurs a eu lieu alors que le Conseil n'avait pas le pouvoir nécessaire à cette fin et que les personnes élues à cette assemblée pour combler les postes de scrutateurs et de membres du conseil des aînés n'ont donc pas été élues légalement à ces postes. Enfin, les demandeurs veulent obtenir une ordonnance de faire ou une ordonnance de mandamus exigeant la tenue d'une élection partielle dans les 60 jours suivant l'ordonnance finale de la Cour.

II     QUESTION DE COMPÉTENCE

[11]Il n'est pas contesté que le Conseil a adopté, le 26 novembre 2002, une résolution exigeant la tenue d'une élection spéciale le 4 janvier 2003 [traduction] «conformément au code électoral de Kanesatake» ainsi que la tenue d'une assemblée de mise en candidature le 19 décembre 2002. Cependant, les défendeurs nient que la Cour ait compétence pour entendre et trancher la présente demande de contrôle judiciaire.

[12]J'estime que la Cour a compétence, en vertu des articles 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4] et 18.1 [édicté, idem, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, pour statuer sur la présente demande et, s'il y a lieu, pour annuler la décision attaquée et rendre un jugement déclaratoire ou prononcer une injonction au sujet de la coutume de la Bande et de l'application de celle-ci par le Conseil, son directeur général Barry Bonspille ou un membre du personnel électoral ou toute autre personne agissant apparemment au nom du Conseil ou au titre de la décision en question ou du code.

[13]Je précise d'abord que, sous réserve de l'article 28 [mod., idem, art. 8] de la Loi sur la Cour fédérale, l'article 18 confère à la Section de première instance de la Cour fédérale une compétence originale exclusive pour décerner une injonction, délivrer un bref de certiorari, de prohibition, de mandamus ou de quo warranto ou rendre un jugement déclaratoire à l'encontre de tout «office fédéral» au sens de l'article 2 [mod., idem, art. 1] de cette même Loi. À cet égard, je souligne que les défendeurs ont reconnu les décisions dans lesquelles la Cour fédérale et d'autres cours de justice ont déjà statué qu'un conseil de bande est un office fédéral (Rider v. Ear (1979), 103 D.L.R. (3d) 168 (C.S. Alb. (1re inst.)); Canatonquin c. Gabriel, [1980] 2 C.F. 792 (C.A.) (Canatonquin); et Trotchie c. La Reine et al., [1981] 2 C.N.L.R. 147 (C.F. 1re inst.)). Dans l'arrêt Canatonquin, précité, la Cour d'appel fédérale a confirmé une décision qu'avait rendue le juge Thurlow, alors juge en chef adjoint de la Cour (Gabriel c. Canatonquin, [1978] 1 C.F. 124 (1re inst.)), et statué qu'un conseil de bande est assujetti à la compétence de la Cour fédérale lorsque l'élection du conseil a lieu conformément à la coutume de la bande et non conformément à la Loi. Étant donné que la Loi s'applique tant à un conseil de bande élu suivant la coutume qu'à un conseil de bande élu conformément à l'article 74 de la Loi (voir la définition de l'expression «conseil de bande» au paragraphe 2(1) de la Loi), le jugement que la Cour d'appel a rendu dans Canatonquin, précité, semble trancher la question de la compétence.

[14]En deuxième lieu, j'ai également examiné l'argument des défendeurs selon lequel l'arrêt Canatonquin, précité, pourrait être un jugement erroné et que, [traduction] «dans d'autres décisions où ce jugement est suivi ou cité, il est présumé qu'un conseil de bande est un "office fédéral" lorsqu'il exerce des pouvoirs découlant de la Loi sur les Indiens» (mémoire des défendeurs, paragraphe 60). À ce sujet, ils font valoir que la décision d'un conseil de bande n'est susceptible de révision que lorsqu'elle découle de l'exercice d'un pouvoir qui a été explicitement conféré au conseil en question par une loi fédérale. Ils invoquent les décisions rendues dans Bigstone c. Big Eagle, [1993] 1 C.N.L.R. 25 (C.F. 1re inst.), aux pages 32 et 33 (Bigstone); Administration régionale Crie c. Canada (Administrateur fédéral), [1991] 3 C.F. 533 (C.A.), à la page 556; Samson Cree Nation v. Canada (Minister of Indian and Northern Affairs (1999), 239 A.R. 214 (C.B.R.), au paragraphe 19, et d'autres décisions. Ils affirment aussi que leur position est compatible avec le jugement dissident que le juge Laskin (alors juge de la Cour suprême du Canada) a prononcé dans Procureur général du Canada c. Lavell, [1974] R.C.S. 1349, à la page 1379, et auquel trois autres juges ont souscrit. Dans cet arrêt, le juge Laskin s'est exprimé comme suit: «[u]n conseil de bande ressemble quelque peu à un conseil d'administration d'une compagnie, et si on donne un sens littéral aux termes de l'al. g) de l'art. 2 [de la Loi sur la Cour fédérale], ils sont assez larges pour comprendre les conseils d'administration en ce qui concerne les pouvoirs qui leur sont donnés en vertu de lois fédérales comme la Loi sur les banques, S.R.C. 1970, ch. B-1, modifiée, la Loi sur les corporations canadiennes, S.R.C. 1970, ch. C-32, modifiée, et la Loi sur les compagnies d'assurance canadiennes et britanniques, S.R.C. 1970, ch. I-15, modifiée».

[15]Je doute qu'un conseil de bande puisse encore être assimilé ou comparé aujourd'hui au conseil d'administration d'une société. En plus d'avoir compétence à l'égard de l'inscription des membres des bandes indiennes et du déroulement des activités de celles-ci, les conseils de bande sont investis de larges pouvoirs de réglementation en vertu de l'article 81 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 15; L.C. 2000, ch. 12, art. 152] et d'autres dispositions de la Loi. En ce qui concerne la circulation, par exemple, non seulement les membres d'une bande, mais toutes les personnes qui se trouvent sur la réserve, qu'elles soient membres de la bande ou qu'elles soient des résidents ou des personnes de l'extérieur, peuvent être touchées par les règlements dûment adoptés par le conseil de bande. En conséquence, il est préférable de comparer les conseils de bande à des conseils municipaux (Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [2000] 1 C.F. 325 (C.A.)). Cela étant dit, je reconnais que les pouvoirs de réglementation dont dispose le Conseil mohawk de Kanesatake en vertu de la Loi sont peut-être un peu plus restreints, étant donné que le territoire de Kanesatake n'est pas une «réserve» au sens de la Loi. De plus, la Loi sur le gouvernement du territoire provisoire de Kanesatake, L.C. 2001, ch. 8, rectifie dans une large mesure cette dernière lacune. L'article 7 de cette dernière Loi accorde à la Bande le pouvoir «de légiférer en matière d'utilisation et de mise en valeur du territoire provisoire de Kanesatake». Ces pouvoirs sont exercés par l'entremise du Conseil. À la lumière de la liste des pouvoirs énumérés dans cette Loi (y compris, par exemple, la réglementation de la circulation), je n'hésite nullement à conclure que ces pouvoirs sont analogues à ceux qui sont généralement attribués aux conseillers municipaux et que les pouvoirs de réglementation de la Bande sont visés par l'article 32 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (la Charte) (SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573).

[16]Je suis également en désaccord avec les effets que les défendeurs attribuent à la décision rendue dans l'affaire Bigstone, précitée, et aux autres décisions qu'ils ont mentionnées dans leur mémoire. Les défendeurs soutiennent que, dans l'affaire Bigstone, le conseil de bande exerçait un pouvoir conféré en vertu de la Loi à l'égard de l'administration des terres et des fonds autochtones plutôt que de s'occuper de la procédure électorale et que, par conséquent, cette situation devrait être distinguée d'avec celle du présent litige. Néanmoins, il semble évident que la compétence dont la Cour fédérale est investie en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale a été reconnue dans cette décision en ce qui a trait aux actes qu'ils (les défendeurs) ont accomplis en tant qu'«office» ou «personnes», . . . comme un «conseil de bande», «peu importe qu'ils paraissent avoir été élus suivant la coutume plutôt que selon la Loi sur les Indiens», conformément à l'arrêt Canatonquin, précité (Bigstone, à la page 33).

[17]De plus, la jurisprudence plus récente n'appuie pas la proposition générale des défendeurs. Je souligne que la situation exposée en l'espèce est semblable à celle que la Cour a examinée dans Francis c. Conseil Mohawks d'Akwesasne (1993), 62 F.T.R. 314 (C.F. 1re inst.), où le juge Noël (alors juge de la Section de première instance de la Cour fédérale) a prononcé en vertu de l'article 18.2 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale une ordonnance provisoire interdisant au Conseil mohawk d'Akwesasne de tenir une élection partielle. Comme c'est le cas en l'espèce, la Cour a été appelée à déterminer la légalité de la décision du conseil de tenir cette élection. Je souligne également que, dans Frank c. Bottle, [1994] 2 C.N.L.R. 45 (C.F. 1re inst.), la compétence de la Cour était contestée. Le litige portait sur la destitution d'un chef. Selon l'argument invoqué, les mesures prises en vertu du règlement sur les élections conformément à la coutume de la tribu des Blood ne constituaient pas des décisions prises par un office fédéral. La validité du règlement a été contestée. Souscrivant aux commentaires que le juge Pratte, de la Cour d'appel, avait formulés dans l'arrêt Canatonquin, précité, à la page 793, la Cour a souligné que le juge McNair avait rejeté l'argument relatif à la compétence dans Joe c. John, [1991] 3 C.N.L.R. 63 (C.F. 1re inst.), à la page 70. De plus, le juge MacKay, qui a rendu la décision de la Cour dans l'affaire Frank, précitée, a ajouté que c'est la Loi, plus précisément le paragraphe 2(1) de celle-ci, qui «reconnaît le droit coutumier en vertu duquel le demandeur, en sa qualité de chef, et les défendeurs, en leur qualité de membres du conseil et de la tribu des Blood, allèguent chacun remplir leurs fonctions» (au paragraphe 17) et a conclu ses motifs sur ce point en disant que «le droit coutumier de la tribu est reconnu en tant que loi en raison du droit législatif fédéral, et le conseil ainsi élu a qualité conformément à la Loi sur les Indiens» (au paragraphe 19). Je souscris entièrement à ces remarques et j'ajoute qu'elles justifient pleinement la conclusion selon laquelle le refus de reconnaître le droit d'un membre d'une bande de voter lors d'une élection tenue suivant la coutume de la bande est une décision susceptible de révision en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale (Scrimbitt c. Conseil de la bande indienne de Sakimay, [2000] 1 C.F. 513 (1re inst.), au paragraphe 22).

[18]Enfin, je ne puis accepter l'argument des défendeurs selon lequel il s'agit d'une question purement interne qui doit être tranchée par la Communauté. Dans Bone c. Conseil de la bande indienne de Sioux Valley no 290, [1996] 3 C.N.L.R. 54 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 31 et 32 (Bone), la Cour a fait remarquer que les élections suivant la coutume sont tenues en vertu du pouvoir inhérent de la bande et non en vertu d'un pouvoir délégué en application de la Loi. Cependant, ce dernier facteur n'a pas empêché la Cour de statuer qu'elle avait compétence pour prononcer un jugement déclaratoire dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire en vertu de l'alinéa 18(1)a) et du paragraphe 18(3) de la Loi sur la Cour fédérale (décision rendue dans l'affaire Bone, précitée, au paragraphe 22). La Cour a également souligné que la question était de savoir si le code électoral fondé sur la coutume des Dakotas oyate de Sioux Valley et le règlement connexe traduisaient la coutume de la bande en énonçant des pratiques qui étaient généralement acceptables pour les membres de la bande et qui faisaient l'objet d'un large consensus (Bone, précitée, aux paragraphes 27 et 32). Dans cette affaire, la Cour a statué que le code était en vigueur. J'en arrive donc à la conclusion que la Cour a compétence pour statuer sur la présente demande et, s'il y a lieu, pour rendre un jugement déclaratoire au sujet de la coutume de la Bande et de l'application qu'ont tenté d'en faire le Conseil et son directeur général, Barry Bonspille, ou d'autres membres du personnel électoral, apparemment au nom du Conseil ou en vertu de la décision attaquée ou encore du code.

[19]Avant d'examiner le fond du présent litige, j'estime qu'il y a lieu de passer en revue les principes de droit généraux qui s'appliquent à la coutume de la Bande.

III     PRINCIPES GÉNÉRAUX APPLICABLES À LA COUTUME DE LA BANDE

[20]La Loi reconnaît que le grand chef et les conseillers d'une bande peuvent être choisis selon deux méthodes: la première est une procédure énoncée dans la Loi elle-même tandis que la seconde réside dans la «coutume» et les processus de sélection élaborés par les Premières nations. Dans le second cas, les Premières nations déterminent qui peut voter, comment le vote peut être tenu et à quel moment les élections ont lieu. Dans la présente affaire, la question qui se pose en réalité est de savoir comment la prochaine élection partielle doit être tenue selon la coutume de la Bande et qui aura le droit de voter.

[21]Selon un principe établi par la jurisprudence, il incombe à ceux qui invoquent la «coutume» de prouver, à tout le moins, son contenu et les écarts par rapport à celle-ci: McArthur v. Canada (Department of Indian Affairs and Northern Development) (1992), 91 D.L.R. (4th) 666 (C.B.R. Sask.) (McArthur). Cependant, même si la Loi permet que les membres du «conseil de bande» soient choisis selon la coutume de la bande, elle n'énonce aucune ligne directrice quant à la façon de déterminer cette coutume.

[22]Dans la décision Bigstone, précitée, le litige portait sur la validité des procédures utilisées pour déterminer les règles devant régir la composition et la sélection d'un conseil de bande non assujetti à l'article 74 de la Loi. Le juge Strayer (alors juge de la Section de première instance de la Cour fédérale) s'est prononcé comme suit à la page 34:

Sauf si elle est définie par ailleurs dans le cas d'une bande donnée, la «coutume» doit inclure, à mon sens, des pratiques touchant le choix d'un conseil qui sont généralement acceptables pour les membres de la bande, qui font donc l'objet d'un large consensus. S'agissant d'une bande reconstituée dont la situation diffère beaucoup (p. ex. la majorité des membres n'habitant pas dans la réserve) de celle de la bande dissoute il y a quatre-vingt-dix ans, il n'est pas étonnant qu'il faille prendre des mesures innovatrices pour établir une «coutume» contemporaine. Pour ce qui est de la validité de la constitution, la question véritable semble donc se rattacher à sa légitimité politique, et non juridique: la constitution résulte-t-elle de l'accord de la majorité de ceux qui, d'après la preuve produite, paraissent être des membres de la bande? C'est une question qu'un tribunal ne doit pas chercher à trancher en l'absence de critères juridiques discernables qu'il peut appliquer. Certes, l'exercice de la surveillance judiciaire peut être justifié par d'autres motifs, s'il y avait une preuve claire de fraude ou d'autres actes imputables aux défendeurs, qui ne sauraient de toute évidence être autorisés par la Loi sur les Indiens, mais aucune preuve ne m'a été présentée quant à de telles activités. [Non souligné dans l'original.]

[23]Les éléments dont se compose une coutume peuvent donc être résumés comme suit:

1) les «pratiques» touchant le choix d'un conseil;

2) des pratiques qui sont «généralement acceptables pour les membres de la bande»;

3) des pratiques qui font l'objet d'un «large consensus».

[24]Si j'ai bien compris, cette définition jurisprudentielle de la coutume comporte deux éléments. Le premier réside dans les «pratiques», qui peuvent être établies soit par des actes répétitifs, soit au moyen d'une mesure isolée comme l'adoption d'un code électoral. C'est ce qu'a mentionné Mme le juge Reed (alors juge de la Section de première instance de la Cour fédérale) dans la décision Bande indienne de McLeod Lake c. Chingee (1998), 165 D.L.R. (4th) 348 (C.F. 1re inst.) (McLeod), où elle a décrit la nature d'une coutume au paragraphe 8 comme une «pratique établie ou adoptée par les personnes à qui elle s'applique et qui ont accepté d'être dirigées par elle». De plus, elle a souligné aux paragraphes 10 et 17 la nature changeante de la coutume selon l'évolution des circonstances:

Il faut ajouter que la coutume n'est pas immuable. Elle évolue selon les circonstances. Une bande peut décider de cesser de s'en remettre à sa tradition orale et mettre sa coutume par écrit. Elle peut passer d'un système fondé sur la succession à un système électoral. Elle peut décider d'adopter comme usages des pratiques et une procédure comparables à la procédure électorale utilisée pour élire des gouvernements municipaux ou provinciaux. Je ne peux interpréter l'expression «coutume de la bande», contenue au paragraphe 2(1), comme empêchant une bande de modifier au besoin sa coutume de gouvernement pour tenir compte de situations nouvelles.

[. . .]

L'argument principal des défendeurs est que le fait d'autoriser la modification de la coutume de la bande à la majorité des voix de ses membres revient à imposer un mode de sélection non coutumier. C'est-à-dire que la détermination de la manière dont la coutume de la bande peut être changée ou déterminée constitue elle-même une détermination du mode de sélection. Cela en est peut-être la conséquence inévitable, mais il faut s'en tenir à ce que la jurisprudence a assez bien établi, soit que la coutume de la bande est l'ensemble des pratiques touchant le choix d'un conseil de bande qui sont généralement acceptables pour les membres de la bande, qui font donc l'objet d'un large consensus. Comme je l'ai mentionné auparavant, la coutume de la bande n'est pas immuable.

[25]Il est reconnu que la coutume d'une bande variera au fil des années, selon la volonté des membres. Ce principe a été souligné dans Chefs héréditaires traditionnels des six nations c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1992] 3 C.N.L.R. 156 (C.F. 1re inst.) (Chef héréditaires traditionnels des six nations), où le juge Rouleau s'est exprimé comme suit [aux pages 163 et 164]:

Les demandeurs n'ont pas réussi à me convaincre que la coutume serait violée si un référendum avait lieu. Il est vrai que la Loi constitutionnelle de 1982 enchâsse les coutumes des peuples autochtones mais si ces derniers décidaient de ne plus élire le Conseil de bande suivant la coutume, on ne peut les accuser de violer leurs propres coutumes. Cela serait illogique.

[26]Par conséquent, le deuxième élément de la définition de la coutume est un élément subjectif, qui renvoie à la manifestation de la volonté des personnes souhaitant l'adoption de règles relatives au mode d'élection des membres d'un conseil de bande d'être liées par une règle ou pratique donnée. Cependant, la question demeure toujours celle de savoir quelles sont les personnes dont le consentement doit être obtenu pour l'établissement d'une coutume. Plus précisément, quel est le seuil devant être atteint pour que les pratiques soient «généralement acceptables pour les membres de la bande» et quel est le sens des mots «large consensus»? Ces deux «normes» sont-elles identiques ou cumulatives? Le «large consensus» nécessaire pour appuyer le régime coutumier d'une bande a généralement été commenté dans les arrêts suivants.

[27]Dans la décision Bone, précitée, une bande qui avait précédemment été régie par l'article 74 de la Loi a décidé de devenir une bande assujettie à un système coutumier. Ce changement a été approuvé après la tenue de deux plébiscites au cours desquels une majorité d'électeurs ont approuvé le changement en question. Le juge Heald (alors juge suppléant) a statué que le code et le règlement qui ont subséquemment été adoptés n'étaient [au paragraphe 25] «rien de plus qu'une tentative en vue de présenter sous une forme écrite et reconnaissable les pratiques électorales de cette Bande» et qu'il n'était pas nécessaire en vertu de la Loi qu'une bande consigne par écrit sa coutume concernant la sélection des membres de son conseil. Toutefois, la preuve n'indiquait pas clairement si les membres de la bande avaient également approuvé le code électoral qui a finalement été utilisé pour le choix du chef et du conseil en vertu du nouveau régime coutumier. Pour décider si l'élection subséquente de 1994, qui avait été tenue conformément à ce code, était valide, le juge Heald s'est demandé si le code traduisait la coutume de la bande: en d'autres termes, le code énonçait-il des pratiques qui sont généralement acceptables pour les membres de la bande et qui font l'objet d'un large consensus? Le juge Heald estimait que la réponse se trouvait dans la façon dont la bande s'était comportée relativement à l'élection du 14 mars 1994 et aux événements qui ont suivi cette élection. Il a souligné que l'élection s'était déroulée conformément au code électoral qui était contesté et qu'aucune objection n'avait été formulée avant que l'élection soit perdue. Il a interprété l'absence d'objection antérieure comme une preuve du fait que l'élection s'était déroulée conformément à ce que la bande avait adopté comme sa coutume.

[28]Dans la décision McArthur, précitée, la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan a conclu que le conseil de bande provisoire avait été accepté par la totalité des 109 ou 113 personnes alors généralement reconnues comme des descendants légitimes des membres de la précédente bande indienne de Pheasant Rump. Elle a ajouté ce qui suit [à la page 684]: [traduction] «[l]es appelants ont participé au processus qui a donné lieu à la création du conseil de bande provisoire. La preuve permet uniquement de conclure que la création du conseil de bande provisoire ne découlait pas simplement d'un "consensus majoritaire" des personnes ayant apparemment droit de faire partie de la nouvelle bande, mais bien d'un consensus unanime».

[29]Dans l'affaire Première nation du Lac des Mille Lacs c. Chapman, [1998] 4 C.N.L.R. 57 (C.F. 1re inst.) (la Première nation), des discussions ont apparemment eu lieu en 1995 entre les membres de la Première nation et un nouveau code d'élection des chefs et conseil selon la coutume (le code de sélection) a été rédigé ainsi qu'un règlement référendaire et un projet de loi sur la gestion des finances. La Première nation a apparemment adopté le code de sélection au moyen d'un référendum qu'elle a tenu. L'avocat de la demanderesse a soutenu que, étant donné que 73 voix seulement avaient été valablement exprimées, il n'était pas possible de dire que le code de sélection avait été adopté conformément aux critères établis dans la décision Bigstone, précitée. La question était donc de savoir si le code de sélection était généralement acceptable et s'il était appuyé par un large consensus. Le juge Cullen (alors juge de la Section de première instance de la Cour fédérale) a conclu comme suit aux paragraphes 29 et 34:

Une telle détermination doit se faire dans le contexte de la situation particulière des membres de cette Première nation. D'après le paragraphe 20 de l'affidavit de Ron Bachmier, il y a approximativement trois cents membres de la Première nation qui ont droit de vote. On ne peut toutefois n'en localiser que 130 à peu près. Ces chiffres ne sont pas contestés par le demandeur. Le procès-verbal de l'assemblée générale de 1990, lors de laquelle on a élu un chef et des conseillers, indique qu'à peu près quarante membres votants ont participé à l'élection. Ceci ressort dudit procès-verbal, dans lequel on trouve mention du fait que 45 membres ont voté pour l'élection du chef et 38 (soit 114 votes divisé par 3) pour les conseillers. Le procès-verbal de l'élection de 1996 (Pièce "E" jointe à l'affidavit de Roderick Sawdo) indique que 45 électeurs étaient inscrits. Il n'y a pas d'autre preuve quant à la participation des membres aux élections. On voit donc une nette tendance à la non-participation, même parmi les membres connus qui ont droit de vote. Je suis d'avis que la participation de 86 membres votants et le fait qu'il y a eu 73 votes exprimés (64 pour, 7 contre, un sans avis et un bulletin nul) constitue un assez large consensus dans les circonstances pour que le code d'élection soit assimilable à la coutume de la bande.

[. . .]

En conséquence, je suis d'avis que les défendeurs, Lawrence Chapman, Elizabeth Boucher, Ron Bachmier et James Nayanookee [sic] sont le chef et le conseil dûment élus de la Première nation Lac des mille lacs. De plus, le Custom Leadership Selection Code (Code d'élection des chef et conseil) constitue la coutume reconnue de la bande et ses procédures doivent s'appliquer à toutes les élections du chef et du conseil tant et aussi longtemps que la coutume ne sera pas changée par un large consensus des membres de la bande. Si les membres de cette Première nation veulent un nouveau leadership, ils auront l'occasion de réaliser ce voeu dans les cinq années suivant le dernier processus de sélection, aux termes mêmes de leur code électoral. En conséquence, cette requête est rejetée. [Non souligné dans l'original.]

[30]Enfin, une des descriptions les plus claires de l'élément subjectif requis pour l'établissement de la coutume d'une bande se trouve dans la décision McLeod, précitée, où Mme le juge Reed s'est exprimée comme suit aux paragraphes 18 et 19:

La question à laquelle il reste à répondre est de savoir si un «large consensus» est synonyme d'une «décision prise à la majorité des voix des membres de la bande présents à une assemblée générale convoquée avec préavis». J'estime que cela peut être le cas ou non, selon un certain nombre de facteurs. Si, par exemple, l'assemblée générale était tenue à un endroit ou à un moment faisant en sorte qu'il est difficile pour plusieurs membres d'y assister et qu'il n'y avait aucune possibilité de voter par procuration, elle pourrait ne pas satisfaire au critère du large consensus. Si l'avis de convocation ne fournissait pas suffisamment de détails sur ce qui serait proposé à cette assemblée ou qu'il n'était pas donné suffisamment à l'avance pour permettre aux gens d'avoir réellement la possibilité d'y assister, l'assemblée ne satisferait alors pas à ce critère.

Il existe également des cas où ceux qui ne votent pas indiquent par là leur volonté de se soumettre au choix de la majorité de ceux qui votent. J'estime que l'approbation de la majorité des membres adultes de la bande constitue probablement un bon indice d'un large consensus (l'âge de la majorité relevant de la bande). La question de savoir si une décision prise à la majorité des voix des membres présents à une assemblée générale démontre l'existence d'un large consensus dépend des circonstances entourant cette assemblée. [Non souligné dans l'original.]

[31]Une des questions non résolues est de savoir si l'expression «large consensus» signifie l'approbation par une majorité des membres tant résidents que non-résidents d'une bande, ce qui permettrait de veiller à ce que la voix de l'ensemble de la communauté soit entendue. Dans la décision Bone, précitée, le juge Heald s'est exprimé comme suit aux paragraphes 44 et 45:

Cependant, le paragraphe 77(1) n'est pas pertinent aux fins du présent litige. Les voix exprimées lors des plébiscites de juin et de juillet 1993 ne concernaient pas des élections au sens de l'article 77 de la Loi sur les Indiens: en effet, il ne s'agissait pas de l'élection du chef ou des conseillers. Les voix en question portaient sur des plébiscites tenus en application de la politique du ministère au sujet de la révocation d'un arrêté ministériel pris en application de l'article 74. La politique susmentionnée comprenait la définition de l'électeur qui est énoncée dans la Loi sur les Indiens et qui est reproduite ci-dessus. Cette définition ne comporte aucune exigence liée à la résidence. Elle prévoit, à l'alinéa c), qu'un électeur peut perdre son droit de vote. Tel qu'il est mentionné ci-dessus, avant l'arrêt Batchewana, si le vote concernait l'élection du chef ou d'un conseiller, l'électeur qui ne résidait pas sur la réserve n'avait pas le droit de voter. Cependant, les plébiscites en question n'étaient pas des élections de cette nature. De plus, la Loi ne renfermait aucune disposition qui déclarait certains électeurs inhabiles à voter, pour une raison ou pour une autre, lors d'un plébiscite. En conséquence, à mon avis, le membre de la Bande qui avait respecté les deux premières exigences de la définition, c'est-à-dire le membre qui était inscrit sur la liste de la Bande et qui avait au moins dix-huit ans, était un électeur admissible au sens de cette définition et aurait dû avoir la possibilité de voter lors des plébiscites tenus en application de la politique du ministère. Tel n'a cependant pas été le cas. Les membres non résidents de la Bande n'ont pas été considérés comme des électeurs admissibles et n'ont pas été autorisés à voter lors des plébiscites. Malgré cette dérogation manifeste à la politique susmentionnée, le ministère s'est fondé sur les résultats des plébiscites pour recommander au ministre l'abrogation de l'arrêté pris en application de l'article 74.

Les intimés ont donc eu raison de soutenir que les membres non résidents de la Bande auraient dû avoir la possibilité de voter lors des plébiscites. [Non souligné dans l'original.]

[32]L'affaire Bone, précitée, concernait la possibilité pour les membres non-résidents d'une bande de voter au cours des plébiscites tenus relativement à un changement qui permettrait à la bande de devenir une bande indienne agissant selon ses coutumes. Cependant, j'estime que le raisonnement du juge Heald s'appliquait également au vote concernant une résolution relative au déroulement des élections ultérieures au sein d'une bande agissant selon ses coutumes. Il convient de souligner que la définition que le juge Strayer a donnée au mot coutume dans la décision Bigstone, précitée, ne renferme aucune exigence liée à la résidence et ne prive pas certains membres d'une bande du droit de voter.

[33]Par ailleurs, la décision que la Cour suprême de la Colombie-Britannique a rendue dans Napoleon v. Garbitt, [1997] B.C.J. no 1250, est très pertinente. Dans cette affaire, la bande avait adopté en 1988 la Saulteau Indian Band Government Law (loi régissant la bande indienne de Saulteau) (la loi) en vertu de laquelle elle était reconnue par AINC (le ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada) à titre de bande qui choisissait les membres de son conseil conformément à sa coutume. La loi renfermait une disposition concernant la procédure de modification s'y rapportant. Au cours de l'automne de 1996, un certain nombre de résolutions ont été adoptées au sujet du processus d'élection du chef et des membres du conseil. La Cour a été saisie de la question de savoir comment la loi devait être interprétée en ce qui a trait aux modifications. De l'avis du juge Parrett, pour que cette loi, qui avait pour effet d'appliquer la coutume de la bande, puisse être modifiée, un avis satisfaisant devait être donné aux citoyens au sujet des modifications proposées; les citoyens devaient être consultés sur l'opportunité des modifications en question et la majorité des citoyens devaient consentir à celles-ci ou voter en faveur de leur approbation. Cependant, le juge Parrett a également souligné qu'en pratique, la bande ne s'était pas conformée au libellé strict des dispositions de la loi qui concernent les modifications. Plutôt que de respecter à la lettre les exigences techniques de la loi en question, la bande avait adapté celle-ci en fonction de l'évolution de ses besoins. La Cour a conclu que la coutume de la bande en ce qui concerne la «modification» de sa loi consistait à obtenir un consensus chez les membres de la bande au moyen de votes informels ou de réunions. Les mesures prises par les présumés «dissidents», les défendeurs dans cette affaire, représentaient des tentatives en vue d'apporter des changements par la voie démocratique, tandis que la conduite de la partie adverse, les demandeurs, semblait être celle de personnes qui désiraient conserver le pouvoir au détriment des principes démocratiques.

[34]Cela étant dit, je ne crois pas qu'il soit possible d'affirmer que toutes les règles coutumières pouvant être invoquées par les membres d'une bande ont un contenu identique en tous points à celui des règles énoncées dans un code électoral. À certains égards, il n'y a peut-être pas tout à fait chevauchement des domaines régis par les deux sources de droit et les règles de fond énoncées ne sont peut-être pas identiques quant au contenu. En fait, c'est souvent ce qui se produit dans le cas de règles plus techniques régissant le déroulement des élections, lesquelles règles ne seront pas toujours appliquées de la même façon en pratique, selon les circonstances concomitantes. La question est de savoir si une règle donnée d'un code électoral existe également à titre de règle coutumière, soit parce que la coutume de la bande a simplement été codifiée ou fixée dans le code, soit parce qu'elle a influencé l'adoption subséquente de la règle en question.

[35]Ainsi, il est nécessaire de savoir comment un code électoral a été appliqué en pratique à une situation donnée, par exemple relativement à la question de savoir qui a le droit de voter et qui dirigera le déroulement des élections générales ou partielles. Il arrive fréquemment que des attitudes, habitudes, abstentions, opinions partagées et assentiments tacites se manifestent parallèlement à l'application d'une règle codifiée et viennent préciser ou compléter le texte de celle-ci. Ces comportements peuvent devenir la nouvelle coutume de la bande qui aura une existence en soi et dont le contenu sera parfois différent de celui de la règle codifiée applicable à une question donnée. Dans ce genre de situations, compte tenu de la nature changeante de la coutume, il sera nécessaire de vérifier s'il existe un large consensus au sein de la communauté relativement au contenu d'une règle ou de la façon dont elle sera appliquée.

[36]Pour qu'une règle devienne une coutume, la pratique se rapportant à une question ou situation donnée qui est visée par cette règle doit être fermement établie, généralisée et suivie de manière uniforme et délibérée par une majorité de la communauté, ce qui démontrera un «large consensus» quant à son applicabilité. Cette description exclurait les comportements sporadiques visant à corriger des difficultés d'application exceptionnelles à un moment donné ainsi que d'autres pratiques qui sont manifestement considérées au sein de la communauté comme des pratiques suivies à titre d'essai. S'il existe, ce «large consensus» prouvera la volonté de la communauté à un moment donné de ne pas considérer le code électoral adopté comme un document exhaustif et exclusif. Ce consensus aura pour effet d'exclure de l'équation un nombre infime de membres d'une bande qui se sont constamment opposés à l'adoption d'une règle régissant les élections à titre de règle coutumière.

[37]À mon avis, à la lumière de toutes les décisions susmentionnées, la véritable question qui se pose quant à la mesure dans laquelle une résolution ou décision d'une bande ou un code électoral adopté traduit la coutume de la bande en question peut être formulée comme suit: la résolution, la décision ou le code est-il fondé sur un consensus majoritaire de toutes les personnes qui, d'après la preuve existante, semblent être membres de la bande, quel que soit leur lieu de résidence?

[38]En conservant à l'esprit ces principes généraux, j'examinerai maintenant en quoi consiste la coutume de la Bande qui s'applique au présent litige.

IV     ANALYSE DE LA COUTUME DE LA BANDE

[39]Des opinions contradictoires ont été exprimées au sujet de la nature et des effets du code visé par la décision attaquée. Les demandeurs font valoir que le code et le règlement connexe n'ont jamais été adoptés de façon officielle. Comme nous le verrons, une résolution ayant pour effet d'adopter «en principe» une version antérieure du code a été entérinée lors d'une assemblée de la Communauté tenue le 20 mai 1992. Comme nous le verrons également, le code a généralement été utilisé comme «ligne directrice» concernant la tenue des élections. Ce fait a permis l'adoption de pratiques parallèles qui font maintenant partie de la coutume de la Bande. En conséquence, les demandeurs demandent à la Cour d'annuler la décision attaquée et de prononcer un jugement déclaratoire ainsi qu'une injonction, dans la mesure où l'élection partielle tenue «d'une manière rigoureusement conforme» au code suivant les ordres du Conseil irait à l'encontre de la coutume de la Bande.

[40]Les défendeurs allèguent que la Communauté a adopté le code lors d'une assemblée publique qui a été tenue le 20 mai 1992 et au cours de laquelle un «large consensus» a été atteint. Par suite de cette approbation, le code a force de loi. Par conséquent, il ne peut être modifié que par la Communauté au cours d'une assemblée publique. Le fait que le code n'a pas été respecté à la lettre ne signifie pas pour autant qu'il a été modifié. Le code ne peut être modifié que par une résolution du Conseil qui est subséquemment ratifiée par la Communauté. Aucune résolution de cette nature n'a été adoptée. En conséquence, le Conseil, qui donne simplement suite aux désirs de la Communauté, peut prendre toute mesure visant à faire en sorte que la procédure relative à l'élection de ses membres soit suivie [traduction] «en entier sans dérogation ni exception» (résolution adoptée le 19 octobre 2002 à une assemblée de la Communauté, pièce «H» jointe à l'affidavit de James Gabriel daté du 1er décembre 2002).

[41]Compte tenu des positions contradictoires des parties, il est nécessaire d'analyser le contexte dans lequel le code a été «adopté» et de vérifier si un «large consensus» a été atteint relativement à l'adoption de ce code ainsi qu'à son application subséquente. Un retour en arrière s'impose à cette fin.

La situation qui prévalait avant 1991

[42]Traditionnellement, avant 1991, la sélection et la nomination du grand chef et des autres chefs du Conseil étaient faites par les Six Nations Traditional Hereditary Clan Mothers conformément à la coutume de la bande. À l'époque, le Conseil se composait d'un grand chef et de huit chefs. Le grand chef et deux chefs étaient choisis parmi les membres du Turtle Clan. Trois chefs étaient choisis parmi les membres du Bear Clan et trois autres, parmi ceux du Wolf Clan.

[43]Avec le temps, cette façon de procéder a engendré de l'insatisfaction chez certains membres de la Communauté. Au cours des années soixante, soixante-dix et quatre-vingt, des efforts visant à remplacer le système traditionnel par un système d'élection ont été déployés, mais en vain. Ces tentatives sont bien expliquées dans deux décisions que la Cour fédérale a rendues: Gabriel c. Nicholas, [1983] A.C.F. no 2 (1re inst.) (QL); et Chef héréditaires traditionnels des six nations, précitée.

[44]Comme la Cour l'indique dans la première décision, AINC est devenu préoccupé par les demandes incessantes que certains groupes de membres de la Bande avaient formulées relativement à l'utilisation d'un processus électoral. En 1988, le Ministère a donc décidé de demander à la Communauté de se prononcer elle-même sur cette question. Un référendum devait avoir lieu en juin 1988. Le droit du ministre de tenir un référendum a été contesté. Les parties intéressées ont convenu que la Cour devrait d'abord trancher la question de la compétence, ce qui a occasionné d'autres délais. Entre-temps, l'attention nationale s'est tournée vers ce que les médias ont appelé la «crise d'Oka», qui est survenue au cours de l'été 1991. La crise d'Oka était une confrontation armée qui a duré 78 jours et qui a été déclenchée lorsque la municipalité d'Oka a tenté d'agrandir un terrain de golf sur un terrain dont les Mohawks revendiquaient la propriété. Au cours des premiers jours de cette crise, un agent de la Sûreté du Québec a été abattu. La Cour a fait connaître son jugement quelques mois après la crise d'Oka et a statué, le 20 février 1991, que la tenue du référendum n'était pas inéquitable, arbitraire ou illégale.

[45]Le référendum a eu lieu le 31 mai 1991, sous la direction des Canadian Election Consultants, organisme neutre dont AINC avait retenu les services. Une majorité des membres de la bande étaient en faveur du processus électoral. Bien que les résultats précis du plébiscite ne soient pas inclus dans le dossier de la Cour, toutes les parties conviennent qu'il existait un large consensus en faveur du remplacement du mode traditionnel de sélection et de nomination des membres du Conseil par un système électoral. Mais quel type de système électoral?

Transition

[46]L'élection d'un conseil provisoire a eu lieu le 27 juin 1991, sous la direction du même organisme neutre. Les électeurs admissibles à voter à cette élection étaient définis comme suit: [traduction] «tous les membres de la bande indienne des Mohawks de Kanesatake (quel que soit leur lieu de résidence) âgés d'au moins 18 ans le jour du vote» (pièce «D» jointe à l'affidavit de Nathalie Nepton en date du 10 décembre 2002). Sept chefs et un grand chef ont été élus pour un mandat de dix mois. Une des priorités de ces personnes consistait à rédiger le code qui pourrait être utilisé lors de la prochaine élection, laquelle devait avoir lieu à la fin d'avril 1992. Il était également prévu qu'avant l'élection, la Communauté aurait adopté et ratifié le code proposé.

[47]En avril 1992, AINC a confié au même cabinet de consultants la tâche de diriger le déroulement de l'élection de 1992 [traduction] «conformément à la nouvelle coutume définie dans le code électoral de Kanesatake». Cependant, le code devait être rédigé sous forme finale et soumis à l'approbation des membres de la Bande. Le Conseil a fixé provisoirement la date de l'élection au 30 mai 1992. Le 25 avril 1992, le grand chef Jerry Peltier a annoncé au nom du Conseil qu' [traduction] «un processus de vote par correspondance sera mis en place pour cette élection et pour la réception des bulletins de vote des Mohawks de Kanesatake qui n'habitent pas dans la Communauté de Kanesatake. Il y aura également un bureau de vote itinérant les 23, 24 et 30 mai 1992» (communiqué de presse daté du 25 avril 1992).

Le projet de code électoral

[48]En mars ou avril 1992, un [traduction] «projet de code électoral» (le projet de code) a été distribué parmi les membres de la Communauté. La preuve versée au dossier n'indique pas si le document en question a également été distribué aux non-résidents. Un des éléments importants de ce projet était la réduction du nombre de membres du Conseil, qui devait passer de neuf à sept. Je n'insiste pas sur cet aspect, étant donné que toutes les parties conviennent que le nombre réduit, qui correspond au nombre de membres de tous les conseils élus depuis 1992, fait partie de la coutume de la Bande. Cependant, je souligne que, dans les résolutions subséquemment adoptées depuis 1992, le Conseil a constamment utilisé le mot «modification» pour décrire ladite réduction, ce qui indique qu'une sorte de coutume, bien que non écrite, intégrant les caractéristiques de l'élection de 1991 existait lorsque le projet de code a été distribué. Cependant, cela ne signifie pas que cette «coutume» était figée dans le temps et qu'elle ne pourrait évoluer par suite de l'adoption d'un nouvel ensemble de règles et de procédures électorales. En fait, c'est précisément la raison pour laquelle le projet de code était distribué.

[49]Une autre caractéristique distinctive du projet de code était l'exclusion générale des non-résidents de la procédure de mise en candidature et du mécanisme de votation en vertu de l'article 2.1 (Projet de code électoral, pièce A jointe à l'affidavit d'Andrew Hayes en date du 16 décembre 2002):

[traduction]

2.1 Chaque membre de la Communauté mohawk de Kanesatake qui est âgé d'au moins 18 ans peut proposer et élire des personnes admissibles qui siégeront au Conseil mohawk de Kanesatake.

[50]Cependant, une exception a été prévue dans le cas des membres du Conseil qui sont «domiciliés» dans la Communauté, mais qui sont absents pour [traduction] «des raisons temporaires». Voici le texte de l'article 2.2:

[traduction]

2.2 Tout membre de la Communauté mohawk de Kanesatake qui est domicilié dans la Communauté, mais qui est absent pour des raisons temporaires, notamment le travail, les études, la maladie ou les vacances, ne cesse pas pour cette simple raison d'être un électeur admissible.

[51]De plus, il est évident que les auteurs du projet de code considéraient l'exclusion des non-résidents comme une conséquence des caractéristiques personnelles des membres d'une bande, comme la naissance ou le mariage. C'est ce qu'indique la «Remarque» qui suit immédiatement l'article 2.2:

[traduction]

REMARQUE:     Être «domicilié» signifie avoir un lien avec la Communauté par la naissance ou le mariage et avoir également l'intention de continuer à en faire partie.

[52]Comme cette remarque l'indique, l'article 2 du projet de code était nettement différent du communiqué de presse publié le 25 avril 1992, selon lequel tous les membres de la Bande âgés d'au moins 18 ans le jour du vote seraient admissibles à voter, quel que soit leur lieu de résidence, et constituait un écart marqué par rapport à la nouvelle coutume de la Bande qui avait été suivie au cours de l'élection tenue en juin 1991.

[53]Les autres changements fondamentaux découlant du projet de code concernaient les personnes qui seraient chargées de diriger les élections. Comme nous l'avons vu, les élections ont été dirigées en 1991 par un cabinet de consultants de l'extérieur qui avait été chargé de faire la même chose en 1992. En vertu du projet de code, la liste d'électeurs admissibles serait désormais établie par cinq personnes de la Communauté. Ces personnes ont subséquemment été désignées sous le nom de «scrutateurs» dans la version actuelle du code (article 7.1). De plus, la Communauté devait également mettre sur pied un «conseil des aînés», dont le rôle consisterait à entendre les appels déposés par les candidats défaits (article 8). Cependant, ces dispositions du projet de code ne contenaient aucune précision au sujet de l'élection et du fonctionnement du conseil des aînés. La plupart de ces aspects ainsi que bon nombre d'éléments essentiels concernant l'assemblée de mise en candidature et les responsabilités des scrutateurs sont décrits dans le règlement que le Conseil a adopté en application de l'article 9 du code.

[54]Des consultations ont eu lieu au sein de la Communauté du 3 mars au 11 mai 1992, que ce soit dans le cadre d'entrevues téléphoniques ou d'ateliers de travail. Environ 86 personnes ont exprimé leurs points de vue. Leurs commentaires concernant le projet de code ont été reproduits dans un document qui comportait les dispositions du projet de code ainsi que les changements que les participants ont proposés (pièce «A» jointe à l'affidavit d'Andrew Hayes). Il appert de la preuve que ces consultations étaient limitées au projet de code lui-même et ne portaient sur aucun règlement proposé. La preuve versée au dossier n'indique pas si les non-résidents ont participé ou non à la consultation ou s'ils ont été invités à y participer. Compte tenu des commentaires reproduits dans le document en question, il est permis de déduire que les non-résidents ont été exclus du processus de consultation. En tout état de cause, ce dernier document a été présenté à des fins de «discussion» à une assemblée de la Communauté qui a été tenue le 20 mai 1992 à 19h30, dans le gymnase de Kanesatake. Le projet de règlement pris en application de l'article 9 du code, s'il a déjà existé, ne faisait pas partie de l'ensemble de documents à débattre.

L'assemblée du 20 mai 1992

[55]L'assemblée du 20 mai 1992 a été présidée par le grand chef Peltier, qui a rappelé aux personnes présentes qu'au cours d'une assemblée tenue le 5 mai 1992, il avait été décidé de [traduction] «reporter d'au moins deux semaines tant les élections que la mise en oeuvre du code électoral» (transcription du procès-verbal de l'assemblée tenue le 20 mai 1992, pièce «B» jointe à l'affidavit de James Gabriel daté du 15 décembre 2002). Il a également expliqué qu'entre-temps, le [traduction] «document de travail» dont il est fait mention plus haut ainsi qu'une [traduction] «note explicative» datée du 13 mai 1992, dans laquelle le chef Clarence Simon explique les résultats des sondages, [traduction] «seraient distribués à tous les membres de la Communauté» (résultats des consultations menées auprès de la Communauté au sujet du code électoral, pièce «A» jointe à l'affidavit d'Andrew Hayes). Cependant, il n'y a pas suffisamment d'éléments de preuve au dossier pour permettre à la Cour de déduire que ces documents ont effectivement été distribués à tous les membres de la Bande, quel que soit leur lieu de résidence, ainsi qu'un avis de l'objet de l'assemblée du 20 mai 1992. Cette importante lacune ainsi que la nature de la résolution adoptée à cette assemblée permettent de douter fortement de l'affirmation des défendeurs selon laquelle le code est légalement en vigueur aujourd'hui et ne peut être «modifié» qu'au moyen d'un nouveau vote par les membres de la Bande.

[56]Immédiatement après les remarques préliminaires du grand chef Peltier, un des participants, M. Morelely Oke, qui est un aîné, est intervenu et a proposé que [traduction] «nous adoptions provisoirement le code électoral sous sa forme actuelle»; M. Oke avait déclaré précédemment que le projet de code [traduction] «est un document de travail et c'est ce qu'il vise à faire [. . .] je pense que la plupart des personnes présentes ici comprendront que les problèmes d'application que nous rencontrerons seront dévoilés et que le nouveau conseil pourra les régler». La motion a été appuyée par M. Richard Gabriel, qui a ajouté ce qui suit: [traduction] «les élections devraient se poursuivre et le nouveau conseil devrait travailler sur les nouveaux codes» (transcription du procès-verbal de l'assemblée tenue le 20 mai 1992, à la page 3).

[57]Par suite de ces interventions, le grand chef Peltier a demandé la tenue d'un vote concernant la résolution suivante (ibid, à la page 3):

[traduction] Il est résolu que le projet de code électoral soit adopté en principe et que le nouveau conseil finalise le code et le présente à la Communauté en vue de sa ratification finale.

[58]La résolution a été adoptée par suite du vote susmentionné au cours duquel 68 personnes se sont exprimées en faveur, 16 contre et une s'est abstenue (ibid, à la page 4).

L'élection générale de 1992

[59]À la fin de l'assemblée tenue le 20 mai 1992, le grand chef Peltier a annoncé que l'élection aurait lieu le 13 juin 1992. Il a expliqué que [traduction] «les mises en candidature ont débuté et se poursuivront» jusqu'au 23 mai 1992 à 22 h. Comme ces faits l'indiquent, un délai de 21 jours s'est écoulé entre la date limite des mises en candidature et celle de l'élection; les demandeurs invoquent ce délai pour affirmer que, depuis 1992, la coutume de la Bande consiste à allouer un délai d'au moins 21 jours (plutôt que le délai de 12 jours prévu dans le règlement) entre l'assemblée de mise en candidature et l'élection. Le grand chef Peltier a mis fin à l'assemblée en mentionnant ce qui suit: [traduction] «assurez-vous que votre nom figure sur la liste des électeurs; vous devez être âgé d'au moins 18 ans et la date limite à laquelle vous pouvez vérifier si votre nom se trouve sur la liste est le 30 mai 1992, ce qui est un samedi (ibid, à la page 4). Cette déclaration indique clairement que tous les membres de la Bande âgés d'au moins 18 ans auraient le droit de voter à cette élection, quel que soit leur lieu de résidence. Effectivement, les noms des membres non-résidents de la Communauté figuraient également sur la liste d'électeurs préparée par le cabinet de consultants et datée du 4 juin 1992 (Liste d'électeurs pour l'élection du Conseil des Mohawks de Kanesatake du 13 juin 1992, lettre en date du 27 mai 1992 de J. Donegani, pièces «B» et «D» jointes à l'affidavit de Nathalie Nepton en date du 10 décembre 2002). Les noms de 1 336 membres de la Bande qui vivaient encore figuraient sur la liste, mais environ 283 personnes étaient décédées ou n'ont pu être trouvées ou identifiées. Le nombre d'électeurs admissibles s'établissait donc à 1 107 personnes, soit 739 résidents et 368 non-résidents. Parmi toutes ces personnes, environ 567 ont voté lors de l'élection du 13 juin 1992, soit 398 résidents et 169 non-résidents. Le grand chef Peltier a été réélu à ce poste ainsi que six autres candidats à titre de chefs pour un mandat de trois ans.

[60]Même si le projet de code a effectivement été modifié depuis l'assemblée du 20 mai 1992, le texte qui semble être la version actuelle du code et du règlement connexe n'a jamais été officiellement adopté par le Conseil ni ratifié par la Communauté. Il est donc nécessaire de savoir comment le projet de code a été appliqué en pratique.

La pratique suivie depuis l'élection générale de 1992

[61]Il semble que les mots [traduction] «conformément au code électoral de Kanesatake» ou d'autres mots ayant le même sens et figurant dans quelques résolutions antérieures du Conseil (dossier de la demande des demandeurs, résolutions datées des 1er mai 1995, 2 novembre 2002, 19 mai 1998 et 29 mai 2001, pièces «3B» et «3C» et pièces «4A» et «4B») ne visaient nullement à exclure la participation des non-résidents ou le recours à des cabinets de consultants de l'extérieur. Malgré les restrictions énoncées à l'article 2 du code (qui a été modifié unilatéralement après le 20 mai 1992 par suite de quelques-uns des commentaires précédemment formulés par quelques participants au processus de consultation), la pratique suivie au cours des dix dernières années consistait à permettre à tous les non-résidents de voter à toutes les élections qui ont eu lieu après l'élection générale de 1992:

a) Le 14 août 1993, le Conseil a tenu une élection partielle pour combler trois postes vacants et les services du même cabinet de consultants ont été retenus. Tous les membres de la Bande, indépendamment de leur lieu de résidence, étaient admissibles à voter (avis public daté du 2 juin 1993, pièce «A» jointe au troisième affidavit supplémentaire de James Gabriel en date du 16 décembre 2002). Les noms de 1 104 personnes figuraient sur la liste d'électeurs et 289 électeurs ont voté (liste des membres de la Bande (âgés d'au moins 18 ans le 14 août 1993) et comparaisons entre les listes d'électeurs, pièce «G» jointe à l'affidavit de Nathalie Nepton en date du 10 décembre 2002).

b) Le 10 juin 1995, une élection générale visant à choisir le grand chef et six chefs du Conseil a eu lieu. Ces personnes devaient également occuper leur poste pour une période de trois ans et l'élection s'est apparemment déroulée conformément au projet de code adopté en principe le 20 mai 1992. L'élection a été dirigée par Coopers et Lybrand, de Montréal, et tous les membres de la Bande, [traduction] «quel que soit leur lieu de résidence» ont été invités à voter (résolution datée du 1er mai 1995, pièce «I» jointe à l'affidavit de Nathalie Nepton en date du 10 décembre 2002).

c) Le Conseil a signé la même formule de résolution en 1998 et à nouveau en 2001 relativement aux élections générales tenues le 27 juin 1998 et le 14 juillet 2001 (résolutions des 19 mai 1998 et 29 mai 2001 qui sont jointes au deuxième affidavit supplémentaire de James Gabriel, pièces «A» et «B»). Les avis d'élection officiels que le Conseil a publiés à ces deux occasions indiquent clairement que tous les membres de la Bande âgés d'au moins 18 ans le jour du vote étaient admissibles à voter (pièces «L» et «S» jointes à l'affidavit de Nathalie Nepton en date du 10 décembre 2002). Au cours de l'élection du 27 juin 1998, 603 personnes ont voté. Les résultats officiels de l'élection du 14 juillet 2001 n'ont pas été communiqués à la Cour; cependant, comme l'indique la preuve par affidavit déposée au dossier, des non-résidents ont effectivement voté au cours de cette élection (affidavits de Rita Jacobs, Helene Gareau, Gisele Mayer Masion, Carol Simon, Dorice Cardinal, Carmen Richard Philibert, Guy Richard, Marie-Paule Richard, Laurence Richard Lanthier, Jean-Guy Mayer, Pierre Demers, Josée Lavallée, Allen Ernie Benson et Mark Lavallée).

d) Avant l'élection générale de 1998, une élection partielle a été tenue le 6 juillet 1996 pour combler le poste de grand chef. Encore là, des non-résidents ont voté lors de cette élection partielle. Comme c'était le cas lors des élections précédentes ainsi qu'au cours de celles de 1998 et 2001, un vote par anticipation et un vote par correspondance ont eu lieu (pièce «R» jointe à l'affidavit de Nathalie Nepton en date du 10 décembre 2002). Lors de ces élections, 451 personnes ont voté et le demandeur James Gabriel a été élu avec 54 p. 100 des voix exprimées (résultats officiels de l'élection partielle de Kanesatake tenue le 6 juillet 1998, pièce «K» jointe à l'affidavit de Nathalie Nepton en date du 10 décembre 2002).

e) En juin 2001, la Loi sur le gouvernement du territoire provisoire de Kanesatake [L.C. 2001, ch. 8] a été adoptée. Avant l'adoption de cette Loi, un plébiscite a été tenu en septembre 2000 relativement à la ratification par la Communauté de l'Entente sur la régie des terres de Kanesatake et du Code d'administration des terres des Mohawks de Kanesatake. Tous les membres de la Bande âgés d'au moins 18 ans, y compris les non-résidents, ont eu le droit de voter lors de la ratification. Quatre cent soixante-seize électeurs ont exprimé leur opinion (avis juridique du juge Lawrence A. Poitras en date du 30 novembre 2000, à la page 7, pièce «H» jointe à l'affidavit de James Gabriel en date du 12 décembre 2002).

L'élément subjectif

[62]Le 13 juin 1992, des 1 336 membres vivants de la Bande, 1 107 ont pu être trouvés et ont été autorisés à voter. Par conséquent, les 68 voix exprimées en faveur de l'adoption «en principe» du projet de code ne représentent que 6 p. 100 des personnes qui étaient des électeurs admissibles à l'époque. De plus, la preuve au dossier n'indique pas qu'un avis suffisant de la date et de l'objet de l'assemblée du 20 mai 1992 a été donné à tous les membres intéressés de la Bande, notamment aux non-résidents, dont les droits de vote étaient touchés par le projet de code. Par ailleurs, il n'y a aucune façon de savoir qui a effectivement voté le 20 mai 1992 et quelles sont les personnes qui ont précédemment été consultées par téléphone ou qui ont participé à un atelier de travail. Surtout, le nombre de participants, soit 85 personnes, est remarquablement faible comparativement aux nombres d'électeurs qui ont été recensés lors des élections précédentes tenues depuis 1992 ou lors du plébiscite de 2000 lesquels (sauf dans le cas de l'élection partielle de 1993) variaient normalement de 400 à 750 électeurs qui ont exercé leurs droits de voter parmi quelque 1 100 électeurs admissibles. Compte tenu de l'effet que les défendeurs veulent attribuer au code, qu'ils présentent comme un type de «constitution de la Bande», la participation devrait être importante, ce qui n'est certainement pas le cas.

[63]Dans la mesure où les défendeurs invoquent le fait que le projet de code a été adopté en principe à l'assemblée de la Communauté tenue le 20 mai 1992, ils n'ont pas réussi à prouver que la participation de 85 personnes, qui a donné lieu à 68 voix en faveur du projet de code en question, à 16 voix contre ce projet et à une abstention, constitue un «large consensus» suffisant dans ces circonstances spéciales pour permettre de considérer le code comme le document énonçant désormais la coutume de la Bande. Je constate que cette conclusion va à l'encontre de la conclusion préliminaire que Mme le juge Tremblay-Lamer a tirée dans la décision Gabriel, précitée, lorsqu'elle a déclaré ce qui suit «[à] ce stade, je suis convaincue qu'il existe une preuve forte montrant que le Code représente la coutume lorsqu'il s'agit de choisir les conseillers, coutume qui fait l'objet d'un large consensus» (paragraphe 17). Cependant, la preuve commentée ci-dessus, qui n'a peut-être pas été portée à l'attention du juge Tremblay-Lamer, me convainc qu'aucune conclusion générale de cette nature ne peut être tirée lorsqu'il s'agit de principes fondamentaux comme l'exclusion de non-résidents et l'application des dispositions du code et du règlement concernant l'élection des scrutateurs et des membres du conseil des aînés.

[64]De plus, la preuve indique l'existence d'une intention constante, exprimée publiquement au moyen de différents communiqués et résolutions du Conseil, de permettre aux non-résidents de voter et de faire appel à des organismes indépendants dont le Conseil a retenu les services pour l'organisation et la surveillance du processus électoral. L'intervention d'un conseil des aînés ou de scrutateurs n'a été demandée à aucune de ces élections. J'estime à cet égard que la conduite des membres de la Bande, qui ont acquiescé à ces pratiques, constitue une preuve suffisante indiquant que celles-ci étaient [traduction] «généralement acceptables pour les membres de la bande et [. . .] faisaient l'objet d'un large consensus».

[65]Pour en arriver à la conclusion susmentionnée, j'ai également tenu compte du fait qu'après l'élection de 1998, des plaintes ont été formulées et des préoccupations ont été exprimées au nom de quelque 85 membres de la Bande qui n'étaient pas satisfaits du résultat de l'élection et ont tenté de la faire invalider au motif qu'elle ne s'était pas déroulée [traduction] «d'une manière rigoureusement conforme au code» (pièces «F», «G» et «H» jointes à l'affidavit de Steven Bonspille en date du 10 décembre 2002). De plus, j'ai tenu compte du fait qu'au cours d'une assemblée de la Communauté tenue le 19 octobre 2002, une résolution a été adoptée afin que [traduction] «les règles de procédure relatives à l'élection du Conseil mohawk, adoptées en principe le 20 mai 1992, soient suivies en entier, sans dérogation ni exception lors de toute élection ultérieure du grand chef et du Conseil, y compris toute élection partielle connexe» (pièce «H» jointe à l'affidavit de James Gabriel en date du 1er décembre 2002). Environ 60 personnes ont assisté à cette assemblée.

[66]Cela étant dit, malgré l'affirmation générale des défendeurs, que les demandeurs contestent vivement et selon laquelle il n'y a pas d'intimidation ou de harcèlement au cours des assemblées publiques de la Communauté, je ne puis conclure que les préoccupations exprimées par quelque 85 personnes en 1998 et quelque 60 personnes en 2002 indiquent que le «large consensus» mentionné ci-dessus n'existe plus ou qu'il existe un nouveau «large consensus» tel que les élections de la Bande ne devraient plus se dérouler conformément au code. J'accepte également la preuve des demandeurs selon laquelle ceux-ci n'ont pas autorisé la tenue de l'assemblée du 19 octobre 2002 et selon laquelle l'avis s'y rapportant était insuffisant, dans la mesure où les membres non-résidents de la Bande n'ont pas été informés en bonne et due forme et n'ont pu, par conséquent, exprimer leurs points de vue sur la question (affidavit de James Gabriel en date du 1er décembre 2002, aux paragraphes 18 et 19, et pièce «G» jointe audit affidavit).

Conclusion

[67]Compte tenu de la preuve décrite ci-dessus, qui m'apparaît convaincante, je n'hésite nullement à conclure que l'application à la lettre, que ce soit par le Conseil, son directeur général ou d'autres membres du personnel électoral, des exigences relatives à la résidence qui sont mentionnées à l'article 2 du code irait à l'encontre de la coutume de la Bande. Dans la mesure où le code n'a pas été appliqué à la lettre, l'application rigoureuse des dispositions du règlement qui prévoient l'élection de scrutateurs et d'un conseil des aînés irait également à l'encontre de la coutume de la Bande depuis 1992.

V    AUTRES OBSTACLES JURIDIQUES

[68]En plus de l'absence d'un large consensus, il existe d'autres obstacles juridiques qui empêchent la Cour d'accepter les arguments des défendeurs selon lesquels les dispositions du code et du règlement concernant les exigences relatives à la résidence et l'élection de scrutateurs et d'un conseil des aînés sont légalement exécutoires et devraient être rigoureusement observées.

[69]D'abord, le code visé par la décision attaquée (pièce «D» jointe à l'affidavit de James Gabriel en date du 1er décembre 2002) ne correspond pas au projet de code qui a été approuvé «en principe» à l'assemblée de la Communauté tenue le 20 mai 1992 (pièce «A» jointe à l'affidavit d'Andrew Hayes), mais plutôt à une version modifiée qui semble avoir été préparée pour l'élection du 10 juin 1995, compte tenu de l'«explication» fournie, dans laquelle il est précisé que cette dernière élection [traduction] «sera dirigée par Coopers et Lybrand de Montréal (Québec)». Une comparaison entre les deux documents indique clairement que les auteurs de la version de 1995 ont modifié en profondeur le texte de 1992. La version de 1995 intègre une partie des changements proposés par quelques-unes des personnes qui ont participé au processus de consultation. Toutefois, il n'est pas nécessaire de procéder à une analyse comparative, parce qu'aucune version finale du projet de code n'a été présentée à des fins de ratification aux membres de la Communauté malgré le fait que cette présentation était exigée en vertu d'une résolution adoptée le 20 mai 1992.

[70]Le fait qu'aucun caractère définitif ne peut être attribué au document qui est présenté comme la «version courante» du code est attesté par le communiqué que le Conseil a publié en mai 1998 en prévision de l'élection générale du 27 juin 1998. Voici le texte de ce communiqué:

[traduction] KANESATAKE, 29 mai 1998. Le Conseil mohawk de Kanesatake aimerait aviser tous les membres de la Bande indienne de Kanesatake qu'un projet de code électoral, qui constitue encore un document de travail, est actuellement distribué au sein de la Communauté.

La distribution de ce document au sein de la Communauté ne fait que causer de la confusion et des préoccupations injustifiées.

Ce document, dont la première page comporte la mention «projet» en toutes lettres, n'a pas été examiné par le Conseil mohawk de Kanesatake ni n'a été ratifié par la Communauté.

En conséquence, si vous avez des questions au sujet de la prochaine élection, n'hésitez pas à communiquer avec le bureau de consultants DAYE ET VINCENT, au 479-8256, afin de clarifier tout malentendu.

Nia wen

LE CONSEIL MOHAWK DE KANESATAKE

(Communiqué concernant le projet de code électoral, pièce C jointe à l'affidavit d'Andrew Hayes.)

[71]En deuxième lieu, le règlement auquel l'article 9 du code renvoie ne peut être légalement exécutoire que si le code lui-même a été ratifié. Or, la preuve n'indique pas clairement non plus si le Conseil a adopté le règlement, puisqu'il semble que l'application de celui-ci a été suspendue en 1992 (résolution du Conseil en date du 26 mai 1992, pièce «A» jointe à l'affidavit de James Gabriel en date du 15 décembre 2002).

VI    RÈGLES DE JUSTICE NATURELLE

[72]L'équité et l'impartialité constituent des caractéristiques vitales du processus démocratique que les membres de la Bande ont choisi d'adopter en 1991, lorsqu'ils ont opté pour un système électoral. Le recours systématique par le Conseil à des organismes indépendants au cours des élections antérieures permettait de veiller à ce que tous les électeurs (résidents et non-résidents) et les candidats soient traités équitablement et sans discrimination. Cette pratique, qui consistait à désigner des organismes de cette nature et à permettre aux membres non-résidents de voter, doit donc être considérée comme une partie de la coutume de la Bande qui intègre implicitement le respect des règles de justice naturelle et des principes connexes.

[73]J'ai également examiné la preuve des parties au sujet de l'assemblée qui a eu lieu le 4 décembre 2002 relativement à l'élection des scrutateurs et du conseil des aînés. Environ 30 personnes ont assisté à cette assemblée et leurs noms ont été communiqués aux demandeurs. Je constate que la convocation à ladite assemblée ainsi que le communiqué en date du 6 décembre 2002 concernant la tenue d'une assemblée de mise en candidature le 19 décembre 2002 n'ont pas été envoyés aux membres non-résidents de la Bande. Les scrutateurs sont Sonya Gagnier, Sheila Bonspille, Clifton Nicolas, Jonathan Peltier et Janet Nicolas. Les membres du conseil des aînés sont Noreen Cree, Shawhanatsi Montour, Charlotte Beaver, Paul Bonspille et Lloyd Figie. Il est admis que les scrutateurs et les membres du conseil des aînés n'ont pas été élus dans le cadre d'un scrutin secret. J'accepte la preuve des demandeurs selon laquelle la plupart des personnes qui ont assisté à l'assemblée sont manifestement opposées à eux et que les scrutateurs ainsi que les membres du conseil des aînés sont manifestement partiaux ou que, à tout le moins, une crainte raisonnable de partialité existe à leur sujet, compte tenu de leur conduite antérieure, de leurs liens familiaux ou du fait qu'ils sont des parties désignées dans une requête pour outrage au tribunal ou d'autres procédures engagées devant la Cour ou sont liées à ces parties (paragraphe 10 de l'affidavit de réponse de James Gabriel en date du 12 décembre 2002 et pièces «A», «B», «C» et «D» jointes audit affidavit). Je souligne de plus qu'aucun de ces scrutateurs ne possède de compétences spécialisées quant à la façon de diriger une élection.

VII    L'ARGUMENT FONDÉ SUR LA CHARTE

[74]Compte tenu de la conclusion générale selon laquelle une élection rigoureusement conforme au code irait à l'encontre de la coutume de la Bande, il n'est pas nécessaire que je me prononce sur la question de savoir si le déni du droit de vote à l'endroit des membres non-résidents de celle-ci contrevient à l'article 15 de la Charte. Sans exprimer d'avis définitif sur cette question, je formulerai néanmoins quelques observations.

[75]Dans Crow c. Conseil de la bande indienne des Blood, [1997] 3 C.N.L.R. 76 (C.F. 1re inst.), la Cour devait décider si la Charte s'appliquait aux procédures électorales de la bande fondées sur la coutume. Le juge suppléant Heald a évité de répondre à la question et s'est exprimé comme suit au paragraphe 21 de ses motifs:

Il s'agit là d'une question complexe qui concerne notamment l'application de l'article 32, et l'interprétation et l'application possible de l'article 25 de la Charte. Étant donné cependant la conclusion que j'ai tirée au sujet de la supposée violation en l'espèce des droits que la Charte garantit au demandeur, il n'est pas nécessaire que je me prononce sur ce point. Je poserai donc pour hypothèse de travail en vue de l'analyse infra que le règlement électoral coutumier est en fait subordonné à la Charte.

[76]Dans Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203, la Cour a invalidé le paragraphe 77(1) de la Loi, qui avait pour effet de retirer aux membres d'une bande indienne vivant en dehors des réserves le droit de voter aux élections du conseil de bande, au motif que cette disposition était incompatible avec l'article 15 de la Charte. La question qui reste est de savoir si la conclusion de la Cour s'applique également aux élections d'une bande régie par sa coutume.

[77]Les récentes décisions de la Cour fédérale du Canada indiquent un certain penchant vers l'applicabilité du jugement que la Cour suprême du Canada a rendu dans l'affaire Corbiere, précitée, aux élections d'une bande régie par sa coutume: Gros-Louis c. Conseil de la Nation Huronne-Wendat, [2000] A.C.F. no 1529 (1re inst.) (QL), décision du juge Pinard, au paragraphe 4; Hall c. Bande indienne Dakota Tipi, [2000] 4 C.N.L.R. 108 (C.F. 1re inst.), décision du juge Pelletier (alors juge de la Section de première instance de la Cour fédérale) au paragraphe 2, et Gabriel, précitée, décision du juge Tremblay-Lamer, aux paragraphes 13 et 14. Toutefois, dans ces décisions, la Cour n'a fait aucune analyse fouillée des aspects juridiques «complexes» liés à la question de savoir si l'arrêt Corbiere s'appliquait également aux élections d'une bande régie par sa coutume. À mon avis, cette question reste encore à trancher et les indications que la Cour a déjà données sont loin d'être définitives.

[78]Cela étant dit, je souligne que la présente affaire ne concerne pas la question de savoir si les Mohawks de Kanesatake ont le [traduction] «droit de contrôler leur processus électoral», mais qu'elle porte essentiellement sur un différend entre deux factions mohawks au sujet du processus qui devrait s'appliquer dans le cas sous étude. De plus, la «coutume» à laquelle les parties font allusion est une coutume «contemporaine» qui remonte à environ dix ans et doit donc être distinguée des coutumes et pratiques ancestrales dont il est question dans des jugements comme R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507. Dans ce contexte, la présente affaire ne permet pas d'invoquer le droit à l'autonomie gouvernementale des Autochtones que les défendeurs soulèvent dans leur mémoire. J'ajouterai que des questions aussi complexes nécessitent la présentation d'une preuve verbale détaillée, notamment au plan historique, et que, en tout état de cause, les quelques allégations générales formulées dans les affidavits que les défendeurs ont déposés ne satisfont pas à cette exigence et ne permettent pas à la Cour de tirer une conclusion fondée sur l'article 25 de la Charte ou l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]].

VIII    CONCLUSION

[79]Pour les motifs exposés ci-dessus, j'ai décidé d'accueillir en partie la présente demande de contrôle judiciaire. Une ordonnance annulant la décision attaquée et accordant différentes réparations est rendue en conséquence. Deux questions demeurent non réglées.

[80]D'abord, à l'heure actuelle, il m'apparaît souhaitable de donner aux membres du Conseil un peu de temps pour fixer une nouvelle date d'élection et s'entendre sur le choix d'un organisme indépendant qui surveillera et dirigera la tenue du vote conformément à la coutume de la Bande. En conséquence, je ne trancherai pas aujourd'hui la demande de mandamus ou d'ordonnance de faire des demandeurs. Toutefois, je conserverai la compétence nécessaire pour examiner cette demande (ou toute demande modifiée visant à obtenir une ordonnance subsidiaire) et pour rendre toute autre ordonnance si les membres du Conseil sont incapables de s'entendre sur une nouvelle date d'élection ou sur le choix d'un organisme indépendant.

[81]En second lieu, je suis également disposé à accorder les dépens aux demandeurs et à condamner les défendeurs à en payer le montant, sauf dans le cas du procureur général du Canada, dont le statut est celui de «mis en cause», tel qu'il est mentionné plus haut. Au cours de l'audience, l'avocat des demandeurs a demandé à la Cour de faire droit à la demande ses clients et d'autoriser ceux-ci à déposer des observations écrites au sujet de la possibilité de rendre une ordonnance enjoignant au Conseil de payer leurs dépens sur la même base et selon les mêmes conditions que le Conseil applique pour payer ses avocats en l'espèce ou, subsidiairement, sur une base procureur-client. En conséquence, les parties doivent signifier et déposer leurs observations écrites au sujet du montant des dépens et d'autres questions connexes dans le délai mentionné dans l'ordonnance ci-jointe.

ORDONNANCE

La Cour ordonne que la décision en date du 26 novembre 2002 par laquelle le Conseil a convoqué la tenue d'une élection spéciale devant avoir lieu le 4 janvier 2003 conformément au code électoral de Kanesatake ainsi que d'une assemblée de mise en candidature devant avoir lieu le 19 décembre 2002 soit annulée, au motif que cette décision va à l'encontre de la coutume de la Bande;

La Cour déclare que l'élection des scrutateurs et des membres du conseil des aînés à l'assemblée de la Communauté tenue le 4 décembre 2002 est nulle et illégale, parce que ladite assemblée n'a pas été autorisée par le Conseil et a été tenue sans avoir été précédée d'un avis suffisant et que les personnes qui ont été élues à cette assemblée pour combler les postes de scrutateurs et de membres du conseil des aînés et qui sont probablement partiales n'ont pas été légalement élues à ces postes;

La Cour déclare également qu'une élection générale ou partielle tenue d'une manière rigoureusement conforme aux dispositions du code et du règlement concernant les exigences en matière de résidence et l'élection de scrutateurs et d'un conseil des aînés iraient à l'encontre de la coutume de la Bande;

La Cour déclare également que, jusqu'à ce que le code traduise la coutume de la Bande, toutes les autres élections générales ou partielles relatives aux postes à combler au sein du Conseil doivent être ouvertes à tous les membres inscrits de la Bande qui sont âgés d'au moins 18 ans, quel que soit leur lieu de résidence, et doivent être dirigées:

a) par un organisme indépendant dont le Conseil retiendra les services et qui sera chargé de surveiller et de diriger l'élection conformément à la coutume de la Bande et aux procédures suivies lors des élections tenues conformément au code depuis 1992;

b) sans la participation de scrutateurs ou d'un conseil des aînés;

La Cour ordonne également que la demande des demandeurs en vue d'obtenir une ordonnance de faire ou de mandamus exigeant la tenue d'une élection partielle dans les 60 jours suivant l'ordonnance finale de la Cour pour combler le poste vacant de chef au sein du Conseil soit mise en suspens et que la Cour conserve la compétence nécessaire pour trancher ladite demande (ou toute demande modifiée visant à obtenir une ordonnance subsidiaire) et pour rendre toute autre ordonnance si les membres du Conseil sont incapables de s'entendre sur une nouvelle date d'élection ou sur le choix d'un organisme indépendant;

La Cour ordonne également aux défendeurs, sauf le procureur général du Canada, de payer les dépens des demandeurs et aux parties de signifier et déposer leurs observations écrites au sujet du montant des dépens et d'autres questions connexes dans les dix jours suivant la présente ordonnance.

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