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T-1958-00

2003 CFPI 465

Michel Tremblay (demandeur)

c.

Le Procureur général du Canada, Carlo Lanetti et Daniel Plouffe (défendeurs)

Répertorié: Tremblay c. Canada (Procureur général) (1re inst.)

Section de première instance, juge Kelen--Ottawa, 7 et 22 avril 2003.

Fonction publique -- Procédure de sélection -- Principe du mérite -- Mesures que doit prendre un ministère qui tient un concours pour s'adapter aux besoins d'un candidat ayant une déficience tout en veillant à ce que les autres candidats ne soient pas défavorisés -- L'objet de l'appel prévu à l'art. 21 de la LEFP est d'empêcher qu'une nomination contrevienne au principe du mérite et non de protéger les droits du demandeur -- Il n'est pas interdit à la Commission de prendre en compte les principes relatifs aux droits de la personne dans le cadre de son analyse du principe du mérite -- La souplesse est de mise dans l'application du principe du mérite -- Les décisions doivent être prises au cas par cas -- On a fait preuve de rigidité en l'espèce -- Le Ministère n'a pas procédé à une analyse adaptée à la situation du demandeur -- La Cour ne peut établir si les mesures d'adaptation proposées permettent au demandeur de participer au concours sur un pied d'égalité ou désavantagent les autres candidats -- Il faudra procéder à un nouveau concours.

Droits de la personne -- Applicabilité des principes relatifs aux droits de la personne en regard du processus de sélection de la fonction publique et du principe du mérite -- Candidat à un poste en soutien technique auprès de Transports Canada qui a la sclérose en plaques -- Il est rayé de la liste des candidats après avoir rejeté les mesures d'adaptation offertes -- Le demandeur a-t-il manqué à son obligation de faciliter la recherche de mesures d'adaptation appropriées -- La jurisprudence de la C.S.C. sur les exigences professionnelles réelles comme justification de normes discriminatoires n'est pas applicable dans une affaire mettant en jeu un concours de la fonction publique et le principe du mérite -- Un comité d'appel peut, malgré tout, prendre en compte les principes relatifs aux droits de la personne dans le cadre de l'analyse du principe du mérite -- Le Ministère a manqué à son obligation de prendre des mesures d'adaptation raisonnables en ayant une approche rigide face au principe du mérite -- Il est nécessaire de procéder à un nouveau concours, la Cour n'ayant pu établir si les mesures permettaient au demandeur de participer au concours sur un pied d'égalité ou désavantageaient les autres candidats.

L'article 10 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique (LEFP) requiert que les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se fassent sur la base d'une sélection fondée sur le mérite. La présente demande de contrôle judiciaire de la décision d'un comité d'appel, constitué en vertu de l'article 21 de la LEFP, soulevait la question des mesures qu'un ministère est tenu de prendre pour s'adapter aux besoins d'un candidat ayant une déficience tout en veillant à ce que les autres candidats ne soient pas défavorisés.

Comme situation de fait, le demandeur, qui a la sclérose en plaques, a fait appel de la nomination de deux concurrents à des postes d'agents de soutien technique auprès de Transports Canada. Le concours nécessitait de passer un examen écrit de trois heures et demie, et le demandeur a transmis une lettre de son médecin expliquant que sa vision et sa dextérité étaient restreintes et qu'il était «très incommodé par la fatigue». Comme mesures d'adaptation, le Ministère a décidé de permettre au demandeur d'écrire l'examen sur une période de trois jours, tout en bénéficiant d'un délai additionnel de 50 % pour le rédiger. En outre, les pauses requises ne seraient pas prises en compte dans le calcul du temps alloué et on fournirait un ordinateur portatif au demandeur. Celui-ci a répondu par courriel que ces mesures ne satisfaisaient pas à ses besoins et qu'il ne serait pas présent à la session d'examen. Le Ministère a ensuite consulté un psychologue de la Commission de la fonction publique (CFP), selon lequel il n'était pas impératif de suivre les lignes directrices de la CFP. Chaque cas devait plutôt être évalué de manière individuelle. Le psychologue a également déclaré que le Ministère devait être plus ou moins libéral quant au délai alloué en fonction de l'importance du facteur temps en tant qu'élément de l'examen. Puisque les agents de soutien technique ont à respecter un grand nombre de délais, le Ministère a conclu que le facteur temps était un élément important et a refusé d'accorder au demandeur plus que le délai additionnel prévu de 50 % pour écrire l'examen. Le demandeur ayant de nouveau refusé de passer l'examen, on l'a informé que son nom serait retiré de la liste des candidats. Le Ministère a déclaré, dans un courriel envoyé au demandeur, qu'il avait du mal à comprendre pourquoi ce dernier n'avait fait aucune proposition quant aux conditions qu'il jugeait acceptables pour passer l'examen. Un comité d'appel s'est dit convaincu que le Ministère avait pris des mesures d'adaptation raisonnables et a rejeté l'appel du demandeur. Il n'était pas déraisonnable pour Transports Canada de conclure qu'accorder à l'appelant un délai illimité serait l'avantager par rapport aux autres candidats, ce qui est contraire au principe de la sélection fondée sur le mérite. Encore une fois, le demandeur ne s'était pas acquitté de son obligation, imposée par la Cour suprême du Canada dans Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, de faciliter la recherche d'un compromis acceptable.

Jugement: la demande doit être accueillie.

Le comité d'appel n'ayant pas des compétences spécialisées très poussées dans le domaine, la norme de contrôle judiciaire appropriée relativement à sa décision sur la question de droit soulevée en l'espèce était celle de la décision correcte. Une sous-question concernait la mesure dans laquelle le comité pouvait appliquer les principes en matière de droits de la personne pour décider si les mesures d'adaptation offertes étaient raisonnables. Le demandeur a fait valoir la décision Meiorin, dans laquelle la Cour suprême a reformulé la méthode devant servir à établir si une norme discriminatoire à première vue est ou non une exigence professionnelle justifiée. On a statué dans Meiorin que l'employeur devait démontrer qu'il lui était «impossible», sans subir une «contrainte excessive», de composer avec la déficience de l'intéressé. On a toutefois soutenu au nom du Procureur général que la LEFP ne confère pas à un comité d'appel le pouvoir d'appliquer la Loi canadienne sur les droits de la personne ou les principes régissant les lois sur les droits de la personne. Le comité d'appel aurait pour mandat d'assurer le respect du principe du mérite et d'examiner si les mesures d'adaptation offertes étaient équitables pour les autres candidats. Dans Charest, de fait, la Cour d'appel fédérale a clairement énoncé que le droit d'appel prévu à l'article 21 n'a pas pour but de protéger les droits de l'appelant, mais bien d'empêcher qu'une nomination enfreigne le principe du mérite.

Il était manifeste que la norme prévue dans Meiorin n'était pas applicable à un appel fondé sur le principe du mérite. Le rôle du comité n'est pas de cerner les normes discriminatoires et d'établir si elles peuvent ou non se justifier, mais plutôt de décider si les mesures d'adaptation offertes à l'appelant lui permettent de participer au concours sur un pied d'égalité avec les autres candidats. Cela n'empêchait toutefois pas le comité de tenir compte des principes relatifs aux droits de la personne, dans le cadre de l'analyse du principe de la sélection selon le mérite.

La nécessité de faire preuve de souplesse dans l'application du principe du mérite est confirmée par les lignes directrices de la CFP, qui insistent sur le fait que les décisions doivent être prises au cas par cas. En l'espèce, cependant, le Ministère s'est montré rigide dans l'application du principe du mérite, ne s'acquittant pas de son obligation de prendre des mesures d'adaptation raisonnables à l'endroit du demandeur. Il n'a pas procédé à une analyse sur mesure de la situation du demandeur. Transports Canada n'a pas véritablement compris ce qui était nécessaire pour tenir compte des besoins du demandeur, et ne pouvait ainsi savoir si les mesures proposées répondaient à ceux-ci. La Cour ne pouvait établir dans quelle mesure les mesures d'adaptation proposées auraient permis au demandeur de concourir sur un pied d'égalité avec les autres candidats ou lui auraient conféré un avantage sur ceux-ci. Le Ministère n'a pas consulté de spécialistes avant de faire sa première proposition; la lettre du médecin fournissait de l'information uniquement sur les symptômes du demandeur et non sur ce qui devrait être fait pour tenir compte de sa situation. Lorsqu'une agente du personnel a suggéré d'accorder au demandeur un délai additionnel de 100 %, ses collègues n'ont pas été d'accord et ont dit qu'il fallait «s'en tenir aux lignes directrices» permettant une prolongation de délai maximale de 50 %. Cela démontre que le Ministère s'est trop fortement appuyé sur les lignes directrices de la CFP. Le Ministère a bien communiqué avec un psychologue du gouvernement, mais il n'y a aucune preuve du fait que ce psychologue ait approuvé les mesures d'adaptation proposées. Il n'est donc pas possible de conclure qu'en l'espèce, le nécessaire a été fait pour comprendre la situation du demandeur et quelles mesures étaient requises pour composer avec sa déficience.

Le demandeur a soutenu devant le comité d'appel que le Ministère avait fait inclure à tort comme exigence dans l'examen qu'un candidat ait un bon rendement sous la pression de délais serrés, et qu'il découlait de l'invitation à écrire l'examen qu'il répondait déjà à ce critère. Le Ministère estimait que le facteur temps était un élément nécessaire de l'examen, comme le candidat reçu aurait souvent à respecter des délais serrés obligatoires dans le cadre de son travail. La preuve étant incomplète, la Cour ne pouvait conclure que le comité avait conclu erronément qu'on n'avait pas évalué l'aptitude du demandeur à avoir un bon rendement sous la pression de délais serrés.

Le comité n'a pas eu tort de souligner que le demandeur aurait pu faire davantage pour faciliter la recherche d'un compromis. Il aurait pu être plus ouvert au sujet des mesures d'adaptation prises à son égard par l'Université d'Ottawa lorsqu'il y étudiait en vue d'obtenir un M.B.A. On peut le constater par un échange entre la présidente du comité et le demandeur lors de l'instruction de l'appel: «si on m'avait approché, j'aurais pu faire état d'évaluations antérieures effectuées différemment [. . .] Je voulais voir si le Ministère allait suivre les Lignes directrices». Quoi qu'il en soit, l'arrêt Renaud fait principalement reposer sur l'employeur le fardeau de concevoir et de mettre en oeuvre des mesures d'adaptation. Le principe du mérite n'a pas été respecté en l'espèce parce que le Ministère n'a pas fait le nécessaire pour connaître le détail de la situation du demandeur, et il faudra procéder à un nouveau concours.

lois et règlements

Human Rights Code, R.S.B.C. 1996, ch. 210.

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6.

Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33, art. 10 (mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 10), 21 (mod., idem, art. 16).

jurisprudence

décisions appliquées:

Boucher c. Canada (Procureur général) (2000), 252 N.R. 186 (C.A.F.); Buttar c. Canada (Procureur général) (2000), 186 D.L.R. (4th) 101; 254 N.R. 368 (C.A.F.); Charest c. Procureur général du Canada, [1973] C.F. 1217; (1973), 2 N.R. 288 (C.A.); Canada (Procureur général) c. Girouard (2001), 202 F.T.R. 1 (C.F. 1re inst.); conf. par [2002] 4 C.F. 538; (2002), 291 N.R. 289 (C.A.); Schut c. Canada (Procureur général), [1998] A.C.F. no 806 (1re inst.) (QL); Canada (Procureur général) c. Bates, [1997] 3 C.F. 132; (1997), 147 D.L.R. (4th) 358; 129 F.T.R. 61 (1re inst.).

distinction faite d'avec:

Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3; (1999), 176 D.L.R. (4th) 1; [1999] 10 W.W.R. 1; 127 C.A. C-B 161; 66 B.C.L.R. (3d) 253; 46 C.C.E.L. (2d) 206; 244 N.R. 145; Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons-Sears Ltd. et autres, [1985] 2 R.C.S. 536; (1985), 52 O.R. (2d) 799; 23 D.L.R. (4th) 321; 17 Admin. L.R. 89; 9 C.C.E.L. 185; 7 C.H.R.R. D/3102; 64 N.R. 161; 12 O.A.C. 241; Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489; (1990), 111 A.R. 241; 72 D.L.R. (4th) 417; [1990] 6 W.W.R. 193; 76 Alta. L.R. (2d) 97; 12 C.H.R.R. D/417; 90 CLLC 17,025; 113 N.R. 161.

décision examinée:

Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970; [1992] 6 W.W.R. 193; (1992), 71 B.C.L.R. (2d) 145; 13 B.C.A.C. 245; 141 N.R. 185.

décision citée:

Tremblay c. Canada (Procureur général), 2003 CFPI 466; [2002] A.C.F. no 627 (1re inst.) (QL).

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision d'un comité d'appel constitué en vertu de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique et portant qu'on avait procédé à un processus de sélection en respectant le principe du mérite. Appel accueilli.

doctrine

Lignes directrices relatives à l'évaluation des personnes handicapées. Commission de la fonction publique du Canada, 2003.

ont comparu:

Le demandeur pour son propre compte.

Richard Casanova pour les défendeurs.

avocats inscrits au dossier:

Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

[1]Le juge Kelen: Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant une décision rendue par un comité d'appel de la Commission de la fonction publique (la CFP) constitué en vertu de l'article 21 [mod. par L.C. 1992, ch. 54, art. 16] de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33 (la LEFP). La présente affaire, de même que l'affaire connexe au dossier T-1201-01[2003 CFPI 466; [2003] A.C.F. no 627 (1re inst.) (QL)], met en cause l'article 10 [mod., idem, art. 10] de la LEFP, qui requiert que les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se fassent sur la base d'une sélection fondée sur le mérite. Les deux affaires soulèvent la difficile question des mesures qu'un ministère est tenu de prendre pour s'adapter aux besoins d'un candidat ayant une déficience tout en veillant à ce que les autres candidats n'en soient pas défavorisés.

[2]Les particuliers défendeurs n'ont pas pris part à l'audience et le ministère concerné était représenté par le Procureur général du Canada. Ce dernier est donc visé lorsqu'on renvoie au défendeur dans les présents motifs.

QUESTIONS EN LITIGE

[3]La question en litige dans la présente affaire est celle de savoir si le comité d'appel a commis une erreur en concluant que le processus de sélection du Bureau de la sécurité des transports du Canada (le BST) avait respecté le principe du mérite. On peut, comme suit, décomposer cette question en sous-questions.

1. Le comité d'appel a-t-il commis une erreur en interprétant incorrectement l'obligation d'adaptation?

2. Le comité d'appel a-t-il commis une erreur en concluant que Transports Canada s'était acquitté de son obligation de prévoir pour le demandeur des mesures d'adaptation raisonnables?

3. Le comité d'appel a-t-il commis une erreur en concluant que l'examen de connaissances subi par le demandeur ne visait pas à évaluer son «aptitude à avoir un bon rendement sous la pression de délais serrés»?

4. Le comité d'appel a-t-il commis une erreur en concluant que le demandeur ne s'était pas acquitté de son obligation de faciliter la recherche d'un compromis raisonnable?

LES FAITS

[4]Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant une décision datée du 22 septembre 2000 de la présidente de comité d'appel B. A. Monk. Mme Monk a été nommée en vertu de l'article 21 de la LEFP pour instruire l'appel interjeté par le demandeur à l'encontre de la nomination auprès de Transports Canada de MM. Carlo Zanetti et Daniel Plouffe à deux postes d'agents de soutien technique.

[5]Transports Canada a procédé à un concours interne pour doter deux postes ouverts d'agents de soutien technique (numéros de concours 99-MOT-CC-OTT- 024854 et 99-MOT-CC-OTT-024853). Le demandeur répondait aux critères de présélection initiaux et on l'a convié, ainsi que d'autres candidats reçus, à prendre part le 15 décembre 1999 à un examen écrit de trois heures et demie. Le demandeur a informé le ministère qu'il avait la sclérose en plaques (SEP) et qu'il faudrait prendre pour lui des mesures d'adaptation spéciales. Pour pouvoir bien évaluer ses besoins, on a reporté l'examen du demandeur à une date ultérieure.

[6]Le médecin traitant du demandeur, le Dr H. E. Rabinovitch, a écrit le 13 décembre 1999 une lettre adressée à M. Martin Eley, directeur-Génie, Certification des aéronefs, de Transports Canada. Le Dr Rabinovitch a déclaré que le demandeur avait la SEP, ce qui entraînait des limitations de sa vision et de sa dextérité. Il a également mentionné que le demandeur était [traduction] «très incommodé par la fatigue» et demandé que le Ministère tienne compte de ce problème.

[7]Transports Canada a alors commencé à prendre des mesures pour s'adapter aux besoins du demandeur. Il semble que la tâche en ait échu à Mme Nicole Pharand, une agente d'administration du personnel au sein du Ministère. Celle-ci a consulté les Lignes directrices relatives à l'évaluation des personnes handicapées de la Commission de la fonction publique (les lignes directrices de la CFP), qui recommandaient d'accorder 50 % plus de temps aux personnes ayant une capacité restreinte de lire et d'écrire. Dans un courriel du 13 janvier 2000 transmis à l'interne à plusieurs collègues, Mme Pharand proposait qu'on accorde 100 % plus de temps au demandeur (soit sept heures au total) et qu'on étale sur trois jours la durée de l'examen. Les réponses de trois de ses collègues ont été présentées à la Cour. Tous recommandaient de restreindre à 50 % le temps additionnel accordé, tel que les lignes directrices de la CFP le prévoyaient (pour une durée totale de 5,25 heures).

[8]Le 19 janvier 2000, Mme Pharand a envoyé au demandeur un courriel dans lequel elle l'informait des mesures d'adaptation proposées et des nouvelles date et heure prévues pour son examen. On proposait notamment la prise des quatre mesures suivantes:

a) l'examen serait divisé en trois parties et devrait être écrit sur une période de trois jours (du 25 au 27 janvier);

b) un délai additionnel de 50 % serait accordé pour rédiger l'examen, tel qu'il est prévu dans les lignes directrices de la CFP;

c) les pauses requises par le demandeur ne seraient pas prises en compte dans le calcul du temps alloué;

d) on fournirait au demandeur un ordinateur portatif ainsi qu'une souris externe.

[9]Le demandeur a répondu à la proposition au moyen d'un courriel du 24 janvier transmis à Mme Pharand:

[traduction] Je ne serai pas présent à la session d'examen parce que je ne suis pas d'accord avec les modifications envisagées proposées. Tel qu'il a été demandé (ce matin), je fournis relativement à celles-ci des détails additionnels. Merci de faire part de mes sujets d'inquiétude à la ou aux personnes concernées.

Il a fourni des détails additionnels sur son état et sur les effets secondaires des médicaments pris pour la SEP:

[traduction] Plus spécifiquement, je me fatigue facilement. Pour qui a la sclérose en plaques (SEP), la fatigue peut-être «sans proportion avec l'activité entreprise» (http://www.msif. org/fr/ms_the_disease/symptoms_of_ms.html). Le besoin de repos lié à mon incapacité permanente (SEP accompagnée de crises d'épilepsie) a un caractère dynamique et passager; je dois fréquemment m'arrêter (pauses, repos). Je prends des médicaments, soit Ibuprophen, Dilantin (phénytoïne sodique; anticonvulsivant). Ce dernier médicament influe sur ma concentration (Compendium des produits et spécialités pharmaceutiques). Il faut également tenir compte d'effets secondaires médicaux; ainsi, les symptômes de la SEP semblent plus sévères en cas de stress [. . .] De même, «la plupart des personnes ayant la SEP deviennent extrêmement fatiguées lorsqu'elles exercent des activités, particulièrement celles requérant la contraction répétée de muscles (comme la dactylographie)». Je dactylographie parce que mon écriture est illisible. Je dactylographie lentement et le temps requis à cette fin ne doit donc pas être inclus dans le temps imparti pour l'examen.

[10]Après avoir reçu le courriel du demandeur, le Ministère a communiqué avec Michel Nadeau, un psychologue du Centre de psychologie du personnel (CPP) de la Commission de la fonction publique. M. Nadeau a informé Mme Pharand que les lignes directrices de la CFP ne constituaient pas des règles qu'il était impératif de suivre; chaque cas devait plutôt être évalué de manière individuelle. Il a recommandé que Transports Canada étudie avec soin les besoins du demandeur et lui permette de disposer du temps additionnel ou des conditions requis, ou les deux, pour ne pas être avantagé ou désavantagé par rapport aux autres. Il a également déclaré que le Ministère devait être plus ou moins libéral quant au délai alloué en fonction de l'importance du facteur temps en tant qu'élément de l'examen.

[11]Transports Canada considérait le facteur temps comme un élément important de l'examen parce que les agents de soutien technique ont bien souvent à respecter un grand nombre de délais obligatoires. Par courriel daté du 21 février 2000, Mme Pharand a de nouveau convié le demandeur à passer l'examen pendant trois jours consécutifs en février:

[traduction] En réponse à votre courriel du 24 janvier 2000, je désire vous informer que nous avons discuté de vos sujets d'inquiétude avec la Commission de la fonction publique, ainsi qu'avec la division des relations de travail de Transports Canada, et qu'on a jugé suffisant le temps que nous vous allouons pour passer l'examen [. . .] Comme il a déjà été mentionné, veuillez noter que le temps alloué comprend le délai additionnel de 50 % prévu par les lignes directrices de la CFP pour l'évaluation des personnes handicapées. Les pauses qui vous seront nécessaires pendant l'examen ne seront pas prises en compte dans le calcul du délai accordé. Il vous faut terminer ce jour-là la partie de l'examen prévue pour un jour donné.

[12]Le demandeur a de nouveau refusé de passer l'examen, parce qu'il estimait que les mesures d'adaptation offertes ne lui permettaient pas de démontrer, en toute équité, ses connaissances et ses compétences. Transports Canada l'a informé qu'en raison de son refus de se présenter à l'examen, son nom serait retiré de la liste des candidats éventuels et sa demande ne serait plus prise en considération. En réponse à une demande de renseignements du demandeur, M. Eley a déclaré dans un courriel daté du 28 février qu'il lui fallait aller de l'avant avec l'opération de dotation en personnel et qu'il avait [traduction] «du mal à comprendre pourquoi aucune proposition n'avait été reçue quant aux conditions que vous jugez acceptables pour passer l'examen». À l'issue du concours, MM. Zanetti et Plouffe ont été nommés aux deux postes ouverts.

[13]Le demandeur a interjeté appel de la décision en vertu de l'article 21 de la LEFP, et la présidente du comité d'appel Monk a été désignée pour instruire l'appel. Par suite de l'audience, la présidente était convaincue que Transports Canada avait pris des mesures raisonnables pour tenir compte de la déficience du demandeur, et elle a rejeté l'appel. Elle a conclu que, puisque les contraintes de temps n'étaient pas arbitraires, il [traduction] «n'était pas déraisonnable pour le ministère de conclure qu'accorder à l'appelant un délai illimité dans le cadre d'une procédure de sélection ce serait l'avantager par rapport aux autres candidats, ce qui est contraire au principe de la sélection fondée sur le mérite». Elle estimait en outre que, dans son courriel du 24 janvier 2000, le demandeur n'avait pas fait part clairement au Ministère et avait omis de lui faire état des carences perçues dans les mesures d'adaptation qu'il proposait. De la sorte, il ne s'était pas acquitté de son obligation, prévue dans Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970, de faciliter la recherche d'un compromis acceptable.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[14]Le principe fondamental qui sous-tend les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique fédérale, énoncé au paragraphe 10(1) qui suit de la LEFP, est celui du mérite:

10. (1) Les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se font sur la base d'une sélection fondée sur le mérite, selon ce que détermine la Commission, et à la demande de l'administrateur général intéressé, soit par concours, soit par tout autre mode de sélection du personnel fondé sur le mérite des candidats que la Commission estime le mieux adapté aux intérêts de la fonction publique.

[15]L'article 21 prévoit un mécanisme permettant aux candidats non reçus d'en appeler d'une nomination. Voici les dispositions pertinentes de l'article 21:

21. (1) Dans le cas d'une nomination, effective ou imminente, consécutive à un concours interne, tout candidat non reçu peut, dans le délai fixé par règlement de la Commission, en appeler de la nomination devant un comité chargé par elle de faire une enquête, au cours de laquelle l'appelant et l'administrateur général en cause, ou leurs représentants, ont l'occasion de se faire entendre.

[. . .]

(2) Sous réserve du paragraphe (3), la Commission, après avoir reçu avis de la décision du comité visé aux paragraphes (1) ou (1.1), doit en fonction de celle-ci:

a) si la nomination a eu lieu, la confirmer ou la révoquer;

b) si la nomination n'a pas eu lieu, y procéder ou non.

[. . .]

(3) La Commission peut prendre toute mesure qu'elle juge indiquée pour remédier à toute irrégularité signalée par le comité relativement à la procédure de sélection.

(4) Une nomination, effective ou imminente, consécutive à une mesure visée au paragraphe (3) ne peut faire l'objet d'un appel conformément aux paragraphes (1) ou (1.1) qu'au motif que la mesure prise est contraire au principe de la sélection au mérite.

NORME DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

[16]La question en litige dans le cadre du présent appel nécessite d'évaluer l'approche adoptée par le comité d'appel face à l'obligation d'adaptation eu égard à l'article 10 de la LEFP. C'est là une question de droit, qui concerne l'interprétation qu'il convient de donner à des dispositions de la LEFP. Le comité d'appel n'ayant pas des compétences spécialisées très poussées dans le domaine, la norme de contrôle judiciaire appropriée est celle de la décision correcte. La justification en est énoncée dans Boucher c. Canada (Procureur général) (2000), 252 N.R. 186 (C.A.F.), au paragraphe 7:

Quant à la première question en litige, celle du traitement du facteur des connaissances par le comité de sélection, nous sommes d'avis qu'elle constitue une question de droit en ce qui a trait aux exigences du principe du mérite et nous considérons par conséquent que la décision du CACFP de confirmer ce procédé constituait également une question de droit. Nous ne sommes pas convaincus que nous devrions considérer que la CACFP est un tribunal qui possède une telle expertise en matière d'interprétation de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique que nous devrions faire preuve d'un haut degré de retenue à son égard quant à cette question. Le comité de sélection est un comité ad hoc. Nous concluons à cet égard que la norme de révision que la Section de première instance aurait dû appliquer est celle de la décision correcte.

La Cour d'appel fédérale a depuis confirmé dans Buttar c. Canada (Procureur général) (2000), 186 D.L.R. (4th) 101 (C.A.F.), à la page 107, que c'était bien là la norme de contrôle applicable.

ANALYSE

[17]La question de savoir si le comité d'appel a commis une erreur en concluant que la procédure de sélection suivie par le BST respectait le principe du mérite peut, comme suit, se diviser en sous-questions.

1.     Le comité d'appel a-t-il commis une erreur en interprétant incorrectement l'obligation d'adaptation?

[18]L'une des questions en litige entre les parties concerne la mesure dans laquelle un comité d'appel peut appliquer les principes en matière de droits de la personne pour décider si les mesures d'adaptation offertes au demandeur étaient raisonnables. Le demandeur soutient que le comité d'appel a commis une erreur de droit en ayant [traduction] «une conception appauvrie et inappropriée de l'obligation d'adaptation». Le comité d'appel aurait dû requérir que Transports Canada démontre qu'il était impossible, sans contrainte excessive, de tenir compte de la situation du demandeur. Or, aucun élément de preuve concret n'a été présenté à cet égard.

[19]Au soutien de sa prétention, le demandeur a fait référence à la décision de la Cour suprême du Canada dans Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3 (ci-après Meiorin), qui traitait de l'application à un organisme de service public du Human Rights Code, R.S.B.C. 1996, ch. 210 de la Colombie-Britannique. Dans des affaires concernant des plaintes de violation de lois sur les droits de la personne provinciales ou fédérales, la Cour suprême a déclaré à plusieurs reprises qu'il incombait à l'employeur de prendre des mesures raisonnables d'adaptation à la déficience d'un employé, tant qu'il n'en résultait pas une contrainte excessive. Se reporter à cet égard à Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpson-Sears Ltd. et autres, [1985] 2 R.C.S. 536, à Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489 et à Renaud, précité. Dans Meiorin, la Cour a reformulé la méthode devant servir à établir si une norme discriminatoire à première vue est ou non une exigence professionnelle justifiée (EPJ). Le demandeur fait valoir plus spécifiquement la troisième étape de la méthode (se reporter au paragraphe 54 de Meiorin), au sujet de laquelle la Cour a déclaré que l'employeur doit démontrer qu'il lui est «impossible», sans subir une «contrainte excessive» de composer avec la déficience de l'intéressé.

[20]Le défendeur soutient pour sa part que la LEFP ne confère pas à un comité d'appel de la CFP le pouvoir d'appliquer la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la LCDP) ou les principes régissant les lois sur les droits de la personne. Les questions de droit, comme celles concernant les limites de l'obligation d'adaptation et la contrainte excessive, échappent à la compétence d'un comité d'appel de la CFP et relèvent plutôt de celle de la Commission canadienne des droits de la personne, tel que le législateur fédéral en a décidé. Un comité d'appel n'a à traiter de la question de l'adaptation raisonnable qu'en regard de son incidence sur le principe du mérite. En outre, il doit aussi examiner si les mesures d'adaptation sont équitables pour les autres candidats prenant part au concours.

[21]Le droit d'appel prévu à l'article 21 vise à empêcher les nominations contraires au principe du mérite. Le comité d'appel est chargé d'établir si un processus de sélection particulier s'est ou non déroulé en conformité avec le principe du mérite. Se reporter à Charest c. Procureur général du Canada, [1973] C.F. 1217 (C.A.), à la page 1221, où la Cour a déclaré que le droit d'appel prévu à l'article 21 n'a pas pour but de protéger les droits de l'appelant, mais bien d'empêcher qu'une nomination enfreigne le principe du mérite.

[22]La question de l'applicabilité des principes en matière de droits de la personne à la procédure de dotation par concours s'est soulevée dans Canada (Procureur général) c. Girouard (2001), 202 F.T.R. 1 (C.F. 1re inst.), confirmé par [2002] 4 C.F. 538 (C.A.). Le juge McKeown a conclu dans Girouard, au paragraphe 35, qu'un comité d'appel avait commis une erreur en n'abordant pas la question de savoir si un aménagement raisonnable avait été fourni eu égard aux exigences du principe du mérite.

[23]Il découle manifestement de Girouard que la norme prévue dans Meiorin, précité, n'est pas un étalon de mesure approprié pour un appel fondé sur le principe du mérite. L'objet d'un appel en vertu de l'article 21 de la LEFP n'est pas de cerner les normes discriminatoires et d'établir si elles peuvent ou non se justifier. On vise plutôt par un tel appel à s'assurer que la nomination faite par un jury de sélection se fondait sur le principe du mérite. Le comité d'appel a pour rôle d'établir si les mesures d'adaptation offertes à l'intéressé lui permettaient de participer au concours sur un pied d'égalité avec les autres candidats. Ces mesures doivent être équitables non seulement pour l'intéressé, mais aussi pour les autres candidats.

[24]Cela étant dit, un cloisonnement trop étanche ne doit pas isoler les principes en matière de droits de la personne du principe de la sélection selon le mérite, ceux-ci pouvant être d'applicabilité restreinte dans le cadre d'un appel en vertu de l'article 21. Dans l'affaire Girouard, le comité d'appel avait commis une erreur en mettant son attention uniquement sur les principes en matière de droits de la personne et en faisant abstraction du principe du mérite (Girouard (C.F. 1re inst.), au paragraphe 32). Il n'y a cependant rien de mal à s'inspirer des principes en matière de droits de la personne, comme le juge Cullen l'a fait dans Schut c. Canada (Procureur général), [1998] A.C.F. no 806, (1re inst.) (QL), au paragraphe 14, du moment qu'on le fait dans le cadre d'une analyse appropriée fondée sur le principe du mérite. Les affaires de droits de la personne peuvent constituer une riche source jurisprudentielle où puiser, lorsqu'un comité d'appel ou un tribunal a à établir si on a fourni ou non à une personne un aménagement raisonnable eu égard aux principes du mérite.

[25]La présidente du comité d'appel Monk a examiné si les mesures d'adaptation offertes au demandeur avaient un caractère raisonnable eu égard au principe du mérite, tel que cela est requis. Ce faisant, elle n'a pas commis d'erreur en se fondant, comme le demandeur le prétend, sur «une conception appauvrie et inappropriée de l'obligation d'adaptation». La Cour recourra à la norme ici énoncée pour évaluer si Transports Canada s'est acquitté ou non de l'obligation de prévoir pour le demandeur des mesures d'adaptation raisonnables.

2.     Le comité d'appel a-t-il commis une erreur en concluant que Transports Canada s'était acquitté de son obligation de prévoir pour le demandeur des mesures d'adaptation raisonnables?

[26]Le demandeur soutient que la présidente du comité d'appel Monk a «passé sous silence», à tort, l'obligation positive de Transports Canada de prendre des mesures d'adaptation raisonnables. Le Ministère s'est trop fortement appuyé sur les lignes directrices de la CFP et n'a pas ajusté adéquatement les mesures d'accommodement selon les besoins spécifiques du demandeur.

[27]Le défendeur soutient pour sa part que le comité d'appel a conclu à bon droit que le Ministère avait pris des mesures raisonnables pour tenir compte de la déficience du demandeur. Les mesures d'adaptation offertes par Transports Canada étaient raisonnables, comme elles étaient conformes aux conseils reçus du médecin du demandeur, aux recommandations du CPP ainsi qu'aux lignes directrices de la CFP. Il était impossible de ne soumettre le demandeur à aucun délai, puisque le facteur temps était une composante pertinente de l'emploi. Le Ministère devait en outre s'assurer que les mesures d'adaptation n'avantagent pas le demandeur par rapport aux autres candidats.

[28]La souplesse, qui permet d'évaluer équitablement des candidats dont les besoins diffèrent, est une caractéristique essentielle du principe du mérite. Pour que le principe du mérite puisse s'appliquer de manière efficace, le ministère concerné doit être réceptif aux besoins particuliers des candidats individuels. Tel que le juge Campbell l'a déclaré dans Canada (Procureur général) c. Bates, [1997] 3 C.F. 132, (1re inst.), au paragraphe 40:

[. . .] en appliquant le principe du mérite, on doit être conscient de la réalité critique des faits de l'affaire et de la situation personnelle des personnes en cause et, au besoin, y réagir.

[29]La nécessité de faire preuve de souplesse dans l'application du principe du mérite ressort aussi des lignes directrices de la CFP. La seconde édition de celles-ci présente un certain nombre de lignes directrices générales devant aider les ministères lorsqu'ils ont à prendre des décisions en matière d'adaptation. On insiste sur le fait que les décisions doivent être prises au cas par cas, tel que le font voir la 3e et la 4e lignes directrices:

3. CONSIDÉRER CHAQUE CAS PARTICULIER

Compte tenu de la grande diversité, tant au niveau de la nature que de la gravité des déficiences et du moment où elles se manifestent, l'adaptation des examens réguliers et des conditions d'administration des examens doit se faire en tenant compte de chaque cas particulier afin de veiller à ce que l'évaluation soit bien adaptée à chacun des candidats et candidates.

4. S'ENTRETENIR AVEC LES CANDIDATS ET CANDIDATES AVANT L'ÉVALUATION

Avant de prendre toute décision quant aux adaptations nécessaires ou de prendre des dispositions pour l'organisation proprement dite de la séance d'évaluation, il convient d'obtenir le plus de renseignements pertinents possible sur les déficiences des candidats et candidates, avec tact et professionnalisme. En règle générale, ils et elles sont les mieux placés pour les fournir. Il serait donc opportun et utile de leur demander quelles modifications ou quels ajustements ont été apportés lors de séances d'évaluation antérieures.

[30]En l'espèce, Transports Canada s'est montré rigide dans l'application du principe du mérite et ne s'est pas acquitté de son obligation de prendre pour le demandeur des mesures d'adaptation raisonnables. La Cour reconnaît que Transports Canada a fait des efforts pour composer avec le demandeur et ne met pas en cause sur le fond la proposition du Ministère. La Cour s'inquiète plutôt de ce que le Ministère n'a pas procédé à une analyse sur mesure de la situation du demandeur. Il en est résulté que Transports Canada n'a pas véritablement compris ce qui était nécessaire pour tenir compte des besoins du demandeur, et ne pouvait ainsi savoir si les mesures proposées répondaient réellement à ceux-ci. Il est maintenant impossible pour la Cour, pour le même motif, d'établir dans quelle mesure les mesures d'adaptation proposées auraient permis au demandeur de concourir sur un pied d'égalité avec les autres candidats ou lui auraient conféré un avantage sur ceux-ci.

[31]Le défaut de Transports Canada de procéder à une analyse individuelle devient manifeste lorsqu'on fait ressortir les faits qui suivent. Premièrement, il n'y a aucune preuve du fait que Transports Canada ait consulté le CPP ou un spécialiste externe avant de faire sa première proposition de mesures d'adaptation le 19 janvier 2000. Le seul avis d'expert dont Transports Canada disposait à ce moment-là quant à la situation du demandeur, c'était la lettre du Dr Rabinovitch. Cette lettre fournissait de l'information uniquement sur les symptômes reliés à la SEP du demandeur et non sur ce que le Ministère devrait faire pour tenir compte de sa situation.

[32]Deuxièmement, le Ministère s'est trop fortement appuyé sur les lignes directrices de la CFP. Les communications internes par courrier informatique du début janvier 2000 du Ministère démontrent que celui-ci considérait à tort ces lignes directrices comme posant la limite de ce que les mesures d'adaptation devraient être. Lorsque Mme Pharand a proposé d'accorder au demandeur un délai additionnel de 100 %, on lui a notamment répondu de [traduction] «s'en tenir aux lignes directrices du CFP sur le temps alloué» et que les lignes directrices du CFP permettaient une prolongation de délai «maximale» de 50 %. La réponse de M. Hugh O'Connor constitue un bon exemple à ce propos:

[traduction] Selon le certificat de M. Tremblay, celui-ci est fortement handicapé par la fatigue; cela pourrait avoir des incidences sur sa capacité d'accomplir le travail.

La suggestion faite par la CFP d'accorder à un candidat 50 % plus de temps lorsque sa capacité de lire et d'écrire est restreinte pourrait ne pas être utile dans cette affaire. Faute de détails, toutefois, j'appuie votre proposition, dans la mesure où le temps additionnel alloué ne dépasse pas ce qui est prévu par les lignes directrices de la CFP, soit un maximum de 50 %.

Les ministères ne s'acquittent pas de leurs obligations en suivant tout simplement les recommandations énoncées dans les lignes directrices de la CFP. Il faut évaluer chaque situation au cas par cas, ce que Transports Canada n'a pas fait en l'espèce.

[33]Il n'y a pas suffisamment d'éléments de preuve pour que la Cour puisse conclure que les recommandations faites ont été approuvées par le CCP. Lorsqu'il a témoigné à l'audience du comité d'appel, M. Eley a déclaré que le Ministère avait demandé au CCP si ses propositions étaient raisonnables et que celui-ci avait répondu par l'affirmative (se reporter à la page 31 de la transcription). La seule preuve relative à l'opinion du CCP sur le sujet consiste en un courriel du 25 février 2000 transmis par M. Nadeau à Mme Pharand. Jamais dans ce courriel M. Nadeau ne donne son approbation aux mesures d'adaptation proposées. Ses recommandations ne traitaient pas de la situation personnelle du demandeur, ni des détails de la proposition du Ministère. Il a au contraire insisté sur la nécessité pour le Ministère d'étudier individuellement la situation du demandeur:

Il appartient donc au ministère d'étudier attentivement la situation du candidat ayant un handicap et d'accorder le temps supplémentaire et/ou les conditions appropriées pour que le candidat ne soit pas désavantagé (ou avantagé). De plus, les lignes directrices qui ont été édictées ne sont pas des règles à suivre comme telles; chaque cas doit être étudié individuellement. Dans votre prise de décision, il est important que vous déterminiez si le facteur temps est important et s'il est une indication du travail à être effectué. Si tel est le cas, on ne peut faire preuve d'autant de largesse que si le temps n'a aucun impact sur la démonstration des connaissances.

[34]Il n'y a aucune preuve du fait que le Ministère ait jamais suivi les conseils de M. Nadeau. Cela est particulièrement important parce que, comme on l'a déjà mentionné, aucun spécialiste n'a été consulté lorsqu'on a initialement mis au point les mesures d'adaptation proposées. Cela veut dire qu'aucun spécialiste n'a pris part à l'élaboration de ces mesures ni ne les a approuvées à quelque étape que ce soit. Dans l'affaire connexe T-1201-01, par contraste, le ministère concerné avait consulté le CPP ainsi qu'un neuropsychologue en vue de la conception des mesures d'adaptation. Un ministère ou un jury de sélection n'a pas à consulter un spécialiste externe à chaque fois qu'il y a un candidat handicapé. Il suffira dans certains cas de se fonder sur les lignes directrices de la CFP ou de consulter le CCP. Ce qui est essentiel, c'est que le jury de sélection fasse ce qui est nécessaire pour comprendre la situation du candidat et prenne les mesures requises en vue de l'adaptation appropriée à son handicap. Je ne suis pas convaincu que Transports Canada l'ait fait en l'espèce.

3.     Le comité d'appel a-t-il commis une erreur en concluant que l'examen de connaissances subi par le demandeur ne visait pas à évaluer son «aptitude à avoir un bon rendement sous la pression de délais serrés»?

[35]Le demandeur a soutenu devant le comité d'appel que Transports Canada avait fait inclure à tort comme exigence dans l'examen qu'un candidat ait un bon rendement sous la pression de délais serrés. Le demandeur a soutenu qu'il découlait de l'invitation reçue à passer l'examen écrit qu'il répondait déjà à ce critère, et que l'examen devait évaluer la composante connaissances de l'énoncé de qualités. L'allégation du demandeur se fonde sur les commentaires formulés dans un courriel que M. Eley lui a envoyé le 28 février 2000:

[traduction] Pour conclure, j'aimerais attirer votre attention sur l'énoncé de qualités, qui comporte comme exigence cotée l'«aptitude à avoir un bon rendement sous la pression de délais serrés». Ce facteur nous importe en raison du caractère opérationnel de notre travail et du grand nombre de délais obligatoires qu'il nous faut respecter.

[36]Transports Canada a rétorqué qu'elle n'aurait pu n'imposer aucun délai au demandeur et que sa proposition était raisonnable, compte tenu de la nécessité de trouver un candidat pouvant avoir un bon rendement en situation de délais serrés. Le Ministère estimait que le facteur temps était un élément nécessaire de l'examen, comme le candidat reçu aurait souvent à respecter des délais obligatoires dans le cadre de son travail.

[37]Le comité d'appel était d'avis que l'examen écrit visait à évaluer la composante connaissances des compétences du candidat, et que son «aptitude à avoir un bon rendement sous la pression de délais serrés» serait évaluée à une étape ultérieure. Le comité d'appel a conclu, par conséquent, que la candidature du demandeur n'avait pas été rejetée pour ce motif, puisque cette compétence n'avait pas encore fait l'objet d'évaluation. Le passage pertinent de la décision du comité d'appel est son paragraphe 32:

[traduction] La dernière allégation de l'appelant (l'allégation 7) concerne l'«aptitude à avoir un bon rendement sous la pression de délais serrés», une qualité personnelle requise selon l'énoncé de qualités pour l'un et l'autre postes. Le libellé de l'allégation de l'appelant laisse croire que ce dernier présumait à tort que satisfaire aux critères concernant les études et l'expérience suffisait pour démontrer qu'il respectait aussi le critère lié à cette aptitude. L'appelant n'a toutefois jamais été évalué relativement à celle-ci. J'estime que M. Eley a formulé un commentaire inapproprié, dans le courriel du 28 février 2000 transmis à l'appelant, lorsqu'il a soulevé la question de cette aptitude requise. Si l'appelant avait passé l'examen écrit, le jury de sélection aurait été tenu d'évaluer le respect par lui de ce critère, comme il devait le faire pour tous les autres candidats. Comme l'appelant n'a pas été évalué relativement à ce critère, rien ne permet de présumer qu'il y aurait ou non satisfait. L'allégation est sans fondement et elle est elle aussi rejetée.

[38]Il n'y a pas suffisamment d'éléments de preuve pour conclure que le comité d'appel a commis une erreur à cet égard. La preuve présentée à la Cour était incomplète sur ce point et je ne peux affirmer avec précision à quelle étape cette compétence devait être évaluée. La Cour s'en rapporte à la conclusion du comité d'appel sur cette question.

[39]La conclusion du comité d'appel fait également se soulever une intéressante question secondaire dont on a traité à l'audience relative à la présente demande. La suite logique du raisonnement du comité d'appel c'est que, si l'examen écrit ne visait pas à évaluer l'«aptitude à avoir un bon rendement sous la pression de délais serrés» du demandeur, ce n'était donc pas là d'un motif légitime pour que Transports Canada restreigne le délai accordé au demandeur. Cela ne veut pas dire que l'examen écrit n'aurait pu servir à évaluer cette compétence, mais plutôt qu'il n'avait pas été conçu à cette fin dans le cadre de ce concours. Il importe également de souligner que Transports Canada avait le droit de restreindre le délai du demandeur pour d'autres motifs, y compris pour être équitable à l'endroit des autres candidats.

4.     Le comité d'appel a-t-il commis une erreur en concluant que le demandeur ne s'était pas acquitté de son obligation de faciliter la recherche d'un compromis raisonnable?

[40]Le comité d'appel a également conclu que le demandeur ne s'était pas acquitté de son obligation de faciliter la recherche d'un compromis convenable, tel que Renaud, précité, le requiert. Le juge Sopinka a décrit cette obligation en ces termes, aux pages 994 et 995:

Pour faciliter la recherche d'un compromis, le plaignant doit lui aussi faire sa part. À la recherche d'un compromis raisonnable s'ajoute l'obligation de faciliter la recherche d'un tel compromis. Ainsi, pour déterminer si l'obligation d'accommodement a été remplie, il faut examiner la conduite du plaignant.

Cela ne signifie pas qu'en plus de porter à l'attention de l'employeur les faits relatifs à la discrimination, le plaignant est tenu de proposer une solution. Bien que le plaignant puisse être en mesure de faire des suggestions, l'employeur est celui qui est le mieux placé pour déterminer la façon dont il est possible de composer avec le plaignant sans s'ingérer indûment dans l'exploitation de son entreprise. Lorsque l'employeur fait une proposition qui est raisonnable et qui, si elle était mise en oeuvre, remplirait l'obligation d'accommodement, le plaignant est tenu d'en faciliter la mise en oeuvre. Si l'omission du plaignant de prendre des mesures raisonnables est à l'origine de l'échec de la proposition, la plainte sera rejetée. L'autre aspect de cette obligation est le devoir d'accepter une mesure d'accommodement raisonnable. C'est cet aspect que le juge McIntyre a mentionné dans l'arrêt O'Malley. Le plaignant ne peut s'attendre à une solution parfaite. S'il y a rejet d'une proposition qui serait raisonnable compte tenu de toutes les circonstances, l'employeur s'est acquitté de son obligation.

[41] Le comité d'appel a conclu à juste titre que le demandeur aurait pu faire davantage pour faciliter la recherche d'un compromis. Bien que le demandeur ait fait part à Transports Canada des faits concernant sa déficience et qu'il lui ait donné une idée générale des mesures d'adaptation qui seraient nécessaires, lorsqu'on lui a présenté les propositions initiales du ministère, il n'a pas profité de l'occasion pour formuler des suggestions quant au type de mesures d'adaptation qui répondraient à ses besoins. Dans son courriel du 24 janvier 2000, il a essentiellement répété les symptômes dont il était affligé parce qu'il avait la SEP. Le demandeur, comme seules suggestions concrètes, a demandé qu'on lui accorde de fréquentes pauses et qu'on ne tienne pas compte du temps requis pour dactylographier dans le calcul du délai imparti. Le demandeur aurait pu déclarer plus explicitement au Ministère pourquoi il estimait sa proposition entachée de lacunes et suggérer des solutions pour corriger celles-ci.

[42] Le demandeur aurait notamment pu faciliter la recherche d'un compromis en étant plus ouvert au sujet des mesures d'adaptation prises à son égard par l'Université d'Ottawa lorsqu'il y étudiait en vue d'obtenir une maîtrise en administration des affaires. On peut le constater par un échange entre la présidente du comité d'appel Monk et le demandeur relativement à l'allégation de ce dernier selon laquelle Transports Canada ne s'était pas renseigné au sujet de modifications ou d'adaptations effectuées dans des situations antérieures d'examen (à la page 12 de la transcription):

[traduction]

Monk: Pourriez-vous me donner de l'information à ce sujet?

Tremblay: Il n'y a pas eu de consultation. On en revient à l'analyse individuelle; si on m'avait approché, j'aurais pu faire état d'évaluations antérieures effectuées différemment, comme dans le cadre de mes études supérieures à l'Université d'Ottawa. Une analyse individuelle aurait révélé cette information, mais le ministère ne m'a jamais approché.

Monk: Pourquoi ne leur avez-vous pas fait part de cette information? En disant, par exemple, pendant mes études supérieures à l'Université d'Ottawa, j'ai été évalué de telle manière, ou selon la méthode X. Pourquoi n'avez-vous pas communiqué cette information au ministère?

Tremblay: Parce que cela fait partie d'une analyse individuelle. Si le ministère m'avait approché, j'aurais pu décrire les évaluations et les mesures d'adaptation dont j'avais fait l'objet dans le passé. Je voulais voir si le ministère allait suivre les Lignes directrices.

Monk: Et vous avez décidé de ne pas prendre les devants?

Tremblay: J'ai pris les devants.

Monk: Vous n'avez pas présenté de vous-même cette information sans qu'on vous la demande.

Tremblay: Je ne croyais pas dissimuler de l'information.

Monk: Je ne dis pas que vous la dissimuliez, mais que vous ne l'avez pas présentée de vous-même. Je veux dire, ce que je comprends jusqu'à maintenant c'est que vous n'avez pas dit; non, je veux dire qu'à la lecture de vos courriels, il ne ressort jamais que vous ayez dit, par exemple, qu'on avait tenu compte de vos besoins dans d'autres situations, comme pendant vos études supérieures, en recourant à telle ou telle méthode qui pourrait être appropriée dans le cas présent.

Tremblay: C'est vrai.

Monk: Et vous pensiez qu'il ne vous incombait pas de donner cette information à moins qu'on vienne vous évaluer de manière individuelle?

Tremblay: C'est ce que les Lignes directrices leur disent de faire.

Monk: Donc on en revient à un défaut de suivre les Lignes directrices?

Tremblay: C'est exact.

Monk: Mais s'il s'agit d'établir comment s'adapter à une personne ayant une déficience de façon à ce qu'elle soit évaluée équitablement, j'imagine que je dois alors me demander qui doit s'acquitter de cette tâche. Le ministère en a-t-il seul le fardeau, ou n'incombe-t-il pas dans une certaine mesure à la personne évaluée de l'informer qu'elle a besoin de ceci ou de cela, ou que les mesures prises ne sont pas appropriées? Je dois me poser ces questions.

Tremblay: Oui, c'est exact. J'ai continuellement pressé le ministère.

[43] Le témoignage du demandeur donne l'impression que ce dernier estimait de la seule responsabilité du Ministère de l'approcher pour obtenir l'information requise. Idéalement, la recherche d'un compromis devrait se faire dans un esprit de coopération, et le demandeur aurait dû faciliter le processus en étant ouvert dans sa communication d'information au Ministère.

[44] Quoi qu'il en soit, dans Renaud, la Cour suprême a principalement fait reposer sur l'employeur le fardeau de concevoir et de mettre en oeuvre des mesures d'adaptation. La recherche d'un compromis a principalement échoué en l'espèce parce que Transports Canada n'a pas fait le nécessaire pour connaître le détail de la situation du demandeur. Par suite, le principe du mérite n'a pas été respecté et un nouveau concours est requis pour les postes concernés.

DÉCISION

[45] La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de la présidente du comité d'appel Monk est annulée. L'affaire est renvoyée à la CFP pour qu'elle constitue un nouveau jury de sélection devant procéder à un nouveau concours (numéros de concours 99-MOT-CC-OTT-024854 et 99-MOT-CC-OTT-024853). Étant donné les succès partagés des parties dans les affaires T-1958-00 et T-1201-01, aucuns dépens ne seront adjugés.

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