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2003 CF 859

IMM-2819-02

Galina Borisova et al. (demandeurs)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (défendeur)

et

IMM-2280-03

Prem Samel Satya Dass (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (défendeur)

et

IMM-2282-03

Gurmit Singh Anand (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (défendeur)

et

IMM-2286-03

Mohsen Rasolzadeh (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (défendeur)

Répertorié: Borisova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.F.)

Cour fédérale, juge Gibson--Toronto, le 17 juin; Ottawa, 10 juillet 2003.

Citoyenneté et Immigration -- Pratique en matière d'immigration -- Traitement de demandes de résidence permanente déposées avant le 31 décembre 2001 et non traitées avant le 31 mars 2003 -- Loi et Règlement sur l'immigration abrogés en juin 2002 et remplacés par la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR) et son règlement -- Explication tirée du résumé de l'étude d'impact de la réglementation (REIR) concernant la nécessité d'apporter des changements draconiens au régime de réglementation -- Concept de «profession envisagée» désuet -- Recherche par le Canada d'immigrants en mesure de faire une contribution économique importante à la société canadienne -- Décision du Comité permanent de la Chambre des communes d'appliquer les anciens critères à l'arriéré des demandes jusqu'au 31 mars 2003 -- Aucun engagement de la part du ministère d'éliminer l'arriéré des demandes -- Quelque 104 000 demandes non traitées à la date limite bien que, dans bon nombre de cas, les fonctionnaires aient disposé des renseignements nécessaires pour prendre leur décision -- Le ministre a commencé à rejeter les demandes de ces personnes en appliquant les nouveaux critères -- Directive émise par la Cour, de la nature d'une injonction, afin que le ministre s'abstienne de procéder à d'autres rejets en attendant un nouvel ordre de la Cour.

Droit administratif -- Contrôle judiciaire -- Injonctions -- Traitement de demandes de résidence permanente déposées avant le 31 décembre 2001 et non traitées au 31 mars 2003 -- Modification draconienne apportée aux critères d'acceptation dans la nouvelle Loi -- Décision du Comité permanent de la Chambre des communes d'appliquer les anciens critères à l'arriéré des demandes jusqu'au 31 mars 2003 -- Non-engagement du Ministère à éliminer l'arriéré à la date limite, quelque 104 000 demandes toujours non traitées -- Dans bon nombre de cas, les fonctionnaires avaient tous les renseignements nécessaires pour rendre leur décision -- Le ministre a commencé à rejeter les demandes faisant partie de l'arriéré en utilisant les nouveaux critères -- En vertu de l'art. 18(1) et (3) de la Loi sur la Cour fédérale, la Section de première instance a le pouvoir de décerner des injonctions ou des brefs de prohibition contre un office fédéral -- L'ordre de s'abstenir est de la nature d'une injonction -- Le MCI est un office fédéral -- En vertu de l'art. 18.2, l'ordre de s'abstenir est une «mesure provisoire» -- Bien que les nouvelles règles régissant les recours collectifs ne s'étendent pas aux demandes de contrôle judiciaire, on demande une directive pour que les demandes soient instruites comme des actions -- Il faudra du temps avant que la Cour puisse décider de l'autorisation d'un recours collectif en l'espèce -- Cela ne devrait pas jouer au détriment des membres de la catégorie présumée -- Mesure provisoire essentielle pour préserver l'intégrité du groupe -- La compétence d'origine législative de la Cour ne doit pas être interprétée de façon restrictive -- La question n'est ni futile ni vexatoire étant donné que le seuil applicable aux injonctions est respecté -- La question n'est pas théorique -- Préjudice irréparable causé aux personnes venant de pays du «Tiers Monde» à qui on refuse l'immigration au Canada -- Prépondérance des inconvénients appliquée en faveur des demandeurs -- Aucune réparation accordée aux personnes ayant déposé leurs demandes après 2001 étant donné qu'il n'y a pas d'espoir raisonnable que les demandes soient traitées en vertu des anciens critères -- Aucune réparation accordée en l'espèce pour les demandes déjà rejetées selon les nouveaux critères -- Ordonnance rendue enjoignant au MCI de s'abstenir de rejeter de façon définitive les demandes des membres de la catégorie présumée tant qu'un nouvel ordre de la Cour ne sera pas rendu.

Pratique -- Recours collectifs -- Abrogation de l'ancienne Loi sur l'immigration; la nouvelle Loi et le nouveau Règlement modifient de façon draconienne les critères d'acceptation -- Application des anciens critères à l'arriéré des demandes jusqu'à une certaine date limite -- Non-engagement du Ministère à éliminer l'arriéré avant la date limite -- Une mesure provisoire sous forme d'un ordre de s'abstenir doit-elle être rendue à l'encontre du MCI -- Cette mesure peut-elle s'étendre aux membres de la catégorie présumée qui ne se trouvent pas devant la Cour -- Règles de la Cour fédérale régissant les recours collectifs non applicables aux demandes de contrôle judiciaire, mais directive recherchée pour que les demandes en l'espèce soient instruites comme des actions -- Il faudra beaucoup de temps avant que la Cour soit en mesure de décider de l'autorisation du recours collectif en l'espèce en raison du très grand nombre de demandeurs et d'avocats, et de l'inexpérience de la Cour à l'égard des règles régissant les recours collectifs -- En l'absence d'une législation complète en matière de recours collectif, les tribunaux doivent s'en remettre à la gestion des dossiers judiciaires pour structurer la procédure -- Ceci est coûteux en termes de ressources judiciaires, et prive les parties de toute certitude quant à leurs droits procéduraux -- Les règles de la C.F. régissant les recours collectifs ne favorisent pas une procédure simple lorsque les parties, en raison de la réparation recherchée, procèdent par voie de contrôle judiciaire -- Les règles régissant les recours collectifs prévoient que le juge peut, à tout moment, ordonner à une partie de donner un avis afin d'assurer la conduite équitable de l'instance -- L'avis peut être donné avant l'autorisation -- Aucune réparation accordée aux personnes dont la demande a déjà été rejetée et qui auraient pu faire partie de la catégorie présumée.

L'ordonnance de la Cour recherchée en l'espèce aura des répercussions sur environ 104 000 personnes qui ont déposé des demandes de résidence permanente avant l'abrogation de la Loi sur l'immigration et du Règlement sur l'immigration de 1978, en juin 2002. Le résumé de l'étude d'impact de la réglementation (REIR) traitant de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et son règlement explique les changements plutôt draconiens apportés au système de réglementation. Les modifications apportées au programme sont rendues nécessaires parce que dans l'économie moderne et dynamique du Canada, le concept de «profession envisagée» devient de plus en plus désuet. Dans une «économie basée sur la connaissance», une liste statique de «professions en demande» n'est pas en mesure de répondre aux besoins actuels. Le nouveau modèle de sélection a été conçu pour identifier les immigrants «qui seront en mesure de faire une contribution économique importante à la société canadienne». Auparavant, les critères de sélection favorisaient les immigrants ayant fait des études universitaires, mais l'histoire révèle que ce sont les travailleurs qualifiés qui ont réussi mieux, non seulement que les autres immigrants, mais aussi que le travailleur canadien moyen. Le fait que les travailleurs qualifiés immigrants des années 1990 aient moins bien réussi que ceux qui sont arrivés dans les années 1980 pourrait s'expliquer en partie par le système de sélection inadapté.

En raison des inquiétudes exprimées au Comité permanent de la citoyenneté et l'immigration de la Chambre des communes, il a été décidé que les anciens critères s'appliqueraient aux demandes faisant partie de l'arriéré jusqu'au 31 mars 2003; cependant, comme l'a constaté le juge Kelen dans la décision Dragan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), le Ministère n'a pris «aucun engagement en vue d'examiner les demandes à traiter en priorité de façon à éliminer cet arriéré». Aucune des demandes d'immigration des membres de la catégorie présumée n'a finalement été traitée avant le 31 mars 2003, même s'il a été admis, en contre-interrogatoire, que dans bon nombre de cas le ministre et ses délégués disposaient de tous les renseignements leur permettant de rendre une décision finale sans avoir à consacrer beaucoup plus de temps et d'effort pour régler chacun de ces cas. Le ministre a maintenant commencé à rejeter certaines des demandes des membres de la catégorie présumée.

Jugement: une directive de la nature d'une injonction, devrait être donnée pour enjoindre au ministre de s'abstenir de rejeter de façon définitive les demandes des membres de la catégorie, à l'exception de ceux qui consentent par écrit à ce rejet définitif, en attendant un nouvel ordre de la Cour.

Les paragraphes 18(1) et (3) de la Loi sur la Cour fédérale donnent à la Section de première instance compétence pour décerner une injonction et des brefs de prohibition à l'encontre de tout office fédéral dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire. L'ordre de s'abstenir est de la nature d'une injonction et le ministre est un «office fédéral». Les demandes en l'espèce sont des demandes de contrôle judiciaire. L'ordre de s'abstenir est une «mesure provisoire» prévue à l'article 18.2 de la Loi.

La première question à décider est de savoir si une mesure provisoire prise en vertu de l'article 18.2 de la Loi peut viser un groupe dont bon nombre des membres ne se trouvent pas à l'heure actuelle devant la Cour. La deuxième question est de savoir si une telle ordonnance est justifiée.

Avec l'approbation du gouverneur en conseil, les règles régissant les recours collectifs ont été ajoutées en 2002 aux Règles de la Cour fédérale (1998). Ces règles régissant «les recours collectifs instruits comme une action» et ne s'étendent pas aux demandes de contrôle judiciaire collectives. Toutefois, les demandeurs ont réclamé une directive pour que les demandes de contrôle judiciaire soient traitées et instruites comme des actions. La Cour est d'avis que l'autorisation doit être accordée pour qu'une telle directive soit rendue. L'autorisation a été accordée dans une de ces demandes, soit l'affaire Borisova. Les formalités suivent leur cours afin que les demandes d'autorisation soient mises en état pour les trois autres affaires dont la Cour est saisie. Pour un certain nombre de raisons, il s'écoulera pas mal de temps avant qu'une décision concernant l'autorisation d'un recours collectif puisse être rendue. Ces raisons incluent les suivantes: le nombre de procédures intentées par des avocats de Toronto, de Montréal, d'Edmonton et de Vancouver, le nombre de demandeurs faisant partie de la catégorie présumée et la difficulté de communiquer avec eux, de même que l'expérience très limitée qu'a la Cour de l'application de ses règles régissant les recours collectifs. Mais ces réalités ne devraient pas jouer au détriment des membres de la catégorie présumée. Qui plus est, la Cour doit en même temps tenir compte de l'intérêt public qui est mentionné dans le résumé de l'étude d'impact de la réglementation.

Dans l'arrêt Western Canadian Shopping Centres Inc. c. Dutton, la Cour suprême du Canada a déclaré qu'en l'absence d'une législation complète régissant les recours collectifs, les tribunaux sont contraints de s'en remettre en grande partie à la gestion de dossiers judiciaires individuels pour structurer le recours collectif, ce qui est coûteux en termes de ressources judiciaires et ce qui prive les parties de toute certitude avant l'instance quant à leurs droits procéduraux. Bien que la Cour fédérale ait maintenant adopté des règles régissant les recours collectifs qui prévoient une procédure d'autorisation, ces règles ne favorisent pas une procédure simple et directe lorsque les parties, du fait de certaines ou de la totalité des réparations qu'elles réclament, doivent procéder par voie de contrôle judiciaire. Afin de protéger l'intégrité du groupe, il est impératif que la Cour ordonne des mesures provisoires. Il existe un précédent permettant à la Cour de rejoindre les parties qui ne comparaissent pas devant elle. Dans l'arrêt Canadian Liberty Net, la Cour suprême, faisant référence à l'article 44 de la Loi sur la Cour fédérale, déclare que «la théorie de la compétence inhérente ne justifie pas d'interpréter restrictivement les lois fédérales conférant compétence à la Cour fédérale».

Trois conditions doivent être respectées pour rendre une ordonnance de la nature d'une injonction: 1) il doit y avoir une question sérieuse à juger; 2) il y aura un préjudice irréparable si l'ordonnance n'est pas accordée; 3) la prépondérance des inconvénients. Le seuil concernant l'établissement d'une question sérieuse à juger est bas. La partie requérante n'a plus à établir une apparence de droit suffisante, et il suffit de convaincre la Cour que la question n'est ni futile ni vexatoire. La Cour d'appel fédérale a statué que ce seuil bas s'applique à des affaires où sont en jeu des questions d'intérêt public: North American Gateway Inc. c. Canada (CRTC). Cette norme est applicable en l'espèce, le défendeur étant une partie investie de l'intérêt public. Il y a lieu d'établir une distinction avec la décision Dragan sur le plan du caractère théorique étant donné que dans cet appel la demande de visa d'immigrant de chaque demandeur avait fait l'objet d'une décision définitive avant la date limite.

Pour ce qui est du préjudice irréparable, la privation de la possibilité d'immigrer au Canada en provenance d'un pays du «Tiers Monde» pourrait être considérée par beaucoup de personnes comme ne pouvant être compensée par des dommages-intérêts. Bon nombre des membres de la catégorie présumée verraient leurs chances de succès réduites si leur demande était analysée en vertu des nouveaux critères. Si l'ordre de s'abstenir n'était pas donné, la majorité, sinon la totalité des membres de la catégorie présumée subiraient un préjudice irréparable.

Quant à la question de la prépondérance des inconvénients, bien que le ministre ait l'obligation d'appliquer le droit qui est en vigueur à l'heure actuelle, il avait la même obligation envers les membres de la catégorie présumée depuis la date du dépôt de leur demande d'immigration jusqu'à ce que la Loi, telle qu'elle leur était appliquée, soit modifiée après la date limite. L'intérêt public favorable aux membres de la catégorie présumée, jumelé aux intérêts privés des membres de cette catégorie, l'emporte sur l'intérêt public qu'il y a à s'assurer que le ministre s'acquitte dans un délai raisonnable, de ses obligations législatives et réglementaires actuelles jusqu'à ce que l'instance qui se trouve devant la Cour soit réglée de façon définitive.

Les règles de la Cour régissant les recours collectifs disposent qu'un juge peut, à tout moment, ordonner à une partie de donner tout avis qu'il estime nécessaire à la protection des intérêts d'un membre du groupe ou d'une partie ou à la conduite équitable de l'instance. Les mots «à tout moment» utilisés au paragraphe 299.37(1) des Règles devraient recevoir une interprétation libérale et ne pas être limités à une étape ultérieure à l'autorisation d'un recours collectif ou à l'obtention de l'autorisation de toutes les demandes de contrôle judiciaire.

Toute réparation devrait être refusée aux personnes qui ont présenté une demande d'immigration après décembre 2001, mais avant le 28 juin 2002 (date à laquelle la LIPR et le RIPR sont entrés en vigueur). La preuve dont est saisie la Cour démontre qu'une version préliminaire du RIPR, publié à la mi-décembre 2001, établissait clairement que les personnes qui présenteraient une demande après la fin de l'année seraient évaluées en vertu du nouveau régime. Les personnes qui ont présenté leur demande après 2001 n'avaient aucun espoir raisonnable de voir leur demande évaluée en vertu de l'ancienne loi et de l'ancien règlement; de plus, aucune réparation ne peut être accordée, dans le cadre de la présente demande, aux personnes dont la demande a déjà été rejetée en vertu des nouveaux critères et qui auraient pu faire partie de la catégorie présumée. La Cour ne fait aucune observation sur la question de savoir si ces personnes pourraient demander des réparations devant elle ou devant tout autre tribunal en ayant recours à une autre forme de procédure.

La Cour n'est pas dans une position pour formuler des directives sur la façon dont on pourrait communiquer avec les membres de la catégorie présumée. Une proposition concernant des directives appropriées pourrait être faite devant le juge responsable de la gestion de l'instance.

lois et règlements

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6.

Loi de 1992 sur les recours collectifs, L.O. 1992, ch. 6, art. 19(1).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18(1) (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4), (3) (mod., idem), 28 (mod., idem, art. 8), 18.1 (édicté, idem, art. 5), 18.2 (édicté, idem), 18.4(2) (édicté, idem), 44, 46(1) (mod., idem, art. 14).

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172.

Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227.

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règles 299.1 (édictée par DORS/2002-417, art. 17), 299.2 (édicté, idem), 299.3 (édicté, idem), 299.4 (édicté, idem), 299.37(1) (édicté, idem), 385(1), 397(2).

jurisprudence

décisions appliquées:

Dragan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2003), 224 D.L.R. (4th) 739; 227 F.T.R. 272 (C.F. 1re inst.); Kanes c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 69 F.T.R. 48 (C.F. 1re inst.); Lewis v. Shell Canada Ltd. (2000), 48 O.R. (3d) 612 (C.S.); Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626; (1998), 157 D.L.R. (4th) 385; 6 Admin. L.R. (3d) 1; 22 C.P.C. (4th) 1; 224 N.R. 241; North American Gateway Inc. c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes) (1997), 47 Admin. L.R. (2d) 24; 74 C.P.R. (3d) 156; 214 N.R. 146 (C.A.F.).

distinction faite d'avec:

Dragan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CAF 233; [2003] A.C.F. no 813 (C.A.) (QL).

décision examinée:

Western Canadian Shopping Centres Inc. c. Dutton, [2001] 2 R.C.S. 534; (2000), 286 A.R. 201; 201 D.L.R. (4th) 385; [2002] 1 W.W.R. 1; 94 Alta. L.R. (3d) 1; 8 C.P.C. (5th) 1; 272 N.R. 135.

DEMANDES de mesures provisoires au nom de quelque 104 000 personnes qui pourraient faire partie d'un recours collectif proposé, afin que leurs demandes de résidence permanente soient traitées conformément à la Loi sur l'immigration et à son règlement d'application maintenant abrogés. Demandes accueillies en partie.

ont comparu:

Dan Miller pour les demandeurs (IMM-2280-03).

Ronald Foerster, Lorne Waldman et Adam M. Dodek pour les demandeurs (IMM-2282-03, IMM-2280-03 and IMM-2286-03).

Urszula Kaczmarczyk, Marie Louise Wcislo pour le défendeur.

Dennis Tanck (IMM-2283-03) pour l'intervenant.

Lawrence Wong (IMM-2685-03) pour l'intervenant.

Richard Kurland (IMM-2117-03) pour l'inter-venant.

Lorri M. Adams (IMM-2117-03) observatrice.

Elaine Doyon (IMM-2213-03) observatrice.

Darrah McManamon (IMM-2434-03) observatrice.

Cheryl D. Mitchell observatrice.

David W. Tyndale observateur.

Helen Park observatrice.

avocats inscrits au dossier:

Dan Miller, Toronto, pour les demandeurs (IMM-2280-03).

Lorne Waldman, Toronto, pour les demandeurs.

Ronald Foerster, Adam M. Dodek et Borden Ladner Gervais LLP, Toronto, pour les demandeurs

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Dennis Tanck, Vancouver, pour l'intervenant.

Richard Kurland, Kurland Tobe, Vancouver, pour l'intervenant.

Lawrence Wong, Vancouver, pour l'intervenant.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance et l'ordonnance rendus par

Le juge Gibson:

INTRODUCTIO

[1]Le mardi 17 juin 2003, la Cour a examiné les demandes de mesures provisoires se rapportant aux dossiers identifiés dans l'intitulé qui précède les présents motifs. L'audience s'est tenue à Toronto, avec des liaisons vidéo avec Montréal, Edmonton et Vancouver. Avec le consentement des avocats qui ont comparu devant la Cour, trois avocats à Vancouver ont fait de brèves interventions au nom de leurs clients. L'avocat des demandeurs Borisova a été autorisé à débattre la requête de ses clients en leur nom et au nom des demandeurs qui ont intenté six autres procédures semblables devant la présente Cour. En tout, l'audience peut avoir eu des effets sur quelque 6 000 demandeurs devant la Cour. L'auteur d'un affidavit déposé au nom du défendeur estime que l'ordonnance rendue à l'issue de l'audience aura des répercussions sur environ 104 000 personnes qui demandent des visas en vue d'être admis au Canada de façon permanente1.

[2]À l'issue de l'audience, la Cour a indiqué aux avocats qu'une ordonnance reflétant le résultat de celle-ci serait rendue de toute urgence pour protéger l'intégrité de la ou des catégories de personnes cherchant à immigrer au Canada qui sont touchées par cette ordonnance. La Cour a également indiqué que les motifs de cette ordonnance suivraient.

[3]Par conséquent, une ordonnance a été rendue le vendredi 20 juin 2003. Les paragraphes importants de cette ordonnance sont les suivants:

[traduction]

1.     La Cour enjoint au ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le défendeur) de s'abstenir de rejeter de façon définitive les demandes de résidence permanente déposées avant le 1er janvier 2002 par des demandeurs de la catégorie économique qui demandent des visas d'immigrant et qui n'ont pas reçu d'avis qu'une décision a été prise à cet égard avant la date de la présente ordonnance, à l'exception de ceux qui informent par écrit le défendeur qu'ils consentent à ce rejet définitif. Cette directive demeurera en vigueur jusqu'à nouvel ordre de la présente Cour.

2.     La Cour enjoint de plus au défendeur de faire parvenir aux personnes dont les demandes de visas d'immigrant sont visées par le paragraphe 1 de la présente ordonnance un avis, dans la langue dans laquelle le défendeur a jusqu'ici communiqué avec elles, reprenant substantiellement la forme de l'Annexe A joint à la présente ordonnance, en excluant la rubrique de cette annexe intitulée «Date d'audition prévue» et le paragraphe qui s'y rattache. Les avocats qui ont participé ou fait des observations à l'audience à l'issue de laquelle la présente ordonnance est rendue s'efforceront de s'entendre sur la forme que doit prendre cet avis dans les dix (10) jours suivant la date de la présente ordonnance et par la suite remettront sans délai le modèle convenu à la Cour pour approbation. Au cas où les parties ne pourraient s'entendre sur la forme de l'avis dans le délai imparti, l'avocat du défendeur signalera sans retard à la Cour les points d'entente quant à la forme de l'avis, ainsi que les désaccords et des propositions de rechange. Par la suite, une autre ordonnance de la Cour sera rendue pour fixer la forme de l'avis.

3.     À tous autres égards, les requêtes entendues par la Cour le 17 juin 2003 dans le cadre de ces instances sont rejetées2.

[4]Bien que l'ordonnance semble, sur le fond, accorder des réparations considérables en faveur des personnes qui demandent à immigrer au Canada, et constituer un fardeau permanent assez lourd pour le défendeur, ses conditions ne sont pas aussi larges ou généreuses que ce que réclamaient certains des demandeurs. L'ordonnance tente également de fournir un mécanisme par lequel les personnes qui demandent à entrer au Canada et qui sont maintenant, pour quelle que raison que ce soit, prêtes à renoncer à cette ambition, du moins pour le moment, peuvent «choisir de ne pas être touchées» par l'effet permanent de l'ordonnance, soit inconditionnellement, soit aux conditions convenues entre le défendeur et elles-mêmes.

[5]Voici les motifs de l'ordonnance qui a été rendue.

CONTEXTE

[6]Quand les personnes demandant à immigrer au Canada qui sont visées par l'ordonnance de la Cour (la catégorie présumée) et d'autres personnes à l'égard desquelles on demande réparation ont déposé leur demande de résidence permanente, la Loi sur l'immigration3 récemment abrogée (l'ancienne Loi) et le règlement correspondant, soit le Règlement sur l'immigration de 19784 (le Règlement de 1978), étaient encore en vigueur. Le 28 juin 2002, la Loi et le Règlement de 1978 ont été abrogés et remplacés par la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés5 (la LIPR) et le Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés6 (le RIPR).

[7]Le résumé de l'étude d'impact de la réglementation7, traitant de la LIPR et du RIPR, explique, aux pages 214 à 216 du volume cité, les changements plutôt draconiens qui ont été apportés au système de réglementation et qui ont des effets sur la catégorie présumée dans les termes suivants:

VIII--TRAVAILLEURS QUALIFIÉS--PARTIE 6, SECTION 1 ET PARTIE 20, SECTION 11

Description

Le paragraphe 12(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR) prévoit la sélection d'immigrants dans la catégorie «immigration économique» en fonction de leur capacité de s'établir au Canada. Ces dispositions réglementaires créent cette catégorie d'immigration économique, qui comprend les catégories suivantes: les travailleurs qualifiés (fédéral), les travailleurs qualifiés (Québec), les travailleurs autonomes, les investisseurs, les entrepreneurs et les candidats des provinces. Les dispositions réglementaires concernant la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) établissent les critères de sélection et le poids à accorder à chacun des facteurs de sélection. Sous réserve de règles transitoires, ces exigences seront appliquées à toutes les demandes reçues dans la catégorie des travailleurs qualifiés après l'entrée en vigueur de la LIPR et aux personnes qui ont présenté leur demande avant l'entrée en vigueur de la Loi et qui, soit n'ont pas encore eu d'entrevue de sélection, soit ont été exemptées de l'entrevue de sélection par un agent.

Justification des modifications

AMÉLIORER LE TAUX DE RÉUSSITE ÉCONOMIQUE DES TRAVAILLEURS QUALIFIÉS (FÉDÉRAL)

--     en actualisant le système de sélection en fonction des besoins du marché du travail moderne.

Le système de sélection actuel, mis sur pied vers la fin des années 1960, a été construit autour d'un modèle de micro-gestion axé sur les «professions en demande». Ce modèle vise à jumeler la profession qu'un immigrant a l'intention d'exercer à une niche étroite sur le marché du travail canadien. Dans l'économie moderne et dynamique du Canada, ce type de micro-gestion n'est ni possible ni souhaitable--la demande peut changer plus rapidement que les gouvernements ne peuvent s'adapter et les immigrants ne sont pas choisis en fonction de l'adaptabilité de leurs compétences. De plus, dans le marché du travail moderne, les professions et les carrières tendent à être plus variées, ce qui rend le concept de «profession envisagée» de plus en plus désuet.

C'est la conclusion à laquelle en est arrivé le Groupe d'experts sur les compétences du Conseil consultatif du Premier Ministre sur les sciences et la technologie dans son rapport de 1998 intitulé Viser plus haut: Compétence et esprit d'entreprise dans l'économie du savoir:

En raison de l'évolution rapide de la demande de compétences et de l'émergence continue de nouveaux ensembles de compétences, le système actuel dit de «sélection de travailleurs qualifiés», fondé essentiellement sur une liste statique de «professions en demande», n'est pas en mesure de répondre aux besoins de notre économique dynamique.

Le système de sélection actuel est fortement biaisé en faveur de la formation universitaire, puisque pris ensemble, les facteurs Études, Expérience, et Étude et formation favorisent les demandeurs ayant une formation universitaire plutôt que les techniques et gens de métier. Le marché du travail moderne du Canada valorise tous les types d'études et de formation de qualité, non seulement ceux qui mènent à un diplôme universitaire.

--     en sélectionnant des travailleurs qualifiés (fédéral) qui ont des meilleures chances de réussite économique au Canada.

Le modèle de sélection des travailleurs qualifiés (fédéral) est conçu pour identifier les membres de la catégorie immigration économique qui seront en mesure de faire une contribution économique importante à la société canadienne. Cela ne signifie pas que l'immigration économique n'a pas d'avantages importants pour le Canada sur la plan social, mais l'objectif principal de la sélection des membres de cette catégorie devrait être leur effet économique positif. Cela est non seulement bénéfique pour le Canada, mais aussi pour l'immigrant lui-même. Avant 1988, les revenus d'emploi moyens des membres de la composante économique étaient régulièrement plus élevés que ceux de la population générale du Canada, même à peine un an après leur arrivée au Canada.

Historiquement, les travailleurs qualifiés immigrants ont réussi mieux que les autres immigrants, et même mieux que le travailleur canadien moyen, sur le plan économique. Au cours des années 1990, même s'il dépassait encore celui d'autres immigrants, le rendement des nouveaux travailleurs qualifiés immigrants a été inférieur à celui du contribuable canadien moyen, tel que le démontre le Tableau 1.

[Tableau 1 omis]

Les immigrants ayant fait des études universitaires mettent maintenant jusqu'à 10 ans pour gagner des revenus d'emplois équivalant à ceux des Canadiens ayant un niveau de scolarité comparable. Les données sur le chômage et l'aide sociale démontrent aussi une baisse du taux de réussite des travailleurs qualifiés récemment immigrés par rapport à ceux arrivés aux cours des années 1980. Cette tendance est sans doute attribuable à de nombreux facteurs, mais le système de sélection actuel, désuet et inadapté, y a joué un rôle important.

Le système de sélection actuel permet de choisir des personnes qui ont moins de scolarité. Par exemple, environ 10 p. 100 des travailleurs qualifiés immigrants ont maintenant un diplôme d'études secondaires ou moins. Mais dans le marché du travail canadien moderne, axé sur le savoir, plus de 70 p. 100 des nouveaux emplois au Canada exigent des études postsecondaires, et Développement des Ressources humaines Canada (DRHC) prévoit qu'au cours des cinq prochaines années, moins de 6 p. 100 des débouchés seront offerts à des personnes ayant une scolarité inférieure au secondaire. Il n'est pas dans l'intérêt de l'économie canadienne de choisir des membres de la catégorie immigration économique qui ont très peu de débouchés à leur arrivée sur le marché du travail canadien.

Le système de sélection actuel ne reconnaît pas les importants avantages économiques et sociaux des immigrants qualifiés qui ont déjà une expérience de travail directe au Canada. On dispose d'une preuve abondante selon laquelle les employeurs recherchent des travailleurs qui ont acquis une formation ou une expérience de travail au Canada.

[8]Au cours de l'examen de la LIPR et du RIPR à la Chambre, les changements ayant des répercussions sur la catégorie présumée ont soulevé beaucoup d'inquiétudes. Cet élément du contexte des présents motifs et de l'ordonnance qui s'y rapporte a été examiné par mon collègue le juge Kelen dans la décision Dragan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)8. Pour faciliter la consultation, le résumé qu'a fait le juge Kelen des faits dont il était saisi, et qui avaient principalement trait aux personnes qui auraient fait partie de la catégorie présumée si leur demande d'immigration au Canada n'avait pas été traitée avant le 31 mars 2003, est joint à l'annexe B des présents motifs.

[9]Aucune des demandes d'immigration au Canada des membres de la catégorie présumée n'a finalement été traitée avant le 31 mars 2003, même si, au cours du contre-interrogatoire se rapportant à son affidavit, un agent du ministère du défendeur a reconnu que, pour les personnes au sujet desquelles une entrevue n'était pas nécessaire, le ministre et ses délégués disposaient dans bon nombre de cas de tous les renseignements et documents leur permettant de rendre une décision finale sans avoir à consacrer beaucoup plus de temps et d'effort pour régler chacun de ces cas.

[10]La preuve dont était saisie la Cour indique que le défendeur, par l'entremise de ses agents, a depuis le 31 mars 2003, commencé à rejeter certaines des demandes des membres de la catégorie présumée.

ANALYSE MENANT À L'ORDONNANCE RENDUE

1)     L'ordre de s'abstenir

a)     La compétence de la Cour

[11]Les paragraphes 18(1) [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4] et (3) [mod., idem] de la Loi sur la Cour fédérale9 (la Loi) disposent comme suit:

18. (1) Sous réserve de l'article 28, la Section de première instance a compétence exclusive, en première instance, pour:

a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;

b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l'alinéa a), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d'obtenir réparation de la part d'un office fédéral.

[ . . .]

(3) Les recours prévus aux paragraphes (1) ou (2) sont exercés par présentation d'une demande de contrôle judiciaire.

[12]Il n'a pas été contesté devant moi que l'article 28 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 8] de la Loi n'a pas pour effet de limiter la compétence de la Section de première instance10 conférée par l'article 18 à l'égard des faits de l'espèce. En outre, je suis convaincu qu'il n'a pas été contesté devant moi que l'ordre de s'abstenir est de la nature d'une injonction et que le défendeur est, une fois encore d'après les faits de l'espèce, un «office fédéral». Toutes les demandes dont la Cour est saisie sont des demandes de contrôle judiciaire présentées en vertu de l'article 18.1 [édicté, idem, art. 5] de la Loi. Dans chacune d'elles, il y a une demande pour que la Cour ordonne, aux termes du paragraphe 18.4(2) [édicté, idem] de la Loi, que la demande de contrôle judiciaire soit «instruite comme s'il s'agissait d'une action» et si elle est ainsi instruite, qu'elle soit convertie en recours collectif.

[13]L'article 18.2 [édicté, idem] de la Loi est rédigé dans les termes suivants:

18.2 La Section de première instance peut, lorsqu'elle est saisie d'une demande de contrôle judiciaire, prendre les mesures provisoires qu'elle estime indiquées avant de rendre sa décision définitive.

[14]Il n'y a aucun doute dans mon esprit que l'ordre de s'abstenir constitue une «mesure provisoire» prévue à l'article 18.2 de la Loi.

[15]Compte tenu de ma conclusion au sujet de la compétence de la Cour, les questions essentielles sont j'en suis convaincu les suivantes: tout d'abord, une mesure provisoire prise en vertu de l'article 18.2 de la Loi peut-elle viser des membres d'un groupe, en l'espèce un très grand nombre de personnes d'une catégorie présumée, catégorie qui englobe non seulement les demandeurs comparaissant devant la Cour mais aussi beaucoup d'autres personnes qui ne se trouvent pas à l'heure actuelle devant la Cour; et deuxièmement, si la réponse à la première question est affirmative, alors le prononcé d'une telle ordonnance est-il justifié d'après les éléments dont la Cour dispose et les plaidoiries faites à l'audience.

b)     Inclusion des membres de la catégorie présumée

[16]Avec l'approbation du gouverneur en conseil, aux termes du paragraphe 46(1) [mod. par L.C. 1990, ch. 8 art. 14] de la Loi, les Règles de la Cour fédérale (1998)11 ont été modifiées à DORS/2002-417, article 17, pour inclure les règles 299.1 à 299.4 régissant les recours collectifs déposés devant la présente Cour (les règles régissant les recours collectifs). J'insiste sur le fait que les nouvelles règles régissent les «recours collectifs instruits comme une action» et que, par conséquent, elles ne s'étendent pas aux demandes de contrôle judiciaire collectives. Cela dit, comme je l'ai déjà noté, les demandes dont est saisie la présente Cour réclament toutes des directives pour qu'elles soient «instruites comme [des actions]». La Cour a décidé qu'il n'est pas approprié d'envisager de donner une telle directive tant et aussi longtemps qu'elle n'aura pas donné l'autorisation, au besoin, de poursuivre ces demandes de contrôle judiciaire.

[17]L'autorisation a été accordée pour ce qui concerne l'affaire Borisova. Les formalités suivent leur cours afin que les demandes d'autorisation soient mises en état pour les trois autres affaires dont la Cour est saisie. Cela dit, il y a toute une série de procédures parallèles de la nature d'un contrôle judiciaire à l'égard desquelles les formalités menant à la mise en état des demandes d'autorisation n'avancent pas, ou avancent plus lentement que pour les affaires Dass, Anand et Rasolzadeh. La Cour a donc décidé que, dans l'intérêt de la justice, toutes autres mesures concernant chacune des demandes de contrôle judiciaire devraient être prises par échelons afin de s'assurer que les demandeurs faisant partie de la catégorie présumée dont les demandes de contrôle judiciaire pourraient être autorisées et ensuite être instruites comme des actions ne soient pas défavorisés s'ils sont appelés à prendre part à un éventuel processus d'autorisation en vertu des règles régissant les recours collectifs.

[18]En résumé donc, tout d'abord du fait que les règles régissant les recours collectifs de la Cour n'ont trait qu'à des actions, et je suis convaincu que cela inclut les demandes de contrôle judiciaire qui doivent être «instruites comme [des actions]», deuxièmement en raison du nombre des procédures connexes dont la Cour est saisie et qui ont été intentées par un grand nombre d'avocats à Montréal, Toronto, Edmonton et Vancouver, du nombre de demandeurs faisant partie de la catégorie présumée et de la difficulté de communiquer avec eux, et finalement du fait de l'expérience très limitée qu'a la Cour de l'application de ses règles régissant les recours collectifs, j'ai le regret d'annoncer qu'il s'écoulera encore pas mal de temps avant qu'une décision concernant l'autorisation d'un recours collectif puisse être rendue. Je suis convaincu que les réalités que je viens d'énumérer ne devraient pas jouer au détriment des membres de la catégorie présumée. Cela dit, les intérêts des membres de la catégorie présumée ne peuvent être pris en compte sans en même temps tenir compte de l'intérêt public qui est mentionné dans l'extrait reproduit ci-dessus du résumé de l'étude d'impact de la réglementation.

[19]Dans l'arrêt Western Canadian Shopping Centres Inc. c. Dutton12, le juge en chef, s'exprimant au nom de la Cour, a déclaré ceci aux paragraphes 33 et 34:

L'une des plus importantes lacunes du régime albertain actuel est l'absence de disposition d'accréditation préalable. En Colombie-Britannique, en Ontario et au Québec, un recours collectif ne peut être intenté que si le tribunal certifie que le groupe et le représentant satisfont à certaines exigences. En Alberta, par contre, les tribunaux certifient en réalité a posteriori, et seulement après que la partie adverse dépose une requête en annulation. Il serait préférable que l'opportunité d'un recours collectif puisse être déterminée dès le début par des modalités d'accréditation.

En l'absence de législation complète, les tribunaux doivent combler ces lacunes en exerçant leur pouvoir inhérent d'établir les règles de pratique et de procédure applicables aux litiges dont ils sont saisis: [. . .] Si souhaitable soit-il d'avoir une législation complète en matière d'exercice des recours collectifs, quand cette législation n'existe pas, les tribunaux doivent décider de l'opportunité du recours collectif et des modalités de son exercice. [Citations omises.]

[20]La présente Cour a maintenant adopté des règles complètes régissant les recours collectifs qui prévoient une procédure d'autorisation. Toutefois, pour des raisons qui ne sont pas importantes en l'espèce, les règles de la Cour ne favorisent pas une procédure simple et directe lorsque les parties, du fait de certaines ou de la totalité des réparations qu'elles réclament, doivent procéder, non pas par voie d'action, mais par voie de contrôle judiciaire. Pour demeurer dans l'esprit de la directive donnée par la Cour suprême du Canada, je suis convaincu que la présente Cour ne devrait pas permettre que la nature de cette procédure défavorise indûment les membres d'une catégorie présumée.

[21]Afin de protéger l'intégrité du groupe, je suis convaincu qu'il était et qu'il demeure approprié, et en fait qu'il est impératif, que la Cour ordonne des mesures provisoires de la nature de l'ordre de s'abstenir qui a été donné, en supposant bien entendu que la réparation de la nature d'une injonction est justifiée en droit.

[22]Je suis conforté dans mon opinion par le fait qu'il existe un précédent permettant à la Cour de rejoindre les parties qui ne comparaissent pas devant elle. Bien que les faits dans l'arrêt Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net13 soient très différents de ceux dont la Cour est saisie en l'espèce, je suis convaincu que le raisonnement qui est énoncé aux paragraphes 35 à 37 des motifs de la majorité dans cette affaire appuie la conclusion à laquelle j'en suis arrivé en m'appuyant sur une interprétation libérale de l'article 44 de la Loi. Cet article stipule ce qui suit:

44. Indépendamment de toute autre forme de réparation qu'elle peut accorder, la Cour peut, dans tous les cas où il lui paraît juste ou opportun de le faire, décerner un mandamus, une injonction ou une ordonnance d'exécution intégrale, ou nommer un séquestre, soit sans condition soit selon les modalités qu'elle juge équitables.

[23]Dans l'arrêt Canadian Liberty Net, la majorité des juges de la Cour suprême s'est appuyée sur les mots «toute autre forme de réparation» utilisés à l'article 44 de la Loi. Pour faciliter la consultation, je reproduis ci-dessous les paragraphes 35 à 37 de cet arrêt, auxquels j'ai fait référence ci-dessus:

Dans un système fédéral, la théorie de la compétence inhérente ne justifie pas d'interpréter restrictivement les lois fédérales conférant compétence à la Cour fédérale.

Comme l'indique clairement le texte de la Loi sur la Cour fédérale et le confirme le rôle additionnel qui est confié à cette Cour par d'autres lois fédérales, [. . .] le Parlement a voulu conférer à la Cour fédérale une compétence administrative générale sur les tribunaux administratifs fédéraux. Pour ce qui concerne son rôle de surveillance des décideurs administratifs, les pouvoirs confiés par une loi à la Cour fédérale à cet égard ne doivent pas être interprétés de façon restrictive. Cela signifie que, lorsqu'il s'agit d'une question relevant clairement de son rôle de surveillance d'un organisme administratif, ce qui inclut la prise de mesures provisoires visant à régir des différends dont l'issue finale est laissée au décideur administratif concerné, la Cour fédérale peut être considérée comme ayant plénitude de compétence.

En l'espèce, je suis d'avis qu'il ressort clairement de l'objet de la Loi sur la Cour fédérale et de la Loi sur les droits de la personne que l'art. 44 confère à la Cour fédérale la compétence d'accorder une injonction dans le cadre de l'application de la Loi sur les droits de la personne.

Substituant la LIPR à la Loi canadienne sur les droits de la personne [L.R.C. (1985), ch. H-6], je suis convaincu que le même raisonnement peut s'appliquer aux faits de l'espèce.

c)     Un ordre de la nature d'une injonction

[24]Il est bien reconnu en droit que le critère à appliquer pour rendre une ordonnance de la nature recherchée en l'espèce est triple: tout d'abord, il doit y avoir une question sérieuse à juger; deuxièmement, d'après les faits de l'affaire, il faut établir que les membres de la catégorie présumée subiront un préjudice irréparable si l'ordonnance ne leur est pas accordée; et finalement, il faut établir que la prépondérance des inconvénients, en tenant compte de l'intérêt public, penche en faveur de la catégorie présumée.

[25]Le seuil concernant l'établissement d'une question sérieuse à juger est bas. Dans l'arrêt North American Gateway Inc. c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes)14, le juge McDonald a écrit ceci aux paragraphes 10 et 11:

Selon la jurisprudence, le seuil d'opposabilité d'une «question sérieuse à juger» est bas. Selon l'ancienne jurisprudence, la partie requérante devait établir une apparence de droit suffisante avant qu'une suspension d'instance ne pût être accordée. Depuis les décisions de la Cour suprême du Canada dans Metropolitan Stores Limited c. Manitoba Food and Commercial Workers et al., [. . .] et R.J.R. MacDonald, [. . .] les tribunaux ont décidé que le seuil est beaucoup plus bas: il suffit pour la partie requérante de convaincre la Cour que la question de l'appel n'est ni futile ni vexatoire.

Je demeure conscient que ce seuil moins élevé est très souvent appliqué dans les affaires relatives à la Charte et où sont en jeu des questions fondamentales d'ordre public. Je fais remarquer, cependant, que la Cour a appliqué ce même seuil bas dans des affaires étrangères à la Charte [. . .]. De toute façon, je suis d'avis que s'il est demandé à la Cour de contrôler la décision d'une partie investie de l'intérêt public comme le CRTC, le seuil plus bas relatif au caractère «futile ou vexatoire» devrait s'appliquer. [Citations omises, non souligné dans l'original.]

[26]Je suis convaincu que, d'après les faits de l'espèce, le défendeur est «une partie investie de l'intérêt public» et que, par conséquent, le seuil plus bas relatif au caractère «futile ou vexatoire» devrait s'appliquer. Au regard de ce seuil, je suis convaincu que les motifs de mon collègue le juge Kelen dans la décision Dragan, précitée, démontrent clairement que les demandes de contrôle judiciaire qui sous-tendent la présente espèce, et qui sont très semblables aux questions dans l'affaire Dragan, mais avec un délai différent, répondent à cette première partie du critère. La Cour d'appel a décidé que les questions soulevées dans l'affaire Dragan étaient théoriques. La raison en est que, pour tous les demandeurs qui ont obtenu gain de cause devant le juge Kelen, une décision finale a été prise au sujet de leur demande de visa d'immigrant avant le 31 mars 2003. Ce n'est pas le cas pour les membres de la catégorie présumée. Je suis convaincu que cette distinction est suffisante pour dire que les questions dont la Cour est maintenant saisie ne sont pas théoriques.

[27]J'aborde maintenant la question du préjudice irréparable. Je suis convaincu qu'il est bien reconnu en droit que la possibilité d'immigrer au Canada, plus particulièrement en provenance du «Tiers Monde» ou des «pays en voie de développement» est vue par bon nombre de personnes comme un objectif particulièrement attrayant, dont la privation, ou même l'amoindrissement des probabilités de l'atteindre, ne peut être compensée par des dommages-intérêts. Bon nombre des membres de la catégorie présumée se retrouveraient dans cette situation si leur demande était traitée en fonction des nouveaux critères. Dans la décision Kanes c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)15, Mme le juge Reed écrit ceci au paragraphe 10:

J'estime qu'en l'espèce l'existence d'un préjudice irréparable est certaine et qu'elle ne résulte pas d'une série d'éventualités. Si la suspension n'est pas accordée, il ne sera pas possible au requérant de présenter une demande de droit d'établissement fondée sur la seule preuve que sa revendication a un minimum de fondement. Il devra, à l'égard d'une telle demande, s'acquitter d'un fardeau de preuve beaucoup plus lourd, savoir celui qui est applicable devant la Section. Compte tenu de l'importance que les personnes qui désirent s'établir au Canada et, en particulier, celles qui viennent de pays du Tiers Monde, attachent à l'obtention de la résidence permanente, ce fardeau plus lourd constitue nettement, à mon avis, un préjudice irréparable.

[28]J'estime que le raisonnement qui précède est directement applicable aux faits de l'espèce et, en m'appuyant sur ce raisonnement, je suis convaincu que bon nombre, sinon la totalité, des membres de la catégorie présumée subiraient un préjudice irréparable si l'ordre de s'abstenir que j'ai donné n'avait pas été accordé.

[29]Finalement, j'aborde la question de la prépondérance des inconvénients. L'avocat du défendeur prétend que celui-ci a l'obligation d'appliquer le droit qui est en vigueur à l'heure actuelle et que, par conséquent, la prépondérance des inconvénients penche en sa faveur. Pour le compte des demandeurs, par ailleurs, on fait valoir que le défendeur avait la même obligation envers les membres de la catégorie présumée depuis la date du dépôt de leur demande d'immigration au Canada jusqu'à ce que la Loi, telle qu'elle leur était appliquée, soit modifiée après le 31 mars 2003. On fait valoir que, par l'entremise de ses représentants, le ministre ne s'est pas acquitté de cette obligation dans un délai raisonnable et que, par conséquent, l'intérêt public milite fortement en faveur d'accorder la réparation que recherchent les membres de la catégorie présumée.

[30]Je suis convaincu que ces deux arguments sont fondés et qu'il me faut donc mettre en balance ces intérêts publics contradictoires. J'ai conclu que l'intérêt public favorable aux membres de la catégorie présumée, jumelé aux intérêts privés des membres de cette catégorie, l'emporte sur l'intérêt public qu'il y a à s'assurer que le ministre s'acquitte, dans un délai raisonnable, de ses obligations législatives et réglementaires actuelles envers les membres de la catégorie présumée, jusqu'à ce que l'instance qui se trouve actuellement devant la Cour, qu'elle soit ou non instruite comme un recours collectif, soit réglée de façon définitive.

d)     Conclusion concernant l'ordre de s'abstenir

[31]En m'appuyant sur mes conclusions concernant la compétence de la présente Cour et le critère applicable à la réparation de la nature d'une injonction, je suis parvenu à une conclusion favorable aux membres de la catégorie présumée et j'ai donné au ministre l'ordre de s'abstenir de rejeter de façon définitive les demandes d'immigration au Canada des membres de la catégorie présumée, sauf dans les circonstances où un membre de cette catégorie présumée consent à ce rejet.

2)     Avis obligatoire

[32]Le paragraphe 299.37(1) [édicté par DORS/2002-417, art. 17] des nouvelles Règles de la Cour régissant le recours collectif est rédigé dans les termes suivants:

299.37 (1) Le juge peut, à tout moment, ordonner à une partie de donner tout avis qu'il estime nécessaire à la protection des intérêts d'un membre du groupe ou d'une partie ou à la conduite équitable de l'instance. [Non souligné dans l'original.]

[33]Le paragraphe 299.37(1) est très semblable au paragraphe 19(1) de la Loi de 1992 sur les recours collectifs de l'Ontario16. Cet article est rédigé dans les termes suivants:

19.(1) Le tribunal peut, en tout temps au cours de l'instance, ordonner à une partie de donner l'avis qu'il estime nécessaire à la protection des intérêts d'un membre du groupe ou d'une partie et à la conduite équitable de l'instance. [Non souligné dans l'original.]

[34]Bien que, comme je l'ai dit précédemment, les deux dispositions soient très semblables, le paragraphe 299.37(1) des Règles de la Cour fédérale (1998) est peut-être en fait celui qui a le sens le plus large puisqu'il ne restreint pas le pouvoir d'ordonner que cet avis soit donné «au cours de l'instance».

[35]Dans l'arrêt Lewis v. Shell Canada Ltd.17, dans le contexte d'un recours collectif non autorisé, les demandeurs recherchaient une ordonnance interdisant au défendeur de communiquer avec des membres potentiels du groupe en attendant le règlement de la question de l'autorisation ou, subsidiairement, une ordonnance visant à ce qu'un avis annonçant l'introduction et la nature du recours collectif soit publié aux termes de l'article 19 de la Loi de 1992 sur les recours collectifs, et que cet avis soit signifié à un requérant par le défendeur avant le règlement d'une réclamation entre le requérant et le défendeur. La réparation subsidiaire recherchée était de la nature de l'avis dont il est question en l'espèce, sauf que, étant donné la taille de la catégorie présumée en l'espèce, la Cour est d'avis que la «publication» d'un avis poserait un problème. M. le juge Cumming écrit ceci aux paragraphes 10 à 12 de ses motifs:

[traduction] Shell fait valoir en l'espèce que les demandeurs n'ont pas produit de preuve précise d'une irrégularité de la part de Shell dans sa participation au règlement. Aucune des parties qui a réglé avec Shell n'est venue se plaindre. Par conséquent, de l'avis de Shell, il n'est pas justifié de rendre une ordonnance l'obligeant à ne pas régler les réclamations sans d'abord informer les requérants qu'ils peuvent avoir des droits en tant que membres du groupe présumé participant au recours collectif.

Je n'accepte pas la position de Shell. Les caractéristiques d'un recours collectif présentent des différences importantes par rapport à celles d'une action individuelle. Dans un recours collectif, il y a des membres absents, dont bon nombre peuvent fort bien ne pas être au courant qu'un recours collectif a été intenté tant que les avis ne sont pas publiés au moment de l'autorisation. En l'espèce, les demandeurs souhaitent en arriver à l'étape de la requête en autorisation le plus tôt possible. Toutefois, la requête en autorisation ne peut être entendue avant le 6 ou le 7 juillet 2000, parce que Shell, on peut facilement le comprendre, ne sera pas en mesure de répondre avant cette date. Shell attend le dépôt d'un rapport scientifique concernant l'émission du 16 mars 2000.

[36]Il est intéressant de noter que le juge Cumming, après en être arrivé à cette conclusion, a indiqué qu'il n'insinuait pas qu'il y avait eu une quelconque irrégularité de la part de Shell dans ses négociations au moment de l'audience qui se tenait devant lui en présence de certains requérants. Je voudrais souligner que, comme M. le juge Cumming, je ne laisse nullement entendre ni ne conclus que le défendeur a commis une irrégularité dans ses rapports avec les membres de la catégorie présumée, du moins jusqu'à ce jour. J'estime qu'une conclusion ou insinuation de ce genre n'est nullement nécessaire pour parvenir à une conclusion semblable à celle à laquelle en est arrivé le juge Cumming.

[37]Au regard du texte du paragraphe 299.37(1) des Règles de la Cour fédérale (1998), j'ai conclu qu'un avis de la nature de celui que j'ai ordonné est nécessaire «à la protection des intérêts» des membres de la catégorie présumée et «à la conduite équitable» de tout recours collectif qui pourrait découler de l'instance dont la Cour est maintenant saisie. Je regrette de dire que le délai qu'il faudra pour mettre sur pied un recours collectif au nom de la catégorie présumée sera vraisemblablement beaucoup plus long que le délai auquel pouvait penser le juge Cumming quand il est parvenu à sa conclusion.

[38]Finalement, j'interprète les mots «à tout moment» utilisés au paragraphe 299.37(1) des Règles de la Cour fédérale (1998), en leur donnant leur sens ordinaire. Je suis convaincu qu'il serait tout à fait contraire à une application équitable et libérale des Règles de la Cour régissant le recours collectif d'interpréter ces mots comme étant limités à une étape ultérieure à l'autorisation d'un recours collectif ou à l'obtention de l'autorisation, si besoin est, de toutes les demandes de contrôle judiciaire dont la Cour est maintenant saisie, suivie d'une ordonnance de la Cour pour que ces demandes soient instruites comme s'il s'agissait d'une action. Cette interprétation exige que les mots «membres du groupe» utilisés au paragraphe 299.37(1) soient interprétés comme «un membre du groupe ou un membre de la catégorie présumée». J'adopte cette interprétation afin de donner aux mots «à tout moment» le sens qui, à mon avis, est compatible avec une protection raisonnable des intérêts des membres de la catégorie présumée et à la conduite équitable de tout recours collectif qui pourrait en découler.

[39]Par conséquent, l'ordonnance inclut la publication obligatoire d'un avis.

RÉPARATIONS DEMANDÉES ET NON ACCORDÉES

[40]La requête déposée au nom des demandeurs Borisova réclamait un ordre de s'abstenir ou une injonction en faveur d'un groupe de personnes beaucoup plus important que dans les requêtes déposées au nom des trois autres demandeurs, étant donné que l'affaire Borisova incluait à la fois des personnes ayant présenté des demandes d'immigration au Canada avant le 1er janvier 2002 et des personnes ayant déposé leur demande d'immigration au Canada après le mois de décembre 2001 et avant le 28 juin 2002, date à laquelle sont entrés en vigueur la LIPR et le RIPR.

[41]La Cour conclut que la preuve dont elle était saisie concernant ce groupe plus large de personnes qui ont déposé leur demande d'immigration avant le 1er janvier 2002 n'est pas satisfaisante.

[42]Pour ce qui a trait à ceux qui ont présenté leur demande d'immigration au Canada après le mois de décembre 2001 et avant le 28 juin 2002, la preuve dont est saisie la Cour démontre qu'une version préliminaire du RIPR a été publiée à la mi-décembre 2001 et établissait clairement que les personnes qui présenteraient une demande après le mois de décembre 2001, seraient évaluées en vertu du régime de la LIPR, après son entrée en vigueur. En même temps, le gouvernement avait clairement démontré son engagement à mettre le nouveau régime en vigueur assez rapidement et certainement à l'intérieur du délai qui n'a laissé aux personnes qui ont présenté leur demande après 2001 aucun espoir raisonnable de voir leur demande finalement évaluée en vertu de l'ancienne Loi et du Règlement de 1978. Par conséquent, la Cour conclut que les personnes qui se trouvent dans ce groupe élargi en faveur duquel la requête Borisova demandait réparation n'a pas réussi à démontrer qu'elles subiraient un préjudice irréparable en l'absence d'une telle réparation.

[43]Les demandeurs Borisova, contrairement aux demandeurs Dass, Anand et Rasolzadeh ont demandé les dépens afférents à leur requête. La Cour a déterminé qu'à cette étape de l'instance intentée par les membres de la catégorie présumée, il est trop tôt pour évaluer de façon équitable la question du droit aux dépens.

[44]Comme on l'a déjà noté, la Cour était saisie d'une preuve indiquant que certaines personnes qui faisaient peut-être partie de la catégorie présumée au moment de l'introduction d'une instance devant la présente Cour dans laquelle elles figuraient comme parties demanderesses ou auraient pu y figurer à ce titre ont depuis vu leur demande d'immigration au Canada rejetée en vertu de la LIPR ou en vertu des critères de la LIPR et du RIPR. Sans faire d'observation sur la question de savoir si ces personnes pourraient demander des réparations devant la présente Cour ou devant tout autre tribunal en ayant recours à une autre forme de procédure, la Cour est convaincue qu'aucune réparation ne peut leur être accordée dans le cadre des demandes qui sous-tendent les requêtes dont la Cour est maintenant saisie ou de demandes semblables dont la Cour est saisie ou dont elle pourrait être saisie à une date ultérieure. Donc, aucune mesure provisoire n'est prise en leur faveur.

[45]Finalement, les demandeurs Dass, Anand et Rasolzadeh réclamaient que [traduction] «des directives soient données à toutes les parties à l'instance sur la façon dont elles peuvent communiquer avec les membres de la catégorie présumée». La Cour a interprété cette demande de réparation comme ayant trait aux membres de la catégorie présumée qui ne comparaissent pas actuellement devant elle, puisqu'il n'y a pas de preuve que les membres de la catégorie présumée qui comparaissent effectivement ont de la difficulté à communiquer avec leur avocat respectif.

[46]Le paragraphe 385(1) des Règles de la Cour fédérale (1998) prévoit en partie ce qui suit:

385. (1) Le juge responsable de la gestion de l'instance ou le protonotaire visé à l'alinéa 383c) tranche toutes les questions qui sont soulevées avant l'instruction de l'instance à gestion spéciale et peut:

a) donner toute directive nécessaire pour permettre d'apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible;

[47]La très grande majorité des instances dont la Cour est saisie et qui ont été présentées par les membres de la catégorie présumée sont visées par le système de gestion des instances aux termes duquel le présent juge a été désigné comme juge responsable de la gestion de l'instance. De nouvelles instances intentées par les membres de la catégorie présumée et recherchant des réparations semblables continuent d'être confiées au même juge responsable de la gestion de l'instance. Ainsi donc, l'alinéa 385(1)a) de Règles me donne le pouvoir de donner les directives recherchées. Cela dit, les membres de la catégorie présumée sont très nombreux et très largement disséminés. Aucune preuve n'a été déposée devant la Cour quant à la nature des directives que les avocats pourraient considérer comme adéquates et raisonnablement efficaces. La Cour elle-même n'est tout simplement pas dans une position pour formuler des directives appropriées. Par conséquent, les directives demandées ne sont pas données. Si, à une date ultérieure, une proposition concernant des directives appropriées était faite au juge responsable de la gestion de l'instance, cette proposition sera examinée.

CONCLUSION

[48]Pour les motifs qui précèdent, seules les réparations énoncées dans l'ordonnance rendue ce 20 juin 2003 sont accordées.

1 Dossier de requête du défendeur, onglet 2. Affidavit de Robert Orr, paragraphe 6, définition de «personnes appartenant au groupe A».

2 L'ordonnance du 10 juillet 2003 modifie les paragraphes 1 et 2 de l'ordonnance du 20 juin 2003. L'expression [traduction] «des demandeurs qui sont des travailleurs qualifiés, des travailleur autonomes, des entrepreneurs et des investisseurs dont il est question au paragraphe 8(1) du Règlement sur l'immigration de 1978, autres que des candidats d'une province» a remplacée «des demandeurs de la catégorie économique qui demandent des visas d'immigrant». Une autre exception a aussi été prévue. La modification apportée au paragraphe 2 précise que l'avis doit être donné immédiatement. Le modèle de l'avis est annexé à l'ordonnance du 10 juillet 2003 et constitue l'annexe A des présents motifs.

3 L.R.C. (1985), ch. I-2.

4 DORS/78-172.

5 L.C. 2001, ch. 27.

6 DORS/2002-227.

7 Gazette du Canada, Partie II, Vol. 136, Extra no 9, 14 juin 2002, document du défendeur, onglet 5.

8 (2003), 224 D.L.R. (4th) 739 (C.F. 1re inst.); appel refusé au motif qu'il est théorique, 2003 CAF 233; [2003] A.C.F. no 813 (C.A.) (QL).

9 L.R.C. (1985), ch. F-7.

10 Depuis l'audition de cette affaire, la Section de première instance de la Cour fédérale est devenue la «Cour fédérale».

11 DORS/98-106.

12 [2001] 2 R.C.S. 534.

13 [1998] 1 R.C.S. 626.

14 (1997), 47 Admin. L.R. (2d) 24 (C.A.F.).

15 (1993), 69 F.T.R. 48 (C.F. 1re inst.).

16 L.O. 1992, ch. 6.

17 (2000), 48 O.R. (3d) 612 (C.S.).

ANNEXE A

Canada

Avis de recours collectifs--envisagés au Canada

AU: MEMBRES DU GROUPE POTENTIELS

QUANT AUX: DEMANDES DE RÉSIDENCE PERMANENTE AU CANADA PRÉSENTÉES AVANT LE 1er JANVIER 2002, dans les catégories travailleur qualifié, travailleur autonome, entrepreneur et investisseur:

Le gouvernement du Canada vous envoie le présent avis conformément à l'ordonnance décernée par le juge Gibson de la Cour fédérale du Canada. L'ordonnance porte la date du 20 juin 2003 et se rapporte à des recours collectifs envisagés contre le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration. Il vise les demandes de résidence permanente au Canada présentées avant le 1er janvier 2002 dans les catégories travailleur qualifié, travailleur autonome, entrepreneur et investisseur. Le ministre est tenu de vous transmettre les renseignements suivants:

1. Nature des recours intentés au Canada:

Plusieurs recours collectifs envisagés ont été déposés devant la Cour fédérale. Ces recours ont pour but principal de forcer le ministre a évaluer ou réévaluer, à partir des règles de sélection qui étaient en vigueur alors, certaines demandes présentées avant le 1er janvier 2002. Les recours en question réclament aussi des dommages-intérêts. Il se peut que vous ayez droit à une somme d'argent si la Cour accorde des dommages-intérêts. Dans certains cas, les dommages-intérêts ne sont demandés qu'à titre subsidiaire pour le cas où la Cour déciderait que le ministre n'a pas à évaluer en fonction des anciennes règles de sélection les demandes présentées avant le 1er janvier 2002. Dans d'autres cas, les dommages-intérêts sont la seule réparation demandée. Vous pourriez avoir droit à une certaine somme d'argent s'il était fait droit à l'un ou l'autre de ces recours.

2. Qu'arrive-t-il à votre demande de visa?

Le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration continue à traiter les demandes et vous pourriez être requis de fournir des renseignements supplémentaires ou invité à une entrevue. Les demandeurs qui satisfont aux exigences de l'évaluation recevront un visa. Si vous avez demandé un visa d'immigrant avant le 1er janvier 2002, le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration ne rejettera pas de façon définitive votre demande à moins que vous avisiez par écrit le ministère que vous consentez au rejet définitif de votre demande.

3. Participation aux recours collectifs envisagés:

Vous n'avez rien à faire pour le moment. Le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration vous informera par lettre si la Cour autorise un recours collectif. Vous pourrez alors décider si vous voulez vous joindre à ce recours collectif ou vous en exclure.

4. Aviser le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration des changements d'adresse:

Vous devriez informer le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration si vous changez d'adresse. Pour ce faire, adressez-vous au bureau des visas où vous avez présenté votre demande de résidence permanente. Mentionnez le numéro de votre dossier de visa (ce numéro apparaît au haut de la présente lettre) lorsque vous communiquez des renseignements relatifs à votre adresse au bureau des visas. Vous pourriez ne pas être avisé de l'évolution des dossiers concernant les recours collectifs envisagés ou ne pas recevoir les réparations accordées si vous omettez d'informer le ministère de vos changements d'adresse.

5. Renseignements supplémentaires au sujet des recours collectifs envisagés:

Pour obtenir d'autres renseignements au sujet des recours collectifs envisagés et de leur incidence potentielle sur vous, vous pouvez communiquer sans frais au Canada avec n'importe lequel des avocats mentionnés dans la liste établie ci-dessous, sauf que les appels interurbains à frais virés pourraient ne pas être acceptés. Veuillez noter que les fonctionnaires du ministère de l'Immigration et de la Citoyenneté et ceux des bureaux des visas ne répondront à aucune question de votre part ou de la part de votre représentant au sujet du présent avis et des recours collectifs envisagés.

6. Avocats au Canada qui peuvent répondre à vos questions au sujet du présent avis et des recours collectifs envisagés:

[La liste des avocats, de leurs adresses et autres coordonnées est omise.]

ANNEXE B

LES FAITS

Évolution législative

a) Audiences devant le Comité

11. Le 15 décembre 2001, le défendeur a déposé le projet relatif au nouveau Règlement, qui prévoyait la création d'un nouveau système de sélection à l'égard des immigrants et comportait des dispositions transitoires. En vertu du paragraphe 5(2) de la LIPR, le défendeur doit déposer un projet de règlement au sujet de certaines questions devant le Parlement, qui doit renvoyer le projet de règlement en question au comité parlementaire compétent.

12. En janvier, février et mars 2002, le Comité permanent de la Chambre des communes sur la citoyenneté et l'immigration (le Comité) a tenu des audiences afin d'examiner le nouveau projet de Règlement. Il est évident que le Comité réprouvait vivement l'application du Règlement au détriment des milliers de personnes qui ont présenté une demande de visa d'immigrant sous le régime de l'ancien Règlement, avant l'annonce du nouveau Règlement par le gouvernement. Le nouveau Règlement devait entrer en vigueur en même temps que la nouvelle Loi, soit le 28 juin 2002.

13. Le 26 février 2002, le défendeur a accepté les préoccupations liées à l'équité qui ont été soulevées devant le Comité et selon lesquelles les personnes ayant déposé une demande de visa avant l'annonce du nouveau Règlement devraient être évaluées selon les critères de sélection en vigueur à la date de leurs demandes. Le ministre a annoncé que ces demandeurs continueraient à être choisis conformément aux critères de sélection actuellement en vigueur jusqu'au 1er janvier 2003 et que les travailleurs qualifiés et les gens d'affaires immigrants n'ayant pas reçu de décision relative à la sélection avant le 1er janvier 2003 seraient assujettis aux nouveaux critères de sélection énoncés dans le nouveau Règlement, mais seraient tenus d'obtenir une note de passage de 70 points plutôt que 75. Le défendeur a également annoncé que les personnes qui ont présenté une demande de visa n'ayant pas fait l'objet d'une évaluation préliminaire appelée sélection administrative peuvent solliciter un rappel de leurs demandes et un remboursement de leurs frais de traitement, étant donné qu'elles s'attendaient, lorsqu'elles ont initialement présenté leurs demandes, à être évaluées en vertu des anciens critères de sélection.

14. Cette annonce n'a pas calmé les appréhensions des parlementaires membres du Comité. Le 12 mars 2002, Mme Joan Atkinson, sous-ministre adjointe, Développement des politiques et des programmes, ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration, a comparu devant le Comité et a formulé les remarques suivantes au sujet de la prorogation de six mois annoncée par le ministre (à la page 14 de la transcription):

Nous estimons que la période de six mois nous donne suffisamment de temps pour nous attaquer à une bonne partie de cet arriéré [. . .] Ici encore l'objectif est de tâcher d'atténuer l'impact de la rétroactivité et de cette période de transition [. . .]

15. Les parlementaires qui étaient membres du Comité n'étaient pas satisfaits. Ils ont interrogé Mme Atkinson au sujet du nombre de demandes qui se trouvaient dans le système avant l'annonce du projet de Règlement et qui ne seraient pas traitées d'ici le 1er janvier 2003. À la page 25 de la transcription, Mme Atkinson s'est exprimée comme suit:

[. . .] notre région internationale estime que d'ici le 1er janvier 2003, elle espère avoir traité environ 90 000 demandes sur les 120 000 demandes en attente d'une décision. Donc c'est une légère amélioration par rapport à la situation que je viens de vous décrire [. . .]

À la lumière de ces remarques, le Comité a compris qu'environ 30 000 demandes déposées sous le régime de l'ancien système ne seraient pas traitées avant le 1er janvier 2003. Les membres du Comité ont décidé qu'il y avait lieu de modifier le Règlement afin de proroger jusqu'au 31 mars 2003 le délai de traitement de ces anciennes demandes, de façon que les personnes concernées puissent être évaluées en vertu des anciens critères de sélection. Le témoin du défendeur s'est fait demander si une priorité était attribuée à ces demandes afin que celles-ci puissent être traitées en vertu de l'ancien système à l'intérieur de ce délai. Mme Atkinson a laissé entendre que c'était possible (à la page 28 de la transcription):

Nous pouvons voir comment déployer nos ressources afin de traiter le maximum de demandes reçues selon l'ancien système avant que nous ne commencions à appliquer le nouveau système. C'est une possibilité. Sans ressources supplémentaires, nous devons décider comment redéployer nos ressources dans des endroits comme Beijing et d'autres villes où nous avons un grand nombre de demandes à traiter. La chose est possible.

b) Rapport du Comité

16. En mars 2002, le Comité permanent de la Chambre des communes sur la citoyenneté et l'immigration a fait paraître un rapport concernant le Règlement découlant de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Dans la première partie du rapport, sous la rubrique intitulée «Rétroactivité», le Comité s'est exprimé comme suit:

[. . .] Malheureusement, le 1er janvier 2003, quelque 30 000 demandes déjà reçues n'auront pas encore été traitées.

Le Comité sait gré au gouvernement de sa souplesse à cet égard, mais il a conclu que la proposition révisée ne va pas assez loin. Ceux qui ne sauront toujours pas, à la fin de 2002, s'ils ont été sélectionnés entretiennent les mêmes espoirs et ont les mêmes rêves que ceux qui sont avisés de la décision avant cette date. Nous croyons que le Ministère pourrait et devrait faire plus pour traiter autant de demandes que possible en repoussant la date limite de trois mois.

[. . .] Aussi recommandons-nous de poursuivre le traite-ment des demandes reçues avant le 31 décembre 2001 jusqu'à la fin de mars 2003.

17. Le Comité a recommandé la prorogation et a formulé quatre autres recommandations afin que les demandes déposées avant le 31 décembre 2001 soient traitées au plus tard le 31 mars 2003. Ces quatre autres recommandations étaient les suivantes:

1.     Citoyenneté et Immigration Canada devrait s'engager à examiner en priorité les demandes à traiter.

2.     Les bureaux de visas ayant à traiter un grand nombre de demandes devraient réévaluer leurs politiques générales en matière d'entrevue avec les demandeurs afin de traiter un plus grand nombre de demandes avant la date limite.

3.     Il y aurait lieu d'envoyer des équipes spéciales dans les bureaux des visas où l'arriéré est lourd afin que les demandes ne soient pas désavantagés par le lieu où ils ont présenté leur demande.

4.     Par souci de justice et d'équité, le gouvernement devrait augmenter les ressources affectées au traitement des demandes.

Le défendeur n'a pas tenu compte des recommandations du Comité

18. Lorsque le gouverneur en conseil a pris le nouveau Règlement, il a accepté la recommandation du Comité parlementaire et prorogé le délai du 31 décembre 2001 au 31 mars 2003. Cependant, il appert clairement de la preuve présenté à la Cour que, même si le nouveau Règlement prévoyait une prorogration du délai jusqu'au 31 mars 2003:

1.     le ministère n'a pris aucun engagement en vue d'examiner les demandes à traiter en priorité de façon à éliminer cet arriéré;

2.     les bureaux des visas saisis d'un grand nombre de demandes n'ont pas réévalué leurs politiques générales concernant les entrevues avec les demandeurs afin de traiter un plus grand nombre de demandes avant la date limite;

3.     le défendeur n'a pas envoyé d'équipes spéciales aux bureaux des visas où l'arriéré des demandes est lourd afin que ces demandes soient traitées;

4.     le défendeur n'a pas augmenté les ressources affectées au traitement de ces demandes.

La preuve indique donc que le défendeur n'a pas suivi la démarche recommandée par le Comité parlementaire afin de pouvoir traiter les demandes déposées avant le 1er janvier 2002 au plus tard à la date limite reportée au 31 mars 2003.

Objet de la prorogration jusqu'au 31 mars 2003

19. La prorogation du délai relatif à l'évaluation des demandes déposées avant le 1er janvier 2002 visait à donner le temps nécessaire au traitement de ces demandes. Le ministre a prorogé le délai une première fois du 28 juin 2002 au 31 décembre 2002 afin [traduction] «d'atténuer les préoccupations liées à la justique et à l'équité». Étant donné qu'il était évident, aux yeux du Comité, que 30 000 demandes appartenant à cette catégorie n'auraient pas encore été examinées le 31 décembre 2002, il a recommandé que ce délai soit prorogé à nouveau jusqu'au 31 mars 2003.

Les chiffres

20. Lorsque la présente affaire a été entendue, le défendeur n'avait pas une idée raisonnable du nombre de demandes de visas d'immigrants qui ont été déposées avant le 1er janvier 2002 et qui ne seront pas traitées avant le 31 mars 2003. Lorsqu'ils ont témoigné devant le Comité le 12 mars 2002, les représentants du défendeur ont souligné que 30 000 demandes de cette nature ne seraient pas traitées avant le 31 décembre 2002. Compte tenu de ce témoignages, qui a fait l'objet d'un contre-interrogatoire, il est évident que le défendeur a fourni au Comité des données numériques sensiblement erronées. Plutôt que les 30 000 demandes de cette nature qui seraient probablement pendantes le 31 décembre 2002, il appert de la preuve que de 80 000 à 120 000 demandes semblables n'auront vraisemblablement pas encore été examinées le 31 mars 2003. Bien entendu, la présente affaire concerne uniquement 124 demandes.

Les conséquences défavorables du nouveau Règlement pour les demandeurs

21. Il n'est pas nécessaire d'exposer en détail les différences entre l'ancien Règlement et le nouveau en ce qui concerne les demandeurs. Il est évident que ceux-ci craignent que leurs demandes de visas ne craignent que leurs demandes de visas ne soient refusées en vertu du nouveau Règlement alors qu'elles seraient acceptées s'ils étaient évalués sous le régime du Règlement de 1978. C'est pourquoi ils estiment qu'ils perdront des droits importants liés à l'obtention d'un visa canadien s'ils sont évalués en vertu des critères de sélection énoncés dans le nouveau Règlement. La Cour estime que les demandeurs ont des préoccupations légitimes à cet égard.

Les délais et le processus de traitement des demandes de visas

22. Les 124 demandes qui sont examinées en l'espèce ont été déposées à 21 différent bureaux des visas situés à l'étranger. La preuve indique sans conteste une accroissement exponentiel du nombre de demandes de visas dont ils sont saisis et qu'ils ne traitent qu'un nombre restreint de demandes par année conformément au contingent que le défendeur leur attribue. Par conséquent, il existe un arriéré à de nombreux bureaux des visas, où les demandeurs doivent attendre des années avant d'être appelés en entrevue. Le processus de traitement des demandes de visas est expliqué dans le site Web du défendeur daté du 5 juin 2002 et intitulé «Missions canadienne à l'étranger offrant des services d'immigration--Guide de référence rapide sur les bureaux des visas: où ils sont situés, ce qu'ils font et qui y travaille». Le processus de traitement des demandes de visas est expliqué comme suit:

La demande est examinée à un bureau des visas. Cela suppose confirmer l'identité du demandeur, déterminer la recevabilité de la demande et vérifier que le demandeur satisfait aux exigences sur les plans de la sécurité, de la santé et de la justice. Il est possible quelquefois de procéder à ce genre de vérifications par courrier. Dans les cas complexes, une entrevue peut être nécessaire. C'est l'agent des visas qui décide de délivrer ou non un visa.

Il appert de la preuve que la demande de visa fait d'abord l'objet d'une «sélection administrative» par un analyste, qui établit un document préliminaire intitulé «résumé du dossier d'évaluation de l'immigrant». À ce stade, un certain nombre de point d'appréciation sont attribués au demandeur et l'agent des visas décide s'il y a lieu de refuser la demande sur la foi de l'évaluation préliminaire, de faire droit à la demande sans exiger d'entrevue ou de faire une entrevue au demandeur. La preuve indique que cette sélection administrative ne nécessite que 10 à 15 minutes. Au cours de l'année 2001, 48 p. 100 des demandes visant toutes les catégories d'immigrants à l'échelle planétaire ont été accueillies à ce stade sans qu'une entrevue soit exigée.

23. Lorsqu'une entrevue est exigée par suite de la sélection administrative, les demandeurs sont inscrits sur une liste d'attente fictive; selon le bureau des visas concerné, le délai d'attente atteint souvent 15 mois. La durée moyenne de l'entrevue, lorsqu'elle a lieu, est d'environ une heure. Au cours de cette entrevue, l'agent des visas détermine de façon définitive le nombre de points d'appréciation à attribuer au demandeur, à moins que certaines questions soulevées au cours de l'entrevue ne nécessitent une vérification.

Exemple du retard

24. Afin de donner un exemple concret, la Cour citera le cas de la demande qu'a déposée M. Majumdar Anup Kumar (ci-après appelé M. Majumdar) dans le dossier numéro IMM-3077-02.

a)     M. Majumdar a déposé une demande de résidence permanente au Canada au bureau canadien des visas situé à Hong Kong le 1er juin 1999. M. Majumdar est un ingénieur en mécanique qui est titulaire d'un baccalauréat en génie mécanique et compte douze ans d'expérience. Tous les documents nécessaires ainsi que les frais de traitement prescrits, soit une somme de 1 100 $, ont été joints à la demande.

b)     Le 5 aôut 1999, le bureau des visas de Hong Kong a accusé réception de la demande de visa et du paiement des frais prescrits, attribué un numéro de dossier à la demande et informé le demandeur qu'une évaluation initiale de sa demande auraient lieu dans les «six prochains mois».

c)     Le 21 octobre 1999, le bureau des visas de Hong Kong a informé le demandeur que l'évaluation initiale de la demande avant été faite, qu'il serait avisé dans les «15 prochains mois» de la date de l'entrevue et que les entrevues ont généralement lieu de deux à trois mois après la lettre d'avis (un délai de 15 mois suivant le 21 octobre 1999 nous mène au 21 janvier 2001).

d)     Le 12 juin 2001 (20 mois plus tard), étant donné que le délai de 15 mois avait expiré sans que le demandeur reçoive de nouvelle du bureau des visas, l'avocat de celui-ci a fait parvenir une lettre au directeur du programme du défendeur au bureau des visas de Honk Kong afin de lui demander une date d'entrevue et un rapport concernant l'évolution du dossier de son client.

e)     N'ayant reçu aucune réponse à cette lettre, l'avocat a fait parvenir par télécopieur un avis de rappel au directeur du programme le 22 août 2001. Dans cet avis, l'avocat a souligné qu'il avait laissé [traduction] «plusieurs messages téléphoniques sur la boîte vocale du directeur du programme».

f)     À la date de l'audience, M. Majumdar n'a pas encore été joint par le bureau des visas the Hong Kong et aucune entrevue n'a été fixée pour lui, malgré le fait que sa demande a été déposée 44 mois plus tôt.

25. M. Majumdar a déclaré au cours de son témoignage qu'il ne serait pas admissible selon les nouveaux critères de sélection applicables aux travailleurs qualifiés, qu'il aurait été admissible à un visa en vertu de l'ancien Règlement et qu'il avait investi plus de 6 000 $ et plus de trois ans de sa vie dans la préparation et la présentation d'une demande de visa canadien.

Recettes d'Immigration découlant des droits exigés des demandeurs de visas

16. Pour l'exercice financier terminé le 31 mars 2002, les recettes d'Immigration découlant des droits qui ont été exigés des demandeurs de visas et perçus par tous les bureaux des visas ont atteint une somme de 310 000 000 $, alors que les dépenses budgétaires de ces bureaux se sont élevées à 185 800 000 $ au cours de la même période. En con-séquence, le gouvernement a perçu 125 000 000 $ de plus au titre des droits exigés à l'égard des demandes de visas que le montant qu'il a dépensé en 2002 pour les bureaux des visas à l'étranger. Il appert de la preuve que ces recettes sont versées au Trésor et que le défendeur n'a pas demandé de ressources supplémentaires ou d'autres crédits budgétaires en 2002 afin de traiter l'arriéré des demandes de visas d'ici le 31 mars 2003.

Équipes de formation d'intervention spéciale

27. Il a été mis en preuve qu'en 2001, le défendeur a envoyé des équipes de formation et d'intervention spéciale aux bureaux des visas à l'étranger afin d'éliminer les arriérés aux missions comptant un nombre élevé de cas à traiter. Le défendeur a demandé et obtenu des ressources supplémentaires du gouvernement en 2001 à cette fin. Le comité a recommandé que ces équipes soient utilisées en 2002 afin d'éliminer les arriérés. Toutefois, le défendeur n'a fait aucune demande de ressources supplémentaires permettant d'affecter ces équipes à cette tâche et d'éliminer l'arriéré d'ici le 31 mars 2003. D'après le témoignage de M. Daniel Jean, directeur général de la Région internationale à Citoyenneté et d'Immigration Canada, ces équipes peuvent être composées de représentants expérimentés qui sont basés à Ottawa et qui doivent recevoir une formation de deux semaines.

Nombre d'agents qui traitent les demandes de visas à l'étranger

28. Le nombre réel d'agents d'immigration qui traitent les demandes de visas dans les bureaux situés à l'étranger a baissé en 2002 comparativement à 2001, passant en effet de 1 403 à 1 366.

Absence de mesures visant à traiter l'arriéré avant le 31 mars 2003

29. Au cours de son-interrogatoire, M. Daniel Jean, le principal témoin du défendeur, a mentionné qu'il n'y a pas d'objectif, de programme et de personnel temporaire en place pour éliminer l'arriéré des demandes, parce que le défendeur atteint actuellement ses niveaux cibles en matière d'immigration. M. Jean a confirmé qu'aucune nouvelle ressource n'était déployée en vue d'éliminer l'arriéré.

Fermeture du bureau des visas de Hong Kong pour une période de trois mois

30. Environ 11 000 demandes reçues avant le 1er janvier 2002 à Hong Kong ne seront vraisemblablement pas traitées le 31 mars 2003. Le bureau des visas de Hong Kong a été fermé pendant trois mois au cours de l'été 2002 et le personnel a donc cessé d'évaluer les demandeurs. La fermeture avait pour but de former le personnel de Hong Kong au sujet de la nouvelle Loi.

Les demandeurs ne sont pas des resquilleurs

31. Il importe de souligner que les demandeurs en l'espèce ont respecté les règles et exigences canadiennes afin d'obtenir leur admission au Canada. Ils ne sont pas des «resquilleurs». De plus, ces demandeurs sont généralement des travailleurs qualifiés qui croient qu'ils seraient admissibles à obtenir le droit de s'établir au Canada sous le régime de l'ancien Règlement.

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