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IMM-2668-02

2003 CFPI 527

Vuy Ly (demanderesse)

c.

Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (défendeur)

Répertorié: Ly c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Russell--Toronto, 7 avril; Ottawa, 28 avril 2003.

Citoyenneté et Immigration -- Pratique en matière d'immigration -- Contrôle judiciaire d'une décision de la section d'appel de la CISR rejetant, pour défaut de compétence, l'appel d'une décision de l'agente des visas de retirer le neveu de la demanderesse de la demande de résidence permanente de sa grand-mère -- L'agente n'était pas convaincue que l'adoption de l'enfant était reconnue en droit au Cambodge -- La Commission a conclu qu'elle n'avait pas compétence parce qu'il n'y avait pas eu de rejet d'un parent -- Pouvait-on se prévaloir du droit d'appel prévu en vertu de l'art. 77 de la Loi sur l'immigration? -- Les décisions de la Commission doivent faire l'objet d'un haut degré de retenue judiciaire -- Comme il s'agit d'une question mixte de faits et de droit, la norme de contrôle est la décision raisonnable simpliciter -- Si l'enfant n'est pas adopté, alors il est orphelin et donc un «parent», au sens de l'art. 2(1) du Règlement -- Étant orphelin, il aurait pu être parrainé directement par la demanderesse -- La question consiste à savoir si le retrait de l'enfant donne naissance au droit d'appel prévu à l'art. 77(3) -- L'enfant devrait-il présenter une demande séparée en tant que parent indépendant? -- La demande d'établissement n'a pas été rejetée en vertu de l'art. 77(1) -- Il faut éviter un résultat insatisfaisant qui se fonderait sur la pure logique de l'interprétation des lois pour ne tenir aucun compte de la dimension humaine -- L'art. 3 de la Loi porte que les règlements doivent être appliqués de façon à faciliter la politique de réunification des familles -- Rien n'empêche de considérer l'enfant comme un codemandeur avec sa grand-mère, ce qui lui accorde le bénéfice de l'art. 77(1) de la Loi -- Au vu des faits particuliers de l'espèce, la Commission a compétence.

Cette demande de contrôle judiciaire porte sur une décision de la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié rejetant l'appel d'une décision de l'agente des visas de retirer le neveu de la demanderesse de la demande de résidence permanente de sa grand-mère.

La demanderesse, citoyenne du Canada, a présenté une demande parrainée de résidence permanente pour sa mère. Sa mère a inscrit un fils adoptif, orphelin depuis l'âge d'un an, dans sa demande de droit d'établissement. L'agente a retiré l'enfant, parce qu'elle n'était pas convaincue que le «certificat d'adoption» délivré par l'administration municipale était reconnu au Cambodge. Dans la lettre où elle communique sa décision, l'agente mentionne qu'en vertu de l'article 77 de la Loi sur l'immigration, il n'y a pas de droit d'appel. La demanderesse a néanmoins interjeté un appel, que la Commission a rejeté pour défaut de compétence. Dans ses motifs, la Commission a expliqué que «le répondant n'a le droit d'interjeter appel que contre le rejet de la demande d'un parent et non contre le refus d'inscrire dans la demande une prétendue personne à charge de ce parent». Elle a donc conclu qu'elle n'avait pas compétence pour entendre l'appel, parce qu'il n'y avait pas eu de rejet d'un parent.

Jugement: la requête est accueillie.

Dans l'arrêt Boulis c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, la Cour suprême du Canada a conclu que les décisions de la Commission devaient faire l'objet d'un degré élevé de retenue judiciaire et qu'on ne pouvait intervenir que dans des cas très limités. Cet arrêt date de 1974, mais notre Cour l'a appliqué dans certaines de ses décisions récentes. Comme il s'agit en l'espèce d'une question mixte de faits et de droit, la norme de contrôle est la décision raisonnable simpliciter.

Lorsque l'agente a décidé qu'il n'y avait pas une preuve suffisante d'adoption, l'enfant devenait un orphelin visé par la définition de «parent» au paragraphe 2(1) du Règlement. L'argument du ministre que le lien de parenté de l'enfant avec la demanderesse n'a été invoqué qu'après le rejet n'est pas fondé. Si l'on n'accepte pas l'adoption de l'enfant, il demeure toujours le neveu de la demanderesse. Étant un orphelin de moins de 19 ans, il aurait pu être parrainé directement par la demanderesse en vertu de l'alinéa 2(1)e) de la définition de «parent».

La question consiste à savoir si le retrait de l'enfant est l'équivalent d'un rejet donnant naissance au droit d'appel prévu au paragraphe 77(3), ou bien si l'on doit le considérer comme une personne dite à charge dans le contexte de la demande de sa grand-mère. En d'autres mots, l'enfant devrait-il présenter une demande séparée d'établissement en tant que parent indépendant, demande qui serait alors examinée au fond? L'enfant aurait pu être parrainé directement par la demanderesse, si elle avait su que son adoption ne serait pas reconnue. La question devient donc la suivante: pour qu'il y ait compétence en vertu du paragraphe 77(3), est-il nécessaire que la demande retirée ait été présentée au titre de parent, ou suffit-il que la personne rejetée ait en fait été un parent? Il ne semble pas y avoir de jurisprudence portant directement sur cette question.

La difficulté pour la demanderesse est liée au fait que pour se prévaloir d'un appel en vertu du paragraphe 77(3), elle doit démontrer que la demande d'établissement a été «rejetée en vertu du paragraphe (1)». La preuve démontre que la demande de l'enfant n'a pas été rejetée en vertu du paragraphe 77(1). Cette conclusion est hautement insatisfaisante parce qu'elle est fondée sur la pure logique de l'interprétation des lois et qu'elle ne tient aucun compte de la dimension humaine qui ressort des faits de l'espèce. De plus, le fait d'insister sur le dépôt d'une nouvelle demande équivaudrait à une fort mauvaise utilisation des ressources de notre régime d'immigration.

L'article 3 de la Loi porte que la politique canadienne d'immigration a pour objectif de faciliter la réunion au Canada des citoyens canadiens avec leurs proches parents de l'étranger, et que les règles et règlements doivent être appliqués au vu de cet objectif. Il n'y a rien dans la Loi ou le Règlement qui empêche de considérer l'enfant comme un codemandeur avec sa grand-mère, étant donné qu'il est admissible de son propre chef au parrainage de la demanderesse en tant que parent, ce qui lui accorde le bénéfice du paragraphe 77(1) de la Loi. La Commission a donc compétence pour entendre l'appel et son refus de procéder était déraisonnable, au vu des faits très particuliers et étroits de l'affaire.

Il n'y a pas eu de question à certifier.

lois et règlements

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 3, 77 (mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 15).

Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, art. 2(1) «parent» (édicté par DORS/93-44, art. 1).

jurisprudence

décisions appliquées:

Buttar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] I.A.D.D. no 1317 (QL); Boulis c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1974] R.C.S. 875; (1972), 26 D.L.R. (3d) 216; Khangura c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 191 F.T.R. 311 (C.F. 1re inst.).

distinction faite d'avec:

Kong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] I.A.D.D. no 692 (QL); Samra c. Canada (Secrétaire d'État), [1994] A.C.F. no 1110 (1re inst.) (QL).

décisions citées:

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Brar (2002), 20 Imm. L.R. (3d) 149 (C.F. 1re inst.); Coutinho c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 858; [2002] A.C.F. no 1137 (1re  inst.) (QL); Habib c. Canada (Ministre de la Citoyen-neté et de l'Immigration), [1994] I.A.D.D. no 253 (QL); Assoc. canadienne des fabricants de pâtes alimentaires c. Aurora Importing & Distributing Ltd. (1997), 208 N.R. 329 (C.A.F.); Jaworski c. Canada (Procureur général) (2000), 25 Admin. L.R. (3d) 142; 255 N.R. 167 (C.A.F.); Bui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 144; [2001] A.C.F. no 296 (1re inst.) (QL); Mann c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] I.A.D.D. no 1647 (QL); Samra c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 193 F.T.R. 263; 9 Imm. L.R. (3d) 30 (C.F. 1re inst.); Bailon c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] A.C.F. no 386 (C.A.) (QL); Satinder c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 205 F.T.R. 102; 14 Imm. L.R. (3d) 146 (C.F. 1re inst.); Kha c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1986), 5 F.T.R. 150 (C.F. 1re inst.); Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; (1999), 174 D.L.R. (4th) 193; 14 Admin. L.R. (3d) 173; 1 Imm. L.R. (3d) 1; 243 N.R. 22.

DEMANDE de contrôle judiciaire d'une décision de la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié rejetant, pour défaut de compétence, l'appel d'une décision de l'agente des visas de retirer le neveu de la demanderesse de la demande de résidence permanente de sa grand-mère. Demande accueillie.

ont comparu:

Cecil L. Rotenberg, c.r. pour le demandeur.

Rhonda M. Marquis pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier:

Ceci L. Rotenberg, c.r., Don Mills (Ontario), pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance et ordonnance rendus par

[1]Le juge Russell: La présente demande de contrôle judiciaire porte sur une décision de la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 8 mai 2002, rejetant l'appel d'une décision de l'agente des visas Pauline Koh (l'agente), datée du 25 septembre 2001, par laquelle elle retirait le neveu de la demanderesse de la demande de résidence permanente de sa grand-mère.

Le contexte

[2]La demanderesse est citoyenne du Canada et elle a présenté une demande parrainée de résidence permanente pour sa mère. Sa mère a inscrit un fils adoptif dans sa demande de droit d'établissement. L'enfant, Youk Lay Lmouk, est le neveu de la demanderesse et il est orphelin depuis l'âge d'un an, ses parents ayant été tués en 1986. À titre de preuve que son neveu avait été adopté par sa mère, la demanderesse a présenté un «certificat d'adoption» délivré par l'administration locale au Cambodge.

[3]L'agente a retiré Youk Lay Lmouk de la demande de sa grand-mère, parce qu'elle n'était pas convaincue que l'adoption était reconnue en droit au Cambodge. Selon l'agente, la seule preuve acceptable d'adoption d'un enfant n'habitant pas dans un orphelinat au Cambodge est un jugement de la Cour municipale. Étant donné qu'il n'y avait pas une preuve suffisante que l'adoption était reconnue en droit au Cambodge, le neveu de la demanderesse a été jugé être une personne inadmissible.

[4]Dans la lettre du 25 septembre 2001 par laquelle l'agente communique sa décision à la mère de la demanderesse, dont celle-ci a reçu copie, on trouve la mention du fait qu'il n'y a pas de droit d'appel de la décision de l'agente à la Commission en vertu de l'article 77 [mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 15] de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi).

[5]Toutefois, la demanderesse a interjeté appel auprès de la section d'appel du retrait de son neveu de la demande, au motif qu'il est un parent. La Commission a rejeté l'appel pour défaut de compétence.

La décision soumise au contrôle

[6]La Commission a énoncé les motifs suivants à l'appui de sa décision:

La SAI peut entendre un appel s'il découle du refus d'une demande parrainée de résidence permanente d'un parent. Le parent peut comprendre un enfant à charge visé par la demande d'établissement. Une «personne à charge» n'est pas un parent à moins qu'elle ne soit également visée par la définition de l'expression «parent». Si la demande d'établissement présentée par le parent n'a pas été rejetée et que celle de la prétendue personne à charge l'a été, la SAI n'a pas compétence pour entendre l'appel. Le répondant n'a le droit d'interjeter appel que contre le rejet de la demande d'un parent et non contre le refus d'inclure dans la demande une prétendue personne à charge de ce parent.

En l'espèce, le neveu du répondant a été retiré de la demande de la mère du répondant parce que, selon l'agente des visas, le requérant s'avère une personne inadmissible qui est, à ce que l'on prétend, une personne à charge. Selon l'intimé, aucune décision n'a encore été prise par les responsables de l'Immigration canadienne relativement à la demande de la mère du répondant. Par conséquent, je conclus que la SAI n'a pas la compétence pour entendre l'appel de l'appelant parce qu'aucun rejet ne vise un parent.

La législation pertinente

[7]Les dispositions pertinentes de la Loi sont rédigées comme suit:

3. La politique canadienne d'immigration ainsi que les règles et règlements pris en vertu de la présente loi visent, dans leur conception et leur mise en oeuvre, à promouvoir les intérêts du pays sur les plans intérieur et international et reconnaissent la nécessité:

[. . .]

c) de faciliter la réunion au Canada des citoyens canadiens et résidents permanents avec leurs proches parents de l'étranger;

[. . .]

77. (1) L'agent d'immigration ou l'agent des visas, selon le cas, peut rejeter une demande parrainée d'établissement présentée par un parent pour l'un ou l'autre des motifs suivants--dont doit être alors informé le répondant:

a) le répondant ne remplit pas les conditions fixées par les règlements;

b) le parent ne remplit pas les conditions fixées par la présente loi et ses règlements.

[. . .]

(3) S'il est citoyen canadien ou résident permanent, le répondant peut, sous réserve des paragraphes (3.01) et (3.1), en appeler devant la section d'appel en invoquant les moyens suivants:

a) question de droit, de fait ou mixte;

b) raisons d'ordre humanitaire justifiant l'octroi d'une mesure spéciale.

[8]On trouve la définition suivante de «parent» [édicté par DORS/93-44, art. 1] au Règlement [Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172]:

2. (1) Dans le présent règlement,

«parent» À l'égard d'un répondant, l'une des personnes suivantes:

[. . .]

e) son frère, sa soeur, son neveu, sa nièce, son petit-fils ou sa petite-fille, orphelins âgés de moins de 19 ans et non mariés;

La question en litige

[9]La Commission a-t-elle commis une erreur en restreignant indûment sa compétence?

Les points de vue

La demanderesse

[10]La demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur en concluant qu'il n'y avait pas eu de rejet d'un parent, même si Youk Lay Lmouk est porté comme «personne à charge» dans la demande d'établissement de la mère. Le neveu de la demanderesse est visé par la définition du mot «parent», qui se trouve au paragraphe 2(1) du Règlement. Par conséquent, son retrait de la demande équivaut en fait au rejet d'un parent. La Commission avait donc compétence pour entendre un appel de la décision, et elle aurait dû le faire.

[11]La demanderesse définit la décision de la Commission qu'elle n'a pas compétence comme une erreur de droit, la norme de contrôle étant celle de la décision correcte.

Le défendeur

[12]Le défendeur soutient que la question présentée à la Cour est essentiellement une question de fait, la norme de contrôle étant par conséquent celle de la décision manifestement déraisonnable. À l'appui de ce point de vue, le défendeur cite les décisions suivantes: Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Brar (2002), 20 Imm. L.R. (3d) 149 (C.F. 1re inst.), juge Dawson; Coutinho c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 858; [2002] A.C.F. no 1137 (1re inst.) (QL); Habib c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] I.A.D.D. no 253 (QL); Assoc. canadienne des fabricants de pâtes alimentaires c. Aurora Importing & Distributing Ltd. (1997), 208 N.R. 329 (C.A.F.), à la page 333; et Jaworski c. Canada (Procureur général) (2000), 25 Admin. L.R. (3d) 142 (C.A.F.), au paragraphe 72.

[13]Le défendeur soutient de plus que la demanderesse a le fardeau de démontrer qu'il y a eu rejet d'un parent et que la Commission avait compétence pour entendre l'appel en vertu du paragraphe 77(3) de la Loi. Le défendeur cite Bui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 144; [2001] A.C.F. no 296 (1re inst.) (QL), juge Lemieux, et Mann c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] I.A.D.D. no 1647 (QL). L'agente a conclu que le neveu de la demanderesse n'avait pas fait l'objet d'une adoption reconnue en droit au Cambodge et qu'elle devait donc le retirer de la demande d'établissement de sa grand-mère. Le défendeur cite Samra c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 193 F.T.R. 263 (C.F. 1re inst.), juge Muldoon. Au vu des allégations présentées dans la demande de parrainage, pour que l'enfant soit admissible il aurait fallu qu'il soit présenté comme personne à charge de la demanderesse principale, qui est une parente, ce qui n'a pas été fait lorsque le dossier a été présenté à l'agente. Le défendeur cite Buttar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] I.A.D.D. no 1317 (QL).

[14]Le défendeur s'appuie sur Bailon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1986] A.C.F. no 386 (C.A.) (QL) pour dire que lorsqu'une personne à charge est retirée d'une demande d'établissement, le demandeur principal ne peut utiliser la procédure d'appel prévue à l'article 77 de la Loi, son seul recours étant une demande de contrôle judiciaire.

[15]Le défendeur soutient qu'en fait, la demanderesse cherche à faire déclarer l'enfant comme un parent suite à une décision voulant qu'il n'en soit pas un. La demanderesse cherche à obtenir un droit d'appel à la Commission en se fondant sur un lien de parenté qui n'a été déclaré qu'après le rejet. Par conséquent, la décision de l'agente ne constitue pas le rejet d'un parent. Le défendeur cite Kong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] I.A.D.D. no 692 (QL); et Samra c. Canada (Secrétaire d'État), [1994] A.C.F. no 1110 (1re inst.) (QL), juge Gibson.

[16]Finalement, le défendeur soutient que les présentations écrites de la demanderesse à la Commission en réponse à la requête demandant le rejet de l'appel pour défaut de compétence ne suffisaient pas à satisfaire son fardeau de prouver que l'enfant était un parent de la personne qui voulait la parrainer. La demanderesse a déclaré que l'enfant était le petit-fils de la personne qui le parrainait, ce qui n'était pas le cas.

Analyse

La norme de contrôle

[17]Le défendeur soutient que la question soumise à la Cour est essentiellement une question de fait et donc que la norme de contrôle est celle de la décision manifestement déraisonnable.

[18]Dans l'arrêt Boulis c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1974] R.C.S. 875, à la page 877, la Cour suprême du Canada a examiné la question de la norme de contrôle applicable aux décisions de la Commission, déclarant qu'elles devaient faire l'objet d'un degré élevé de retenue judiciaire et qu'on ne pouvait intervenir que dans des cas très limités, décrits ainsi par le juge Abbott:

À mon avis, cependant, un appel ne peut réussir que si l'on établit que la Commission a) a refusé d'exercer sa compétence ou b) n'a pas exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère l'art. 15 conformément aux principes de droit bien établis. Quant à ces principes, lord Macmillan, au nom du Comité judiciaire, dit dans l'arrêt D. R. Fraser and Co. Ltd. c. Le ministre du Revenu national [[1949] A.C. 24] à la page 36:

[traduction] Les critères selon lesquels il faut juger l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire conféré par une loi ont été définis dans plusieurs arrêts qui font jurisprudence et il est admis que si le pouvoir discrétionnaire a été exercé de bonne foi, sans influence d'aucune considération étrangère, ni de façon arbitraire ou illégale, aucune cour n'a le droit d'intervenir, même si cette cour eût peut-être exercé ce pouvoir discrétionnaire autrement s'il lui avait appartenu.

[19]Parmi les affaires où notre Cour a adopté la norme de contrôle énoncée dans l'arrêt Boulis, on trouve Satinder c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 205 F.T.R. 102 (C.F. 1re inst.), juge Heneghan, aux paragraphes 14 et 15; Coutinho, précité, note 5, aux paragraphes 13 et 14, et Khangura c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 191 F.T.R. 311 (C.F. 1re inst.). Le juge O'Keefe a énoncé succinctement la norme de contrôle des déci-sions de la Commission comme suit, au paragraphe 21:

La norme de contrôle qui s'applique à la décision de la section d'appel est celle de la décision correcte lorsqu'une question de droit est en cause et celle de la décision raisonnable simpliciter lorsqu'une question de fait et de droit est en cause. Les conclusions de fait tirées par la section d'appel ne devraient être annulées que si elles sont manifestement erronées.

[20]La question dont la Cour est saisie consiste à savoir si la Commission a commis une erreur en concluant qu'elle n'avait pas compétence pour entendre un appel du retrait du neveu de la demanderesse de la demande d'établissement de sa grand-mère. Comme il s'agit d'une question mixte de faits et de droit, la norme de contrôle est la décision raisonnable simpliciter.

Y a-t-il eu rejet d'un parent?

[21]Pour que la Commission soit habilitée à entendre un appel en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi, il doit y avoir eu rejet de la demande d'établissement d'un parent. En d'autres mots, le fait de retirer de la demande d'une personne qui est un parent une autre personne qu'on dit être à charge ne donne pas naissance à un droit d'appel à la Commission.

[22]C'est la demanderesse qui doit démontrer que le retrait de son neveu de la demande de sa grand-mère constitue le rejet d'un parent.

[23]Lorsque l'agente a décidé qu'il n'y avait pas une preuve suffisante pour démontrer que Youk Lay Lmouk avait été adopté par sa grand-mère, elle concluait en fait qu'il n'avait pas été adopté aux fins de la Loi. Par conséquent, n'ayant pas été adopté, Youk Lay Lmouk était un orphelin et il était visé par la définition de «parent» au paragraphe 2(1) du Règlement.

[24]L'argument du défendeur que le lien de parenté de Youk Lay Lmouk avec la demanderesse n'a été invoqué qu'après le rejet n'est pas fondé et les affaires sur lesquelles il s'appuie peuvent être distinguées au vu de leurs faits respectifs. Kong porte sur une demanderesse adoptée par la personne la parrainant après le rejet de sa demande initiale, et Samra est une affaire où la Commission avait tiré des conclusions au sujet de la crédibilité d'un mariage, dans lesquelles cette Cour ne voulait pas intervenir. Par contre, si l'on n'accepte pas l'adoption de Youk Lay Lmouk, il demeure toujours le neveu de la demanderesse. La conclusion de l'agente portant qu'il n'a jamais été adopté par sa grand-mère veut dire qu'il était toujours orphelin. Il n'a pas encore 19 ans. Par conséquent, durant toute l'époque pertinente Youk Lay Lmouk aurait pu être parrainé directement par la demanderesse en vertu de l'alinéa 2(1)e) de la définition de «parent».

[25]La difficulté consiste alors à décider si le retrait de Youk Lay Lmouk de la demande est l'équivalent d'un rejet qui donne naissance au droit d'appel prévu au paragraphe 77(3) de la Loi, ou bien si l'on doit le considérer comme une personne dite à charge dans le contexte de la demande de sa grand-mère. En d'autres mots, il faut décider si Youk Lay Lmouk devrait présenter une demande séparée d'établissement en tant que parent indépendant, demande qui serait alors examinée au fond. S'agissant de Youk Lay Lmouk, la demande présentée à l'agente n'était pas une demande de parent, même si Youk Lay Lmouk était un parent et que la demanderesse aurait pu le parrainer directement si elle avait su qu'on ne reconnaîtrait pas la validité de son adoption par sa grand-mère.

[26]Pour qu'il y ait compétence pour entendre un appel en vertu du paragraphe 77(3) de la Loi, est-il nécessaire que la demande retirée ou rejetée ait été présentée au titre de parent, ou suffit-il que la personne rejetée ait en fait été un parent?

[27]La demanderesse et le défendeur n'ont pu citer de jurisprudence portant directement sur cette question.

[28]La difficulté pour la demanderesse est liée au fait que pour se prévaloir du paragraphe 77(3), elle doit démontrer que la demande d'établissement a été «rejetée en vertu du paragraphe (1)». La demande de la grand-mère n'a pas été rejetée et la demande Youk Lay Lmouk n'a pas été rejetée en vertu du paragraphe 77(1). En fait, cette dernière demande a été retirée parce que l'agente n'accordait pas foi à la preuve d'adoption et qu'elle a conclu que Youk Lay Lmouk ne pouvait être assimilé à une personne à charge.

[29]Cette conclusion crée des difficultés en ce qu'elle semble hautement insatisfaisante dans les circonstances. Elle se fonde sur la pure logique de l'interprétation des lois et ne tient aucun compte de la dimension humaine qui ressort des faits en l'espèce. Après avoir perdu ses parents alors qu'il était très jeune, sa grand-mère se chargeant de lui (comme fils adoptif ou autrement), Youk Lay Lmouk ne devrait pas maintenant être soumis au risque d'être séparé de sa famille s'il est obligé de présenter une nouvelle demande d'établissement. De plus, le fait d'insister sur le dépôt d'une toute nouvelle demande équivaudrait à une fort mauvaise utilisation des ressources financières et autres de notre régime d'immigration. Heureusement, il semble qu'au vu des faits de l'affaire il existe une solution au problème auquel nous sommes confrontés.

[30]L'article 3 de la Loi porte que la politique canadienne d'immigration ainsi que les règles et règlements pris en vertu de la Loi visent, dans leur conception et leur mise en oeuvre, «à promouvoir les intérêts du pays sur les plans intérieur et international» et reconnaissent notamment la nécessité «de faciliter la réunion au Canada des citoyens canadiens et résidents permanents avec leurs proches parents de l'étranger». Ces objectifs ont été cités et appliqués maintes fois par notre Cour, ainsi que par les commissions et agents chargés d'appliquer les dispositions législatives à des cas précis.

[31]Dans cet esprit, on trouve une solution au dilemme que pose l'affaire présente dans Buttar, précité, une affaire citée par le défendeur.

[32]Dans Buttar, précité, la commission a avancé l'idée qu'une personne dite à charge pouvait être assimilée à un codemandeur, qui avait le droit d'obtenir le traitement de sa demande au décès du demandeur principal dans la mesure où il se qualifiait aussi comme parent. La Commission déclare ceci, au paragraphe 7:

Le tribunal est d'avis que la demande de résidence permanente de Surjit Kaur et l'appel subséquent déposé par l'appelant ont pris fin au décès de Surjit Kaur. Dans la présente affaire, Sarabjit Kaur ne peut être considérée comme la corequérante de Surjit Kaur et le traitement de sa demande ne peut se poursuivre. Cela est possible lorsque le requérant principal et sa personne à charge sont tous les deux admissibles au parrainage de leur plein droit à titre de membres de la catégorie des parents. Comme dans le cas d'un époux et d'une épouse, par exemple, qui sont tous les deux les parents du répondant. [Je souligne.]

[33]Au vu de cette suggestion fort utile, je ne vois rien dans la Loi ou le Règlement qui nous empêcherait de considérer Youk Lay Lmouk comme un codemandeur avec sa grand-mère, étant donné qu'il est admissible de son propre chef au parrainage de la demanderesse en tant que parent, ce qui lui accorde le bénéfice du paragraphe 77(1) de la Loi. En appliquant ce raisonnement, on peut conclure que le retrait de son nom de la demande d'établissement constitue le rejet d'un parent. Cette approche s'appuie sur l'article 3 de la Loi, précité, qui permet une interprétation souple de la Loi et du Règlement dans la mesure où une telle interprétation ne contrevient pas à une des dispositions spécifiques de la législation. Voir Kha c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1986), 5 F.T.R. 150 (C.F. 1re inst.), juge Muldoon, et Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 68.

[34]Étant donné que le neveu de la demanderesse est un parent et que son nom a été retiré de la demande d'établissement, la Commission a compétence pour entendre l'appel et son refus de procéder était déraisonnable dans les circonstances. Au vu des faits très particuliers et étroits de la présente affaire, la Commission a commis une erreur en restreignant indûment sa compétence et la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE:

1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision du 8 mai 2002 est annulée, la question étant renvoyée pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué.

2. Il n'y aura pas de question certifiée.

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