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T-155-02

2003 CFPI 583

La compagnie pharmaceutique Procter & Gamble Canada, Inc. et The Procter & Gamble Company (demanderesses)

c.

Le ministre de la Santé et Genpharm Inc. (défendeurs)

Répertorié: Compagnie pharmaceutique Procter & Gamble Canada, Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (1re inst.)

Section de première instance, juge Gauthier--Toronto, 3 février; Ottawa, 12 mai 2003.

Brevets -- Pratique -- Requête en vue de faire rejeter la demande au motif que le brevet n'aurait pas dû être inscrit au registre des brevets parce que (i) il a été inscrit hors délai, (ii) abandonné, il ne pouvait être valablement inscrit -- La Cour ne s'est pas prononcée sur les critères applicables aux requêtes fondées sur l'art. 6(5) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) -- Les brevets redélivrés sont assujettis au délai prévu à l'art. 4(4) du Règlement -- Il existe une différence entre l'octroi et la délivrance d'un brevet -- La requête est rejetée puisqu'il n'apparaît pas de manière claire et manifeste que le brevet n'est pas admissible à l'inscription au registre.

La compagnie pharmaceutique Procter & Gamble Canada, Inc. et the Procter & Gamble Company (Procter) ont demandé et obtenu une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à Genpharm Inc. avant l'expiration du brevet canadien no 1338376 de Procter (brevet 376) (relativement à la nouvelle utilisation de son médicament étidronate disodium). C'est dans ce contexte que Genpharm a déposé la présente requête, fondée sur le paragraphe 6(5) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement), en vue de faire rejeter l'avis de demande de Procter au motif que le brevet 376 n'aurait pas dû être inscrit au registre des brevets parce qu'il aurait été inscrit en dehors de la période prévue au paragraphe 4(4) du Règlement, et parce que le brevet (702), abandonné lors de la redélivrance du brevet 376, ne peut valablement être inscrit au registre des brevets. (Le brevet 376 comprend les revendications figurant dans le brevet 702, ainsi que des revendications additionnelles portant sur l'administration d'un polyphosphonate inhibant la résorption osseuse, tel que l'étidronate disodium, pour le traitement et la prévention de l'ostéoporose.) Par la suite, Procter a déposé une modification de la liste de brevets pour que le brevet 376 soit inclus au registre des brevets au lieu du brevet 702.

Jugement: la requête est rejetée.

En l'espèce, la Cour n'a pas tranché la question de savoir s'il fallait appliquer les critères restrictifs énoncés dans l'arrêt Hunt c. Carey Canada Inc., de la Cour suprême du Canada, aux requêtes en irrecevabilité fondées sur l'article 6(5) puisque, de toute manière, elle serait parvenue à la même conclusion.

D'après le Résumé de l'étude d'impact de la réglementation joint aux modifications apportées en 1998 au Règlement, l'article 3(1) confirme que le ministre de la Santé est habilité à retirer des brevets inadmissibles de la liste de brevets. Cette disposition confère au ministre le droit de supprimer tout brevet qui ne qui ne respecte pas les exigences de l'article 4 dans son ensemble, y compris celles énoncées au paragraphe 4(4) (délai prévu pour soumettre une liste de brevets ou toute modification apportée à une liste de brevets). Selon le paragraphe 47(1) de la Loi sur les brevets, lequel traite de la «redélivrance», et le texte du paragraphe 4(4) du Règlement, cette dernière disposition s'applique au brevet 376.

Le brevet 376 revendique clairement l'utilisation d'un médicament et à ce titre, il est admissible à l'inscription au registre des brevets. Le paragraphe 47(2) de la Loi sur les brevets ne peut être interprété de manière à exempter une partie quelconque du brevet 376 des exigences énoncées au paragraphe 4(4) du Règlement; il n'est donc pas nécessaire de déterminer si les revendications relatives à la trousse (revendications figurant initialement dans le brevet 702) portent ou non sur un médicament ou sur l'usage d'un médicament. Le paragraphe 47(2) vise à conférer un effet rétroactif aux revendications comprises dans le nouveau brevet délivré qui sont identiques aux revendications du brevet abandonné. Cette rétroactivité ne vise pas à corriger et ne peut remédier au défaut d'avoir respecté une procédure obligatoire applicable dans le contexte d'un régime administratif institué en parallèle au droit d'instituer une action.

Pour répondre à la question de savoir si le brevet 376 a été enregistré plus de 30 jours après sa date de délivrance, conformément au paragraphe 4(4), il faut examiner la signification des termes «délivrance» et «date de délivrance». (Le brevet 376 a été octroyé le 11 juin 1996, mais n'a été matériellement délivré que le 18 juin 1996 et, le 17 juillet 1996, Procter a déposé la modification apportée à la liste de brevets de manière à ce que le brevet 376 y figure). Le ministre de la Santé a jugé que le brevet 376 avait été inscrit dans le délai prescrit et il l'a donc inclus au registre des brevets. Le libellé de l'article 43 de la Loi sur les brevets indique qu'il existe une différence entre la date d'octroi d'un brevet et sa date de délivrance. D'après les faits, on ne sait pas clairement à quelle date précise le sceau du Bureau des brevets a été apposé sur le brevet 376. On sait toutefois qu'à cause d'une erreur d'écriture, ces événements n'ont pas eu lieu le 11 juin 1996. Dans le cadre de la présente requête, il n'est pas nécessaire que la Cour détermine si le brevet 376 a été valablement inscrit au registre des brevets; elle doit seulement décider si Genpharm a établi que ce brevet n'est pas admissible à l'inscription. Sur la foi des éléments de preuve déposés, il n'apparaît pas de manière claire et manifeste que le brevet 376 n'est pas admissible à l'inscription au registre.

Même si la Cour n'a pas appliqué les critères restrictifs de l'arrêt Hunt, Genpharm n'a pas établi que le brevet 376 avait été inscrit après l'expiration du délai de 30 jours suivant sa délivrance.

lois et règlements

Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 43 (mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 42), 47(1),(2).

Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, art. 3(1) (mod. par DORS/98-166, art. 2), (4) (mod., idem), 4(2) (mod., idem, art. 3), (4) (mod., idem), (6) (mod., idem), (7) (mod., idem), 5 (mod., idem, art. 4; 99-379, art. 2), 6(1) (mod. par DORS/98-166, art. 5), (5) (édicté, idem).

jurisprudence

décisions examinées:

Bayer Inc. c. Apotex Inc. (1998), 85 C.P.R. (3d) 334 (C.F. 1re inst.); Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959; (1990), 74 D.L.R. (4th) 321; [1990] 6 W.W.R. 385; 49 B.C.L.R. (2d) 273; 4 C.C.L.T. (2d) 1; 43 C.P.C. (2d) 105; 117 N.R. 321.

décision citée:

Compagnie pharmaceutique Procter & Gamble Canada, Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2003] 1 C.F. 402; (2002), 216 D.L.R. (4th) 376; 20 C.P.R. (4th) 1; 291 N.R. 339 (C.A.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2002] C.S.C.R. no 407.

REQUÊTE en vue de faire rejeter l'avis de demande afin d'obtenir une ordonnance visant à interdire au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Genpharm Inc. avant l'expiration du brevet canadien no 1338376 de Procter. Requête rejetée.

ont comparu:

Ronald E. Dimock et Angela M. Furlanetto pour la demanderesse.

Eric Peterson pour le défendeur, le Ministre de la Santé.

Roger T. Hughes, c.r. et Kamleh J. Nicola pour la défenderesse Genpharm.

avocats inscrits au dossier:

Dimock Stratton Clarizio LLP, Toronto, pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur, le ministre de la Santé.

Sim Hughes, Ashton & MacKay LLP, Toronto, pour la demanderesse Genpharm.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance et ordonnance rendus par

[1]Le juge Gauthier: Depuis octobre 1999, les demanderesses, la Compagnie pharmaceutique Procter & Gamble Inc. et The Procter & Gamble Company (Procter), et Genpharm Inc. (Genpharm) ont entamé des procédures concernant le même brevet dans le cadre de trois instances distinctes, soit le brevet canadien no 1338376 (le brevet 376) délivré en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) [DORS/93-133, modifié par] DORS/98-166 (le Règlement). Les deux premières instances se sont conclues par des ordonnances d'interdiction subséquem-ment confirmées par la Cour d'appel fédérale [[2003] 1 C.F. 402]. Des demandes d'autorisation de se pourvoir en appel devant la Cour suprême ont été déposées en septembre 2002 et n'ont pas encore été entendues.*

[2]La présente instance, la troisième, a été instituée en janvier 2002. Les parties ont échangé des déclarations assermentées et procédé à plusieurs contre-interrogatoires et l'audience a été fixée aux 2 et 3 décembre 2003.

* Note de l'arrêtiste: Les demandes d'autorisation de pourvoi ont été rejetées le 27 mars 2003 ([2003] C.S.C.R. no 407).

[3]C'est dans ce contexte que Genpharm a déposé la présente requête en vue de faire rejeter l'avis de demande de Procter au motif que le brevet 376 n'aurait pas dû être inscrit au registre des brevets. Genpharm allègue que: (i) le brevet 376 a été inscrit en dehors de la période prévue au paragraphe 4(4) [mod. par DORS/98-166, art. 3] du Règlement; (ii) le brevet canadien n 1282702 (le brevet 702), abandonné lors de la redélivrance du brevet 376, ne pouvait valablement être inscrit au registre des brevets, car il ne contenait aucune revendication concernant un médicament ou l'usage d'un médicament.

[4]Pour comprendre le deuxième motif soulevé par Genpharm, il faut savoir que le premier brevet inscrit par Procter pour son étidronate disodium Didrocal était le brevet 702, délivré le 9 avril 1991. L'avis de conformité concernant le Didrocal a été publié le 19 juillet 1995. Le brevet 702 a été inscrit peu après au registre des brevets.

[5]Procter a déposé une demande de redélivrance le 4 juin 1995 et, conformément au paragraphe 47(1) de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, lorsque le brevet 376 a été délivré en remplacement du brevet 702, ce dernier a été définitivement abandonné.

[6]Le brevet 376 comprenait les revendications figurant dans le brevet 702, que les parties désignent par «revendications relatives à la trousse», ainsi que des revendications additionnelles portant sur l'administration d'un polyphosphonate inhibant la résorption osseuse (tel que l'étidronate disodium) pour le traitement et la prévention de l'ostéoporose.

[7]Le 17 juillet 1996, Procter a déposé une modification d'une liste de brevets (formulaire IV) pour inclure le brevet 376 au registre des brevets au lieu du brevet 702.

[8]Les trois instances opposant les parties ont toute été instituées après l'inscription du brevet 376 au registre des brevets.

[9]Avant de me pencher sur les principaux arguments soulevés par Genpharm dans sa requête, il est également important de mentionner qu'aucune décision n'a été rendue en vertu de l'alinéa 6(5)a) du Règlement depuis que cette disposition a été ajoutée en 1998 [DORS/98-166, art. 5]; en outre, les parties ne s'entendent pas sur la norme ou les critères applicables pour évaluer le bien-fondé de la présente requête.

[10]Le paragraphe 6(5) du Règlement se lit comme suit:

6. (1) [. . .]

(5) Lors de l'instance relative à la demande visée au paragraphe (1), le tribunal peut, sur requête de la seconde personne, rejeter la demande si, selon le cas:

a) il estime que les brevets en cause ne sont pas admissibles à l'inscription au registre ou ne sont pas pertinents quant à la forme posologique, la concentration et la voie d'administration de la drogue pour laquelle la seconde personne a déposé une demande d'avis de conformité;

b) il conclut qu'elle est inutile, scandaleuse, frivole ou vexatoire ou constitue autrement un abus de procédure.

[11]Dans Bayer Inc. c. Apotex Inc. (1998), 85 C.P.R. (3d) 334 (C.F. 1re inst.), le juge Joyal, qui devait se prononcer sur une requête en rejet présentée en vertu de l'alinéa 6(5)b) du Règlement, affirme que cette requête doit être accueillie seulement si l'avis de demande est manifestement irrégulier au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli. Il souscrit aux arguments selon lesquels l'alinéa 6(5)b) confère simplement à la Cour la compétence pour examiner une requête en radiation alors qu'auparavant, la Cour devait se fonder sur ses propres règles pour rendre une telle décision. Par conséquent, on doit appliquer les critères restrictifs énoncés dans Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, à la page 980.

[12]Procter soutient que le raisonnement adopté dans Bayer s'applique aux requêtes déposées en vertu de l'alinéa 6(5)a) tandis que Genpharm prétend que cette disposition vise à éliminer les requêtes frivoles et que par conséquent, rien ne justifie d'adopter une approche aussi restrictive.

[13]Les parties n'ont pas dit grand-chose de plus pour faire valoir leur point de vue respectif.

[14]Le régime administratif instauré par les articles 5 [mod. par DORS/98-166, art. 4; 99-379, art. 2] et 6 du Règlement s'applique seulement lorsqu'un avis de conformité est déposé concernant un médicament pouvant être comparé à un autre médicament dont le brevet a été dûment inclus au registre. Par conséquent, une requête visant à rejeter un avis de demande déposé en vertu du paragraphe 6(1) [mod. par DORS/98-166, art. 5] au motif que le seul brevet actuellement inscrit au registre est invalide correspond ou s'apparente à une requête en radiation de procédure au motif qu'il n'existe aucune cause d'action raisonnable.

[15]Il est bien établi en droit que si cette interprétation est correcte, la norme restrictive énoncée dans Hunt, précité, doit s'appliquer. Il appartient donc à Genpharm de prouver que clairement et manifestement, le brevet 376 ne pouvait être valablement inscrit au registre.

[16]Comme le fait remarquer Procter dans le cas qui nous occupe, Genpharm n'a pas mentionné dans son avis d'allégation que le brevet 376 n'aurait pas été valablement inclus au registre parce qu'il a été déposé en retard. Genpharm pourrait donc être empêchée de soulever cet argument lors de l'audience de décembre.

[17]Genpharm n'a pas contesté la décision du ministre d'inclure le brevet 376 au registre.

[18]Dans les circonstances, il se pourrait bien que la question de savoir si le brevet a été inscrit après le délai prévu au paragraphe 4(4) puisse être tranchée seulement dans le cadre de la présente requête. Les parties n'ont pas soulevé cet élément.

[19]Ceci dit, en ce qui concerne les critères restrictifs que l'on doit généralement appliquer aux requêtes faites en vertu de l'alinéa 6(5)a), cette conclusion n'est pas déterminante en l'espèce parce que la Cour serait parvenue à la même conclusion si elle avait décidé de ne pas appliquer ces critères. Examinons maintenant les questions de fond.

[20]Compte tenu des arguments écrits et oraux soumis par les parties, la Cour se doit d'examiner les questions suivantes:

(i) Le paragraphe 4(4) constitue-t-il un critère en ce qui concerne l'admissibilité mentionnée à l'alinéa 6(5)a)?

(ii) Le paragraphe 4(4) s'applique-t-il au brevet 376?

(iii) Le brevet 376 ou le brevet 702 comporte-t-il des revendications relatives à un médicament ou à l'usage d'un médicament?

(iv) Le brevet 376 a-t-il été inscrit plus de 30 jours après sa date de délivrance?

(v) Le cas échéant, Genpharm est-elle empêchée de soulever cet argument?

(i)     Le paragraphe 4(4) constitue-t-il un critère en ce qui concerne l'admissibilité mentionnée à l'alinéa 6(5)a) du Règlement?

[21]Procter prétend que seuls les brevets ne respectant pas les exigences énoncées à l'alinéa 4(2)b) [mod., idem, art. 3] du Règlement ne sont pas admissibles à l'inscription au registre. Selon elle, les exigences figurant au paragraphe 4(4) ne sont pas pertinentes dans le cas des requêtes faites en vertu de l'alinéa 6(5)a).

[22]L'expression «ne sont pas admissibles à l'inscription au registre» qui se trouve à l'alinéa 6(5)a) n'est pas définie et elle est utilisée dans une seule autre disposition du Règlement. Quant au paragraphe 4(7) [mod., idem], en vertu duquel la personne qui soumet une liste de brevets est tenue d'attester que les brevets figurant dans cette liste sont admissibles à l'inscription au registre, il n'explique pas davantage le concept d'admissibilité.

[23]Ce concept semble avoir été intégré avec les modifications réglementaires apportées par le règlement DORS/98-166, le 12 mars 1998. Le Résumé de l'étude d'impact de la réglementation indique que l'une des modifications vise à «confirmer expressément que le ministre de la Santé est habilité à vérifier la liste de brevets et à refuser d'y ajouter des brevets inadmissibles et à en retirer de tels brevets» (dossier de la requête, à la page 11).

[24]Les modifications de 1998 ajoutent un nouveau paragraphe 3(1) [mod., idem, art. 2] libellé en ces termes:

3. (1) Le ministre tient un registre des renseignements fournis aux termes de l'article 4. À cette fin, il peut refuser d'y ajouter ou en supprimer tout renseignement qui n'est pas conforme aux exigences de cet article.

[25]La Cour convient avec Genpharm que cette disposition vise à habiliter le ministre à vérifier et à retirer les brevets qui ne sont pas admissibles et qu'elle ne confère pas le droit de supprimer tout brevet qui ne respecte pas les exigences de l'article 4 dans son ensemble, y compris celles énoncées au paragraphe 4(4). Cela veut dire, par exemple, que si la date de dépôt d'un brevet n'est pas antérieure à la date de soumission d'une demande d'avis de conformité, ce brevet ne serait pas admissible à l'inscription au registre. De la même manière, si un brevet est délivré plus de 30 jours après son inscription, il ne serait pas admissible à l'inscription.

(ii)     Le paragraphe 4(4) s'applique-t-il au brevet 376?

[26]Selon Procter, un brevet redélivré doit être assujetti au paragraphe 4(6) [mod., idem, art. 3] du Règlement qui concerne la mise à jour de la liste de brevets et n'impose aucun délai pour ce faire si la personne concernée ne cherche pas à ajouter un brevet. Cette disposition se lit comme suit:

4. (1) [. . .]

(6) La personne qui soumet une liste de brevets doit la tenir à jour mais ne peut ajouter de brevets à une liste que si elle le fait en conformité avec le paragraphe (4).

[27]Ce paragraphe s'appliquerait sans l'ombre d'un doute à la modification des renseignements fournis en vertu des alinéas 4(2)c) [mod., idem] ou 4(2)e) [mod., idem] du Règlement.

[28]La Cour reconnaît que Procter n'a pas ajouté de brevet à sa liste de brevets pour le Didrocal puisqu'en même temps, elle a retiré le brevet 702. Il s'agissait d'une substitution et non d'un ajout. Mais la Cour ne peut souscrire à l'argument voulant que si la dernière partie du paragraphe 4(6) ne s'applique pas, cela signifie automatiquement que le paragraphe 4(4) ne s'applique pas au brevet 376.

[29]Le paragraphe 4(4) est libellé ainsi:

4. (1) [. . .]

(4) La première personne peut après la date de dépôt de la demande d'avis de conformité et dans les 30 jours suivant la délivrance d'un brevet qui est fondée sur une demande de brevet dont la date de dépôt est antérieure à celle de la demande d'avis de conformité, soumettre une liste de brevets, ou toute modification apportée à une liste de brevets, qui contient les renseignements visés au paragraphe (2). [Je souligne.]

[30]Procter soutient que l'expression «la délivrance d'un brevet» ne peut ou ne doit pas s'appliquer au brevet 376 parce qu'il s'agit d'un brevet redélivré. Elle ne soumet aucune jurisprudence ou argumentation détaillée à l'appui de cette prétention. Elle ajoute dans son plaidoyer écrit que le formulaire IV (modification de la liste de brevets) utilisé pour inscrire le brevet 376 ne constitue pas la première soumission d'une liste de brevets relative à une nouvelle invention et qu'il ne peut donc être assujetti aux délais stricts prévus au paragraphe 4(4).

[31]Pour sa part, Genpharm fait valoir que le libellé du Règlement doit être interprété de la même manière que la Loi sur les brevets, en vertu de laquelle il a été adopté.

[32]Le paragraphe 47(1) de la Loi sur les brevets relatif à la «redélivrance» énonce clairement que «le commissaire peut, si le breveté abandonne ce brevet [. . .], faire délivrer au breveté un nouveau brevet, conforme à une description et spécification rectifiée par le breveté, pour la même invention et pour la partie restant alors à courir de la période pour laquelle le brevet original a été accordé» [non souligné dans l'original].

[33]La Cour remarque également que le paragraphe 4(4) énonce expressément qu'une personne peut soumettre une liste de brevets ou toute modification apportée à une liste de brevets. L'argument concernant l'usage du formulaire IV n'est donc pas valide.

[34]La Cour estime que le paragraphe 4(4) s'applique au brevet 376.

(iii)     Le brevet 376 ou le brevet 702 comportent-ils des revendications relatives à un médicament ou à l'usage d'un médicament?

[35]Le brevet 376 revendique clairement l'utilisation d'un médicament (voir les revendications 17 à 37) et à ce titre, il est admissible à l'inscription au registre des brevets.

[36]La Cour n'examinera pas la question de savoir si le brevet 702 revendique un médicament ou l'usage d'un médicament. Tel que mentionné plus haut, ce brevet ne figure plus au registre des brevets depuis 1996 et il ne fait pas l'objet de l'avis de demande déposé par Procter en l'espèce. Le brevet 702 a été abandonné, il n'existe plus et il ne peut être réactivé.

[37]Les parties ont semblé convenir à l'audience que la Cour devait se pencher sur les «revendications relatives à la trousse» du brevet 376 et décider si elles portent sur un médicament ou sur l'usage d'un médicament en raison de l'effet prévu au paragraphe 47(2) de la Loi sur les brevets. Cette disposition est libellée ainsi:

47. (1) [. . .]

(2) Un tel abandon ne prend effet qu'au moment de la délivrance du nouveau brevet, et ce nouveau brevet, ainsi que la description et spécification rectifiée, a le même effet en droit, dans l'instruction de toute action engagée par la suite pour tout motif survenu subséquemment, que si cette description et spécification rectifiée avait été originalement déposée dans sa forme corrigée, avant la délivrance du brevet original. Dans la mesure où les revendications du brevet original et du brevet redélivré sont identiques, un tel abandon n'atteint aucune instance pendante au moment de la redélivrance, ni n'annule aucun motif d'instance alors existant, et le brevet redélivré, dans la mesure où ses revendications sont identiques à celles du brevet original, constitue une continuation du brevet original et est maintenu en vigueur sans interruption depuis la date du brevet original.

[38]Ce paragraphe vise à conférer un effet rétroactif aux revendications comprises dans le nouveau brevet délivré (en l'espèce, le brevet 376) qui sont identiques aux revendications du brevet abandonné (le brevet 702). Mais de toute évidence, cette règle s'applique uniquement dans les cas où une action est pendante au moment de la redélivrance ou qu'il existe à cette date des motifs d'instance.

[39]Cette rétroactivité ne vise pas à corriger et, de l'avis de la Cour, ne peut remédier au défaut d'avoir respecté une procédure obligatoire applicable dans le contexte d'un régime administratif institué en parallèle au droit d'instituer une action en contrefaçon ou toute autre action découlant de la Loi sur les brevets ou de la common law.

[40]Par conséquent, la Cour juge que le paragraphe 47(2) de la Loi sur les brevets ne peut être interprété de manière à exempter une partie quelconque du brevet 376 des exigences énoncées au paragraphe 4(4) du Règlement; il n'est donc pas nécessaire de déterminer si les revendications relatives à la trousse portent ou non sur un médicament ou sur l'usage d'un médicament.

(iv)     Le brevet 376 a-t-il été inscrit plus de 30 jours après sa date de délivrance?

[41]Les parties n'ont soumis aucune jurisprudence ou argumentation détaillée concernant la signification des termes «délivrance» et «date de délivrance» au paragraphe 4(4). La Cour constate que ces termes ne sont définis ni dans la Loi sur les brevets, ni dans le Règlement. Toutefois, l'article 43 [mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 42] de la Loi sur les brevets précise que:

43. (1) Sous réserve de l'article 46, le brevet accordé sous le régime de la présente loi est délivré sous le sceau du Bureau des brevets. Il mentionne la date de dépôt de la demande, celle à laquelle elle est devenue accessible au public sous le régime de l'article 10, celle à laquelle il a été accordé et délivré ainsi que tout renseignement réglementaire.

(2) Une fois délivré le brevet, est sauf preuve contraire, valide et acquis au breveté ou à ses représentants légaux pour la période mentionnée aux articles 44 ou 45.

[42]Genpharm s'appuie sur la date à laquelle le brevet est réputé avoir été octroyé et délivré, tel qu'il appert à la lecture du brevet 376, soit le 11 juin 1996. Elle mentionne également une réponse donnée par M. Andrew McCleanaghan lors de son interrogatoire (ce dernier avait soumis une déclaration assermentée au soutien de l'avis de demande déposé par Procter en mars 2002) dans laquelle il précise que le brevet 376 a été octroyé le 11 juin 1996 (voir les questions 63 et 64). Genpharm fait valoir qu'avec ces éléments, elle s'est acquittée de son fardeau de preuve.

[43]Procter soutient que même si le brevet 376 a été octroyé le 11 juin 1996, il n'a été matériellement délivré que le 18 juin 1996; ainsi, lorsqu'elle a déposé le formulaire IV le 17 juillet 1996, le délai de 30 jours prévu au paragraphe 4(4) n'avait pas encore expiré.

[44]Dans sa lettre du 17 juillet adressée au Bureau de l'évaluation des produits pharmaceutiques, Procter fait expressément mention de ce fait. Elle a également joint à cette lettre la copie d'une lettre du Bureau des brevets confirmant qu'un problème d'impression avait retardé le délivrance matérielle du brevet octroyé le 11 juin 1996. Cette lettre du Bureau des brevets, en date du 27 juin 1996, se lit comme suit:

[traduction] M. Anthony McDonough a récemment été nommé commissaire aux brevets. Par conséquent, le Bureau devait imprimer de nouveaux certificats pour les brevets délivrés. En raison des retards d'impression, les brevets délivrés le 11 juin 1996 ont été postés le 18 juin 1996. Nous sommes désolés de tout inconvénient que ce retard a pu entraîner.

[45]Le ministre de la Santé a jugé que le brevet 376 avait été inscrit dans le délai prescrit et il l'a donc inclus au registre des brevets. Tel que mentionné plus haut, cette décision n'a pas été contestée par Genpharm.

[46]Bien que le ministre de la Santé soit désigné comme défendeur en l'instance et qu'on lui ait signifié le dossier de la requête, il n'a déposé aucun argument écrit. Par conséquent, la Cour n'est pas en mesure de déterminer si le ministre, usant du pouvoir qui lui est conféré au paragraphe 3(4) [mod. par DORS/98-166, art. 2] du Règlement, a consulté les agents et les employés du Bureau des brevets pour obtenir des renseignements supplémentaires à ce sujet.

[47]D'après le libellé de l'article 43 susmentionné, on peut raisonnablement conclure qu'il existe une différence entre la date d'octroi d'un brevet et sa date de délivrance. On peut également comprendre que ces deux événements se produisent généralement le même jour; dans le cas contraire, la date figurant sur le brevet correspond à la date à laquelle le brevet, après avoir été octroyé, a été délivré par le commissaire aux brevets sous le sceau du Bureau des brevets.

[48]On ne sait pas clairement à quel moment précis les certificats portant le nom du nouveau commissaire aux brevets ont été livrés au Bureau des brevets ou à quelle date précise le sceau du Bureau des brevets a été apposé sur le brevet 376. On sait toutefois que ces événements n'ont pas eu lieu le 11 juin 1996. Il semble que le Bureau des brevets ait admis avoir commis une erreur d'écriture.

[49]Dans le cadre de la présente requête, la Cour n'est pas tenue de déterminer si le brevet 376 a été valablement inscrit au registre des brevets; elle doit seulement décider si Genpharm a établi que ce brevet n'était pas admissible à l'inscription.

[50]Par conséquent, la Cour n'a pas à déterminer à quel moment précis le brevet 376 a été délivré, d'autant plus que comme nous l'avons vu, plusieurs éléments matériels manquent au dossier.

[51]La Cour juge que sur la foi des éléments de preuve déposés, il n'apparaît pas de manière claire et manifeste que le brevet 376 n'était pas admissible à l'inscription au registre.

[52]Même si la Cour n'avait pas appliqué les critères restrictifs de l'arrêt Hunt, précité, elle estime que Genpharm n'a pas établi que le brevet 376 a été inscrit après l'expiration du délai de 30 jours suivant sa délivrance.

[53]En fait, seulement deux dates ont été établies devant la Cour, à savoir: (i) la date à laquelle le brevet a été octroyé; (ii) la date à laquelle le brevet a été posté à Procter. Comme nous l'avons vu, la première date n'est pas pertinente en l'espèce et le brevet 376 a été inscrit moins de 30 jours suivant la deuxième date.

[54]Compte tenu de ce qui précède, il n'est pas nécessaire de décider si Genpharm est empêchée de soulever ce problème.

[55]La requête est rejetée avec dépens.

LA COUR ORDONNE:

1.     La requête est rejetée avec dépens.

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