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IMM-1298-02

2003 CFPI 429

Janos Mohacsi, Janosne Mohacsi, Zoltan Mohacsi, Janos Mohacsi (demandeurs)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (défendeur)

Répertorié: Mohacsi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Martineau-- Montréal, 20 février; Ottawa, 11 avril 2003.

Citoyenneté et Immigration -- Statut au Canada -- Réfugiés au sens de la Convention -- Contrôle judiciaire d'une décision de la SSR suivant laquelle des membres d'une famille rome n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention -- La Commission était préoccupée par les différences entre la déclaration au point d'entrée (PDE) et le Formulaire de renseignements personnels (FRP) -- Elle a rejeté l'explication suivant laquelle ces différences étaient attribuables à la peur et au manque d'instruction -- Elle a conclu que le demandeur s'était donné le beau rôle afin de donner plus de poids à sa revendication; si la discrimination avait été aussi importante qu'il le prétend, le demandeur n'aurait pas pu conserver son emploi pendant 14 ans et réussir à épargner suffisamment d'argent pour acheter un appartement -- La demande est accueillie parce que la Cour répond par l'affirmative aux quatre questions à l'étude: 1) la Commission a-t-elle omis d'examiner les revendications de l'épouse et des enfants du demandeur principal? 2) les conclusions quant à la crédibilité étaient-elles arbitraires? 3) la Commission a-t-elle omis d'examiner la question de savoir si l'effet cumulatif des incidents constituait de la persécution? 4) les demandeurs se sont-ils acquittés de leur fardeau de solliciter la protection des autorités de leur pays d'origine? -- La Commission n'a ni implicitement ni expressément examiné la preuve soumise par l'épouse et les enfants du demandeur -- C'est une erreur de ne pas se pencher sur la revendication individuelle d'un enfant mineur -- Revue des principes applicables aux conclusions défavorables quant à la crédibilité -- La crédibilité est évaluée au regard de la situation dans le pays et d'autres éléments de preuve documentaire -- Il ne faut pas s'empresser d'appliquer une logique et un raisonnement nord-américain à la conduite du revendicateur -- La plupart des réfugiés ont vécu des expériences qui les rendent méfiants à l'égard des personnes en autorité -- La Commission n'a tenu aucun compte de témoignages ou d'éléments de preuve documentaire fiables à l'appui de la revendication des demandeurs -- Elle s'est attardée à des divergences liées à des questions mineures -- La Commission n'a jamais dit qu'elle ne croyait pas les demandeurs; elle a exprimé ses préoccupations de façon ambivalente -- Le demandeur n'a pas d'instruction, sa déclaration au PDE est en français, une langue qu'il ne connaît pas, et la traduction au téléphone n'est pas une situation idéale -- La Cour juge raisonnable l'explication suivant laquelle le demandeur avait peur d'exprimer par écrit des commentaires négatifs au sujet de la Hongrie, au cas où il serait renvoyé dans son pays -- Un document du HCNUR fournit des conseils pour l'examen des revendications de persécution fondées sur les effets cumulatifs de la discrimination -- La Commission n'a pas donné les motifs pour lesquels elle a conclu que la discrimination alléguée ne constituait pas de la persécution -- La présomption suivant laquelle l'État est capable de protéger ses citoyens peut être écartée par une preuve contraire convaincante -- Le demandeur a été battu par la police quand il a essayé d'obtenir son aide -- La Commission n'a tenu aucun compte de la preuve documentaire qui indique que le problème de la discrimination à l'égard des Roms n'est pas réglé et qu'il empêche l'admission de la Hongrie dans l'UE -- La brutalité policière a fait l'objet d'un rapport d'Amnistie internationale -- La Commission commet une erreur lorsqu'elle adopte une approche «systémique» qui peut avoir comme résultat le rejet de demandes particulières pour le motif que la preuve documentaire indique généralement que le gouvernement fait des efforts pour combattre la persécution dont font l'objet les Tsiganes -- Il est nécessaire de confronter la situation théorique avec le vécu du revendicateur -- Le revendicateur doit chercher réparation auprès de la police seulement -- Les Roms sont victimes de la violence policière et de l'appareil judiciaire -- Des décisions passe-partout sont douteuses et vont donner naissance à des allégations que la Commission ne s'est pas arrêtée à l'examen des faits de la revendication.

Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision dans laquelle la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention, telle que cette expression est définie au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration.

Les demandeurs, citoyens de la Hongrie, prétendent avoir une crainte fondée d'être persécutés à cause de leur origine ethnique rome. Dans sa déclaration au point d'entrée (PDE), le demandeur principal a dit que les conflits avec son ex-épouse et le frère de cette dernière étaient le motif pour lequel ils cherchaient à obtenir le statut de réfugié. Toutefois, dans leurs Formulaires de renseignements personnels (FRP), les demandeurs prétendent aussi avoir été persécutés par les autorités scolaires et les responsables du logement ainsi que par des skinheads et la police. Un neveu du demandeur a été tué par des skinheads parce qu'il pêchait sans permis. Le demandeur s'est adressé à la police, à l'État et aux médias pour obtenir réparation, mais sans succès. Cinq jours après le meurtre, on a vandalisé le domicile des demandeurs, et le demandeur et son épouse ont été battus. Le frère de l'ex-épouse du demandeur était membre d'un groupe de skinheads. Les demandeurs étaient obligés de vivre dans un ghetto tsigane, sans eau courante, égout et téléphone. Le fils du demandeur a dû cesser d'aller à l'école pour ne plus être battu par des nationalistes hongrois. Lorsque le demandeur a essayé d'acheter un appartement avec l'argent qu'il avait réussi à épargner grâce à son emploi dans une gare ferroviaire, les autorités municipales ne lui ont pas accordé le permis nécessaire, et il a été arrêté, détenu, insulté et détenu par la police.

La Commission a rejeté les revendications des demandeurs pour obtenir le statut de réfugié. Elle a relevé les divergences entre le FRP et la déclaration au PDE et ne s'est pas montrée disposée à accepter que cela pouvait s'expliquer par l'absence d'instruction et la peur du demandeur. Elle a également conclu que le demandeur s'était donné le beau rôle afin de donner plus de poids à sa revendication. Elle a aussi exprimé le point de vue selon lequel, si la discrimination avait été aussi importante qu'il le prétend, le demandeur n'aurait pas pu conserver son emploi pendant 14 ans et réussir à épargner suffisamment d'argent pour faire une offre d'achat sur un appartement. La Commission s'est également appuyée sur des éléments de preuve documentaire indiquant que le gouvernement avait fait de grands efforts pour combattre la discrimination dont faisaient l'objet les tsiganes et pour protéger leurs droits et leur vie.

La présente demande de contrôle judiciaire soulève quatre questions: 1) la Commission a-t-elle commis une erreur en n'examinant pas spécifiquement les revendications de l'épouse et des enfants du demandeur principal? 2) a-t-elle tiré des conclusions quant à la crédibilité de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait? 3) a-t-elle omis d'examiner la question de savoir si l'effet cumulatif des incidents constituait de la persécution? 4) a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs ne s'étaient pas acquittés de leur fardeau de solliciter la protection des autorités de leur pays d'origine?

Jugement: La demande est accueillie et le dossier est renvoyé à un autre tribunal pour nouvel examen.

Les quatre questions ont reçu une réponse affirmative.

1) Le demandeur principal a répondu aux questions de l'avocat relativement aux passages à tabac que des skinheads avaient fait subir à son fils, Janos, à l'école, alors que Mme Mohacsi a témoigné avoir peur parce qu'elle ne pouvait pas marcher dans la rue sans qu'on la menace, qu'on lui crie après et qu'on la traite de «putain». La Cour ne peut accepter l'argument du ministre selon lequel la Commission a implicitement examiné cette preuve. La Commission n'ayant consigné expressément aucun motif en ce sens, la Cour ne peut pas déduire que le traitement reçu par le demandeur principal suppose nécessairement que son épouse et ses enfants--qui allèguent avoir été victimes d'autres actes de persécution--ne peuvent justifier une crainte fondée de persécution pour un des motifs énumérés dans la Convention. Un certain nombre de décisions de la Section de première instance de la Cour appuient la proposition suivant laquelle la Commission commet une erreur si elle ne se penche pas sur la revendication individuelle d'un demandeur mineur. La Commission ne doit pas se concentrer exclusivement sur la situation du demandeur principal. La Commission a eu tort de traiter uniquement dans ses motifs de décision de la revendication du demandeur principal et de présumer que son raisonnement s'appliquait aussi aux autres demandeurs. Cette erreur est suffisante par elle-même pour justifier l'annulation de la décision de la Commission.

2) La question des conclusions défavorables quant à la crédibilité a été analysée maintes fois par la Cour et les principes applicables sont bien établis. Bien que la Commission possède une expertise certaine pour évaluer la crédibilité, aucun décideur ne peut agir de façon abusive ou arbitraire. Et, bien que la Commission puisse tirer des conclusions fondées sur la présence d'invraisemblances, ce ne sont pas toutes les incohérences ou les invraisemblances contenues dans la preuve présentée par le demandeur qui justifieront des conclusions défavorables sur la crédibilité en général. De plus, la crédibilité et la vraisemblance doivent être évaluées en tenant compte des conditions existant dans le pays et des autres éléments de preuve documentaire dont la Commission dispose. Il est vrai que des contradictions entre le FRP et d'autres déclarations ou un témoignage sont des facteurs graves qui peuvent justifier une conclusion défavorable concernant la crédibilité. La Commission ne devrait pas s'empresser d'appliquer une logique et un raisonnement nord-américain à la conduite du revendicateur. Il faut tenir compte de l'âge, des études, des antécédents culturels, des expériences sociales et de l'état psychologique du revendicateur. La Commission doit être attentive au fait que la plupart des réfugiés ont vécu des expériences qui les rendent méfiants à l'égard des personnes en autorité.

Il ressort de la preuve que la Commission n'a pas analysé des aspects importants des témoignages présentés par les demandeurs et qu'elle n'a pas tenu compte d'une preuve documentaire fiable corroborant leurs dires. Les divergences auxquelles s'est attardée la Commission sont liées à des questions mineures ou périphériques. Il est utile de souligner que la Commission n'a jamais mentionné qu'elle ne croyait pas le témoignage des demandeurs. La Commission a exprimé ses préoccupations quant au récit des demandeurs de façon ambivalente. Plus important encore, la Commission n'a pas remis en question la réalité des incidents qui ont immédiatement précédé le départ des demandeurs de la Hongrie. Les conclusions défavorables qu'a tirées la Commission quant à la crédibilité étaient abusives et arbitraires compte tenu de la preuve au dossier. Le demandeur principal a peu d'instruction et sa déclaration au PDE est en français, une langue qu'il ne connaît pas. Il y a eu une traduction au téléphone, mais ce n'est pas une situation idéale. Comme l'a expliqué le demandeur principal à l'audience, il avait peur d'exprimer par écrit des commentaires négatifs au sujet de la Hongrie, au cas où il serait renvoyé dans son pays. Il n'est pas loisible à la Commission de ne tenir aucun compte d'une explication raisonnable.

3) Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a publié un ouvrage sur la détermination du statut de réfugié, où l'on trouve des conseils pour l'examen des revendications de persécution fondées sur les effets cumulatifs de la discrimination. Il prévoit que toutes les circonstances du cas considéré doivent entrer en ligne de compte, y compris son contexte géographique, historique et ethnologique. La requête de celui qui invoque la crainte des persécutions sera plus justifiée s'il a déjà été victime d'un certain nombre de mesures discriminatoires et que, par conséquent, un effet cumulatif intervient. En conséquence, les événements ne doivent pas être examinés un à un parce que cela va à l'encontre de l'objectif d'un examen de leur aspect cumulatif. La Commission n'a pas indiqué quel était le raisonnement qui l'avait menée à la conclusion que «la prétendue discrimination» ne constituait pas de la persécution. Il n'est pas pertinent de mentionner que le demandeur a pu économiser assez d'argent pour acheter un appartement si les autorités pouvaient lui refuser le permis nécessaire. En ne faisant état que d'un seul incident--l'offre d'achat pour un appartement--la Commission n'a pas examiné l'effet cumulatif des actes discriminatoires visant les demandeurs.

4) Comme l'a jugé la Cour suprême dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, la présomption suivant laquelle l'État est capable de protéger ses citoyens peut être écartée par une preuve contraire claire et convaincante. En l'espèce, le demandeur a témoigné avoir été battu par la police lorsqu'il a essayé d'obtenir son aide. Quand sa famille a été battue par des skinheads à une gare d'autobus, le demandeur a écrit au ministre de la Justice, mais il n'a reçu aucune réponse. La Commission n'a pas mentionné la preuve documentaire qui indique que, quelles que soient les mesures correctives prises par le gouvernement, il y a encore des problèmes majeurs de discrimination contre les Roms, de telle façon qu'on refuse toujours à la Hongrie l'entrée dans l'UE. Un document du département d'État américain indique que les autorités locales ont profité de certaines situations pour «reloger et regrouper les membres de la population tsigane, créant ainsi des ghettos». Dans son rapport de 2001, Amnistie internationale a confirmé que des problèmes de racisme et d'intolérance persistent en Hongrie. Elle a fait état plus particulièrement des brutalités policières.

La Commission a commis une erreur de droit en adoptant une approche «systémique» qui peut avoir comme résultat le rejet de demandes particulières de statut de réfugié au motif que la preuve documentaire indique généralement que le gouvernement hongrois fait certains efforts pour protéger les Roms de la persécution ou de la discrimination exercée par les autorités policières, les autorités chargées du logement et les autres groupes qui les ont persécutés jusqu'ici. L'existence de mesures contre la discrimination ne suffit pas. Il faut également la capacité et la volonté de les mettre en oeuvre. Il y a lieu dans tous les cas de confronter la situation théorique avec le vécu de chaque revendicateur.

Dans la décision Molnar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), la juge Tremblay-Lamer a conclu que la Commission commet une erreur en imposant aux revendicateurs le fardeau de chercher réparation auprès d'agences autres que les services de police, lesquels sont chargés de protéger les citoyens du pays. La juge Tremblay-Lamer a estimé que les «Roms vivant en Hongrie craignent à la fois les policiers et le processus judiciaire, puisqu'ils sont victimes de la violence policière et d'un appareil judiciaire qui appuie et même encourage la violence exercée à leur égard». La Commission a commis une erreur en déclarant que les demandeurs en l'espèce ne s'étaient pas déchargés de leur obligation de chercher à obtenir la protection de leur État d'origine.

Le ministre a demandé la certification de la question de savoir si un demandeur du statut de réfugié est tenu de s'adresser à des organismes en dehors de la police, mais cette demande n'a pas pu être accueillie parce que la question soulevée n'était pas déterminante quant à l'issue de l'affaire.

Enfin, il faut noter que des décisions passe-partout où il suffit de substituer le nom d'un revendicateur à celui d'un autre sont douteuses et vont sans aucun doute donner naissance à des allégations que la Commission ne s'est pas arrêtée à l'examen des faits précis de la revendication.

lois et règlements

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 2(1) «réfugié au sens de la Convention» (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1).

jurisprudence

décisions appliquées:

Seevaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 167 F.T.R. 130 (C.F. 1re inst.); Chehar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1698 (1re inst.) (QL); Iruthayathas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1994), 82 F.T.R. 154 (C.F. 1re inst.); Lubana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2003), 228 F.T.R. 43 (C.F. 1re inst.); Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 963 (1re inst.) (QL); Veres c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 124 (1re inst.); Madelat c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] A.C.F. no 49 (C.A.) (QL); Wickramasinghe c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 470; [2002] A.C.F. no 601 (1re inst.) (QL); Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689; (1993), 103 D.L.R. (4th) 1; 153 N.R. 321; Polgari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 15 Imm. L.R. (3d) 263 (C.F. 1re inst.); Molnar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 2 C.F. 339 (1re inst.); Liyanagamage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1994), 176 N.R. 4 (C.A.F.); Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; (1999), 174 D.L.R. (4th) 193; 14 Admin. L.R. (3d) 173; 1 Imm. L.R. (3d) 1; 243 N.R. 22.

décisions citées:

Sarkozi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 15 Imm. L.R. (3d) 182 (C.F. 1re inst.); Owusu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] A.C.F. no 33 (C.A.) (QL); Lai c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 245 (C.A.F.); Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 199; 130 N.R. 236 (C.A.F.); Elcock c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 175 F.T.R. 116 (C.F. 1re inst.); Balogh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 809; [2002] A.C.F. no 1080 (1re inst.) (QL); N.K. c. Canada (Solliciteur général) (1995), 107 F.T.R. 25 (C.F. 1re inst.); Cuffy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 121 F.T.R. 81 (C.F. 1re inst.).

doctrine

Country Reports on Human Rights Practices -- 2000. U.S. Department of State, Bureau of Democracy, Human Rights, and Labor, 2001.

Nations Unies. Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés. Genève, janvier 1992.

The Roma in Hungary: Government Policies, Minority Expectations, and the International Community. Seminar held in Budapest, Hungary, December 6, 1999. Princeton: Project on Ethnic Relations, 2000.

DEMANDE de contrôle judiciaire d'une décision de la SSR (A.E.M. (Re), [2002] D.S.S.R. no 154) suivant laquelle les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention. Demande accueillie.

ont comparu:

Diane N. Doray pour le demandeur.

Ariane Cohen et Jocelyne Murphy pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier:

Diane N. Doray, Montréal, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance et ordonnance rendus par

[1]Le juge Martineau: Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 26 février 2002 [A.E.M. (Re), [2002] D.S.S.R. no 154 (QL)]. Dans cette décision, la SSR a conclu que les demandeurs n'étaient pas des «réfugiés au sens de la Convention», telle que cette expression est définie au paragraphe 2(1) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1] de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi).

LE CONTEXTE

[2]Chacun des quatre demandeurs en l'instance a présenté une revendication de statut de réfugié. Ils sont tous citoyens hongrois et ils prétendent avoir une crainte fondée d'être persécutés à cause de leur origine ethnique (Rom). M. Janos Mohacsi, père (le demandeur principal), est né en Hongrie en 1969 dans une famille tsigane. Il a deux enfants d'un premier mariage avec une Hongroise. Il soutient que sa première épouse le détestait tellement qu'elle s'est mise à battre leurs enfants, qu'elle considérait être de «sales Tsiganes». Leur divorce a été prononcé en septembre 2000 et ils sont arrivés à une entente par laquelle le demandeur principal recevait la garde des deux enfants. Le demandeur principal, qui n'a qu'une sixième année d'études et qui peut tout juste lire, a déclaré dans sa déclaration au point d'entrée (le PDE) que les conflits avec son ex-épouse et le frère de cette dernière étaient le motif pour lequel ils cherchaient à obtenir le statut de réfugié au Canada. Toutefois, dans leurs Formulaires de renseignements personnels (FRP), les demandeurs prétendent aussi avoir été persécutés parce qu'ils ont été victimes de discrimination de la part des autorités scolaires et des responsables du logement et parce qu'ils ont été la cible de skinheads (nationalistes) qui les ont battus. Ils soutiennent aussi avoir été harcelés, battus et détenus par des policiers et, par conséquent, ils craignent d'être persécutés par les autorités s'ils retournent en Hongrie.

[3]Leurs revendications ont été entendues le 4 février 2002, par un tribunal constitué d'un seul commissaire. Le demandeur principal et son épouse, Mme Janosne Mohacsi, ont témoigné à ce moment-là. Le demandeur principal a agi en tant que représentant de leurs enfants mineurs, Zoltan et Janos (les demandeurs mineurs).

[4]Le demandeur principal a témoigné que le motif principal pour lequel ils avaient quitté la Hongrie était le fait que son neveu a été tué par des skinheads en juin 2001, tout simplement parce qu'il pêchait sans permis. Il a expliqué que [traduction] «les nationalistes sont des skinheads, ils ne veulent pas que les Tsiganes restent en Hongrie, ils veulent que les Tsiganes disparaissent de Hongrie» (transcription, dossier certifié, page 212). Il s'est adressé à la police avec d'autres Tsiganes pour obtenir réparation, sans succès. Il n'a pas eu plus de succès en s'adressant au public, à l'État et aux médias. L'Association des minorités tsiganes a été informée du meurtre, mais le demandeur principal déclare qu' [traduction] «ils ne peuvent nous aider car ils n'ont pas de lien avec la police» (transcription, dossier certifié, page 213). Il a aussi témoigné que cinq jours après le meurtre des skinheads ont vandalisé leur domicile. Il a été battu et menacé avec son épouse (transcription, dossier certifié, pages 216 et 219). Peu de temps après, ils ont décidé de quitter le pays.

[5]Le demandeur principal a aussi témoigné que le nationalisme est de plus en plus évident en Hongrie et que, par le passé, ils ont été attaqués par des skinheads. Il a parlé de certaines des difficultés auxquelles il avait fait face dans ses rapports avec son ex-épouse hongroise et son frère, qui est membre d'un groupe de skinheads: [traduction] «ils me criaient après et [. . .] quelques fois ils font [. . .] crache sur mon épouse parce qu'elle vit avec un Tsigane» (transcription, dossier certifié, page 231, reproduction verbatim). Il a aussi témoigné qu'il était obligé de vivre dans un ghetto tsigane, sans eau courante, égout, route pavée ou téléphone, et que son fils devait aller dans une école pour défavorisés, puisqu'il n'y avait pas d'école dans son secteur. Il a témoigné que son fils avait été battu et menacé par des nationalistes hongrois à l'école, suite à quoi il a cessé d'y aller. Il a aussi expliqué qu'il avait économisé assez d'argent pour faire une offre pour l'achat d'un appartement en ville en septembre 2000, car il avait travaillé dans une gare ferroviaire pendant 14 ans. Toutefois, les autorités municipales ne lui ont pas accordé le permis nécessaire parce que [traduction] «les Tsiganes n'ont pas le droit d'acheter une maison où que ce soit» (transcription, dossier certifié, page 223). En fait, ils ont appelé la police, suite à quoi il a été arrêté et détenu pendant 24 heures. Au sujet de sa détention, le demandeur principal déclare qu' [traduction] «après ils [. . .] après 24 heures, ils m'ont amené dans une pièce, ils m'ont battu, ils me criaient après: fais du vent, sale Tsigane. Allez dans vos [. . .] vos maisons, où vous devez rester; vous n'avez rien à faire ici et vous n'avez pas le droit d'acheter une maison ici» (transcription, dossier certifié, page 235, reproduction verbatim). Peu de temps après sa libération, il a été attaqué avec son épouse à la gare d'autobus, par des skinheads, qui leur ont dit de [traduction] «rentrez en Inde, d'où vous venez» (transcription, dossier certifié, page 224). Il a dû être hospitalisé. Selon son témoignage, en décembre 2000 le demandeur principal, qui parlait aussi au nom de ses collègues tsiganes, s'est plaint à leur employeur du fait que des Hongrois qui venaient d'être engagés pour faire le même travail qu'eux étaient mieux payés. Il n'avait eu aucun augmentation de salaire en 14 ans. Son employeur lui a demandé de partir et il n'est pas revenu au travail. Il déclare qu'en fait il a été «licencié» par son employeur. Alors qu'il quittait le lieu de son travail, il a été battu par des skinheads et il a dû être hospitalisé à nouveau.

[6]L'épouse du demandeur principal a corroboré son témoignage. Elle a aussi déclaré que les gens lui crachaient dessus et la traitaient de «putain». Elle a ajouté qu'elle ne pouvait même pas marcher dans la rue, comme elle peut le faire au Canada, sans qu'on lui crie après. Les demandeurs ont aussi présenté une preuve médicale et un rapport de police qui viennent corroborer le fait que le demandeur principal a été arrêté et que les demandeurs ont été hospitalisés à deux occasions. Ils ont aussi déposé une lettre d'une organisation rome ainsi que d'autres preuves documentaires à l'appui de leur allégation de persécution du fait de leur origine ethnique.

LA DÉCISION DE LA COMMISSION

[7]La Commission a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention. Les motifs de la Commission sont très succincts. Il est utile de reproduire le raisonnement de la Commission [aux paragraphes 13 à 19]:

Les demandeurs ont invoqué la persécution et la discrimination, mais dans les notes du PDE, ils ont plutôt fait référence à un avenir bouché pour leurs enfants et à des abus de la part des frères de la première épouse de M. Mohacsi. Prié d'expliquer cette contradiction, M. Mohacsi a déclaré qu'il n'avait que six ans de scolarité et qu'il était effrayé. Mais la question posée au PDE n'est pas compliquée: elle porte sur la nature de la persécution et demande des détails à ce sujet. En raison de la simplicité de la question et du fait que les demandeurs communiquaient par téléphone avec l'interprète, le tribunal estime que cette explication n'est pas satisfaisante.

On a également interrogé M. Mohacsi au sujet de son passeport obtenu en février 2001. Il prétend l'avoir obtenu après avoir perdu son emploi et qu'il avait l'intention de se rendre en Autriche pour y trouver du travail. Le tribunal estime étrange la conduite de M. Mohacsi, et qu'elle ne convient pas à quelqu'un qui dit craindre d'être persécuté.

On l'a aussi interrogé au sujet de son travail. La preuve montre qu'il détenait un emploi lucratif depuis 14 ans à la gare ferroviaire de Koeskemet. La preuve montre également que, contrairement aux allégations contenues dans le FRP, le demandeur n'a pas pris part à une grève, mais qu'il est plutôt allé voir son employeur pour se plaindre des salaires payés aux Tziganes. Le tribunal estime que le demandeur s'est donné le beau rôle dans cette histoire afin de donner plus de poids à sa revendication. La preuve nous apprend en outre que, dans les faits, le demandeur n'a jamais été licencié. Le demandeur a déclaré qu'il n'était pas retourné au travail parce qu'on lui avait fait comprendre qu'on n'avait plus besoin de lui. La conduite du demandeur et ses allégations de discrimination en Hongrie sont contredites par le fait qu'il a détenu un emploi pendant 14 ans et qu'il a réussi à épargner suffisamment d'argent pour faire une offre pour l'achat d'un appartement.

Les demandeurs ont prétendu qu'ils ont été la cible des skinheads. Il est vrai qu'au début des années 90 la situation dans le pays était problématique, mais les conditions ont changé et la preuve documentaire montre que le mouvement skinhead est en perte de vitesse. Bien plus, la pièce A-7 fait état d'actions prises par le gouvernement et la police contre toute personne qui commet un crime contre les Roms.

On a également signalé aux demandeurs qu'il existait une preuve documentaire abondante montrant que le gouvernement faisait des efforts pour combattre la discrimination dont étaient victimes les Tziganes. La preuve signale la création de gouvernements autonomes pour les Roms. Cette documentation souligne également qu'il existe un grand nombre d'organisations internationales qui s'occupent des droits de la personne et des Roms. Les demandeurs n'ont rien trouvé d'autre à dire que ces organisations n'aidaient pas les Roms.

Le tribunal n'a pas de raison de douter de la véracité de la preuve documentaire qui montre que le gouvernement a fait de grands efforts pour protéger les droits et la vie des Roms. Les demandeurs ont versé au dossier une lettre (pièce P-2) une lettre de la National Ethnic Gypsy Association qui vient appuyer leurs allégations, mais à la lumière de la preuve documentaire, le tribunal n'est pas convaincu qu'ils se sont acquittés de l'obligation de chercher protection auprès de leur pays d'origine.

Le tribunal estime également que la prétendue discrimination ne constitue pas de la persécution.

[8]Pour les motifs précités, la Commission a rejeté les revendications des demandeurs pour obtenir le statut de réfugié.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[9]La présente espèce soulève quatre questions:

1. La Commission a-t-elle commis une erreur en n'examinant pas spécifiquement les revendications de l'épouse et des enfants mineurs du demandeur principal?

2. La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant des conclusions négatives quant à la crédibilité de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait?

3. La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la discrimination envers les demandeurs ne constituait pas de la persécution et en n'examinant pas la question de savoir si l'effet cumulatif des incidents rapportés par les demandeurs constituait de la persécution?

4. La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs ne s'étaient pas acquittés de leur fardeau de solliciter la protection des autorités de leur pays d'origine?

[10]Je réponds oui à chacune de ces questions, mes raisons étant exposées dans l'analyse qui suit.

ANALYSE

1-     La Commission a-t-elle commis une erreur en ne mentionnant pas spécifiquement les allégations de l'épouse et des enfants mineurs du demandeur principal?

[11]Les allégations de l'épouse et des enfants mineurs ont été spécifiquement mentionnées à l'audience. À la page 241 du dossier certifié, l'avocat des demandeurs a traité spécifiquement des revendications des enfants. L'avocat a posé les questions suivantes au demandeur principal:

[traduction]

Q.     Vous avez été désigné comme représentant de vos deux fils et ils sont en fait des revendicateurs du statut de réfugié. Quelle est leur situation dans le pays? Pourquoi vous inquiétez-vous à leur sujet?

R.     En Hongrie, les enfants et nous, ils ont peur des skinheads parce qu'ils sont venus à l'école et les ont battus, et après l'enfant avait peur d'aller à l'école.

Q.     Quel enfant?

R.     Janos.

Q.     Janos? Quel âge a-t-il maintenant?

R.     Neuf ans.

[. . .]

Q.     Pas d'avenir pour ces enfants. Enfants terrorisés par frère de l'ex-femme.

R.     Oui j'ai écrit ça, c'est vrai. Mais j'ai. . . après j'ai dit que c'était aussi par les skinheads.

Q.     D'accord.

R.     Même sa mère. . . leur mère les terrorisait.

Q.     Dans votre témoignage, votre précédent témoignage, vous avez déclaré ne pas avoir eu de problème après votre divorce. Vous n'aviez pas de problème avec. . . vous n'aviez pas de problème avec la famille de votre ex-épouse. Lorsque je lis ceci, je constate que le tableau est un peu différent.

R.     (inaudible) J'ai six années d'école et je [. . .] peut-être que je ne [. . .] je ne réfléchis pas très bien. Peut-être que je n'arrive pas à m'expliquer.

Q.     Madame, vous vouliez dire quelque chose?

-     Elle doit traduire.

-     Donnez-lui le temps de traduire.

R.     Je voulais juste dire que lorsque nous nous sommes mariés, c'était en mars 2001. J'ai un problème avec son ex-épouse car nous. . . nous avons eu une dispute. Elle n'aimait pas le fait que j'étais moitié tsigane et que les enfants préféraient rester avec moi. . .rester avec moi. . . nous nous disputions et même ses frères sont venus me battre. C'est probablement ce que mon mari voudrait vous expliquer, que ce que nous avons dit, c'était cette chose, alors. . . ce que nous avons dit quand nous sommes venus au Canada, parce que nous ne voulions pas mettre la Hongrie en cause.

-     D'accord.

[. . .]

R.     Lorsque j'ai commencé à vivre avec mon épouse, nous avons essayé de rester loin d'eux, donc c'était moins. Mais alors. . . lorsqu'elle venait prendre les enfants, parce qu'elle. . . elle voulait les prendre pour. . . pour quelques jours, afin que. . . avec elle. Les enfants, lorsqu'ils revenaient, ils.. ils pleuraient et me disaient: «Je ne veux pas être avec ma mère, je ne veux pas aller avec elle.»

Q.     Maintenant, pourquoi était-elle même intéressée à prendre les enfants si elle voulait les jeter à la rivière, si elle les battait et si elle vous avait déjà dit de prendre vos enfants et de partir?

R.     Elle n'est pas normale. Elle. . . elle a été hospitalisée avec des problèmes mentaux, et je suis allé au tribunal avec mon épouse pour obtenir qu'on lui interdise de voir les enfants et ils m'ont dit: «Oui, à partir de maintenant elle ne peut plus venir prendre les enfants», mais ils ne m'ont donné aucun document. Ils ont dit: «Eh bien, nous ne donnons pas de document mais elle n'a plus droit de venir voir les enfants».

R.     Nous. . . nous n'avions pas une bonne relation avec son ex-épouse et si elle venait prendre les enfants uniquement pour chercher à se disputer avec moi, ou pour créer d'autres problèmes pour mon mari, pour créer des problèmes avec [. . .] un gâchis dans la famille.

Q.     Je comprends tout cela. Mais pourquoi lui donniez-vous les enfants?

R.     Parce que, cette fois-là, quand j'ai (inaudible), elle est arrivée pour voir les enfants. Et après, je suis allée à la cour et elle a été convoquée. J'y suis allée aussi, et nous avons signé un papier déclarant qu'elle ne pouvait pas venir voir les enfants. C'est parce qu'elle travaillait dans la rue. Elle était. . .

-     Je vais d'abord finir la première, alors je me souviendrai de ce qu'elle a dit. «Elle était à la rue, comme. . . une pauvresse.» Et il a déclaré: «J'avais peur qu'ils attrapent une maladie d'elle.» Et elle a déclaré que: «Lorsque les enfants étaient avec elle, elle les gardait mais ils étaient dans la rue et elle ne leur donnait pas à manger. Alors je lui ai dit: "Bon, tu ne prendras pas les enfants parce que tu ne t'en occupes pas, alors pourquoi les prends-tu?"».

[. . .]

Il y a aussi la question des préoccupations au sujet des deux enfants, par rapport à son épouse. . . son ex-épouse et sa famille. Si les inquiétudes des demandeurs au sujet du fait que les autorités ne se préoccupaient pas beaucoup de. . . les policiers ne se préoccupaient pas beaucoup de. . . des problèmes des Tsiganes, alors en fait les enfants pourraient être face à. . . ou être placés dans une situation précaire avec leur père. [Non souligné dans l'original.]

[12]De plus, voici ce que l'avocat a demandé à Mme Mohacsi (page 242 du dossier certifié):

[traduction]

Q.     Mme Mohacsi, qu'en est-il de vous? Que pensez-vous de la Hongrie?

R.     De la peur. Je suis effrayée.

Q.     De quoi avez-vous peur?

R.     Ils venaient toujours à la maison. Ils . . . me criaient après, ils me traitaient de putain. Et ils. . . comme la situation de mon cousin, ils ont été battus, c'était le cas pour nous aussi. Et je ne pouvais sortir dans la rue pour. . . juste pour me promener, comme ici au Canada. Ils m'humiliaient, me criaient après et me menaçaient, et je vivais dans la peur.

Q.     Confirmez-vous le témoignage de votre mari comme vous l'avez entendu ici aujourd'hui?

R.     Oui.

Q.     Est-il vrai que le fils de son frère Zoltan a été tué alors qu'on raconte qu'il était à la pêche?

R.     Oui. [Non souligné dans l'original.]

[13]Le défendeur maintient que comme les autres demandeurs s'appuient sur la relation du demandeur principal, comme on peut le voir dans leur FRP, cette preuve a été implicitement examinée par la Commission et est comprise dans sa décision. Je ne partage pas ce raisonnement. À moins que des motifs soient expressément consignés par la Commission au vu de la preuve au dossier, la Cour ne peut tout simplement pas déduire que le traitement particulier que le demandeur principal a reçu en Hongrie suppose nécessairement que son épouse et ses enfants mineurs, qui allèguent aussi avoir été victimes d'autres actes de persécution--comme leur peur d'être battus à l'école ou d'être tués par des skinheads, comme l'a été le neveu du demandeur principal--ne peuvent raisonnablement justifier une crainte fondée de persécution pour un des motifs énumérés dans la Convention.

[14]Dans Seevaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 167 F.T.R. 130 (C.F. 1re inst.), le juge Tremblay-Lamer a confirmé que le fait de ne pas examiner la revendication du demandeur mineur constitue une erreur ouvrant droit à révision. Dans cette affaire, comme en l'espèce, la revendication de l'enfant a été rejetée parce que le demandeur principal n'avait pas eu gain de cause, sans motif additionnel. Le juge Tremblay-Lamer s'est appuyée sur Chehar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1698 (1re inst.) (QL), où le juge Wetston déclare, au paragraphe 5:

Bien que la Commission n'ait pas eu tort en tirant des conclusions concernant la requérante, elle a néanmoins omis de dire expressément pourquoi elle a rejeté la revendication de la requérante mineure. Cela étant, la Commission a eu tort soit de n'avoir pas pris en considération la revendication individuelle de la requérante mineure, soit de n'avoir pas donné des motifs particuliers justifiant pourquoi elle a décidé que la revendication de celle-ci devait être rejetée. [Non souligné dans l'original.]

[15]L'affaire Iruthayathas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1994), 82 F.T.R. 154 (C.F. 1re inst.) est aussi pertinente. Dans ses motifs, le juge Reed a déclaré que la Commission doit examiner le risque que les enfants soient sujets à persécution et ne pas se concentrer exclusivement sur la situation du demandeur principal. Voici ce qu'elle dit au paragraphe 10:

La Commission, en décidant qu'il était peu probable que la requérante soit persécutée à Colombo, s'est concentrée presque exclusivement sur la situation de la requérante. Elle a déclaré que la requérante ne correspondait pas au profil d'une jeune tamoule membre du LTTE, mais elle n'a pas expliqué ce qu'était ce profil. La Commission a concentré son attention sur la position de la requérante, particulièrement sur son âge, et elle n'a pas examiné la possibilité que les enfants soient sujets à persécution. J'estime qu'il s'agissait là d'une erreur qui fait que la décision de la Commission doit être annulée. [Non souligné dans l'original.]

[16]Il ressort d'une lecture de la décision contestée que la Commission a soit négligé de tenir compte de la preuve, soit fait défaut de donner des motifs additionnels pour justifier son rejet des revendications de statut de réfugié présentées par l'épouse et les enfants mineurs. En l'espèce, il est clair de la transcription, citée plus haut, que ces revendications ont été spécifiquement traitées à l'audience par l'avocat des demandeurs. Il ne suffit pas que la Commission traite uniquement dans sa décision de la revendication du demandeur principal et qu'elle présume que son raisonnement s'appliquait aussi aux autres demandeurs. Par conséquent, cette omission constitue par elle-même une erreur de droit qui justifie le fait que la Cour renvoie la question à la Commission. Je vais toutefois examiner aussi les autres questions posées.

2-     La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant des conclusions négatives quant à la crédibilité de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait?

[17]La deuxième question porte sur les conclusions négatives de la Commission quant à la crédibilité. Cette question a été analysée maintes fois par la Cour. On trouve un résumé des principes applicables dans Lubana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2003), 228 F.T.R. 43 (C.F. 1re inst.). Je vais reprendre ici certains des principes généraux résumés dans cette décision.

[18]Premièrement, l'évaluation de la crédibilité d'un demandeur constitue l'essentiel de la compétence de la Commission. La Commission a une expertise bien établie pour statuer sur des questions de fait, et plus particulièrement pour évaluer la crédibilité et la crainte subjective de persécution d'un demandeur. Toutefois, aucun décideur ne peut agir de façon abusive ou arbitraire.

[19]Deuxièmement, la Commission peut à bon droit conclure que le demandeur n'est pas crédible à cause d'invraisemblances contenues dans la preuve qu'il a présentée, dans la mesure où les inférences qui sont faites ne sont pas déraisonnables et que les motifs sont formulés «en termes clairs et explicites». La Commission peut aussi à bon droit tirer des conclusions raisonnables fondées sur la présence d'invraisemblances, le bon sens et la raison. Elle peut rejeter des preuves non réfutées si celles-ci ne sont pas compatibles avec les probabilités propres à l'affaire dans son ensemble, ou si elle relève des contradictions dans la preuve.

[20]Troisièmement, ce ne sont pas tous les types d'incohérence ou d'invraisemblance contenue dans la preuve présentée par le demandeur qui justifieront raisonnablement que la Commission tire des conclusions défavorables sur la crédibilité en général. Il ne conviendrait pas que la Commission tire ses conclusions après avoir examiné «à la loupe» des éléments qui ne sont pas pertinents ou qui sont accessoires à la revendication. En outre, la Commission devrait évaluer la crédibilité d'un demandeur et la vraisemblance de son témoignage en tenant compte des conditions existant dans son pays et des autres éléments de preuve documentaire dont elle dispose. Les incohérences mineures ou secondaires contenues dans la preuve du demandeur ne devraient pas inciter la Commission à conclure à une absence générale de crédibilité si la preuve documentaire confirme la vraisemblance de son récit.

[21]Quatrièmement, le premier récit que fait une personne est généralement le plus fidèle et, de ce fait, celui auquel il faut ajouter le plus de foi. Cela étant dit, l'omission d'un fait, bien qu'elle puisse être préoccupante, ne devrait pas toujours l'être. Tout dépend encore une fois des circonstances. Il n'y a pas de doute que le défaut de mentionner, dans une déclaration écrite aux autorités de l'immigration, des événements importants sur lesquels une revendication du statut de réfugié est fondée, ou une contradiction entre cette déclaration et le FRP ou un témoignage subséquent, sont des facteurs très graves qui peuvent justifier une conclusion défavorable concernant la crédibilité. L'omission ou la contradiction doit cependant être bien réelle. De plus, les explications données par un demandeur qui ne sont pas manifestement invraisemblables doivent être prises en compte.

[22]Cinquièmement, la Commission ne devrait pas s'empresser d'appliquer une logique et un raisonnement nord-américain à la conduite du revendicateur. Il faut tenir compte de l'âge, des études, des antécédents culturels, des expériences sociales et de l'état psychologique du revendicateur. Par conséquent, lorsqu'elle évalue les premiers rapports du demandeur avec les autorités canadiennes de l'immigration, ou qu'elle fait référence au PDE, la Commission devrait être attentive également au fait que la plupart des réfugiés ont vécu dans leur pays d'origine des expériences qui leur donnent de bonnes raisons de ne pas faire confiance aux personnes en autorité.

[23]En l'espèce, après avoir examiné de près la transcription et la preuve au dossier, je conclus que la Commission n'a pas analysé des aspects importants des témoignages présentés par les demandeurs, ou alors qu'elle n'a pas tenu compte d'une preuve documentaire fiable corroborant leurs dires. Il ressort aussi de la décision et du dossier que les divergences et que les inférences négatives dont il est fait état dans la décision contestée sont liées à des questions mineures ou périphériques. De plus, les motifs de la Commission sont dans l'ensemble arbitraires et inadéquats, et ils ne peuvent appuyer une conclusion générale d'un manque de crédibilité.

[24]Je constate que la Commission ne fait ressortir aucune contradiction claire ou articulée entre les déclarations faites par les demandeurs dans leur FRP et leurs témoignages à l'audience, sauf en ce qu'il s'agit de l'incident de la «grève», dont je parlerai plus loin, qui n'est pas lié à un élément central de la revendication du demandeur principal. Il est utile de souligner que la Commission ne mentionne nulle part expressément dans sa décision le fait que les demandeurs ne seraient pas crédibles. Parlant de l'intention du demandeur principal de se rendre en Autriche en février 2001 pour y trouver du travail, la Commission mentionne simplement qu'elle estime «étrange [sa] conduite [. . .] et qu'elle ne convient pas à quelqu'un qui dit craindre d'être persécuté». De plus, la Commission ne fait aucun commentaire spécifique quant à la façon dont le demandeur principal et son épouse ont présenté leur témoignage, non plus qu'elle ne mentionne ne pas y avoir cru. Au mieux, les préoccupations de la Commission quant à la relation des demandeurs sont décrites de façon ambivalente et il faut les déduire de ses motifs très succincts.

[25]Plus important encore, la Commission ne discute jamais ni ne remet en question la réalité des incidents dont le demandeur principal fait état dans son FRP et qu'il a racontés à l'audience, incidents qui ont mené à la décision des demandeurs de quitter la Hongrie en juin 2001. Selon la preuve, les nationalistes ont tué le neveu du demandeur principal, des skinheads ont vandalisé la demeure des demandeurs et ils ont menacé et battu le demandeur principal et son épouse. Tout de suite après l'assassinat, le demandeur et d'autres Tsiganes se sont adressés à la police pour obtenir réparation, mais sans succès. Suite à ceci le demandeur principal a eu très peur qu'on s'en prenne à ses deux fils. Il a aussi témoigné que son fils aîné avait été battu et menacé auparavant à son école par des nationalistes, suite à quoi il ne s'est plus rendu à l'école. Par conséquent, la Commission aurait dû se demander si ces éléments, qui sont au coeur de la revendication des demandeurs, constituaient de la persécution ou pouvaient justifier une crainte raisonnable de persécution.

[26]En l'espèce, la Commission interprète de façon négative le fait que «[l]es demandeurs ont invoqué la persécution et la discrimination, mais dans les notes du PDE, ils ont plutôt fait référence à un avenir bouché pour leurs enfants et à des abus de la part des frères de la première épouse de M. Mohacsi». Deuxièmement, la Commission conclut aussi que la conduite du demandeur principal, lorsqu'il a obtenu un passeport pour se rendre travailler en Autriche en février 2001, était «étrange [. . .] et qu'elle ne convient pas à quelqu'un qui dit craindre d'être persécuté». Troisièmement, la Commission met aussi en cause le fait que le demandeur principal aurait été «licencié» en décembre 2000 par son ancien employeur parce qu'il avait participé à une «grève», soulignant l'existence d'une divergence à ce sujet entre son FRP et son témoignage. Je comprends que la Cour, saisie d'une demande de contrôle judiciaire, ne doit pas se livrer à une analyse microscopique des conclusions de la Commission portant sur la crédibilité (Sarkozi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 15 Imm. L.R. (3d) 182 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 17). En l'espèce, toutefois, ces trois conclusions quant à la crédibilité sont les seuls aspects de la preuve auxquels la Commission s'est arrêtée et, selon moi, elles sont abusives et arbitraires compte tenu des circonstances particulières de cette affaire et de la preuve au dossier.

[27]Comme je l'ai fait remarquer plus tôt, une prétendue différence liée au défaut de mentionner un fait pertinent à l'arrivée doit être examinée dans le contexte de la situation particulière et des caractéristiques applicables au demandeur. Le demandeur principal a été menacé plusieurs fois, ainsi que battu et détenu par la police et par d'autres groupes. Il est Rom et il habitait dans un ghetto tsigane. Il n'a que six années de scolarité et il peut tout juste lire. Le PDE était en français, une langue qu'il ne connaît pas, et l'interprète traduisait au téléphone ce qui n'est pas certainement une situation idéale. Dans Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 963 (1re inst.) (QL), cette Cour a indiqué que c'était une «pratique douteuse» de la part de la Commission que de conclure à l'exactitude des notes «simplement sur la foi». La Cour a ajouté que la Commission devrait tenter d'élucider le contexte de l'entrevue et le degré de compréhension qu'avait la personne des questions qui lui étaient posées.

[28]Comme le demandeur principal l'a bien expliqué au cours de l'audience, il n'a pas complètement compris les questions. De plus, il a aussi expliqué qu'il avait peur que s'il exprimait de vive voix ou par écrit des commentaires négatifs au sujet de la Hongrie, le Canada le renverrait dans son pays. Or, si on découvrait ce qu'il avait dit, sa situation serait encore pire qu'avant: [traduction] «ils vont nous ramener chez nous [. . .] et après, si je reviens, ils me puniront parce que j'ai accusé la Hongrie» (transcription, dossier certifié, page 235). Selon moi, ce motif est tout à fait raisonnable. Dans sa décision, la Commission ne mentionne que la première partie de l'explication donnée par le demandeur principal et elle ne fait aucun état de la seconde partie. Il s'agit là clairement d'une erreur ouvrant droit à révision. Comme l'a déclaré la Cour dans Veres c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 124 (1re inst.), au paragraphe 11: «[i]l ne relève pas de son [la Commission] mandat de ne tenir aucun compte d'une explication raisonnable et de considérer la preuve comme si l'explication n'avait jamais été donnée». Par conséquent, la première conclusion au sujet de la crédibilité est abusive et arbitraire.

[29]La Commission mentionne aussi le fait que la façon d'agir du demandeur lorsqu'il a obtenu un passeport pour aller travailler en Autriche en février 2001 était «étrange [. . .] et [. . .] elle ne convient pas à quelqu'un qui dit craindre d'être persécuté». Toutefois, le demandeur principal a témoigné qu'il avait perdu son emploi en décembre 2000 et qu'il désirait se rendre en Autriche pour y chercher du travail: [traduction] «J'ai perdu mon emploi et je. . . je savais ne pouvoir trouver du travail et probablement j'irais en Autriche ou ailleurs pour trouver le travail. . . L'Autriche n'est pas loin de la Hongrie, je travaillerais approximativement à 400 kilomètres et pourrais donc venir en visite» (transcription, dossier certifié, pages 220 et 221, reproduction verbatim). La Commission n'explique pas pourquoi elle a inféré que le comportement du demandeur principal était étrange et qu'il n'était pas cohérent avec une crainte de persécution. Les motifs de la Commission à ce sujet sont inadéquats. De plus, je constate que les incidents récents (le meurtre du neveu du demandeur principal et le fait que leur maison avait été vandalisée) qui ont amené les demandeurs à quitter la Hongrie se sont produits en juin 2001, soit quatre mois après que le demandeur principal eut obtenu un passeport en février 2001. La crainte de persécution des demandeurs devait être examinée par la Commission au vu de tous les incidents pertinents. Par conséquent, cette deuxième conclusion au sujet de la crédibilité est aussi abusive et arbitraire.

[30]À l'audience, le demandeur principal a témoigné qu'il s'était rendu chez son employeur en décembre 2000 avec d'autres travailleurs tsiganes pour se plaindre des salaires qu'on leur versait. Comme le demandeur principal avait parlé dans son FRP d'une participation à une «grève», la Commission a jugé qu'il s'était «donné le beau rôle dans cette histoire afin de donner plus de poids à sa revendication» (décision de la Commission, paragraphe 15). Toutefois, un examen attentif de la transcription fait ressortir le fait que le demandeur principal a répondu directement aux questions et qu'il a immédiatement précisé au commissaire que [traduction] «ce n'était pas vraiment une grève. Ce n'était pas la grosse affaire, puisqu'il s'agissait de moi et de six Tziganes» (transcription, dossier certifié, page 251). De plus, la Commission mentionne aussi le fait que la preuve démontre que le demandeur principal «n'a jamais été licencié». La question de savoir si le demandeur principal a volontairement quitté son emploi ou s'il a été licencié par son employeur soulève des questions mixtes de fait et de droit que la Commission ne peut trancher dans le cadre d'une revendication de statut de réfugié. Le témoignage du demandeur principal à ce sujet n'a pas été contredit. Après un examen attentif de la transcription, je constate que les contradictions dans les réponses données par le demandeur principal, s'il en est, sont plus apparentes que réelles. Le demandeur principal a déclaré, au début de l'audience (transcription, dossier certifié, page 251):

[traduction]

Q.     Qu'avez-vous fait? Êtes-vous allés vous plaindre à votre patron? Est-ce bien ce qui s'est produit?

R.     Étant le plus âgé, c'est moi qui a parlé au patron. «Je suis désolé. . . lui ai-je dit, comment se fait-il que ce type, il est arrivé après moi, et je travaille plus que lui, et je suis moins payé?»

Q.     D'accord. Qu'est-il arrivé alors?

R.     Il m'a dit de. . . de partir.

Q.     Il a dit: si vous n'êtes pas content vous pouvez partir?

R.     Oui. C'est cela.

Q.     D'accord. Et vous avez dit?

R.     Je ne savais pas quoi dire. Je ne pouvais aller nulle part, il fallait que je parte, alors je suis parti. Les Tsiganes n'ont pas. . . beaucoup de droits en Hongrie.

Q.     D'accord. Mais avez-vous effectivement quitté votre travail?

R.     Oui. Oui.

Q.     Êtes-vous retourné le jour suivant?

R.     Non.

Q.     Parce qu'ici vous déclarez que vous avez été licencié.

R.     S'ils vous disent de partir, alors vous n'y retournez pas, parce que c'est comme final. Vous n'y retournez pas. Vous avez vos outils et c'est tout.

Q.     Avez-vous un document officiel portant que vous êtes parti, ou que vous avez été licencié, ou. . .?

R.     Ils ne vous donnent pas le papier. Maintenant, en Hongrie, c'est comme ça. Ils ne vous donnent pas le papier que c'est fini. [Non souligné dans l'original.]

[31]Il ressort que la Commission s'est livrée à une interprétation douteuse et déformée de la preuve afin d'arriver à la conclusion que le demandeur n'avait pas vraiment été licencié. Les explications données par le demandeur principal semblent raisonnables et elles ne pouvaient être rejetées par la Commission du revers de la main. Je n'ai aucun doute qu'en l'espèce les demandeurs auraient dû recevoir le bénéfice du doute. Je note aussi que le commissaire a présumé dans les questions que je viens de citer que le demandeur principal s'était fait dire par son employeur que «si vous n'êtes pas content, vous pouvez partir», alors que le demandeur principal avait en fait dit «il m'a dit de [. . .] de partir». Compte tenu du fait que le témoignage du demandeur principal était traduit, il était carrément inapproprié que le commissaire fasse dire au demandeur ce qu'il n'avait pas dit. Néanmoins, étant donné la situation particulière du demandeur principal, il n'est pas impossible qu'il ait pu comprendre que le commissaire voulait dire qu'il avait été licencié et que, par conséquent, il ne devait pas retourner travailler. Par conséquent, la troisième conclusion quant à la crédibilité est aussi abusive et arbitraire.

[32]En conséquence, je conclus que la Commission est arrivée à ses conclusions au sujet de la crédibilité sans tenir compte de la situation particulière du demandeur principal et en se fondant sur des divergences insignifiantes. Ceci fait que les conclusions de la Commission quant aux faits sont manifestement déraisonnables.

3-     La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la discrimination envers les demandeurs ne constituait pas de la persécution et en n'examinant pas la question de savoir si l'effet cumulatif des incidents rapportés par les demandeurs constituait de la persécution?

[33]La troisième question porte sur le fait de savoir si la Commission a correctement analysé la preuve afin de déterminer si les actions discriminatoires au préjudice des demandeurs, telles qu'ils en ont fait l'historique, peuvent, prises conjointement, fonder une crainte de persécution pour des «motifs cumulés».

[34]Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a publié un ouvrage intitulé Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés (réédité à Genève en janvier 1992) (le Guide), où l'on trouve des conseils pour l'examen des revendications de persécution fondées sur les effets cumulatifs de la discrimination. Les paragraphes 53 à 55 sont pertinents. Je cite aussi le paragraphe 52, parce qu'il fournit un contexte à la discussion de savoir de quels éléments on doit tenir compte lorsqu'on fait une analyse cumulative en vue d'atteindre l'objectif plus général de déterminer l'existence d'une persécution:

b) Persécutions

[. . .]

52. La question de savoir si d'autres actions préjudiciables ou menaces de telles actions constituent des persécutions dépendra des circonstances de chaque cas [. . .] Le caractère subjectif de la crainte d'être persécuté implique une appréciation des opinions et des sentiments de l'intéressé. C'est également à la lumière de ces opinions et de ces sentiments qu'il faut considérer toute mesure dont celui-ci a été effectivement l'objet ou dont il redoute d'être l'objet. En raison de la diversité des structures psychologiques individuelles et des circonstances de chaque cas, l'interprétation de la notion de persécution ne saurait être uniforme.

53. En outre, un demandeur du statut de réfugié peut avoir fait l'objet de mesures diverses qui en elles-mêmes ne sont pas des persécutions (par exemple, différentes mesures de discrimination), auxquelles viennent s'ajouter dans certains cas d'autres circonstances adverses (par exemple une atmosphère générale d'insécurité dans le pays d'origine). En pareil cas, les divers éléments de la situation, pris conjointement, peuvent provoquer chez le demandeur un état d'esprit qui permet raisonnablement de dire qu'il craint d'être persécuté pour des «motifs cumulés». Il va sans dire qu'il n'est pas possible d'énoncer une règle générale quant aux «motifs cumulés» pouvant fonder une demande de reconnaissance du statut de réfugié. Toutes les circonstances du cas considéré doivent nécessairement entrer en ligne de compte, y compris son contexte géographique, historique et ethnologique.

c) Discrimination

54. Dans de nombreuses sociétés humaines, les divers groupes qui les composent font l'objet de différences de traitement plus ou moins marquées. Les personnes qui, de ce fait, jouissent d'un traitement moins favorable ne sont pas nécessairement victimes de persécutions. Ce n'est que dans des circonstances particulières que la discrimination équivaudra à des persécutions. Il en sera ainsi lorsque les mesures discriminatoires auront des conséquences gravement préjudiciables pour la personne affectée, par exemple de sérieuses restrictions du droit d'exercer un métier, de pratiquer sa religion ou d'avoir accès aux établissements d'enseignement normalement ouverts à tous.

55. Lorsque les mesures discriminatoires ne sont pas graves en elles-mêmes, elles peuvent néanmoins amener l'intéressé à craindre avec raison d'être persécuté si elles provoquent chez lui un sentiment d'appréhension et d'insécurité quant à son propre sort. La question de savoir si ces mesures discriminatoires par elles-mêmes équivalent à des persécutions ne peut être tranchée qu'à la lumière de toutes les circonstances de la situation. Cependant, il est certain que la requête de celui qui invoque la crainte des persécutions sera plus justifiée s'il a déjà été victime d'un certain nombre de mesures discriminatoires telles que celles qui ont été mentionnées ci-dessus et que, par conséquent, un effet cumulatif intervient. [Non souligné dans l'original.]

[35]La Cour d'appel a décidé qu'une analyse où les événements qui se sont produits au cours d'une période donnée sont examinés un à un va à l'encontre de l'objectif d'un examen de leur aspect cumulatif (Madelat c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] A.C.F. no 49 (C.A.) (QL)). De plus, dans Wickramasinghe c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 470; [2002] A.C.F. no 601 (1re inst.) (QL), la Cour a jugé que l'interprétation du mot «persécution» est une question mixte de faits et de droit, et que la question de l'existence de la persécution dans les cas de discrimination ou de harcèlement est aussi une question mixte de faits et de droit et, par conséquent, qu'elle est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable simpliciter. Au vu de cette norme de contrôle, j'arrive à la conclusion que la décision de la Commission à ce sujet était déraisonnable. Même en appliquant la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable, les erreurs évidentes à première vue dans la décision permettraient d'arriver à la conclusion qu'elle était manifestement déraisonnable.

[36]Premièrement, la Commission ne traite pas vraiment de la discrimination au vu de la preuve au dossier, sauf lorsqu'elle conclut que: «[l]a conduite du demandeur et ses allégations de discrimination en Hongrie sont contredites par le fait qu'il a détenu un emploi pendant 14 ans et qu'il a réussi à épargner suffisamment d'argent pour faire une offre pour l'achat d'un appartement» (décision de la Commission, paragraphe 15). À la fin de ses motifs [au paragraphe 19], la Commission conclut en disant que: «[l]e tribunal estime que la prétendue discrimination ne constitue pas de la persécution» (non souligné dans l'original), mais elle n'indique pas quel est le raisonnement qui l'a menée à cette conclusion.

[37]Deuxièmement, comme je viens de le mentionner, la Commission déclare que «[l]a conduite du demandeur et ses allégations de discrimination en Hongrie sont contredites par le fait qu'il a détenu un emploi pendant 14 ans et qu'il a réussi à épargner suffisamment d'argent pour faire une offre pour l'achat d'un appartement» (décision de la Commission, paragraphe 15). Cette conclusion est clairement abusive et arbitraire. La Commission n'a ni mentionné ni tenu compte dans sa décision du fait que même si le demandeur principal avait économisé assez d'argent pour faire une offre, il devait toujours présenter une demande aux autorités pour acheter un appartement en ville. À la fin du compte, on lui a dit: [traduction] «vous savez, les Tsiganes ne sont pas autorisés à acheter une maison au centre-ville» (transcription, dossier certifié, page 217). En conséquence, il n'est pas pertinent de mentionner le fait que le demandeur principal a pu économiser assez d'argent pour faire une offre pour l'achat d'un appartement s'il ne pouvait en fin de compte être autorisé à l'acheter à cause de ses origines ethniques. De plus, la Commission n'a pas non plus mentionné le fait que suite à ce rejet le demandeur principal a été arrêté par la police, battu et détenu. Un rapport de police mentionnant que le demandeur principal a été arrêté et détenu pendant 24 heures pour violation de l'ordre public, qui corrobore partiellement son témoignage, se trouve à la page 56 du dossier certifié. Le fait que la Commission n'ait même pas abordé cette preuve est, selon moi, une illustration du caractère superficiel de son analyse et il est suffisant, dans le contexte de cette affaire, pour justifier qu'on se pose des questions au sujet du jugement et de l'impartialité du commissaire.

[38]Troisièmement, dans leur FRP et à l'audience les demandeurs ont soutenu qu'ils avaient été victimes d'actes répétés de discrimination. Le demandeur principal a témoigné des événements suivants, parmi d'autres:

1. Son fils devait aller à une école pour enfants défavorisés puisqu'il n'était pas autorisé à aller à l'école ordinaire;

2. Il a mentionné que lui-même et sa famille devaient vivre dans un ghetto pour Tsiganes, sans égout et téléphone, parce qu'ils n'avaient pas le droit d'acheter un appartement en ville;

3. Le demandeur principal a aussi témoigné qu'après le rejet de sa demande d'autorisation pour acheter un appartement, fondé principalement sur ses origines ethniques, il a protesté contre l'injustice qui lui était faite et il a été arrêté, battu et humilié par la police;

4. Il a aussi déclaré que lui et sa famille avaient été battus par des skinheads à une gare d'autobus;

5. Il a été licencié après 14 ans de service parce qu'il s'est plaint de l'inégalité de traitement entre les travailleurs roms et les travailleurs hongrois;

6. Ils ont été attaqués un jour en quittant l'église;

7. Son fils a été battu et menacé par les nationalistes hongrois à l'école, ce qui fait qu'il a cessé de s'y rendre;

8. Son neveu a été tué par des skinheads pour avoir pêché sans permis;

9. Sa maison a été attaquée par des skinheads et les demandeurs ont été battus et menacés à cette occasion; et

10. Son épouse a témoigné qu'on lui crachait souvent dessus et qu'on la traitait de «putain» après qu'elle eut épousé le demandeur principal, ce qui fait qu'elle avait peur de sortir dans la rue.

[39]En ne faisant état que d'un seul incident (l'offre d'achat pour un appartement), la Commission n'a pas examiné l'effet cumulatif des actes discriminatoires visant les demandeurs.

[40]Quatrièmement, le dossier certifié contient aussi deux rapports médicaux attestant que les demandeurs ont été hospitalisés à deux occasions après avoir été attaqués par plusieurs hommes (transcription, dossier certifié, pages 58 et 60). Finalement on trouve au dossier certifié une lettre de l'Association des minorités ethniques nationales tsiganes, qui confirme que la famille Mohacsi était membre de l'Association et qu'elle a été la victime de discrimination à cause de ses origines tsiganes. Il est clair que les rapports médicaux constituent une corroboration partielle des allégations de persécution des demandeurs et qu'ils auraient dû au moins être mentionnés dans la décision de la Commission, avec les raisons de ne pas en tenir compte. De plus, même si la Commission a mentionné la lettre de l'Association (pièce P-2), elle ne lui a accordé aucun poids après avoir examiné la «preuve documentaire», sans toutefois expliquer plus longuement qu'elles étaient ses sources. L'aspect inadéquat des motifs de la Commission fait que notre Cour ne peut que conclure qu'elle n'a pas tenu compte de certaines preuves pertinentes et qu'elle n'a pas non plus examiné l'aspect cumulatif des actes discriminatoires visant les demandeurs.

4-     La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs ne s'étaient pas acquittés de leur fardeau de solliciter la protection des autorités de leur pays d'origine?

[41]On trouve ce qui suit au paragraphe 65 du Guide:

65. On entend normalement par persécution une action qui est le fait des autorités d'un pays. Cette action peut également être le fait de groupes de la population qui ne se conforment pas aux normes établies par les lois du pays [. . .] Lorsque des actes ayant un caractère discriminatoire grave ou très offensant sont commis par le peuple, ils peuvent être considérés comme des persécutions s'ils sont sciemment tolérés par les autorités ou si les autorités refusent ou sont incapables d'offrir une protection efficace. [Non souligné dans l'original.]

[42]Le principe régissant la protection de l'État a été énoncé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689 (l'arrêt Ward), dans lequel la Cour a décidé que la capacité d'un État à protéger ses citoyens n'est qu'une présomption qui peut être écartée lorsqu'un demandeur présente une preuve claire et convaincante que l'État est incapable de le protéger. Le genre de preuve qui pourrait nous aider à arriver à cette conclusion a été abordé par le juge La Forest lorsqu'il déclare, aux pages 724 et 725, que «[p]ar exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées ou son propre témoignage au sujet d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée» (non souligné dans l'original).

[43]En l'espèce, le demandeur principal a témoigné qu'il a essayé d'obtenir l'aide de la police, mais que des policiers l'ont battu lorsqu'il a porté plainte. Dans son FRP, il déclare aussi qu'il a écrit au ministre de la Justice après qu'il eut été battu avec sa famille par des skinheads à une gare d'autobus, sans recevoir de réponse (dossier de la demande, page 25, paragraphe 5). Il s'est aussi plaint aux autorités municipales après le vandalisme qui a visé sa maison. On l'a menacé de le tuer s'il continuait à se plaindre. Après que son fils eut été menacé, il s'est aussi rendu à la police mais il ne s'est vu offrir aucune protection. En 2001, lorsque les demandeurs ont manifesté suite au décès du neveu du demandeur principal, la police les attendait avec des matraques de caoutchouc et des gaz lacrymogènes. Ils se sont adressés à plusieurs organisations publiques et d'État pour obtenir de l'aide, mais les autorités et les médias ont essayé de camoufler l'événement (dossier de la demande, page 26).

[44]En l'espèce, la Commission fonde sa conclusion au sujet de la disponibilité de la protection de l'État uniquement sur une partie de la preuve documentaire. La Commission déclare que «la pièce A-7 fait état d'actions prises par le gouvernement et la police contre toute personne qui commet un crime contre les Roms», que l'on a «signalé aux demandeurs qu'il existait une preuve documentaire abondante montrant que le gouvernement faisait des efforts pour combattre la discrimination dont étaient victimes les tziganes», que «le gouvernement a fait de grands efforts pour protéger les droits et la vie des Roms» et que la «documentation souligne également qu'il existe un grand nombre d'organisations internationales qui s'occupent des droits de la personne et des Roms». La Commission conclut donc que les demandeurs ne se sont pas acquittés de leur obligation de solliciter la protection de leur pays d'origine.

[45]Il est clair que la Commission s'est livrée à une analyse superficielle, ce qui fait que sa conclusion au sujet de la protection de l'État est déraisonnable. Premièrement, la Commission n'a pas du tout tenu compte de la preuve documentaire contradictoire au sujet de la protection de l'État, non plus que des efforts des demandeurs pour obtenir la protection de l'État et du refus d'agir des autorités à tous les niveaux. Deuxièmement, la Commission a aussi commis une erreur en supposant que comme les Roms pouvaient s'adresser à des organisations internationales qui s'occupent des droits de la personne et des Roms pour obtenir réparation des torts dont ils étaient victimes, les demandeurs ne peuvent considérer qu'ils ont été persécutés ou qu'ils n'ont pas obtenu une protection efficace de l'État.

[46]Premièrement, la Commission a conclu que la preuve documentaire démontrait que le gouvernement a fait «de grands efforts pour protéger les droits et la vie des Roms» et elle cite cette preuve documentaire à l'appui de sa conclusion, notamment la pièce A-7. Toutefois, la Commission n'a pas examiné ou mentionné dans sa décision la preuve contradictoire qui indique que malgré les efforts du gouvernement à ce sujet il y a encore des problèmes majeurs dans la mise en oeuvre de ces programmes, de telle façon qu'on refuse toujours à la Hongrie l'entrée dans l'Union européenne.

[47]Cette preuve documentaire contradictoire a été mentionnée dans un document de 1999 qui s'intitule The Roma in Hungary: Government Policies, Minority Expectations, and the International Community (Budapest, Hongrie, 6 décembre 1999), mais la Commission n'en parle pas du tout. Tout en reconnaissant les efforts du gouvernement pour améliorer la situation des Roms, le document indique toutefois que:

[traduction]

Néanmoins, les Roms en Hongrie souffrent encore grandement d'un statut social bas et de discrimination. Certains Roms soutiennent que le gouvernement n'est pas sérieux dans la mise en oeuvre de sa stratégie à moyen terme et ils font état des ressources financières insuffisantes qui y sont consacrées.

[. . .]

Bien que la Hongrie soit considérée comme un des candidats les plus aptes à devenir membre dans une période de temps assez courte, la situation de sa population tsigane est un élément majeur de la critique que fait l'UE de la situation en Hongrie. L'UE a indiqué de façon répétée que le gouvernement hongrois doit faire des efforts additionnels sur les plans politique et financier pour améliorer la situation des Roms si elle veut rencontrer les critères fixés pour l'admission dans l'Union. [Dossier de la demande, aux p. 58, 60.]

[48]Dans un autre document du département d'État américain, intitulé Country Reports on Human Rights Practices--2000 (publié par le Bureau of Democracy, Human Rights, and Labor, 23 février 2001), on trouve ce qui suit:

[traduction] Plusieurs organisations dévouées aux droits de la personne et aux Roms soutiennent que les Roms ne reçoivent pas un traitement égal dans le cadre des processus judiciaires. Ils allèguent notamment que les Roms sont plus souvent en détention préventive et pour des périodes plus longues que les autres citoyens. Cette allégation est crédible au vu de la discrimination générale qui frappe les Roms. Il n'y a toutefois aucune preuve statistique à ce sujet étant donné que l'identification de l'origine ethnique des contrevenants est interdite par la loi sur les renseignements personnels. Étant donné que la majorité des Roms font partie des classes défavorisées économiquement, ils doivent se contenter d'avocats médiocres qui les représentent sans enthousiasme. [Dossier de la demande, à la page 72.]

[49]Au sujet de la discrimination dans le logement, le rapport indique que les [traduction] «autorités locales ont à l'occasion essayé d'expulser les Roms des villes, ou elles ont profité de certaines situations (comme l'expulsion pour non-paiement de factures ou la fermeture de certains domiciles tsiganes) pour reloger et regrouper les membres de la population tsigane, créant ainsi des ghettos» (dossier de la demande, page 73).

[50]De plus, selon un rapport d'Amnistie internationale de 2001, la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance du Conseil de l'Europe souligne que [traduction] «de sérieux problèmes de racisme et d'intolérance persistent en Hongrie». Elle ajoute que l'incidence de la discrimination à l'égard des membres de la communauté rome persiste dans tous les domaines de la vie et elle fait état de ses préoccupations au sujet des brutalités policières. Malgré cela, le gouvernement refuse toujours d'adopter une loi contre la discrimination.

[51]Dans un rapport d'un forum récent des organisations romes en Hongrie, on note que [traduction] «la situation des Roms depuis 10 ans se détériore d'année en année» (dossier de la demande, page 79).

[52]Au sujet des «écoles spéciales» dont les demandeurs se sont plaints, l'ombudsman a délivré un rapport qui [traduction] «constate que la proportion élevée d'enfants tsiganes dans des "écoles spéciales" pour les handicapés mentaux était la marque d'un préjugé et d'une faillite du système d'éducation public. Les écoles pour les Roms sont plus encombrées, moins bien équipées et dans un moins bon état que celles où vont les autres citoyens» (dossier de la demande, page 74).

[53]De plus, on peut même trouver des contradictions aux pages 174 à 196 de la pièce A-7 du dossier certifié, qui démontrent que les efforts de l'État ne sont peut-être pas aussi efficaces que la Commission veut bien le croire en déclarant que «la pièce A-7 fait état d'actions prises par le gouvernement et la police contre toute personne qui commet un crime contre les Roms» (non souligné dans l'original). Par exemple, voici ce qu'on trouve à la page 179:

[traduction] Le 9 juillet 2001, le RPC rapporte que le bureau du département du procureur pénal pour le comté de Jasz-Nagykun-Szolnok a rouvert une affaire dans laquelle deux policiers et deux agents chargés de la surveillance des rives avaient été accusés d'avoir obligé un jeune garçon rom de 14 ans à se jeter dans les eaux glacées de la rivière Tisza à Tiszabura (16 juillet 2001a). Le jeune garçon rom avait semble-t-il été pris par les agents en flagrant délit de pêche sans permis (ibid. 3 septembre 2001c). La reprise de l'enquête a permis de découvrir que quatre autres jeunes garçons roms avaient été «maltraités» par les quatre agents en cause (ibid.). Au 29 août 2001, on avait porté des accusations de torture et de détention illégale contre les agents chargés de la surveillance des rives (ibid.). On n'a trouvé aucune mention dans les sources consultées par la Direction des recherches du fait que des accusations auraient été portées contre les deux policiers. [Non souligné dans l'original.]

[54]Notre Cour a décidé que l'on doit évaluer toute la preuve documentaire dans son ensemble, et non en examiner chaque partie de façon isolée (Owusu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] A.C.F. no 33 (C.A.) (QL); Lai c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 245 (C.A.F.); et Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 199 (C.A.F.)). Je partage l'avis exprimé par le juge Hansen dans Polgari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 15 Imm. L.R. (3d) 263 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 32:

Deuxièmement, les documents soumis par les demandeurs et ceux contenus dans les documents communiqués par l'ACR sèment des doutes et en fait contredisent la disponibilité et l'efficacité de la protection de l'État pour les Hongrois roms. Si, d'une part, il était raisonnable pour le tribunal de tirer les conclusions qu'il a tirées, d'autre part l'absence d'analyse de la volumineuse documentation contenue dans la trousse d'information sur les causes types hongroises, des documents de la trousse de documents communiqués par l'ACR et des documents soumis par les demandeurs, jointe à un traitement inadéquat des documents contradictoires et à l'absence d'explications sur ses préférences pour la preuve sur laquelle il s'est fondé, justifient l'intervention de la Cour.

[55]Deuxièmement, la Commission sous-entend aussi dans sa décision que comme les Roms peuvent demander réparation pour les torts commis à leur encontre auprès des organisations internationales qui s'occupent de droits de la personne et des Roms, les demandeurs ne peuvent prétendre avoir été persécutés ou ne pas bénéficier d'une protection efficace de l'État. De telles prémisses, ainsi que les conclusions que la Commission en tire, ne satisfont pas au critère qui veut qu'une revendication de statut de réfugié doit être examinée au vu des circonstances du cas particulier. Une fois confirmé ce raisonnement de la Commission, toutes les revendications de statut de réfugié au Canada provenant de Hongrois roms pourraient en théorie être rejetées.

[56]La Commission commet aussi une erreur de droit en adoptant une approche «systémique» qui peut avoir comme résultat net le rejet de demandes particulières de statut de réfugié pour le seul motif que la preuve documentaire indique généralement que le gouvernement hongrois fait certains efforts pour protéger les Roms de la persécution ou de la discrimination exercée par les autorités policières, les autorités chargées du logement et les autres groupes qui les ont persécutés jusqu'ici. L'existence de mesures contre la discrimination ne constitue pas en soi une preuve que la protection de l'État est disponible en fait: «Non seulement le pouvoir protecteur de l'État doit-il comporter un encadrement légal et procédural efficace mais également la capacité et la volonté d'en mettre les dispositions en oeuvre» (Elcock c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 175 F.T.R. 116 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 15). On reconnaît maintenant que la Hongrie est une nation démocratique qui devrait normalement pouvoir assurer la protection de l'État à tous ses citoyens (l'arrêt Ward, précité). Malheureusement, il existe encore des doutes quant à l'efficacité des moyens utilisés par le gouvernement pour atteindre cet objectif. Par conséquent, il y a lieu dans tous les cas de confronter la situation théorique avec le vécu de chaque revendicateur.

[57]Dans Molnar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 2 C.F. 339 (1re inst.) (Molnar), une décision récente de notre Cour, on trouve, selon moi, une illustration de l'approche à adopter ici. Le juge Tremblay-Lamer [au paragraphe 23] a conclu que «la Commission a commis une erreur en imposant aux revendicateurs le fardeau de chercher réparation auprès d'agences autres que les services de police». Le rôle des policiers est de protéger les citoyens du pays. S'ils refusent ou s'ils ne sont pas disposés à se décharger de leurs fonctions, notre Cour a conclu que la personne en cause n'est pas tenue de s'adresser aux agences des droits de la personne. Ces organisations n'ont pas pour mandat de protéger les victimes d'actes criminels, ce qui est le rôle de la police (Balogh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 809; [2002] A.C.F. no 1080 (1re inst.) (QL), au paragraphe 44; et N.K. c. Canada (Solliciteur général) (1995), 107 F.T.R. 25 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 44 et 45). Au paragraphe 34, le juge Tremblay-Lamer conclut que la preuve documentaire présentée à la Commission indiquait clairement que, malgré les efforts de l'État, «la protection policière accordée aux Roms est inadéquate» et aussi que: «[c]ette preuve démontre que les Roms vivant en Hongrie craignent à la fois les policiers et le processus judiciaire, puisqu'ils sont victimes de la violence policière et d'un appareil judiciaire qui appuie et même encourage la violence exercée à leur égard».

[58]En l'espèce, bien que les demandeurs se plaignent d'actes discriminatoires, ils ont aussi été les victimes de l'agression des skinheads et des autorités policières. Il s'agit là d'actes criminels. De plus, la preuve documentaire indique que le neveu du demandeur principal a été assassiné par des skinheads. Avec d'autres Tsiganes, il a cherché à obtenir réparation de la police, sans succès. En suggérant que les demandeurs auraient pu solliciter l'aide «d'organisations internationales qui s'occupent des droits de la personne et des Roms», la Commission n'a pas abordé la vraie question qui est celle de la protection face à des actes criminels. Elle a donc commis une erreur de droit.

[59]Par conséquent, je conclus que la Commission a commis une erreur en déclarant que les demandeurs ne s'étaient pas déchargés de leur obligation de chercher à obtenir la protection de leur État d'origine.

CONCLUSION

[60]La demande de contrôle judiciaire est accueillie. En conséquence, et au vu des motifs que j'ai énoncés et de toute la preuve documentaire qui m'est soumise, la décision de la Commission est annulée et la question est renvoyée pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué.

[61]Au cas où la Cour décidait d'accueillir la présente demande, ce qui est le cas, le défendeur a demandé que l'on certifie la question suivante:

Pour ce qui est de la condition qu'un demandeur fournisse la preuve claire et convaincante que l'État ne le protégera pas, un demandeur du statut de réfugié est-il tenu de s'adresser à des organismes en dehors de la police?

[62]Cette question avait été certifiée dans Cuffy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 121 F.T.R. 81 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 14, mais elle n'a jamais été transmise à la Cour d'appel fédérale pour décision.

[63]Dans Liyanagamage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1994), 176 N.R. 4 (C.A.F.), la Cour a déclaré que «[l]orsqu'il certifie une question [. . .] le juge des requêtes doit être d'avis que cette question transcende les intérêts des parties au litige, qu'elle aborde des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale [. . .] et qu'elle est aussi déterminante quant à l'issue de l'appel» (au paragraphe 4). En l'espèce, il semble que les demandeurs aient été maltraités par les autorités policières et qu'on ne pouvait donc s'attendre à ce qu'ils leur demandent de les protéger. De plus, comme j'ai conclu que la Commission n'a pas tenu compte de parties importantes et pertinentes de la preuve documentaire, je conclus que la question présentée par le défendeur ne peut trouver de réponse en l'absence d'un contexte approprié. Cette question ne permettrait pas de trancher l'appel en l'espèce, surtout comme je considère que d'autres faits pertinents aux revendications de statut de réfugié en l'instance n'ont pas été examinés de façon appropriée par la Commission et qu'il y a lieu de les réexaminer avant de prendre une décision finale quant à la question de la protection de l'État.

[64]En conclusion, je veux ajouter que dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, la Cour suprême du Canada a précisé que le respect de l'équité procédurale exige que le tribunal administratif fournisse des motifs écrits de sa décision. Les décisions qui affectent les revendicateurs de statut de réfugié sont d'une telle importance et elles sont si critiques pour leur avenir que l'omission de leur dire pourquoi on est arrivé à un résultat donné serait contraire à l'équité. Des décisions passe-partout, rédigées selon un plan où il suffit de substituer le nom d'un revendicateur à celui d'un autre, sont extrêmement douteuses et vont sans aucun doute donner naissance à des allégations que la Commission ne s'est pas vraiment arrêtée à l'examen des faits précis de la revendication. L'affaire en l'espèce est un bon exemple d'une affaire où on peut avoir répondu de façon formelle à l'exigence de présenter des motifs, sans toutefois que la Commission ne justifie ses conclusions de façon acceptable.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, section du statut de réfugié, datée du 26 février 2002, par laquelle elle a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention selon la définition du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, est accueillie et le dossier est renvoyé à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen. Aucune question de portée générale ne sera certifiée.

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