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A-332-01

2003 CAF 30

Le Service correctionnel du Canada et le Commissaire du Service correctionnel (appelants)

c.

Matthew G. Yeager (intimé)

Répertorié: Yeager c. Canada (Service correctionnel) (C.A.)

Cour d'appel, les juges Stone, Isaac et Malone, J.C.A.-- Ottawa, 22 mai 2002 et 22 janvier 2003.

Accès à l'information -- Un criminologue et critique du système pénal avait demandé des données, un cahier de codes et un logiciel au Service correctionnel du Canada (le SCC) -- La Direction générale de la recherche du SCC mène des recherches statistiques sur le système correctionnel -- Elle peut accéder aux bases de données classifiées d'autres institutions fédérales -- Le SCC obtient lesdits renseignements par voie électronique en se branchant sur des réseaux informatiques -- Les données demandées n'existaient pas, mais elles pouvaient être reconstituées -- Le travail de reconstitution nécessitait des ressources considérables et des connaissances spécialisées durant une période prolongée -- Nécessité d'expurger les données par suppression des identificateurs personnels -- Le refus des demandes a été confirmé par le Commissaire à l'information -- Le juge de la Section de première instance a ordonné la production des données et du cahier de codes, mais non du logiciel, qui ne pouvait être utilisé que sur un ordinateur central, et qui n'était pas un «document» au sens de la Loi -- Questions inédites soumises à la Section d'appel: un logiciel est-il un «document», et une institution fédérale doit-elle créer et communiquer des documents inexistants? -- Les données et le cahier de codes répondaient à la définition de «document», à l'art. 3 de la Loi sur l'accès à l'information -- Selon l'art. 4(3), un document qui n'existe pas est réputé un document s'il est possible de le préparer à partir d'un document informatisé relevant d'une institution fédérale -- L'argument des appelants, selon lequel la Loi ne les obligeait pas à créer des éléments qui n'existaient sous aucune forme, a été rejeté comme contraire au texte de la disposition, aux principes d'interprétation législative et à l'objet de la Loi -- La demande de l'intimé s'appuyait sur des motifs approuvés par la C.S.C. dans l'arrêt Dagg -- Limites à l'obligation de communication -- Le juge de la Section de première instance a ignoré d'importants éléments de preuve, et elle a commis une erreur en disant que la communication des renseignements demandés ne constituerait pas une entrave sérieuse au fonctionnement du SCC -- La différence entre des données et un cahier de codes est une différence de degré: la communication du cahier de codes nécessiterait un effort supplémentaire -- Question de l'entrave sérieuse -- La question n'était pas de savoir si le logiciel devait être utilisé avec un ordinateur central -- Question véritable: un logiciel d'ordinateur était-il un «document» existant, au sens de l'art. 3 de la Loi? -- Un logiciel n'est pas un «document», mais il est utilisé pour générer, visionner ou corriger un document -- Un logiciel n'est pas apparenté aux éléments énumérés dans l'art. 3 -- Il relève du concepteur externe, non de l'institution fédérale -- Dépens adjugés à l'intimé, qui n'a pas eu gain de cause, car l'appel soulevait un principe important et nouveau.

Interprétation des lois -- Certains renseignements qu'une institution fédérale avait refusé de communiquer étaient-ils un «document» au sens de l'art. 3 de la Loi sur l'accès à l'information? -- L'art. 4(3) (qui requiert la préparation de certains documents qui n'existent pas mais qu'il est possible de préparer à partir d'un document informatisé) exige-t-il la préparation de quelque chose qui n'existe sous aucune forme? -- L'interprétation proposée par l'institution était contraire à de nombreux principes d'interprétation législative: «règle du sens le plus vraisemblable», «présomption de l'harmonie linguistique», «principe de non-tautologie».

Pratique -- Jugements et ordonnances -- Annulation ou modification -- Requête en réexamen selon la règle 397(1)a) des Règles de la Cour fédérale (1998) -- L'ordonnance rendue par le juge des requêtes après contrôle judiciaire du refus de l'institution fédérale de faire droit à la demande d'accès à l'information ne disposait pas de tous les points traités dans les motifs -- La faille de l'ordonnance n'a été découverte qu'au moment de la rédaction des motifs de la Section d'appel -- Une nouvelle audience a eu lieu, et des conclusions ont été reçues des avocats, qui ont accepté la proposition de la Cour: requête en réexamen pour défaut de concordance de l'ordonnance avec les motifs exposés, et modification des actes de procédure déposés dans l'appel.

Pratique -- Frais et dépens -- Le juge des requêtes n'a rendu aucune ordonnance sur les dépens puisque le résultat était partagé dans le contrôle judiciaire du refus de faire droit à la demande d'accès à l'information -- Le requérant n'a pas eu gain de cause devant la C.A.F., mais il a obtenu ses dépens partie-partie, dans la présente instance et dans les instances antérieures, car l'appel soulevait, au regard de la législation, un principe important et nouveau -- Le juge dissident aurait adjugé une somme forfaitaire de 20 000 $ en vertu de la règle 400(4) des Règles de la Cour fédérale (1998), somme qui selon lui rendrait mieux compte de l'intention véritable du législateur.

Il s'agissait d'un appel et d'un appel incident formés contre l'ordonnance d'un juge des requêtes qui avait statué sur la demande de contrôle judiciaire d'une décision prise par le Service correctionnel du Canada (le SCC) et le Commissaire du Service correctionnel.

La Direction générale de la recherche du SCC mène des recherches statistiques intéressant le système correctionnel. Elle peut accéder aux bases de données classifiées d'autres organismes, par exemple la GRC, le Centre d'information de la police canadienne et la Commission nationale des libérations conditionnelles. Ces bases de données contiennent des renseignements sensibles sur les victimes et les délinquants. Seuls les employés ayant subi une vérification approfondie de fiabilité peuvent y accéder. Le SCC obtient lesdits renseignements par voie électronique en se branchant sur les réseaux informatiques des organismes susmentionnés. Matthew Yeager, l'intimé, est un criminologue et un critique du système pénal canadien, ainsi que des lignes de conduite propres à ce système. Il avait demandé aux appelants de lui communiquer certains renseignements liés à ces recherches: des données, un cahier de codes servant à interpréter les données, et un logiciel permettant d'utiliser les données sur un ordinateur personnel. Les données étaient les données sur la cohorte des détenus élargis qui étaient utilisées pour recalibrer l'Information statistique générale sur la récidive (avec suppression des identificateurs personnels). Étaient également demandés le cahier de codes utilisé pour définir et repérer les variables, ainsi qu'une copie du logiciel d'évaluation initiale des délinquants. Selon la preuve, les données demandées n'existaient pas, mais pouvaient être reconstituées. Il eût fallu pour cela recommencer intégralement le projet de recherche, ce qui eût nécessité des ressources considérables, ainsi que du temps et des connaissances techniques. Un effort additionnel aurait été requis pour expurger les données par suppression de tous les identificateurs personnels. S'agissant de la demande relative à un cahier de codes, un tel cahier n'avait pas été préparé pour les données demandées. Le logiciel demandé par l'intimé existait en une forme permettant son utilisation dans un système informatique central, non sur un ordinateur personnel. Ce logiciel était un dépôt colossal de fichiers-textes, dont le développement avait été un travail de plusieurs millions de dollars. Les appelants ont refusé toutes les demandes de l'intimé, en affirmant que la Loi ne les obligeait pas à constituer des documents qui n'existent pas. Après s'être plaint en vain auprès du Commissaire à l'information, l'intimé s'est adressé à la Section de première instance pour obtenir un contrôle judiciaire.

Le juge des requêtes a statué en faveur de M. Yeager, en concluant que le SCC n'avait pas réussi à prouver que la production des données et du cahier de codes entraverait de façon sérieuse son fonctionnement. Selon le juge des requêtes cependant, le logiciel n'existait pas en une forme permettant son utilisation sur un ordinateur personnel et, en tout état de cause, il ne s'agissait pas d'un «document» au sens de la Loi sur l'accès à l'information.

Ce n'est que lorsque les motifs de la Section d'appel étaient en cours de rédaction que l'on s'est rendu compte que l'ordonnance rendue par le juge des requêtes ne disposait pas de tous les points traités dans les motifs du juge des requêtes. Une nouvelle audience a donc eu lieu, au cours de laquelle les avocats ont déposé des conclusions sur la meilleure manière de s'y prendre. Les avocats ont souscrit à l'idée de la Cour, qui proposait que l'intimé prie le juge des requêtes, en application de l'alinéa 397(1)a) des Règles de la Cour fédérale (1998), d'examiner de nouveau l'ordonnance pour défaut de concordance avec les motifs exposés, et que les actes de procédure déposés dans l'appel soient modifiés en conséquence. Cela fut fait, et la Cour a conclu que l'appel incident avait été validement constitué.

L'appel obligeait la Cour à interpréter pour la première fois le paragraphe 4(3) de la Loi sur l'accès à l'information et l'article 3 du Règlement sur l'accès à l'information, pour savoir si un logiciel d'ordinateur est un «document» et si les appelants doivent constituer des documents qui n'existent pas et les communiquer.

Arrêt (dissidence partielle du juge Malone, J.C.A.): L'appel est accueilli, l'appel incident est rejeté, mais les dépens sont adjugés à l'intimé, dans la présente instance et dans les instances antérieures.

Le juge Isaac, J.C.A. (le juge Stone, J.C.A., étant d'accord): À la suite des enseignements de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Dagg c. Canada (Ministre des Finances), le point à résoudre dans la présente affaire était de savoir si les données, le cahier de codes et le logiciel constituent des «documents» relevant du SCC. Selon la définition de «document», à l'article 3 de la Loi, les données et le cahier de codes constitueraient des «documents», mais ni les données ni le cahier n'existent. Il faudrait que les données demandées soient reconstituées et modifiées, et il faudrait qu'un cahier de codes soit rédigé. Quant au logiciel, il existe, mais il n'est pas certain qu'il soit un «document».

Selon le paragraphe 4(3), «les documents qu'il est possible de préparer à partir d'un document informatisé relevant d'une institution fédérale sont eux-mêmes considérés comme relevant de celle-ci, même s'ils n'existent pas en tant que tels au moment où ils font l'objet d'une demande de communication». Selon les appelants, cette disposition ne les obligeait pas à créer des éléments qui n'existaient sous aucune forme. Ils insistent pour dire qu'ils ne sont pas tenus de créer un document à moins que ce document n'existe déjà en version informatisée. Cette interprétation contraste vivement avec le texte de cette disposition, d'une manière qui ne s'accorde pas avec les principes reconnus d'interprétation législative ni avec l'objet général de la législation sur l'accès à l'information. Le paragraphe 4(3), qui s'applique lorsqu'un document «n'existe pas», ne parle pas d'un document qui n'existe pas «si ce n'est en version informatisée», ni n'emploie de mots ayant le même effet. Puisque le paragraphe 4(1) prévoit qu'un enregistrement informatisé doit être communiqué, le paragraphe 4(3) serait dépourvu de toute signification s'il était interprété comme le proposent les appelants. L'interprétation proposée par les appelants est contraire aux principes d'interprétation législative, à savoir le «principe du sens le plus vraisemblable», la «présomption de l'harmonie linguistique» et le «principe de non-tautologie». Lorsqu'il a édicté le paragraphe 4(3), le législateur devait avoir à l'esprit deux types de documents: un document nouveau et distinct doit être préparé à partir d'un document informatisé existant. La demande d'accès de l'intimé s'accorde avec les raisons elles-mêmes envisagées par la Cour suprême dans l'arrêt Dagg: participer aux activités de recherche et d'analyse du gouvernement canadien concernant le système pénal canadien, et faire en sorte qu'il soit rendu compte de telles activités à la population.

Il restait cependant à déterminer le sens de l'expression «à partir d'un document informatisé». La réponse à cette question était contextuelle et tributaire des faits. La question de savoir si un document peut effectivement être préparé «à partir» d'un document informatisé dépend de plusieurs facteurs, notamment de la quantité requise de composition indépendante, par opposition à une mise en forme purement mécanique.

Il y a cependant des limites à l'obligation des institutions fédérales de produire des documents par ailleurs inexistants. Le paragraphe 4(3) précise que des documents inexistants doivent être préparés uniquement s'ils peuvent l'être avec le matériel, le logiciel et les compétences techniques dont dispose normalement l'institution fédérale. Ainsi, selon l'article 3 du Règlement, la préparation d'un document qui n'existe pas comme tel n'est pas obligatoire lorsque cette préparation entraverait de façon sérieuse le fonctionnement de l'institution concernée. Le juge des requêtes avait ordonné aux appelants de communiquer à l'intimé un exemplaire des données et un cahier de codes parce que, selon elle, ils n'avaient pas prouvé que la demande entraverait de façon sérieuse leur fonctionnement. En concluant de la sorte, le juge des requêtes ignorait d'importants éléments de preuve présents dans le dossier. Au vu de la preuve, le juge des requêtes se devait de conclure que faire droit à la demande de l'intimé constituerait une entrave sérieuse au fonctionnement des appelants. Plus précisément, le juge des requêtes avait écrit qu'elle «ignorait si la Direction générale de la recherche du SCC compte un personnel important ou si elle dispose d'un système informatique complexe. . . ou encore si elle travaille avec un personnel et une capacité informatique limitée». Il y avait en réalité des témoignages attestant que le SCC avait de nombreuses bases de données, 1 200 employés et de nombreux chercheurs. Un examen minutieux du dossier révélait qu'il existait en réalité une foule d'informations sur les ressources informatiques et humaines du SCC. La preuve n'autorisait pas non plus l'observation du juge des requêtes selon laquelle on ne lui avait pas fourni d'indices permettant de savoir si des recherches sur des questions importantes ou urgentes étaient menées. Au lieu de passer en revue toute la preuve produite, le juge des requêtes a été extrêmement sélective dans la preuve dont elle a tenu compte. Le juge des requêtes a également exagéré l'obligation qu'avaient les appelants de justifier leur refus. Selon l'arrêt rendu par la Cour suprême dans l'affaire Reza c. Canada, lorsqu'un juge des requêtes n'a pas accordé un poids suffisant à tous les facteurs pertinents, une juridiction d'appel est fondée à intervenir.

Les appelants n'ont pas réussi à faire une distinction entre les données et le cahier de codes: la différence entre les deux est simplement une différence de degré. La préparation d'un cahier de codes nécessiterait un investissement un peu plus élevé en temps et en travail, mais se ferait néanmoins «à partir» d'un document informatisé. Ce surcroît de temps et de travail influe naturellement sur la question de savoir si cela entravera de façon sérieuse le fonctionnement des appelants. Encore une fois, la preuve montrait que la préparation d'un cahier de codes entraverait de façon sérieuse le fonctionnement des appelants.

Quant à l'appel incident, l'argument de l'intimé était que le juge des requêtes avait présumé à tort qu'il voulait nécessairement le logiciel en une forme pouvant être utilisée sur un ordinateur personnel. Cet argument de l'intimé n'était pas sans fondement, et la question essentielle était de savoir si le logiciel adapté à un ordinateur central constitue un «document» existant au sens de l'article 3 de la Loi. Le juge des requêtes n'a pas erré lorsqu'elle a conclu que le logiciel n'était pas un «document». Un logiciel est un élément utilisé pour générer, visionner ou corriger un document, par opposition au document lui-même. Le logiciel n'est pas apparenté à l'un quelconque des éléments énumérés dans l'article 3. Par ailleurs, le logiciel ne «relève pas d'une institution fédérale». Il relève du concepteur externe, les appelants étant de simples licenciés.

Comme l'a indiqué le juge des requêtes, il n'y a pas eu ici négation du droit fondamental de l'intimé à la liberté d'expression.

Passant à la question des dépens, le juge des requêtes n'a pas adjugé de dépens, «chacune des parties ayant obtenu gain de cause dans la même mesure». Toutefois, l'appel et l'appel incident obligeaient la Cour, pour la première fois, à considérer le paragraphe 4(3) de la Loi et l'article 3 du Règlement. Selon l'article 53 de la Loi, la Cour peut accorder les dépens à l'auteur du recours, même s'il a été débouté, dans la mesure où la Cour est d'avis que la demande de contrôle a soulevé un principe important et nouveau se rapportant à la Loi. Les points soulevés en l'espèce font effectivement intervenir un principe important et nouveau, et l'intimé devrait avoir droit à ses dépens partie-partie, dans la présente instance et dans les instances inférieures.

Le juge Malone, J.C.A. (dissidence partielle): Une somme forfaitaire adjugée selon la règle 400(4) des Règles de la Cour fédérale (1998) rendrait mieux compte de l'intention véritable du législateur, et l'intimé devrait obtenir ses dépens raisonnables plutôt que la somme qui résulterait de l'adjudication de dépens entre parties selon le tarif. Une somme forfaitaire de 20 000 $ devrait ici être accordée.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 2b).

Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), ch. A-1, art. 2(1), 3, 4(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144, ann. VII, art. I), a), b), (3), 12(1), 41, 53(1),(2).

Règlement sur l'accès à l'information, DORS/83-507, art. 3.

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règles 397(1)a), 400(4).

jurisprudence

décisions suivies:

Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403; (1997), 148 D.L.R. (4th) 385; 46 Admin. L.R. (2d) 155; 213 N.R. 161; Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235; (2002), 211 D.L.R. (4th) 577; [2002] 7 W.W.R. 1; 219 Sask. R. 1; 10 C.C.L.T. (3d) 157; 30 M.P.L.R. (3d) 1; 286 N.R. 1; Reza c. Canada, [1994] 2 R.C.S. 394; (1994), 116 D.L.R. (4th) 61; 21 C.R.R. (2d) 236; 24 Imm. L.R. (2d) 117; 167 N.R. 282; 72 O.A.C. 348.

décision examinée:

Ontario (Procureur général) c. Fineberg (1994), 19 O.R. (3d) 197; 116 D.L.R. (4th) 498; 25 Admin. L.R. (2d) 123; 73 O.A.C. 311 (C. div.).

doctrine

Sullivan, Ruth. Driedger on the Construction of Statutes, 3rd ed. Toronto: Butterworths, 1994.

APPEL et APPEL INCIDENT à l'encontre de l'ordonnance d'un juge des requêtes ((2001), 204 F.T.R. 297) rendue à la suite d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision du Service correctionnel du Canada qui avait refusé la communication de certains renseignements. Le juge des requêtes avait statué en faveur du requérant pour deux des trois éléments demandés: les données et un cahier de codes, et à l'encontre du requérant pour le logiciel. Appel accueilli, appel incident rejeté, mais dépens partie-partie adjugés à l'intimé dans la présente instance et dans les instances inférieures.

ont comparu:

Christopher M. Rupar pour les appelants.

Neil R. Wilson pour l'intimé.

avocats inscrits au dossier:

Le sous-procureur général du Canada pour les appelants.

Gowling Lafleur Henderson, LLP, Ottawa, pour l'intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]Le juge Isaac, J.C.A.: Il s'agit d'un appel et d'un appel incident formés contre une ordonnance rendue le 3 mai 2001 par un juge des requêtes de la Section de première instance (publiée (2001), 204 F.T.R. 297) et une autre ordonnance de nature prospective rendue le 20 janvier 2003 par le même juge. L'ordonnance faisait suite à une demande de contrôle judiciaire présentée par l'intimé à l'encontre d'une décision du Service correctionnel du Canada et du Commissaire du Service correctionnel (collectivement appelés le SCC).

[2]Dans son avis modifié de requête introductive d'instance daté du 26 juin 2000, l'intimé demandait le redressement suivant:

[traduction]

a) une déclaration selon laquelle la décision des défendeurs, le Service correctionnel du Canada et le Commissaire du Service correctionnel (le SCC), nie les droits fondamentaux garantis au demandeur par l'alinéa 2b) de la Charte des droits et libertés de 1982;

b) la réformation de la décision du SCC de refuser au demandeur la communication:

(i) du logiciel d'évaluation initiale des délinquants (version actuellement utilisée), qui comprend, entre autres fonctions, l'Échelle de classement par niveau de sécurité (l'ECNS), l'ISGR et l'Échelle d'évaluation du risque et des besoins dans la collectivité; et

(ii) les micro-données suivantes:

a) les données du SCC sur la cohorte des détenus élargis en 1993-93 [sic] qui sont actuellement utilisées pour recalibrer l'ISGR. Les micro-données se présentent sous la forme de cas individuels en un format rectangulaire fixe. Les identificateurs personnels devraient être supprimés (par exemple le nom du détenu/libéré conditionnel, le numéro matricule, ou la date de naissance complète, mais l'année de naissance ne sera pas une atteinte à la vie privée).

b) le cahier de codes utilisé pour définir et repérer les variables dans chaque cas.

et une ordonnance enjoignant le SCC de communiquer au demandeur l'information ci-dessus, demandée en vertu de la Loi sur l'accès à l'information;

c) les dépens avocat-client du demandeur dans la présente demande; [. . .] [Non souligné dans l'original.]

[3]Dans ses motifs d'ordonnance, le juge des requêtes a étudié chacun des redressements demandés, mais la première ordonnance dont appel est interjeté est ainsi formulée:

[traduction]

LA COUR ORDONNE, pour les motifs exposés aujourd'hui:

1.     Les défendeurs doivent remettre au demandeur les données du SCC sur la cohorte des détenus élargis en 1992-93, qui sont utilisées pour recalibrer l'information statistique générale sur la récidive. Les données seront revues de manière à supprimer tous les identificateurs personnels;

2.     Les défendeurs doivent remettre au demandeur un cahier de codes qui lui permette d'interpréter les données communiquées en vertu du paragraphe 1.

L'ordonnance ne dispose donc pas des cinq points traités dans les motifs.

[4]Par avis d'appel daté du 31 mai 2000, les appelants demandent que l'ordonnance du juge des requêtes soit cassée. L'ordonnance se limite aux deux moyens soulevés par les appelants dans leur avis d'appel, mais l'intimé a prétendu interjeter un appel incident sur les moyens à propos desquels le juge des requêtes avait statué à son encontre, mais dont l'ordonnance ne faisait pas état. Par avis d'appel incident en date du 7 juin 2001, l'intimé demandait la modification de l'ordonnance du juge des requêtes par ajout d'une déclaration selon laquelle la décision du SCC niait les droits que lui garantissait l'alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés (qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]) (la Charte), une ordonnance enjoignant les appelants de lui remettre un exemplaire du logiciel, enfin ses dépens.

[5]La faille de l'ordonnance visée par l'appel n'a été découverte qu'au moment de la rédaction des présents motifs. La Cour a donc fixé une nouvelle audience devant la formation qui avait instruit l'appel, afin d'entendre les arguments des avocats sur la manière la plus expéditive et la plus juste de corriger l'omission, afin que la Cour puisse disposer de tous les aspects plaidés dans l'appel.

[6]Après audition des deux avocats, et avec le consentement de l'avocat des appelants, la Cour a proposé que l'intimé prie le juge des requêtes, en application de l'alinéa 397(1)a) des Règles de la Cour fédérale (1998) [DORS/98-106], d'examiner de nouveau l'ordonnance pour défaut de concordance avec les motifs exposés, et que les actes de procédure déposés subséquemment dans l'appel soient modifiés en conséquence.

[7]Le 20 janvier 2003, le juge des requêtes rendait une ordonnance additionnelle n'ayant d'effet que pour l'avenir, dont la partie essentielle est ainsi rédigée:

L'ordonnance antérieure est modifiée par l'ajout des dispositions suivantes:

Paragraphe 3     Les demandes de redressement faites par le demandeur et exposées dans les alinéas 1a), 1b)(i) et 1c) de l'avis modifié de requête introductive d'instance du demandeur en date du 26 juin 2000 sont rejetées.

Paragraphe 4     Puisque les deux parties ont obtenu gain de cause, il ne sera pas adjugé de dépens.

[8]Le redressement recherché par le demandeur dans les alinéas 1a), 1b)(i) et 1c) de son avis modifié de requête introductive d'instance est ainsi formulé:

[traduction]

1. a) une déclaration selon laquelle la décision des défendeurs, le Service correctionnel du Canada et le Commissaire du Service correctionnel (le SCC), nie les droits fondamentaux garantis au demandeur par l'alinéa 2b) de la Charte des droits et libertés de 1982;

b) la réformation de la décision du SCC de refuser au demandeur la communication:

(i) du logiciel d'évaluation initiale des délinquants (version actuellement utilisée), qui comprend, entre autres fonctions, l'Échelle de classement par niveau de sécurité (l'ECNS), l'ISGR et l'Échelle d'évaluation du risque et des besoins dans la collectivité; et

[. . .]

c) les dépens avocat-client du demandeur dans la présente demande;

[9]Par la suite, les avocats des parties s'étant conformés à l'ordonnance comme nous le souhaitions, la Cour a conclu que l'appel incident avait été valablement interjeté.

[10]L'appel oblige la Cour à interpréter pour la première fois le paragraphe 4(3) de la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), ch. A-1, et modifications (la Loi) ainsi que l'article 3 du Règlement sur l'accès à l'information, DORS/83-507 (le Règlement), pour savoir si un logiciel d'ordinateur est un «document» et si les appelants doivent créer des documents qui n'existent pas et les remettre à l'intimé. Pour les motifs qui suivent, je suis arrivé à la conclusion que l'effet conjoint des dispositions des textes applicables au présent appel n'oblige pas les appelants à communiquer à l'intimé l'un quelconque des documents qu'il a décrits dans sa demande de redressement, et que le juge des requêtes a commis une erreur de droit en les enjoignant de communiquer les données et le cahier de codes mentionnés dans l'ordonnance. J'examinerai plus loin les points soulevés dans l'appel incident.

Les faits

[11]La Direction générale de la recherche du SCC effectue des analyses statistiques et des recherches sur divers sujets intéressant le système correctionnel. Afin de faciliter ces recherches et analyses, la Direction générale de la recherche peut accéder à plusieurs bases de données classifiées d'autres organismes, par exemple la Gendarmerie royale du Canada (GRC), le Centre d'information de la police canadienne (CIPC) et la Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC). Ces bases de données contiennent des renseignements sensibles et confidentiels se rapportant aux délits commis, aux condamnations et aux données personnelles de victimes et de délinquants. Seuls les employés ayant subi une vérification approfondie de fiabilité peuvent accéder à ces bases de données. En général, le SCC obtient lesdits renseignements par voie électronique en se branchant sur les réseaux informatiques des organismes susmentionnés. Ces renseignements peuvent être assemblés, selon que de besoin, dans une base de données temporaire qui est utilisée pour la recherche et l'analyse statistiques, et détruite après l'achèvement du projet de recherche. Cependant, certains projets s'appuient sur des «données réelles» contenues dans des bases de données courantes de la GRC, du CIPC et de la CNLC qui sont sollicitées directement et, par conséquent, pour ces projets, le SCC ne crée pas sa propre nouvelle base de données.

[12]L'intimé est criminologue. Il mène des recherches et formule des critiques sur le système pénal canadien, sur les mesures prises en la matière par le gouvernement du Canada et sur les lignes de conduite propres au système lui-même. Dans deux lettres distinctes, toutes deux datées du 17 mars 1997, il avait demandé aux appelants certains renseignements liés à ses recherches, plus précisément des données, un cahier de codes servant à interpréter les données, et un logiciel permettant d'utiliser les données sur un ordinateur personnel. Voici comment le juge des requêtes a décrit ces renseignements [au praragraphe 2]:

a)     Les données du SCC sur la cohorte des détenus remis en liberté en 1992-1993, qui sont présentement utilisées pour réorienter l'ISGR (Information statistique générale sur la récidive), en supprimant les éléments permettant d'identifier les personnes (tels que le nom du détenu ou du libéré conditionnel, son numéro matricule, ou sa date de naissance complète, la divulgation de l'année de naissance ne portant cependant pas atteinte au droit à la vie privée) [. . .]

b)     Le cahier de codes utilisé pour définir et repérer ou localiser les variables dans chaque cas [. . .]

c)     Une copie du logiciel d'évaluation initiale des délinquants (version actuellement utilisé), qui comprend notamment, l'échelle de classement par niveau de sécurité (l'échelle de classement), l'ISGR et l'échelle d'évaluation du risque et des besoins dans la collectivité [. . .]

[13]J'examinerai d'abord les données demandées par l'intimé. Selon la preuve, ces données n'existent pas, mais pourraient être reconstituées.

[14]Laurence Motiuk est le directeur général de la recherche au SCC. Dans la présente instance, il a signé sous serment un affidavit le 9 juin 1998 et l'a produit au soutien de la position du SCC. Il a été contre-interrogé en détail sur son affidavit. Durant son contre-interrogatoire, il a expliqué ce que supposait la reconstitution des données. Je reprends ci-après une partie de ses propos:

98. [. . .] pour constituer ou reconstituer le fichier que M. Yeager a demandé, il faudrait un travail considérable consistant non seulement à remonter les bandes «données» de sauvegarde pour la GRC, la Commission nationale des libérations conditionnelles et le Service correctionnel du Canada, et à définir les paramètres des critères de sélection de ces variables, mais encore à reconstituer ce fichier, ce qui nécessiterait des ressources considérables, ainsi que du temps et des connaissances techniques.

[. . .]

146. [. . .] C'est avec les connaissances techniques et les ressources disponibles que l'on peut reconstituer ce qui a été fait auparavant. Essentiellement, on recommence intégralement le projet de recherche. On fixe les paramètres du cadre d'échantillonnage, on positionne les points, on doit rouvrir des fichiers de données d'autres organismes et télécharger l'information, reconstruire les algorithmes et le code qui a été écrit.

[. . .]    

244.     Q.     Vous affirmez alors qu'il faudrait une notable spécialisation des ordinateurs et du personnel du SCC sur une période prolongée [. . .]

R.     Oui, si l'on veut obtenir ce que M. Yeager a demandé.

245.     Q.     Que voulez-vous dire par «notable»?

R.     Notable? Eh bien, il faudrait reconstituer le cadre d'échantillonnage à partir duquel a été faite l'étude initiale. Il faudrait remonter les bandes ou les [. . .]

246.     Q.     Combien de temps?

R.     Combien de temps? À mon avis, il faudrait que celui qui se consacre à ce travail y passe au moins 40 jours à temps plein, plus le remplacement du spécialiste qui est déjà employé à [. . .] [Non souligné dans l'original.]

[15]Même si les données existaient, il faudrait que les appelants expurgent les données par suppression de tous les identificateurs personnels, et cela pour tenir compte des aspects touchant la sécurité et la vie privée. M. Motiuk a expliqué le supplément de temps et d'effort qui serait nécessaire pour enlever les identificateurs personnels:

[traduction]

251. [. . .] si elles existaient et qu'il n'était pas nécessaire de les reconstituer, il faudrait probablement deux jours, le temps de s'assurer qu'il n'y a pas d'identificateurs personnels, que la tabulation recoupée [. . .] Il nous faudrait effectuer une analyse de chaque variable de la base et nous assurer qu'il n'y a aucun moyen d'établir des correspondances pour repérer un dossier en particulier, et il nous faudrait expurger les documents.

252.     Q.     Quand on exécute une variable, qu'est-ce qu'on fait en réalité? On appuie sur une touche, mais est-ce que c'est automatique ou bien quelqu'un doit-il s'asseoir et [. . .]

R.     Non. Un agent de recherches statistiques exécuterait un programme pour examiner les renvois croisés d'une diversité de variables, examiner les fréquences totales et examiner chacune des intersections de chaque variable pour s'assurer qu'il n'y a aucun moyen que cette personne en particulier puisse être trouvée par un utilisateur externe. Et pour qu'on puisse indiquer un renvoi afin de pouvoir remplir les documents, pour savoir qui est cette personne. [Non souligné dans l'original.]

[16]M. Motiuk a reconnu que les données particulières que l'intimé avait demandées le 17 mars 1997 étaient «légèrement différentes». Dans son affidavit, il mentionnait que les «données réelles» existent sur les réseaux informatiques des organismes susmentionnés, mais non dans une base de données distincte que les appelants conservent maintenant. M. Motiuk n'a pas décrit en détail en quoi la production de ces données particulières influerait sur les opérations du SCC, mais il a indiqué au paragraphe 23 de son affidavit que la préparation des données «prendrait d'importantes ressources humaines et informatiques au projet de recherche en cours» et «nécessiterait environ deux semaines de travail, avec mise à contribution d'ordinateurs». On ne sait pas si son estimation comprend ou non le temps requis pour expurger les données par suppression des identificateurs personnels.

[17]Je passe maintenant au cahier de codes, qui forme la deuxième partie de la demande de l'intimé. Durant le contre-interrogatoire portant sur son affidavit, M. Motiuk a décrit un cahier de codes comme une liste de définitions des variables contenues dans la base de données. Les cahiers de codes sont à l'occasion produits par les chercheurs du SCC, mais aucun n'a été produit pour les données que l'intimé avait demandées. Selon M. Motiuk, les cahiers de codes sont souvent inutiles parce que les chercheurs du SCC sont bien au fait des variables, des définitions et des structures de données sous-jacentes. Passant outre à cette «étape très laborivore» d'un projet, les chercheurs peuvent s'épargner «des mois de travail». Il a aussi déclaré que la création d'un cahier de codes pour accompagner les données nécessiterait «une bonne semaine, sinon deux, de saisie du texte dans un ordinateur».

[18]La demande finale de l'intimé se rapportait au logiciel. S'agissant de cette demande, M. Motiuk a déclaré qu'aucune partie du logiciel demandé par l'intimé n'existe en une forme permettant son utilisation sur un ordinateur personnel. Il existe plutôt en une forme permettant son utilisation dans un système informatique central. En contre-interrogatoire, il a expliqué dans le détail que le logiciel que l'intimé avait demandé était soit obsolète et par conséquent mis au rebut, soit inséparable en modules indépendants, soit sujet à des accords de licence de droits d'auteur.

[19]Le juge des requêtes a décrit le logiciel comme un dépôt colossal de fichiers-textes, qui comprend une grande diversité de composants ou modules intégrés, et dont le développement avait été un travail de plusieurs millions de dollars faisant intervenir plusieurs sociétés de services informatiques.

[20]Le 10 avril 1997, les appelants refusaient la demande de l'intimé se rapportant aux données, au cahier de codes et au logiciel, en affirmant que la Loi ne les obligeait pas à constituer des documents qui n'existent pas. L'intimé s'est alors plaint, sans succès, auprès du Commissaire à l'information, à propos des réponses qu'il avait reçues du SCC. S'appuyant sur l'article 41 de la Loi, l'intimé a déposé auprès de la Section de première instance une demande de contrôle judiciaire de la décision des appelants de rejeter sa requête.

Dispositions législatives applicables

[21]Il serait sans doute utile de reproduire ici les dispositions législatives applicables [art. 2(1), 3, 4(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144, ann. VII, art. 1), a), b), (3), 12(1), 41, 53(1), (2)]:

2. (1) La présente loi a pour objet d'élargir l'accès aux documents de l'administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif.

    [. . .]

3. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

    [. . .]

«document» Tous éléments d'information, quels que soient leur forme et leur support, notamment correspondance, note, livre, plan, carte, dessin, diagramme, illustration ou graphique, photographie, film, microformule, enregistrement sonore, magnétoscopique ou informatisé, ou toute reproduction de ces éléments d'information.

    [. . .]

4. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi mais nonobstant toute autre loi fédérale, ont droit à l'accès aux documents relevant d'une institution fédérale et peuvent se les faire communiquer sur demande:

a) les citoyens canadiens;

b) les résidents permanents au sens de la Loi sur l'immigration.

    [. . .]

(3) Pour l'application de la présente loi, les documents qu'il est possible de préparer à partir d'un document informatisé relevant d'une institution fédérale sont eux-mêmes considérés comme relevant de celle-ci, même s'ils n'existent pas en tant que tels au moment où ils font l'objet d'une demande de communication. La présente disposition ne vaut que sous réserve des restrictions réglementaires éventuellement applicables à la possibilité de préparer les documents et que si l'institution a normalement à sa disposition le matériel, le logiciel et les compétences techniques nécessaires à la préparation.

    [. . .]

12. (1) L'accès aux documents s'exerce, sous réserve des règlements, par consultation totale ou partielle du document ou par délivrance de copies totales ou partielles

    [. . .]

41. La personne qui s'est vu refuser communication totale ou partielle d'un document demandé en vertu de la présente loi et qui a déposé ou fait déposer une plainte à ce sujet devant le Commissaire à l'information peut, dans un délai de quarante-cinq jours suivant le compte rendu du Commissaire prévu au paragraphe 37(2), exercer un recours en révision de la décision de refus devant la Cour. La Cour peut, avant ou après l'expiration du délai, le proroger ou en autoriser la prorogation.

    [. . .]

53. (1) Sous réserve du paragraphe (2), les frais et dépens sont laissés à l'appréciation de la Cour et suivent, sauf ordonnance contraire de la Cour, le sort du principal.

(2) Dans les cas où elle estime que l'objet des recours visés aux articles 41 et 42 a soulevé un principe important et nouveau quant à la présente loi, la Cour accorde les frais et dépens à la personne qui a exercé le recours devant elle, même si cette personne a été déboutée de son recours. [Je souligne.]

[22]L'article 3 du Règlement est ainsi formulé:

3. Aux fins du paragraphe 4(3) de la Loi, la préparation d'un document qui n'existe pas comme tel mais qui peut être produit à partir d'un document informatisé relevant d'une institution fédérale n'est pas obligatoire lorsque cette préparation entraverait de façon sérieuse le fonctionnement de l'institution concernée. [Je souligne.]

Motifs du juge des requêtes

[23]Le juge des requêtes a conclu que les données et le cahier de codes étaient des documents qui devaient être communiqués parce que leur communication n'entraverait pas de façon sérieuse les activités des appelants. Après avoir relevé que les appelants avaient admis que les données pouvaient être reconstituées, elle a conclu que les appelants avaient la charge de prouver que la production des données entraverait de façon sérieuse leur fonctionnement et, selon elle, ils ne s'étaient pas acquittés de ce fardeau. Elle a reconnu que M. Motiuk croyait que la production des données nécessiterait «d'importantes ressources» et «environ deux semaines de travail», mais elle a indiqué (au paragraphe 12) que:

Aucun élément de preuve n'a été présenté au sujet du fonctionnement du SCC ou de sa Direction générale de la recherche. J'ignore donc si elle compte un personnel important ou si elle dispose d'un système informatique complexe doté de nombreux liens avec les systèmes exploités par la GRC et la Commission nationale des libérations conditionnelles ou encore si M. Motiuk travaille avec un personnel et une capacité informatique limitée. En outre, aucune preuve n'a été soumise au sujet de l'ampleur des effectifs et du nombre d'heures qui serait nécessaire pour effectuer le travail de deux semaines qu'il estime nécessaire. Qui plus est, aucun renseignement n'a été fourni au sujet de la mesure dans laquelle les ordinateurs du SCC seraient occupés à créer les données demandées. On ne m'a pas non plus fourni d'indices permettant de savoir si la Direction générale de la recherche effectue en ce moment des recherches sur des questions importantes ou urgentes ou sur les incidences que la création des données demandées serait susceptible d'avoir sur la charge de travail de la Direction générale de la recherche. [Non souligné dans l'original.]

[24]Le juge des requêtes a aussi conclu qu'un cahier de codes pouvait être produit, au moyen des ordinateurs, des logiciels et des connaissances spécialisées à la disposition des appelants. M. Motiuk a affirmé que la confection d'un cahier de codes nécessiterait au moins deux semaines, mais le juge des requêtes a estimé que les appelants n'avaient pas prouvé à sa satisfaction que ce travail entraverait de façon sérieuse leur fonctionnement. Elle a décidé par conséquent que l'intimé avait le droit d'obtenir communication à la fois des données et d'un cahier de codes.

[25]Elle a admis que le logiciel n'existe pas en une forme permettant son utilisation sur un ordinateur personnel. Elle a donc conclu qu'il ne pouvait être produit parce que la création de logiciels n'est pas en principe effectuée par les appelants, mais plutôt par des consultants externes. Elle a aussi exprimé l'avis que le logiciel demandé n'était pas un «document» au sens de la Loi. Elle a donc décidé que l'intimé n'était pas fondé à en obtenir communication.

Points en litige

[26]L'appel soulève deux points:

1) les appelants étaient-ils tenus, en application du paragraphe 4(3) de la Loi, de créer, et de communiquer à l'intimé, les données demandées et un cahier de codes de termes techniques, simplement parce qu'ils étaient en mesure de reconstituer de tels documents? et

2) le juge des requêtes a-t-elle commis une erreur en concluant que les appelants ne s'étaient pas acquittés de leur obligation, selon l'article 3 du Règlement, de prouver que la production de ces documents entraverait de façon sérieuse le fonctionnement des appelants?

Analyse

Cadre d'interprétation

[27]Je commence l'analyse en reprenant le passage bien connu suivant de l'ouvrage de Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd. (Toronto: Butterworths, 1994), à la page 131:

[traduction] Il n'y a qu'une seule règle dans l'interprétation moderne, à savoir que les tribunaux sont tenus de déterminer le sens d'une loi dans son contexte tout entier, en prenant en compte l'objet de la loi, les conséquences des interprétations proposées, les présomptions et les règles spéciales d'interprétation, ainsi que les aides externes admissibles. Autrement dit, les tribunaux doivent tenir compte de tous les indices pertinents et admissibles de l'intention du législateur.

[28]S'agissant de cette méthode d'interprétation, l'un des facteurs principaux est naturellement l'objet de la Loi. L'article 2 de la Loi prévoit clairement que la Loi a pour objet d'élargir l'accès aux documents de l'administration fédérale. Dans l'arrêt Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403, au paragraphe 61, le juge La Forest expliquait l'objet de la Loi dans le passage suivant de ses motifs:

La loi en matière d'accès à l'information a donc pour objet général de favoriser la démocratie, ce qu'elle fait de deux manières connexes. Elle aide à garantir, en premier lieu, que les citoyens possèdent l'information nécessaire pour participer utilement au processus démocratique, et, en second lieu, que les politiciens et bureaucrates demeurent comptables envers l'ensemble de la population.

Dans ce contexte, la Loi mentionne expressément trois principes qui doivent guider la Cour dans l'interprétation de ses dispositions: 1) le public a droit à la communication des documents de l'administration fédérale; 2) les exceptions indispensables à ce droit doivent être précises et limitées; et 3) les décisions relatives à la communication sont susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif.

[29]Il n'est pas contesté que l'intimé est un citoyen canadien ou un résident permanent du Canada ou que le SCC est une institution fédérale. Dans ces conditions, le paragraphe 4(1) de la Loi prévoit sans équivoque que l'intimé a «droit à l'accès aux documents relevant [des appelants] et peu[t] se les faire communiquer sur demande». Le point à décider est donc de savoir si les données, le cahier de codes et le logiciel sont des «documents» relevant du SCC.

Définition de «document»

[30]L'article 3 de la Loi définit «document» comme:

3. [. . .] tous éléments d'information, quels que soient leur forme et leur support, notamment correspondance, note, livre, plan, carte, dessin, diagramme, illustration ou graphique, photographie, film, microformule, enregistrement sonore, magnétoscopique ou informatisé, ou toute reproduction de ces éléments d'information.

[31]Selon cette définition, les données et le cahier de codes demandés par l'intimé constitueraient chacun un «document» aux fins de la Loi, mais ni l'un ni l'autre n'existent. Pour satisfaire à la demande de l'intimé, il faudrait que les données soient reconstituées et modifiées, et il faudrait qu'un cahier de codes soit rédigé. Quant au logiciel, il existe, mais il n'est pas certain qu'il soit un «document».

Obligation de communiquer un document inexistant

[32]Par commodité, je reproduis de nouveau le paragraphe 4(3) de la Loi.

4. [. . .]

(3) Pour l'application de la présente loi, les documents qu'il est possible de préparer à partir d'un document informatisé relevant d'une institution fédérale sont eux-mêmes considérés comme relevant de celle-ci, même s'ils n'existent pas en tant que tels au moment où ils font l'objet d'une demande de communication. La présente disposition ne vaut que sous réserve des restrictions réglementaires éventuellement applicables à la possibilité de préparer les documents et que si l'institution a normalement à sa disposition le matériel, le logiciel et les compétences techniques nécessaires à la préparation. [Non souligné dans l'original.]

[33]À mon avis, cette disposition dit qu'un document inexistant qu'il est possible de préparer à partir d'un document informatisé existant est considéré comme un document auquel l'intimé a le droit d'accéder. Comme l'on peut s'y attendre, les parties adoptent des positions très différentes en ce qui a trait aux obligations imposées par le paragraphe 4(3).

[34]Les appelants affirment que le juge des requêtes a commis une erreur de droit lorsqu'elle a dit que le paragraphe 4(3) les obligeait à créer des éléments qui n'existent sous aucune forme. Selon eux, le paragraphe 4(3) s'applique aux cas où un «document» n'existe qu'en version informatisée et, dans ce cas, la disposition impose la préparation du document en une forme plus accessible. Ainsi, les appelants admettraient qu'ils sont tenus d'imprimer un document informatisé existant et de communiquer la copie papier à l'intimé. Ils insistent cependant pour dire qu'ils ne sont pas tenus de créer un document à moins que ce document n'existe déjà en version informatisée. Selon les appelants, il n'y a aucune obligation d'adapter, de manipuler, de modifier ou d'altérer le document informatisé existant. Ils disent que toute autre interprétation serait contraire à l'objet de la Loi, qui est de conférer l'accès aux documents relevant des institutions fédérales, mais non de faire apparaître des documents à seule fin de satisfaire à des demandes.

[35]Pour sa part, l'intimé dit que cette interprétation est trop restrictive et qu'elle ne s'accorde pas avec l'objet de la Loi tel que l'a expliqué la jurisprudence.

[36]Je suis arrivé à la conclusion que l'interprétation que proposent les appelants pour le paragraphe 4(3) n'est pas vraisemblable. L'interprétation proposée par les appelants contraste vivement avec le texte lui-même de cette disposition, d'une manière qui ne s'accorde pas avec les principes reconnus d'interprétation législative ni avec l'objet général de la législation sur l'accès à l'information, un objet énoncé dans l'article 2 de la Loi et expliqué par la Cour suprême du Canada.

[37]D'abord, l'idée des appelants selon laquelle le paragraphe 4(3) s'applique à un document qui existe déjà en version informatisée n'est pas vraisemblable. Si un document existe en version informatisée, alors il ne peut s'agir d'un document qui n'existe pas. Une telle interprétation serait donc totalement illogique. Deuxièmement, l'interprétation préconisée par les appelants est contraire au texte même de la Loi. Le paragraphe 4(3) est applicable lorsqu'un document «n'existe pas». Cette disposition ne parle pas de document qui n'existe pas si ce n'est en version informatisée, ni n'emploie de mots ayant le même effet. Troisièmement, l'interprétation préconisée par les appelants priverait le paragraphe 4(3) de toute signification et de tout effet. Puisqu'un «document» est expressément défini dans l'article 3 de la Loi d'une manière qui englobe un enregistrement informatisé, l'intimé a le droit d'accéder à un tel document sans égard au paragraphe 4(3). Plus exactement, le paragraphe 4(1) prévoit déjà qu'un enregistrement informatisé doit être communiqué à l'intimé.

[38]L'interprétation proposée par les appelants est donc contraire aux principes reconnus d'interprétation législative, à savoir le «principe du sens le plus vraisemblable», la «présomption de l'harmonie linguistique» et le «principe de non-tautologie» (voir R. Sullivan, précité, aux pages 103, 157 et 159). La seule interprétation vraisemblable du paragraphe 4(3) oblige les appelants à préparer un document qui n'existe sous aucune forme, informatisée ou autre. Par le paragraphe 4(3), le législateur devait avoir à l'esprit deux types de documents: un document nouveau et distinct doit être préparé à partir d'un document informatisé existant.

[39]Quant à l'interprétation avancée par l'intimé, elle est plus conforme à l'«objet général» de la Loi, qui est de «favoriser la démocratie» en garantissant la participation des citoyens et l'obligation des politiciens et bureaucrates de rendre compte à la population (voir l'arrêt Dagg, précité). En fait, l'intimé demande l'accès à des renseignements précisément pour les raisons que la Cour suprême du Canada avait à l'esprit, c'est-à-dire participer aux activités de recherche et d'analyse du gouvernement canadien concernant le système pénal canadien, et faire en sorte qu'il soit rendu compte de telles activités à la population.

[40]Ayant conclu que le paragraphe 4(3) vise la préparation d'un nouveau document, je dois encore déterminer le sens de l'expression «à partir d'un document informatisé». À mon avis, la réponse à cette question est largement contextuelle et tributaire des faits. La question de savoir si un document peut effectivement être préparé «à partir» d'un document informatisé dépend de plusieurs facteurs, notamment de la quantité requise de composition indépendante, par opposition à une mise en forme ou une manipulation purement mécanique et routinière. Mais il est nécessaire ici d'énoncer les limites à l'obligation des institutions fédérales de produire des documents par ailleurs inexistants, limites examinées ci-dessous.

Limites à l'obligation de préparer un document inexistant

[41]D'abord, le paragraphe 4(3) lui-même précise que des documents inexistants doivent être préparés uniquement s'ils peuvent l'être avec le matériel, le logiciel et les compétences techniques dont dispose normalement l'institution. Il n'est pas mis en doute que le SCC a les moyens nécessaires pour reconstituer les données et le cahier de codes.

[42]Deuxièmement, l'obligation de préparer des documents inexistants «ne vaut que sous réserve des restrictions réglementaires éventuellement applicables». Des restrictions sont prévues par l'article 3 du Règlement, ainsi rédigé:

3. [. . .] la préparation d'un document qui n'existe pas comme tel mais qui peut être produit à partir d'un document informatisé relevant d'une institution fédérale n'est pas obligatoire lorsque cette préparation entraverait de façon sérieuse le fonctionnement de l'institution concernée. [Non souligné dans l'original.]

[43]Le juge des requêtes a exprimé l'avis que les appelants n'avaient pas prouvé que la demande de l'intimé entraverait de façon sérieuse leur fonctionnement. Elle a donc ordonné aux appelants de communiquer à l'intimé un exemplaire des données et un cahier de codes.

[44]Voici comment elle s'en est expliquée au paragraphe 12 de ses motifs:

Aucun élément de preuve n'a été présenté au sujet du fonctionnement du SCC ou de sa Direction générale de la recherche. J'ignore donc si elle compte un personnel important ou si elle dispose d'un système informatique complexe doté de nombreux liens avec les systèmes exploités par la GRC et la Commission nationale des libérations conditionnelles ou encore si M. Motiuk travaille avec un personnel et une capacité informatique limitée. En outre, aucune preuve n'a été soumise au sujet de l'ampleur des effectifs et du nombre d'heures qui seraient nécessaires pour effectuer le travail de deux semaines qu'il estime nécessaire. Qui plus est, aucun renseignement n'a été fourni au sujet de la mesure dans laquelle les ordinateurs du SCC seraient occupés à créer les données demandées. On ne m'a pas non plus fourni d'indices permettant de savoir si la Direction générale de la recherche effectue en ce moment des recherches sur des questions importantes ou urgentes ou sur les incidences que la création des données demandées serait susceptible d'avoir sur la charge de travail de la Direction générale de la recherche. [Non souligné dans l'original.]

[45]Lorsqu'il existe des éléments de preuve sur une question et que l'on doit se demander si ces éléments sont suffisants, mais que le juge des requêtes arrive à la conclusion qu'il n'y a pas d'éléments de preuve sur la question, alors la conclusion est une conclusion de droit. L'arrêt Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, nous enseigne que la norme de contrôle d'une telle décision est la norme de la décision correcte.

[46]Lorsque le juge des requêtes s'est demandé si le travail entraîné par les demandes de l'intimé «entraverait de façon sérieuse» (ce sont les mots employés dans l'article 3 du Règlement) le fonctionnement des appelants, elle a ignoré, à mon humble avis, d'importants éléments de preuve présents dans le dossier. Elle a donc eu tort manifestement de conclure que le dossier ne renfermait aucun élément de preuve permettant de dire que la préparation des documents inexistants demandés par l'intimé entraverait de façon sérieuse le fonctionnement des appelants. Après examen objectif de l'ensemble de la preuve, je suis d'avis que la préparation des éléments particuliers demandés par l'intimé constituerait une entrave sérieuse au fonctionnement des appelants.

Les données

[47]Devant le juge des requêtes, les appelants ont admis que les données demandées par l'intimé pouvaient être préparées de la manière envisagée par le paragraphe 4(3). C'est-à-dire que le document demandé (données exemptes d'identificateurs personnels) pouvait être préparé à partir d'un document informatisé (données avec identificateurs personnels) au moyen du matériel, du logiciel et des compétences techniques dont dispose normalement le SCC.

[48]Cependant, le dossier renfermait une preuve abondante qui permettait de dire que la préparation des données par ailleurs inexistantes entraverait de façon sérieuse le fonctionnement des appelants. Le juge des requêtes a affirmé à tort qu'«aucun élément de preuve n'a été présenté au sujet du fonctionnement du SCC ou de sa Direction générale de la recherche». Au paragraphe 7 de ses motifs, elle reprenait en fait d'importants passages de l'affidavit de M. Motiuk décrivant le SCC, un affidavit qui explique clairement le rôle de la Direction générale de la recherche, ainsi que ses réseaux informatiques, ses logiciels et ses bases de données.

[49]Le juge des requêtes a indiqué qu'elle ignorait [au paragraphe 12] «si elle [la Direction générale de la recherche] compte un personnel important ou si elle dispose d'un système informatique complexe [. . .] ou [. . .] si M. Motiuk travaille avec un personnel et une capacité informatique limitée». Cependant, durant son contre-interrogatoire, M. Motiuk a dit clairement, en réponse à la question 356 que [traduction] «il y a de nombreuses bases de données au Service correctionnel du Canada. Il y a 1 200 employés et de nombreux chercheurs». Ce n'est là que l'une des déclarations pleines de sous-entendus faites par M. Motiuk durant son contre-interrogatoire. Un examen minutieux du dossier révèle qu'il existe en réalité une foule d'informations sur les ressources informatiques et humaines du SCC.

[50]Le juge des requêtes a dit également qu'«aucune preuve n'a été soumise au sujet de l'ampleur des effectifs et du nombre d'heures qui seraient nécessaires pour effectuer le travail de deux semaines qu'il estime nécessaire». Elle a malheureusement considéré l'observation de M. Motiuk en l'isolant complètement du reste de son affidavit et de ses témoignages produits en contre-interrogatoire. La remarque de M. Motiuk doit être vue à la lumière de son témoignage tout entier. Considérée de la sorte, il est clairement excessif de croire que quelqu'un puisse effectuer le travail qui, selon M. Motiuk, serait nécessaire pour reconstituer le document qui autrement serait inexistant.

[51]Le juge des requêtes a aussi mentionné à tort [au paragraphe 12] qu'«[o]n ne m'a pas non plus fourni d'indices permettant de savoir si la Direction générale de la recherche effectue en ce moment des recherches sur des questions importantes ou urgentes». À mon avis cependant, vu le détail avec lequel M. Motiuk a expliqué le rôle du SCC, il est évident que le SCC est engagé actuellement dans une foule de projets. Contrairement à la conclusion du juge des requêtes, il est facile de voir «les incidences que la création des données demandées serait susceptible d'avoir sur la charge de travail de la Direction générale de la recherche». Comme M. Motiuk l'a indiqué durant son contre-interrogatoire en réponse aux questions 381 à 383:

[traduction] [. . .] nous n'avons pas les ressources parce qu'il y a des coûts à considérer, le temps du personnel, et les ressources et équipements qui sont nécessaires pour créer des entités comme celles-là, des fichiers comme celui-là, pour utilisation externe [. . .] Nous ne sommes pas financés pour [. . .] nous n'avons pas de fonds discrétionnaires à donner à des chercheurs externes. Nous sommes une unité opérationnelle appliquée.

[52]Finalement, lorsque l'on considère le dossier tout entier, il est clair que le travail nécessité par la demande de l'intimé entraverait de façon sérieuse le fonctionnement des appelants. Durant son contre-interrogatoire, M. Motiuk a expliqué en détail le rôle, les activités, les procédures et les politiques du SCC (aux questions 6 à 9, 12 à 18, 77 à 78, 97 à 100, 103 à 184, 226 à 287, 305 à 314, 344 à 384, 389 à 414, 421 à 428) et notamment le travail que suppose la reconstitution de données utilisées pour des projets de recherche (aux questions 97 à 100, 143 et 144, 157 à 164, 231, 244 à 254, 258 à 262, 344 à 351, 359 à 361, 381 et 382). En fait, la plus grande partie de son affidavit et de ses témoignages produits en contre-interrogatoire porte sur cet aspect.

[53]M. Motiuk a expliqué dans leurs grandes lignes les efforts qui seraient requis pour reconstituer des documents comme ceux que recherche l'intimé. À d'autres endroits, il a décrit avec précision ce qui arriverait s'il était donné suite aux demandes particulières de l'intimé. Le juge des requêtes a cependant été extrêmement sélective dans la preuve qu'elle a considérée, puisqu'elle ne s'est référée, au paragraphe 10 de son analyse, qu'à un bref extrait de l'affidavit de M. Motiuk sur les efforts qui seraient requis pour donner suite à la demande de l'intimé. Une preuve contextuelle additionnelle aurait sans doute été utile au juge des requêtes, mais sa tâche consistait à examiner l'ensemble de la preuve produite pour savoir si les appelants avaient produit la preuve requise selon la loi. Le juge des requêtes a plutôt été sélective dans la preuve dont elle a tenu compte, et elle a donc ignoré d'autres éléments de preuve qui étaient manifestement pertinents. Ce faisant, elle a commis une erreur manifeste.

[54]Par ailleurs, elle a exagéré l'obligation qu'avaient les appelants de justifier leur refus. Elle n'a pas accordé un poids suffisant à toutes les considérations pertinentes, notamment la prépondérance de la preuve, versée dans le dossier, qui appuie la position des appelants. À mon avis, le fait d'obliger une institution fédérale à produire une preuve contextuelle plus détaillée et plus précise de son fonctionnement que les appelants ne l'ont fait ici est incompatible avec le principe selon lequel «les droits aux renseignements détenus par l'État visent à améliorer les rouages du gouvernement, de manière à le rendre plus efficace, plus réceptif et plus responsable» (voir l'arrêt Dagg, précité, au paragraphe 63). Lorsqu'un juge des requêtes n'a pas accordé un poids suffisant à tous les facteurs pertinents, une juridiction d'appel est fondée à intervenir: Reza c. Canada, [1994] 2 R.C.S. 394.

Le cahier de codes

[55]Les appelants affirment que le cahier de codes n'existe sous aucune forme, mécanique ou autre, et que par conséquent il n'a pas à être préparé. Vu mon interprétation du paragraphe 4(3), je ne partage pas l'avis des appelants sur ce point. Puisqu'un cahier de codes peut être préparé à partir des données sous-jacentes ou à partir des données demandées, qui sont manifestement des documents informatisés, à l'aide du matériel, du logiciel et des compétences techniques dont disposent normalement les appelants, un cahier de codes devrait être préparé à moins que sa préparation n'entrave de façon sérieuse le fonctionnement des appelants.

[56]Les appelants voudraient faire une distinction entre les données et un cahier de codes. Ils ont admis que les données pouvaient être préparées parce qu'elles existent déjà en version informatisée; elles n'exigeaient pas la création d'un document entièrement nouveau. En fait cependant, les données telles que l'intimé les demande n'existent pas déjà en version informatisée. Avant qu'elles ne puissent être préparées comme l'intimé les demande, il faudrait les reconstituer et les expurger par suppression des identificateurs personnels. Ainsi, les données comme l'intimé les demande se distinguent du document informatisé existant. La différence entre les données comme l'intimé les demande et un cahier de codes est simplement une différence de degré. La préparation des données nécessiterait uniquement une manipulation du document informatisé de départ, qui est distinct, tandis que la préparation d'un cahier de codes nécessiterait un investissement un peu plus élevé en temps et en travail, mais se ferait néanmoins «à partir» du document informatisé de base. Par conséquent, les appelants ne m'ont pas convaincu que le juge des requêtes a erré sur ce point.

[57]Si la constitution d'un cahier de codes requiert davantage de temps et de travail que la constitution de données, cela ne libère pas pour autant les appelants de leur obligation, selon le paragraphe 4(3), de préparer un tel document. Cependant, le surcroît de temps et de travail qui serait requis pour répondre à la demande de l'intimé concernant un cahier de codes influe directement sur la question de savoir si cela entravera de façon sérieuse le fonctionnement des appelants. Lorsqu'elle s'est demandé si la préparation d'un cahier de codes entraverait de façon sérieuse le fonctionnement des appelants, le juge des requêtes a de nouveau invoqué la rareté des éléments de preuve produits par les appelants. Pour des raisons similaires à celles que j'ai examinées, je suis arrivé à la conclusion que les preuves versées dans le dossier étaient manifestement suffisantes pour autoriser la conclusion selon laquelle la préparation d'un cahier de codes entraverait de façon sérieuse le fonctionnement des appelants.

[58]En réponse aux questions 288 à 304 posées durant le contre-interrogatoire de M. Motiuk sur son affidavit, M. Motiuk a exposé en détail le travail requis et ce qui se produirait si l'on accédait à la demande de l'intimé relative à un cahier de codes. Comme je l'ai déjà mentionné, M. Motiuk a expliqué que les cahiers de codes sont souvent inutiles pour les activités de recherche du SCC et que, en passant outre à cette «étape très laborivore» d'un projet, les chercheurs peuvent s'épargner des «mois de travail». Il a dit notamment que la préparation d'un cahier de codes devant accompagner les données particulières demandées par l'intimé nécessiterait «une bonne semaine, sinon deux, de saisie du texte dans un ordinateur, ainsi que de rédaction d'étiquettes de variables et d'étiquettes de valeur pour ce qui est des définitions».

[59]Pour ces motifs, je suis d'avis que les appelants doivent obtenir gain de cause.

[60]Passons maintenant aux points qui concernent l'appel incident.

Le logiciel

[61]Le 17 mars 1997, l'intimé a demandé une copie du logiciel. Le juge des requêtes a décidé que le logiciel ne pouvait être préparé à l'aide du matériel, du logiciel et des compétences techniques dont les appelants disposaient normalement. Elle a jugé que, puisqu'il n'existait que pour utilisation sur un ordinateur central, mais non sur un ordinateur personnel, les appelants n'étaient pas tenus de produire le logiciel en une forme adaptée à un ordinateur personnel. Cette tâche était en principe exécutée par des organismes externes. L'intimé interjette un appel incident contre cette conclusion, en affirmant que le juge des requêtes a eu tort de présumer qu'il voulait nécessairement le logiciel en une forme pouvant être utilisée sur un ordinateur personnel.

[62]À mon avis, la prétention de l'intimé sur ce point n'est pas sans fondement. Dans sa preuve, l'intimé ne dit pas qu'il voulait le logiciel en une forme adaptée à un ordinateur personnel. Il affirme même qu'il avait accès à un ordinateur central. La question essentielle par conséquent n'est pas de savoir si les appelants ont l'obligation, selon le paragraphe 4(3), de préparer le logiciel en une forme adaptée à un ordinateur personnel (encore que, manifestement, ce travail ne soit pas en principe effectué par les appelants), mais de savoir si le logiciel adapté à un ordinateur central constitue un «document» existant au sens de l'article 3 de la Loi.

[63]Le juge des requêtes a estimé que le logiciel n'était pas un «document». Sur ce point, je souscris à son interprétation de l'article 3 de la Loi. Elle a conclu que le logiciel est un élément utilisé pour générer, visionner ou corriger un document, par opposition au document lui-même. Le logiciel n'est pas apparenté à l'un quelconque des éléments énumérés dans la définition qui apparaît dans l'article 3. Dans sa tentative d'interpréter l'intention du législateur, le juge des requêtes a expliqué que, si un logiciel d'ordinateur avait été envisagé dans la définition de «document», il y aurait été expressément mentionné. Vu le texte de l'article 3 et l'objet global de la Loi, la démarche adoptée par le juge des requêtes s'accorde avec les principes reconnus d'interprétation législative, et je ne vois aucune erreur dans sa conclusion. J'ajouterais seulement que non seulement le logiciel n'est pas un «document», mais encore il ne «relève pas d'une institution fédérale». Il relève du concepteur externe, et les appelants sont de simples licenciés. Ils n'ont pas le pouvoir de reproduire ou d'utiliser d'une autre manière le logiciel en dehors de leurs accords.

Négation des droits conférés par l'alinéa 2b) de la Charte

[64]L'intimé affirme que le juge des requêtes a commis une erreur lorsqu'elle a refusé de déclarer que les actes des appelants avaient pour objet et pour effet de nier son droit fondamental à la liberté d'expression, un droit garanti par l'alinéa 2b) de la Charte. L'intimé affirme qu'il ne recherchait pas une déclaration selon laquelle la Charte lui confère un droit d'accès à l'information, mais simplement une déclaration selon laquelle les appelants ont nié son droit fondamental.

[65]J'ai du mal à comprendre la distinction que fait l'intimé. Si l'intimé n'a pas un droit fondamental d'accès à l'information, les appelants n'ont pu nier ce droit. Le juge des requêtes a considéré le jugement de la Cour divisionnaire de l'Ontario dans l'affaire Ontario (Attorney General) v. Fineberg (1994), 19 O.R. (3d) 197, où l'on a jugé que l'alinéa 2b) ne confère pas un droit général d'accès à l'information. Sans faire miens tous les motifs de décision exposés dans cette affaire, je souscris à la conclusion du juge des requêtes selon laquelle le droit fondamental de l'intimé n'a pas ici été nié.

Dépens

[66]L'intimé soulève la question des dépens dont fait état l'article 53 de la Loi, que je reproduis ici de nouveau par commodité:

53. (1) Sous réserve du paragraphe (2), les frais et dépens sont laissés à l'appréciation de la Cour et suivent, sauf ordonnance contraire de la Cour, le sort du principal.

(2) Dans les cas où elle estime que l'objet des recours visés aux articles 41 et 42 a soulevé un principe important et nouveau quant à la présente loi, la Cour accorde les frais et dépens à la personne qui a exercé le recours devant elle, même si cette personne a été déboutée de son recours.

[67]Le juge des requêtes a expliqué [au paragraphe 34] que, «comme chacune des parties a obtenu gain de cause dans la même mesure, il n'y a pas lieu d'adjuger de dépens». À l'évidence, le paragraphe 53(1) de la Loi donne au juge des requêtes le pouvoir discrétionnaire d'adjuger des dépens. Cependant, le paragraphe 53(2) tempère ce pouvoir. Je ne puis qu'en déduire que, puisque les dépens n'ont pas été adjugés au demandeur (l'intimé dans la présente instance), le juge des requêtes était d'avis que celui-ci n'avait pas soulevé un principe important et nouveau concernant la Loi.

[68]Ainsi que je l'ai indiqué au début des présents motifs, et ainsi que l'ont accepté les deux parties, l'appel et l'appel incident obligent la Cour à considérer pour la première fois le paragraphe 4(3) de la Loi et l'article 3 du Règlement. L'intimé affirme que les points soulevés dans l'appel et dans l'appel incident font intervenir un principe important et nouveau se rapportant à la Loi. Il affirme aussi que les conséquences de ces questions sont énormes non seulement pour les institutions fédérales, mais aussi pour le public. Les appelants objectent, quant à eux, que le simple fait qu'un point soit soulevé pour la première fois n'en fait pas un principe important et nouveau. Sans doute, mais, à mon avis, si les points soulevés par l'intimé dans la présente affaire ne constituent pas des principes importants et nouveaux, il est difficile d'imaginer un point qui puisse constituer un principe important et nouveau. Si le juge des requêtes a pensé autrement, alors je suis d'avis qu'elle a commis une erreur de droit. Je partage le point de vue de l'intimé en ce qui concerne les répercussions de la présente affaire. Elle fait intervenir un principe important et nouveau. Par conséquent, même si l'intimé n'a finalement pas eu gain de cause dans le présent appel et dans son appel incident, je suis néanmoins d'avis qu'il a droit à ses dépens dans la présente instance et dans les instances antérieures.

Décision

[69]J'accueillerais l'appel, rejetterais l'appel incident et rejetterais la demande de contrôle judiciaire. En application du paragraphe 53(2) de la Loi, l'intimé a droit à ses dépens partie-partie, dans la présente instance et dans les instances antérieures.

Le juge Stone, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

    * * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[70]Le juge Malone, J.C.A.: (dissident en partie): Je suis en désaccord avec les motifs des juges majoritaires, uniquement en ce qui a trait au paragraphe 69 et à la question des dépens. Le paragraphe 53(2) de la Loi est ainsi formulé:

53. [. . .]

(2) Dans les cas où elle estime que l'objet des recours visés aux articles 41 et 42 a soulevé un principe important et nouveau quant à la présente loi, la Cour accorde les frais et dépens à la personne qui a exercé le recours devant elle, même si cette personne a été déboutée de son recours.

[71]Une fois que l'on a décidé, comme c'est le cas dans la présente demande, qu'un principe nouveau et important intéressant la Loi a été soulevé par l'intimé, le rejet de sa demande initiale et de son appel incident devient hors de propos. Il ne peut être condamné aux dépens et le seul point restant concerne les dépens auxquels il a droit.

[72]À mon avis, une somme forfaitaire adjugée selon le paragraphe 400(4) des Règles de la Cour fédérale (1998) rend mieux compte de l'intention véritable qu'avait le législateur lorsqu'il a adopté cette disposition inusitée, c'est-à-dire que l'intimé devrait se voir adjuger ses dépens raisonnables, et non la somme qui résulterait de l'adjudication de dépens entre parties selon le tarif.

[73]Je fixerais la somme forfaitaire des dépens de l'intimé à 20 000 $, y compris la TPS et tous les débours.

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