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A-281-01

2003 CAF 3

Le Procureur général du Canada (demandeur)

c.

Kelly Lesiuk (défenderesse)

et

Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes (le FAEJ), Centre d'action pour la sécurité du revenu (intervenants)

Répertorié: Canada (Procureur général) c. Lesiuk (C.A.)

Cour d'appel, juges Létourneau, Rothstein et Malone, J.C.A.--Edmonton, 19 et 20 novembre 2002; Ottawa, 8 janvier 2003.

Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Droits à l'égalité -- Le juge-arbitre avait estimé que les conditions d'admissibilité aux prestations d'assurance-emploi contrevenaient à l'art. 15(1) de la Charte -- Les conditions sont-elles discriminatoires à l'endroit des femmes qui exercent des responsabilités parentales? -- Selon le juge-arbitre, les conditions d'admissibilité abaissaient la dignité fondamentale des femmes et accréditaient l'idée selon laquelle les femmes sont moins capables de valeur en tant qu'êtres humains -- Les dispositions ne pouvaient être validées par l'article premier de la Charte car elles n'étaient ni urgentes ni réelles -- La décision du juge-arbitre est annulée -- Dans une analyse selon l'art. 15, il fallait définir des groupes témoins adéquats -- Par définition, les lois qui confèrent une protection sociale entraînent une différence de traitement -- Les comparaisons proposées par la défenderesse étaient appuyées par une preuve statistique insuffisante -- La présente affaire se distingue de la plupart des affaires de protection sociale faisant intervenir l'art. 15 où un groupe tout entier se voit refuser des prestations -- La défenderesse faisait partie d'un très petit sous-ensemble ayant perdu quelque chose -- La Cour était néanmoins disposée à admettre que la défenderesse avait été traitée différemment à cause de son sexe et de son rôle parental -- La période d'immutabilité était suffisamment longue pour satisfaire aux conditions qui président à la définition de nouveaux motifs analogues -- Question primordiale: la liberté et la dignité humaine de la défenderesse ont-elles été lésées? -- Critère objectif - subjectif -- L'analyse contextuelle introduit une mesure d'objectivité -- Il est nécessaire d'établir les facteurs contextuels -- Il n'existe aucune présomption selon laquelle une différence de traitement à l'égard de personnes historiquement défavorisées est discriminatoire -- Les arguments de la défenderesse, tant à l'audience que dans les actes de procédure, ne cherchaient pas à établir la présence de facteurs contextuels -- La défenderesse n'a pas établi la préexistence de stéréotypes dans le contexte de l'assurance-emploi -- Le nouveau système encourage la flexibilité des modes d'organisation du travail et favorise les femmes exerçant des responsabilités parentales -- Les conséquences de la législation contestée ne sont ni graves ni indûment ciblées -- S'il y avait eu contravention à la Charte, alors la législation contestée serait validée par l'article premier -- La Cour a admis que les dispositions contestées répondent à des objectifs urgents et réels -- Les dispositions contestées présentent un lien rationnel avec les objectifs du législateur -- Quant à la restriction minimale, le choix du législateur concernant le tracé de la ligne n'est pas déraisonnable -- Les effets négatifs ne l'emportaient pas sur les effets sociaux salutaires du régime d'assurance-emploi.

Assurance-emploi -- Le juge-arbitre nommé selon la Loi sur l'assurance-emploi a conclu que les art. 6(1) et 8(2) de la Loi (qui déterminent les conditions d'admissibilité) devaient être ignorés parce qu'ils contrevenaient à l'art. 15(1) de la Charte -- La défenderesse s'est vu refuser des prestations parce qu'elle avait travaillé 667 heures au lieu des 700 requises -- Le juge-arbitre a conclu que la norme d'admissibilité fondée sur le nombre moyen d'heures travaillées par semaine avait un effet distinct sur les prestataires exerçant des responsabilités parentales -- Il n'y avait pas de lien rationnel avec l'objectif d'assurer les bénéficiaires de l'assurance-emploi présentant un niveau minimum d'appartenance au marché du travail -- La décision du juge-arbitre est annulée -- Le régime d'assurance-emploi est un régime contributif -- La défenderesse voulait l'élimination ou la réduction substantielle des conditions d'admissibilité, sans offrir de paramètres pour l'avenir -- Des revendications semblables pourraient être faites par d'autres (minorités visibles, personnes handicapées) -- Les lois qui confèrent une protection sociale entraînent une différence de traitement -- Insuffisance de la preuve statistique -- La demanderesse fait partie d'un très petit sous-ensemble de travailleurs qui ont perdu quelque chose dans le nouveau régime d'assurance-emploi -- La Cour a effectué une analyse selon l'art. 15 de la Charte, en considérant les facteurs contextuels, pour conclure que les conditions d'admissibilité constituent un instrument administratif nécessaire dans un régime viable d'assurance par cotisations, et qu'elles n'entraînent pas une perte de dignité -- Le texte législatif répondait à un objectif urgent et réel -- Il existe un lien rationnel entre les objectifs du législateur et les dispositions contestées -- Seuil minimum visant à prévenir les travailleurs ne montrant guère d'attachement à un travail rémunéré de recourir d'une manière habituelle à l'assurance-emploi, à éliminer les stimulants qui encourageaient les employeurs à créer des emplois à temps partiel pour se dispenser de verser des contributions au régime, enfin à instituer un régime viable sur le plan budgétaire, dans lequel les prestations seraient en rapport avec les cotisations -- La Loi établit un programme complexe, et l'exigence d'un nombre minimum d'heures donnant droit à des prestations fait partie intégrante du régime d'assurance -- L'absence d'un seuil modifierait la nature de ce programme et en ferait un programme d'aide sociale.

Il s'agissait d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision d'un juge-arbitre nom mé en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi. Le procureur général contestait la conclusion du juge-arbitre selon laquelle les paragraphes 6(1) et 7(2) de la Loi, qui fixent les conditions d'admissibilité aux prestations d'assurance-emploi, contreviennent au paragraphe 15(1) de la Charte et devraient par conséquent être ignorés. Les dispositions en question prévoyaient 700  heures de travail comme condition minimale d'admissibilité aux prestations générales et aux prestations spéciales de maternité. La condi tion minimale a depuis été ramenée à 600  heures.

La défenderesse travaillait à temps partiel comme infirmière à l'hôpital de Brandon, au Manitoba. Son mari avait accepté un emploi à Winnipeg, et la défenderesse avait emménagé dans cette ville après la vente de leur maison. Elle a demandé des prestations d'assurance-emploi, qui lui ont été refusées, puisqu'elle n'avait travaillé que 667  heures au cours de la période de référence. Très peu de temps après, elle est tombée enceinte, et son médecin lui a recommandé de ne pas exercer l'exigeant travail physique d'une infirmière agréée. Son appel au conseil arbitral a été rejeté. Dans un appel subséquent au juge-arbitre, elle a fait valoir que les conditions d'admissibilité prévues par la Loi ex erçaient une discrimination contre les femmes, eu égard à leurs responsabilités parentales. Le juge-arbitre a admis que les conditions d'admissibilité niaient les droits à l'égalité garantis à la défenderesse par l'article  15 de la Charte. Il a conclu qu'u ne norme d'admissibilité fondée sur le nombre moyen d'heures travaillées par semaine avait un effet distinct sur les personnes qui, en raison de responsabilités parentales ou familiales, trouvent difficile, voire impossible, de respecter cette norme. Selon le juge-arbitre, la preuve révélait que les hommes travaillaient en moyenne 39  heures par semaine dans un emploi rémunéré, tandis que le chiffre applicable aux femmes étaient de 30  heures seulement. Les conditions de l'assurance-emploi, fondées sur 35  heures par semaine, défavorisaient les femmes. Le juge-arbitre a expliqué que le fait de vivre une relation parent-enfant constituait un motif analogue à ceux qui sont énumérés au paragraphe  15(1). C'était un statut immuable, du moins jusqu'à ce que les enfan ts n'aient plus besoin de quelqu'un pour prendre soin d'eux. Le juge-arbitre a également estimé que les conditions d'admissibilité abaissaient la dignité fondamentale des femmes, qui prédominent dans la main-d'oeuvre à temps partiel, parce qu'elles doivent travailler durant des périodes plus longues que les travailleurs à temps plein pour attester leur appartenance au marché du travail. Ces dispositions avaient pour effet d'accréditer l'idée selon laquelle les femmes sont moins capables ou moins dignes de re connaissance ou de valeur en tant qu'êtres humains ou que membres de la société canadienne. Les dispositions contestées ne pouvaient pas non plus être validées par l'article premier de la Charte, car elles n'étaient ni urgentes ni réelles. Par ailleurs, el les ne présentaient pas un lien rationnel avec l'objectif de s'assurer que les bénéficiaires de prestations présentent un niveau minimum d'appartenance au marché du travail.

Arrêt: la demande doit être accueillie.

Le régime d'assurance-emploi est un régi me contributif offrant une protection sociale aux Canadiens qui perdent leur emploi ou qui sont incapables de travailler pour cause de maladie, de grossesse ou d'accouchement ou encore pour cause de responsabilités parentales à la suite d'une naissance ou d'une adoption. Ce que la demanderesse voudrait, c'est l'élimination complète ou l'abaissement substantiel des conditions d'admissibilité, sans offrir de paramètres pour l'avenir. Des revendications semblables pourraient être faites par d'autres, par exemp le les minorités visibles ou les personnes handicapées.

Dans une analyse selon le paragraphe 15(1), la Cour devait définir les groupes témoins adéquats par rapport auxquels allait être mesurée la présumée différence de traitement. L'avocat de la défendere sse a défini le groupe auquel celle-ci appartient comme «les femmes exerçant des responsabilités parentales», et il a proposé l'ensemble de la population masculine comme base de comparaison. L'intervenant, le Fonds d'action et d'éducation juridiques pour l es femmes, a proposé un groupe témoin différent, mais ce groupe n'était pas acceptable parce qu'il pouvait entraîner un préjudice et une injustice pour les deux parties.

Par définition, les lois qui confèrent une protection sociale entraînent une différen ce de traitement. La réponse à la question de savoir si cette différence participait ici d'une ou de plusieurs caractéristiques personnelles n'était pas évidente eu égard à la preuve produite. La preuve statistique produite par les parties était si lacunai re qu'il eût été hasardeux de faire le genre de comparaisons que la défenderesse demandait à la Cour de faire. Cependant, on pouvait dire que le groupe touché par la règle du nombre minimum d'heures était très petit par rapport au nombre total de femmes qu i travaillaient et qui avaient charge d'enfants. À cet égard, la présente affaire se distinguait de la plupart des affaires de protection sociale faisant intervenir l'article  15 où un groupe tout entier, ou une partie importante de ce groupe, se voit refus er des prestations. Les petits nombres ne suffisent pas évidemment à excuser la discrimination.

La preuve présentée au juge-arbitre montrait qu'aucun groupe n'est uniformément lésé par les conditions d'admissibilité. Il y avait rareté de preuves statistiq ues probantes portant sur la présumée différence de traitement à l'encontre du groupe de la défenderesse à raison de caractéristiques personnelles. La preuve montrait que le groupe de la défenderesse est un petit sous-ensemble de travailleurs qui ont perdu quelque chose dans le passage au nouveau système. D'ailleurs, certains membres de ce sous-ensemble ont eu droit à des prestations, alors qu'ils n'auraient pas eu ce droit dans l'ancien système. Mais l'arrêt Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) permet d'affirmer qu'il peut y avoir contravention au paragraphe  15(1) même si aucune autre personne possédant les mêmes caractéristiques que le prestataire ne subit le même traitement injuste, encore qu'en l'espèce d'autres personnes partageant l es mêmes caractéristiques que la défenderesse eussent été exclues des prestations. La Cour était disposée à admettre que la défenderesse avait été traitée différemment à cause de son sexe et de son rôle parental.

S'agissant de la question des motifs analo gues, la période d'immutabilité était suffisamment longue pour satisfaire aux conditions qui président à la définition de nouveaux motifs analogues.

L'étape finale de l'analyse consistait à se demander si la différence de traitement équ ivalait à discrimination selon le paragraphe  15(1). La question primordiale ici était de savoir si la dignité humaine et/ou la liberté de la défenderesse avaient été préjudiciées. Il s'agit d'un critère objectif-subjectif, dont la partie objective doit êtr e comprise à la lumière de divers facteurs contextuels. Une analyse contextuelle introduit un degré d'objectivité dans ce qui autrement pourrait être un exercice subjectif et donc injuste. La Cour suprême du Canada a défini quatre facteurs contextuels et, dans l'arrêt Lovelace c. Ontario , avait souligné la nécessité de les établir. La nécessité d'établir les facteurs contextuels s'accorde avec l'obligation fondamentale du prestataire selon l'article  15 de démontrer un effet discriminatoire. Il n'existe aucu ne présomption selon laquelle une différence de traitement à l'égard de personnes historiquement défavorisées est discriminatoire. Or, les arguments de la défenderesse, tant à l'audience que dans les actes de procédure, ne visaient pas à établir la présenc e de ces facteurs contextuels. Pour sa part, le juge-arbitre a accordé peu d'attention à ces facteurs et il ne les a nullement rattachés à un quelconque élément de preuve.

Le premier des facteurs contextuels à considérer est la préexistence d'un désavanta ge, d'un stéréotype, d'un préjugé ou d'une vulnérabilité propre à l'individu ou au groupe. La défenderesse n'avait pas établi cet aspect dans le contexte de l'assurance-emploi. La preuve montrait que la grande majorité des femmes qui travaillent et qui ont de jeunes enfants dépassent les conditions minimales d'admissibilité. Les conditions ne créent donc pas ni ne renforcent un stéréotype selon lequel les femmes devraient rester à la maison et s'occuper de leurs enfants. Il était difficile de concevoir qu'u ne personne raisonnable se sentirait diminuée du seul fait que, durant une année donnée, elle a manqué de peu d'avoir droit à des prestations d'assurance-emploi. La preuve a montré que le nouveau système fondé sur le nombre d'heures travaillées favorise un e flexibilité en adéquation avec la diversité actuelle des modes d'organisation du travail et permet aux femmes exerçant des responsabilités parentales de structurer d'une manière plus souple leur emploi rémunéré et d'avoir droit à des prestations.

Le troisième facteur contextuel intéresse les cas de discrimination inversée. Le texte législatif en question présente un vaste objet d'amélioration, qui s'accorde avec les valeurs d'égalité intégrées dans l'article  15 de la Charte.

Le quatrième facteur context uel concerne la nature et l'étendue du droit touché par la loi contestée. Il y a discrimination lorsque les conséquences de la loi sont graves et ciblées. Ici, les conséquences n'étaient ni graves ni indûment ciblées. De fait, la preuve ne révélait aucun c iblage.

La défenderesse n'a pas réussi à établir l'un ou plusieurs des facteurs contextuels, et ce serait forcer à l'excès, au point de le déformer, le concept de connaissance judiciaire si la Cour devait conclure, sur ce seul fondement, qu'il y a eu ici atteinte à la dignité humaine. Les conditions d'admissibilité ne sont pas la manifestation d'un manque de respect ou d'une perte de dignité, elles constituent plutôt un instrument administrativement nécessaire conçu pour répondre aux exigence s d'un régime viable d'assurance par cotisations.

Pour le cas où il y aurait eu contravention à la Charte, la Cour dirait alors que les dispositions contestées sont validées par l'article premier.

Le juge-arbitre a estimé que les objectifs de la loi n'ét aient ni urgents ni réels, mais devant la Cour l'avocat de la défenderesse a admis que la loi répond à de tels objectifs.

Sur la question de savoir s'il existait un lien rationnel entre les objectifs du législateur et les dispositions contestées, le nombr e de 700 heures constitue un indicateur d'appartenance présentant un lien rationnel avec l'appartenance au marché du travail. Un seuil minimum, fixé à un certain niveau, vise à prévenir les cas où des travailleurs ne montrant guère d'attachement à un trava il rémunéré choisissent couramment de percevoir des prestations d'assurance-emploi. Ce seuil présente aussi un lien rationnel avec l'objectif d'élimination des stimulants fiscaux qui encourageaient les employeurs à créer des emplois à temps partiel comptan t moins de 15 heures par semaine, grâce à quoi ils pouvaient se dispenser de verser des contributions au régime, en laissant leurs employés sans assurance. Finalement, le seuil minimum permet d'instituer un régime viable sur le plan budgétaire, dans lequel les prestations sont en rapport avec les cotisations.

S'agissant de la restriction minimale, la Loi établit un programme complexe d'assurance, et l'exigence d'un nombre minimum d'heures donnant droit à des prestations est un aspect intégral du régime. Il est nécessaire pour assurer l'intégrité budgétaire du programme et empêcher les abus. L'absence d'un tel seuil modifierait la nature de ce programme et en ferait un programme d'aide sociale. Le législateur n'a pas été déraisonnable dans le choix qu'il a fait de l'endroit où la ligne devait être tracée.

Finalement, s'agissant de l'application du critère de proportionnalité, il était impossible d'affirmer que les effets négatifs résultant de l'exclusion de certains travailleurs du droit d e recevoir des prestations l'emportent indéniablement sur les effets sociaux salutaires du régime d'assurance-emploi.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 15.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch.  8, art. 5), 28 (mod., idem, art. 8; 1996, ch. 23, art. 187).

Loi sur l'assurance-chô mage, L.R.C. (1985), ch. U-1.

Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23, art. 6(1) «prestataire de la première catégorie» (mod. par L.C. 2000, ch. 14, art. 2), 7(2).

Règlement sur l'assurance-emploi, DORS/96-332.

jurisprudence

décisions s uivies:

Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497; (1999), 170 D.L.R. (4th) 1; 43 C.C.E.L. (2d) 49; 236 N.R. 1; Granovsky c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [2000] 1 R.C.S. 703; (2000), 186 D.L.R. (4th) 1; 50 C.C.E.L. (2d) 177; 253 N.R. 329; Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord), [1999] 2 R.C.S. 203; (1999), 173 D.L.R. (4th) 1; [1999] 3 C.N.L.R. 19; 239 N.R. 1; Lavoie c. Canada, [2002] 1 R.C.S. 769; (2002), 210 D.L.R. (4th) 193; 15 C.C.E.L. (3d) 159; 92 C.R.R. (2d) 1; 22 Imm. L.R. (3d) 182; 284 N.R. 1; Lovelace c. Ontario, [2000] 1 R.C.S. 950; (2000), 188 D.L.R. (4th) 193; [2000] 4 C.N.L.R. 145; 255 N.R. 1; 134 O.A.C. 201; Gosselin c. Québec (Procureur général) (2002), 221 D.L.R. (4th) 257; 100 C.R.R. (2d) 1; 298 N.R. 1; RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199; (1995), 127 D.L.R. (4th) 1; 100 C.C.C. (3d) 449; 62 C.P.R. (3d) 417; 31 C.R.R. (2d) 189; 187 N.R. 1.

distinction faite d'avec:

Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624; (1997), 151 D.L.R. (4th) 577; 96 B.C.A.C. 81; 218 N.R. 161; Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513; (1995), 124 D.L.R. (4th) 609; 95 CLLC 210-025; 29 C.R.R. (2d) 79; 182 N.R. 161; 12 R.F.L. (4th) 201; Collins c. Canada, [2000] 2 C.F. 3; (1999), 69 C.R.R. (2d) 205; 178 F.T.R. 161 (1re inst.); conf. par [2002] 3 C.F. 320; (2002), 285 N.R. 359 (C.A.).

décisions citées:

Nishri c. Canada (1997), 35 C.C.E.L. (2d) 196; 51 C.R.R. (2d) 313; 223 N.R. 376 (C.A.F.); Zwarich c. Canada (Procureur général), [1987] 3 C.F. 253; (1987), 26 Admin. L.R. 295; 87 CLLC 14,053; 31 C.R.R. 244; 82 N.R. 341 (C.A.); Falkiner v. Ontario (Ministry of Community and Social Services) (2002), 59 O.R. (3d) 481; 212 D.L.R. (4th) 633; 94 C.R.R. (2d) 22; 159 O.A.C. 135 (C.A.); Delisle c. Canada (Sous-procureur général), [1999] 2 R.C.S. 989; (1999), 176 D.L.R. (4th) 513; 244 N.R. 33; Canada (Procureur général) c. Taylor (1991), 81 D.L.R. (4th) 679; 91 CLLC 14,034; 126 N.R. 345 (C.A.F.).

doctrine

Développement des ressources humaines Canada. Assurance-emploi: Rapport de contrôle et d'évaluation 1999. Ottawa, le 20 décembre 1999.

Statistique Canada. Enquête sur la couverture de la population par le régime d'assurance-emploi de 1999. Ottawa, 1999.

Statistique Canada. Femmes au Canada 2000: rapport statistique fondé sur le sexe. Ottawa, septembre 2000.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision d'un jug e-arbitre (Lesiuk (2001), CUB 51142) qui a jugé que certaines dispositions de la Loi sur l'assurance-emploi devraient être ignorées parce qu'elles contreviennent aux droits à l'égalité garantis par l'article  15 de la Charte. Demande accueillie.

ont comparu:

Mark R. Kindrachuk et Rochelle Wempe pour le demandeur.

Byron Williams et Evelyn Braun pour la défenderesse.

Jo-Anne M. Boulding pour l'intervenant, le Centre d'action pour la sécurité du revenu.

Kerri A. Froc pour l'intervenant, le Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes.

avocats inscrits au dossier:

Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.

Public Interest Law Centre, Winnipeg, pour la défenderesse.

Centre d'action pour la sécurité du revenu, pour l'interve nant, le Centre d'action pour la sécurité du revenu.

Balfour Moss, Regina, pour l'intervenant, le Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]Le juge Létourneau, J.C.A.: Cette demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision (CUB 51142) d'un juge-arbitre rendue le 22  mars 2001 soulève les questions suivantes: Le juge-arbitre a-t-il commis une erreur lorsqu'il a conclu que les paragraphes 6(1) [mod. par L.C. 2000, ch. 14, art. 2] et 7(2) de la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23, et ses modifications ultérieures (la Loi), qui définissent les conditions d'admissibilité aux prestations d'assurance-emploi, contreviennent au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (la Charte) et par conséquen t devraient être ignorés comme si les dispositions n'avaient jamais été promulguées? Ces dispositions prévoient un régime fondé sur le nombre d'heures travaillées comme condition minimale d'admissibilité (CMA), nombre qui, au moment de la décision du juge- arbitre, était de 700  heures pour les prestations générales et les prestations spéciales de maternité. Le 31  décembre  2000, la condition minimale fixée pour les prestations de maternité a été ramenée à 600  heures. Selon l'avocat du demandeur, la modificati on législative faisait suite à une étude du fonctionnement du programme des prestations spéciales: voir Développement des ressources humaines Canada, Assurance-emploi: Rapport de contrôle et d'évaluation 1999, Dossier du demandeur, vol. 10, onglet D, page 7804.

[2]Les paragraphes 6(1) et 7(2) étaient alors formulés ainsi:

6. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente partie.

[. . .]

«prestataire de la première catégorie» Prestataire qui remplit les conditions requises pour recevoir des prestations et qui a exercé un emploi assurable pendant au moins sept cents  heures au cours de sa période de référence.

[. . .]

7. (1) [. . .]

(2) L'assuré autre qu'une personne qui devient ou redevient membre de la population active remplit les conditions requises si, à la fois:

a) il y a eu arrêt de la rémunération provenant de son emploi;

b) il a, au cours de sa période de référence, exercé un emploi assurable pe ndant au moins le nombre d'heures indiqué au tableau qui suit en fonction du taux régional de chômage qui lui est applicable.    

TABLEAU

Taux régional de chômage                Nombre d'heures d'emploi assurable requis au cours de période de référence

6 % et moins                        700

plus de 6 % mais au plus 7 %                 665

[3]Pour les motifs que j'exposerai après un bref résumé des faits et des procédures qui ont conduit à la présente demande de contrôle judiciaire, je crois que le juge-arbitre n'a pas bien saisi ni bien interprété la Loi et que sa décision doit être réformée.

Faits et procédures

[4]La défenderesse, Kelly Lesiuk, travaillait à temps partiel, de 1993 à 1998, comme infirmière agréée à l'Hôpital général de Brandon. À la mi-août 1997, son mari a accepté un emploi à Winnipeg, à deux heures de voiture de Brandon. Il fut décidé qu'il resterait à Winnipeg durant la semaine et retournerait à Brandon les fins de semaine, ce qui lui permettrait à elle de trouver un travail par postes.

[5]En mars 1998, après la vente de leur maison à Brandon, la défenderesse et son enfant de trois ans rejoignaient son mari à Winnipeg. Peu après leur arrivée, elle a demandé des prestations régulières d'assurance-emploi (AE). La Commission de l'assurance-emploi l'informa qu'elle n'avait pas droit à des prestations. Elle avait travaillé 667 heures durant sa période de référence. La condition à remplir, selon le paragraphe  7(2) de la Loi, était de 700  heures. Il lui manquait 33 heures.

[6]En avril 1998, le médecin de la défenderesse lui recommanda de ne pas travailler car elle était alors enceinte d'un deuxième enfant, et l'augmentation appréciable de son poids eût été un handicap pour l'exigeant travail physique imposé aux infirmières agréées. La condition à remplir pour des prestations spéciales de maternité ou des prestations parentales était également de 700  heures travaillées durant la période de référence.

[7]La défenderesse a fait appel au conseil arbitral du refus de la Commission de lui verser des prestations. Le 19  novembre 1998, le conseil, appliquant les dispositions de la Loi, rejetait son appel.

[8]La défenderesse a fait appel de la décision du conseil au juge-arbitre. Devant le juge-arbitre, elle fit valoir que les conditions d'admissibilité énoncées dans la Loi exerçaient une discrimination contre les femmes qui, de tout temps, ont eu la responsabilité première de l'édu cation des enfants. Le 22 mars 2001, le juge-arbitre décidait que les paragraphes  6(1) et 7(2) de la Loi, c'est-à- dire les CMA, étaient inconstitutionnels parce qu'ils niaient les droits à l'égalité garantis à la défenderesse par l'article  15 de la Charte. Il renvoya l'affaire au conseil pour nouvelle audition, mais cette fois comme si les dispositions en cause n'avaient jamais été promulguées.

[9]Le demandeur, le procureur général du Canada, demande le contrôle judiciaire de cette décision e n application des articles 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] et 28 [mod., idem , art. 8; 1996, ch. 23, art. 187] de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7). Il voudrait que la décision du juge-arbitre soit cassée et que la décision du conseil arbitral soit rétablie.

La décision du juge-arbitre

[10]Après examen des faits, ainsi que de l'historique de la législation sur l'assurance-emploi, le juge-arbitre a entrepris d'appliquer la démarche adoptée par la Cour su prême du Canada dans l'arrêt Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, pour l'analyse des contraventions possibles à l'article  15 de la Charte. Cet exercice l'a conduit aux conclusions suivantes:

a) Les paragraphes 6(1) et 7(2) de la Loi n'imposent pas le même traitement à la prestataire et aux autres.

Les conditions minimales d'admissibilité aux prestations, énoncées aux paragraphes  6(1) et 7(2), imposent, à raison d'une ou de plusieurs caractéristiques personnelles, un traitement distinct à Kelly Lesiuk par rapport à d'autres personnes ou groupes auxquels elle peut validement être comparée.

Au vu de la preuve produite, Kelly Lesiuk a établi que les conditions minimales d'admissibilité à des presta tions, énoncées aux paragraphes  6(1) et 7(2), font une distinction entre elle et les autres travailleurs. Une norme d'admissibilité qui est fondée sur le nombre moyen d'heures travaillées chaque semaine par les travailleurs canadiens n'a pas le même effet sur ceux et celles qui, en raison de responsabilités parentales et familiales, trouvent difficile, voire impossible, de respecter cette norme. En général, la femme est défavorisée parce que les hommes travaillent, en moyenne, 39  heures par semaine dans un emploi rémunéré, tandis que les femmes travaillent, en moyenne, 30  heures seulement. Les conditions d'admissibilité à l'assurance-emploi sont fondées sur 35  heures de travail par semaine, ce qui défavorise les femmes. Par ailleurs, la preuve indiquait que les femmes continuent d'exécuter les deux tiers du travail non rémunéré, ce qui leur laisse moins d'heures à consacrer à un emploi rémunéré (voir le paragraphe  50 de la décision du juge-arbitre).

Le système fondé sur les heures travaillées défavorise dém esurément les femmes, parce qu'il augmente le nombre des heures de travail qui sont requises pour les rendre admissibles et parce qu'il diminue le nombre de semaines de prestations s'il leur est impossible d'augmenter leurs heures de travail.

b) Le traitement distinct procède d'un motif énuméré ou analogue. Je reproduis ici le paragraphe  59 de la décision du juge-arbitre:

La preuve qui a été produite devant moi me convainc que le fait de vivre une relation parent-enfant est un motif analogue à ceux qui sont énumérés au paragraphe  15(1). La qualité parentale est centrale à l'identité d'une personne et à sa personnalité; c'est une situation qui est immuable. Il est vrai que la situation changera lorsque les enfants n'auront plus besoin de quelqu'un pour prendre soin d'eux, mais cela ne change rien au fait que leur situation est immuable jusqu'à ce que cela se produise. La qualité de parent et de principale responsable du soin des enfants de l'appelante en est une que le gouvernement ne peut légiti mement s'attendre qu'elle change pour avoir droit à l'égalité de traitement garantie par la loi. La mère qui travaille à temps partiel pour pouvoir assumer ses responsabilités parentales ne devrait pas être moins protégée par l'assurance-emploi pour ce mot if.

c) L'objet ou l'effet est foncièrement discriminatoire.

Les conditions d'admissibilité abaissent la dignité fondamentale des femmes, qui prédominent dans la main-d'oeuvre à temps partiel, parce qu'elles doivent travailler des périodes plus longues que les travailleurs à temps plein pour attester leur appartenance au marché du travail. En faisant dépendre de la semaine de travail moyenne de 35  heures le seuil d'admissibilité et la définition de l'appartenance au marché du travail, les conditions d'admis sibilité négligent de prendre en compte le fait que la semaine de travail moyenne des femmes dans la population active rémunérée (30  heures) représente 85  p. 100 de la semaine de travail moyenne des hommes (35 heures). J'observe en passant qu'il semble y a voir ici une déformation de la preuve car le chiffre de 35  heures est la moyenne pour l'ensemble des travailleurs. Étant donné que les femmes passent encore environ deux fois plus de temps que les hommes à faire du travail non rémunéré, ce sont les femmes surtout qui sont lésées.

La définition, dans la Loi, d'un prestataire de la première catégorie porte encore plus directement atteinte à la dignité de Kelly Lesiuk puisque la condition d'admission mesure et définit qui est digne de recevoir des prestations d'assurance-emploi. Bien qu'une femme qui travaille à temps partiel toute l'année montre, selon la loi actuelle, une forte appartenance au marché du travail, son appartenance au marché du travail est moindre que celle d'un homme, qui peut facilement accum uler des prestations d'assurance-emploi en travaillant 700  heures durant l'été et percevoir des prestations d'assurance- emploi chaque hiver. Puisque l'appartenance de l'appelante au marché du travail est jugée insuffisante, non parce qu'elle n'a pas d'emp loi régulier, mais parce que ses heures hebdomadaires d'emploi rémunéré sont limitées par ses obligations non rémunérées, il est plus directement porté atteinte à la dignité de la mère qui travaille à temps partiel (voir le paragraphe  66 de la décision).

Si, comme c'est le cas pour l'appelante, le travail par postes ou l'éducation des enfants l'empêche d'atteindre le seuil des 700  heures, alors les prestations lui sont totalement refusées lorsqu'elle perd son emploi et elle ne bénéficie pas du tout des primes d'assurance-emploi qu'elle a versées. On accrédite ainsi l'idée selon laquelle une femme est moins capable ou moins digne de reconnaissance ou de valeur en tant qu'être humain ou en tant que membre de la société canadienne (voir le p aragraphe 67 de la décision).

[11]Le juge-arbitre a examiné les dispositions contestées à la lumière des principes applicables à une analyse selon l'article premier de la Charte. Il est arrivé à la conclusion que ces dispositions ne pouvaien t être validées par l'article premier. À son avis, la législation n'était ni urgente ni réelle. Il s'est exprimé ainsi au paragraphe  70 de sa décision:

Tout bien pesé, je ne suis pas convaincu que la législation se rapporte à des préoccupations urgentes e t réelles. J'ai du mal à accepter que l'objectif des conditions d'admissibilité minimales variables (420-700  heures) visent à garantir que les personnes qui touchent des prestations régulières ont une certaine participation au marché du travail, par rappor t au taux de chômage dans la région où elles habitent. Je ne crois pas non plus, comme on le prétend, que le régime décourage les abus. Comme je l'ai mentionné précédemment, seul le Canada a adopté le principe suivant lequel la participation au marché du t ravail peut être mesurée au moyen du seul critère des heures travaillées dans une année. Même Mme  Nakamura, qui a témoigné pour l'intimée, a reconnu qu'une personne pouvait travailler uniquement deux heures par semaines, année après année, et justifier d'u ne solide participation au marché du travail. À mon avis, les conditions d'admissibilité actuelles récompensent ceux qui sont libres de travailler de longues heures intensives aux dépens de la personne responsable du soin de la famille. Et ce régime ne déc ourage pas les abus.

[12]Il a aussi jugé que les CMA apparaissant dans les dispositions contestées ne présentaient aucun lien rationnel avec l'objectif de s'assurer que les bénéficiaires de prestations présentent un niveau minimal d'apparten ance au marché du travail. Par ailleurs, l'abaissement du nombre d'heures requis pour que des prestations soient versées ne porterait pas atteinte aux objectifs du gouvernement consistant à encourager l'appartenance au marché du travail et à décourager les abus et la dépendance.

[13]Finalement, comme il n'avait pas le pouvoir de déclarer les dispositions invalides, en raison du jugement de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Nishri c. Canada (1997), 35 C.C.E.L. (2d) 196, il a conclu que la meilleure solution était de renvoyer l'affaire à un conseil arbitral, en lui demandant de juger de nouveau l'appel de la défenderesse comme si les dispositions des paragraphes  6(1) et 7(2) n'avaient jamais été promulguées. Au soutien de cette solution, i l s'est fondé sur l'arrêt rendu par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Zwarich c. Canada (Procureur général), [1987] 3 C.F. 253.

Analyse de la décision

[14]L'avocat du demandeur affirme que les CMA énoncées dans les paragraphes  6(1) et 7(2) de la Loi sont conformes à l'article  15 de la Charte parce qu'ils ne supposent aucune différence de traitement, ne font intervenir aucun motif énuméré ou analogue ni ne révèlent aucune preuve de discrimination. La défenderesse adopte une position di amétralement opposée.

Le régime législatif

[15]Le juge-arbitre a fait un examen approfondi du régime législatif. Il ne m'est pas nécessaire de répéter ce qu'il a dit. Cependant, je voudrais souligner que le système d'AE est un régime contr ibutif qui procure une assurance sociale aux Canadiens qui subissent une perte de revenu du fait qu'ils perdent leur emploi ou qui sont incapables de travailler pour cause de maladie, de grossesse ou d'accouchement ou encore pour cause de responsabilités p arentales à la suite d'une naissance ou d'une adoption.

[16]C'est dans le contexte d'un tel régime que la défenderesse voudrait soit l'élimination complète soit l'abaissement substantiel des conditions d'admissibilité, sans offrir de paramètres suffisants ou paramètres de substitution pour l'avenir. Comme on le constatera lorsqu'on examinera davantage les prétentions de la défenderesse, d'autres groupes tels que les minorités visibles, les immigrants ou les travailleur s handicapés qui ne remplissent pas les CMA et se voient refuser des prestations seraient fondés à faire des revendications semblables. En fait, dans l'éventualité d'un simple abaissement des CMA, les membres du groupe de la défenderesse ou de ces autres g roupes qui n'atteindraient pas le nouveau seuil ainsi réduit seraient encore fondés, eux aussi, à faire la même revendication, pour la même raison. Les membres restants de ces groupes pourraient à leur tour contester le nouveau seuil jusqu'à ce que finalem ent il n'y ait plus de seuil.

[17]En un sens, la situation qui vient d'être évoquée ne se distingue guère de celle du revendicateur dans l'arrêt Granovsky c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [2000] 1 R.C.S. 703. Dans cette affaire, M. Granovsky avait demandé une pension pour invalidité permanente, pension qui lui avait été refusée. Il ne prétendait pas que les conditions d'admissibilité à une pension étaient discriminatoires au sens de l'art icle 15, mais il voulait que ces conditions soient modifiées, en mettant en doute les règles imposées par le législateur en matière de cotisations. Comme dans le cas présent, il reconnaissait que le législateur pouvait, sans contrevenir à la Charte, établi r un genre particulier de prestations pour un genre particulier de bénéficiaires (dans l'arrêt Granovsky , ceux qui peuvent justifier d'une appartenance récente au marché du travail -- dans le cas qui nous occupe, ceux qui justifient d'un engagement envers l e marché du travail), mais que le législateur avait tracé la ligne au mauvais endroit. Dans notre cas, la défenderesse affirme que le législateur a tracé la mauvaise ligne ou l'a tracée au mauvais endroit.

[18]Dans l'examen qu'il a fait d'un régime législatif semblable au nôtre, le juge Binnie, rédigeant l'avis unanime de la Cour, exposait aux paragraphes  9 et 14 des vues et préoccupations qui sont à propos ici:

Le RPC [Régime de pensions du Canada] est un régime d'assurance sociale destiné aux Canadiens privés de gains en raison d'une retraite, d'une déficience ou du décès d'un conjoint ou d'un parent salarié. Il s'agit non pas d'un régime d'aide sociale, mais plutôt d'un régime contributif dans lequel le législateur a défini à la fois les a vantages et les conditions d'admissibilité, y compris l'ampleur et la durée de la contribution financière d'un requérant.

[. . .]

Je constate, au départ, que l'appelant demande un élargissement des principes relatifs au paragraphe 15(1) qui ont été établis dans la jurisprudence, ce qui est compréhensible, mais il le fait d'une manière qui ne prévoit aucune limite claire pour l'avenir. S'il réussit à faire modifier l'exigence de «permanence» du critère du RPC, par exemple, va-t-on ensuite demander aux tribunaux de diluer l'exigence du RPC que la déficience soit grave? Les personnes dont la déficience est moins grave prétendront certainement que leurs droits ne sont pas moins dignes de protection que ceux des personnes qui ont une déficience plus grave. Est-il donc interdit au législateur de mettre sur pied des programmes et des services destinés aux personnes ayant une déficience permanente (comme, par exemple, des services de transport adapté par autobus), sans offrir ces mêmes programmes et services aux pe rsonnes dont la déficience est temporaire, et le cas échéant, jusqu'à quel point la déficience devrait-elle être temporaire pour qu'une personne puisse en bénéficier? [Non souligné dans l'original.]

Les dispositions contestées entraînent-elles une réelle différence de traitement à raison d'une ou de plusieurs caractéristiques personnelles?

[19]Dans une analyse selon le paragraphe 15(1), la Cour doit se demander si les dispositions contestées entraînent une réelle différenc e de traitement à raison d'une ou de plusieurs caractéristiques personnelles. Cet exercice est parsemé de difficultés. La Charte garantit les droits à l'égalité, mais un bon examen de la question requiert souvent de définir les groupes témoins au regard de squels sera mesurée la présumée différence de traitement: voir l'arrêt Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, au paragraphe 66. Dans l'affaire qui nous occupe, l'avocat de la défenderesse a adopté une approche transv ersale selon laquelle deux possibles caractéristiques personnelles autonomes sont combinées pour définir le groupe, et il a finalement constaté un motif analogue de discrimination: voir l'arrêt Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203; l'arrêt Falkiner v. Ontario (Ministry of Community and Social Services) (2002), 59 O.R. (3d) 481 (C.A.). Il a défini le groupe auquel appartient Kelly Lesiuk comme les «femmes exerçant des responsabilités parentales» et il a choisi comme groupe témoin l'ensemble de la population masculine. En d'autres termes, à son avis, les femmes exerçant des responsabilités parentales reçoivent selon la Loi, par suite des CMA, un traitement sensiblement différent de celui des hommes, qu'i ls exercent ou non des responsabilités parentales.

[20]À l'audience, l'avocat de l'intervenant, le Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes, voulait proposer un groupe témoin différent du groupe préconisé par la défenderesse. Nous avons refusé d'examiner sa proposition car une modification du groupe témoin pouvait entraîner un préjudice et une injustice pour les deux parties qui, devant le juge-arbitre, sont parties d'une autre prémisse et ont produit leur preuve en conséquenc e. Je suis sûr que c'est le genre de situation que le juge Iacobucci avait à l'esprit dans l'arrêt Law , précité, lorsqu'il écrivait, au paragraphe  58:

Le point de départ naturel lorsqu'il s'agit d'établir l'élément de comparaison pertinent consiste à teni r compte du point de vue du demandeur. C'est généralement le demandeur qui choisit la personne, le groupe ou les groupes avec lesquels il désire être comparé aux fins de l'analyse relative à la discrimination, déterminant ainsi les paramètres de la différe nce de traitement qu'il allègue et qu'il souhaite contester. Cependant, il se peut que la qualification de la comparaison par le demandeur ne soit pas suffisante. La différence de traitement peut ne pas s'effectuer entre les groupes cernés par le demandeur , mais plutôt entre d'autres groupes. Le tribunal ne peut manifestement pas, de son propre chef, évaluer un motif de discrimination que n'ont pas invoqué les parties et à l'égard duquel aucune preuve n'a été produite: voir Symes , précité, à la p.  762. Cependant, dans le cadre du ou des motifs invoqués, je n'exclurais pas le pouvoir du tribunal d'approfondir la comparaison soumise par le demandeur lorsque le tribunal estime justifié de le faire.

Par conséquent, j'utiliserai les groupes témoins définis par l a défenderesse.

[21]Par définition, les lois qui confèrent une protection sociale entraînent une différence de traitement. Lorsqu'elles définissent des catégories de bénéficiaires et des conditions d'admissibilité, elles traitent différemmen t les personnes qui sont exclues de leur champ d'application et à qui les prestations sont par conséquent refusées. Je ne crois pas que l'on puisse soutenir que ces personnes ne sont pas soumises à une réelle différence de traitement. La question est de sa voir si cette différence participe d'une ou de plusieurs caractéristiques personnelles. La réponse à cette question n'est pas évidente eu égard à la preuve produite par les parties.

[22]Compte tenu des groupes témoins retenus, il semble y avoir d'importantes lacunes dans la preuve statistique sur laquelle se sont fondées les parties au soutien de leurs positions. Le demandeur s'est fondé sur des études qui, il le reconnaît, souffrent des lacunes signalées par la défenderesse:

- certaines données recueillies en 1997 ne rendaient pas compte de la situation réelle car l'on avait procédé à des rajustements ou postulats arbitraires durant la période transitoire par suite de l'abrogation des conditions énoncées dans la Loi sur l'assurance-chômage [L.R.C. (1985), ch. U-1] et de la prise d'effet des conditions énoncées dans la Loi sur l'assurance-emploi;

- les études reflétaient la cessation d'emploi plutôt que le chômage;

- limites de la base de données de l'Enquête canadienne par panel sur l'interruption d'emploi; et

- mauvaise interprétation des données par l'un des témoins du demandeur.

[23]Les parties se sont accordées pour dire que l'on pouvait s'en remettre aux données des tableau x du rapport intitulé Enquête sur la couverture de la population par le régime d'assurance-emploi de 1999, et aux données d'un rapport statistique fondé sur le sexe, Femmes au Canada 2000: rapport statistique fondé sur le sexe. Cependant, ces données prése ntent elles aussi des difficultés.

[24]Il existe des données sur les parents de sexe féminin ayant charge d'enfants, mais ces données sont restreintes. Ainsi, les statistiques montrent que 69  p. 100 de toutes les femmes qui ont des enfants âgés de moins de 16  ans demeurant à la maison faisaient partie de la population active au travail en 1999. Cependant, pour ce groupe, il n'existe pas de données indiquant quel pourcentage du groupe était composé uniquement de travailleuses à temps partiel, quel pourcentage de celles qui travaillaient à temps partiel au cours des 12  mois antérieurs étaient sans travail en 1999, ou quel pourcentage de ce groupe était non admissible à des prestations d'assurance-emploi parce que n'était pas atteint le nombre mi nimum d'heures requis pour donner droit à l'assurance-emploi. Pour le groupe témoin, l'information est tout aussi lacunaire. Sans une telle information, il est difficile ou impossible de déterminer l'effet préjudiciable, sur le groupe de la défenderesse, p ar rapport au groupe témoin, du nombre minimum d'heures donnant droit à des prestations.

[25]On pourrait déduire des données statistiques que certains membres du groupe de la défenderesse étaient non admissibles à l'assurance-emploi en 1999. Il semble que 179 000 personnes sans travail en 1999 avaient travaillé à temps partiel au cours des 12  mois antérieurs et que, parmi ce groupe, certains étaient non admissibles à l'assurance-emploi parce qu'ils n'avaient pas atteint le nombre minimum d'he ures qui leur aurait donné droit à des prestations. Cependant, la ventilation entre hommes et femmes n'est pas indiquée, et il n'y a pas de ventilation pour les femmes exerçant des responsabilités parentales.

[26]Les données montrent que, po ur les femmes du groupe d'âge des 25 à 44  ans, 32,5 p. 100 travaillaient à temps partiel en 1999 parce qu'elles devaient s'occuper d'enfants. Pour toutes les femmes qui travaillaient à temps partiel en 1999, seulement 15,6  p. 100 le faisaient parce qu'elle s devaient s'occuper d'enfants. Il peut s'agir là d'une bonne mesure supplétive pour une partie du groupe de la défenderesse. Cependant, elle n'indique pas quel pourcentage du groupe de la défenderesse travaillait à temps plein, ni d'ailleurs quel pourcent age était sans travail en 1999 mais avait également travaillé à temps partiel au cours des 12  mois antérieurs, ou quel pourcentage de ce groupe était non admissible parce que n'était pas atteint le nombre minimum d'heures donnant droit à des prestations.

[27]Sans de bonnes données statistiques, il serait hasardeux de faire le genre de comparaisons que la défenderesse demande à la Cour de faire, c'est-à- dire d'affirmer que le groupe de la défenderesse subit une réelle différence de traitement à cause du nombre d'heures de travail dont il doit justifier pour avoir droit à des prestations d'assurance-emploi, par rapport à la situation qui a cours pour le groupe témoin.

[28]Cela ne veut pas dire que certaines généralisations ne peuvent pas être faites. Par exemple, les parties se sont accordées pour dire que le groupe touché par la règle du nombre minimal d'heures était très petit par rapport au nombre total de femmes qui travaillent et qui ont charge d'enfants. En d'autres termes, la grande majorité des membres du groupe de la défenderesse ne sont pas concernés par le nombre minimum d'heures donnant droit à des prestations: voir le témoignage en ce sens de Mme  Nakamura, dossier du demandeur, vol. 1, page 378. Cependant, les petits nombres ne suffisent pas à excuser la discrimination lorsque les personnes concernées sont exclues du bénéfice des prestations. Néanmoins, l'importance du problème est quelque peu mise en perspective. Nous n'avons pas affaire à une situati on où un groupe tout entier se voit refuser des prestations, ni d'ailleurs à une situation où un pourcentage important du groupe est exclu. À cet égard, la présente affaire se distingue de la plupart des affaires de protection sociale faisant intervenir l'article  15: voir par exemple Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624; Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513; Collins c. Canada, [2000] 2 C.F. 3 (1re inst.), confirmé en appel [2002] 3  C.F. 320 (C.A.).

[29]Dans son témoignage devant le juge-arbitre, Mme Nakamura, qui est professeur au département des Finances et des Sciences de la gestion de l'Université de l'Alberta, et qui a mené une étude concernant l'incidence du nouveau système d'AE sur les bénéficiaires, a confirmé que, en ce qui concerne la défenderesse et son groupe, nous avons affaire à un très petit sous-ensemble qui a sans doute perdu une protection dans le nouveau système, mais que des mesures complémentaires ont été prises pour adoucir la situation. Il convient de se rappeler que l'ancien système utilisait, comme conditions d'admissibilité, les semaines et les heures travaillées plutôt que simplement les heures. Voici comment elle s'est exprimée en réponse à une question du juge-arbitre portant sur les mères travaillant à temps partiel qui sont âgées de 25 à 54 ans et qui doivent jongler avec leur emploi du temps pour pouvoir travailler:

LE JUGE-ARBITRE: Supposons que la preuve établisse que les femmes de cette catégorie, par rapport aux hommes de cette catégorie, sont préjudiciées. Est-il juste de dire qu'elles peuvent être abandonnées en route pour que nous puissions protéger les trois autres exemples que vous avez donnés?

LE TÉMOIN: Certaines ont été abandonnées en route. La plupart des gens qui ne sont pas protégés par le régime d'assurance-emploi n'étaient pas protégés par le régime d'assurance-chômage. Il y a un petit sous-ensemble très spécial qui a cessé d'être protégé en passant de l'assurance- chômage à l'assurance-emploi, ainsi que le montrent toutes les études. Cependant, outre ce constat, certaines choses ont été faites expressément en vue d'alléger ce genre de situation. Une personne se trouvant dans cette situation devait presque tirer un autre revenu de quelque part.

L'une des choses qui ont été faites a consisté à introduire un supplément au crédit d'impôt pour enfant. Toutes les familles qui en bénéficiaient ont donc obtenu un supplément à ce titre. Une deuxième chose qui a été faite a consisté à examiner les aménagements prévoyant par exemple la perception de sommes auprès d'un conjoint absent. C'est un point dont on s'est beaucoup préoccupé, et l'on a assidûment considéré d'autres aspects, d'autres programmes, pour trouver le moyen d'introduire un soutien complémentaire.

J'imagine qu'un autre aspect clé était le sentiment que, si vous alliez prendre de l'argent dans les poches de certaines familles pour le donner à d'autres familles, les familles à qui vous preniez cet argent ne devaient pas se trouver dans une situation moins avantageuse que celles à qui vous le donniez. C'était là une préoccupation tant pour l'assurance-chômage que pour l'assurance-emploi. [Non souligné dans l'original; dossier du demandeur, vol. 1, p. 362 et 363.]

À la page 378 du dossier du demandeur, à propos des personnes qui travaillent moins de 700 heures au cours d'une année de travail de 2 000 heures, elle s'est alors exprimée ainsi:

[traduction] Le nombre total de gens dans ce pays qui, au cours d'une période de cinq ou dix ans, ne travaillent pas plus de 700 heures au cours d'une année donnée est un très petit sous-ensemble de la population. Et notamment un petit sous-ensemble des femmes au travail.

[30]Dans une étude rendue publique en 2000 relative à l'incidence du nouveau système fondé sur un nombre minimal d'heures, Opinion Report, dossier du demandeur, volume 5, à la page 3957, Mme Nakamura affirmait qu'il était [traduction] «encore trop tôt pour pouvoir définitivement évaluer nombre des nouveaux aspects du programme, puisque ces aspects ont été introduits au fil du temps, et vu également que les procédures d'évaluation de l'expérience acquise n'auront leur plein effet que lorsque les participants au programme auront eu le temps de constituer pour l'assurance-emploi des périodes de prestations». Elle a ajouté que «néanmoins, certains schémas semblent se faire jour». Aux pages 3957 et 3958, elle écrivait:

[traduction] Jusqu'à maintenant, on observe que les effets nets de l'assurance-emploi sur l'accessibilité au travail sont très modestes, mais que l'AE a peut-être entraîné des périodes moyennes de chômage un peu plus brèves. Une étude attentive est nécessaire pour faire une distinction entre les effets du programme et les effets de l'évolution de la conjoncture économique. Néanmoins, à ce stade, je crois que le passage au système de l'assurance-emploi a entraîné une augmentation nette de l'admissibilité et que les nombres de travailleurs qui auraient été admissibles à l'assurance-chômage et qui n'ont pas été admissibles à l'assurance-emploi sont faibles également.

Les enquêtes mensuelles sur la population active menées par Statistique Canada montrent aussi qu'il est généralement vrai qu'un nouvel emploi créé après l'entrée en vigueur de l'assurance-emploi a moins de chances d'être inférieur à 15 heures par semaine et davantage de chances d'être supérieur à 30 heures. Les résultats d'une évaluation complète sont nécessaires pour déterminer la mesure dans laquelle ces changements et autres changements observés sont attribuables aux nouvelles conditions d'admissibilité pour certains groupes de travailleurs, ou plutôt au fait que l'admissibilité ne dépend plus maintenant du nombre de semaines mais du nombre d'heures. Les résultats d'une pleine évaluation sont également nécessaires pour établir si les effets de l'assurance-emploi sont ceux que l'on prévoyait pour les travailleurs selon différents types de familles. [Non souligné dans l'original.]

[31]Dans son témoignage devant le juge-arbitre, elle a souligné certaines des difficultés qu'entraînerait un changement des CMA pour un groupe de travailleurs comme le groupe de la défenderesse. Aux pages 363 à 365 du dossier du demandeur, vol. 1, les propos suivants échangés avec le juge-arbitre font état de ces difficultés, dont l'une, importante, est qu'aucun groupe en particulier n'est uniformément défavorisé par les conditions d'admissibilité:

LE JUGE-ARBITRE: -- Je suis d'accord avec vous, il doit y avoir des arbitrages. Mais si les arbitrages sont tels qu'ils sont préjudiciables à un groupe particulier et si on ne les corrige pas, n'est-ce pas là que la loi risque d'échouer?

LE TÉMOIN: Mais comment définit-on ce groupe? Je ne puis discerner ici un groupe qui soit uniformément préjudicié. À l'intérieur du groupe qui, selon ce que j'ai compris, constitue le groupe des mères âgées de 25 à 44 dont le profil professionnel doit s'adapter à leurs responsabilités parentales, il y en avait qui étaient favorisées par la législation et d'autres qui étaient préjudiciées par elle. Voilà une première chose.

Deuxièmement, je ne suis pas juriste, vous l'êtes, mais j'imagine que, en pressentant cette loi que vous alliez adopter, vous avez dû vous demander: comment savoir si une personne se trouve dans ce groupe? Vais-je établir un régime spécial pour les gens qui travaillent peu d'heures parce qu'ils ont des responsabilités parentales? Vais-je faire enquête pour savoir si c'est la raison pour laquelle ils travaillent peu d'heures, par opposition à la situation où ils travaillent tout simplement peu d'heures, ont également un revenu relativement élevé et ont une gouvernante qui s'occupe de leur enfant?

Beaucoup de gens travaillent peu d'heures pour toutes sortes de raisons. Ferons-nous enquête pour tenter de savoir pourquoi ils travaillent peu d'heures? En matière de protection sociale, nous enquêtons sur les gens. Nous faisons cela non parce que cela nous fait du bien, mais parce que, si l'on prend de l'argent à certains pour le donner à d'autres, d'une manière qui n'a aucun rapport avec les principes de l'assurance, ceux à qui nous le prenons voudront s'assurer que ceux à qui il est donné sont moins nantis qu'eux.

Nous n'avons pas voulu avoir ce genre d'enquête dans l'assurance-chômage parce que, en premier lieu, c'est un procédé invasif. Il doit s'agir d'un programme s'adressant à l'ensemble de la société. Des enquêtes portant sur chacun de nous seraient excessivement coûteuses et excessivement onéreuses. Sans compter qu'elles nécessiteraient beaucoup de temps. [Non souligné dans l'original.]

[32]En conclusion, il est juste de dire qu'il y a une rareté de preuves statistiques probantes portant sur la présumée différence de traitement à l'encontre du groupe de la défenderesse à raison de caractéristiques personnelles. La preuve montre qu'aucun groupe n'est uniformément préjudicié. Elle révèle aussi que le nouveau système d'assurance-emploi a conduit à une augmentation nette de l'admissibilité et que le nombre de travailleurs qui auraient eu droit à des prestations selon l'ancien système et qui n'ont pas eu droit à des prestations dans le nouveau système est faible. Elle montre aussi que le groupe de la défenderesse est un petit sous-ensemble très particulier des petits groupes de travailleurs qui ont perdu quelque chose dans le passage au nouveau système, et de toute façon ce ne sont pas tous les membres de ce sous-ensemble qui ont perdu quelque chose, parce que certains ont eu droit à des prestations alors qu'ils n'auraient pas eu ce droit dans l'ancien système: voir l'extrait du témoignage, au paragraphe 30.

[33]Malgré cela, comme le disait le juge Iaccobuci dans l'arrêt Law, au paragraphe 66, «la violation du par. 15(1) peut être démontrée à l'aide d'autres moyens et peut exister même si aucune autre personne possédant les mêmes caractéristiques que le demandeur ne subit le même traitement injuste». J'admets que d'autres personnes partagent les mêmes caractéristiques que la défenderesse et n'ont pu obtenir les prestations. Je doute qu'il existe un lien de causalité entre le refus des prestations et les présumées caractéristiques, mais je suis également disposé à admettre que la défenderesse a été traitée différemment à cause de son sexe et de son rôle parental.

[34]Avant de clore cet aspect, je voudrais examiner un argument additionnel soulevé par l'avocat du demandeur.

[35]La revendication de la défenderesse est une revendication faite en sa qualité de «femme exerçant des responsabilités parentales et travaillant à temps partiel». Le juge-arbitre a d'ailleurs conclu au paragraphe 59 de sa décision qu'une mère qui travaille à temps partiel en raison de ses responsabilités non rémunérées ne devrait pas être moins protégée par l'assurance-emploi pour ce motif. L'avocat du demandeur a fait valoir que, ainsi que le montre cette affirmation, le juge-arbitre mettait l'accent non plus sur la situation parentale uniquement, mais sur une combinaison de la situation parentale et de la situation professionnelle. Par conséquent, selon lui, le juge-arbitre a commis une erreur de droit parce que la situation professionnelle n'est pas une caractéristique personnelle immuable: voir l'arrêt Delisle c. Canada (Sous-procureur général), [1999] 2 R.C.S. 989, le juge Bastarache, au paragraphe 44; Corbiere, précité; Canada (Procureur général) c. Taylor (1991), 81 D.L.R. (4th) 679 (C.A.F.).

[36]Je ne crois pas cependant que, parlant des travailleurs à temps partiel, le juge-arbitre évoquait par là une caractéristique personnelle de la défenderesse. Je crois qu'il évoquait simplement les circonstances dans lesquelles, ou le moment auquel, la défenderesse et les membres de son groupe sont discriminés. Autrement dit, c'est tout simplement une autre manière de dire que la défenderesse, en tant que femme ayant charge d'enfants, est l'objet d'une discrimination selon la Loi lorsqu'elle travaille à temps partiel.

La différence de traitement subie par la défenderesse est-elle fondée sur des motifs énumérés ou analogues?

[37]La conclusion du juge-arbitre sur la question des motifs analogues, tels que ces mots sont employés dans l'article 15 de la Charte, se trouve au paragraphe 59 de sa décision. J'ai déjà reproduit ce paragraphe. Il ne fait aucun doute que le juge-arbitre a conclu que la situation parentale est un motif analogue au sens de l'article 15. Je crois qu'il est juste de dire, après lecture attentive de sa décision, qu'il l'a combinée avec le sexe pour former un motif analogue: les femmes exerçant des responsabilités parentales. J'admets avec lui que cette situation est immuable jusqu'à ce que les enfants ne requièrent plus que l'on s'occupe d'eux. La période d'immutabilité est à mon avis suffisamment longue pour satisfaire aux conditions qui président à la définition de nouveaux motifs analogues, parce que le motif reconnu dans le cas présent est «fondé sur des caractéristiques qu'il nous est impossible de changer ou que le gouvernement ne peut légitimement s'attendre que nous changions pour avoir droit à l'égalité de traitement garantie par la loi»: voir l'arrêt Corbiere c. Canada, précité, au paragraphe 13, les juges McLachlin et Bastarache.

[38]Par conséquent, je suis persuadé que la différence de traitement dans le cas qui nous occupe est fondée sur un motif analogue. Ce qui me conduit à la dernière étape de l'analyse selon le paragraphe 15(1), c'est-à-dire la question de savoir si la différence de traitement entraîne une discrimination.

La différence de traitement équivaut-elle à discrimina-tion selon le paragraphe 15(1)?

[39]L'objet du paragraphe 15 est «d'empêcher toute atteinte à la dignité et à la liberté humaines essentielles par l'imposition de désavantages, de stéréotypes et de préjugés politiques ou sociaux, et de favoriser l'existence d'une société où tous sont reconnus par la loi comme des êtres humains égaux ou comme des membres égaux de la société canadienne, tous aussi capables, et méritant le même intérêt, le même respect, et la même considération»: voir l'arrêt Law, précité, au paragraphe 51.

[40]C'est la troisième étape de l'analyse selon le paragraphe 15(1) qui est le plus directement concernée par la notion de dignité humaine. La question primordiale ici est de savoir «si la loi ou la disposition contestée perpétue l'idée selon laquelle certaines personnes sont moins capables ou moins dignes de reconnaissance ou de valeur en tant qu'êtres humains ou en tant que membres de la société canadienne». Une revendicatrice doit montrer qu'il est porté atteinte à sa dignité humaine et/ou à sa liberté: voir Lavoie c. Canada (2002), 210 D.L.R. (4th) 193 (C.S.C.), aux paragraphes 42 et 47. Selon la Cour suprême, il doit s'agir d'un critère objectif-subjectif, dont la partie objective doit être comprise à la lumière de divers facteurs contextuels. Comme l'expliquait le juge Iacobucci, au paragraphe 61, dans l'arrêt Law, précité:

L'analyse relative à l'égalité selon la Charte tient compte de la perspective d'une personne qui se trouve dans une situation semblable à celle du demandeur, qui est informée et qui prend en considération de façon rationnelle les divers facteurs contextuels servant à déterminer si la loi contestée porte atteinte à la dignité humaine, au sens où ce concept est interprété aux fins du par. 15(1).

[41]Dans l'arrêt Lovelace c. Ontario, [2000] 1 R.C.S. 950, au paragraphe 55, le juge Iacobucci, rédigeant là encore l'avis unanime de la Cour, rappelait la nature balisée de la question de la dignité:

Eu égard à la portée et à la complexité du droit à la dignité humaine, l'analyse relative à la discrimination commande un examen exhaustif du contexte. Cette analyse contextuelle est toutefois balisée; elle s'attache à l'application de facteurs contextuels qui ont été considérés particulièrement susceptibles de révéler l'existence potentielle de discrimination réelle.

La nécessité d'une analyse contextuelle a de nouveau été soulignée dans l'arrêt Gosselin c. Québec (Procureur général), 2002 CSC 84; [2002] A.C.S. no 85 (QL), au paragraphe 24, le juge en chef McLachlin. Au paragraphe 25, elle y écrit, au nom des juges majoritaires:

La principale leçon à tirer de l'arrêt Law est qu'il faut procéder à un examen contextuel afin d'établir si une distinction entre en conflit avec l'objet du par. 15(1).

Cela se comprend car l'analyse contextuelle introduit un degré d'objectivité dans ce qui autrement pourrait être un exercice subjectif et donc injuste.

[42]La Cour suprême a défini quatre facteurs contextuels se rapportant à la troisième étape de l'analyse relative à la discrimination: i) la préexistence d'un désavantage, de stéréotypes, de préjugés ou d'une vulnérabilité; ii) la correspondance, ou l'absence de correspondance, entre le ou les motifs sur lesquels l'allégation est fondée et les besoins, les capacités ou la situation propres au demandeur ou à d'autres personnes; iii) l'objet ou l'effet d'amélioration de la loi ou de l'activité contestée eu égard à une personne ou un groupe défavorisé dans la société; et iv) la nature et l'étendue du droit touché par la loi ou activité contestée; voir l'arrêt Law, puis l'arrêt Lovelace, précité, aux paragraphes 68 et 69. Dans l'arrêt Gosselin, précité, au paragraphe 29, le juge en chef mentionnait que ces quatre facteurs, qui ne sont pas limitatifs, doivent être pris en compte, mais qu'aucun d'eux ne constitue un préalable pour conclure à l'existence d'une discrimination, et que tous les facteurs ne s'appliqueront pas dans tous les cas.

[43]Dans l'arrêt Lovelace, au paragraphe 57, le juge Iacobucci indiquait que «l'analyse fondée sur le par. 15(1) exige qu'un demandeur se réfère à des facteurs qui, dans le contexte, démontrent une atteinte au droit à la dignité humaine». Examinant les facteurs mis en avant, la Cour a souligné clairement l'obligation de les établir. Ainsi, dans cette affaire, la Cour a jugé que les groupes autochtones appelants avaient, en termes généraux, «certes établi la préexistence d'un désavantage, de stéréotypes et d'une situation de vulnérabilité», mais qu'ils «n'ont pas réussi à démontrer que le Fonds des Premières nations fonctionnait par l'application de stéréotypes»: voir le paragraphe 73 de l'arrêt. La nécessité d'établir des facteurs contextuels s'accorde avec l'obligation fondamentale de la revendicatrice selon l'article 15 de démontrer un effet discriminatoire. Selon l'obiter dictum du juge Iacobucci dans l'arrêt Law, au paragraphe 67, «[i]l n'y a aucun principe ni aucune présomption de preuve qu'une différence de traitement à l'égard des personnes historiquement défavorisées soit discriminatoire».

[44]Les arguments de la défenderesse, tant à l'audience que dans les actes de procédure, ne cherchent pas à établir la présence de ces facteurs contextuels, qui sont sans conteste pertinents dans la présente affaire. On relève très peu d'éléments de preuve concernant ces facteurs. Le juge-arbitre s'est lui-même peu intéressé, directement ou indirectement, aux facteurs susmentionnés, sauf peut-être au deuxième, comme nous le verrons. Quant aux trois autres facteurs, si tant est qu'il leur ait accordé une certaine attention, il ne les a nullement rattachés à un quelconque élément de preuve. J'effectuerai par conséquent mon propre examen de ces facteurs contextuels ainsi que l'a fait la Cour suprême dans l'arrêt Gosselin.

[45]Le premier des facteurs contextuels nous invite à considérer la préexistence d'un désavantage, d'un stéréotype, d'un préjugé ou d'une vulnérabilité propre à l'individu ou au groupe. Sans doute est-il vrai que les femmes se sont toujours heurtées à des obstacles à leur entrée dans le marché du travail et que ces obstacles sont enracinés dans des préjugés et des stéréotypes, mais la défenderesse n'a pas établi que, dans le contexte de l'assurance-emploi, les conditions minimales d'admissibilité en vigueur dans l'ancien système ont été la source d'une longue période de désavantages, de stéréotypes, de vulnérabilité et de préjugés. Comme on l'a mentionné plus haut, la défenderesse voudrait même revenir à l'ancien système. Elle n'a pas non plus établi que les nouvelles CMA s'appuient sur des stéréotypes ou des préjugés. Elles ne défavorisent ni ne rendent vulnérables la défenderesse ou les personnes dans la même situation qu'elle. La preuve montre que la grande majorité des femmes qui travaillent et qui ont de jeunes enfants travaillent davantage, durant leur période de référence, que ce qu'exigent les conditions minimales d'admissibilité et qu'elles ne sont pas défavorisées par ces conditions. Les conditions minimales d'admissibilité ne créent ni ne renforcent un stéréotype selon lequel les femmes devraient rester à la maison et s'occuper de leurs enfants. Elles ne portent pas atteinte à la dignité des femmes en donnant à entendre que leur travail mérite moins de reconnaissance. Quiconque travaille le nombre d'heures requis dans sa période de référence aura droit à des prestations. Ce serait une exagération que d'imaginer que des personnes raisonnables se trouvant dans la situation de la défenderesse se sentiraient diminuées en tant que travailleurs ou en tant que membres de la société du seul fait que, durant une année donnée, elles auraient manqué de peu d'avoir droit à des prestations d'assurance-emploi. J'imaginerais plutôt qu'une personne raisonnable aurait tout simplement l'impression d'avoir perdu de justesse son droit à des prestations, en raison d'un malheureux concours de circonstances.

[46]La correspondance entre le ou les motifs et les besoins, les capacités ou la situation propres au revendicateur ou à d'autres personnes est sans doute le seul facteur contextuel auquel le juge-arbitre a fait allusion dans son raisonnement. Il a estimé que, en fondant le seuil d'admissibilité et la définition de l'appartenance au marché du travail sur la semaine de travail moyenne de 35 heures, les conditions d'admissibilité négligeaient de prendre en compte le fait que la semaine de travail moyenne des femmes dans la population active rémunérée est inférieure à cette moyenne. Il a aussi fait état d'éléments de preuve indiquant que les femmes accomplissent davantage d'obligations non rémunérées que les hommes.

[47]À mon avis, ces considérations n'offrent pas au juge-arbitre une base suffisante l'autorisant à conclure que les conditions contestées ne correspondent pas aux besoins réels de la revendicatrice et des personnes dans son cas. En fait, le dossier renferme de nombreux éléments qui indiquent le contraire. Si l'on est passé à un système fondé sur les heures travaillées, c'est en partie pour favoriser une flexibilité qui tienne compte de la diversité actuelle des modes d'organisation du travail. On peut donc affirmer que la nouvelle loi prend en considération les particularités et circonstances des femmes qui exercent des responsabilités parentales, en leur permettant de structurer d'une manière plus souple leur emploi rémunéré afin que davantage d'entre elles soient en mesure d'obtenir des prestations dans le nouveau système, alors qu'elles n'en auraient pas été capables dans l'ancien système. Durant son témoignage, Mme Nakamura a évoqué, pour certaines femmes mariées ayant des enfants, un mode d'appartenance au marché du travail dans lequel elles travaillent deux heures par jour le matin, cinq jours par semaine, et font un poste de huit heures le samedi. En travaillant 36 semaines les jours de semaine et 44 semaines les samedis, ces travailleuses accumulent 712 heures et se qualifient maintenant pour des prestations générales et des prestations de maternité ainsi que pour une formation, alors qu'elles en auraient été exclues dans l'ancien système: voir le dossier du demandeur, volume 1, pages 360 et 361.

[48]Le législateur savait aussi que certaines femmes exerçant des fonctions parentales n'auraient pas droit à des prestations d'assurance-emploi et qu'un revenu serait nécessaire d'autres sources pour compenser le désavantage pouvant résulter de l'exclusion. Examinant d'autres moyens d'y parvenir, il a prévu des crédits supplémentaires d'impôt pour enfants et pris des mesures pour améliorer le recouvrement de sommes auprès de conjoints absents, comme le faisait remarquer Mme Nakamura dans son témoignage: voir l'extrait repris au paragraphe 29.

[49]Le troisième facteur contextuel, qui concerne l'effet d'amélioration de la loi, n'est au premier chef utile que dans les cas que l'on appelle la discrimination inversée. Comme l'expliquait le juge Iacobucci dans l'arrêt Law, précité, au paragraphe 88, un objet ou effet d'amélioration qui s'accorde avec l'objet du paragraphe 15(1) de la Charte ne portera probablement pas atteinte à la dignité humaine de personnes favorisées lorsque l'exclusion de ces personnes favorisées correspond largement aux besoins plus grands ou à la situation différente que connaît le groupe défavorisé visé par la loi. La présente affaire n'est pas un cas de discrimination alléguée par une personne «favorisée». Il est vrai cependant que la législation présente un vaste objet d'amélioration. Elle a pour objectif le versement d'un revenu d'appoint aux cotisants importants qui se trouvent temporairement sans travail. Elle le fait d'ailleurs d'une manière qui tient compte des taux régionaux de chômage. L'objet de la loi s'accorde avec les valeurs d'égalité intégrées dans le paragraphe 15(1) de la Charte.

[50]Le quatrième facteur contextuel nous invite à considérer la nature et l'étendue du droit touché par la loi contestée. Plus graves et plus ciblées sont les conséquences de la loi pour le groupe concerné, plus il est probable qu'il y aura discrimination. En l'espèce, les conséquences ne sont ni graves ni indûment ciblées vers les femmes qui exercent des responsabilités parentales. De fait, la preuve ne révèle aucun ciblage. La différence de traitement existe entre ceux et celles qui atteignent ou dépassent le nombre requis d'heures travaillées, et ceux et celles qui n'atteignent pas ce nombre. Elle n'est pas concentrée d'une manière statistiquement significative sur les femmes et/ou sur les femmes ayant des responsabilités parentales: voir le témoignage de Mme Nakamura, repris plus haut au paragraphe 31.

[51]Eu égard à ce qui précède, je suis d'avis que la défenderesse n'a pas réussi à établir l'un ou plusieurs des facteurs contextuels qui appuieraient son affirmation selon laquelle il a été porté atteinte à sa dignité dans le contexte du paragraphe 15(1) de la Charte. Je prends acte des observations du juge Iacobucci, dans l'arrêt Law, au paragraphe 88, où il affirme qu'il n'est pas toujours nécessaire pour le demandeur de produire une preuve attestant une atteinte à sa dignité et qu'il y aura des cas où le juge pourra conclure à une telle atteinte à la suite d'un raisonnement ou parce qu'il l'aura reconnue d'office. Cependant, je crois que je forcerais à l'excès, au point de le déformer, le concept de connaissance judiciaire, et que j'agirais au mépris de l'équité dans cette affaire si je devais conclure, sur ce seul fondement, qu'il y a violation de la dignité humaine à la lumière du contexte historique, social, politique et juridique de la défenderesse et à la lumière des nouvelles conditions d'admissibilité aux prestations d'assurance-emploi. Les événements qui caractérisent le contexte de la défenderesse, de même que la raison d'être des nouvelles conditions d'admissibilité, sont trop sujets à controverse pour se prêter à l'exercice de ce pouvoir judiciaire. Il ne saute nullement aux yeux que la distinction en cause a pour effet de porter atteinte à la dignité de la défenderesse ou des personnes dans son cas. Les conditions d'admissibilité ne sont pas la manifestation d'un manque de respect ou d'une perte de dignité. Il s'agit d'un instrument administrativement nécessaire conçu pour répondre aux exigences d'un régime viable d'assurance par cotisations.

Les paragraphes 6(1) et 7(2) de la Loi sont-ils validés par l'article premier de la Charte?

[52]Si ma conclusion est erronée et si les paragraphes 6(1) et 7(2) de la Loi portent effectivement atteinte aux droits à l'égalité conférés par l'article 15 de la Charte, alors je crois que ces dispositions sont validées par l'article premier.

Existe-t-il un objectif urgent et réel?

[53]Le juge-arbitre a estimé que la Loi n'était pas urgente et réelle. Dans cette demande de contrôle judiciaire, l'avocat de la défenderesse a admis que la Loi répond à un objectif urgent et réel parce que l'objet déclaré d'assurer un revenu d'appoint au travailleur qui perd son emploi ou est incapable de travailler pour cause de maladie, d'accouchement ou de responsabilités parentales est un objectif urgent et réel. Il a aussi reconnu que les conditions d'admission sont des objectifs légitimes, urgents et réels, mais a fait valoir que ces objectifs pourraient être atteints plus efficacement par des moyens autres que les moyens prévus dans les paragraphes 6(1) et 7(2). Il n'est pas contesté que les CMA ont les objets suivants: éliminer les stimulants fiscaux qui encourageaient les employeurs à créer des emplois à temps partiel comptant moins de 15  heures de travail par semaine; veiller à ce que les prestataires puissent justifier d'un minimum d'appartenance au marché du travail, réduire le niveau général de dépendance à l'égard des prestations d'assurance-emploi; enfin établir un régime viable sur le plan budgétaire, dans lequel les prestations sont proportionnelles aux cotisations. Cependant, l'avocat de la défenderesse a fait valoir par exemple qu'il est tout à fait possible de modifier la notion actuelle de condition d'admission par l'adoption d'une combinaison différente sans modifier l'incidence budgétaire sur le régime. Je reviendrai sur cet aspect lorsque j'examinerai la notion d'atteinte minimale aux droits à l'égalité.

[54]Je suis donc d'avis que la Loi tout comme les dispositions contestées répondent à des objectifs valides qui sont urgents et réels.

Y a-t-il un lien rationnel entre les objectifs du législateur et les dispositions contestées?

[55]L'avocat de la défenderesse a prétendu qu'il n'y a pas de lien rationnel entre d'une part des conditions minimales d'admissibilité qui se focalisent uniquement sur les heures travaillées et d'autre part l'objectif de garantir un minimum d'appartenance au marché du travail. Le juge-arbitre s'est rangé à cet argument parce que, à son avis, l'appartenance au marché du travail trouve davantage son expression dans la durée de l'appartenance et dans des CMA qui rendent compte de cette idée de durée. Ainsi, une personne pourrait travailler seulement deux heures par semaine pendant des années et justifier d'une forte appartenance au marché du travail. L'avocat de la défenderesse a d'ailleurs souligné clairement qu'il voudrait revenir à l'ancien système, qui stipulait une durée en semaines, doublée d'un nombre minimum d'heures.

[56]Je ne vois malheureusement pas comment l'on peut affirmer que le nombre d'heures travaillées est sans rapport avec l'appartenance au marché du travail, ou ne présente pas de lien rationnel avec une telle appartenance. Le nombre d'heures fait intervenir une idée de durée qui peut être transposée en jours et en semaines. Il est quelque peu ironique de constater que la défenderesse voit volontiers dans le nombre de semaines un lien rationnel avec l'appartenance au marché du travail, mais aucun lien du genre dans un système fondé sur le nombre d'heures travaillées alors que, à toutes fins utiles, elle trouve que l'exigence minimale de 700 heures est une durée trop longue. Le nombre d'heures n'est peut-être pas la meilleure mesure de l'appartenance. Ce n'est certainement pas celle que souhaite la défenderesse, mais il n'empêche que cette mesure constitue un indice d'appartenance qui présente un lien rationnel avec l'appartenance au marché du travail.

[57]L'avocat de la défenderesse affirme que les CMA, dans leur forme actuelle, ne découragent pas l'usage impropre de la Loi. Pourtant, la défenderesse voudrait un abaissement du seuil. Cependant, un seuil minimum, à un certain niveau, vise à prévenir les cas où des travailleurs ne montrent guère d'attachement à un travail rémunéré et choisissent le plus souvent de percevoir des prestations d'assurance-chômage au lieu de conserver ce travail. Encore une fois, et je le dis avec respect, je vois un lien rationnel entre un seuil minimum et l'objectif de prévenir un usage impropre de la Loi.

[58]Il m'apparaît d'ailleurs incontestable que le système fondé sur les heures travaillées présente aussi un lien rationnel avec deux autres importants objectifs de la Loi. Le premier était l'élimination des stimulants fiscaux encourageant les employeurs à créer des emplois à temps partiel comptant moins de 15 heures par semaine, grâce à quoi ils pouvaient se dispenser de verser des contributions au régime, en laissant leurs employés sans assurance. Le deuxième objectif visait à instituer un régime viable sur le plan budgétaire, dans lequel les prestations seraient en rapport avec les cotisations. Un régime d'assurance par cotisations requiert en effet qu'une ligne soit tracée quelque part afin de pouvoir fonctionner efficacement et de rester viable. Les CMA énoncées aux paragraphes 6(1) et 7(2) tracent cette ligne indispensable et présentent sans conteste un lien rationnel avec cet objectif.

[59]Finalement, l'un des objectifs déclarés de la nouvelle loi était de faire en sorte que le régime d'assurance-emploi demeure au diapason de l'évolution du marché du travail: voir le témoignage de P. Phillips, dossier du demandeur, volume 4, pages 3281 et 3282. Comme le donne à penser l'intention du législateur, il était nécessaire et souhaitable de rendre le système plus souple pour qu'il réponde mieux à une variété grandissante d'aménagements atypiques du travail, jusque-là peu fréquents, notamment la montée du travail à temps partiel et la participation accrue des femmes dans la nouvelle économie.

[60]Après de longues et substantielles études, consultations et discussions, le législateur a pensé qu'une condition fondée sur le nombre d'heures travaillées offrait cette souplesse puisque chaque heure de travail, qu'elle résulte d'un seul emploi à temps partiel ou de plusieurs, serait comptée dans les cotisations du travailleur au régime. Je suis convaincu que les CMA présentent un lien rationnel également avec cet objectif.

[61]Je regrette de devoir le dire mais, à mon avis, le juge-arbitre a méconnu certains objectifs fondamentaux de la Loi et des dispositions contestées lorsqu'il a mesuré le lien rationnel présenté par les CMA. S'il s'était penché sur les objectifs en question, je crois qu'il aurait constaté un lien rationnel entre d'une part les exigences fondées sur le nombre d'heures travaillées et d'autre part les objectifs de la Loi et ceux des paragraphes 6(1) et 7(2).

Les dispositions restreignent-elles d'une manière minimale les droits à l'égalité conférés par l'article 15?

[62]La Cour suprême a mis en garde les tribunaux contre l'adoption d'une attitude indûment rigoureuse dans la question de la restriction minimale. Dans l'arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, au paragraphe 160 et suivants, le juge McLachlin (tel était alors son titre) décrivait ainsi l'attitude à adopter:

La restriction doit être «minimale», c'est-à-dire que la loi doit être soigneusement adaptée de façon à ce que l'atteinte aux droits ne dépasse pas ce qui est nécessaire. Le processus d'adaptation est rarement parfait et les tribunaux doivent accorder une certaine latitude au législateur. Si la loi se situe à l'intérieur d'une gamme de mesures raisonnables, les tribunaux ne concluront pas qu'elle a une portée trop générale simplement parce qu'ils peuvent envisager une solution de rechange qui pourrait être mieux adaptée à l'objectif et à la violation [. . .] Par contre, si le gouvernement néglige d'expliquer pourquoi il n'a pas choisi une mesure beaucoup moins attentatoire et tout aussi efficace, la loi peut être déclarée non valide. [Non souligné dans l'original.]

[63]Par conséquent, un facteur important de l'analyse de la restriction minimale est la mesure dans laquelle la Cour doit déférer au législateur. La Loi établit un programme complexe d'assurance soumis à des conditions rigides. L'exigence d'un nombre minimum d'heures donnant droit à des prestations fait partie intégrante du régime d'assurance. Le nombre minimum d'heures donnant droit à des prestations est nécessaire pour assurer l'intégrité budgétaire du programme et empêcher les abus. Le nombre d'heures donnant droit à des prestations varie selon le lieu géographique, d'après les estimations des possibilités d'emploi existant dans telle ou telle région. L'absence d'un seuil modifierait la nature de ce programme et en ferait un programme d'aide sociale.

[64]Le cas de la défenderesse est instructif. Mme Lesiuk a travaillé 667 heures au cours de la période pertinente de 12 mois. Si elle avait été sans travail à Brandon, où elle avait travaillé, elle aurait eu droit à l'assurance-emploi parce que, à Brandon, le nombre minimum d'heures donnant droit à des prestations était à l'époque de 665 heures. Cependant, sa demande d'assurance-emploi résultait de sa décision de déménager à Winnipeg pour rejoindre son mari. On lui a dit qu'il lui faudrait demander des prestations d'assurance-emploi à Winnipeg parce que c'était l'endroit où elle résidait et où elle trouverait des possibilités d'emploi. Cependant, comme les emplois étaient plus faciles à trouver à Winnipeg qu'à Brandon, le nombre minimum d'heures donnant droit à des prestations à Winnipeg était de 700. Il lui manquait donc 33 heures et elle n'avait pas droit à l'assurance-emploi.

[65]Le cas de Mme Lesiuk illustre la complexité du programme d'assurance-emploi. Son cas, et bien d'autres qui retiennent l'attention des juges-arbitres, suscitent la sympathie et je comprends le dépit que Mme Lesiuk a dû ressentir en constatant qu'elle répondait au nombre minimum d'heures à Brandon mais non à Winnipeg. Peut-être cette situation milite-t-elle en faveur d'une modification du règlement [Règlement sur l'assurance-emploi, DORS/96-332] pour que soit appliqué le nombre minimum d'heures donnant droit à des prestations à l'endroit où les heures ont été accumulées, plutôt qu'à l'endroit où déménage l'éventuel prestataire. Il y a sans aucun doute aussi des arguments contraires.

[66]Ce que cela montre, c'est que, dans un programme complexe tel que l'assurance-emploi, la Cour, qui n'est pas spécialisée dans ce domaine, n'est pas bien placée pour proposer des modifications à des programmes du genre. À mon humble avis, ce n'est pas là un cas où la Cour devrait superposer à un programme déjà complexe les autres ajustements pouvant s'imposer. Je ne dis pas qu'une différence entre les conditions minimales imposées au groupe de la défenderesse et les conditions minimales imposées aux hommes n'est pas souhaitable. Cependant, un tel changement donnera évidemment lieu à d'autres considérations. Le seuil prévu pour le groupe de la défenderesse devrait-il être abaissé ou le seuil prévu pour les hommes devrait-il être augmenté? Si un écart est déterminant, devrait-il y avoir d'autres exigences minimales pour le groupe de la défenderesse, et en quoi devraient-elles consister? Y a-t-il d'autres groupes pouvant justifier des exigences moindres? À quels groupes devraient-ils être comparés et quelles exigences additionnelles devraient être imposées à ces groupes, le cas échéant? Comment la Cour doit-elle évaluer et minimiser la désorganisation subie par les économies des différentes régions?: voir le témoignage de Mme Nakamura, où elle mentionne que c'était là une préoccupation importante du gouvernement lorsqu'il est passé de l'ancien système au nouveau. Dossier du demandeur, vol. 1, page 70.

[67]Quelle que soit la condition minimale d'admission, il y aura toujours des personnes ou des groupes de personnes qui ne pourront se qualifier pour des prestations. Les deux commentaires suivants formulés par les juges majoritaires et exposés au paragraphe 55 de l'arrêt Gosselin sont à propos ici:

Il est possible de conclure qu'une disposition contestée ne viole pas le par. 15(1) de la Charte canadienne même en l'absence de correspondance parfaite entre un régime de prestations et les besoins ou la situation du groupe demandeur. On peut éprouver de la sympathie pour les personnes qui, pour une raison ou une autre, n'ont peut-être pas pu participer aux programmes. Cependant, le fait qu'un programme social donné ne réponde pas aux besoins de tous, sans exception, ne nous permet pas de conclure que ce programme ne correspond pas aux besoins et à la situation véritables du groupe concerné. Comme l'a souligné le juge Iacobucci dans Law, précité, au par. 105, nous ne devrions pas exiger «qu'une loi doit[ve] toujours correspondre parfaitement à la réalité sociale pour être conforme au par. 15(1) de la Charte». L'élaboration d'un régime d'aide sociale destiné à répondre aux besoins des jeunes adultes est un problème complexe, auquel il n'existe pas de solution parfaite. Quelles que soient les mesures adoptées par le gouvernement, il existera toujours un certain nombre de personnes auxquelles un autre ensemble de mesures aurait mieux convenu. Le fait que certaines personnes soient victimes des lacunes d'un programme ne prouve pas que la mesure législative en cause ne tient pas compte de l'ensemble des besoins et de la situation du groupe de personnes touché, ni que la distinction établie par cette mesure crée une discrimination réelle au sens du par. 15(1).

Notre rôle dans une telle situation est de nous assurer que le législateur a été raisonnable dans le choix qu'il a fait de l'endroit où la ligne doit être tracée. Je suis convaincu que le choix du législateur ici entre dans une gamme de solutions raisonnables. C'est au législateur, non aux tribunaux, que doivent s'adresser la défenderesse et les deux intervenants dans la présente affaire, le Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes et le Centre d'action pour la sécurité du revenu.

Le critère de proportionnalité: la réduction du droit l'emporte-t-elle sur la réalisation de l'objectif législatif?

[68]La dernière étape de l'analyse selon l'article premier suppose une mise en équilibre: les effets réducteurs des dispositions contestées l'emportent-ils sur l'importance de l'objectif recherché? Comme le disait le juge Bastarache dans l'arrêt Lavoie, précité, au paragraphe 70, cette étape:

[. . .] se rapporte à la nature de l'atteinte et vise à déterminer si les coûts l'emportent sur les avantages. Conclure à la quatrième étape à l'existence d'une violation signifie que même une atteinte minimale est trop coûteuse: les coûts pour le demandeur l'emportent tellement sur les avantages qu'on ne peut tirer réconfort du fait que la loi porte atteinte à la Charte «aussi peu que raisonnablement possible». De plus, lorsque les coûts de la loi sont suffisamment importants et que la loi n'atteint que partiellement ses objectifs, une preuve plus soutenue de ses avantages peut être nécessaire pour survivre à l'analyse selon l'article premier.

[69]Comme je l'ai dit plus haut, la Loi sur l'assurance-emploi est un régime fondamental d'assurance qui offre une protection aux travailleurs et autres bénéficiaires spéciaux contre la perte de revenu qu'ils subissent. L'avantage d'une telle loi est très substantiel. Dans la Loi, le risque est mis en commun et le coût des participants à haut risque est supporté par les participants à faible risque. Les prestataires reçoivent des prestations qui dépassent le montant des primes qu'ils versent. Une protection effective est donnée aux travailleurs dont l'appartenance au marché du travail est faible. Les CMA fixent les limites de cette appartenance faible au marché du travail. Elles sont essentielles pour le bon fonctionnement et pour l'efficacité du régime d'assurance. On ne saurait douter de leur importance lorsqu'il s'agit de déterminer l'étendue du risque assumé, les coûts de fonctionnement du système et le niveau des prestations versées. Une modification des CMA peut entraîner un risque plus grand et se solder par une augmentation des primes ou par une réduction du niveau des prestations.

[70]Loin de moi l'idée de minimiser les effets nuisibles que les CMA ont sur les travailleurs, comme la défenderesse, qui ne peuvent atteindre le seuil fixé. Elle n'a pas reçu de prestations parce qu'il ne lui manquait que quelques heures pour y avoir droit. S'agissant de l'accès aux prestations, le droit de la défenderesse d'être traitée à égalité avec les hommes, qu'il y ait responsabilités parentales ou non, est lui aussi fondamental. Cependant, je ne puis conclure que les effets négatifs résultant de l'exclusion de certains travailleurs de l'admissibilité à des prestations l'emportent indéniablement sur les effets sociaux salutaires du régime d'assurance-emploi. Pour reprendre les mots du juge Bastarache, je ne puis dire que «les coûts pour le demandeur l'emportent tellement sur les avantages qu'on ne peut tirer réconfort du fait que la loi porte atteinte à la Charte "aussi peu que raisonnablement possible"».

[71]Pour ces motifs, j'accueillerais la demande de contrôle judiciaire, avec dépens, annulerais la décision du juge-arbitre et renverrais l'affaire au juge-arbitre en chef ou à son représentant pour nouvelle décision, étant entendu que l'appel de la défenderesse à l'encontre de la décision du conseil arbitral devrait être rejeté.

Le juge Rothstein, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

Le juge Malone, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

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