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IMM-1254-02

2003 CFPI 362

Mysay Bouttavong (demandeur)

c.

Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (défendeur)

Répertorié: Bouttavong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge O'Keefe--Winnipeg, 21 octobre 2002; Ottawa, 27 mars 2003.

Pratique -- Caractère théorique -- Demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision selon laquelle le demandeur constituait un danger pour le public au Canada -- Résident permanent reconnu coupable de diverses infractions et condamné à une peine d'emprisonnement de trois ans -- Une mesure d'expulsion a été prononcée -- Position du ministre: la demande est devenue théorique compte tenu de la nouvelle Loi qui empêche le demandeur de revendiquer le statut de réfugié et le prive du droit d'en appeler à la section d'appel de l'immigration -- Les enseignements de l'arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), rendu par la C.S.C., ont été suivis -- Analyse en deux étapes -- Le différend concret et tangible a-t-il disparu? -- Si la réponse est affirmative, la Cour devrait-elle, malgré cela, exercer son pouvoir discrétionnaire et juger l'affaire? -- Examen des dispositions législatives applicables -- Dans la nouvelle loi, la notion de danger pour le public au Canada a été remplacée par la notion de grande criminalité -- Vu les circonstances de cette affaire, et compte tenu de la loi actuelle, même si le demandeur obtient ici gain de cause, il demeurera privé du droit de faire juger sa revendication et du droit de faire appel -- La Cour a refusé d'exercer son pouvoir discrétionnaire, il ne restait aucun litige actuel, et il ne subsistait pas de conséquences accessoires fournissant le contexte contradictoire nécessaire -- Il ne s'agissait pas d'une affaire de nature récurrente, et aucune circonstance spéciale ne pouvait justifier que soient consacrées à cette affaire des ressources judiciaires comptées.

Citoyenneté et Immigration -- Exclusion et renvoi -- Renvoi de résidents permanents -- Le demandeur était un Laotien, arrivé au Canada en 1991 en tant que personne déplacée parrainée par le gouvernement -- Il est devenu résident permanent -- En 2000, il a été reconnu coupable de s'être livré au trafic de cocaïne, une infraction contraire à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, et d'avoir illégalement obtenu les services sexuels d'une prostituée juvénile, une infraction contraire au Code criminel -- Condamnation à une peine d'emprisonnement de trois ans -- La représentante du ministre est arrivée à la conclusion que le demandeur constituait un danger pour le public -- Une mesure d'expulsion a été prononcée -- Le MCI a fait valoir que la demande de contrôle judiciaire était devenue théorique en raison de l'entrée en vigueur de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, qui remplaçait la Loi sur l'immigration -- Le demandeur n'était plus admissible à revendiquer le statut de réfugié, puisqu'il ne pouvait plus en appeler à la section du statut de réfugié -- La notion de danger pour le public a été remplacée par la notion de grande criminalité (le fait d'être déclaré coupable d'une infraction punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins 10 ans ou d'être condamné à un emprisonnement de plus de six mois) -- Même s'il obtenait ici gain de cause, le demandeur demeurerait privé du droit de faire juger sa revendication par la section du statut de réfugié -- Demande déclarée irrecevable parce que théorique.

Le seul point plaidé dans cette demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision de la représentante du ministre selon laquelle le demandeur constituait un danger pour le public était de savoir si la demande était ou non théorique.

Le demandeur, un ressortissant laotien, est arrivé au Canada en 1991 en tant que personne déplacée parrainée par le gouvernement. Il est devenu résident permanent, mais il n'est pas citoyen canadien. En 2000, le demandeur a été reconnu coupable de deux infractions: trafic de cocaïne et obtention, contre rémunération, des services sexuels d'une prostituée juvénile. Le demandeur jouait un rôle dans une «maison de crack», où, à deux reprises, il avait eu des rapports sexuels avec une fille âgée de 14 ans, en échange de cocaïne crack. Il a été condamné à une peine d'emprisonnement de trois ans. En avril 2001, une agente d'immigration signait un rapport selon l'article 27, dans lequel elle signalait au sous-ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration les déclarations de culpabilité prononcées contre le demandeur. Le demandeur a alors reçu un avis de l'intention d'obtenir du ministre, en application du paragraphe 70(5) et du sous-alinéa 46.01(1)e)(iv) de la Loi sur l'immigration, une décision selon laquelle il constituait un danger pour le public. Après avoir suivi les procédures habituelles, une représentante du ministre a dit qu'elle était arrivée à la conclusion que le demandeur constituait effectivement un danger pour le public, et le demandeur fut informé par écrit de cette décision. En avril 2002, une enquête a eu lieu, et une mesure d'expulsion du demandeur a été prononcée. Le demandeur devait rencontrer un agent principal à propos de sa revendication du statut de réfugié.

La position du ministre est que cette demande est devenue théorique à l'entrée en vigueur de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) le 28 juin 2002. Il a fait valoir que, selon les articles 64 et 101, le demandeur n'est pas admissible à revendiquer le statut de réfugié et est privé du droit d'en appeler à la Section d'appel de l'immigration. La question de savoir si le ministre a jugé à tort que le demandeur constitue un danger pour le public est aujourd'hui une question purement théorique et dépourvue d'intérêt pratique. Le ministre exprime donc l'avis que l'affaire est théorique et que la Cour devrait, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, refuser de juger cette demande.

Jugement: la demande est théorique, et la Cour a refusé d'exercer son pouvoir discrétionnaire et de juger l'affaire.

Dans tout débat sur le principe du caractère théorique, il convient de s'en remettre à l'arrêt clé de la Cour suprême du Canada en la matière, l'arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), qui confirmait l'approche suivie dans des affaires récentes consistant à faire une analyse en deux temps afin de déterminer s'il existe un différend concret et tangible susceptible de modifier les droits des parties. Il faut d'abord se demander si le différend concret et tangible a disparu de telle sorte que les questions sont devenues théoriques. Deuxièmement, si la réponse est affirmative, la Cour doit décider si, malgré cela, elle devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et juger l'affaire. Au premier stade de l'analyse, les dispositions législatives applicables devaient être examinées. Selon le paragraphe 46.01(1) de la Loi sur l'immigration, une personne déclarée dangereuse pour le public n'est pas admissible à faire juger sa revendication par la section du statut de réfugié. Le paragraphe 70(5) de la même loi prévoit qu'une personne déclarée dangereuse pour le public ne peut faire appel à la section d'appel lorsqu'une mesure d'expulsion ou une mesure d'expulsion conditionnelle est prononcée contre elle. Dans la nouvelle loi--la LIPR--la notion de danger pour le public au Canada a été remplacée par la notion de grande criminalité: le paragraphe 36(1) de la LIPR prévoit qu'un résident permanent ou un ressortissant étranger est passible d'interdiction de territoire pour cause de grande criminalité s'il est déclaré coupable au Canada d'une infraction punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins 10 ans ou s'il est condamné à une peine d'emprisonnement de plus de six mois. Selon l'article 101, l'interdiction de territoire pour grande criminalité n'emporte irrecevabilité de la demande devant la Section de la protection des réfugiés que si elle concerne une infraction punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins 10 ans pour laquelle un emprisonnement d'au moins deux ans a été infligé. Pour avoir été reconnu coupable de trafic de cocaïne, le demandeur aurait pu être condamné à une peine d'emprisonnement à perpétuité, mais il a été condamné à une peine d'emprisonnement de trois ans. Par conséquent, même s'il était fait droit à cette demande, le demandeur serait empêché de soumettre une revendication à la Section de la protection des réfugiés. Et, en application de l'article 64 de la LIPR, le demandeur serait privé du droit de faire appel à la Section d'appel de l'immigration. En résumé, la question de savoir si le demandeur constitue un danger pour le public est devenue théorique, et l'affaire est dépourvue d'intérêt pratique.

S'agissant du deuxième point, deux des trois facteurs dont, selon l'arrêt Borowski, un tribunal doit tenir compte pour savoir s'il doit ou non exercer son pouvoir discrétionnaire militaient contre l'instruction de cette demande. D'abord, avec l'entrée en vigueur de la LIPR, il ne restait aucun litige actuel. Il ne subsistait pas non plus de conséquences accessoires à la solution du litige qui eussent pu fournir le contexte contradictoire nécessaire. Quant au deuxième facteur, il n'y avait aucune circonstance spéciale pouvant justifier que soient consacrées à cette demande des ressources judiciaires comptées. Au vu du dossier, cette affaire n'était pas de nature récurrente. Troisièmement, la décision d'un tribunal de rendre jugement en l'absence d'un différend susceptible de modifier les droits des parties pourrait être vue comme un empiétement sur la fonction législative. En l'espèce, ce n'était pas cependant un problème car la Cour exercerait son rôle traditionnel. Mais, dans l'arrêt Borowski, le juge Sopinka avait relevé que les trois facteurs peuvent ne pas tous militer en faveur de la même conclusion. Quoi qu'il en soit, la Cour a résolu de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire et de ne pas juger cette demande.

lois et règlements

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 212(4) (mod. par L.C. 1999, ch. 5, art. 8).

Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19, art. 5(1),(3)a), ann. I, numéro 2.

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 46.01(1)e) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 36; 1995, ch. 15, art. 9), 70(5) (mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 13).

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 36, 64, 101, 112, 113, 114.

Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 350(1),(2).

jurisprudence

décision suivie:

Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342; (1989), 57 D.L.R. (4th) 231; [1989] 3 W.W.R. 97; 75 Sask. R. 82; 47 C.C.C. (3d) 1; 33 C.P.C. (2d) 105; 38 C.R.R. 232; 92 N.R. 110.

DEMANDE de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision d'une représentante du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, pour qui le demandeur constituait un danger pour le public. Demande déclarée irrecevable parce que théorique.

ont comparu:

David Matas pour le demandeur.

Sharlene Telles-Langdon pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier:

David Matas, Winnipeg, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

[1]Le juge O'Keefe: Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision d'un représentant du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration qui a estimé que le demandeur constituait un danger pour le public au Canada, en application du paragraphe 70(5) [mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 13] et de l'alinéa 46.01(1)e) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 36; 1995, ch. 15, art. 9] de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, et modifications.

[2]Au début de l'audience, les parties se sont entendues pour ne plaider que l'aspect du caractère théorique de la demande.

[3]Le demandeur voudrait que soit rendue une ordonnance de certiorari annulant la décision selon laquelle il constitue un danger pour le public au Canada.

Les faits

[4]Le demandeur, Mysay Bouttavong, est né au Laos. Le 16 avril 1991, il est arrivé au Canada en tant que personne déplacée parrainée par le gouvernement. Il est devenu résident permanent. Il n'est pas citoyen canadien.

[5]Le 27 novembre 2000, le demandeur était reconnu coupable de s'être livré au trafic de cocaïne, une infraction contraire au paragraphe 5(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19, et d'avoir illégalement obtenu contre rémunération les services sexuels d'une personne âgée de moins de 18 ans (prostitution juvénile), une infraction contraire au paragraphe 212(4) [mod. par L.C. 1999, ch. 5, art. 8] du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.

[6]Les condamnations du demandeur résultaient du rôle qu'il jouait dans une «maison de crack». À cet endroit, des jeunes filles âgées de 12 à 15 ans étaient accueillies par des hommes adultes qui les invitaient à consommer de la cocaïne crack. Au début, la cocaïne crack leur était fournie sans conditions. Une fois les filles devenues dépendantes, les hommes exigeaient des faveurs sexuelles en échange de la drogue. Le demandeur était âgé de 40 ans lorsqu'il a eu à deux occasions des rapports sexuels avec une fille âgée de 14 ans, en échange de cocaïne crack.

[7]Pour les deux déclarations de culpabilité, le demandeur a été condamné à deux peines d'emprisonnement de trois ans, qui devaient être purgées concurremment à compter du 27 novembre 2000.

[8]Le 5 avril 2001, Debbie Jacobucci, une agente d'immigration au ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration à Winnipeg (Manitoba), signait un «rapport selon l'article 27 de la Loi sur l'immigration», qui signalait au sous-ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration les déclarations de culpabilité prononcées contre le demandeur et qui recommandait une enquête.

[9]Par lettre datée du 17 avril 2001, le demandeur recevait un «avis de l'intention d'obtenir du ministre, en application du paragraphe 70(5) et du sous-alinéa 46.01(1)e)(iv) de la Loi sur l'immigration, une décision selon laquelle vous constituez un danger pour le public au Canada».

[10]La lettre, signée par John Nychek, directeur de Citoyenneté et Immigration à Winnipeg, au Manitoba, contient le passage suivant:

[traduction] Si le ministre exprime l'avis que vous constituez un danger pour le public au Canada, vous n'aurez pas, ainsi que le prévoit le paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration, le droit de faire appel d'une mesure d'expulsion à la section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié et, si vous avez revendiqué ou avez l'intention de revendiquer le statut de réfugié, votre revendication ne sera pas, en application du sous-alinéa 46.01(1)e)(iv) de la Loi, soumise pour décision à la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.

[11]La lettre renfermait une liste des documents qui allaient être soumis à l'examen du ministre et contenait une copie des documents en question. Deux des documents énumérés furent de nouveau envoyés le 14 mai 2001 parce qu'à l'origine ils ne portaient pas la signature du directeur. La lettre invitait aussi le demandeur à présenter des conclusions indiquant s'il constitue ou non un danger pour le public, si son cas présente des considérations humanitaires impérieuses et si sa vie ou sa liberté seraient menacées par son éventuel renvoi du Canada. Le demandeur a présenté des conclusions.

[12]La lettre, les documents qui l'accompagnaient, et les arguments du demandeur, ont été communiqués à la Direction générale de la gestion des cas, à Ottawa. Debbie Jacobucci, agente d'immigration, et John Nychek, directeur, au ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration à Winnipeg (Manitoba), ont recommandé qu'il soit demandé au ministre de rendre une décision selon laquelle le demandeur constituait un danger pour le public au Canada. La recommandation était signée par Debbie Jacobucci le 9 mai 2001 et par John Nychek le 22 juin 2001.

[13]Le 18 juillet 2001, une «demande de décision ministérielle» était rédigée par un analyste. Le 19 juillet 2001, un analyste principal donnait son assentiment à la recommandation d'obtenir du ministre la décision en question. Le rapport fut envoyé au demandeur, qui présenta alors de nouvelles conclusions le 15 octobre 2001.

[14]Le 15 février 2002, une représentante du ministre a dit qu'elle était arrivée à la conclusion, en application du paragraphe 70(5) et de l'alinéa 46.01(1)e) de la Loi sur l'immigration, que le demandeur constituait un danger pour le public au Canada. Par une lettre de l'agente d'immigration Debbie Horoshok (auparavant Jacobucci) datée du 22 février 2002, le demandeur fut informé de cette décision.

[15]La décision ministérielle était ainsi formulée:

[traduction] Pour arriver à ma décision, j'ai tenu compte du rapport de décision ministérielle et de la preuve documentaire présentée par les agents locaux d'Immigration au soutien de leur conclusion selon laquelle Mysay BOUTTAVONG, né le 10 octobre 1958, de nationalité laotienne, constitue un danger pour le public, en application du paragraphe 70(5) et de l'alinéa 46.01(1)e) de la Loi sur l'immigration, ainsi que des renseignements contenus dans la demande de décision ministérielle datée du 19 juillet 2001, et des documents à l'appui. J'ai aussi étudié attentivement l'information reçue le 7 mai 2001 du client ou de son avocat, notamment ses conclusions finales datées du 15 octobre 2001, information qui apparaît sur la page de communication de la preuve, et j'ai aussi examiné toutes les considérations humanitaires pouvant exister dans ce dossier. L'information présentée par le client ou son avocat ne m'a pas persuadée que la conclusion des agents locaux d'immigration selon laquelle Mysay BOUTTAVONG constitue un danger pour le public devrait ici être ignorée. Je suis persuadée que le rapport de décision ministérielle et la demande de décision ministérielle m'autorisent tout à fait à conclure que Mysay Bouttavong constitue un danger pour le public au Canada.

[16]Le 10 avril 2002, une enquête eut lieu, et une mesure d'expulsion du demandeur fut prononcée. Le demandeur a déposé un avis d'appel le 10 avril 2002. Le 19 avril 2002, le demandeur devait rencontrer un agent principal à propos de sa revendication du statut de réfugié.

Conclusions du demandeur

[17]Le demandeur, s'appuyant sur les articles 112 à 114 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés [L.C. 2001, ch. 27] (la LIPR), a fait valoir que cette affaire n'était pas dépourvue d'intérêt pratique.

Conclusions du défendeur

[18]Dans l'exposé supplémentaire des arguments du défendeur, le défendeur affirme que cette demande est devenue théorique à l'entrée en vigueur de la LIPR, c'est-à-dire le 28 juin 2002. D'abord, de dire le défendeur, il n'y a plus de litige actuel ou de différend concret maintenant que la LIPR a remplacé la Loi sur l'immigration. Le défendeur affirme notamment que, d'après l'article 64 et l'article 101 de la LIPR, le demandeur n'est pas admissible à revendiquer le statut de réfugié et est privé du droit d'en appeler à la Section d'appel de l'immigration. Par conséquent, d'affirmer le défendeur, la question de savoir si le ministre a jugé à tort que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada, ainsi que le prévoit l'alinéa 46.01(1)e) et le paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration, est aujourd'hui une question purement théorique et dépourvue d'intérêt pratique. Deuxièmement, le défendeur affirme que la Cour devrait, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, refuser de juger cette demande de contrôle judiciaire.

[19] Points en litige

1. La question est-elle théorique?

2. Si la question est théorique, la Cour devrait-elle néanmoins exercer son pouvoir discrétionnaire et juger l'affaire?

Dispositions législatives applicables

[20]Les dispositions applicables de la Loi sur l'immigration sont les suivantes:

46.01 (1) La revendication de statut n'est pas recevable par la section du statut si l'intéressé se trouve dans l'une ou l'autre des situations suivantes:

[. . .]

e) l'arbitre a décidé, selon le cas:

(i) qu'il appartient à l'une des catégories non admissibles visées à l'alinéa 19(1)c) ou au sous-alinéa 19(1)c.1)(i) et, selon le ministre, il constitue un danger pour le public au Canada,

(ii) qu'il appartient à l'une des catégories non admissibles visées aux alinéas 19(1)e), f), g), j), k) ou l) et, selon le ministre, il serait contraire à l'intérêt public de faire étudier sa revendication aux termes de la présente loi,

(iii) qu'il relève du cas visé au sous-alinéa 27(1)a.1)(i) et, selon le ministre, il constitue un danger pour le public au Canada,

(iv) qu'il relève, pour toute infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, du cas visé à l'alinéa 27(1)d) et, selon le ministre, il constitue un danger pour le public au Canada.

[. . .]

70. [. . .]

(5) Ne peuvent faire appel devant la section d'appel les personnes, visées au paragraphe (1) ou aux alinéas (2)a) ou b), qui, selon la décision d'un arbitre:

a) appartiennent à l'une des catégories non admissibles visées aux alinéas 19(1)c), c.1), c.2) ou d) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada;

b) relèvent du cas visé à l'alinéa 27(1)a.1) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada;

c) relèvent, pour toute infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, du cas visé à l'alinéa 27(1)d) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada.

[21]Les dispositions applicables de la LIPR sont les suivantes:

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants:

a) être déclaré coupable au Canada d'une infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans ou d'une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

[. . .]

64. (1) L'appel ne peut être interjeté par le résident permanent ou l'étranger qui est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée, ni par dans le case de l'étranger, son répondant.

(2) L'interdiction de territoire pour grande criminalité vise l'infraction punie au Canada par un emprisonnement d'au moins deux ans.

[. . .]

101. (1) La demande est irrecevable dans les cas suivants:

[. . .]

f) prononcé d'interdiction de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux -- exception faite des personnes interdites de territoire au seul titre de l'alinéa 35(1)c) --, grande criminalité ou criminalité organisée.

(2) L'interdiction de territoire pour grande criminalité visée à l'alinéa (1)f) n'emporte irrecevabilité de la demande que si elle a pour objet:

a) une déclaration de culpabilité au Canada pour infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans et pour laquelle un emprisonnement d'au moins deux ans a été infligé;

[22]Les dispositions applicables du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, sont les suivantes:

350. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), il est disposé conformément à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés de toute décision ou mesure prise par le ministre ou un agent d'immigration sous le régime de l'ancienne loi qui est renvoyée par la Cour fédérale ou la Cour suprême du Canada pour nouvel examen et dont il n'a pas été disposé avant l'entrée en vigueur du présent article.

(2) Dans le cas où la décision ou la mesure a été prise aux termes de l'alinéa 46.01(1)e), du paragraphe 70(5) ou de l'alinéa 77(3.01)b) de l'ancienne loi et que la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés ne prévoit aucune disposition quant à cette décision ou mesure renvoyée pour nouvel examen, celui-ci n'a pas lieu.

[23]Les dispositions applicables de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances sont les suivantes:

5. (1) Il est interdit de faire le trafic de toute substance inscrite aux annexes I, II, III ou IV ou de toute substance présentée ou tenue pour telle par le trafiquant.

(2) Il est interdit d'avoir en sa possession, en vue d'en faire le trafic, toute substance inscrite aux annexes I, II, III ou IV.

(3) Quiconque contrevient aux paragraphes (1) ou (2) commet:

a) dans le cas de substances inscrites aux annexes I ou II, mais sous réserve du paragraphe (4), un acte criminel passible de l'emprisonnement à perpétuité;

[. . .]

(4) Quiconque contrevient aux paragraphes (1) ou (2) commet, dans le cas de substances inscrites à la fois à l'annexe II et à l'annexe VII, et ce pourvu que la quantité en cause n'excède pas celle mentionnée à cette dernière annexe, un acte criminel passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans moins un jour.

[. . .]

ANNEXE 1

[. . .]

2. Coca (érythroxylone), ainsi que ses préparations, dérivés, alcaloïdes et sels, notamment:

(1) feuilles de coca

(2) cocaïne (ester méthylique de la benzoylecgonine)

(3) ecgonine (acide hydroxy--3 tropane--2 carboxylique)

[24]Les dispositions applicables du Code criminel sont les suivantes:

212. [. . .]

(4) Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans quiconque, en quelque endroit que ce soit, obtient, moyennant rétribution, les services sexuels d'une personne âgée de moins de dix-huit ans ou communique avec quiconque en vue d'obtenir, moyennant rétribution, de tels services.

Analyse et décision

[25]Point no 1

La question est-elle théorique?

Selon le défendeur, les dispositions de la LIPR ont rendu hypothétique la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur. La décision contestée a été prise en conformité avec le paragraphe 70(5) et l'alinéa 46.01(1)e) de la Loi sur l'immigration.

[26]Dans tout débat sur le principe du caractère théorique, il convient de s'en remettre à l'arrêt clé de la Cour suprême du Canada en la matière, l'arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342. La Cour s'est exprimée ainsi, à la page 353:

La doctrine relative au caractère théorique est un des aspects du principe ou de la pratique générale voulant qu'un tribunal peut refuser de juger une affaire qui ne soulève qu'une question hypothétique ou abstraite. Le principe général s'applique quand la décision du tribunal n'aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties. Si la décision du tribunal ne doit avoir aucun effet pratique sur ces droits, le tribunal refuse de juger l'affaire. Cet élément essentiel doit être présent non seulement quand l'action ou les procédures sont engagées, mais aussi au moment où le tribunal doit rendre une décision. En conséquence, si, après l'introduction de l'action ou des procédures, surviennent des événements qui modifient les rapports des parties entre elles de sorte qu'il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties, la cause est considérée comme théorique. Le principe ou la pratique générale s'applique aux litiges devenus théoriques à moins que le tribunal n'exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas l'appliquer. J'examinerai plus loin les facteurs dont le tribunal tient compte pour décider d'exercer ou non ce pouvoir discrétionnaire.

La démarche suivie dans des affaires récentes comporte une analyse en deux temps. En premier, il faut se demander si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique. En deuxième lieu, si la réponse à la première question est affirmative, le tribunal décide s'il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l'affaire. La jurisprudence n'indique pas toujours très clairement si le mot «théorique» (moot) s'applique aux affaires qui ne comportent pas de litige concret ou s'il s'applique seulement à celles de ces affaires que le tribunal refuse d'entendre. Pour être précis, je considère qu'une affaire est «théorique» si elle ne répond pas aux critères du «litige actuel». Un tribunal peut de toute façon choisir de juger une question théorique s'il estime que les circonstances le justifient.

[27]Dans cette procédure en deux étapes, il faut d'abord «se demander si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique». Je répéterai, par commodité, certaines des dispositions du texte de loi.

[28]L'alinéa 46.01(1) de la Loi sur l'immigration prévoit qu'une personne déclarée dangereuse pour le public au Canada n'est pas admissible à présenter une revendication à la section du statut de réfugié.

[29]Le paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration prévoit qu'une personne déclarée dangereuse pour le public au Canada ne peut faire appel à la section d'appel lorsqu'une mesure d'expulsion ou une mesure d'expulsion conditionnelle est prononcée contre elle.

[30]La LIPR a remplacé la Loi sur l'immigration. Son règlement d'application prévoit ce qui suit:

350. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), il est disposé conformément à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés de toute décision ou mesure prise par le ministre ou un agent d'immigration sous le régime de l'ancienne loi qui est renvoyée par la Cour fédérale ou la Cour suprême du Canada pour nouvel examen et dont il n'a pas été disposé avant l'entrée en vigueur du présent article.

(2) Dans le cas où la décision ou la mesure a été prise aux termes de l'alinéa 46.01(1)e), du paragraphe 70(5) ou de l'alinéa 77(3.01)b) de l'ancienne loi et que la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés ne prévoit aucune disposition quant à cette décision ou mesure renvoyée pour nouvel examen, celui-ci n'a pas lieu.

[31]La LIPR ne renferme aucune disposition autorisant une décision selon laquelle le demandeur constitue un danger pour le public au Canada. Conséquemment, si la décision du ministre selon laquelle le demandeur constitue un danger pour le public au Canada, ainsi que le prévoit l'alinéa 46.01(1)e) et le paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration, est renvoyée par la Cour fédérale, le renvoi n'aura pas de suite.

[32]Selon la Loi sur l'immigration, le ministre pouvait dire que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada, et c'est ce qu'il a fait ici. Cependant, dans la LIPR, la notion de danger pour le public au Canada a été remplacée par la notion de grande criminalité, au paragraphe 36(1) de la LIPR. Voici le texte du paragraphe 36(1):

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants:

a) être déclaré coupable au Canada d'une infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans ou d'une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

[33]Les alinéas 101(1)f) et 101(2)a) de la LIPR sont ainsi rédigés:

101. (1) La demande est irrecevable dans les cas suivants:

[. . .]

f) prononcé d'interdiction de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux--exception faite des personnes interdites de territoire au seul titre de l'alinéa 35(1)c) --, grande criminalité ou criminalité organisée.

(2) L'interdiction de territoire pour grande criminalité visée à l'alinéa (1)f) n'emporte irrecevabilité de la demande que si elle a pour objet:

a) une déclaration de culpabilité au Canada pour une infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans et pour laquelle un emprisonnement d'au moins deux ans a été infligé;

En application de l'alinéa 5(3)a) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, la déclaration de culpabilité du demandeur pour trafic de cocaïne rendait le demandeur passible d'une peine d'emprisonnement à perpétuité. Le demandeur a été condamné à une peine d'emprisonnement de trois ans. Par conséquent, même s'il est fait droit à la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur, le demandeur sera empêché de soumettre une revendication à la Section de la protection des réfugiés.

[34]L'article 64 de la LIPR est ainsi rédigé:

64. (1) L'appel ne peut être interjeté par le résident permanent ou l'étranger qui est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée, ni par dans le cas de l'étranger, son répondant.

(2) L'interdiction de territoire pour grande criminalité vise l'infraction punie au Canada par un emprisonnement d'au moins deux ans.

Pour les déclarations de culpabilité prononcées contre lui, le demandeur a été condamné à deux peines d'emprisonnement de trois ans, à purger concurremment. Conséquemment, l'article 64 de la LIPR s'appliquerait au demandeur, et le demandeur serait privé du droit de faire appel à la Section d'appel de l'immigration. Ainsi, même s'il est fait droit à la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur sera quand même privé du droit de faire appel à la section d'appel de l'immigration.

[35]Quel que soit le sort de la demande de contrôle judiciaire, l'alinéa 101(1)f) et le sous-alinéa 101(2)a) de la LIPR s'appliquent au demandeur, lequel ne pourra ni s'adresser à la Section de la protection des réfugiés ni faire appel à la Section d'appel de l'immigration.

[36]En réponse à l'argument du caractère théorique, le demandeur a invoqué les articles 112 à 114 de la LIPR. Voici le texte de ces articles:

112. (1) La personne se trouvant au Canada et qui n'est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

[. . .]

(3) L'asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants:

[. . .]

b) il est interdit de territoire pour grande criminalité pour déclaration de culpabilité au Canada punie par un emprisonnement d'au moins deux ans ou pour toute déclaration de culpabilité à l'extérieur du Canada pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans;

[. . .]

113. Il est disposé de la demande comme il suit:

[. . .]

d) s'agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3), sur la base des éléments mentionnés à l'article 97 et, d'autre part:

(i) soit du fait que le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité constitue un danger pour le public au Canada,

[. . .]

114. (1) La décision accordant la demande de protection a pour effet de conférer l'asile au demandeur; toutefois, elle a pour effet, s'agissant de celui visé au paragraphe 112(3), de surseoir, pour le pays ou le lieu en cause, à la mesure de renvoi le visant.

[. . .]

Je suis d'avis qu'un demandeur peut invoquer ces dispositions quand bien même sa demande serait jugée théorique.

[37]En résumé, je suis d'avis que la question de savoir si le demandeur constitue un danger pour le public selon ce que prévoit l'alinéa 46.01(1)e) et le paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration est aujourd'hui théorique. D'abord, si la décision du ministre est renvoyée par la Cour fédérale, alors, selon les termes du paragraphe 350(2) du Règlement, le renvoi restera sans suite. Deuxièmement, selon les articles 101 et 64 de la LIPR, le demandeur perdra le droit de faire juger sa revendication par la Section de la protection des réfugiés et le droit de faire appel à la Section d'appel de l'immigration. La question est théorique.

[38]Point no 2

Si cette demande est théorique, la Cour devrait-elle néanmoins exercer son pouvoir discrétionnaire et juger l'affaire?

Dans l'arrêt Borowski, précité, la Cour suprême du Canada énonçait les facteurs dont un tribunal doit tenir compte pour savoir s'il convient ou non qu'il exerce son pouvoir discrétionnaire et qu'il juge une affaire:

1. le pouvoir du tribunal de statuer sur le litige trouve sa source dans la procédure contradictoire;

2. l'économie des ressources judiciaires; et

3. l'obligation pour le tribunal de prendre conscience de sa fonction normative.

[39]À propos du premier facteur, la Cour suprême du Canada s'exprimait ainsi, aux pages 358 et 359:

L'exigence du débat contradictoire est l'un des principes fondamentaux de notre système juridique et elle tend à garantir que les parties ayant un intérêt dans l'issue du litige en débattent complètement tous les aspects. Il semble que cette exigence puisse être remplie si, malgré la disparition du litige actuel, le débat contradictoire demeure. Par exemple, même si la partie qui a engagé des procédures en justice n'a plus d'intérêt direct dans l'issue, il peut subsister des conséquences accessoires à la solution du litige qui fournissent le contexte contradictoire nécessaire.

Je suis d'avis que l'entrée en vigueur de la LIPR a entraîné la cessation du litige actuel entre les parties. Les dispositions de la Loi sur l'immigration ne régissent plus aucune revendication future du demandeur, et il ne pourra y avoir nouvelle audition de la revendication du demandeur pour le cas où sa demande de contrôle judiciaire serait accordée. J'observe aussi qu'il n'y a pas d'intervenants et que les conséquences accessoires dont parle l'arrêt Borowski, précité, son absentes.

[40]S'agissant du deuxième facteur, celui de l'économie des ressources judiciaires, je ne vois aucune circonstance spéciale pouvant justifier que soient consacrées à la demande des ressources judiciaires comptées. Au vu du dossier, la présente affaire n'est pas de nature récurrente. L'issue de cette demande de contrôle judiciaire n'aura aucun effet pratique sur les droits des parties.

[41]Pour le troisième facteur, la Cour suprême du Canada s'est exprimée ainsi, à la page 362:

La Cour doit se montrer sensible à sa fonction juridictionnelle dans notre structure politique. On pourrait penser que prononcer des jugements sans qu'il y ait de litige pouvant affecter les droits des parties est un empiétement sur la fonction législative.

Je suis d'avis que toute décision rendue par la Cour à propos de la demande n'empiéterait pas sur la fonction législative. La Cour exercerait quand même son rôle traditionnel. Il s'agit là du troisième facteur dont la Cour doit tenir compte lorsqu'elle se demande s'il convient ou non qu'elle statue sur la demande malgré son caractère théorique.

[42]Sur l'exercice du pouvoir de la Cour de décider s'il convient ou non de juger une demande théorique, le juge Sopinka écrivait, dans l'arrêt Borowski, précité, à la page 363:

En exerçant son pouvoir discrétionnaire à l'égard d'un pourvoi théorique, la Cour doit tenir compte de chacune des trois raisons d'être de la doctrine du caractère théorique. Cela ne signifie pas qu'il s'agit d'un processus mécanique. Il se peut que les principes examinés ici ne tendent pas tous vers la même conclusion. L'absence d'un facteur peut prévaloir malgré la présence de l'un ou des deux autres, ou inversement.

Dans le cas présent, les facteurs nos 1 et 2 militent contre l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour de statuer sur une demande théorique. Quant au facteur no 3, il n'empêcherait pas la Cour de statuer sur la demande.

[43]Puisque ma conclusion est que la demande de contrôle judiciaire est théorique, je n'exercerai pas mon pouvoir discrétionnaire de statuer sur la demande.

[44]Les parties auront cinq jours à compter de la date de ce jugement pour voir s'il existe une question grave de portée générale susceptible d'être certifiée et pour me demander de certifier une éventuelle question de ce genre. Elles auront cinq jours additionnels pour produire des réponses.

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