Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-185-99

2002 CFPI 941

AFFAIRE INTÉRESSANT l'article 88 de la Loi sur l'accise, L.R.C. (1985), ch. E-14

ET des cigares, du tabac brut et fabriqué et d'autres matériaux en stock, machines, mécanismes et ustensiles saisis [Action intentée par CC Havanos Corporation Ltd.]

Répertorié: CC Havanos Corp. (Re) (1re inst.)

Section de première instance, juge Rouleau--Montréal, 28, 29 et 30 mai; Ottawa, 6 septembre 2002.

Douanes et accise -- Loi sur l'accise -- Saisie de la GRC dans les locaux de la société demanderesse de cigares non estampillés, de matériel et de l'équipement de fabrication en vertu de la Loi sur l'accise -- Le caractère illégal des produits saisis a été établi -- La saisie était ni discrétionnaire, ni déraisonnable, malicieuse ou abusive -- La confiscation opérait de plein droit dès la fabrication de cigares sans licence, et la possession de cigares non conforme à la Loi -- Les biens saisis étaient ipso jure susceptibles d'être confisqués en application de l'art. 88(1) de la Loi -- Saisie légale.

Interprétation des lois -- L'art. 116(2) de la Loi sur l'accise donne à la Cour le pouvoir de «libérer ou déclarer confisqués ces marchandises ou objets, selon que le cas l'exige» -- L'interprétation des mots utilisés à l'art. 116(2) suivant leur sens ordinaire et grammatical mène à une ambiguïté -- Il faut recourir à des principes subsidiaires d'interprétation des lois, par exemple la présomption selon laquelle les ambiguïtés découlant du manque de clarté de la loi jouent en faveur du contribuable -- Il faut donner à l'art. 116(2) une interprétation large et libérale -- Le tribunal saisi d'une demande de revendication d'objets confisqués a le pouvoir discrétionnaire d'ordonner la remise de certains biens légalement saisis, selon les circonstances.

Restitution -- La compagnie demanderesse cherchait à obtenir une ordonnance déclarant que son intérêt dans les biens saisis en vertu de la Loi sur l'accise n'était pas affecté par la saisie -- La restitution des cigares et des produits du tabac n'était pas justifiée puisque la possession était illégale -- Les principes régissant la décision de restituer les biens saisis s'appliquent en vertu de l'art. 116(2) de la Loi sur l'accise, indépendamment de la validité de la saisie -- Les circonstances particulières favorisaient la restitution du matériel et de l'équipement saisis, même s'ils ont été confisqués de plein droit et saisis légalement.

Il s'agissait d'une action par laquelle CC Havanos Corporation Ltd. cherchait à obtenir une ordonnance déclarant que son intérêt dans les biens saisis par la GRC en vertu de la Loi sur l'accise n'était pas affecté par la saisie. Dino Orsini est un homme d'affaires qui voulait fabriquer des cigares haut de gamme. Il a constitué CC Havanos en société en mai 1998 et il a retenu les services d'un conseiller en gestion qui a sollicité l'aide et les conseils de différents fonctionnaires fédéraux et provinciaux. Suivant les instructions de son conseiller, Dino Orsini a obtenu son permis provincial d'importateur et de fabricant de tabac ainsi qu'une licence fédérale d'importation de tabac mais non la licence fédérale de fabrication exigée par la Loi sur l'accise pour la fabrication de cigares. Lorsque M. Orsini a ouvert sa boutique de cigares à Montréal en décembre 1998, la GRC savait que CC Havanos devait fabriquer des cigares et qu'elle n'avait pas obtenu sa licence de fabrication de cigares. Le 17 décembre 1998, agissant en vertu des articles 88, 89, 226 et 240 de la Loi sur l'accise, des membres de la GRC ont saisi tout le matériel qui se trouvait dans l'établissement de CC Havanos, notamment le matériel et l'équipement nécessaire à la fabrication de cigares, un certain nombre de cigares non estampillés, une quantité de tabac, et des documents prouvant que CC Havanos fabriquait des cigares depuis au moins octobre 1998. Jamais la GRC n'a, avant la saisie, informé M. Orsini de son défaut de s'être procuré la licence fédérale de fabrication. Ce dernier a par la suite présenté une demande pour obtenir une telle licence, mais sa demande a été refusée pour des motifs d'intérêt public. Concernant les deux infractions prévues aux alinéas 226a) et 240(1)b) de la Loi sur l'accise, la Cour supérieure du Québec a conclu que M. Orsini et son fils avaient démontré que leur erreur de droit avait été provoquée par l'avis sollicité d'une personne en autorité et compétente en la matière et, par conséquent, a ordonné l'arrêt des procédures quant aux deux chefs. CC Havanos a indiqué qu'elle avait l'intention de revendiquer tous les biens saisis. Deux questions ont été soulevées: 1) la saisie du 17 décembre 1998 était-elle illégale, ce qui justifierait la remise éventuelle des biens saisis à CC Havanos? et 2) la Cour avait-elle le pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 116(2) de la Loi sur l'accise d'ordonner que certains biens soient remis à leur propriétaire, malgré qu'ils aient été confisqués ipso jure, et malgré une saisie valide?

Jugement: l'action est accueillie en partie.

1) L'action de la compagnie demanderesse ne pouvait constituer un recours justifiable en vertu de l'article 88.2 de la Loi sur l'accise puisque cette disposition prescrit le recours approprié à «quiconque (sauf la personne accusée d'une infraction qui a eu pour résultat cette saisie ou la personne en la possession de qui ces chevaux, véhicules, vaisseaux ou autres dispositifs ont été saisis)». Tous les biens saisis appartenaient et étaient en possession de CC Havanos à tout moment lors de la saisie, et c'était d'ailleurs cette dernière qui revendiquait les biens. L'action ne pouvait donc qu'être fondée sur l'article 116 de la Loi sur l'accise et consistait nécessairement en une action in rem en condamnation de biens saisis. La légalité de la saisie ne pouvait être remise en question que si les biens n'étaient pas ipso jure susceptibles d'être confisqués en vertu de la Loi sur l'accise. La compagnie demanderesse ne s'est pas déchargée du fardeau de le prouver. Les quelque 3 000 cigares saisis ont été fabriqués pour la vente ou un usage commercial et ce, dès novembre 1998, et non pour un usage personnel ou pour être distribués gratuitement. La compagnie demanderesse a reconnu qu'il s'agissait en l'espèce de cigares fabriqués sans licence, non empaquetés et non estampillés conformément à la Loi sur l'accise et concernant lesquels les droits d'accise n'avaient pas été acquittés. Les éléments constitutifs des infractions prévues aux alinéas 226a) et 240(1)b) ont été établis, ce qui témoignait du caractère illégal des produits saisis. Dans le cadre du paragraphe 88(1) de la Loi, les membres de la GRC ne jouissaient d'aucun pouvoir discrétionnaire lors de la saisie du 17 décembre 1998 et la saisie effectuée ne pouvait pas être qualifiée de déraisonnable, malicieuse ou abusive. La confiscation à l'égard de tous les biens saisis s'opérait de plein droit dès qu'il y avait fabrication de cigares sans licence et dès que la compagnie demanderesse était en possession de cigares non empaquetés et non estampillés conformément à la Loi sur l'accise. L'innocence de CC Havanos en l'instance, pas plus que le comportement des agents de la GRC à la suite de la saisie, n'a eu aucune incidence sur le fait que ces objets étaient par simple application de la Loi sur l'accise confisqués ipso jure, et ce, depuis le jour où les infractions à la Loi ont été commises. Tous les biens saisis étaient ipso jure confisqués au profit de Sa Majesté et, par conséquent, les membres de la GRC, agissant à titre de préposés d'accise, étaient en droit de les saisir, et même devaient le faire en vertu du paragraphe 88(1) de la Loi sur l'accise.

2) L'existence du remède recherché, à savoir la remise du matériel et de l'équipement saisis ayant servi à la fabrication illégale de cigares, dépendait de l'interprétation de la Loi sur l'accise. C'était la première fois que la Cour était directement appelée à interpréter et à appliquer le paragraphe 116(2) de la Loi sur l'accise, qui lui confère le pouvoir de «libérer ou déclarer confisqués ces marchandises ou objets, selon que le cas l'exige». Les lois fiscales telles la Loi sur l'accise doivent être interprétées de la même manière que les autres lois, mais appliquées, en cas d'ambiguïté ou de doute raisonnable, de manière à favoriser le contribuable. Ce point tournant dans l'évolution des principes d'interprétation des lois fiscales au Canada a été motivé par le constat selon lequel le but des lois fiscales n'est plus confiné à la seule levée de fonds pour faire face aux dépenses gouvernementales, puisque ces lois servent aussi à des fins d'intervention sociale et économique.

L'intention du législateur doit être appréciée en fonction des mots qu'il a choisi d'employer. En l'espèce, il était toutefois impossible d'analyser séparément les divers éléments contenus dans le paragraphe 116(2) pour lui donner un sens puisqu'ils sont étroitement liés et interdépendants. Une interprétation des mots utilisés au paragraphe 116(2) suivant leur sens ordinaire et grammatical mène inéluctablement à une ambiguïté en ce qui a trait à la nature et à la portée du pouvoir conféré aux tribunaux en matière de confiscation de biens saisis en vertu de la Loi sur l'accise. Par conséquent, il était nécessaire d'examiner le contexte législatif de la Loi sur l'accise et du paragraphe 116(2). La Loi sur l'accise constitue une mesure législative de réglementation de certaines activités, adoptée en vertu du pouvoir fédéral de taxation, qui comporte, également, des dispositions d'exécution. Elle ne cherche aucunement à imposer un châtiment sur le plan strictement conceptuel. Il est peu vraisemblable que le législateur entendait interdire de manière absolue aux tribunaux d'exercer un pouvoir discrétionnaire dans l'appréciation des faits de chaque cas et de décider, par exemple, de libérer certains biens dont la possession ne contrevient en rien à la Loi sur l'accise. Étant donné l'ambiguïté du paragraphe 116(2) de la Loi, il était nécessaire de recourir à l'un des principes subsidiaires d'interprétation législative, en particulier la présomption selon laquelle si la loi fiscale n'est pas explicite, les incertitudes ou les ambiguïtés des faits découlant du manque de clarté de la loi doivent jouer en faveur du contribuable. Ce principe s'appliquait en l'espèce, où la Cour était contrainte de choisir entre deux interprétations valables du pouvoir judiciaire en matière de confiscation sous le régime d'une loi fiscale dont la plus restrictive mènerait à un résultat injuste et déraisonnable pour la compagnie demanderesse. Il faut donner au paragraphe 116(2) de la Loi sur l'accise une interprétation large et libérale en vertu de laquelle un tribunal saisi d'une demande de restitution d'objets saisis a le pouvoir discrétionnaire d'ordonner la remise de certains biens légalement saisis, selon les circonstances de chaque espèce. Le paragraphe 116(2) semble conférer à la Cour un pouvoir discrétionnaire qui l'autorise à tenir compte du caractère illégal de la possession des biens saisis aux fins de déterminer si elle va «libérer ou déclarer confisqués ces marchandises ou objets, selon que le cas l'exige». Ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé judicieusement à la lumière des objectifs d'ordre public de la Loi sur l'accise dont l'un d'eux est d'empêcher qu'un contrevenant puisse profiter du fruit des infractions qu'il a commises. Dans certains cas, l'illégalité même de la possession des biens saisis peut constituer un obstacle absolu à leur restitution. En l'espèce, la restitution des cigares et des produits du tabac ne saurait être justifiée et donc ne peut être ordonnée ou autorisée par la Cour car leur possession était par ailleurs illégale. Mais le simple fait que le matériel et l'équipement aient été utilisés pour commettre une infraction à la Loi sur l'accise n'exige pas absolument que la Cour les déclare confisqués sans apprécier tous les faits entourant leur saisie. La preuve de l'illégalité de la possession des biens saisis constitue plutôt un motif contraignant, d'ordre et d'intérêt publics, qui exige que les biens soient déclarés confisqués par un tribunal, tout autant que l'absence d'illégalité de la possession constituerait une circonstance exceptionnelle autorisant le tribunal à les libérer, à sa discrétion, en vertu de la Loi sur l'accise. Certaines circonstances spéciales militaient en faveur de la restitution du matériel et de l'équipement saisis, par exemple, le fait que les demandeurs Dino Orsini et son fils avaient bénéficié d'une défense d'erreur de droit dans le cadre des poursuites criminelles intentées contre eux et qu'ils avaient, à tout moment, été de bonne foi et moralement sans reproche, conjuguées au comportement discutable des agents de la GRC avant la saisie et subséquemment lors du traitement de la demande de licence. Il était donc convenable et juste, considérant l'esprit de la Loi sur l'accise, d'ordonner la restitution à la compagnie demanderesse de tout le matériel et de l'équipement ayant servi à la fabrication des cigares, même s'ils avaient été confisqués de plein droit et saisis légalement. Une telle interprétation large et libérale du pouvoir judiciaire en matière de confiscation donnerait ainsi un sens au paragraphe 116(2) qui permette amplement la réalisation de l'objet manifeste de la Loi sur l'accise tout en ne défavorisant pas indûment le particulier. La Cour, en redéfinissant la politique législative sous-jacente à la Loi sur l'accise, a établi un bon équilibre entre les droits privés des particuliers de ne pas se faire priver indûment de la jouissance de leurs biens et l'intérêt du législateur d'imposer des droits d'accise comme instrument de contrôle et de réglementation de la distribution et de la consommation des produits du tabac et de garantir la protection des recettes fiscales au profit de Sa Majesté par le biais du mécanisme de la confiscation.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 487 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 68; L.C. 1994, ch. 44, art. 36; 1997, ch. 18, art. 41; ch. 23, art. 12; 1999, ch. 5, art. 16), 490.1 (édicté par L.C. 1997, ch. 23, art. 15).

Loi concernant l'impôt sur le tabac, L.R.Q., ch. I-2, art. 14a) (mod. par L.Q. 1991, ch. 16, art. 14).

Loi de l'accise, 1934, S.C. 1934, ch. 52, art. 87(1), 169a.

Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 12.

Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19, art. 16.

Loi sur l'accise, L.R.C. (1985), ch. E-14, art. 10, 13, 71, 74, 88(1), (2) (mod. par L.C. 1995, ch. 36, art. 12), 88.2 (édicté, idem, art. 13), 89, 113, 116(1), (2), 117(1), 125, 226 (mod. par L.C. 1993, ch. 25, art. 46), 239.1(2) (mod., idem, art. 52; 1994, ch. 37, art. 8; 1995, ch. 41, art. 111), 240 (mod. par L.C. 1993, ch. 25, art. 52; 1994, ch. 29, art. 15; 1995, ch. 41, art. 112).

Loi sur l'accise, S.R.C. 1927, ch. 60, art. 125.

Loi sur l'accise, S.R.C. 1952, ch. 99, art. 114, 115.

Loi sur le tabac, L.C. 1997, ch. 13, art. 41(1), (2).

Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, ch. C-40.

jurisprudence

décision appliquée:

Porter c. Canada, [1989] 3 C.F. 403; 48 C.C.C. (3d) 252; 40 C.R.R. 263; 26 F.T.R. 69; (1989), 2 T.C.T. 4141; [1989] 1 T.S.T. 2115 (1re inst.).

décisions examinées:

The King v. Central Railway Signal Co., [1933] R.C.S. 555; [1933] 4 D.L.R. 737; The King v. Krakowec et al., [1932] R.C.S. 134; [1932] 1 D.L.R. 316; (1931), 57 C.C.C. 96; Mayberry, Herbert Frederick v. The King, [1950] R.C.É. 402; (1950), 98 C.C.C. 295; Zarowney, Joe v. The Queen, [1956] R.C.É. 16; [1956] C.T.C. 1; (1955), 56 DTC 1025; Lawson c. R., [1980] 1 C.F. 767 (1re inst).

décisions citées:

Bank of Nova Scotia v. Canada (Minister of National Revenue -- M.N.R.), [2000] 10 W.W.R. 641; (2000), 197 Sask.R. 168; 1 P.P.S.A.C. (3d) 246 (B.R.); Daigneault c. Ministre du Revenu national (Douanes et Accise) (1990), 44 F.T.R. 226; 4 T.C.T. 6003 (C.F. 1re inst.); R. c. Kokesch, [1990] 3 R.C.S. 3; [1991] 1 W.W.R. 193; (1990), 51 B.C.L.R. (2d) 157; 61 C.C.C. (3d) 207; 1 C.R. (4th) 62; 50 C.R.R. 285; 121 N.R. 285; Lajoie c. Godbout (1993), 59 C.A.Q. 264; [1994] R.L. 387; The King v. Bureau, [1949] R.C.S. 367; (1949), 95 C.C.C. 1; Allardice c. R., [1979] 1 C.F. 13 (1re inst.); Koschuk, John v. The King, [1950] R.C.É. 332; (1950), 98 C.C.C. 183; James, Earl Anglin v. The Queen, [1952] R.C.É. 396; [1952] C.T.C. 187; Gosselin, Marcel v. The Queen, [1954] R.C.É. 658; R. v. Martins (1981), 36 A.R. 327 (C.S.T.N.-O.); Lacourse c. Canada (1993), 65 F.T.R. 115 (C.F. 1re inst.); Becta Transport Ltée c. Canada (1995), 93 F.T.R. 132 (C.F. 1re inst.); Duchesne c. Canada (1996), 120 F.T.R. 28 (C.F. 1re inst.); Cohen c. Canada (Ministère du Revenu national, Douanes et Accise -- M.R.N.), [1998] A.C.F. no 1204 (1re inst.) (QL); House of Giftwares Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national -- M.R.N.) (1998), 153 F.T.R. 269 (1re inst.); Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre-Dame de Bon-Secours, [1994] 3 R.C.S. 3; (1994), 63 C.A.Q. 161; 95 DTC 5017; 171 N.R. 161; Falconbridge Nickel Mines Ltd. c. Le ministre du Revenu national, [1971] C.F. 471; [1971] C.T.C. 789; (1971), 71 D.T.C. 5461 (1re inst.); conf. par [1972] C.F. 835; [1972] CTC 374; (1972), 72 DTC 6337 (C.A.); Lor-Wes Contracting Ltd. c. La Reine, [1986] 1 C.F. 346; [1985] CTC 79; (1985), 85 DTC 5310; 60 N.R. 321 (C.A.); ECG Canada Ltd. c. Canada, [1987] 2 C.F. 415; (1987), 13 C.E.R. 281; [1987] 1 C.T.C. 205; 87 DTC 5133; 9 F.T.R. 1 (1re inst.); Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex (2002), 212 D.L.R. (4th) 1; [2002] 5 W.W.R. 1; 100 B.C.L.R. (3d) 1; 18 C.P.R. (4th) 289; 287 N.R. 248 (C.S.C.); R. c. Houle, [2000] J.Q. no 719 (C.Q.) (QL); R. v. Tanaka (1997), 38 O.T.C. 86 (Div. gén. Ont.); Crédit Ford du Canada Ltée c. Canada (Ministère du Revenu national--M.R.N.), [1996] R.J.Q. 2154; (1996) 141 D.L.R. (4th) 317 (C.A.); Industrial Acceptance v. The Queen, [1953] 2 R.C.S. 273; [1953] 4 D.L.R. 369; (1953), 107 C.C.C. 1; Northwest Mortgage Co. v. Commissioner of Excise, [1944] 3 D.L.R. 273; [1944] 2 W.W.R. 90; (1944), 52 Man.R. 361; 81 C.C.C. 294 (B.R.); conf. par [1945] 1 D.L.R. 561; [1945] 1 W.W.R. 182; (1945), 52 Man.R. 367; 83 C.C.C. 161 (C.A.); Dobney Foundry Ltd. et al. v. R. (1985), 19 C.C.C. (3d) 465; 6 C.P.R. (3d) 195 (C.A.C.-B.); Re Regina and Largie (1981), 63 C.C.C. (2d) 508; 25 C.R. (3d) 289 (C.A. Ont.); Lagiorgia c. Canada, [1987] 3 C.F. 28; (1987), 42 D.L.R. (4th) 764; 35 C.C.C. (3d) 445; 16 C.P.R. (3d) 74; 57 C.R. (3d) 284; 33 C.R.R. 372; [1987] 1 C.T.C. 424; 87 DTC 5245; 77 N.R. 78 (C.A.); Vincent c. Canada (Procureur général), [1996] R.J.Q. 2128; (1996), 140 D.L.R. (4th) 330; 110 C.C.C. (3d) 460 (C.A.); R. v. Henderson, [1997] B.C.J. no 3168 (C. P.) (QL); R. v. Spindloe, [2002] 5 W.W.R. 239; (2001), 207 Sask.R. 3; 154 C.C.C. (3d) 8; 42 C.R. (5th) 58 (C.A.); RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199; (1995), 127 D.L.R. (4th) 1; 100 C.C.C. (3d) 449; 62 C.P.R. (3d) 41.

doctrine

Canada. Ministère des Finances. Révision de la Loi sur l'accise: proposition de révision du régime de taxation des produits du tabac et de l'alcool. Ottawa: Gouvernement du Canada, 1997.

Cornu, Gérard. Vocabulaire juridique, 8e éd. Paris: Presses universitaires de France, 2000.

Côté, Pierre-André. Interprétation des lois, 3e éd. Montréal: Éditions Thémis, 1999.

Sullivan, Ruth. Driedger on the Construction of Statutes, 3rd ed. Toronto: Butterworths, 1994.

ACTION intentée par CC Havanos Corporation Ltd. pour obtenir une ordonnance déclarant que son intérêt dans les biens saisis en vertu de la Loi sur l'accise n'a pas été affecté par la saisie. Action accueillie en partie.

ont comparu:

Bruce Taub pour la demanderesse.

Jacques Mimar pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier:

Bruce Taub, Montréal, pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Voici les motifs du jugement rendus en français par

[1]Le juge Rouleau: Le présent litige porte sur la contestation par la compagnie demanderesse CC Havanos Corporation Ltd. (CC Havanos) d'une saisie d'accise effectuée le 17 décembre 1998 par la Gendarmerie Royale du Canada (GRC) en vertu des dispositions de la Loi sur l'accise, L.R.C. (1985), c.  E-14 et ses amendements (la Loi sur l'accise). Dans son avis de revendication déposé au dossier de la Cour en vertu du paragraphe 117(1) de la Loi sur l'accise, la compagnie demanderesse cherche à obtenir une ordonnance déclarant que son intérêt dans les biens saisis n'est pas affecté par cette saisie et qu'elle est innocente de toute complicité dans la commission des infractions à la Loi sur l'accise ayant donné lieu à la saisie, un recours justifiable en vertu de l'article 88.2 [édicté par L.C. 1995, ch. 36, art. 13] de la Loi sur l'accise.

Les faits

[2]Dino Orsini est un homme d'affaire qui décide de se lancer dans la fabrication de cigares haut de gamme. Il met deux ans à élaborer son projet. Il incorpore son entreprise CC Havanos en mai 1998 et retient sur recommandation les services d'un conseiller en gestion, M. Marc Larochelle, afin de préparer un plan d'affaires comprenant une étude de marché et une analyse de la question légale. Le conseiller contacte Revenu Québec qui l'informe des taxes applicables et de la nécessité d'obtenir un permis provincial de fabrication de cigares et d'importation de tabac.

[3]Tant à Revenu Québec qu'à Revenu Canada, on dirige le conseiller Larochelle vers Douanes et Accise Canada. À cet endroit, un fonctionnaire lui dresse un tableau de toutes les taxes et droits applicables et on lui remet les documents pertinents. Il appert de la preuve qu'on lui aurait dit qu'il n'a pas besoin d'une licence fédérale de fabrication mais qu'il doit cependant acquitter les droits et taxes d'accise au fédéral. M. Larochelle a donc compris que, au niveau de la fabrication de cigares, c'est la loi du Québec qui s'appliquait. Il ne s'est pas informé s'il fallait estampiller les produits du tabac. À chaque endroit où il s'est rendu, il a expliqué qu'il avait un mandat d'une entreprise de fabrication de cigares haut de gamme. Il n'a pas consulté un avocat car il n'en voyait pas la nécessité et désirait réduire les coûts.

[4]Suivant les instructions de son conseiller, Dino Orsini obtient donc son permis provincial d'importateur et de fabricant de tabac ainsi qu'une licence fédérale d'importation de tabac mais non la licence fédérale de fabrication exigée par la Loi sur l'accise pour la fabrication de cigares. Il entreprend la rénovation d'un local et en décembre 1998, il ouvre une luxueuse boutique de cigares haut de gamme rue Sherbrooke ouest. Les clients peuvent ainsi déguster dans un salon des cigares fabriqués sur place et faire leur choix à l'intérieur d'un vaste humidor.

[5]La GRC avait toutefois M. Orsini à l'oeil puisqu'elle prévoyait déployer une grande opération de perquisition contre plusieurs commerces de la région montréalaise qu'elle soupçonnait de fabriquer et vendre de faux cigares cubains. Elle savait également que CC Havanos devait fabriquer des cigares et qu'elle n'avait pas obtenu sa licence de fabrication de cigares, et dès l'été 1998, alors que le local était en rénovation, des officiers de la section des douanes et accise effectuèrent une première vérification.

[6]Le 15 décembre 1998, on demande au gendarme Marc Archambault de retourner à CC Havanos peu après l'ouverture pour une deuxième vérification. Ainsi, celui-ci se rendit sur place vers 12 h 01 et constata qu'il y avait deux hommes qui semblaient d'origine hispanique assis à une table en train de rouler des cigares. Derrière eux, le gendarme Archambault aperçut ce qu'il croyait être environ une centaine de boîtes de cigares qui ne portaient aucune estampille de droits acquittés pour la fabrication de cigares en conformité avec le paragraphe 240(1) [mod. par L.C. 1994, ch. 29, art. 15] de la Loi sur l'accise. Ceux-ci se sont avérés par la suite être des moules à cigares. Il remarqua également sur le mur que des permis provinciaux étaient affichés, soit de manufacturier, d'importateur, d'agent percepteur ainsi que des certificats concernant la taxe de vente et l'impôt sur le tabac.

[7]Le gendarme Archambault, qui ne s'est pas identifié comme un policier, s'est informé de la possibilité d'acheter une boîte de cigares cubains mais que c'était très dispendieux. Un des deux hommes qui semblaient d'origine hispanique aurait répondu que le tabac était importé de Cuba et qu'ils fabriquaient les cigares dans le commerce sur place et les vendaient moins cher parce qu'il n'y avait pas de taxes et droits à payer. Par la suite, le même homme aurait présenté le patron au gendarme Archambault, un jeune homme de race blanche qui s'est avéré être Ian Orsini, le fils de Dino Orsini, et celui-ci aurait offert au gendarme Archambault une boîte de 25 cigares pour la somme de 200 $. Sur les lieux, le gendarme Archambault a aussi remarqué la présence d'un large humidor, récipient spécialement conçu pour régler l'humidité dans le but de conserver les cigares, contenant un grand nombre de cigares étalés sur une table qui ne portaient pas d'estampille. Puisqu'il s'agissait d'un cadeau de Noël, M. Ian Orsini aurait suggéré au gendarme Archambault de revenir les chercher le 22 ou le 23 décembre afin qu'ils puissent être conservés à l'abri dans l'humidor.

[8]Le 15 décembre 1998, vers 14 h 20, le gendarme Archambault a contacté Mme Diane Demers de Revenu Canada, section Accise Montréal qui confirma, après une vérification de leur système commercial de l'accise, qu'en date du 14 décembre 1998, CC Havanos n'avait aucune licence de fabrication de cigares et aucune démarche n'avait été entreprise pour l'obtention d'une licence par CC Havanos, conformément à l'article 13 de la Loi sur l'accise.

[9]Le 17 décembre 1998, agissant en vertu des articles 88 [mod. par L.C. 1995, ch. 36, art. 12], 89, 226 [mod. par L.C. 1993, ch. 25, art. 46] et 240 [mod., idem, art. 52; 1994, ch. 29, art. 15; 1995, ch. 41, art. 112] de la Loi sur l'accise comme préposés de l'accise, des membres de la GRC effectuèrent une saisie de tout le matériel qui se trouvait dans l'établissement de CC Havanos, soit le matériel et l'équipement nécessaire à la fabrication de cigares, un total de 3 106 cigares ne portant pas l'estampille exigée par la Loi sur l'accise et 448 livres de tabac, et des documents prouvant que CC Havanos fabriquait des cigares depuis au moins octobre 1998. Cette saisie fut effectuée en vertu d'un mandat de perquisition délivré par M. Jean Charles Hamelin, juge de paix, sur foi d'un affidavit dans lequel le gendarme Archambault déclarait avoir des motifs raisonnables de croire que les objets recherchés identifiés sur le document intitulé «Liste des effets saisis» se trouvaient sur lieux de CC Havanos et fourniront une preuve relative à la perpétration des infractions prévues aux articles 226(a) et 240(1)(b) de la Loi sur l'accise, soit le fait de fabriquer des cigares sans être muni de la licence prescrite par la Loi sur l'accise et le fait d'avoir en sa possession des cigares qui n'étaient pas empaquetés et ne portaient pas les estampilles conformément à la Loi sur l'accise.

[10]M. Dino Orsini, son fils Ian, et son épouse Louise Lemire-Orsini furent arrêtés sur les lieux de la perquisition et escortés au quartier général de la GRC. Ceux-ci refusèrent de faire une déclaration par écrit sur les conseils de leur avocat qui s'est lui-même présenté au bureau de la GRC. M. Dino Orsini a néanmoins déclaré verbalement au gendarme Archambault que son commerce fabriquait des cigares depuis environ un mois et qu'il se croyait dans la légalité avec ses licences provinciales. Par la suite, Dino Orsini, Ian Orsini et Louise Lemire-Orsini, ne voulant faire aucune déclaration, ont été relâchés et avisés de la possibilité que des accusations criminelles soient portées contre eux dans un avenir rapproché.

[11]Il convient de noter que jamais les membres de la GRC n'ont au cours de leurs visites avant la saisie du 17 décembre 1998 informé M. Orsini de son défaut de s'être procuré la licence fédérale de fabrication. Dès le 18 décembre 1998, date à laquelle M. Orsini a appris pour la première fois qu'il devait obtenir une telle licence, celui-ci a rencontré la préposée aux licences de Revenu Canada, section Accise Montréal, et lui a expliqué qu'il voulait obtenir une licence fédérale pour la fabrication de cigares. Celle-ci lui a donné toute l'information pertinente et remis un formulaire. Pour obtenir une licence, M. Orsini devait débourser 50 $ de droit d'accise et obtenir un cautionnement d'une compagnie d'assurance, ce qu'il fit d'ailleurs. La demande de M. Orsini fut cependant refusée cinq mois plus tard, soit le 16 avril 1999, pour des motifs d'intérêt public. On prit bien soin de lui indiquer que cette décision ferait l'objet d'une révision lorsque les procédures pénales intentées devant la Cour supérieure du Québec verraient leur dénouement.

[12]En date du 6 janvier 1999, une vérification auprès du gouvernement du Québec faite par le gendarme Archambault confirma l'invalidité des permis provinciaux dû au fait que ceux-ci furent émis en 1997 pour le 575 rue Lomme à St-Jean sur Richelieu, adresse physique de la résidence personnelle de M. Dino Orsini, et que le gouvernement ne fut jamais avisé de la place d'affaire de CC Havanos située au 1541 Sherbrooke Ouest à Montréal, ce qui constitue une infraction en vertu du paragraphe 14a) [mod. par L.Q. 1991, ch. 16, art. 14] de la Loi concernant l'impôt sur le tabac, L.R.Q., ch. I-2 du Québec.

[13]M. Dino Orsini et son fils Ian ont subi leur procès sur les deux chefs d'accusation précités. Dans une décision rendue le 21 septembre 1999 (dossier no. 500-73-000980-991), l'honorable juge Sirois de la Cour supérieure du Québec conclut que les accusés ont démontré par prépondérance de preuve que leur erreur de droit a été provoquée par l'avis sollicité d'une personne en autorité et compétente en la matière et, par conséquent, ordonna l'arrêt des procédures sur les deux chefs.

[14]Le 23 avril 1999, CC Havanos, Dino Orsini, Louise Lemire-Orsini et Ian Orsini intentèrent en Cour supérieure du Québec une action en dommages et intérêts contre sa Majesté la Reine et différents employés gouvernementaux pour une somme de 25 000 000 $ (dossier no. 500-05-049776-998). La réclamation de la compagnie demanderesse est fondée sur la perte de son commerce, la perte de son investissement, revenus et profits et sur la nature illégale et abusive de la saisie et la confiscation des biens de son commerce effectuée par la GRC. La réclamation de CC Havanos est également fondée sur le refus abusif des agents de Revenu Canada, après la saisie, de lui délivrer une licence de fabrication de cigares telle qu'exigée par la Loi sur l'accise. Quant aux réclamations indivi-duelles, celles-ci sont basées sur le préjudice moral et physique subi suite à la saisie, les arrestations illégales, les détentions, etc.

[15]Le 15 janvier 1999, CC Havanos, représentée par son avocat, donna un avis dans les 30 jours de la saisie en vertu du paragraphe 117(1) de la Loi sur l'accise indiquant qu'elle avait l'intention de revendiquer tous les biens saisis. Le 8 février 1999, le sous-procureur général du Canada, au nom de la défenderesse, produisit au dossier de cette Cour un avis de dénonciation et une dénonciation en vertu du paragraphe 116(1) de la Loi sur l'accise pour demander la confiscation des objets saisis le 17 décembre 1998. Vers le 15 février 1999, la compagnie demanderesse intenta un recours fondé sur l'article 116(2) auprès de cette Cour et vers le 17 mars 1999, la défenderesse déposa sa défense. La validité de la saisie effectuée le 17 décembre 1998 par la GRC fait l'objet de recours parallèles auprès de cette Cour et la Cour supérieure du Québec.

Les questions en litiges

[16]Je précise immédiatement, comme je l'ai déclaré lors de l'audition, que l'action de la compagnie demanderesse ne saurait certes constituer en l'instance un recours justifiable en vertu de l'article 88.2 de la Loi sur l'accise puisque cette disposition prescrit le recours approprié à «quiconque (sauf la personne accusée d'une infraction qui a eu pour résultat cette saisie ou la personne en la possession de qui ces chevaux, véhicules, vaisseaux ou autres dispositifs ont été saisis)» [soulignement ajouté]. Or, il appert de la preuve que tous les biens saisis appartenaient et étaient en possession de CC Havanos à tout moment lors de la saisie, et c'est d'ailleurs cette dernière qui revendique les biens. De plus, cette disposition vise à protéger l'intérêt de tiers innocents tels des compagnies de location d'équipement, de transport, des banques et autres créditeurs garantis, etc., ce qui n'est pas le cas en l'espèce: Bank of Nova Scotia v. Canada (Minister of National Revenue--M.N.R.), [2000] 10 W.W.R. 641 (B.R. Sask.), au paragraphe 49. Ainsi, la déclaration déposée au dossier de cette Cour par la compagnie demanderesse recherche des conclusions qui ne sont pas propres à l'action en revendication prévue à l'article 116 de la Loi sur l'accise qui, elle, vise à faire libérer ou faire déclarer confisqués les biens saisis. Enfin, quand bien même que ce recours serait ouvert à la compagnie demanderesse, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, le délai pour l'intenter est prescrit puisque la déclaration a été produite au dossier de la Cour le 12 février 1999, soit près de 60 jours après que la saisie ait été effectuée.

[17]Au procès, la compagnie demanderesse a tenté de démontrer que le mandat de perquisition et la saisie exécutée sous l'autorité de ce mandat, lui-même émis en vertu de l'article 487 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 68; L.C. 1994, ch. 44, art. 36; 1997, ch. 18, art. 41; ch. 23, art. 12; 1999, ch. 5, art. 16] du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, sont nuls et illégaux et demanda que les biens saisis lui soient restitués. Aucun motif basé sur la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] n'ayant été invoqué pour contester la validité de la saisie d'accise, cette action de la compagnie demanderesse ne peut donc qu'être fondée sur l'article 116 de la Loi sur l'accise et consiste nécessairement en une action in rem en condamnation de biens saisis. Au procès, la compagnie demanderesse a tout simplement cherché à faire déclarer illégale la saisie effectué le 17 décembre 1998 en tentant de démontrer le caractère nul et illégal du mandat de perquisition ainsi que le caractère abusif de la saisie elle-même. Elle n'a pas mis d'emphase sur sa bonne foi et son ignorance de l'activité illégale qui lui était reprochée, défenses dont la preuve n'ont, malheureusement pour la compagnie demanderesse, aucune pertinence dans une action in rem dirigée contre des biens et qui ne peuvent donc pas, pas plus que l'arrêt des procédures criminelles devant la Cour supérieure du Québec, donner lieu à la remise des biens saisis: voir Daigneault c. Ministre du Revenu national (Douanes et accise) (1990), 44 F.T.R. 226 (C.F. 1re inst.). À mon avis, la légalité de la saisie ne peut être remise en question que si les biens n'étaient pas ipso jure susceptibles d'être confisqués en vertu de la Loi sur l'accise.

[18]Dans un tel contexte, le présent pourvoi ne soulève que deux questions très spécifiques: tout d'abord, est-ce que tous les biens saisis lors de la perquisition du 17 décembre 1998 étaient par l'application de la Loi sur l'accise et ipso jure susceptibles d'être confisqués? Cette question en appelle une autre. Dans l'éventualité où on répond à cette première question par l'affirmative, le fait que la possession de certains biens en cause n'aurait pas un caractère intrinsèquement illégal donnerait-il ouverture à la possibilité qu'ils soient légitimement remis à la compagnie demanderesse même à la suite d'une saisie valide, en vertu de la Loi sur l'accise?

Les prétentions des parties

[19]La compagnie demanderesse prétend que non seulement la saisie exécutée le 17 décembre 1998 était illégale et abusive, mais qu'elle a elle-même fait l'objet d'un complot qui a eu pour effet de mettre un terme à son entreprise.

[20]Tout d'abord, la compagnie demanderesse soutient que le mandat de perquisition émis et sur lequel était basée la saisie était nul et illégal puisque lui-même fondé sur de fausses allégations contenues dans l'affidavit du gendarme Archambault. Ainsi, un des motifs contenus aux dénonciations était à l'effet qu'il y avait dans l'établissement du commerce de CC Havanos des boîtes de cigares empilés qui n'arboraient pas les estampilles requises par la Loi sur l'accise, alors qu'en réalité, il s'agissait de moules à cigares. De plus, les cigares qui se trouvaient sur le site et qui, selon les dénonciations contenues dans l'affidavit du gendarme Archambault, n'étaient pas empaquetés et n'arboraient pas les estampilles requises n'étaient pas encore destinés à la vente et, par conséquent, n'étaient pas sujets à l'accise. Ainsi, vu ces erreurs et l'insuffisance évidente des dénonciations à l'appui de l'émission du mandat de perquisition, la compagnie demanderesse soutient que le mandat ainsi que la saisie subséquente sont illégaux et nuls et, par conséquent, tous les biens saisis devraient lui être remis.

[21]En second lieu, la compagnie demanderesse prétend que les actes des membres de la GRC lors de la saisie étaient excessifs et de loin dépassaient les limites fixées par la loi. Ainsi, en exécutant le mandat de perquisition, la GRC pouvait exercer une discrétion qui aurait eu pour effet de mitiger les dommages, soit en saisissant uniquement les cigares et le tabac plutôt que l'ensemble du matériel et l'équipement ayant servi à la fabrication des cigares. Ceci est d'autant plus vrai, selon la demanderesse, lorsque l'on considère le libellé de l'article 88(2) de la Loi sur l'accise qui stipule que ces objets «peuvent être également saisis, avec ces marchandises, matières ou appareils, comme confisqués» [soulignement ajouté].

[22]De plus, la compagnie demanderesse soutient qu'elle, ainsi que M. Dino Orsini qui était à tout moment l'administrateur, le patron et l'actionnaire majoritaire de l'entreprise, étaient induits en erreur en ce qui a trait à la nécessité d'obtenir la licence fédérale de fabrication et qu'ils se sont fait refuser de façon laconique cette licence lorsqu'ils en ont fait la demande et, ultérieurement, après l'arrêt des procédures criminelles intentées devant la Cour supérieure du Québec. Ainsi, la demanderesse soumet que cette défense d'erreur de droit conjugué au comportement malicieux des membres de la GRC lors de la saisie et subséquemment est un motif suffisant pour que cette Cour annule la saisie et ordonne la remise de tous les biens saisis à celle-ci. Subsidiairement, elle prétend que cette Cour jouit d'une certaine latitude dans l'application de la Loi sur l'accise et demande que tous les biens saisis, à l'exception des cigares et du tabac, lui soient restitués.

[23]Le ministre, pour sa part, prétend que tous les biens saisis le 17 décembre 1998 étaient par l'application de la Loi sur l'accise et ipso jure confisqués au profit de sa Majesté la Reine à partir du moment où la compagnie demanderesse fabriquait des cigares sans la licence requise par la Loi sur l'accise. Ainsi, ces biens étaient confisqués avant même que la saisie soit effectuée, et non par quelque geste subséquent posé par la GRC. Il prétend que la saisie en exécution du mandat de perquisition était entièrement légal en vertu de l'article 88 de la Loi sur l'accise puisque les infractions prévues aux paragraphes 226a) et 240(1)b) étaient commises par la compagnie demanderesse. Dans ces conditions, les membres de la GRC agissant à titre de préposés d'accise non seulement pouvaient, mais devaient saisir les cigares, le tabac, le matériel et l'équipement ayant servi à la fabrication, etc. en vertu du paragraphe 88(1) de la Loi sur l'accise. À tout événement, le ministre soutient que la demanderesse n'a pas démontré que la discrétion exercée par les membres de la GRC était déraisonnable ou que leur comportement était malicieux dans les circonstances.

[24]De surcroît, le ministre prétend que le recours en revendication prévu au paragraphe 117(1) étant de la nature d'une procédure in rem et non in personam, ni l'ignorance de la Loi sur l'accise ni l'ignorance de certains faits ne pourraient poser un obstacle à la confiscation des biens saisis en l'instance, et ne pourraient servir de base légale pour que cette Cour ordonne leur remise. Enfin, le ministre prétend que cette Cour ne jouit d'aucune discrétion pour mitiger les dommages et demande que soient déclarés confisqués tous les biens saisis.

Dispositions législatives pertinentes

[25]Avant d'aborder l'analyse, il serait utile de reproduire les dispositions pertinentes de la Loi sur l'accise:

88. (1) Les articles suivants:

a) les grains, le malt, le tabac brut et les autres matières en magasin;

b) les machines, mécanismes, ustensiles, serpentins, alambics, cuves-matière, tonneaux à fermentation, presses ou hachoirs à tabac;

c) les outils ou matériaux propres à la fabrication d'alambics, de serpentins, de rectificateurs ou d'appareils similaires;

d) l'eau-de-vie, le malt, la bière, le tabac, les cigares et autres articles fabriqués,

qui se trouvent dans un lieu ou établissement où il se poursuit des opérations sujettes à l'accise, et pour lequel une licence est exigée en vertu de la présente loi mais n'a pas été émise, doivent être saisis par un préposé qui en a connaissance et être confisqués au profit de Sa Majesté, et ils peuvent être soit détruits dans l'endroit et au moment où ils sont trouvés, soit transportés en lieu sûr, à la discrétion du préposé qui opère la saisie.

(2) Tous les chevaux, véhicules, vaisseaux et autres dispositifs qui, en contravention avec la présente loi ou les règlements, servent ou ont servi au transport de marchandises assujetties à l'accise ou de matières ou appareils employés ou à employer, en contravention avec la présente loi ou les règlements, à la production de quelque article assujetti à l'accise, ou sur ou dans lesquels sont trouvés de tels marchandises, matières ou appareils, peuvent être également saisis, avec ces marchandises, matières ou appareils, comme confisqués par tout préposé et peuvent être traités de la même manière.

[. . .]

88.2 (1) Lorsque des chevaux, véhicules, vaisseaux ou autres dispositifs ont été saisis comme confisqués sous le régime de la présente loi, quiconque (sauf la personne accusée d'une infraction qui a eu pour résultat cette saisie ou la personne en la possession de qui ces chevaux, véhicules, vaisseaux ou autres dispositifs ont été saisis) réclame, à l'égard de ces chevaux, véhicules, vaisseaux ou autres dispositifs, un intérêt à titre de propriétaire, de créancier hypothécaire, de détenteur de gage ou de détenteur d'un intérêt similaire peut, dans les trente jours suivant cette saisie, s'adresser à un juge d'une cour supérieure ou à un juge de la Cour fédérale afin de faire rendre une ordonnance déclarant son intérêt.

[. . .]

116. (1) Aussitôt qu'une dénonciation a été déposée auprès d'un tribunal pour demander la confiscation de marchandises ou d'objets saisis en vertu de la présente loi, avis doit en être affiché dans le bureau du registraire, du greffier ou du protonotaire du tribunal, et dans le bureau du receveur ou du préposé en chef de la division d'accise dans laquelle les marchandises ou les objets ont été saisis.

(2) Si le propriétaire des marchandises ou objets ou la personne qui prétend y avoir droit les revendique et donne une garantie, et observe toutes les autres formalités de la présente loi à cet égard, le tribunal, à sa prochaine séance après que l'avis a été affiché pendant un mois, peut entendre et juger toute revendication qui a été régulièrement faite et présentée dans l'intervalle, et libérer ou déclarer confisqués ces marchandises ou objets, selon que le cas l'exige; autrement, après l'expiration du mois, ils sont censés confisqués et peuvent être vendus sans déclaration formelle de confiscation. [Soulignement ajouté.]

Analyse

1) La saisie du 17 décembre 1998 était-elle illégale, ce qui justifierait la remise éventuelle des biens saisis à CC Havanos?

[26]Pour réussir sur ce point, la compagnie demanderesse, chargée du fardeau de la preuve en vertu de l'article 113 de la Loi sur l'accise, devait strictement prouver que les biens saisis lors de la perquisition du 17 décembre 1998 n'étaient pas par simple application de la Loi sur l'accise et ipso jure susceptibles d'être confisqués et, par conséquent, ne pouvaient être saisis. À mon avis, elle ne l'a pas fait.

[27]Si nous examinons tout d'abord le bien-fondé du premier argument soulevé par la demanderesse, la question à trancher est de déterminer si la preuve indique que les quelques 3 000 cigares saisis par la GRC ont été fabriqués à des fins commerciales et destinés à la vente. Si c'était, le cas, ils pouvaient être saisis en vertu du paragraphe 88(1) de la Loi sur l'accise comme étant sujets à l'accise et exigeant une licence de fabrication. Selon la prépondérance de la preuve, je conclus qu'ils l'ont été pour la vente ou un usage commercial et ce, dès novembre 1998, et non pour un usage personnel ou pour être donnés gratuitement. Par conséquent, il était nécessaire d'obtenir une licence pour les fabriquer, tel que prévu à l'article 10 de la Loi sur l'accise.

[28]Quant à l'argument fondé sur l'absence de preuve du caractère illégal et non réglementaire des produits de tabac saisis en l'instance, je précise immédiatement qu'un examen minutieux de la preuve déposée au dossier de cette Cour, y compris le témoignage des témoins à l'audience dont je n'ai aucune raison de douter de la crédibilité, permet d'affirmer que la compagnie demanderesse reconnaît certainement, ne serait-ce qu'implicitement, qu'il s'agissait en l'espèce de cigares fabriqués sans licence, non empaquetés et non estampillés conformément à la Loi sur l'accise et concernant lesquels les droits d'accise n'avaient pas été acquittés. Peut-on en effet imaginer un argument meilleur et plus définitif que celui-là? Ainsi, cette preuve me convainc largement que les éléments constitutifs des infractions prévues aux paragraphes 226a) et 240(1)b) ont été établis, ce qui témoigne du caractère illégal des produits saisis. Soulignons enfin que la compagnie demanderesse n'a prétendu en aucun moment pouvoir bénéficier de l'une ou l'autres des exclusions prévues aux paragraphes 239.1(2) [mod. par L.C. 1993, ch. 25, art. 52; 1994, ch. 37, art. 8; 1995, ch. 41, art. 111] et 240(2) de la Loi sur l'accise.

[29]Quant à la suffisance des dénonciations contenues dans l'affidavit en vertu desquelles le mandat de perquisition fut émis, je dois admettre que l'argumentation de la demanderesse ne me convainc pas. Il me paraît que nous sommes loin, en l'espèce, de simples allégations de «vague soupçon» dans le but d'effectuer une «expédition de pêche» comme dans l'affaire R. c. Kokesch, [1990] 3 R.C.S. 3, à la page 29. En effet, l'exposé des faits en l'instance me paraît plutôt justifier la rationalité de la croyance que les infractions prévues aux paragraphes 226a) et 240(1)b) de la Loi sur l'accise se commettaient dans l'établissement de CC Havanos. Quant à l'erreur d'observation commise par le gendarme Archambault lors de sa visite du 15 décembre 1998, il s'agit entièrement d'une erreur de bonne foi qui ne peut avoir pour effet de vicier le mandat de perquisition. À mon avis, les dénonciations, l'affidavit et la description des objets à saisir laissaient au juge de paix Hamelin suffisamment d'informations pour lui permettre d'exercer valablement sa discrétion judiciaire dans la vérification des motifs raisonnables justifiant l'émission du mandat de perquisition, conformément à l'article 74 de la Loi sur l'accise: voir aussi Lajoie c. Godbout (1993), 59 Q.A.C. 264 (C.A.), aux paragraphes 10 et 11.

[30]De plus, la demanderesse prétend, en se fondant sur le libellé du paragraphe 88(2) de la Loi sur l'accise, qu'en exécutant le mandat de perquisition, les membres de la GRC pouvaient exercer une discrétion qui aurait eu pour effet de mitiger les dommages qu'elle a subis, soit en saisissant uniquement les cigares et le tabac plutôt que l'ensemble du matériel et l'équipement ayant servi à la fabrication des cigares. La position du ministre est que le paragraphe 88(2) de la Loi sur l'accise ne s'applique qu'aux éléments d'actif qui servent ou ont servi «au transport [. . .] en contravention avec la présente loi ou les règlements» et qu'il ne vise donc aucun des éléments d'actif saisis le 17 décembre 1998. Ainsi, en l'espèce, c'est le paragraphe 88(1) qui trouverait application et prévoit que tous les articles qui se trouvent dans un lieu ou établissement où il se poursuit des opérations sujettes à l'accise, et pour lequel une licence est exigée en vertu de la Loi sur l'accise mais n'a pas été émise, doivent être saisis par un préposé qui en a connaissance et être confisqués au profit de Sa Majesté.

[31]La Loi sur l'accise se divise en six parties et comporte quelque 260 articles. La Partie I s'intitule «Dispositions générales» et comporte les articles 8 à 128. Plusieurs de ces articles sont précédés par une brève description de leur contenu. Ainsi, le paragraphe 88(1) est précédé par note marginale «Confiscation des marchandises et appareils, à défaut de licence» alors que l'article 88(2) est précédé par note marginale «Chevaux, voitures, etc.». Cette distinction s'avère fort importante en l'espèce puisque ces deux dispositions visent des catégories différentes de biens.

[32]Pour avoir gain de cause, la demanderesse devait convaincre la Cour que les mots «autres dispositifs» utilisés au paragraphe 88(2) englobent le matériel de fabrication et l'équipement saisis le 17 décembre 1998. Or, une lecture attentive de cette disposition révèle que les «dispositifs» en question sont des objets qui «servent ou ont servi au transport de marchandises assujetties à l'accise» ou au transport de «matières ou appareils employés ou à employer, en contravention avec la présente loi ou les règlements, à la production de quelque article assujetti à l'accise», ou «sur ou dans lesquels sont trouvés de tels marchandises, matières ou appareils». Ainsi, la présence de ces mots limitatifs illustre que cette disposition ne vise que la saisie des moyens de transport et non celle des articles eux-mêmes. En l'instance, puisqu'aucun véhicule ayant servi au transport ou à l'entreposage des cigares non empaquetés et non estampillés ou au transport du matériel et de l'équipement ayant servi à leur fabrication n'a été saisi, le paragraphe 88(2) ne trouve pas application.

[33]Je suis en accord avec la position du ministre à l'effet que c'est plutôt au paragraphe 88(1) qui s'applique à tous les biens saisis en l'espèce puisqu'il prévoit expressément que le tabac brut, les machines, mécanismes, ustensiles, presses ou hachoirs à tabac et les cigares fabriqués qui se trouvaient dans l'établissement de CC Havanos où il se poursuivait des opérations de fabrication de cigares, et pour lesquels une licence est exigée en vertu de la Loi sur l'accise mais n'a pas été émise, devaient être saisis par les préposés d'accise. Les membres de la GRC ne jouissaient d'aucun pouvoir discrétionnaire lors de la saisie du 17 décembre 1998. Enfin, quand bien même que les préposés d'accise aient eu discrétion pour saisir uniquement les cigares et le tabac, je suis loin d'être convaincu que la saisie de tous les biens effectuée en l'instance puisse être qualifiée de déraisonnable, malicieuse ou abusive.

[34]Ceci dit, qu'en est-il de la question en litige et du véritable problème que pose ce dossier, à savoir si tous les biens saisis le 17 décembre 1998 étaient confisqués de plein droit, ce qui justifierait leur saisie en vertu de la Loi sur l'accise? Il s'agit ici d'analyser les conséquences juridiques d'une conclusion que les infractions prévues aux paragraphes 226a) et 240(1)b) ont été commises par la compagnie demanderesse.

[35]La théorie de la confiscation que l'on trouve dans les lois du Canada, et plus particulièrement dans la Loi sur l'accise, est demeurée incontestée pendant de nombreuses générations et reconnue par les tribunaux même lorsque contestée. Elle s'est implantée dans notre conscience en tant qu'outil de respect de la loi et de réglementation de certaines activités, et elle reflète les principes séculaires de l'action in rem, qui rattachent l'infraction principalement à la chose et entraînent la confiscation de cette dernière par simple application de la Loi sur l'accise, et ce, que l'infraction soit un malum in se ou un malum prohibitum: Porter c. Canada, [1989] 3 C.F. 403 (1re inst.), à la page 416. Aux yeux de la Loi sur l'accise, une action in rem est donc une réalité bien concrète qui, en un sens, insuffle une personnalité à la chose. Cette personnalité est telle que le comportement répréhensible ou sans tache de son propriétaire n'intéresse nullement la Loi sur l'accise. La confiscation, quant à elle, est une fiction juridique créée par la Loi sur l'accise et non une réalité physique. Elle relève de la compétence du fisc en matière de recettes et vise à protéger au profit de Sa Majesté les recettes réalisées grâce aux taxes d'accise. Suivant cette théorie, un bien devient confisqué de droit au profit de Sa Majesté dès qu'une infraction est commise à son égard, et la saisie intervient par la suite par les préposés d'accise qui remettent dans le patrimoine de Sa Majesté ce bien qui lui appartient déjà, jusqu'à ce que celui-ci soit déclaré confisqué de façon définitive ou restitué par une autorité compétente: The King v. Bureau, [1949] R.C.S. 367, à la page 377; Allardice c. R., [1979] 1 C.F. 13 (C.F. 1re inst.), à la page 23 (bien que ces décisions soient rendues sous le régime de la Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, ch. C-40, les notions de «saisie» et de «confiscation» demeurent les mêmes».

[36]Le paragraphe 88(1), en vertu duquel tous les biens ont été saisis en l'espèce, et dont le libellé est identique à celui du paragraphe 87(1) édicté en 1934 [Loi de l'accise, 1934, S.C. 1934, ch. 52], prévoit que tous les articles qui se trouvent dans un lieu ou établissement où il se poursuit des opérations sujettes à l'accise, et pour lequel une licence est exigée en vertu de la Loi sur l'accise mais n'a pas été émise, «doivent être saisis» par un préposé qui en a connaissance «et être confisqués» au profit de Sa Majesté. Le libellé de cette disposition n'est guère un exemple de précision et d'éloquence, et le langage quelque peu boiteux utilisé peut certes porter à confusion en ce qui concerne le moment à partir duquel opère la confiscation de ces objets. Ceci ne change toutefois en rien le fait que la confiscation à l'égard de tous les biens saisis le 17 décembre 1998 opéra de droit dès qu'il y avait fabrication de cigares sans licence et dès que la compagnie demanderesse était en possession de cigares non empaquetés et non estampillés conformément à la Loi sur l'accise. C'est uniquement par après que la demanderesse s'est vue dépossédée de ses biens sans son consentement au profit de Sa Majesté.

[37]Ceci ressort d'ailleurs clairement d'une analyse des différentes dispositions de la Loi sur l'accise. Le paragraphe 88(1) a été édicté par renvoi au paragraphe 239.1(2) lequel prévoit que «sont confisqués au profit de Sa Majesté du chef du Canada et saisis par un préposé, et il en est disposé en conséquence, le tabac fabriqué ou les cigares qui ne sont pas empaquetés et qui ne portent pas l'estampille de tabac ou l'estampille de cigares en conformité avec la présente loi et les règlements ministériels» [soulignement ajouté]. L'article 226 [mod. par L.C. 1993, ch. 25, art. 46] reprend les termes du paragraphe 239.1(2) et stipule que «[t]outes les marchandises assujetties à l'accise trouvées dans l'établissement où cette infraction est commise sont confisquées au profit de Sa Majesté du chef du Canada et saisies par un préposé» [soulignement ajouté]. De plus, l'article 71 vient compléter les deux dispositions précitées et prévoit que «[s]i des marchandises, machines à vapeur, chaudières, alambics, tonneaux à fermentation, mécanismes, appareils, vaisseaux ou ustensiles, bateaux, navires ou véhicules, ou autres articles ou denrées, sont confisqués pour infraction à la présente loi, le receveur ou autre préposé, ou toute autre personne qui agit sous l'autorisation de ce préposé, peut les saisir en tout temps après que l'infraction a été commise» [soulignement ajouté]. Enfin, le paragraphe 117(1), disposition traitant de la confiscation finale automatique des biens non revendiqués, est catégorique à l'effet que son champ d'application s'étend aux «véhicules, vaisseaux, marchandises et autres objets saisis comme confisqués en vertu de la présente loi ou de toute autre loi relative à l'accise» [soulignement ajouté], ce qui englobe clairement les biens saisis en l'instance. L'expression «saisis comme confisqués» a par ailleurs fait l'objet d'une interprétation dans l'arrêt The King v. Central Railway Signal Co., [1933] R.C.S. 555, une décision concernant l'interprétation de l'article 125 de la Loi sur l'accise de 1927 (maintenant l'article 117), où la Cour suprême du Canada conclut ainsi aux pages 558, 560 et 561:

[traduction] Au vu de la preuve, il est indiscutable que les marchandises ont été saisies et «saisi[e]s comme confisqué[e]s» pour une violation à la Loi sur l'accise. Il n'existe pas non plus d'ambiguïté quant à l'effet d'une telle saisie. Celle-ci part de l'hypothèse que les biens, confisqués ipso jure, en raison d'une violation à la Loi, appartiennent à Sa Majesté au moment de la saisie et non en conséquence de celle-ci. Il y a plusieurs dispositions de la loi qui donnent lieu à une confiscation en cas de perpétration d'une infraction, à titre de conséquence juridique de l'infraction, indépendam-ment de tout acte posé par les préposés d'accise or de toute déclaration de culpabilité ou de tout autre jugement d'un tribunal.

[. . .]

Il ne semble exister aucun moyen substantiel d'attribuer une ambiguïté ou une obscurité au texte ou d'entretenir des doutes quant à ce qu'il signifie. Compte tenu des dispositions de la loi, l'expression «saisis comme confisqués» ne peut avoir qu'un seul sens, comme nous l'avons déjà indiqué. Cette expression ne peut viser qu'une saisie effectuée à la suite de la confiscation des biens dont le titre, en raison de cette confiscation, devient acquis à Sa Majesté. Le contexte illustre également que cette expression ne vise pas une confiscation résultant d'une déclaration de confiscation, et il ne fait aucun doute qu'elle comprend une confiscation résultant de la perpétration d'une infraction, sans qu'un préposé de Sa Majesté ne prenne une mesure ou n'intente une procédure.

Que se passe-t-il ensuite? «Les [. . .] marchandises [. . .] saisi[e]s comme confisqué[e]s», prévoit la disposition «sont censé[e] confisqué[e]s, et il en est disposé en conséquence», à moins que le propriétaire ou la personne entre les mains de qui ils ont été saisis ne donne avis dans un mois à compter de la saisie qu'il se propose de les revendiquer. Le fait que les marchandises sont «censé[e] déclaré[e]s confisqué[e]s» est déclaré inconditionnellement être la conséquence de la saisie à moins qu'un avis ait été donné dans le délai prévu. Dans un tel cas, le préposé saisissant peut restituer les marchandises au propriétaire pourvu que celui-ci signe un cautionnement pour le double de leur valeur en cas de déclaration de confiscation. En l'absence d'un avis dans un délai d'un mois, il s'ensuit par l'effet de la loi une déclaration de confiscation. Si un avis est donné, la loi expose les procédures habituelles pour l'établissement des motifs de confiscation et de déclaration de confiscation.

[38]Ainsi, dans le cas de la saisie en l'instance, la poursuite est, du moins suivant la théorie traditionnelle, intentée contre les cigares, le tabac, le matériel et l'équipement eux-mêmes en tant qu'objets susceptibles d'être confisqués au profit de Sa Majesté en raison, dans le cas des cigares, de leur fabrication et possession illégale par la demanderesse et, dans le cas des autres objets et matériaux, en raison de leur utilisation pour commettre des infractions à la Loi sur l'accise. Ainsi que la jurisprudence l'enseigne, l'innocence de CC Havanos de tout méfait en l'instance, pas plus que le comportement des agents de la GRC suite à la saisie, aussi discutable soit-il, n'a aucune incidence sur le fait que ces objets étaient par simple application de la Loi sur l'accise ipso jure confisqués, et ce, depuis le jour où les infractions à la Loi sur l'accise ont été commises: The King v. Krakowec et al., [1932] R.C.S. 134, aux pages 140 à 143; Porter, supra, aux pages 411 à 413. La preuve ayant démontré que les infractions prévues aux paragraphes 226a) et 240(1)b) de la Loi sur l'accise ont été commises dans l'établissement de CC Havanos, tous les biens saisis lors de la perquisition du 17 décembre 1998 étaient ipso jure confisqués au profit de Sa Majesté et, par conséquent, les membres de la GRC, agissant à titre de préposés d'accise, étaient en droit de les saisir, et même devaient le faire en vertu du paragraphe 88(1) de la Loi sur l'accise.

2) Puisque la compétence conférée à la Cour fédérale en vertu du paragraphe 116(2) de la Loi sur l'accise lui permet de «libérer ou déclarer confisqués ces marchandises ou objets, selon que le cas l'exige», cette Cour a-t-elle discrétion d'ordonner que certains biens soient remis à leur propriétaire, malgré qu'ils soient confisqués de plein droit, et malgré une saisie valide?

[39]La compagnie demanderesse tente d'obtenir de cette Cour une décision ordonnant la remise de certains biens saisis, en l'occurrence tout le matériel et l'équipement ayant servi à la fabrication illégale des cigares, remède dont l'existence dépend inévitablement de l'interprétation de la Loi sur l'accise.

[40]Le ministre reconnaît que la Cour a compétence pour statuer sur la question de la restitution des biens saisis, mais il fait valoir qu'elle doit refuser d'accorder le remède demandé par la compagnie demanderesse au motif que la procédure étant une action in rem en condamnation contre des biens saisis, la Cour ne peut mitiger les effets d'une confiscation et d'une saisie effectuées en conformité avec la Loi sur l'accise. S'il faut en croire cette théorie, seule une saisie déclarée illégale par cette Cour effacerait les effets de la confiscation des biens et donnerait lieu à leur restitution. Si la Cour conclut cependant que tant la confiscation que la saisie des biens de la compagnie demanderesse étaient conformes à la Loi sur l'accise, alors celle-ci n'aurait aucune discrétion d'ordonner la remise de certains biens et n'aurait d'autre alternative que de déclarer confisqués tous les biens saisis sans exception. Je ne suis pas d'accord.

[41]Au soutien de sa position, le ministre cite plusieurs décisions des tribunaux ayant reconnu qu'il n'existait pas de pouvoir discrétionnaire qui permette à un tribunal d'accorder un redressement au propriétaire de bonne foi d'un véhicule ou à la personne dont la condamnation pour transport d'alcool ou de tabac illicite était finalement annulé. Ainsi, dans l'arrêt Krakowec, supra, aux pages 141 à 143, la Cour suprême du Canada affirma ce qui suit quant à la portée du pouvoir dont sont investis les tribunaux en matière de confiscation de biens en vertu de la Loi sur l'accise:

[traduction] À partir du texte de la disposition, il doit par conséquent s'ensuivre que tout véhicule utilisé pour transporter de l'eau-de-vie illégalement fabriquée ou importée est visé par la confiscation y prévue, sauf s'il existe quelque chose dans le contexte ou la portée générale de la Loi qui justifie que l'on s'écarte de la règle bien établie selon laquelle il faut dégager l'intention du législateur des termes qu'il a choisis pour s'exprimer. En l'espèce, nous ne trouvons rien de la sorte dans le contexte ou dans l'objet de la loi.

[. . .]

Quant à savoir si une telle chose existe relativement à que lord Cairns (dans Partington v. Attorney-General ((1869) L.R. 4 H.L. 100, à la p. 122)) a qualifié d' «interprétation équitable» d'une loi, à notre avis, il ne s'agit pas d'un cas exigeant une telle interprétation, et nous ne voyons aucune raison de ne pas tout simplement respecter le texte de la loi.

Il n'appartient pas au tribunal de dire si, dans certains cas, -- comme par exemple lorsque le véhicule utilisé a été volé à son propriétaire -- la confiscation peut causer des difficultés. De telles situations sont expressément prévues au par. 2 de l'art. 133 de la Loi sur l'accise. Le pouvoir de trancher ces situations est expressément dévolu au gouverneur en conseil, laissant ainsi plein effet à l'application de l'art. 91 de la Loi du revenu consolidé et de la vérification (ch. 178, S.R.C. 1927), relativement à la remise des objets confisqués. Nous ne pouvons souscrire à la décision rendue dans Le Roi v. Messervier ((1928) Q.R. 34 R.L.n.s. 436), déjà mentionnée, selon laquelle le pouvoir discrétionnaire est également conféré au tribunal en vertu de l'art. 124 de la Loi. À notre avis, cette disposition ne signifie rien de plus que ce qui suit:

Une fois que les véhicules, vaisseaux, marchandises et autre objets sont saisis comme confisqués en vertu de l'art. 181, la personne entre les mains de qui ils ont été saisis ou leur propriétaire peut en empêcher la déclaration automatique de confiscation en donnant avis, comme le prévoit l'art. 125 «qu'elle les revendique ou se propose de les revendiquer»; après quoi, sur dépôt (comme ce fut le cas en l'espèce) d'une dénonciation portant déclaration de confiscation des véhicules et autres, le tribunal peut entendre et juger la revendication faite par la personne entre les mains de qui ils ont été saisis ou leur propriétaire et il peut en ordonner la mainlevée ou la confiscation, selon le cas, c'est-à-dire selon qu'ils sont visés ou non par les dispositions de la Loi. Le tribunal ne possède sous ce régime aucun pouvoir discrétionnaire, il doit statuer conformément aux règles de droit. [Mes soulignés.]

[42]La Cour de l'Échiquier est allée encore plus loin pour circonscrire la portée du pouvoir des tribunaux dans de tels cas dans Mayberry, Herbert Frederik v. The King, [1950] R.C.É. 402, en affirmant ceci aux pages 407, 409 et 410:

[traduction] À mon avis, les faits de l'affaire sont ceux relatés par le demandeur, mais malheureusement cette conclusion ne lui donne pas droit à la réparation qu'il sollicite maintenant. L'affaire est de la nature d'une procédure in rem et, s'il est établi--comme je pense que cela le fut en l'espèce --que le véhicule «[a] servi ou ser[t] aux fins de transporter l'eau-de-vie [. . .] [illégalement] fabriquée», le tribunal n'est investi d'aucun pouvoir discrétionnaire en cette matière, mais il doit déclarer le véhicule confisqué, et ce même si le propriétaire n'était pas au courant que l'eau-de-vie était transportée dans son véhicule. La seule exception à cet énoncé est la réparation partielle accordée en vertu de la section 169(A), dont ne peut se prévaloir le demandeur en l'espèce puisque le véhicule était en sa possession au moment où il a été saisi.

[. . .]

Si je bénéficiais, en vertu de la Loi, d'un pouvoir discrétionnaire dans l'examen des faits établis, j'aurais sans hésitation accordé au demandeur la réparation sollicitée et ordonné que sa voiture lui soit remise. Cependant, comme je ne possède pas ce pouvoir, il est de mon devoir d'appliquer les règles de droit se dégageant de la loi et à la lumière de l'interprétation qui leur a été donnée dans la décision que j'ai mentionnée. Par conséquent, puisque le ministère public a établi le fait que le véhicule avait été utilisé pour le transport d'eau-de-vie, on l'a reconnu, illégalement fabriquée, je dois donc conclure que que ladite automobile est déclarée confisquée au profit de Sa Majesté en vertu des dispositions de la Loi de l'accise.

Selon l'avocat du demandeur, même s'il ne fait aucun doute que le véhicule a été utilisé «dans le transport» d'eau-de-vie illégalement fabriquée, on ne saurait affirmer qu'il l'a été «aux fins» de transporter l'eau-de-vie ainsi fabriquée. À son avis, puisque le conducteur et propriétaire n'était pas au courant de la présence d'eau-de-vie dans sa voiture, il n'avait en conséquence pas l'intention ou ne visait pas la fin d'utiliser sa voiture pour un tel transport. Je ne suis pas en mesure de retenir cette interprétation. L'objet évident que vise la Loi est d'établir des peines plus sévères que des peines d'amendes ou d'emprisonnement et de prévoir la confiscation des navires et véhicules illégalement engagés dans le trafic d'alcool. Si, dans de telles circonstances les préposés de Sa Majesté devaient prouver l'intention ou la fin visée par le propriétaire ou conducteur d'un tel véhicule dans le transport d'eau-de-vie illicite, ils seraient aux prises avec une tâche très difficile et tout l'objet de la disposition pourrait facilement être escamoté.

Ma conclusion créera sans aucun doute de graves difficultés pour le demandeur. Je me rends également compte qu'elle pourrait créer de très grandes difficultés pour un automobiliste qui prend dans sa voiture un étranger susceptible d'avoir en sa possession une très petite quantité d'eau-de-vie illicite, dissimulée sur sa personne. Nonobstant l'absence de pouvoir discrétionnaire du tribunal en vertu de la Loi de l'accise actuelle, il existe un pouvoir de trancher de telles situations difficiles en vertu de la Loi du revenu consolidé et de la vérification, 1931, ch. 27, art. 33, de tels pouvoirs de remise de l'objet confisqué étant expressément réservés au gouverneur en conseil en vertu de l'art. 124 de la Loi de l'accise. Je ne peux terminer sans laisser entendre qu'il s'agit d'un cas où l'on pourrait bien examiner une telle revendication susceptible d'être présentée par le demandeur en l'espèce. [Mes soulignés.]

Voir aussi Koschuk, John v. The King, [1950] R.C.É. 332; James, Earl Anglin v. The Queen, [1952] R.C.É. 396; Gosselin, Marcel v. The Queen, [1954] R.C.É. 658.

[43]Dans Zarowney, Joe v. The Queen, [1956] R.C.É. 16, une décision relative aux articles 114 et 115 de la Loi sur l'accise [S.R.C. 1952, ch. 99] alors en vigueur (maintenant les articles 116 et 117), la Cour de l'Échiquier indiqua ceci aux pages 21 à 24:

[traduction] Si je devais trancher une demande en vertu de l'article 164 de la Loi sur l'accise, je n'hésiterais pas à rendre une ordonnance déclarant que l'intérêt du demandeur n'est pas affecté par cette saisie. Cependant, la situation est différente lorsque l'on examine une revendication sous le régime des articles 114 et 115 auxquels le demandeur a choisi d'avoir recours en l'espèce. Il faut respecter le texte législatif. Les articles 114 et 115 ne confèrent au tribunal aucun pouvoir discrétionnaire comme c'est le cas dans l'article 164. Il me faut libérer ou déclarer confisqué le camion «selon que le cas l'exige».

Le texte du paragraphe 163(3) de la Loi sur l'accise ne laisse pas d'équivoque. Le fait que le camion a été utilisé pour le transport de l'eau-de-vie illégalement fabriquée sans le consentement du propriétaire ou du conducteur du camion ou sans que l'un ou l'autre en ait connaissance ne peut avoir une incidence sur l'application ou l'effet du paragraphe 163(3) de la loi. La confiscation est obligatoire. L'interprétation de l'expression «tous [. . .] véhicules [. . .] qui ont servi [. . .] aux fins de transporter l'eau-de-vie ainsi fabriquée [. . .] sont confisqués au profit de la Couronne.»

[. . .]

Comme mon collègue le juge Cameron l'a fait dans des circonstances quelque peu semblables dans la décision Mayberry v. The King, (1950) R.C.É. 402, je dois appliquer le texte de la loi et ordonner la confiscation du camion. [Mes soulignés.]

[44]La décision de la Cour suprême dans Krakowec a également été citée par le juge Mahoney dans Lawson v. R., [1980] 1 C.F. 767 (1re inst.), une décision concernant une demande de réexamen de la confiscation d'une camionnette et d'un autre véhicule faite par le ministre en vertu de la Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, ch. C-40. Aux pages 771 et 772 de la décision, le juge Mahoney nota ce qui suit:

Aux fins de l'examen d'une demande de remise de confiscation, la Cour doit examiner dans la preuve tous les motifs en vertu desquels les marchandises auraient pu être confisquées. Elle ne peut restreindre son examen aux motifs énoncés de la confiscation. La Cour doit toutefois se limiter à déterminer si les marchandises étaient en fait et en droit passibles de confiscation [référence à la décision Krakowec]. Le pouvoir de remettre une telle confiscation appartient au gouverneur en conseil; la Cour peut seulement ordonner la restitution des marchandises ou déclarer qu'elles demeurent confisquées. [Mes soulignés; notes omises.]

[45]Bon nombre de décisions plus récentes ont appliqué les principes énoncés par les décisions précitées et refusé de restituer les biens saisis, même si cela faisait subir une lourde perte aux demandeurs: R. v. Martins (1981), 36 A.R. 327 (C.S.T.N.-O.); Lacourse c. Canada (1993), 65 F.T.R. 115 (C.F. 1re inst.); Becta Transport Ltée c. Canada (1995), 93 F.T.R. 132 (C.F. 1re inst.); Duchesne c. Canada (1996), 120 F.T.R. 28 (C.F. 1re inst.); Cohen c. Canada (Ministère du Revenu national, Douanes et Accise--M.R.N.), [1998] A.C.F. no 1204 (1re inst.) (QL); House of Giftwares Ltd. c. Canada (Ministre du revenu national--M.R.N.) (1998), 153 F.T.R. 269 (1re inst.). En résumé, toutes ces décisions démontrent que la Loi sur l'accise exigeait et exige toujours que le véhicule utilisé pour le transport d'alcool ou de produits de tabac illicite soit déclaré confisqué au profit de Sa Majesté par les tribunaux dès que les éléments constitutifs de l'infraction ont été prouvés.

[46]Je ne suis cependant pas disposé à accepter l'interprétation donnée par ces décisions au pouvoir des tribunaux en matière de confiscation sous le régime de la Loi sur l'accise comme déterminante pour sceller l'issue du présent litige. La décision de la Cour suprême du Canada dans Krakowec, sur laquelle reposent les décisions subséquentes de la Cour de l'Échiquier, a été rendue avant que l'article 169a. (maintenant l'article 88.2) soit inséré dans la Loi sur l'accise en 1934. Il est en effet admis que depuis cet arrêt, la Loi sur l'accise a été modifiée pour permettre à un tiers innocent et de bonne foi de s'adresser à un tribunal pour faire rendre une ordonnance déclarant son intérêt dans les biens saisis, ce qui marque le passage d'une position de rigidité complète à une position davantage raisonnable et juste. De plus, la Cour suprême n'était pas confrontée à une demande de restitution de certains biens comme celle qui nous préoccupe en l'espèce, et les propos tenus à la toute fin de la décision sont pour le moins ambigus et ne constituent, à tout événement, qu'un obiter dictum. Je ne considère donc pas cette décision comme concluante en ce qui concerne la question à laquelle nous sommes confrontés. Quant aux décisions subséquentes de la Cour de l'Échiquier et de notre Cour, elles se fondent, à mon avis, sur une interprétation très restrictive des propos de la Cour suprême dans Krakowec et ne traitent pas de façon approfondie de la question du pouvoir des tribunaux en matière de confiscation de biens saisis sous le régime normatif et réglementaire de la Loi sur l'accise. En effet, il n'y a, à ma connaissance, aucune décision qui se prononce directement sur la question de l'interprétation du paragraphe 116(2). À tout événement, ces décisions ne lient pas cette Cour.

A. Principes d'interprétation législative de la Loi sur l'accise

[47]Tel que mentionné précédemment, la portée du pouvoir discrétionnaire des tribunaux en matière de confiscation sous le régime de la Loi sur l'accise, s'il y en a un, a déjà été examinée dans quelques décisions qui, à mon avis, demeurent les vestiges d'une époque où les principes d'interprétation législatives étaient employés par les tribunaux de façon rigide et mécanique. Cette façon de faire, si elle était employée jadis, va clairement à l'encontre de la théorie contemporaine d'interprétation des lois qui consiste à examiner le but qu'elles visent. C'est cependant la première fois que notre Cour est directement appelée à interpréter et appliquer le paragraphe 116(2) de la Loi sur l'accise qui lui confère le pouvoir de «libérer ou déclarer confisqués ces marchandises ou objets, selon que le cas l'exige». En matière fiscale, la tendance dominante a traditionnellement favorisé une interprétation à la fois littérale et restrictive ayant eu pour effet de favoriser le contribuable. Désormais, il semble acquis que les lois fiscales telles la Loi sur l'accise doivent être interprétées de la même manière que les autres lois, mais appliquées, en cas d'ambiguïté ou de doute raisonnable, de manière à favoriser le contribuable: Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre-Dame de Bon-Secours, [1994] 3 R.C.S. 3, à la page 20. Ce point tournant dans l'évolution des principes d'interprétation des lois fiscales au Canada a été motivé par le constat selon lequel le but des lois fiscales n'est plus confiné à la seule levée de fonds pour faire face aux dépenses gouvernementales. Il est reconnu que ces lois servent aussi à des fins d'intervention sociale et économique.

[48]Voici comment, à la page 131 de son ouvrage Driedger on the Construction of Statutes (3e éd., 1994), le professeur Ruth Sullivan a énoncé le principe applicable en matière d'interprétation législative, de la manière qui fait maintenant autorité:

[traduction] Il n'existe qu'une seule règle d'interprétation moderne: les tribunaux sont tenus d'interpréter un texte législatif dans son contexte global, en tenant compte de l'objet du texte en question, des conséquences des interprétations proposées, des présomptions et des règles spéciales d'interprétation, ainsi que des sources acceptables d'aide extérieure. Autrement dit, les tribunaux doivent tenir compte de tous les indices pertinents et acceptables du sens d'un texte législatif. Cela fait, ils doivent ensuite adopter l'interprétation qui est appropriée. L'interprétation appropriée est celle qui peut être justifiée en raison a) de sa plausibilité, c'est-à-dire sa conformité avec le texte législatif, b) de son efficacité, dans le sens où elle favorise la réalisation de l'objet du texte législatif, et c) de son acceptabilité, dans le sens où le résultat est raisonnable et juste. [Soulignement ajouté.]

[49]Notre Cour a à maintes reprises privilégié la méthode moderne d'interprétation législative proposée par Driedger, et ce dans divers contextes, y compris en matière fiscale: Falconbridge Nickel Mines Ltd. c. Le ministre du Revenu national, [1971] C.F. 471 (1re inst); confirmé par [1972] C.F. 835 (C.A.); Lor-Wes Contracting Ltd. c. La Reine, [1986] 1 C.F. 346 (C.A.); ECG Canada Ltd. c. Canada, [1987] 2 C.F. 415 (1re inst.). Je tiens également à souligner que, pour ce qui est de la législation fédérale, le bien-fondé de la méthode privilégiée par notre Cour est renforcé par l'article 12 de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, qui dispose que tout texte «est censé apporter une solution de droit et s'interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet». D'autres principes d'interprétation--telle l'interprétation stricte des lois fiscales contre le fisc et en faveur du contribuable puisqu'elles posent des restrictions à la jouissance des biens et du droit de propriété--ne s'appliquent que si le sens d'une disposition est ambiguë ou si un doute raisonnable subsiste quant à son sens. On ne saurait conclure hâtivement cependant à l'existence d'une d'ambiguïté. Il est donc nécessaire, dans chaque cas, «que le tribunal appelé à interpréter une disposition législative se livre à l'analyse contextuelle et téléologique énoncée par Driedger, puis se demande si [traduction] "le texte est suffisamment ambigu pour inciter deux personnes à dépenser des sommes considérables pour faire valoir deux interprétations divergentes"» [soulignement ajouté]: Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex (2002), 212 D.L.R. (4th) 1 (C.S.C.), aux paragraphes 29 et 30.

B. Application aux faits de l'espèce

[50]Puisque la législation fiscale a pour principal objectif la perception de revenus au profit de Sa Majesté, une méthode d'interprétation du paragraphe 116(2) centrée sur les objectifs de la Loi sur l'accise aura tendance à jouer en faveur du fisc, alors que la prévalence du sens littéral de la disposition aura tendance à favoriser plutôt le contribuable. Puisqu'il est malaisé en l'espèce de choisir entre le sens de la règle suggéré par le sens ordinaire des mots et le sens de la règle qui assurerait mieux la réalisation de ses objectifs, j'accorderais un poids équivalent à ces arguments. Ainsi, dans le contexte du présent pourvoi, mon analyse est divisée en trois grandes rubriques.

1) Le sens ordinaire et grammatical

[51]Avant d'amorcer mon analyse, je tiens à mettre en relief un élément important propre à la confiscation des biens saisis sous le régime de la Loi sur l'accise. Tel que mentionné, la confiscation est le fait de prendre, au nom et au profit du fisc, le ou les biens qui appartiennent à quelqu'un par une mesure de punition ou de sûreté: voir G. Cornu, Vocabulaire juridique, 8e éd., Paris: Presses universitaires de France, 2000. Elle opère à deux moments spécifiques; a) de plein droit à partir du moment où une infraction est commise à l'égard du bien, ce qu'il conviendrait d'appeler une «confiscation temporaire», et ce qui donne lieu à la saisie «légale» du bien; b) elle opère également par voie judiciaire lorsqu'une autorité compétente déclare les biens confisqués après vérification, ce qu'il conviendrait d'appeler une «confiscation permanente». Ainsi, en vertu du paragraphe 116(2) de la Loi sur l'accise, il appartient à un tribunal d'entendre et juger toute revendication qui a été régulièrement faite et de se prononcer en définitive sur la nature «confisqué» ou non d'un bien saisi.

[52]Essentiellement, le paragraphe 116(2) de la Loi sur l'accise se présente comme une disposition attributive de compétence aux tribunaux entendant une demande de revendication d'objets saisis de libérer ou déclarer confisqués ces objets. Notre Cour n'étant pas une cour supérieure ayant une compétence inhérente, tout pouvoir qui lui est conférée en vertu de la Loi sur l'accise doit l'être en termes exprès ou par implication nécessaire.

[53]Si je comprends bien cette disposition, celle-ci confère un pouvoir à la Cour et est rédigée dans des termes qui, à première vue, paraissent n'impliquer aucune contrainte, aucune obligation quelconque d'exercer le pouvoir en question («le tribunal peut»). Elle en précise d'ailleurs la nature («libérer ou déclarer confisqués, selon que le cas l'exige») et l'objet («ces marchandises ou objets»). Il convient de noter que l'objet de ce pouvoir judiciaire n'est assorti d'aucune qualification ou terme limitatif (s'agit-il de tous les biens saisis, ou également certains biens, à la discrétion du tribunal?). La version anglaise énonce elle aussi ces quatre éléments, dans le même ordre.

[54]L'intention du législateur doit être appréciée en fonction des mots qu'il a choisi d'employer. En l'espèce, il m'apparaît toutefois impossible d'analyser séparément les divers éléments contenus dans le paragraphe 116(2) pour lui donner un sens puisqu'ils sont étroitement liés et interdépendants, et il faudra faire preuve de grande prudence dans notre analyse. Tout d'abord, s'il faut entendre par les mots «ces marchandises ou objets», toutes les marchandises ou objets saisis, sans exception, ce qui serait une interprétation tout à fait plausible, l'emploi du terme «peut» par opposition à «doit» dans cette disposition semble démontrer que le législateur ait voulu conférer une discrétion au tribunal de décider de libérer certains biens. Toutefois, en pratique, il arrivera assez fréquemment que le contexte ou l'objet de la loi ou de la disposition permettront de conclure que le pouvoir conféré n'est pas absolument discrétionnaire. Il se peut en effet qu'un pouvoir soit assorti d'un devoir d'exercer le pouvoir en question d'une manière précise lorsque certaines circonstances sont réunies.

[55]Il en est ainsi par exemple lorsque les mots en question sont attributifs d'une compétence judiciaire. Dans le cas en l'espèce, il se peut donc fort bien que le législateur ait voulu prescrire un recours par lequel une personne se présente devant un tribunal chargé de sanctionner les biens saisis, et dans le cadre duquel le tribunal n'aurait pas de discrétion à exercer mais devrait libérer les biens si et seulement si les éléments constitutifs des infractions ayant donné lieu à la confiscation ne sont pas réunis à sa satisfaction. Autrement dit, par le recours prévu dans cette disposition, le ministre s'adresserait au tribunal pour que celui-ci confirme la confiscation temporaire des biens saisis après qu'il eût été démontré à sa satisfaction que ces biens étaient effectivement confisqués de plein droit et donc saisis légalement. Il se peut aussi cependant que le législateur ait réellement voulu attribuer une discrétion à un tribunal de libérer certains biens saisis comme confisqués, et ce, même lorsque les éléments constitutifs des infractions ayant donné lieu à la confiscation sont réunis. Ces deux interprétations du pouvoir judiciaire en matière de confiscation sont tout à fait raisonnables, mais aucune ne semble a priori déterminante.

[56]Par ailleurs, la juxtaposition des termes «selon que le cas l'exige» à «libérer ou déclarer confisqués ces marchandises ou objets» donne également ouverture à deux interprétations différentes selon le sens que l'on choisit de donner aux mots «ces marchandises ou objets». Si, tel que mentionné plus haut, l'on entend par ces termes «toutes les marchandises ou objets saisis sans distinction», alors les deux seuls cas envisageables seraient, d'une part, que la Cour libère tous les biens saisis et, d'autre part, qu'elle déclare tous les biens confisqués. Par contre, si ces mots signifient «certaines ou toutes les marchandises ou objets saisis comme confisqués, selon que le cas l'exige», alors l'on peut imaginer un spectre de possibilités appelant différentes décisions de la part du tribunal qui serait investi d'un pouvoir discrétionnaire de libérer certains biens et déclarer le reste confisqué, ou libérer tous les biens, ou les déclarer tous confisqués, selon le cas. En effet, il convient de noter que si le législateur entendait limiter le champ d'application du paragraphe 116(2) à tous les biens saisis, il aurait pu l'indiquer expressément.

[57]Je ne puis toutefois m'empêcher de questionner sérieusement la logique qui sous-tendrait le choix de limiter strictement la fonction d'un tribunal saisi d'une demande de revendication d'un bien sous le régime de la Loi sur l'accise à vérifier si effectivement une infraction a été commise à son égard, auquel cas celui-ci n'aurait d'autre choix que de déclarer le bien confisqué définitivement. Est-ce réellement ce que le législateur a voulu faire en conférant au tribunal le pouvoir de «libérer ou déclarer confisquer ces marchandises ou objets, selon que le cas l'exige»? Ne serait-il pas plus logique de conclure que le choix exprès de ces mots plutôt que des termes impératifs «doit libérer ou déclarer confisqués toutes les marchandises ou objets saisis, selon que le cas l'exige» dénote une volonté du législateur non seulement d'attribuer un pouvoir de confiscation aux tribunaux, mais un pouvoir qui soit discrétionnaire? Ainsi, à titre d'exemple, l'article 16 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19, dont le libellé est identique à celui de l'article 490.1 [édicté par L.C. 1997, ch. 23, art. 15] du Code criminel, confère au «tribunal qui déclare une personne coupable d'une infraction désignée» un pouvoir de confiscation des biens infractionnels liés à la perpétration de cette infraction. Ce pouvoir ne revêt par ailleurs aucun caractère discrétionnaire puisqu'il s'inscrit dans l'objectif et la nature véritable de cette loi qui est de dénoncer, dissuader et prévenir la commission d'actes tels le trafic, la production et la possession de drogues: voir R. c. Houle, [2000] J.Q. no 719 (C.Q.) (QL), aux paragraphes 27 et 30. Voir également les paragraphes 41(1) et (2) de la Loi sur le tabac, L.C. 1997, ch. 13 quant à la nature non-discrétionnaire d'un pouvoir analogue des tribunaux en matière de confiscation de produits de tabac saisis. Je reproduis le libellé de l'article 16 par souci de commodité:

16. (1) Sous réserve des articles 18 et 19 et sur demande du procureur général, le tribunal qui déclare une personne coupable d'une infraction désignée et qui est convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que des biens infractionnels sont liés à la perpétration de cette infraction ordonne:

a) dans le cas de substances inscrites à l'annexe VI, que celles-ci soient confisquées au profit de Sa Majesté du chef du Canada pour que le ministre en dispose à sa guise;

b) que les autres biens infractionnels soient confisqués au profit:

(i) soit de Sa Majesté du chef de la province où les procédures relatives à l'infraction ont été engagées, si elles l'ont été à la demande du gouvernement de cette province et menées par ce dernier ou en son nom, pour que le procureur général ou le solliciteur général de la province en dispose en conformité avec la loi,

(ii) soit de Sa Majesté du chef du Canada pour que le membre du Conseil privé de la Reine pour le Canada chargé par le gouverneur en conseil de l'application du présent sous-alinéa en dispose en conformité avec la loi, dans tout autre cas.

(2) Le tribunal peut rendre une ordonnance de confiscation aux termes du paragraphe (1) à l'égard de biens dont il n'est pas convaincu qu'ils sont liés à l'infraction désignée dont la personne a été reconnue coupable, à la condition toutefois d'être convaincu, hors de tout doute raisonnable, qu'il s'agit de biens infractionnels. [Mes soulignés.]

[58]S'il l'on adopte une interprétation stricte du paragraphe 116(2) de la Loi sur l'accise, dont le libellé diffère nettement de celui des dispositions précitées, il s'agirait là d'un pouvoir judiciaire qui, effectivement, n'en est pas un, mais qui ressemble davantage à une obligation déguisée d'agir dans un sens précis selon ce que dictent les circonstances de l'espèce.

[59]En fin de compte, j'arrive à la conclusion qu'une interprétation des mots utilisés à l'article 116(2) suivant leur sens ordinaire et grammatical mène inéluctable-ment à une ambiguïté en ce qui a trait à la nature et la portée du pouvoir conféré aux tribunaux en matière de confiscation de biens saisis en vertu de la Loi sur l'accise, ambiguïté que je chercherais à dissiper en examinant le contexte législatif de la Loi sur l'accise et de cette disposition.

2) Le contexte législatif élargi

[60]Bien que la Loi sur l'accise ne comporte malheureusement pas de disposition précisant son objet, elle s'inscrit évidemment dans un cadre plus large. Comme le souligne pertinemment le juge Joyal dans Porter, supra, elle prévoit, à travers le mécanisme de la confiscation ipso jure et la confiscation dite judiciaire des biens fabriqués illégalement ou à l'égard desquels une ou des infractions sont commises, un moyen de protection par le fisc des recettes de la Couronne: voir aussi R. v. Tanaka (1997), 38 O.T.C. 86 (Div. gén. Ont.), au paragraphe 9. Elle constitue simplement une mesure législative de réglementation et de régulation de certaines activités adoptée en vertu du pouvoir fédéral de taxation qui comporte, également, des dispositions d'exécution, et ne cherche aucunement à imposer un châtiment sur le plan strictement conceptuel: Crédit Ford du Canada Ltée c. Canada (Ministère du Revenu national--M.R.N.), [1996] R.J.Q. 2154 (C.A.), aux paragraphes 16 et 19; Canada: Ministère des Finances, Révision de la Loi sur l'accise: proposition de révision du régime de taxation des produits du tabac et de l'alcool, Ottawa: Gouvernement du Canada, 1997.

[61]À la lecture des décisions précitées où des infractions à la Loi sur l'accise avaient été commises par l'usage d'un véhicule, notamment l'importation illicite de cigarettes ou d'alcool, il est à tout le moins révélateur que dans aucune d'elles cet objet n'a-t-il été restitué à son propriétaire. Il y a néanmoins une certaine absurdité dans le fait d'imputer une complicité à un véhicule ou à une pièce d'équipement dans une poursuite in rem dans le but de les faire déclarer confisqués par un tribunal. Si l'une des principales fonctions de la Loi sur l'accise était réellement de réglementer le transport d'alcool et de produits de tabac illicites, la meilleure façon d'atteindre cet objectif serait de garantir la confiscation dans tous les cas, sans égard à la culpabilité ou l'innocence du propriétaire ou du conducteur du véhicule. Or, même s'il est vrai, comme nous l'avons déjà fait remarquer, que la confiscation ne se fonde pas sur une déclaration de culpabilité mais bien, de par la Loi sur l'accise, sur le fait que le véhicule est utilisé pour transporter des produits illicites, il est clair que la loi elle-même prévoit, en vue d'assurer le respect des droits économiques des tiers innocents, une mesure afin de permettre au propriétaire et au titulaire de privilèges qui sont entièrement de bonne foi et innocents de toute collusion et complicité d'échapper aux conséquences qu'ils devraient autrement subir. Néanmoins, toutes les décisions précitées semblent avoir conclu que la théorie de la confiscation était trop solidement ancrée dans la jurisprudence du pays en matière de mesures répressives et de redressement pour que l'on puisse maintenant en atténuer les effets drastiques en distinguant entre des catégories de biens tous légalement saisis comme confisqués, selon qu'ils soient un malum in se ou un malum prohibitum.

[62]Peut-être le législateur voulait-il que le pouvoir judiciaire en matière de confiscation atteigne tous les biens qui ont été utilisés pour des fins illicites, c'est-à-dire pour contrevenir à la Loi sur l'accise, ce qui appuierait une reconnaissance stricte et absolue des dispositions relatives à la confiscation, y compris le paragraphe 116(2). Ainsi, selon cette interprétation, la Loi sur l'accise éviterait non seulement de faire une distinction entre différentes catégories de biens, soit les biens de nature illégale et les biens ayant servi à la commission d'une infraction, mais aussi de distinguer entre celui qui est moralement sans reproche et celui qui ne l'est pas. La Loi sur l'accise, à travers son mécanisme de confiscation permanente, n'est pas aussi manifestement réglementaire que l'on serait porté à le croire mais comporte un aspect punitif: Industrial Acceptance v. The Queen, [1953] 2 R.C.S. 273, à la page 278. Il convient toutefois de s'interroger sur la nécessité d'une mesure aussi draconienne que la confiscation de tout le matériel et équipement de la compagnie demanderesse en l'espèce, lorsque cette dernière perd déjà les cigares et le tabac saisis en raison de leur possession et fabrication sans licence. L'intérêt qu'a l'État à empêcher les particuliers de fabriquer ou d'être en possession d'objets en contravention de la Loi sur l'accise, à déjouer des entreprises criminelles et à garantir les recettes de la Couronne, ceci à des fins d'intervention sociale et économique, n'est-il pas adéquatement servi par leur confiscation judiciaire, sans besoin d'étendre cette dernière à des biens ayant été utilisés une seule fois pour commettre un acte illégal, notamment lorsque le contrevenant était de bonne foi? Une telle confiscation ne constituerait-elle pas réellement un double châtiment pour la même infraction? Dans le cas d'un véhicule ou d'une pièce d'équipement ayant servi à commettre une infraction à la Loi sur l'accise, ne peut-on pas dire qu'il y aurait lieu, selon les circonstances, à les restituer à leur propriétaire puisqu'ils n'ont jamais fait l'objet d'une possession ou une propriété illégale? Ces observations nous ramènent inévitablement à la case départ. Déclarer confisqués les cigares fabriqués sans licence ou l'alcool importé illégalement au Canada principalement dans le but de réglementer ces activités et protéger les recettes de la Couronne est une chose; déclarer confisqué le véhicule ou le matériel de fabrication d'un particulier qui a été utilisé pour importer illégalement de l'alcool ou pour fabriquer des cigares sans permis simplement dans le but de punir les contrevenants en est une toute autre qui, à mon sens, n'est pas du tout compatible avec le but réel poursuivi par le législateur en adoptant la Loi sur l'accise, soit le souci de protéger les recettes réalisées par Sa Majesté grâce aux droits d'accise: voir en ce sens les commentaires du juge Dysart dans Northwest Mortgage Co. v. Commissioner of Excise, [1944] 3 D.L.R. 273 (B.R. Man.); confirmé par [1945] 1 D.L.R. 561 (C.A. Man.).

[63]L'interprétation de la disposition conférant un pouvoir aux tribunaux de «libérer ou condamner ces marchandises ou objets, selon que le cas l'exige» est certes une question difficile à trancher. Après examen du contexte global du paragraphe 116(2) de la Loi sur l'accise et interprétation des mots qui le composent suivant leur sens ordinaire et grammatical, en conformité avec le cadre législatif dans lequel s'inscrit cette disposition et l'objet de la disposition, j'arrive à la conclusion que celle-ci recèle une ambiguïté. Il m'apparaît peu vraisemblable, ou du moins je ne puis conclure avec certitude, que le législateur entendait interdire de manière absolue aux tribunaux d'exercer une discrétion dans l'appréciation des faits de chaque cas et décider, par exemple, de libérer certains biens dont la possession ne contrevient en rien à la Loi sur l'accise. Il est donc nécessaire, dans les circonstances, de recourir à l'un ou l'autre des principes subsidiaires d'interprétation législative.

3) Les principes subsidiaires d'interprétation législative

[64]Puisqu'un doute raisonnable et non dissipé par les règles ordinaires d'interprétation subsiste quant à l'interprétation du paragraphe 116(2) de la Loi sur l'accise, celui-ci sera résolu par le recours à la présomption selon laquelle si la loi fiscale n'est pas explicite, l'incertitude raisonnable ou l'ambiguïté des faits découlant du manque de clarté de la loi doit jouer en faveur du contribuable: Pierre-André Côté, Interprétation des lois, 3e éd. Montréal: Éditions Thémis, 1999, aux pages 627 à 628. Ce principe résiduel doit s'appliquer de façon exceptionnelle à l'égard de lois fiscales telles la Loi sur l'accise qui ont pour effet de confisquer des biens puisque les tribunaux exigeront du législateur qui veut opérer une confiscation de biens saisis et une restriction à la jouissance de ces biens qu'il s'exprime très clairement à cet effet. Il est particulière-ment indiqué d'appliquer ce principe dans un cas, comme celui en l'espèce, où la Cour est contrainte de choisir entre deux interprétations valables du pouvoir judiciaire en matière de confiscation sous le régime d'une loi fiscale dont la plus restrictive mènerait à un résultat injuste et déraisonnable pour la compagnie demanderesse. Bien que ce fait à lui seul ne suffise pas pour trancher la question d'interprétation, il écarte effectivement le problème de savoir si la Loi sur l'accise comporte à sa base une intention punitive ou un objectif de réglementation. Je suis donc d'avis qu'il faut donner au paragraphe 116(2) de la Loi sur l'accise une interprétation large et libérale en vertu de laquelle un tribunal saisi d'une demande de revendication d'objets saisis aurait discrétion d'ordonner la remise de certains biens légalement saisis, selon les circonstances de chaque espèce.

[65]Normalement, le pouvoir d'ordonner la restitution des biens saisis est incident à celui d'annuler la saisie: Dobney Foundry Ltd. et al. v. R. (1985), 19 C.C.C. (3d) 465 (C.A.C.-B.), à la page 474. Or, la jurisprudence reconnaît de plus en plus que l'illégalité d'une saisie n'entraînera pas toujours la remise des biens en cause, notamment lorsque la remise équivaudrait à reconnaître indirectement l'illégalité de la possession initiale des biens saisis par la personne qui en a été dépossédée, comme par exemple dans le cas de produits nettement immoraux, illicites ou dangereux en soi comme les stupéfiants, les armes prohibées, l'argent contrefait et autres objets ayant servi à la commissions de certains crimes, bien que cette éventualité puisse ne pas être la seule: Re Regina and Largie (1981), 63 C.C.C. (2d) 508 (C.A. Ont.); Lagiorgia c. Canada, [1987] 3 C.F. 28 (C.A.), à la page 32; Vincent c. Canada (Procureur général), [1996] R.J.Q. 2128 (C.A.); R. v. Henderson, [1997] B.C.J. no 3168 (C. P.) (QL); R. v. Spindloe, [2002] 5 W.W.R. 239 (C.A. Sask.). Ceci dit, je suis d'avis que ces principes devant régir la décision de restituer ou non des biens saisis s'appliquent tout autant sous le régime de la Loi sur l'accise et, plus particulièrement, du paragraphe 116(2), et ce, indépendamment de la validité de la saisie. Tel que mentionné plus haut, cette disposition semble conférer à cette Cour une discrétion qui, à mon avis, l'autorise à tenir compte du caractère illégal de la possession des biens saisis dans son appréciation des faits pour fin de déterminer si elle va «libérer ou déclarer confisqués ces marchandises ou objets, selon que le cas l'exige». En effet, cette discrétion doit être exercée de façon judiciaire à la lumière des objectifs d'ordre public de la Loi sur l'accise dont l'un d'eux est certes d'empêcher qu'un contrevenant puisse profiter du fruit des infractions qu'il a commises, suivant la maxime ex turpi causa non oritur actio.

[66]La compagnie demanderesse reconnaît que, dans certains cas au moins, l'illégalité même de la possession des biens saisis peut constituer un obstacle absolu à leur restitution. En effet, c'est le caractère fondamenta-lement illégal ou infractionnel de la possession d'un produit de tabac non empaqueté, non estampillé, fabriqué sans être muni de la licence requise par la Loi sur l'accise, et concernant lequel les droits d'accise n'ont pas été payés conformément au paragraphe 240(1) qui en interdit la restitution à son propriétaire. En l'espèce, la restitution des cigares et des produits de tabac ne saurait être justifiée et donc ne peut être ordonnée ou autorisée par la Cour car leur possession serait autrement illégale. La décision de déclarer ces biens infractionnels confisqués n'est pas liée au fait qu'ils ont été utilisés pour commettre une infraction à la Loi sur l'accise, mais bien au fait que leur possession initiale est intrinsèquement illégale. Je suis loin d'être convaincu que l'absence de prohibition absolue de la possession des cigares et produits de tabac en démontre son caractère légal ou inoffensif: voir RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur Général), [1995] 3 R.C.S. 199. Au contraire, le souci de protéger les recettes réalisées au profit de Sa Majesté grâce aux droits d'accise, qui est consacré par une ancienne doctrine de confiscation et une légitimité historique, mérite bien, à mon avis, que les tribunaux déclarent de tels biens confisqués, même si c'est à regret. Cette loi fiscale de saisie et de confiscation est sévère et a des exigences que peu connaissent, mais le législateur veut clairement détruire un abus. C'est le genre de respect que cette Cour doit au législateur qui a estimé au fil des ans qu'aussi radicale qu'elle puisse sembler à l'occasion, la confiscation de tels biens est une mesure qu'il est bon et nécessaire de conserver.

[67]Toutefois, je ne voudrais pas que l'on interprète ces propos comme signifiant que la retenue judiciaire en matière de confiscation de biens saisis devrait empêcher les tribunaux de s'aventurer dans un domaine où d'autres craindraient de s'engager. Ainsi, le caractère illégal de la possession de certains biens, indépendam-ment de la validité de la saisie aux yeux de la Loi sur l'accise, est un élément qui, à mon avis, donne ouverture à une distinction importante entre, d'une part, les cigares et le tabac dont l'illégalité découle du simple non respect des dispositions fiscales et le non-paiement des droits fiscaux imposés par règlement et, d'autre part, le matériel et l'équipement ayant servi à leur fabrication qui sont non interdits en eux-mêmes, innocents en soi, et dont la possession est autrement légale En ordonnant que ces derniers soient restitués à leur propriétaire, un tribunal ne remettrait pas celui-ci dans une position qui serait contraire à la Loi sur l'accise. Il serait erroné, à mon avis, ou du moins incongru, considérant l'objectif visé par la Loi sur l'accise, de conclure que le simple fait que ces biens ont été utilisés pour commettre une infraction à la Loi sur l'accise exige absolument que la Cour les déclare confisqués, sans que celle-ci ait l'opportunité d'apprécier tous les faits entourant leur saisie. Je suis plutôt d'avis que la preuve de l'illégalité de la possession des biens saisis me paraît constituer un motif contraignant, d'ordre et d'intérêt publics, qui exige qu'ils soient déclarés confisqués par un tribunal, tout autant que l'absence d'illégalité de la possession me paraît constituer une circonstance exceptionnelle autorisant le tribunal à les libérer, à sa discrétion, en vertu de la Loi sur l'accise.

[68]Je n'ai pas à décider ici de toutes les situations où un tribunal pourrait exercer sa discrétion et ordonner la remise de certains biens. En l'espèce, le fait que la possession du matériel et de l'équipement ayant servi à la fabrication des cigares en contravention de la Loi sur l'accise ne peut, à aucun moment, être illégal est un élément que cette Cour peut prendre en considération pour décider si elle ordonnera qu'ils soient libérés ou déclarés confisqués. La simple possibilité que ces objets puissent, d'une part, permettre à la compagnie demanderesse d'obtenir la licence de fabrication et opérer en toute légalité et, d'autre part, être ressaisis après leur restitution dans l'éventualité où ils sont employés de nouveau pour commettre des infractions à la Loi sur l'accise milite, à mon avis, en faveur de leur restitution. De plus, le fait que les demandeurs Dino Orsini et Ian Orsini ont bénéficié d'une défense d'erreur de droit dans le cadre des poursuites criminelles intentées contre eux et qu'ils ont, à tout moment, été de bonne foi et moralement sans reproche, conjugué au comportement discutable des agents de la GRC avant la saisie et subséquemment lors du traitement de la demande de licence, militent également en faveur de la remise du matériel et de l'équipement saisi en l'espèce.

[69]Il n'y a présentement aucune possibilité que la compagnie demanderesse, si jamais telle était son intention, puisse continuer à fabriquer des cigares dans son établissement après s'être procurée la licence fédérale de fabrication exigée par la Loi sur l'accise. Quelle que soit l'interprétation stricte de la Loi sur l'accise qu'aient pu donner les décisions précitées, je crois qu'il importe en l'espèce que le matériel et l'équipement soit remis à la compagnie demanderesse; autrement, comment pourrait-elle prendre les mesures appropriées pour obtenir la licence de fabrication qui lui est toujours refusée? Ainsi, les circonstances particulières révélées par la preuve m'incitent à faire droit à la requête de la compagnie demanderesse. Il serait donc convenable et juste, considérant l'esprit de la Loi sur l'accise, d'ordonner la restitution de tout le matériel et l'équipement ayant servi à la fabrication des cigares à la compagnie demanderesse, même s'ils étaient confisqués de plein droit et saisis légalement.

[70]Sans sonder les reins et le coeur du législateur, il me paraît, au contraire, qu'une telle interprétation large et libérale du pouvoir judiciaire en matière de confiscation donnerait ainsi un sens au paragraphe 116(2) qui permette amplement la réalisation de l'objet manifeste de la Loi sur l'accise tout en ne défavorisant pas indûment le particulier. Je suis loin d'être convaincu que l'exercice d'une discrétion en matière de confiscation par un tribunal saisi d'une demande de revendication de biens saisis produirait des effets néfastes que le législateur a voulu éviter. J'estime plutôt que cette Cour, en redéfinissant la politique législative sous-jacente de la Loi sur l'accise, établit un bon équilibre entre les droits privés des particuliers de ne pas se faire priver indûment de la jouissance de leurs biens et l'intérêt du législateur d'imposer des droits d'accise comme instrument de contrôle et de réglementation de la distribution et de la consommation des produits du tabac et d'assurer la protection des recettes fiscales au profit de Sa Majesté par le bias du mécanisme de la confiscation.

[71]Pour terminer, je désire reprendre certains commentaires que j'ai émis à l'audience. Je comprends difficilement l'attitude des membres de la GRC et des autres services concernés dans ce dossier. Voilà selon la preuve un honnête homme d'affaires qui lance une entreprise légitime à l'aide d'un conseiller en gestion qui manifestement n'avait aucune connaissance dans le domaine. Il informe les fonctionnaires de la GRC de son projet et sollicite par l'intermédiaire de son conseiller l'aide et les conseils des fonctionnaires, ce que n'ignore pas la GRC puisque dès l'été 1998, alors que l'entreprise se prépare à démarrer, on le surveille. Jamais on ne l'avise qu'il n'a pas la licence de fabrication nécessaire pour opérer, ce qui, j'en suis convaincu, aurait empêché Dino Orsini de commettre une infraction, d'autant plus qu'il possédait tous les autres permis et licences requis par la loi et faisait remise de toutes les taxes provinciales et fédérales qu'il croyait exigées. On le laisse plutôt investir considéra-blement dans son projet et dès qu'il ouvre son commerce au public avant les Fêtes, on l'arrête, on saisit tout le matériel, l'équipement et les marchandises, et on ferme son entreprise.

[72]Dès qu'il réalise l'illégalité de son entreprise, le 18 décembre 1998, Dino Orsini fait une demande de licence fédérale et on la lui refuse cinq mois plus tard pour des motifs d'intérêt public. On lui indique que cette décision ferait l'objet d'une révision dès que les poursuites pénales connaîtraient leur dénouement. Malgré l'arrêt des procédures en raison de l'erreur de droit provoquée par l'avis sollicité d'une personne en autorité, on lui refuse toujours de délivrer la licence au motif que son commerce ne possède plus d'équipement ou de matériel pouvant servir à la fabrication de cigares et donc qu'il ne remplit pas les exigences de la Loi sur l'accise. Si on tenait absolument à contrecarrer la vente et la fabrication illégale de faux cigares cubains à Montréal, on n'avait pas à attendre que M. Orsini commette de bonne foi une infraction pour le lui dire, d'autant plus qu'il ne s'agissait pas en l'instance d'un contrebandier qui contourne la loi, mais d'un honnête citoyen qui cherche à la respecter en opérant son entreprise avec une totale transparence. Il s'agit d'une façon de procéder répréhensible ou pour le moins discutable.

Dispositif

[73]Pour ces motifs, je suis donc d'avis de faire droit à l'action en revendication de la compagnie demanderesse en partie. Ainsi, je déclare confisqués au profit de Sa Majesté tous les produits de tabac saisis le 17 décembre 1998 à l'exception des produits suivants qui devront être restitués à la compagnie demanderesse. Ces derniers seront identifiés tels qu'ils apparaissent sur la «Liste des effets saisis»:

Numérod'article

Quantité

Article saisi

35A

15

Boîtes pour mouler cigares, 42 x 5.5, Excluant les cigares

36A

5

Boîtes pour mouler cigares, 42 x 6, Excluant les cigares

37A

2

Boîtes pour mouler cigares, 44 x 5.5, Excluant les cigares

38A

4

Boîtes pour mouler cigares, 44 x 7, Excluant les cigares

39A

1

Boîte en cèdre, Excluant les cigares

1B

1

Presse à tabac artisanale en bois

2B

1

Presse à tabac artisanale en bois

3B

1

Presse à tabac artisanale en bois

4B

243

Boîtes pour moule à cigares (vide, grandeurs variés)

5B

Equipement pour fabrication de cigares (5 hachoirs, lames)

8B

4

4 tables de travail servant à fabriquer des cigares

9B

1

Chevalet artisanal servant à étendre les feuilles de tabac

11B

Permis provincial (photocopie) de vente de tabac

1C

106

Boîtes pour moule à cigares (vide)

2C

1

1 Humidificateur Duracraft

14C

2

Pesées pour presse à tabac

[74]Compte tenu des circonstances, il n'y aura pas d'adjudication quant aux dépens.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.