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T-1274-99

2002 CFPI 1058

Roger Misquadis, Peter Ogden, Mona Perry, Dorothy Phipps-Walker et le chef Bob Crawford, en son nom et au nom de la Première nation algonquine d'Ardoch, et Darwin Lewis, et le Conseil autochtone de Winnipeg Inc. (demandeurs)

c.

Le procureur général du Canada (défendeur)

Répertorié: Première nation algonquine d'Ardoch c. Canada (Procureur général) (1re inst.)

Section de première instance, juge Lemieux--Toronto, 10 octobre 2001; Ottawa, 11 octobre 2002.

Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Droits à l'égalité -- Les demandeurs prétendent qu'un programme fédéral la stratégie de développement des ressources autochtones (SDRHA) contrevient à l'art. 15(1) de la Charte parce qu'il fait preuve de discrimination contre les Autochtones vivant hors réserve et en milieu urbain -- Examen et application des principes énoncés dans la jurisprudence se rattachant aux revendications fondées sur l'art. 15 de la Charte -- La SDRHA établit une distinction entre les collectivités des demandeurs, et celles d'un groupe de comparaison (les membres de la Première nation vivant dans les réserves) -- Distinction fondée sur le motif analogue d'autochtonité--lieu de résidence -- La distinction ne reconnaît pas un groupe particulier, c'est-à-dire les collectivités de la Première nation vivant dans les villes et hors réserve en milieu rural -- L'exclusion porte atteinte à la dignité humaine d'une façon fondamentale -- Preuve d'une discrimination réelle.

Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Clause limitative -- La Stratégie de développement des ressources humaines autochtones (SDRHA) fait réellement preuve de discrimination contre les collectivités de la Première nation vivant dans les villes et hors réserve en milieu rural -- Il s'agit d'un programme urgent et réel puisqu'il aide les Autochtones à se trouver des emplois -- Mais le moyen pris pour appliquer la SDRHA n'a pas de lien rationnel avec l'objectif et l'atteinte aux droits n'est pas minimale -- Cette discrimination n'est pas justifiée par l'art. premier de la Charte.

Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Recours -- La discrimination réelle résultant de l'exclusion des collectivités des demandeurs de la SDRHA n'est pas justifiée par l'art. premier de la Charte -- Le recours approprié est de supprimer l'exclusion de ces collectivités en ordonnant leur inclusion -- DRHC doit supprimer la discrimination en accordant aux collectivités des demandeurs le contrôle local des programmes de formation professionnelle.

Peuples autochtones -- Un programme fédéral, la stratégie de développement des ressources humaines autochtones (SDRHA), une initiative du marché du travail mise en oeuvre par un mécanisme d'accords de financement, fait de la discrimination contre les collectivités de la Première nation vivant dans les villes et hors réserve en milieu rural à cause de la décision de ne conclure des accords qu'avec les représentants des membres de la Première nation vivant dans les réserves -- La violation de l'art. 15 de la Charte n'est pas justifiée par l'art. premier de la Charte étant donné que les moyens pris pour mettre en oeuvre la SDRHA n'ont pas de lien rationnel avec son objectif, et que l'atteinte aux droits n'est pas minimale -- Le remède approprié consiste à supprimer l'exclusion des collectivités des demandeurs en ordonnant à DRHC de leur confier le contrôle local des programmes de formation professionnelle.

Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision prise par Développement des ressources humaines Canada (DRHC) de ne pas conc lure d'Accords de développe-ment des ressources humaines autochtones (ADRHA) avec des organisations représentatives mandatées par les collectivités des demandeurs. Le programme contesté est la Stratégie de développement des ressources humaines autochtones (SDRHA), une initiative axée sur le marché du travail de DRHC mise en oeuvre au moyen d'accords de financement (connus sous le nom d'ADRHA). Selon les demandeurs, DRHC a fait preuve de discrimination réelle contre eux en raison de sa décision de conclure de s ADRHA uniquement avec des organisations provinciales ou régionales affiliées à l'Assemblée des premières nations, avec le Rassemblement national des Métis et Inuit Tapirisat du Canada. Les demandeurs ne veulent pas retirer les avantages des ADRHA aux per sonnes qui en profitent à l'heure actuelle, mais ils souhaitent que DRHC veille à ce que les avantages de cette stratégie soient offerts également à tous les peuples autochtones. Tous conviennent que les peuples autochtones du Canada sont aux prises avec u n taux élevé de chômage et font face à des problèmes et à des obstacles particuliers dans leur recherche d'emploi et l'acquisition des compétences nécessaires. La SDRHA et ses deux prédécesseurs avaient pour objectif d'aider les peuples autochtones à dével opper leurs aptitudes au travail en les faisant participer à des programmes de développement du marché du travail élaborés et mis en oeuvre par des organisations autochtones, qui sont responsables du développement des ressources humaines, et en développant leur capacité à s'acquitter de cette responsabilité d'une manière qui traite des besoins particuliers des groupes et des collectivités autochtones partout au Canada. Les demandeurs prétendent qu'au lieu de négocier des ADRHA avec les membres des Premières nations vivant dans les villes et n'ayant pas de statut en passant par leurs collectivités et leurs organismes représentatifs, DRHC leur a unilatéralement imposé un programme distinct, soit le volet réservé aux Autochtones vivant en milieu urbain et hors réserve, et ils ajoutent que ce volet n'accorde aux membres des Premières nations vivant dans les villes et n'ayant pas de statut aucun contrôle sur les fonds affectés à la formation. Trois questions ont été soulevées: 1) la SDRHA contrevient-elle au paragr aphe 15(1) de la Charte en faisant preuve de discrimination à l'encontre des Autochtones vivant dans les villes et hors réserve; 2) dans l'affirmative, cette discrimina-tion peut-elle se justifier au regard de l'article  premier de la Charte; 3) dans la nég ative, quel est le redressement approprié?

Jugement: la demande doit être accueillie.

1) Les principes qui régissent les revendications fondées sur l'article  15 de la Charte se trouvent dans trois décisions de la Cour suprême du Canada: Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) et Lovelace c. Ontario. Dans l'arrêt Law , le juge Iacobucci a signalé que la démarche générale à suivre pour interpréter l'article  15 doit toujours être fondée sur l'objet visé et le contexte et exige que l'on se pose trois grandes questions concernant la loi ou la mesure contestée: 1) la loi, le programme ou l'activité crée-t-il une différence de traitement entre le demandeur et d'autres person nes? 2) cette différence de traitement est-elle fondée sur un ou plusieurs motifs énumérés ou analogues? et 3) la loi, le programme ou l'activité constesté a-t-il un objet ou un effet réellement discriminatoire? Il a identifié quatre facteurs contextuels p our déterminer si le demandeur a prouvé qu'il y avait réellement discrimination. Ces facteurs sont: 1) le désavantage préexistant; 2) le rapport entre les motifs de discrimination et les caractéristiques ou la situation personnelle du demandeur; 3)  l'objet ou l'effet d'amélioration; et 4) la nature du droit touché. Pour ce qui est du deuxième facteur contextuel, il est plus facile d'établir la discrimination lorsque la disposition législative ou le programme contesté ne prend pas en compte la situation véri table d'un demandeur. Le troisième facteur a été considéré comme important parce que «le par.  15(1) de la Charte a non seulement pour objet d'empêcher la discrimination par l'attribution de caractéristiques stéréotypées à des particuliers, mais également d'améliorer la position de groupes qui, dans la société canadienne, ont subi un désavantage en étant exclus de l'ensemble de la société ordinaire». Dans l'arrêt Corbiere , la Cour suprême du Canada a suivi le cadre d'analyse de l'article  15 énoncé dans l'arrêt Law et a annulé, pour des motifs fondés sur l'article  15 de la Charte, l'article  77 de la Loi sur les Indiens qui exigeait que les membres de la bande «réside[nt] ordinairement sur la réserve» pour avoir le droit de voter aux élections de la bande. La C our a conclu que «l'autochtonité--lieu de résidence» est  un motif analogue, mais il y a eu divergence d'opinions quant à savoir si on parvient à ce résultat en examinant l'objet de l'article  15 ou en tenant compte des facteurs contextuels. Dans l'arrêt Lovelace , la Cour suprême a réitéré que l'objectif essentiel de la garantie accordée par le paragraphe  15(1) est de protéger la population contre toute atteinte à la dignité humaine essentielle et a confirmé qu'il faut répondre aux trois grandes questions pour statuer sur une allégation de discrimination. La conclusion de non-discrimination s'appuyait principalement sur le facteur contextuel qui lie les motifs de l'allégation de discrimination aux besoins, capacités et situations personnelles des collectivités des bandes.

Les demandeurs ont été comparés aux membres des Premières nations qui vivent dans les réserves afin de déterminer si eux-mêmes et les collectivités dans lesquelles ils vivent sont traités différemment par le programme étatique contesté. La comparaison a été faite entre les communautés des Premières nations constituées en bandes et les communautés des Premières nations non constituées en bandes qui vivent en milieu urbain et rural, ce qui était le groupe de comparaison da ns l'arrêt Lovelace . Il ne fait aucun doute que la SDRHA peut faire l'objet d'un examen au regard de la Charte. La première étape de l'examen relatif à la discrimination fondé sur l'article  15 de la Charte consiste à se demander si le programme établit une distinction qui nie l'égalité du bénéfice de la loi, impose un fardeau injuste ou un traitement inégal entre les demandeurs et les membres du groupe de comparaison. Les demandeurs ont fait valoir que l'avantage nié ou le traitement inégal imposé est l'inc apacité des communautés dans lesquelles ils vivent de faire, dans le cadre de la SDRHA, ce que les membres des Premières nations vivant dans les réserves peuvent faire pour leurs membres, qu'ils vivent dans la réserve ou hors réserve. Déléguer la prise de décisions pour les programmes liés au marché du travail aux communautés autochtones était la prémisse à partir de laquelle la SDRHA et ses prédécesseurs ont été construits. La SDRHA établit une distinction entre les communautés des demandeurs et celles du groupe de comparaison. Les communautés des Premières nations constituées en bandes profitent des avantages du contrôle exercé par la communauté locale alors que les communautés des demandeurs ne peuvent en faire autant. La distinction n'est pas compensée p ar le volet urbain de la SDRHA, dont l'objectif est différent. Les demandeurs ont satisfait au premier critère. Ils ont également franchi la deuxième étape qui demande si la distinction établie par la SDRHA est fondée sur un motif énuméré à l'article  15 de la Charte ou sur un motif analogue. La détermination d'un motif analogue comme l'autochtonité--lieu de résidence lui donne un caractère de permanence qui permet de l'appliquer dans des causes à venir, indépendamment des circonstances. La résidence hors rés erve a déjà été acceptée comme un motif analogue dans l'arrêt Corbiere . La distinction établie par la SDRHA était fondée sur ce motif analogue. La décision de DRHC de ne pas conclure d'ADRHA, englobant l'élément de contrôle communautaire local, aves les organisations mandatées par les demandeurs, était basée sur leur lieu de résidence, c'est-à- dire l'autochtonité--lieu de résidence. Dans le cadre de la troisième étape de l'analyse, il faut se demander si la SDRHA a un objet ou un effet qui constitue de l a discrimination réelle, ce qui suppose que l'on examine les quatre facteurs contextuels énumérés dans la jurisprudence. Premièrement, l'arrêt Lovelace fait clairement ressortir que les communautés constituées en bandes et celles qui ne le sont pas ont sub i un désavantage historique et un examen fondé sur l'article  15 n'engage pas les parties dans une «course vers le bas». Tous les peuples autochtones subissent «les effets de l'héritage de stéréotypes et préjugés». La décision de DRHC de ne pas conclure d'A DRHA avec les organismes représentatifs nommés par les communautés des demandeurs perpétue le désavantage historique et maintient le stéréotype selon lequel les demandeurs sont moins importants et moins organisés. Le deuxième facteur contextuel traite de l a relation entre le fondement de la différence de traitement et les caractéristiques du demandeur. Il n'y avait pas de preuve valable que les besoins, les capacités et la situation des demandeurs et des communautés dans lesquelles ils vivent sont différent s des besoins des communautés des Premières nations vivant dans les réserves. Les demandeurs n'avait pas à démontrer qu'ils sont plus défavorisés que les membres des Premières nations vivant dans des réserves. La SDRHA est un programme universel dont le bu t est de fournir de meilleures possibilités d'emploi à tous les peuples autochtones du Canada et les avantages que procure le contrôle communautaire local ne diffèrent pas selon qu'un membre d'une Première nation vit dans une réserve ou non. Le troisième f acteur contextuel traite de l'objet améliorateur. La SDRHA est un programme complet qui a pour but d'aider tous les peuples autochtones, quel que soit l'endroit où ils vivent, afin d'améliorer leurs compétences, de façon à ce qu'ils puissent se trouver des emplois dans les collectivités où ils vivent. Elle cible tout les peuples autochtones et elle a pour but d'améliorer leur situation à tous. Elle a un caractère trop limitatif pour ce qui est des communautés des Premières nations vivant dans les villes ain si que pour celles qui vivent hors réserve en milieu rural, que les demandeurs représentent. Ils ont été traités de façon différente par DRHC et injustement exclus de l'objet et des bienfaits importants offerts par la SDRHA. Finalement, on a examiné la nat ure du droit touché. La distinction établie par la SDRHA constitue une non-reconnaissance complète d'un groupe particulier, c'est-à-dire les communautés dans lesquelles les demandeurs vivent. Une telle exclusion porte atteinte à leur dignité humaine d'une façon fondamentale et le fait d'ignorer leur communauté les rend moins dignes de reconnaissance. Il y a eu discrimination réelle.

2) L'analyse de l'article premier de la Charte comporte deux éléments, dont le premier consiste à déterminer si le programme répond à un objectif urgent et réel; le deuxième élément est l'analyse de la proportionnalité qui comporte également trois étapes. La SDRHA est un programme qui est urgent et réel puisque son objectif est d'aider les peuples autochtones, qui connaissent un taux de chômage très élevé, à trouver des emplois. Toutefois, le moyen utilisé pour mettre en oeuvre la SDRHA n'a pas de lien rationnel avec l'objectif et l'atteinte au droit n'est pas minimale. On a refusé aux communautés des demandeurs la clé du succès d u programme de façon que son objectif puisse être atteint, savoir la prise de décisions à l'échelon local par des groupes représentatifs mandatés par les communautés des demandeurs. Ces derniers ont été exclus parce qu'ils n'ont pas conclu d'ADRHA et ce, s ans justification. La question de la masse critique n'était pas pertinente eu égard aux collectivités des demandeurs. Qui plus est, il n'y a pas eu de preuve claire que les communautés des demandeurs ne s'entendent pas sur les organismes qui les représente nt sur les questions de formation en matière d'emploi. Le Canada n'a produit aucune preuve d'études ou de mesures qui auraient été prises en compte afin d'exclure les communautés des demandeurs de la participation, sur une base égale, au processus décision nel concernant les programmes de développement du marché du travail. La discrimination n'était pas justifiée au regard de l'article  premier de la Charte.

3) La discrimination à laquelle il faut remédier était particulière aux demandeurs et à leurs communa utés. Le redressement approprié était de supprimer l'exclusion des communautés des demandeurs de la SDRHA en ordonnant leur inclusion. La Cour a donc ordonné à DRHC de supprimer la discrimination en conférant aux communautés des demandeurs le contrôle sur les programmes de formation liés au marché du travail. Ces communautés pourront alors, par des organismes représentatifs responsables envers les membres de la communauté, concevoir, mettre en oeuvre et financer des programmes de formation qui répondront aux besoins des communautés autochtones dans lesquelles demeurent les demandeurs. Ce redressement laisse en place la presque totalité de la SDRHA et des ADRHA qui sont en vigueur et préserve l'intégrité du programme.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 15.

Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, art. 77 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 14).

jurisprudence

décisions appliquées:

Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497; (1999), 170 D.L.R. (4th) 1; 43 C.C.E.L. (2d) 49; 60 C.R.R. (2d) 1; 236 N.R. 1; Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203; (1999), 173 D.L.R. (4th) 1; [1999] 3 C.N.L.R. 19; 61 C.R.R. (2d) 189; 239 N.R. 1; Lovelace c. Ontario, [2000] 1 R.C.S. 950; (2000), 188 D.L.R. (4th) 193; [2000] 4 C.N.L.R. 145; 255 N.R. 1; 134 O.A.C. 201; La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; (1986), 26 D.L.R. (4th) 200; 24 C.C.C. (3d) 321; 50 C.R. (3d) 1; 19 C.R.R. 308; 65 N.R. 87; 14 O.A.C. 335.

décisions citées:

Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant, [1997] 1 R.C.S. 241; (1997), 142 D.L.R. (4th) 385; 41 C.R.R. (2d) 240; 207 N.R. 171; 97 O.A.C. 161; Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513; Benner c. Canada (Secrétaire d'État), [1997] 1 R.C.S. 358; (1997), 143 D.L.R. (4th) 577; 42 C.R.R. (2d) 1; 37 Imm. L.R. (2d) 195; 208 N.R. 81; Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418; (1995), 23 O.R. (3d) 160; 124 D.L.R. (4th) 693; 29 C.R.R. (2d) 189; [1995] I.L.R. 1-3185; 10 M.V.R. (2d) 151; 181 N.R. 253; 81 O.A.C. 253; 13 R.F.L. (4th) 1.

doctrine:

Canada. Commission royale sur les peuples autochtones. Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, vol. 3, 4, Ottawa: Ministre des approvisionnements et services, 1996.

DEMANDE de contrôle judiciaire d'une décision de Développement des ressources humaines Canada de ne pas conclure d'accord de développement des ressources humaines avec les organisations représentatives mandatées par les communautés des demandeurs au motif que cette décision contrevient à l'article 15 de la Charte. Demande accueillie.

ont comparu:

Christopher M. Reid pour les demandeurs Roger Misquadis, Peter Ogden, Mona Perry, Dorothy Phipps-Walker, le chef Bob Crawford et la Première nation algonquine d'Ardoch.

Greg Tramley pour les demandeurs Darwin Lewis et le Conseil autochtone de Winnipeg Inc.

Michael H. Morris, M. Sean Gaudet et Lara M. Speirs pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier:

Christopher M. Reid, Toronto, pour les demandeurs Roger Misquadis Peter Ogden, Mona Perry, Dorothy Phipps-Walker, le chef Bob Crawford et la Première nation algonquine d'Ardoch.

McCandless & Associates, Winnipeg, pour les demandeurs Darwin Lewis et le Conseil autochtone de Winnipeg Inc.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Lemieux:

A.     INTRODUCTION

[1]Le programme contesté dans la présente demande de contrôle judiciaire est la Stratégie de développement des ressources humaines autochtones (SDRHA), une initiative axée sur le marché du travail de Développement des ressources humaines Canada (DRHC) mise en oeuvre au moyen d'accords de financement connu sous le nom d'Accords de développement des ressources humaines autochtones (ADRHA) que DRHC a conclus avec certaines organisations autochtones à qui on a confié un contrôle considérable sur la planification, la conception et la prestation de programmes de formation professionnelle pour les peuples autochtones afin d'améliorer leurs aptitudes et leur employabilité et, une fois qu'ils ont trouvé des emplois, de les aider à les conserver.

[2]La question principale dans la présente demande consiste à déterminer si DRHC a contrevenu à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (la Charte) en ne concluant pas d'ADRHA avec les organisations autochtones d'aide à l'emploi qui, selon les demandeurs, ont été mandatées pour promouvoir les programmes relatifs au marché du travail et qui rendent compte aux collectivités autochtones dans lesquelles ils vivent. L'absence d'ADRHA, au dire des demandeurs, a pour résultat qu'ils sont traités différemment des autres individus et collectivités autochtones qui ont signé des ADRHA, c'est-à-dire les organisations des Premières nations et des Métis qui vivent dans des réserves, et ainsi de leur refuser à eux et aux collectivités autochtones dans lesquelles ils vivent les avantages qu'offrent les ADRHA: soit le contrôle local des initiatives de formation professionnelle par les collectivités autochtones dans lesquelles les demandeurs vivent et à qui rendent compte les organisations mandatées par eux pour planifier, concevoir et assurer la prestation des services.

[3]Les demandeurs Roger Misquadis et Dorothy Phipps-Walker sont tous deux membres de bandes indiennes reconnues dans la Loi sur les Indiens [L.R.C. (1985), ch. I-5] et leurs noms ont été inscrits dans le registre des Indiens tenu en vertu de la Loi sur les Indiens. Ils ont toujours vécu hors réserve dans la région du Grand Toronto et ils sont membres de la collectivité autochtone de cette région. Ni l'un ni l'autre n'a de lien avec la bande ou la réserve dans laquelle il est inscrit.

[4]Le chef Bob Crawford et Mona Perry sont membres de la Première nation algonquine d'Ardoch et ses alliés (Ardoch). Ce sont deux Indiens qui, comme 100 000 autres se trouvant dans la même situation, n'ont pas le droit d'être inscrits comme Indiens en vertu de la Loi sur les Indiens. Bob Crawford est le chef élu d'Ardoch, une Première nation qui regroupe 500 personnes, située près de Mattawa dans la vallée de l'Outaouais, mais qui n'est pas une bande indienne reconnue en vertu de la Loi sur les Indiens et qui n'a donc pas de réserve.

[5]Peter Ogden est un Mic-Mac originaire de la Nouvelle-Écosse qui vit maintenant à Hamilton avec sa famille. Son nom n'est pas inscrit au registre des Indiens.

[6]Le Conseil des Autochtones de Winnipeg Inc. (CAW) a été constitué en 1990 par suite de la fusion de deux organisations représentant les intérêts des membres de la collectivité autochtone de Winnipeg, la plus importante au Canada, comptant environ 60 000 à 70 000 résidents. Les associations fusionnées étaient l'Urban Indian Association, représentant des membres des Premières nations sans statut (essentiellement des Indiens non inscrits) de même que des personnes de descendance métisse. L'autre organisme, le Council of Status and Treaty Indians représentait les membres des Premières nations inscrits et visés par des traités.

[7]Selon les demandeurs, DRHC se rend coupable de discrimination réelle contre eux en raison de sa décision de conclure des ADRHA uniquement avec des organisations provinciales ou régionales affiliées à l'Assemblée des premières nations (APN), avec le Rassemblement national des Métis (RNM) et Inuit Tapirisat du Canada (ITC) avec lesquels le Canada a signé des accords types nationaux en 1996, ce qui est aggravé, d'après leurs prétentions, par la décision unilatérale de DRHC d'appliquer le volet urbain de la SDRHA dans les collectivités des Premières nations vivant dans les villes et, en Ontario, de rattacher à ce volet urbain les collectivités des Premières nations non inscrites vivant en milieu rural, comme Ardoch.

[8]Les demandeurs ne veulent pas retirer les avantages des ADRHA aux personnes qui en profitent à l'heure actuelle. Ils pensent que la SDRHA est une bonne stratégie qui laisse les collectivités autochtones traiter des problèmes autochtones liés au marché du travail. Les demandeurs souhaitent que DRHC veille à ce que les avantages de cette stratégie soient offerts également à tous les peuples autochtones.

[9]La SDRHA a eu deux prédécesseurs. La stratégie intitulée «Les chemins de la réussite», adoptée en 1991 pour une période de cinq ans, était une nouvelle stratégie qui misait sur la participation directe des Autochtones et des organisations autochtones aux programmes de formation professionnelle. Cette stratégie a été remplacée par la stratégie de Vers une nouvelle relation, un programme de trois ans, qui est demeuré en vigueur jusqu'au 31 mars 1999.

[10]Fondamentalement, les demandeurs considèrent que Les chemins de la réussite a été le programme qui a connu le plus de succès, sans créer de discrimination, son objectif principal étant de confier le contrôle local du processus décisionnel et la responsabilité aux peuples autochtones par l'entremise d'organisations représentatives.

[11]Les demandeurs soutiennent que la stratégie Vers une nouvelle relation, qui était fondée sur les accords nationaux conclus avec l'APN, le RNM et ITC, et qui a été appliquée par l'entremise des ententes bilatérales régionales (EBR), a marqué un recul parce qu'elle a retiré aux collectivités rurales non constituées en bandes le contrôle exclusif des programmes d'aide à l'emploi, du moins à Winnipeg, à Toronto, dans la péninsule du Niagara et en Ontario, pour le confier aux collectivités des Premières nations vivant dans les réserves. Ils soutiennent que DRHC les a exclus eux, et les collectivités dans lesquelles ils vivent, des bienfaits de la stratégie Les chemins de la réussite à laquelle ils avaient participé. Ils prétendent que dans le cadre des EBR, le financement accordé aux collectivités des Premières nations vivant en milieu urbain et rural et non dans les réserves a diminué, avec pour résultat, par exemple, que des demandes individuelles de subventions visant à payer les frais d'inscription à des cours de formation leur ont été refusées. Ce qui est encore plus important, selon leurs prétentions, ils ont perdu le contrôle, qui était l'objectif des Chemins de la réussite, sur leur capacité de financer des programmes de formation qui répondaient davantage aux besoins de leurs électeurs.

[12]Malgré l'ajout du volet urbain dans la SDRHA, les demandeurs soutiennent que cette stratégie n'est pas meilleure que la stratégie Vers une nouvelle relation, qui comptait également un volet urbain, parce qu'elle continue de mettre l'accent sur les Premières nations vivant dans les réserves. Ils pensent que le volet urbain n'est rien de plus qu'une mesure concoctée par DRHC pour combler les lacunes constatées dans les villes et qui avaient été créées par les EBR.

[13]Dans sa plaidoirie, l'avocat représentant les demandeurs de Winnipeg a soutenu, pour les fins d'établir qu'il y a eu discrimination au sens de l'article 15 de la Charte, que les Premières nations vivant dans les réserves sont le groupe de comparaison approprié. Il en est ainsi parce que les Premières nations vivant dans les réserves ont conclu des ADRHA, alors que dans les collectivités dans lesquelles les demandeurs de Winnipeg et de l'Ontario vivent, il n'y a pas de tels accords.

[14]L'avocat des demandeurs de l'Ontario a suggéré un groupe de comparaison plus large, savoir les membres des collectivités autochtones ayant conclu des ADRHA (les Premières nations vivant dans les réserves de même que les Métis et les Inuit) comparativement à tous ceux qui n'ont pas signé d'ADRHA, c'est-à-dire les membres des Premières nations vivant dans les villes et les membres des Premières nations non inscrits vivant en milieu rural comme la Première nation d'Ardoch qu'il représente.

[15]Les articles premier et 15 de la Charte sont rédigés dans les termes suivants:

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

[. . .]

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

(2) Le paragraphe (1) n'a pas pour effet d'interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d'individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques.

B.     LES FAITS

[16]Les demandeurs tout autant que le Canada conviennent que les peuples autochtones du Canada sont aux prises avec un taux élevé de chômage et font face à des problèmes et à des obstacles particuliers dans leur recherche d'emploi et l'acquisition des compétences nécessaires. Les chemins de la réussite, Vers une nouvelle relation et la SDRHA ont pour objectif d'aider les peuples autochtones à développer leurs aptitudes au travail en les faisant participer à des programmes de développement du marché du travail élaborés et mis en oeuvre par des organisations autochtones, qui sont responsables du développement des ressources humaines, et en développant leur capacité à s'acquitter de cette responsabilité d'une manière qui traite des besoins particuliers des groupes et collectivités autochtones partout au Canada. Bref, ce sont les peuples autochtones, leurs collectivités et leurs fournisseurs de services autorisés qui connaissent le mieux, dans chaque région, les besoins du marché du travail et les aptitudes requises pour y répondre.

[17]Des initiatives antérieures de formation professionnelle mises en oeuvre par le Canada n'ont pas connu de succès auprès des peuples autochtones parce que les collectivités autochtones n'ont pas participé à la conception et à la mise en oeuvre de stratégies visant à répondre aux besoins uniques du marché du travail de leurs collectivités respectives, qu'il s'agisse d'Autochtones vivant hors réserve en milieu urbain ou rural.

a)     «Les chemins de la réussite»

[18]La stratégie Les chemins de la réussite reposait sur le fait que DRHC reconnaissait que les collectivités autochtones, qu'il s'agisse de Premières nations vivant dans les réserves ou en milieu urbain, de Métis ou d'Inuit, doivent participer directement à la gestion et à l'affectation des fonds pour les programmes de formation dans leurs collectivités respectives.

[19]La stratégie Les chemins de la réussite était fondée sur le principe du contrôle local du processus décisionnel. Le dossier des demandeurs renferme à la page 362 l'extrait suivant d'un document de travail de la stratégie Les chemins de la réussite de DRHC:

Ces problèmes (les taux élevés de chômage chez les Autochtones et le niveau très bas de compétences professionnelles) s'accentueront à moins que l'on améliore l'efficacité des politiques et des programmes en matière de développement socio-économiques et de perfectionnement des ressources humaines. Pour que cette mesure réussisse, les collectivités et organismes autochtones doivent avoir en main les leviers d'exécution et de contrôle de ces activités de formation et de recyclage. Une telle approche garantirait l'adaptation de ces activités aux besoins particuliers des Autochtones. [Non souligné dans l'original.]

[20]La stratégie Les chemins de la réussite reposait sur l'établissement, au palier national, d'un conseil de gestion national, composé de représentants des groupes autochtones et de fonctionnaires de DRHC et, à l'échelon local ou régional, de conseils locaux et régionaux de gestion composés cette fois exclusivement de représentants des groupes autochtones résidant dans les régions ou localités visées.

[21]Les demandeurs font les affirmations suivantes, pour ce qui concerne la stratégie Les chemins de la réussite, qui ne sont pas contestées par le Canada.

(i)     À Winnipeg

[22]Pour la stratégie Les chemins de la réussite, DRHC avait l'intention de n'établir qu'un seul conseil de gestion à Winnipeg qui financerait les programmes et services de mise en valeur de la main-d'oeuvre à l'intention de tous les peuples autochtones dans cette ville sans savoir s'il s'agissait d'un Indien inscrit ou non inscrit, d'un Indien visé par un traité, d'un Métis ou d'un Inuit.

[23]Toutefois, l'Assembly of Manitoba Chiefs (AMC) et la Manitoba Métis Federation (MMF) se sont opposées à cette proposition parce qu'elles voulaient l'une et l'autre un conseil de gestion distinct pour leur circonscription.

[24]Au bout du compte, DRHC a cédé, ce qui a eu pour résultat que le contrôle, la gestion et la mise en oeuvre de la stratégie Les chemins de la réussite pour les Autochtones vivant à Winnipeg s'est fait de la façon suivante:

· un conseil de gestion local créé par l'AMC pour desservir uniquement les membres inscrits des Premières nations constituées en bandes;

· un conseil de gestion local créé par la MMF pour desservir uniquement les Métis, et

· le conseil de gestion de la région de Winnipeg (CGRW), un organisme créé par la collectivité autochtone de Winnipeg, pour desservir tous les Autochtones sans tenir compte de leur statut.

(ii)     En Ontario

[25]En Ontario, dans le cadre de la stratégie Les chemins de la réussite, on a établi plusieurs conseils de gestion régionaux (CGR), notamment, pour ce qui concerne les intérêts des demandeurs en l'espèce:

· Le conseil de gestion régional autochtone de la péninsule du Niagara (le CGRAPN) mandaté par la collectivité autochtone de la péninsule du Niagara pour offrir les services à leurs résidents dont le nombre s'élève à 32 000;

· Emploi et formation des Autochtones Miziwe Biik (Miziwe Biik) mandaté en 1991 par les 70 000 membres de la grande collectivité autochtone de la région du Grand Toronto (RGT) en tant que conseil de gestion régional pour desservir la collectivité;

· Le conseil de gestion régional Kajita Mikam établi et mandaté pour desservir les collectivités autochtones de l'Est de l'Ontario. Kajita Mikam était composé de représentants des bandes visées par la Loi sur les Indiens, des collectivités des Premières nations non inscrites comme la Première nation d'Ardoch et des Métis dans les régions desservies.

b)     «Vers une nouvelle relation»

[26]En 1995, DRHC a entrepris de revoir la stratégie Les chemins de la réussite. Aux pages 597 et 600 du dossier des demandeurs, on trouve l'extrait suivant du document sur l'examen de la structure:

[traduction] La population autochtone du Canada n'est pas homogène. Les initiatives prises dans le cadre de la politique gouvernementale se fondant uniquement sur l'hypothèse d'une telle homogénéité entraîneront vraisemblablement des conflits stériles et un manque d'efficacité, détournant des énergies qui auraient pu être consacrées à des priorités beau-coup plus importantes. Pour être efficaces, les politiques doivent tenir compte de la réalité des populations autochtones vivant en milieu urbain, des Inuit, des Métis et des Premières nations. Ces politiques doivent reconnaître la très grande diversité régionale des collectivités autochtones existantes, de leurs gouvernements, de leurs institutions et des relations intergouvernementales.

La diversité des collectivités autochtones qui fournissent les services doit être basée sur le milieu communautaire, et faire appel à de très nombreuses autorités autochtones, établisse-ments de perfectionnement et autres autorités connexes. L'aspect fondamental des programmes doit être conçu, géré et mis en oeuvre par les Autochtones dans leurs collectivités. [Non souligné dans l'original.]

[27]Aux termes des accords cadres nationaux, DRHC a conclu dans tout le Canada 54 EBR avec des représentants de l'APN. DRHC n'a pas conclu d'EBR avec les collectivités des Premières nations vivant dans les villes ou les Indiens non inscrits vivant en milieu rural. Le Canada a cependant créé un programme urbain.

(i)     Au Manitoba

[28]DRHC a conclu avec l'AMC, à l'échelon de la province, une EBR qui englobait la responsabilité pour tous les membres des Premières nations du Manitoba vivant dans les villes et inscrits en vertu de la Loi sur les Indiens. Il a également conclu une EBR avec la MMF qui avait la responsabilité de desservir tous les autres peuples autochtones.

[29]À Winnipeg, comme dans le cadre de la stratégie Les chemins de la réussite, l'AMC et la MMF ont mis sur pied des conseils de gestion locaux mais, contraire-ment à ce qui se passait dans la stratégie Les chemins de la réussite, le CGRW [Conseil de gestion de la région de Winnipeg], dans le cadre de la stratégie Vers une nouvelle relation, ne participait plus aux initiatives autochtones axées sur le marché du travail parce que DRHC n'a pas négocié d'EBR ni avec le CGRW ni avec le CAW malgré que ces derniers aient exprimé leur crainte qu'en l'absence d'une EBR, il n'y ait plus dans cette ville d'organisme chargé de fournir les services autorisés sans tenir compte du statut et que la collectivité autochtone de Winnipeg et ses résidents perdraient le contrôle local sur la programmation, ce qui aurait pour effet de créer une inégalité de traitement pour les peuples autochtones.

(ii)     En Ontario

[30]La stratégie Vers une nouvelle relation a eu des résultats semblables en Ontario. DRHC n'a pas conclu d'EBR avec les collectivités des Premières nations vivant en milieu urbain ou non inscrites. Le contrôle sur le financement, l'établissement des priorités en matière de formation, la conception des programmes de formation et l'approbation des candidats sont passés aux bandes des Premières nations vivant dans les réserves. En Ontario, de nombreuses bandes des Premières nations se sont unies pour établir un conseil de gestion local afin de desservir plusieurs collectivités autochtones vivant dans des réserves dans une région géographique bien définie.

[31]Roger Misquadis a dû faire une demande à la bande de l'île Manitoulin dans laquelle il est inscrit, mais avec laquelle, selon ses prétentions, il n'a aucun lien puisqu'il a vécu à Toronto toute sa vie. Dorothy Phipps-Walker est dans la même situation. Selon DRHC, elle est inscrite dans la bande du Lac Seul dont la réserve est située dans le nord-ouest de l'Ontario. Elle ne connaît pas les membres de la bande, elle n'a jamais vécu dans la réserve et elle n'en n'a jamais reçu de service.

[32]Kajita Mikam, le conseil de gestion local dans la vallée de l'Outaouais, a été réorganisé pour exclure les Ardoch.

[33]Miziwe Biik et le CGRAPN [Conseil de gestion régional autochtone de la péninsule du Niagara] ont continué d'exister en vertu du régime des EBR mais n'ont reçu de financement que pour desservir les Autochtones non affiliés définis par DRHC comme étant des personnes qui n'étaient pas membres des bandes ontariennes ou qui étaient desservies par des organisations métisses. Ces bandes ontariennes et ces organisations métisses assument la responsabilité d'environ 80 % de la population autochtone de l'Ontario.

(iii)     Le programme d'emploi à l'intention des Autochtones vivant en milieu urbain en vertu de la stratégie de Vers une nouvelle relation

[34]L'avocat des demandeurs de l'Ontario a reproduit les deux extraits suivants tirés du Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones (CRPA) pour démontrer que les collectivités des Premières nations vivant en milieu urbain et n'étant pas inscrites sont extrêmement pauvres, marginalisées et ignorées (CRPA, vol. 3, p. 253; CRPA, vol. 4, p. 597):

Il faudra remplacer la réglementation et les distinctions arbitraires qui ont débouché sur la prestation de services sociaux et de santé différents mais inégaux, basée sur le statut -- Indien, Métis ou Inuit -- (et chez les Premières nations, selon que la personne habite ou non dans une réserve), par des règles d'accès qui donnent à tous les peuples autochtones les mêmes possibilités en matière de santé physique et sociale.

Dans de nombreuses villes, les autochtones vivent dans la pauvreté et sont désorganisés. Les gouvernements n'ont pas adopté de politiques cohérentes et coordonnées pour répondre aux besoins des populations autochtones urbaines [. . .]. On les a en grande partie exclus des discussions sur l'autonomie gouvernementale et le développement institutionnel. Collectivement, les Autochtones citadins n'ont guère de visibilité et ils possèdent peu de pouvoirs. Il est évident que les autochtones vivant en ville ont besoin de toute urgence de ressources et d'assistance afin d'appuyer les organisations existantes et de créer de nouvelles institutions pour favoriser le renforcement de leur identité culturelle.

[35]Le Canada reconnaît que dans le cadre des négociations des EBR, et par la suite, des préoccupations ont été exprimées au sujet des lacunes perçues dans la capacité des Premières nations signataires d'une EBR de desservir toutes les populations autochtones vivant en ville et hors réserve et, pour répondre à ces préoccupations, DRHC a adopté, dans le cadre de la stratégie Vers une nouvelle relation, un programme spécial appelé Programme d'emploi pour les Autochtones vivant en milieu urbain.

[36]En vertu de ce programme, DRHC a d'abord alloué, dans le cadre de la stratégie Vers une nouvelle relation, 21 000 000 $ à titre de financement répartis sur trois ans à trois organisations autochtones choisies afin de mieux cibler les besoins en perfectionnement des Autochtones vivant dans les villes pour leur donner accès au marché du travail. Les trois organisations qui ont reçu des fonds étaient l'Association nationale des centres d'amitié (ANCA), l'Association des femmes autochtones du Canada (AFAC) et le Congrès des peuples autochtones (CPA).

[37]L'ANCA représente les intérêts de sept associations provinciales et territoriales et regroupe 112 centres d'amitié. L'AFAC est une organisation politique représentant les intérêts des femmes autochtones; et le CPA est un organisme national qui est le porte-parole des peuples autochtones non visés par la Loi sur les Indiens, des Indiens qui ont recouvré leur statut et des populations autochtones qui ne résident pas dans les réserves. Par suite des accords, DRHC soutient que les populations autochtones des villes, y compris celles qui résidaient dans la région du Grand Toronto, ou dans la péninsule du Niagara et à Winnipeg, ont été en mesure de demander du financement pour appuyer les activités d'emploi et de formation dans les régions urbaines.

(iv)     Une EBR distincte -- Le Cercle

[38]En plus de mettre en oeuvre le programme d'emploi pour les Autochtones vivant en milieu urbain, DRHC a conclu une EBR distincte avec le Cercle de développement du marché du travail pour les Autochtones (le Cercle) en mai 1997. Le Cercle est composé de représentants de six organisations autochtones de l'Ontario, y compris le CGRAPN et Miziwe Biik. Cette EBR compte deux volets de financement. Tout d'abord, une contribution de 5,5 millions $ au cours de l'exercice financier 1997/1998 et la même somme versée au cours de l'exercice financier 1998/1999 pour appuyer les programmes de développement du marché du travail pour les Autochtones vivant dans les villes ontariennes qui ne sont pas visés par une autre EBR.

[39]En vertu de ce volet, le financement était limité à la formation professionnelle et à des services d'aide à l'emploi pour les personnes suivantes:

a)     les membres des Premières nations vivant à l'extérieur de la province;

b)     les personnes sans statut qui ne se considèrent pas comme Métis et qui n'étaient pas membres d'une Première nation ou d'une communauté inuit;

c)     les Indiens inscrits qui n'ont aucun lien avec une bande (inscrits sur la liste générale); et

d)     les employeurs et institutions autochtones qui n'étaient pas rattachés à une Première nation, à une communauté métisse ou autre.

[40]Le deuxième volet de l'EBR du Cercle consistait en une contribution d'environ 4 000 000 $ dans l'exercice financier 1997/1998 et d'un montant presque identique pour l'exercice financier 1998/1999 afin d'appuyer les programmes de développement du marché du travail pour les Autochtones dans les régions géographiques desservies par les six organisations membres du Cercle, y compris les collectivités urbaines desservies par le CGRPN (péninsule du Niagara) et Miziwe Biik (Toronto).

c)     La stratégie du développement des ressources humaines autochtones (SDRHA)

[41]L'objectif et la structure de la SDRHA sont semblables à ceux de la stratégie Vers une nouvelle relation, mais elle cherche en plus à améliorer cette stratégie et à l'étendre. Elle a un volet urbain. Comme il l'avait fait dans le cadre de la stratégie Vers une nouvelle relation, DRHC a établi des contacts directs avec l'APN, le RNM et ITC. Des ADRHA ont ensuite été conclus avec des organisations provinciales et sous-régionales affiliées aux trois organisations autochtones nationales.

[42]DRHC affirme que la SDRHA a été mise en oeuvre à la suite d'un processus de consultation intensif qui a été mené auprès des porte-paroles autochtones, notamment l'APN, le RNM, ITC de même que le CPA, l'AFAC et des organisations et des personnes disant représenter les populations autochtones vivant dans les villes et hors réserve.

[43]Pour les demandeurs, la SDRHA n'a pas donné des résultats différents de son prédécesseur, Vers une nouvelle relation, pour ce qui est des EBR. Ses effets sont les mêmes: exclusion des bienfaits des ADRHA en termes de contrôle local des programmes liés au marché du travail.

[44]Au Manitoba, DRHC a conclu des ADRHA avec les deux signataires des EBR antérieurs, soit l'AMC et la MMF, en leur transférant la responsabilité et le contrôle des programmes de formation et d'emploi pour tous leurs membres, que ceux-ci vivent ou non dans des réserves. L'ACW a demandé à DRHC de conclure avec lui un ADRHA portant sur la ville de Winnipeg, mais DRHC a refusé sans fournir de raison, selon les demandeurs. Comme dans le cadre des stratégies Les chemins de la réussite et Vers une nouvelle relation, l'AMC et la MMF devaient travailler à Winnipeg par l'entremise des conseils de gestion locaux distincts qu'ils contrôlaient. À l'audition de la présente demande, j'ai été informé que l'AMC avait dissous son conseil de gestion local. Pour le remplacer, l'AMC a mis en oeuvre un plan en vertu duquel des services seraient fournis directement par les Premières nations en passant par les 20 signataires des sous-accords qui devaient avoir des bureaux à Winnipeg.

[45]Le même scénario s'est répété en Ontario. Un signataire d'une EBR est devenu le signataire d'un ADRHA. Miziwe Biik, le CGRAPN et les Algonquins d'Ardoch ont demandé qu'il y ait des négociations en vue de la signature d'un ADRHA, mais on leur a refusé cette possibilité sans leur donner de raison, toujours selon eux.

[46]Au cours des plaidoiries, l'accent a porté sur la façon dont le volet distinct, c'est-à-dire le volet visant les Indiens en ville et hors réserve, a été mis en place et comment il diffère des ADRHA. Il y a également eu controverse au sujet de la sélection du fournisseur de services au moyen d'une demande de proposition (DP).

[47]Dans certains centres, comme Winnipeg, ou dans une province comme l'Ontario, DRHC a choisi le fournisseur de services pour le volet visant les Autochtones citadins et vivant hors réserve en ayant recours à une DP.

[48]Au Manitoba, le fournisseur de services choisi a été le Centre for Aboriginal Human Resources Development (CAHRD). Le CAW a présenté une soumission en réponse à la demande de proposition et a appuyé la proposition du CAHRD. IL avait informé le Canada avant la demande de proposition visant Winni peg qu'il estimait être habilité à conclure un ADRHA avec DRHC et que la collectivité autochtone de Winnipeg lui en avait confié le mandat.

[49]Le CAHRD a signé un accord avec DRHC qui exigeait qu'il mette en oeuvre les programmes de développement des ressources humaines, et s'occupe entre autres choses de la conception de programmes de formation qui seraient assurés à toutes les populations autochtones de Winnipeg, sans tenir compte de leur statut. Il fournit donc des programmes d'aide à l'emploi sans tenir compte du statut, comme le CGRW l'avait fait auparavant dans le cadre de la stratégie Les chemins de la réussite.

[50]En Ontario, DRHC a fait une demande de proposition afin que des programmes liés au marché du travail soient offerts, à l'échelon de la province, à toute la population autochtone non affiliée résidant en Ontario.

[51]Le Cercle, auquel Miziwe Biik et le CGRAPN ont tous deux participé en tant que mécanismes locaux de prestation proposés, ont répondu à la demande de proposition, mais leur offre n'a pas été retenue. Les soumissions retenues ont été celles de l'Ontario Federation of Indian Friendship Centers (OFIFC) jumelée à celle du Grand River Employment and Training (OFIFC/GREAT).

[52]Toutefois, l'OFIFC, en raison d'une résolution adoptée à son assemblée générale, a abandonné sa proposition de desservir la région du Grand Toronto parce que, selon elle, elle n'avait pas le mandat de desservir cette région. DRHC a donc choisi, sans faire de demande de proposition, Miziwe Biik avec qui il a conclu un accord.

[53]Dans le cadre de la SDRHA, aucun ADRHA n'a été conclu avec les collectivités des Premières nations qui vivent dans les régions rurales hors réserve comme celle d'Ardoch. Leurs membres sont regroupés dans le volet urbain dont le signataire est, comme il est indiqué ci-dessus, OFIFC/GREAT qui a nommé, à titre d'organisme de prestation local, Kajita Mikam pour desservir, dans cette région, la collectivité d'Ardoch.

[54]Les demandeurs critiquent DRHC. Ils prétendent qu'au lieu de négocier des ADRHA avec les membres des Premières nations vivant dans les villes et n'ayant pas de statut en passant par leurs collectivités et leurs organismes représentatifs, DRHC leur a unilatéralement imposé un programme distinct, soit le volet réservé aux Autochtones vivant en milieu urbain et hors réserve. Ils prétendent que ce volet n'accorde aux membres des Premières nations vivant dans les villes et n'ayant pas de statut aucun contrôle sur les fonds affectés à la formation. Le fournisseur de services n'est pas mandaté par la collectivité autochtone et n'est ni responsable ni redevable à cette collectivité, mais bien à DRHC, comme le serait tout entrepreneur commercial.

[55]Le Canada prétend que DRHC a ajouté le volet visant les Autochtones vivant dans les villes et hors réserve à la SDRHA en réponse aux plaintes formulées par certains groupes qui prétendaient représenter ce groupe d'Autochtones au sujet des problèmes qu'ils disaient éprouver pour avoir accès aux programmes administrés par les signataires d'EBR. Le Canada affirme que les Premières nations qui ont signé des ADRHA sont tenues d'assurer l'accès aux programmes à leurs membres ou électeurs, que ceux-ci vivent ou non dans les réserves. Il y a une clause de non- discrimination dans chaque ADRHA. Par conséquent, le Canada prétend que le volet visant les Autochtones vivant en milieu urbain et hors réserve a simplement pour but de donner aux Autochtones vivant hors réserve une source additionnelle d'accès aux programmes. Le signataire de l'ADRHA, dont les membres vivent dans les réserves, est principalement responsable de desservir la totalité de ses membres peu importe l'endroit où ils vivent.

[56]DRHC prétend que le choix d'un fournisseur de services approprié pour les Autochtones vivant hors réserve dans bon nombre de centres urbains est rendu difficile en raison du grand nombre d'organismes qui prétendent parler en leur nom. Par conséquent, pour choisir l'organisme représentatif approprié, DRHC affirme avoir contacté en premier lieu les porte-parole autochtones pour vérifier s'il existait un consensus quant à savoir quel organisme devrait être choisi comme titulaire de l'ADRHA pour une ville ou une région donnée. Dans bon nombre de cas, ce consensus existait, par exemple, en Saskatchewan, en Alberta et dans certaines parties de la Colombie-Britannique. Ce n'est que lorsqu'il n'y avait pas de consensus entre les porte-parole autochtones que DRHC a eu recours à la demande de proposition. Ce processus a été utilisé pour choisir les fournisseurs de services en Nouvelle-Écosse, au Nouveau-Brunswick, en Ontario, dans la région de Winnipeg et dans la région du Grand Vancouver.

C.     LES QUESTIONS EN LITIGE

[57]Les parties conviennent que les questions suivantes sont soulevées dans la présente instance:

a) la SDRHA contrevient-elle au paragraphe 15(1) de la Charte en faisant de la discrimination à l'encontre des Autochtones vivant dans les villes et hors réserve?

b) dans l'affirmative, cette discrimination peut-elle se justifier au regard de l'article premier de la Charte?

c) dans la négative, quel est le redressement approprié?

[58]Ces questions en litige font ressortir une différence fondamentale entre l'approche utilisée par les demandeurs et DRHC pour décrire les avantages de la SDRHA. DRHC est d'avis que le grand avantage de la SDRHA est de donner accès aux programmes, et que le contrôle exercé par la collectivité locale est simplement un objectif de la stratégie, mais pas un avantage.

[59]Le Canada aborde la «question du contrôle par la collectivité locale» de façon directe. Il reconnaît que l'un des objectifs qu'il poursuivait ouvertement en établissant la SDRHA était de transférer la responsabilité de la conception et de la prestation des programmes liés au marché du travail directement aux organisations autochtones. Le Canada déclare que la SDRHA devait avoir suffisamment de souplesse pour permettre aux organisations autochtones d'exercer le pouvoir de prendre les décisions nécessaires pour répondre aux besoins de leurs collectivités tout en ayant la responsabilité d'atteindre des résultats clairs sur le plan du rendement.

[60]Le Canada prétend que l'objectif du contrôle par la collectivité locale est un objectif relatif qui ne peut être atteint que si l'on tient compte de la diversité des situations que vivent les populations autochtones du Canada. C'est ce qui est d'ailleurs écrit dans le mémoire du Canada:

[traduction] Le Canada n'a jamais eu l'intention que le concept de «contrôle par la collectivité locale» signifie de confier à chaque collectivité autochtone au Canada le contrôle de la conception et de l'élaboration de programmes de formation et de perfectionnement. Au contraire, l'intention était d'essayer de ramener le contrôle des programmes et des services de ressources humaines plus près de la collectivité en faisant participer les populations autochtones (par l'entremise de leurs organismes représentatifs) à la conception et à la prestation des programmes dans la mesure et aux paliers appropriés. L'objectif était de confier le processus décisionnel au palier susceptible de maximiser l'efficacité de l'élaboration et de la prestation de programmes de formation et de recherche d'emplois pour tous les Autochtones. L'objectif premier de la SDRHA est d'augmenter les occasions d'emploi et de formation pour les Autochtones, non pas le degré de contrôle local ou d'habilitation. [Non souligné dans l'original.]

[61]DRHC élabore sur cet objectif important de la SDRHA qui consiste à assurer la prestation efficace de programmes aux personnes qui y sont admissibles. Il soutient que pour atteindre cette efficacité et réaliser des économies d'échelle, DRHC a dû parvenir à un équilibre en négociant des ADRHA avec les organisations communautaires qui pouvaient démontrer qu'elles avaient l'infrastructure nécessaire pour fournir les programmes.

[62]DRHC prétend avoir signé des ADRHA avec les organisations seulement lorsqu'il existait une masse critique, du point de vue du nombre d'habitants, et que le mot «local» utilisé dans ce contexte signifiait simplement que les décisions seraient prises au palier qui serait le mieux en mesure d'assurer le développement et la concrétisation d'occasions d'emplois, de formation et de perfectionnement des aptitudes professionnelles pour les Autochtones.

[63]Les demandeurs prétendent pour leur part que la SDRHA est un programme complet qui offre un certain nombre d'avantages clés, dont le contrôle par la collectivité locale est l'un des plus importants puisque cet avantage donne à la collectivité le contrôle sur la conception des programmes, leur prestation et leur mise en oeuvre ainsi que sur la répartition du financement dans un domaine où DRHC ne participe plus à ces fonctions puisqu'il les leur a transférées par l'entremise des ADRHA. Les demandeurs prétendent que cet avantage que représente le contrôle par la collectivité locale donne aux collectivités la flexibilité de concevoir et de mettre en oeuvre des stratégies axées sur le marché du travail conçues pour répondre à leurs besoins respectifs à cet égard. Qui plus est, grâce à la SDRHA, les Autochtones disposent d'une organisation communautaire représentative qui est contrôlée au palier local, qui doit répondre de ses gestes devant eux et qui connaît bien la collectivité.

[64]Les demandeurs contestent les raisons fournies par DRHC pour les avoir exclus: la masse critique et le manque de consensus après consultation avec eux. Ils prétendent que la masse critique n'est pas un problème à Winnipeg et à Toronto. C'est peut-être le cas dans d'autres régions. Mais, Ardoch a informé DRHC qu'elle est disposée à se joindre au CGRAPN ou à d'autres collectivités des Premières nations vivant hors réserve et en milieu rural dans la vallée de l'Outaouais.

[65]Les demandeurs contestent les affirmations de DRHC concernant le degré de consultations qu'il a tenues pour déterminer si on pouvait trouver dans les centres urbains une organisation représentative et ils font référence au contre-interrogatoire des fonctionnaires de DRHC qui fait ressortir que cette consultation n'a jamais eu pour but de déterminer s'il y avait dans les collectivités urbaines un consensus quant à savoir quelle organisation devrait se charger du volet ayant trait aux Autochtones vivant dans les villes et hors réserve.

D.     ANALYSE

1)     Les principes

[66]Pour ce qui concerne les principes qui régissent les revendications fondées sur l'article 15 de la Charte, trois décisions de la Cour suprême du Canada ont été citées par les deux parties:

1) Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497;

2) Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203; et

3) Lovelace c. Ontario, [2000] 1 R.C.S. 950.

[67]L'importance de l'arrêt Law, précité, tient au fait qu'il fait la synthèse de toutes les décisions antérieures de la Cour suprême du Canada qui ont interprété l'article 15 de la Charte. Le juge Iacobucci, s'exprimant au nom de la Cour, a traduit son analyse en directives à l'intention des tribunaux chargés de statuer sur les revendications fondées sur l'égalité en application de l'article 15 de la Charte.

[68]L'arrêt Corbiere, précité, est important. Dans une action intentée par des membres de la bande indienne de Batchewana vivant hors réserve, la Cour suprême du Canada a annulé, pour des motifs fondés sur l'article 15 de la Charte, un article de la Loi sur les Indiens qui exigeait que les membres de la bande «réside[nt] ordinairement sur la réserve» pour avoir le droit de voter aux élections de la bande.

[69]L'arrêt Lovelace, précité, a une application étendue. Dans cette affaire, on contestait un programme établi par le gouvernement de l'Ontario qui distribue les recettes du premier casino commercial exploité dans une réserve de cette province aux seules collectivités des Premières nations de l'Ontario inscrites en tant que bandes en vertu de la Loi sur les Indiens à l'exclusion des collectivités autochtones non constituées en bandes qui étaient les demanderesses au procès. Les demanderesses incluaient la Première nation algonquine d'Ardoch et ses alliés, plusieurs autres collectivités de Premières nations vivant hors réserve dans des régions rurales de l'Ontario, une association de Métis et d'Indiens non inscrits et l'Association des Métis autochtones de l'Ontario. La Cour suprême du Canada a décidé que le programme ontarien ne contrevenait pas à l'article 15 de la Charte puisque les demandeurs n'avaient pas réussi à prouver qu'il y avait réellement eu discrimination.

a)     Les principes énoncés dans l'arrêt Law, précité

[70]Dans l'arrêt Law, précité, le juge Iacobucci a tout d'abord traité de la démarche générale à suivre pour interpréter l'article 15: «À sa face même, [l'article 15] garantit à tous un traitement égal par l'État, indépendamment de toute discrimination» (paragraphe 22). L'approche doit toujours être fondée sur l'objet visé et le contexte et elle exige que l'on se pose trois grandes questions concernant la loi ou la mesure contestée. Il exprime ces trois grandes questions dans les termes suivants au paragraphe 39:

Premièrement, la loi contestée a) établit-elle une distinction formelle entre le demandeur et d'autres personnes en raison d'une ou de plusieurs caractéristiques personnelles, ou b) omet-elle de tenir compte de la situation défavorisée dans laquelle le demandeur se trouve déjà dans la société canadienne, créant ainsi une différence de traitement réelle entre celui-ci et d'autres personnes en raison d'une ou de plusieurs caractéristiques personnelles? Si tel est le cas, il y a une différence de traitement aux fins du par. 15(1). Deuxièmement, le demandeur a-t-il subi un traitement différent en raison d'un ou de plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues? Et, troisièmement, la différence de traitement était-elle réellement discriminatoire, faisant ainsi intervenir l'objet du par. 15(1) de la Charte pour remédier à des fléaux comme les préjugés, les stéréotypes et le désavantage historique?

[71]Au paragraphe 51 de l'arrêt Law, le juge Iacobucci reformule les décisions antérieures de la Cour suprême du Canada concernant l'objet de l'article 15:

Tous ces énoncés ont plusieurs éléments clés en commun. On pourrait affirmer que le par. 15(1) a pour objet d'empêcher toute atteinte à la dignité et à la liberté humaines essentielles par l'imposition de désavantages, de stéréotypes et de préjugés politiques ou sociaux, et de favoriser l'existence d'une société où tous sont reconnus par la loi comme des êtres humains égaux ou comme des membres égaux de la société canadienne, tous aussi capables, et méritant le même intérêt, le même respect, et la même considération. Une disposition législative qui produit une différence de traitement entre des personnes ou des groupes est contraire à cet objectif fondamental si ceux qui font l'objet de la différence de traitement sont visés par un ou plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues et si la différence de traitement traduit une application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe ou que, par ailleurs, elle perpétue ou favorise l'opinion que l'individu concerné est moins capable, ou moins digne d'être reconnu ou valorisé en tant qu'être humain ou que membre de la société canadienne. Subsidiairement, une différence de traitement ne constituera vraisemblablement pas de la discrimination au sens du par. 15(1) si elle ne viole pas la dignité humaine ou la liberté d'une personne, ou d'un groupe de cette façon, surtout si la différence de traitement contribue à l'amélioration de la situation des défavorisés au sein de la société canadienne.

[72]Au paragraphe suivant, le juge Iacobucci déclare ceci: «dans la formulation de l'objet du par. 15(1) [. . .] l'accent est mis, à juste titre, sur le but de préserver la dignité humaine au moyen de l'élimination du traitement discriminatoire». Il commence ensuite, au paragraphe 53, à analyser en quoi consiste la dignité humaine et il conclut, au paragraphe 54 dans les termes suivants: «Tous les éléments de l'analyse relative à la discrimination sont imprégnés de la volonté supérieure de préserver et de promouvoir la dignité humaine, au sens susmentionné».

[73]Il poursuit son analyse en déclarant que, pour déterminer si l'objet fondamental du paragraphe 15(1) intervient dans le cadre d'une allégation donnée, il est essentiel d'effectuer une analyse comparative qui prend en considération le contexte entourant l'allégation et le demandeur. Après avoir discuté de la nature de la méthode comparative, il conclut comme ceci, au paragraphe 56: «En dernière analyse, le tribunal doit établir la différence de traitement par comparaison avec une ou plusieurs autres personnes ou groupes. Il est nécessaire de trouver l'élément de comparaison approprié pour cerner la différence de traitement et les motifs de la distinction. Il y aura lieu de trouver l'élément de comparaison approprié au moment de l'examen des nombreux facteurs contextuels dans l'analyse de la discrimination».

[74]Dans l'arrêt Law, précité, le juge Iacobucci a traité en détail de la question des facteurs contextuels. Il a identifié quatre facteurs sur lesquels peut s'appuyer un demandeur «pour démonter que des dispositions législatives [une mesure ou un programme gouvernemental] ont pour effet de saper sa dignité» (paragraphe 62) en faisant toutefois une mise en garde pour préciser qu'«il en existe évidemment d'autres, et que les quatre facteurs ne [sont] pas nécessairement tous pertinents dans chaque cas» (ibid). Ces quatre facteurs sont utilisés pour déterminer si le demandeur a prouvé qu'il y avait réellement discrimination.

[75]Les quatre facteurs contextuels sont les suivants:

1) le désavantage préexistant;

2) le rapport entre les motifs de discrimination et les caractéristiques ou la situation personnelle du demandeur;

3) l'objet ou l'effet d'amélioration; et

4) la nature du droit touché.

[76]Il conclut que «le facteur qui sera probablement le plus concluant pour démontrer qu'une différence de traitement imposé [. . .] est vraiment discriminatoire sera, le cas échéant, la préexistence d'un désavantage, de vulnérabilité, de stéréotypes ou de préjugés subis par la personne ou par le groupe» (paragraphe 63):

Ces facteurs sont pertinents parce que, dans la mesure où le demandeur se trouve déjà dans une situation injuste ou fait déjà l'objet d'un traitement inéquitable dans la société du fait de caractéristiques ou d'une situation qui lui sont propres, il est arrivé souvent que des personnes dans la même situation n'aient pas fait l'objet du même intérêt, du même respect et de la même considération. Il s'ensuit logiquement que, dans la plupart des cas, une différence de traitement additionnelle contribuera à la perpétuation ou à l'accentuation de leur caractérisation sociale injuste [. . .].

[77]Pour ce qui est du deuxième facteur contextuel énoncé par la Cour suprême du Canada, soit «le rapport entre les motifs de discrimination et les caractéristiques ou la situation personnelle du demandeur», l'interprétation que j'en donne est de savoir comment un motif qui serait fondé sur la Charte, comme l'âge, l'incapacité ou le sexe, correspond aux besoins (exigences) du demandeur, à sa capacité (ses compétences) et à sa situation personnelle. Le juge Iacobucci fait remarquer que «la disposition législative qui prend en compte les besoins, les capacités ou la situation véritables du demandeur et d'autres personnes partageant les mêmes caractéristiques, d'une façon qui respecte leur[s] valeur[s] en tant qu'êtres humains et que membres de la société canadienne, sera moins susceptible d'avoir un effet négatif sur la dignité humaine» (paragraphe 70). Réciproquement, lorsque la disposition législative ou le programme ne prend pas en compte la situation véritable d'un demandeur, il sera plus facile d'établir la discrimination.

[78]À son avis, un facteur contextuel important serait l'objet ou l'effet d'amélioration des dispositions législatives ou autres mesures étatiques contestées eu égard à une personne ou un groupe plus défavorisés dans la société parce que, comme le disait le juge Sopinka dans l'arrêt Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant, [1997] 1 R.C.S. 241 [paragraphe 66] «le par. 15(1) de la Charte a non seulement pour objet d'empêcher la discrimination par l'attribution de caractéristiques stéréotypées à des particuliers, mais également d'améliorer la position de groupes qui, dans la société canadienne, ont subi un désavantage en étant exclus de l'ensemble de la société ordinaire». Le juge Iacobucci poursuit en ces termes (au paragraphe 72):

Un objet ou un effet apportant une amélioration qui est compatible avec l'objet du par. 15(1) de la Charte ne violera vraisemblablement pas la dignité humaine de personnes plus favorisées si l'exclusion de ces personnes concorde largement avec les besoins plus grands ou la situation différente du groupe défavorisé visé par les dispositions législatives.

[79]Il souligne que ce facteur ne sera probablement pertinent que dans la mesure où la personne ou le groupe exclu de l'application de dispositions ou d'une autre mesure étatique apportant une amélioration est relativement plus favorisé et il ajoute ceci: «Des dispositions apportant une amélioration, mais au caractère limitatif, qui excluent les membres d'un groupe historiquement défavorisé seront presque toujours taxées de discrimination» (au paragraphe 72) (non souligné dans l'original).

[80]Le dernier facteur contextuel auquel fait allusion le juge Iacobucci est la nature du droit touché. Il cite Mme le juge L'Heureux-Dubé dans l'arrêt Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513 [paragraphe 63]:

Toutes autres choses étant par ailleurs égales, plus les conséquences économiques ressenties par le groupe touché sont graves et localisées, plus il est probable que la distinction qui en est la cause soit discriminatoire au sens de l'art. 15 de la Charte.

[81]Il note que Mme le juge L'Heureux-Dubé a expliqué au paragraphe 64 (de l'arrêt Egan), qu'on ne peut évaluer pleinement le caractère discriminatoire d'une distinction donnée sans également mesurer l'importance, sur le plan de la constitution et de la société, du droit auquel il a été porté atteinte. Qui plus est, il est pertinent d'examiner si la distinction restreint de quelque façon l'accès à une institution sociale fondamentale ou compromet «un aspect fondamental de la pleine appartenance à la société canadienne» ou «a pour effet d'ignorer complètement un groupe particulier».

[82]Au paragraphe 75 de ses motifs, le juge Iacobucci conclut son analyse des facteurs contextuels sur lesquels peut s'appuyer un demandeur afin d'établir qu'il y a eu contravention aux principes d'égalité des droits dans un sens fondé sur l'objet visé dans les termes suivants:

Il y a violation du par. 15(1) de la Charte s'il peut être démontré que, dans la perspective d'une personne raisonnable qui se trouve dans une situation semblable à celle où se trouve le demandeur et qui tient compte des facteurs contextuels pertinents aux fins de l'allégation, l'imposition d'une différence de traitement dans la loi a pour effet de porter atteinte à sa dignité [. . .] Démontrer l'existence d'une discrimination suivant cette démarche fondée sur l'objet exigera du demandeur qu'il invoque des facteurs permettant d'inférer que les dispositions [ou la mesure étatique] constituent une atteinte à l'objet du par. 15(1) de la Charte.

b)     Les conclusions de l'arrêt Corbiere

[83]Dans l'arrêt Corbiere, précité, la Cour suprême du Canada a été unanime quant au résultat, d'une part sous la plume de Mme le juge McLachlin (maintenant juge en chef) et de M. le juge Bastarache, au raisonnement desquels ont souscrit trois autres juges et d'autre part sous la plume de Mme le juge L'Heureux-Dubé, au raisonnement de laquelle ont souscrit trois autres juges. Les deux séries de motifs ont suivi le cadre d'analyse de l'article 15 élaboré dans l'arrêt Law, précité.

[84]Je déduis de l'arrêt Corbiere, précité, les points suivants qui se rapportent à l'analyse en trois étapes:

1) l'exclusion, découlant de l'article 77 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 14] de la Loi sur les Indiens, des membres hors réserve des bandes indiennes quant au droit de voter à l'égard de l'administration de leur bande respecte la première exigence qui consiste «à déterminer si le texte de loi contesté établit une distinction qui dénie l'égalité de bénéfice de la loi ou impose un fardeau inégal», selon le raisonnement du juge McLachlin et du juge Bastarache (paragraphe 4). Le juge L'Heureux-Dubé qualifie cette distinction, c'est-à-dire l'exclusion des membres hors réserve des bandes indiennes de la définition d'électeur au sein de la bande en vertu de la Loi sur les Indiens, de différence de traitement;

2) la Cour s'est dite convaincue, pour ce qui est de la deuxième question à poser dans l'analyse, que le déni d'égalité de bénéfice de la loi ou le fardeau inégal ou la différence de traitement se fondait sur un motif analogue, en examinant l'objet de l'article 15 et en se demandant si le motif analogue était semblable aux motifs énumérés qui «sont souvent à la base de décisions stéréotypées, fondées non pas sur le mérite de l'individu mais plutôt sur une caractéristique personnelle qui est soit immuable, soit modifiable uniquement à un prix inaccessible du point de vue de l'identité personnelle», selon le raisonnement des juges McLachlin et Bastarache (paragraphe 13) qui estiment également que "l'autochtonité-lieu de résidence" constitue un motif analogue lorsqu'il se rapporte à la question de savoir si un membre d'une bande autochtone vit dans la réserve ou en dehors de celle-ci» (paragraphe 14) parce que la distinction se rapporte à une caractéristique personnelle essentielle de l'identité personnelle des membres des bandes indiennes, la situation des membres hors réserve des bandes autochtones étant unique et immuable.

Le juge L'Heureux-Dubé a conclu que le facteur de l'«autochtonité-lieu de résidence» est un motif analogue; toutefois, pour parvenir à cette conclusion, elle n'a pas examiné seulement l'objet de l'article 15, mais également les facteurs contextuels énumérés dans l'arrêt Law, précité. Selon sa perspective, le fait que les membres hors réserve des bandes aient généralement connu des désavantages et subi des préjudices et qu'ils soient membres de «minorités distinctes et isolées» du fait de leur race et de leur lieu de résidence était important.

Les juges McLachlin et Bastarache n'ont cependant pas accepté son raisonnement en déclarant ce qui suit au paragraphe 10 de leurs motifs:

Si les motifs du juge L'Heureux-Dubé visent à faire dépendre du contexte l'existence même des motifs énumérés et des motifs analogues, nous devons, avec égards, exprimer notre désaccord. Si le motif de l'«autochtonité--lieu de résidence» doit constituer un motif analogue [. . .], il doit alors constituer un indicateur permanent de discrimination législative potentielle, que la contestation vise un crédit d'impôt gouvernemental, un droit de vote ou un régime de pension. Ceci étant établi, nous passons maintenant à la troisième étape de l'analyse, soit la question de savoir si, de par son objet ou ses effets, la distinction est source de discrimination à la lumière des faits de l'espèce. [Non souligné dans l'original.]

3) La troisième question à poser, qui est une question de recherche des faits et de contexte, consiste à déterminer si la distinction équivaut du point de vue de son objet ou de son effet, à de la discrimination. Les juges McLachlin et Bastarache ont conclu qu'il y avait réellement eu discrimination en s'appuyant sur trois des facteurs contextuels dont il est question dans l'arrêt Law, précité: la préexistence d'un désavantage, la correspondance du droit touché et son importance. Ils écrivent ceci au paragraphe 17:

La distinction reprochée perpétue le désavantage historique vécu par les membres hors réserve des bandes indiennes en les privant de leur droit de voter et de participer à l'administration de leur bande. Ces personnes ont des intérêts importants à faire valoir en ce qui concerne l'administration de la bande, ce que la distinction les empêche de faire. Ils sont copropriétaires de l'actif de la bande. Qu'ils y vivent ou non, la réserve est leur territoire et celui de leurs enfants. [Non souligné dans l'original.]

Les juges McLachlin et Bastarache concluent que la privation du droit de vote découlant de l'article 77 entraîne un déni d'égalité du bénéfice de la loi parce que son message est clair: «les membres hors réserve des bandes indiennes ne sont pas aussi méritants que les membres qui vivent dans les réserves». Cette distinction est faite sur la base arbitraire d'une caractéristique personnelle (paragraphe 18).

[85]L'opinion du juge L'Heureux-Dubé selon lequel le troisième critère a été établi était beaucoup plus élaborée. Elle résume ses conclusions au paragraphe 91 de ses motifs dans les termes suivants:

En résumé donc, l'analyse contextuelle des personnes touchées et de la différence de traitement en question amène à conclure que la distinction établie par la loi est incompatible avec les objectifs du par. 15(1). Les personnes touchées par cette distinction sont, en général, vulnérables et défavorisées. Elles font l'objet de stéréotypes et souffrent de désavantages à la fois comme Autochtones et comme membres hors réserve des bandes indiennes. Elles font partie d'une «minorité discrète et isolée» qui est définie par la race et le lieu de résidence, et il est vraisemblable que l'imposition de désavantages additionnels aura sur elles un effet discriminatoire. Deuxièmement, la distinction en question ne correspond ni aux caractéristiques ni à la situation des demandeurs et des membres hors réserve des bandes indiennes d'une manière qui «respecte et valorise leur dignité et leur différence»; [. . .] Les pouvoirs des conseils de bande ont une incidence sur des droits et besoins économiques, culturels et politiques que partagent les membres qui habitent les réserves et ceux qui vivent à l'extérieur de celles-ci. Troisièmement, la nature des droits touchés est fondamentale. Compte tenu de la forme de démocratie représentative prévue par la Loi sur les Indiens, le fait de ne pas donner à certains membres de la bande la possibilité de s'exprimer dans le cadre de ce processus a des conséquences sur un attribut important de l'appartenance à la bande, et crée un obstacle entre ces personnes et une communauté qui a une importance particulière pour celles-ci. [. . .] Enfin, le droit touché est également important en raison des diverses façons par lesquelles les liens qui unissaient des membres d'une bande à celle-ci ou à la réserve ont, volontairement ou à contrecoeur, été rompus dans le passé. Il est possible que les personnes touchées ou leurs parents aient quitté la réserve pour des raisons qui ne témoignent pas d'un manque d'intérêt envers la réserve, compte tenu des diverses circonstances qui, historiquement, ont caractérisé la vie des communautés habitant les réserves au Canada, telles que des assises territoriales souvent insuffisantes, de graves pénuries de logement et de possibilités de développement économique et l'application des anciennes règles imposées par le Parlement qui régissaient le statut Indien et l'appartenance aux bandes.

c)     Les conclusions de l'arrêt Lovelace, précité

[86]Dans l'arrêt Lovelace, précité, le juge Iacobucci a rédigé les motifs au nom d'une Cour unanime. Il a poursuivi le cadre analytique élaboré dans l'arrêt Law pour l'interprétation de l'article 15 de la Charte portant sur les cas de droit à l'égalité. Il a estimé que «[l']essence du présent pourvoi est la prétention des parties appelantes que leur exclusion du Fonds des Premières nations contrevient au droit à l'égalité garanti par le par. 15(1) de la Charte» (paragraphe 51).

[87]Il a réitéré que l'objectif essentiel de la garantie accordée par le paragraphe 15(1) est de protéger la population contre toute atteinte à la dignité humaine essentielle et il a confirmé qu'il faut répondre à trois grandes questions pour statuer sur une allégation de discrimination au paragraphe 53 de ses motifs:

Premièrement, il faut se demander si la loi, le programme ou l'activité traite le demandeur différemment d'autres personnes. Deuxièmement, il faut déterminer si cette différence de traitement est fondée sur un ou plusieurs motifs énumérés ou analogues. Enfin, il faut se demander si la loi, le programme ou l'activité contesté a un objet ou un effet qui est source de discrimination réelle.

[88]Le juge Iacobucci a insisté sur le fait que l'analyse relative à la discrimination «commande un examen exhaustif du contexte [. . .] [qu'elle s'attache] à l'application de facteurs contextuels qui ont été considérés particulièrement susceptibles de révéler l'existence potentielle de discrimination réelle [. . .] [et qui] prend la forme d' "une analyse comparative qui prend en considération le contexte entourant l'allégation et le demandeur" (paragraphe 55).

[89]Il poursuit au même paragraphe dans les mots suivants:

En outre, la détermination de l'élément de comparaison approprié et l'évaluation du contexte doivent être réalisées à partir du point de vue raisonnable du demandeur. La question qu'il faut se poser est de savoir si, du point de vue d'une «personne raisonnable qui se trouve dans une situation semblable à celle du demandeur et qui tient compte des facteurs contextuels pertinents» [. . .] la loi a pour effet de porter atteinte à la dignité humaine du demandeur.

[90]À mon avis, les principes suivants tirés de l'arrêt Lovelace, précité, sont particulièrement pertinents à la présente demande de contrôle judiciaire.

[91]Tout d'abord, le juge Iacobucci a confirmé qu'un examen du paragraphe 15(1) n'était pas limité aux seules distinctions établies par un texte de loi. Il est tout à fait possible d'examiner des programmes améliorateurs établis par l'État.

[92]Deuxièmement, il a reconnu le désavantage historique qu'ont subi le demandeur et le groupe de comparaison et il a rejeté la démarche fondée sur le désavantage relatif. Il a dit que l'examen de l'article 15 «n'engage pas les parties appelantes et les intimées dans une "course vers le bas", en d'autres mots les demandeurs ne sont pas tenus de démontrer qu'ils sont plus défavorisés que le groupe de comparaison». Pour lui cependant, il était important de reconnaître que «tous les peuples autochtones subissent les effets "de l'héritage de stéréotypes et préjugés visant les peuples autochtones" [. . .]. Les peuples autochtones sont aux prises avec des taux élevés de chômage et de pauvreté, et ils font face à d'importants désavantages dans les domaines de l'éducation, de la santé et du logement», citant à la fois l'arrêt Corbiere, précité et le Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones (paragraphe 69).

[93]Troisièmement, il estime que l'analyse fondée sur l'article 15 «doit être faite en comparant les communautés autochtones constituées en bandes et celles qui ne le sont pas [. . .] [concluant qu'il n'y a] aucune raison de comparer les communautés constituées en bandes aux seules communautés autochtones rurales non constituées en bandes» (non souligné dans l'original) parce qu'«il existe, dans les conditions de vie des groupes appelants, une grande diversité qui ne peut pas être reflétée convenablement par ce seul élément descriptif» (paragraphe 64).

[94]Quatrièmement, dans son analyse des facteurs contextuels et plus particulièrement du facteur contextuel lié à la correspondance entre les motifs et les besoins, les capacités et la situation, le juge Iacobucci a insisté pour dire qu'il était important de comprendre pleinement la nature du programme.

[95]Cinquièmement, s'appuyant sur différents passages du Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones (CRPA), il a conclu que les groupes demandeurs faisaient face à un ensemble unique de désavantages du point de vue des inégalités, existant entre les différents groupes de populations autochtones, et il se réfère à la page 230, vol. 3 du Rapport de la CRPA [paragraphe 70]:

Ces programmes fédéraux, malgré tous leurs défauts, sont habituellement les seuls qui soient adaptés aux besoins des autochtones, et cette situation fait l'envie des autochtones citadins, des Indiens non inscrits, des Inuit vivant à l'extérieur de leurs communautés nordiques et des Métis.

Il continue dans ces mots aux paragraphes 71 et 72:    

En outre, les parties appelantes ont souligné que ces désavantages sont exacerbés par le traitement injuste continu que perpétue le stéréotype selon lequel elles seraient «moins autochtones», ce qui a pour résultat qu'elles sont généralement traitées comme étant moins dignes d'être reconnues et qu'elles sont considérées comme étant désorganisées et moins responsables que les autres peuples autochtones. Dans l'arrêt Law, précité, notre Cour a confirmé qu'il y avait une corrélation très étroite entre l'existence de discrimination réelle et l'existence d'un stéréotype stigmatisant. Essentiellement, un stéréotype est une «conception erronée à partir de laquelle une personne ou, la plupart du temps un groupe, est injustement dépeint comme possédant des caractéristiques indésirables, ou des caractéristiques que le groupe, ou au moins certains de ses membres, ne possède pas».

Dans Corbiere, précité, notre Cour a reconnu que les membres hors réserve des Premières nations constituées en bandes sont vulnérables aux traitements injustes du fait qu'on attache à ce groupe le stéréotype que ses membres sont «moins autochtones» que les membres de bandes vivant dans des réserves [. . .] Bien que, dans le présent pourvoi, les parties appelantes ne soient pas dans la même situation que les demandeurs dans Corbiere, j'estime qu'elles sont également vulnérables aux stéréotypes et ce d'une manière assez connexe. [Non souligné dans l'original.]

[96]Dans ses motifs, «[a]yant arrêté le choix du groupe [de] comparaison pertinent» le juge Iacobucci procède aux première et deuxième étapes de l'analyse relative à la discrimination. Il qualifie la première étape d'examen visant à savoir «si les parties appelantes ont fait l'objet d'un traitement différent» et il conclut en ces termes: «Les parties appelantes font manifestement l'objet d'un traitement différent depuis que la province d'Ontario a confirmé, le 2 mai 1996, qu'elles étaient exclues de la participation aux recettes du Fonds des Premières nations et de toute négociation à cet égard» (paragraphes 65 et 66).

[97]Il aborde ensuite la deuxième étape qui consiste à déterminer «si cette différence de traitement était fondée sur un motif énuméré à [l'article 15] ou un motif analogue à ceux-ci». Il a examiné les prétentions des Métis appelants selon lesquelles ils étaient exclus en raison de leur race ou de leur origine ethnique. Il a comparé ces prétentions à celles fournies par les appelants dans l'arrêt Lovelace selon lesquelles «l'absence d'inscription en vertu de la Loi sur les Indiens est inextricablement liée à l'identité culturelle, communautaire et personnelle de longue date d'un groupe de personnes qui constituent une minorité distincte et isolée au sein de l'ensemble [de] la population autochtone. Ils prétendent également que leur exclusion de la Loi sur les Indiens est immuable» (paragraphes 65 et 66).

[98]Il conclut qu'il n'était pas nécessaire qu'il se prononce sur ce point compte tenu de sa conclusion selon laquelle «même si ces motifs sont présents, il n'y a pas de discrimination dans les circonstances» (paragraphe 67). Toutefois, il ajoute ceci dans le même paragraphe: «[q]uoiqu'il puisse y avoir des raisons valables d'accepter aussi bien les arguments des appelants Lovelace que ceux des appelantes Be-Wab-Bon sur la question des motifs énumérés ou analogues et de les considérer conformes à la jurisprudence antérieure de [la] Cour, notamment les arrêts Corbiere, précité; Benner c. Canada (Secrétaire d'État), [1997] 1 R.C.S. 358, au paragraphe 62; Egan, précité; et Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418».

[99]Le juge Iacobucci aborde ensuite la troisième étape qui consiste à examiner les quatre facteurs contextuels énumérés dans l'arrêt Law, précité. Il conclut en ces termes: «Les parties appelantes ont certes établi la préexistence d'un désavantage, de stéréotypes et d'une situation de vulnérabilité, et le groupe Be-Wab-Bon a à juste titre fait valoir qu'[traduction] " [i]l ne faut pas ajouter d'autres iniquités à ces exclusions historiques injustes et largement reconnues"». Il conclut toutefois que les parties appelantes «n'ont pas réussi à démontrer que le Fonds des Premières nations fonctionnait par l'application de stéréotypes [. . .]. Au contraire, [. . .] cette distinction correspond à la situation véritable des individus qu'elle touche, et l'exclusion ne comprenait pas l'objet améliorateur du programme ciblé. Bref, le Fonds des Premières nations n'est pas incompatible avec l'objet du par. 15(1) et ne fait pas entrer en jeu la fonction réparatrice du droit à l'égalité» (paragraphe 73).

[100]D'après l'interprétation que je donne de l'arrêt Lovelace, précité, la conclusion de non-discrimination s'appuie principalement sur le facteur contextuel qui lie les motifs de l'allégation de discrimination aux besoins, capacités et situations personnelles des collectivités des bandes. Le juge Iacobucci a examiné le Fonds des Premières nations dans le contexte d'un projet global, concluant que la province et les Premières nations constituées en bandes avaient convenu bien davantage que simplement le fait que les recettes du Fonds des Premières nations seraient affectées au développement communautaire, etc. Il déclare ceci [au paragraphe 74]:

En particulier, il est essentiel de reconnaître que la province n'a pas simplement et unilatéralement créé ce Fonds au moyen de sommes prélevées sur le Trésor provincial. Au contraire, le Fonds est constitué des recettes d'une mesure qui a été établie en partenariat et vise à réaliser plusieurs objectifs en même temps, à savoir: (i) concilier les positions différentes de la province et des Premières nations constituées en bandes relativement à la nécessité de réglementer les activités de jeu dans les réserves; (ii) appuyer l'établissement de relations de gouvernement à gouvernement entre les Premières nations constituées en bandes et le gouvernement provincial en vue de donner effet au SPR; (iii) améliorer les conditions sociales, culturelles et économiques des communautés constituées en bandes.

[101]Le juge Iacobucci a insisté pour dire que le projet de casino n'était pas seulement un programme améliorateur ciblé, mais également un programme qui a été élaboré en partenariat. Il a insisté sur ce partenariat entre l'Ontario et les bandes ontariennes parce que, à son avis, «les arrangements concernant le casino doivent être distingués des programmes d'avantages universels ou généralement accessibles» (paragraphe 82).

[102]Dans ce contexte, il a conclu qu'il n'était pas étonnant qu'il existe un «degré très élevé de correspondance entre le programme et les besoins, la situation et les capacités véritables des bandes» (paragraphe 82).

[103]Le juge Iacobucci a ensuite examiné le facteur contextuel de l'objet améliorateur et l'a étendu à des situations «où le désavantage, les stéréotypes, les préjugés ou la vulnérabilité caractérisent le groupe ou l'individu exclu» et il ajoute que «l'aspect central de l'analyse n'est pas le fait que les groupes appelants et intimés sont également défavorisés, mais que le programme en question vise à améliorer la situation d'un groupe défavorisé précis plutôt qu'à remédier à un désavantage dont pourrait souffrir tout membre de la société. En d'autres mots, nous sommes en présence d'un programme améliorateur ciblé auquel on reproche d'avoir un caractère trop limitatif, et non d'un programme améliorateur plus complet auquel on reproche d'avoir un caractère trop limitatif» (paragraphe 85). Il ajoute ensuite [au paragraphe 86]:

Cela dit, il faut reconnaître qu'il est peu probable que le fait d'exclure un groupe d'un programme ciblé ou établi en partenariat ait pour effet d'associer à ce groupe des stéréotypes ou des stigmates ou encore de communiquer le message qu'il est moins digne de reconnaissance et d'intégration au sein de la société dans son ensemble. [Non souligné dans l'original.]

[104]Il a aussi conclu que l'objet améliorateur du projet de casino dans son ensemble et du Fonds des Premières nations a clairement été établi et poursuit sur ces mots: «Le Fonds des Premières nations a donc un objet compatible avec le par. 15(1) de la Charte, et l'exclusion des parties appelantes ne compromet pas la réalisation de cet objet puisqu'elle n'est pas liée à une conception erronée de leurs besoins, capacités et situation véritables» (paragraphe 87).

[105]Il a aussi abordé la nature du droit touché par le programme estimant que «l'intérêt économique grave et localisé est intimement lié à un intérêt impérieux dans une institution sociale fondamentale, savoir la reconnaissance en tant que communautés autochtones jouissant de l'autonomie gouvernementale» [paragraphe 89]. Il conclut ainsi:

Je ne vois toutefois pas comment les mesures ciblées et les circonstances entourant le Fonds des Premières nations, notamment les caractéristiques spéciales des Premières nations constituées en bandes décrites précédemment, ont pour effet d'empêcher les parties appelantes d'être reconnues comme des communautés titulaires de l'autonomie gouvernementale. Dans la mesure où un tel effet existe, j'estime qu'il est ténu.

(2) Application des principes à l'espèce

[106]Avant d'entamer l'analyse en trois étapes recommandée par la Cour suprême du Canada, je dois décider en tout premier lieu à quel groupe doivent être comparés, pour les fins de l'analyse relative à la discrimination, les demandeurs qui sont des membres des collectivités des Premières nations vivant dans les villes et hors réserve à Winnipeg, Toronto et dans la péninsule du Niagara et des membres des Premières nations qui ne sont pas rattachés à une réserve et qui vivent dans les communautés autochtones de la vallée de l'Outaouais.

[107]Dans l'arrêt Lovelace, précité, le juge Iacobucci a insisté pour dire qu'en général le demandeur choisit le groupe de comparaison pertinent mais la Cour peut, dans le cadre des motifs plaidés, préciser la comparaison proposée.

[108]J'accepte le groupe de comparaison proposé par l'avocat des demandeurs de Winnipeg. Les demandeurs doivent être comparés aux membres des Premières nations qui vivent dans les réserves afin de déterminer si eux-mêmes et les communautés dans lesquelles ils vivent sont traités différemment par le programme étatique contesté, soit la SDRHA. Dans ce contexte, la comparaison peut également se faire entre les communautés des Premières nations constituées en bandes et les communautés des Premières nations non constituées en bandes et qui vivent en milieu urbain et rural (ce qui était le groupe de comparaison dans l'arrêt Lovelace, précité, paragraphe 64).

[109]Il ne fait aucun doute que la SDRHA peut faire l'objet d'un examen au regard de la Charte. L'arrêt Lovelace, précité, l'établit très clairement.

[110]L'existence et le fonctionnement des communautés autochtones vivant en milieu urbain et rural ne fait aucun doute non plus. Il me suffit de me référer aux affidavits de Mary Richard et de Wayne Helgason traitant de la communauté autochtone de Winnipeg. La communauté autochtone de Toronto a été décrite dans l'affidavit de Joseph Hester et celle de la péninsule du Niagara par Vince Hill. Le chef Crawford a témoigné sur le fonctionnement d'Ardoch.

[111]La première étape de l'examen relatif à la discrimination fondé sur l'article 15 de la Charte consiste à se demander si le programme établit une distinction qui nie l'égalité du bénéfice de la loi, impose un fardeau injuste ou, en d'autres mots, impose un traitement inégal entre les demandeurs et les membres du groupe de comparaison.

[112]L'avantage nié ou le traitement inégal imposé qu'allèguent les demandeurs est l'incapacité des communautés dans lesquelles ils vivent de faire, dans le cadre de la SDRHA, ce que les membres des Premières nations vivant dans les réserves peuvent faire pour leurs membres, qu'ils vivent dans la réserve ou hors réserve: c'est-à-dire décider de la meilleure façon de concevoir et de mettre en oeuvre des programmes de formation, décider quel type de programme est nécessaire pour desservir les membres de leurs communautés, allouer le financement à cette fin et s'assurer que les fournisseurs de services fonctionnent de façon appropriée dans un contexte de responsabilité.

[113]Déléguer la prise de décisions pour les programmes liés au marché du travail aux communautés autochtones était la prémisse à partir de laquelle les stratégies Les chemins de la réussite et Vers une nouvelle relation et la SDRHA ont été construites; la raison en est manifeste et reconnue par DRHC. L'expérience a démontré que les programmes de développement du marché du travail visant à desservir les peuples autochtones ne fonctionnent pas à moins que les décisions soient prises sur le terrain.

[114]J'accepte les témoignages de David Hallman, David McCulloch et Robert Hawson, qui ont déposé pour le compte de DRHC, selon lesquels la SDRHA n'envisageait pas que toutes les communautés autochtones signeraient un ADRHA. L'efficacité et les économies d'échelle sont des facteurs pertinents.

[115]Toutefois, je n'accepte pas leur témoignage concernant le fait que la masse critique était une question pertinente pour les communautés dans lesquelles les demandeurs vivent.

[116]La SDRHA établit une distinction entre les communautés des demandeurs et celles du groupe de comparaison. Les communautés des Premières nations constituées en bandes profitent des avantages du contrôle exercé par la communauté locale alors que les communautés des demandeurs ne peuvent en faire autant. La distinction n'est pas compensée par le volet urbain de la SDRHA dont l'objectif est différent: assurer aux communautés urbaines et rurales l'accès aux programmes pour aider les signataires des ADRHA (les Premières nations constituées en bandes) à s'acquitter de leur responsabilité primordiale, savoir desservir leurs membres dans ces collectivités. Comme l'avocat représentant le Canada l'a fait valoir, il ne s'agit pas d'un cas où les demandeurs allèguent qu'on leur a refusé du financement quand ils en ont fait la demande. Les demandeurs ont satisfait au premier critère.

[117]Ils ont également franchi la deuxième étape qui demande si la distinction établie par la SDRHA est fondée sur un motif énuméré à l'article 15 de la Charte ou sur un motif analogue.

[118]Dans l'arrêt Corbiere, précité, les juges McLachlin et Bastarache ont conclu que  les motifs énumérés et les motifs analogues constituent des indicateurs permanents d'un processus décisionnel suspect ou de discrimination potentielle. Le motif de l'autochtonité--lieu de résidence (le statut de membre d'une bande vivant hors réserve) «doit alors constituer un indicateur permanent de discrimination législative potentielle, que la contestation vise un crédit d'impôt gouvernemental, un droit de vote ou un régime de pension» (paragraphe 10).

[119]Ce que je retiens de ces observations, c'est que la détermination d'un motif analogue comme l'autochtonité--lieu de résidence lui donne un caractère de permanence qui permet de l'appliquer dans des causes à venir, indépendamment des circonstances. La différence de circonstances peut modifier la décision portant sur la question de savoir s'il y a réellement eu discrimination parce que ces indicateurs ne sont «que des indicateurs de l'existence de motifs de distinction suspects, [et qu']il s'ensuit que les décisions fondées sur ces motifs ne sont pas toujours discriminatoires» (paragraphe 7).

[120]La résidence hors réserve a déjà été acceptée comme un motif analogue dans l'arrêt Corbiere. La seule question à trancher est de savoir si la distinction était fondée sur ce motif analogue. Je conclus que tel est le cas. La décision de DRHC de ne pas conclure d'ADRHA, englobant l'élément de contrôle communautaire local, avec les organisations mandatées par les demandeurs était basée sur leur lieu de résidence, c'est-à-dire l'autochtonité--lieu de résidence.

[121]J'en viens maintenant à la troisième étape dans laquelle il faut se demander si la SDRHA a un objet ou un effet qui constitue de la discrimination réelle, ce qui suppose que l'on examine les quatre facteurs contextuels énumérés dans la jurisprudence.

[122]L'arrêt Lovelace, précité, faisait clairement ressortir que les communautés constituées en bandes et celles qui ne sont pas constituées en bandes ont subi un désavantage historique et un examen fondé sur l'article 15 n'engage pas les parties dans une «course vers le bas». Tous les peuples autochtones subissent «les effets de l'héritage de stéréotypes et préjugés».

[123]Les deux arrêts Corbiere et Lovelace, précités, ont traité des inégalités qui existent entre les groupes d'Autochtones. On se rappellera que l'arrêt Corbiere mettait l'accent sur les membres des Premières nations vivant hors réserve dans la région de Sault Ste. Marie et, dans l'arrêt Lovelace, les demandeurs incluaient la Première nation d'Ardoch.

[124]Dans l'arrêt Corbiere, précité, le juge L'Heureux-Dubé a estimé que les membres des bandes vivant hors réserve étaient «vulnérables et défavorisé[s]. [Ils] font l'objet de stéréotypes et souffrent de désavantages à la fois comme Autochtones et comme membres hors réserve des bandes indiennes. [Ils] font partie d'une "minorité discrète et isolée" qui est définie par la race et le lieu de résidence» [paragraphe 91].

[125]Dans l'arrêt Lovelace, précité, le juge Iacobucci, citant le rapport de la CRPA, a traité la question de l'inégalité entre les demandeurs et les membres des Premières nations vivant dans des réserves.

[126]Il a examiné l'argument des appelants selon lequel le désavantage qu'ils connaissent est perpétué par «le stéréotype selon lequel [ils] seraient "moins autochtones", ce qui a pour résultat qu'[ils] sont généralement traité[s] comme étant moins dignes d'être reconnu[s] et qu'[ils] sont considéré[s] comme étant désorganisés et moins responsables que les autres peuples autochtones» [paragraphe 71].

[127]Il a fait référence à l'arrêt Corbiere et a déclaré que cette affaire «[reconnaissait] que les membres hors réserve des Premières nations constituées en bandes sont vulnérables aux traitements injustes du fait qu'on attache à ce groupe le stéréotype que ses membres sont "moins autochtones" que les membres de bandes vivant dans les réserves» [paragraphe 72].

[128]Le juge Iacobucci concluait au paragraphe 72:

Bien que, dans le présent pourvoi, les parties appelantes ne soient pas dans la même situation que les demandeurs dans Corbiere, j'estime qu'elles sont également vulnérables aux stéréotypes et ce d'une manière assez connexe.

[129]La distinction établie dans la SDRHA, telle qu'elle a été appliquée aux communautés des demandeurs, est une distinction semblable à celle qui a été constatée dans les arrêts Corbiere et Lovelace, précités. La décision de DRHC de ne pas conclure d'ADRHA avec les organismes représentatifs nommés par les communautés des demandeurs perpétue le désavantage historique et maintient le stéréotype selon lequel les demandeurs sont moins importants et moins organisés. Il est difficile de comprendre le raisonnement de DRHC étant donné qu'il a considéré ces communautés comme étant dignes de confiance dans la stratégie Les chemins de la réussite.

[130]Le deuxième facteur contextuel traite de la relation entre le fondement de la différence de traitement et les caractéristiques du demandeur. Certaines distinctions peuvent correspondre aux besoins, aux capacités ou à la situation d'un groupe d'une manière qui n'a pas d'incidence sur la dignité humaine. (Corbiere, précité, paragraphe 73.)

[131]La conclusion dans l'arrêt Lovelace selon laquelle il n'y avait pas de discrimination était largement fondée sur la conclusion de la Cour selon laquelle le programme ciblé, qui a été qualifié de programme améliorateur mis au point dans le cadre d'un partenariat entre l'Ontario et les Premières nations ontariennes, correspondait aux besoins, aux capacités et à la situation de ces Premières nations. Ce programme ciblé avait été mis en place pour régler plusieurs problèmes entre le gouvernement de l'Ontario et les Premières nations de l'Ontario et qui ont été énumérés par le juge Iacobucci au paragraphe 74 de ses motifs. Il a également noté que le Fonds des Premières nations dont les demandeurs étaient exclus n'avait pas été créé au moyen de sommes prélevées sur le Trésor provincial. Il a distingué le projet de casino d'un programme universel et très largement intégré.

[132]Je reconnais avec les demandeurs que la SDRHA est complètement différente du type de programme que la Cour a examiné dans l'arrêt Lovelace, précité. Il n'y a pas de preuve valable que les besoins, les capacités et la situation des demandeurs et des communautés dans lesquelles ils vivent sont différents des besoins des communautés des Premières nations vivant dans des réserves. Les demandeurs n'ont pas à démontrer qu'ils sont plus défavorisés que les membres des Premières nations vivant dans des réserves. La SDRHA est un programme universel dont le but est de fournir de meilleures possibilités d'emploi à tous les peuples autochtones du Canada et les avantages que procure le contrôle communautaire local ne diffèrent pas selon qu'un membre d'une Première nation vit dans une réserve ou non. La différence de traitement entre les communautés constituées en bandes et celles qui ne le sont pas ne peut se justifier sur la base des conclusions de la Cour dans Lovelace.

[133]Le troisième facteur contextuel traite de l'objet améliorateur. Il n'est pas contesté que l'ADRHA a un objectif améliorateur qui est conçu pour augmenter, au moyen de programmes de formation, les possibilités d'emploi des peuples autochtones qui sont désavantagés, connaissent un taux de chômage élevé et font face à des obstacles particuliers qui les empêchent de se trouver des emplois.

[134]Dans l'arrêt Lovelace, précité, le juge Iacobucci traitait «d'un programme améliorateur ciblé auquel on reproche d'avoir un caractère trop limitatif, et non d'un programme améliorateur plus complet auquel on reproche d'avoir un caractère trop limitatif» (paragraphe 85). Reprenant l'observation formulée dans l'arrêt Law, précité, la Cour a confirmé que «des dispositions législatives amélioratrices qui visent la population en général mais excluent des demandeurs historiquement défavorisés seront "presque toujours taxées de discriminatoires"» (paragraphe 84).

[135]Comme la Cour l'a signalé, il est important de bien comprendre la nature du programme contesté, savoir la SDRHA. Il s'agit d'un programme complet qui a pour but d'aider tous les peuples autochtones, quel que soit l'endroit où ils vivent, afin d'améliorer leurs compétences, de les adapter à la demande du marché du travail local, de façon à ce qu'ils puissent se trouver des emplois dans les collectivités où ils vivent.

[136]La SDRHA n'est pas un programme ciblé dans le sens utilisé dans Lovelace, précité, où le programme était conçu pour améliorer un groupe particulier et non pour contrer le désavantage que tout membre de la société était susceptible de connaître. La SDRHA cible tous les peuples autochtones et elle a pour but d'améliorer leur situation à tous.

[137]Je conclus que la SDRHA a un caractère trop limitatif pour ce qui est des communautés des Premières nations vivant dans les villes ainsi que pour celles qui vivent hors réserve en milieu rural, que les demandeurs représentent.

[138]Ils ont été traités de façon différente et injuste par DRHC et exclus de l'objet et des bienfaits importants offerts par la SDRHA, savoir le contrôle local des programmes et du financement adapté aux besoins différents de chaque collectivité relativement au marché du travail, bienfaits sans lesquels, DRHC le reconnaît lui-même, le programme sera un échec.

[139]Finalement, il faut examiner la nature du droit touché.

[140]Dans Lovelace, précité, la Cour a endossé les propos du juge L'Heureux-Dubé au sujet de ce facteur. Parmi les éléments faisant partie de l'analyse figure la question de savoir si la distinction constitue une non-reconnaissance complète d'un groupe particulier. À mon avis, c'est le cas pour les communautés dans lesquelles les demandeurs vivent.

[141]Ce que DRHC n'a pas reconnu, ce sont les communautés urbaines et rurales des Premières nations que représentent les demandeurs, le fait qu'elles fonctionnent comme une communauté à laquelle participent les membres des Premières nations, qu'elles ont des formes traditionnelles d'administration et qu'elles disposent d'organismes qui sont chargés de mettre en oeuvre les programmes qu'elles estiment nécessaires pour répondre aux besoins des membres de cette communauté. DRHC ne reconnaît pas qu'un Roger Misquadis, une Mona Perry, un Peter Ogden, et bien d'autres ont construit une communauté autochtone là où ils vivent.

[142]Cette conclusion est manifeste si l'on examine les organismes avec lesquels DRHC a conclu des ADRHA et les collectivités avec lesquelles il ne l'a pas fait.

[143]Comme l'attestent les affidavits des demandeurs, une telle exclusion porte atteinte à leur dignité humaine d'une façon fondamentale et le fait d'ignorer leur communauté les rend moins dignes de reconnaissance.

[144]Je conclus qu'il y a eu discrimination réelle. Tous les facteurs contextuels convergent pour en venir à cette conclusion.

3) Justification--Article premier de la Charte

[145]L'analyse de l'article premier de la Charte est tirée de l'arrêt La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; dans Corbiere, précité, les juges McLachlin et Bastarache ont endossé la démarche suivie par le juge Iacobucci dans Egan, précité. Le premier élément consiste à déterminer si le programme répond à un objectif urgent et réel et le deuxième élément est l'analyse de la proportionnalité visant à déterminer a) si le programme a un lien rationnel avec son objectif; b) si l'atteinte au droit est minimale; et c) si l'atteinte au droit l'emporte sur la réalisation de l'objectif.

[146]Je conviens avec l'avocat du Canada que la SDRHA est un programme qui est urgent et réel. Son objectif est d'aider les peuples autochtones, qui connaissent un taux de chômage très élevé, à trouver des emplois.

[147]Toutefois, j'estime que le moyen utilisé pour mettre en oeuvre la SDRHA n'a pas de lien rationnel avec l'objectif et que l'atteinte au droit n'est pas minimale.

[148]L'objectif de la SDRHA est d'aider les Autochtones à trouver des emplois, mais ce qu'on refuse aux communautés des demandeurs c'est la clé du succès du programme de façon que son objectif puisse être atteint -- savoir la prise de décisions à l'échelon local par des groupes représentatifs mandatés par les communautés des demandeurs. L'exclusion découle du fait qu'ils n'ont pas d'ADRHA et ce, sans justification. J'ai déjà fait observer que DRHC a le droit d'appliquer des critères d'efficacité quand il décide avec qui il doit conclure des ADRHA. J'ai décidé que la question de la masse critique n'est pas pertinente eu égard aux collectivités des demandeurs.

[149]DRHC fait valoir une autre justification: l'absence de consensus dans les communautés autochtones urbaines de Toronto et de Winnipeg quant à savoir quel organisme représentatif est mandaté par la communauté pour planifier, offrir et trouver les programmes de formation. Cette justification ne peut être défendue sérieusement dans le cas de la Première nation d'Ardoch.

[150]J'estime que cette justification n'a pas été établie par les faits. Il n'y a pas de preuve claire que les communautés des demandeurs ne s'entendent pas sur les organismes qui les représentent sur les questions de formation en matière d'emploi, et DRHC n'a pas vraiment essayé de le savoir et il a ignoré les organismes mêmes qui ont fonctionné avec succès dans la stratégie Les chemins de la réussite.

[151]Le critère de l'atteinte minimale exige que le Canada fournisse des preuves sur les mesures de remplacement qu'il a examinées quand il a pris la décision d'exclure les communautés des demandeurs des ADRHA. Le Canada prétend qu'il a dû choisir des organismes représentatifs et que, lorsqu'aucun consensus n'existait, il a utilisé le processus des demandes de propositions.

[152]J'ai déjà dit que je ne suis pas satisfait de la preuve fournie par le Canada sur ce point. Qui plus est, le Canada n'a produit aucune preuve d'études ou de mesures qui auraient été prises en compte afin d'exclure les communautés des demandeurs de la participation, sur une base égale, au processus décisionnel concernant les programmes de développement du marché du travail.

[153]Dans les circonstances, j'estime que la discrimination n'est pas justifiée au regard de l'article premier de la Charte.

4) Le redressement

[154]La preuve fournie par le Canada démontre amplement les conditions et les situations variées dans lesquelles vivent les peuples et les communautés autochtones partout au Canada. Du point de vue de la SDRHA, je reconnais que DRHC se devait d'être flexible.

[155]Par ailleurs, les demandeurs ont déposé beaucoup d'éléments de preuve pour démontrer comment leurs communautés étaient organisées et fonctionnaient dans le cadre de la stratégie Les chemins de la réussite et comment elles ont pris des décisions au cas par cas, par exemple sur les questions de santé, de formation au marché du travail pour les Autochtones, ce qui m'a permis d'élaborer un redressement spécifiquement applicable aux communautés des demandeurs qui ne portera pas atteinte à la façon généralement satisfaisante dont la SDRHA a été appliquée par DRHC.

[156]La discrimination à laquelle il faut remédier est particulière aux demandeurs et à leurs communautés. Je n'ai aucune preuve d'une autre application discriminatoire de la SDRHA par DRHC. La discrimination que j'ai constatée est l'exclusion des communautés des demandeurs de la SDRHA.

[157]Dans les circonstances, le redressement approprié est de supprimer l'exclusion en ordonnant l'inclusion.

[158]J'ordonne donc que DRHC élimine l'effet discriminatoire imposé aux demandeurs et aux collectivités dans lesquelles ils vivent par la manière dont la SDRHA a été appliquée dans ces communautés. DRHC doit supprimer la discrimination en conférant aux communautés des demandeurs le contrôle sur les programmes de formation liés au marché du travail. Ces communautés pourront alors, par des organismes représentatifs responsables envers les membres de la communauté, concevoir, mettre en oeuvre et financer des programmes de formation qui répondront aux besoins des communautés autochtones dans lesquelles demeurent les demandeurs.

[159]Ce redressement laisse en place la presque totalité de la SDRHA et des ADRHA qui sont en vigueur et préserve l'intégrité du programme.

[160]Je laisse à DRHC, en consultation avec les organismes représentatifs des communautés des demandeurs qui ont été identifiés dans la présente instance, le soin de trouver la meilleure façon de les inclure d'une façon qui respecte les besoins de tous les peuples autochtones dans leurs communautés.

[161]Pour tous ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens.

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