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DES-4-01

2003 CFPI 640

AFFAIRE INTÉRESSANT un certificat délivré en vertu de l'article 40.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, maintenant réputé délivré en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

ET le renvoi de ce certificat à la Cour fédérale du Canada;

ET Mahmoud Jaballah

Répertorié: Jaballah (Re) (1re inst.)

Section de première instance, juge Mackay--Toronto, 17 et 18 décembre 2001, 8 janvier, 13 février et 11 mars 2002; Ottawa, 23 mai 2003.

Citoyenneté et Immigration -- Exclusion et renvoi -- Personnes non admissibles -- Renvoi à la première instance de la Cour fédérale du certificat de l'avis des ministres selon lequel le réfugié requérant n'est pas admissible pour des motifs de sécurité nationale -- Certificat antérieur annulé par le juge Cullen parce qu'il n'était pas raisonnable (dans Jaballah no 1) -- Retrait de l'avocat du défendeur parce qu'il était d'avis que la présente instance avait été manipulée par le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), qu'elle n'était qu'une «imposture» et que le rôle d'arbitre de la Cour était terni -- Audition concernant le renvoi suspendue en attendant la décision du ministre relativement à la demande de protection visée par la LIPR -- Maintien du défendeur en isolement cellulaire -- Présentation d'une requête par le défendeur en vue de faire annuler le certificat pour abus de procédure en raison du retard du ministre à communiquer sa décision à la Cour -- Par trois fois, la Cour s'est dit préoccupée par le retard du ministre -- Retard constituant un abus de procédure -- Annulation du certificat non justifiée par l'abus de procédure, mais cet abus de procédure justifie l'ordonnance concernant la reprise de l'instance sur le caractère raisonnable du certificat -- La Cour peut s'appuyer sur des renseignements non admissibles dans des affaires civiles et criminelles -- La Cour ne décide pas d'une question de fait, mais du caractère raisonnable de l'avis certifié -- Possibilité que les principes de l'autorité de la chose jugée et de l'abus de procédure entrent en jeu lorsque, comme en l'espèce, le deuxième certificat est délivré après l'annulation du premier -- Ministres non tenus de ne délivrer qu'un seul certificat, étant donné qu'il s'agit d'une procédure exceptionnelle visant à protéger la sécurité nationale -- D'après les nouveaux renseignements figurant dans le dossier public, le certificat est raisonnable; le défendeur n'est pas admissible au Canada.

Pratique -- Res judicata -- Premier certificat de l'avis des ministres selon lequel le réfugié requérant n'est pas admissible pour des motifs de sécurité annulé par le juge Cullen parce qu'il n'était pas raisonnable -- Deuxième certificat délivré en s'appuyant sur une nouvelle preuve -- Présentation d'une requête par le défendeur en vue de faire annuler le certificat en s'appuyant sur l'autorité de la chose jugée, l'abus de procédure, la violation de la Charte découlant du retard du ministre à décider de la demande de protection fondée sur la LIPR -- Défendeur en isolement cellulaire -- Ministre coupable d'abus de procédure, mais annulation du certificat non justifiée -- Non-application du principe habituel selon lequel les parties sont limitées à une seule procédure dans une procédure exceptionnelle faisant intervenir l'intérêt de la sécurité nationale -- Autrement, risque de compromettre les intérêts de la sécurité de l'État, réévalués une fois que de nouveaux renseignements sont reçus -- Règle 399(2) des Règles de la Cour fédérale (1998), (modification de l'ordonnance quand des faits nouveaux surviennent ou sont découverts) applicable en l'espèce.

Avocats -- Renvoi à la Cour fédérale quant au caractère raisonnable du certificat des ministres indiquant que le réfugié requérant n'est pas admissible parce qu'il constitue un risque pour la sécurité -- Deuxième certificat délivré après l'annulation du premier par la Cour -- Retrait de l'avocat du défendeur au motif que son serment d'avocat l'empêche de continuer à représenter son client -- L'avocat est d'avis que la procédure de la Cour a été manipulée par le Service canadien du renseignement de sécurité, que le rôle d'arbitre de la Cour est terni, et que la procédure est une «imposture» -- Frustration de l'avocat de ne pas connaître la totalité des renseignements sur lesquels se sont appuyés les ministres compréhensible, étant donné que cela le place dans une position injuste, mais imposée par une loi fédérale.

Juges et tribunaux -- Renvoi à la Cour fédérale concernant le caractère raisonnable du certificat des ministres indiquant que le réfugié requérant n'est pas admissible parce qu'il constitue un risque pour la sécurité -- Retrait de l'avocat qui croit que continuer à représenter son client contrevient à son serment d'avocat -- L'avocat est d'avis que la procédure est manipulée par le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), et qu'elle est utilisée pour des fins d'enquête et de poursuite -- Perception que le rôle d'arbitre de la Cour est terni; procédure constituant une «imposture»; salle d'audience transformée en poste de police -- Observations appropriées de la Cour sur la condamnation de la procédure par l'avocat -- Suggestion selon laquelle la Cour a été utilisée par le SCRS rejetée -- Respect par la Cour de la procédure imposée par la Loi -- Avocat placé dans une situation injuste étant donné la non-divulgation de certains des renseignements sur lesquels les ministres se sont appuyés, mais situation imposée par une loi fédérale -- Reprise de cette instante importante pour mettre fin à toute perception selon laquelle la Cour a délibérément retardé sa procédure.

Les décisions de la Cour découlent du renvoi d'un certificat, déposé par le solliciteur général et le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, selon lequel le défendeur, Jaballah, qui a revendiqué le statut de réfugié, n'est pas admissible pour des motifs de sécurité. Cette instance est inusitée tout d'abord parce qu'il s'agit du deuxième certificat concernant le défendeur, le premier ayant été annulé par le juge Cullen parce qu'il n'était pas raisonnable. Les ministres prétendent que ce deuxième certificat se fonde sur de nouveaux renseignements. Deuxièmement, parce que l'avocat du défendeur s'est retiré sur l'avis d'un avocat qu'il avait consulté et parce que son serment d'avocat ne lui permettait pas de poursuivre l'instance. À son avis, l'instance a été manipulée par le SCRS et utilisée comme outil d'enquête et de poursuite. En outre, il laisse entendre que le rôle d'arbitre de la Cour a été terni et que l'instance est une «imposture». Bien que l'avocat se soit retiré de l'instance fondée sur l'article 40.1 de la Loi sur l'immigration, il a par la suite demandé que cette instance soit suspendue aux termes de l'article 79 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR), en attendant une décision du ministre concernant une demande de protection que se proposait alors de présenter le défendeur en vertu de l'article 112 de la LIPR. L'instance a été suspendue en juillet 2002. Le défendeur se trouve, depuis août 2001, en isolement cellulaire; en avril 2003, comme le ministre n'avait toujours pas communiqué sa décision à la Cour, une requête a été présentée à la Cour, s'appuyant sur la Charte et sur le principe de l'abus de procédure, dont le but était la reprise de l'instance suspendue, l'annulation du certificat et la libération de Jaballah. Les motifs de la Cour sont énoncés en deux parties. La Partie I traite de la question de savoir si l'instance devrait reprendre et la Partie II, du caractère raisonnable du nouveau certificat.

Partie I

Il a été noté qu'au début cette instance était régie par la Loi sur l'immigration, mais que cette loi a été remplacée, en juillet 2002, par la LIPR qui régit maintenant cette affaire: alinéa 44c) de la Loi d'interprétation. De l'avis des ministres, Jaballah n'est pas admissible parce qu'il constitue un risque pour la sécurité nationale, du fait qu'il est l'instigateur d'actes visant au renversement du gouvernement égyptien, parce qu'il s'est livré au terrorisme et parce qu'il est membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle est l'auteur d'actes de terrorisme.

La Cour n'a pas encore reçu la décision du ministre même si elle a, à au moins trois reprises, indiqué qu'elle s'inquiétait du retard. La Cour a maintenant décidé que le retard du ministre constitue un abus de procédure. En avril 2003, Jaballah a reçu une lettre d'un agent du Ministère indiquant qu'une évaluation fondée sur la LIPR avait conclu que le défendeur appartenait au Al Jihad, qui est maintenant une organisation figurant à la Partie II.I du Code criminel et par conséquent qu'il représentait un danger pour la sécurité du Canada. Cependant, cette évaluation ne semble pas répondre aux conditions de l'alinéa 172(2)b) du Règlement sur la LIPR. Le Règlement exige une mise en balance du risque que le défendeur constitue pour la sécurité du Canada, et implicitement du risque qu'il courrait s'il devait être expulsé du Canada, étape qui n'a pas encore été entreprise. Une fois que la décision aura été prise et qu'elle lui aura été communiquée, le défendeur aura le droit de répondre avant que la décision finale du ministre ne soit prise. En vertu du paragraphe 79(2) de la LIPR, cette décision pourrait faire l'objet d'un contrôle au sujet de sa légalité et on pourrait prétendre que cette évaluation devra être faite conformément à l'article 7 de la Charte. La lettre de l'agent devrait être réputée constituer l'évaluation des risques avant renvoi faite par le ministre. Il est impossible de prévoir à quel moment la Cour pourra reprendre l'examen du caractère raisonnable de l'avis certifié des ministres. Entre-temps, le défendeur demeure en isolement cellulaire. L'abus de procédure n'est pas suffisant pour justifier l'annulation du certificat, mais il justifie certainement une ordonnance donnant instruction de reprendre l'instance concernant le certificat sans attendre la décision du ministre au sujet de la demande de protection. L'autre facteur important qui joue dans la décision de reprendre maintenant l'instance, c'est qu'il faut mettre fin à la perception selon laquelle la Cour a délibérément retardé sa procédure.

Partie II

À la suite des requêtes préliminaires concernant la communication de la preuve, la Cour a ordonné que les demandeurs nomment un agent du SCRS au courant de la preuve présentée dans l'affaire Jaballah no 1 et en l'espèce pour qu'il vienne témoigner au sujet des différences dans la preuve. Ce témoin, identifié sous le prénom de «Mike», a fait allusion à des renseignements reçus depuis les terribles événements du 11 septembre 2001 et au cours de son témoignage ont été déposées des pièces dépeignant les liens de communication entre Jaballah et des agents secrets d'Al-Qaïda. Mais, après le contre-interrogatoire de «Mike», on a fait valoir devant la Cour qu'il n'y avait pas de nouveaux éléments de preuve qui pourraient justifier une décision différente de celle qui a été prise dans l'affaire Jaballah no 1. Les avocats des demandeurs, par ailleurs, ont mentionné huit points soulevés par le témoignage de «Mike», renseignements dont ne disposait pas le juge Cullen en 1999. Par la suite, la Cour a convoqué des audiences à huis clos et ex parte afin d'ordonner la production d'un autre résumé concernant le fondement de l'avis certifié, résumé ayant pour but d'indiquer clairement les renseignements qui sont maintenant connus et dont le juge Cullen n'était pas saisi, et qui n'ont pas été retenus pour des raisons de sécurité. La Cour a également confirmé les documents qui ne doivent toujours pas, pour des motifs de sécurité, être communiqués à Jaballah. À la reprise de l'audience publique, l'avocat du défendeur s'est adressé à la Cour pour l'informer que, aux termes du serment qu'il avait prêté en tant qu'avocat, il ne pouvait ni «dénaturer le droit» ni «aider un juge [. . .] dont la conduite contrevient aux règles applicables à la déontologie judiciaire ou à toute autre loi» et qu'il ne pouvait continuer de représenter son client dans cette instance. À son avis, la salle d'audience avait été «transformée en poste de police» et l'affaire Jaballah no 1 a servi de base d'enquêtes pour l'instance en cours. Après que l'avocat eut quitté la salle d'audience, la Cour a demandé à Jaballah si son intention était de se représenter lui-même ou de retenir les services d'un nouvel avocat. Il a répondu de la façon suivante: «Je ne peux pas me représenter moi-même dans cette instance. J'ai mon avocat et je suis ses conseils et ses instructions». Il a fallu conclure de cette affirmation que le défendeur avait refusé la possibilité qui lui était donnée de demander les services d'un autre avocat, de même que la possibilité de présenter des observations en son propre nom, à l'exception du fait qu'il a reconnu que la Cour était saisie de renseignements que les ministres ont qualifié de nouveaux dont le juge Cullen n'était pas saisi dans l'affaire Jaballah no 1 (son numéro de téléphone inscrit sur un papier trouvé en la possession d'un certain Mahjoub, une personne dont le certificat a été jugé raisonnable par le juge Nadon et la location par Jaballah d'une case postale). Le défendeur a compris qu'il s'agissait là d'une possibilité qui lui était donnée d'être entendu sur la question de sa non-admissibilité et des renseignements figurant dans le dossier public sur lesquels l'avis certifié se fondait, mais il a refusé d'exercer son droit d'utiliser cette possibilité.

Il était approprié que la Cour fasse des observations sur la condamnation par l'avocat de la procédure suivie. Quand on lui a demandé une explication, l'avocat a répondu qu'il était dans l'impossibilité de conseiller son client parce qu'il ne savait pas quelle preuve il devait réfuter. À son avis, «la Cour est utilisée en tant qu'outil d'enquête par les forces de sécurité, sans qu'il y ait une mise en balance des différents éléments par la Cour et sans équité pour la personne qui comparaît devant elle». La Cour a suivi la procédure prévue par la loi et elle ne peut accepter la suggestion qu'elle a été utilisée par le SCRS en tant qu'outil d'enquête ni que l'instance qui s'est déroulée devant le juge Cullen (Jaballah no 1) était une enquête menant à la tenue de la présente instance. C'est en fait une position injuste pour la personne concernée et son avocat de ne pas avoir accès à tous les renseignements sur lesquels s'appuient les ministres, mais c'est néanmoins une position imposée par une loi fédérale.

Pour décider du caractère raisonnable du certificat, la Cour peut examiner des renseignements qui ne seraient pas admissibles dans une poursuite civile ou criminelle ordinaire. La décision à prendre n'est pas une question de fait, mais plutôt une évaluation du caractère raisonnable de l'avis certifié qui a été pris dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire des ministres. Toutefois, la Cour accepte que lorsque, comme en l'espèce, un deuxième certificat a été délivré après l'annulation du premier, les principes de l'autorité de la chose jugée et de l'abus de procédure peuvent s'appliquer.

Bien que la loi ne renferme aucune disposition prévoyant qu'un deuxième avis certifié puisse être déposé après qu'un premier a été trouvé déraisonnable, cette disposition n'est pas obligatoire. Ces instances exceptionnelles, traitant des intérêts de la sécurité nationale, ne sont pas assujetties au principe selon lequel les parties à un litige ne peuvent intenter qu'une seule instance. S'il en était autrement, les intérêts permanents de la sécurité de l'État, évalués et réévalués sur la foi d'un ensemble de renseignements recueillis de diverses sources, pourraient être compromis. Le paragraphe 399(2) des Règles, qui prévoit la modification d'une ordonnance lorsque des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l'ordonnance a été rendue, est applicable. La Cour devait décider s'il y avait de nouveaux éléments de preuve, découverts depuis la décision Jaballah no 1, qui, s'ils avaient été présentés au procès, en auraient vraisemblablement changé le résultat et si la preuve aurait pu avoir été obtenue avant que le procès prenne fin en faisant preuve d'une diligence raisonnable.

Il y a des renseignements dans le dossier public qui ont été communiqués aux ministres après l'annulation du premier certificat. Ces renseignements incluent les suivants: 1) un avis d'Interpol et des empreintes digitales fournies par le gouvernement égyptien impliquant le défendeur dans la fourniture d'armes et d'explosifs et l'évasion de terroristes; 2) des renseignements selon lesquels le défendeur s'est rendu en Afghanistan, pays qu'il a nié avoir visité; 3) un papier portant le numéro de téléphone du défendeur qui a été trouvé en possession d'un certain Mahjoub, décrit comme étant un agent d'une faction militante, l'Avant-garde de la conquête; 4) l'utilisation d'une case postale louée par le défendeur sous un autre nom et dont l'existence a été révélée par lui-même dans l'affaire Jaballah no 1, mais qu'il dit ne pas avoir utilisé; 5) au moment de son arrestation au Pakistan, un certain Khalil Said Deek, que l'on croit être un agent secret de Al-Qaïda, avait en sa possession un disque d'ordinateur qui indiquait l'adresse de la case postale du défendeur.

En outre, les ministres disposent de nouveaux renseignements au sujet des opérations d'Al-Qaïda, renseignements qui jettent un éclairage nouveau et font mieux comprendre les renseignements qui leur avaient été communiqués auparavant. En particulier, on croit que le défendeur aurait eu des contacts avec un aide principal d'Osama ben Laden pendant qu'il se trouvait au Yémen ou au Pakistan. En outre, on croit que le défendeur a eu des contacts téléphoniques avec des agents secrets principaux d'Al-Qaïda à Londres en 1998. Le défendeur n'a pas répondu à la perception des ministres découlant de ses contacts avec des agents secrets des organisations terroristes et on peut en déduire qu'à moins que le défendeur n'ait été lui-même un agent secret principal d'AJ-Al-Qaïda, il n'aurait pas pu avoir des contacts avec d'autres membres importants de ces organisations. Il a fallu en conclure qu'il s'agissait de nouveaux renseignements importants liant le défendeur à Al-Qaïda. Si ces renseignements avaient été disponibles au moment de l'affaire Jaballah no 1, le certificat n'aurait peut-être pas été remis en question. Cette conclusion est renforcée par d'autres renseignements nouveaux qui n'ont pas été révélés publiquement afin de ne pas porter atteinte à la sécurité nationale. Les renseignements faisant partie du dossier public appuient la conclusion selon laquelle l'avis des ministres est raisonnable. Aux termes du Règlement établissant une liste d'entités, adopté en vertu du Code criminel en 2002, Al-Qaïda, Al Jihad (AJ) et l'Avant-garde de la conquête figurent au nombre des organisations engagées dans des activités terroristes.

Par conséquent, le défendeur n'est pas admissible au Canada pour des motifs de sécurité.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 9, 10c).

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, partie II.I (édictée par L.C. 2001, ch. 41, art. 4).

Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appendice III, art. 2e).

Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 44c).

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 19(1)e) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11), f) (mod., idem), 40.1 (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 29, art. 4; L.C. 1992, ch. 49, art. 31).

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 34(1), 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82(2), 84(2), 97, 112, 113d).

Règlement établissant une liste d'entités, DORS/2002-284, art. 1.

Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 172.

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règle 399(2).

jurisprudence

décision non suivie:

Al Sayegh (Re) (1997), 131 F.T.R. 7 (C.F. 1re inst.); Almrei (Re) (2001), 19 Imm. L.R. (3d) 297 (C.F. 1re inst.).

décisions appliquées:

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Mahjoub (2001), 81 C.R.R. (2d) 350; 199 F.T.R. 190; 13 Imm. L.R. (3d) 33 (C.F. 1re inst.); Ahani c. Canada, [1995] 3 F.C. 669; (1995), 32 C.R.R. (2d) 95; 100 F.T.R. 261 (1re inst.); conf. par (1996), 37 C.R.R. (2d) 181; 201 N.R. 233 (C.A.F.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [1997] 2 R.C.S. v; 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983; (2001), 204 D.L.R. (4th) 542; 17 B.L.R. (3d) 1; 11 C.C.E.L. (3d) 1; 8 C.C.L.T. (3d) 60; 12 C.P.C. (5th) 1; [2001] 4 C.T.C. 139; 274 N.R. 366; 150 O.A.C. 12; Ladd v. Marshall, [1954] 1 W.L.R. 1489 (C.A.); Mackay c. Canada (Procureur général) (1997), 129 F.T.R. 286 (C.F. 1re inst.).

décision examinée:

Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3; (2002), 208 D.L.R. (4th) 1; 37 Admin. L.R. (3d) 159; 90 C.R.R. (2d) 1; 18 Imm. L.R. (3d) 1; 281 N.R. 1.

décisions citées:

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Jaballah, [1999] A.C.F. no 1681 (1re inst.) (QL); Jaballah (Re), 2001 CFPI 1287; [2001] A.C.F. no 1748 (1re inst.) (QL); Jaballah (Re), [2003] 3 C.F. 73; (2002), 224 F.T.R. 20 (1re inst.); Jaballah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 196 F.T.R. 175; 9 Imm. L.R. (3d) 45 (C.F. 1re inst.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Mahjoub, [2001] 4 C.F. 644; (2001), 212 F.T.R 42 (1re inst.).

REQUÊTE en vue d'obtenir une ordonnance déclarant 1) que le rapport d'un agent constitue l'évaluation des risques avant renvoi du ministre, 2) que le retard du ministre à décider de la demande de protection constitue un abus de procédure et 3) que le certificat doit être annulé et le défendeur libéré. Requête accueillie en partie sur les points 1) et 2) et reprise de l'audience pour évaluer le caractère raisonnable de l'avis certifié des ministres. S'appuyant sur de nouveaux renseignements dont n'était pas saisie la Cour dans l'instance portant sur le premier certificat annulé parce qu'il n'était pas raisonnable, le certificat est raisonnable et le défendeur n'est pas admissible au Canada.

ont comparu:

Robert F. Batt, Marthe Beaulieu pour le demandeur.

Rocco Galati pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier:

Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.

Galati, Rodrigues, et associés, Toronto, pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs des ordonnances et décisions rendus par

Le juge MacKay:

INTRODUCTION

[1]Les présents motifs se rapportent à un certain nombre de décisions prises par la Cour à l'issue d'une instance qui a commencé le 15 août 2001, du fait du renvoi à la Cour d'un certificat, délivré par le solliciteur général et le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration du Canada en vertu de l'ancien article 40.1 [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 29, art. 4; L.C. 1992, ch. 49, art. 31] de la Loi sur l'immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2], selon lequel, à leur avis, le défendeur, M. Jaballah, un citoyen étranger qui est entré au Canada en 1996 et y a revendiqué le statut de réfugié, n'est pas admissible au Canada pour des motifs de sécurité nationale.

[2]L'instance a été suspendue au début de juillet 2002 à la demande de M. Jaballah, au moment où il a demandé au ministre d'être considéré comme une personne ayant besoin de protection, aux termes de l'article 112 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, et ses modifications (LIPR), qui est entrée en vigueur le 28 juin 2002. Depuis la mi-août 2001, le défendeur est détenu en isolement cellulaire. La Cour n'a pas été avisée de la décision finale concernant la demande de M. Jaballah au ministre, comme elle pouvait s'y attendre compte tenu de la LIPR et du Règlement établi sous son régime [Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227]. Le 11 avril 2003, la Cour a entendu une requête déposée au nom du défendeur, s'appuyant sur le principe de l'abus de procédure et faisant valoir des intérêts protégés par la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], dont le but serait la reprise immédiate par la Cour de l'instance suspendue antérieurement, l'annulation du certificat du ministre et la libération de M. Jaballah.

[3]En résumé, les décisions qui sont maintenant prises, et qui font l'objet de deux ordonnances et décisions distinctes, accueillent en partie la requête du défendeur, dans la mesure où l'évaluation des risques auxquels ferait face M. Jaballah s'il était renvoyé aujourd'hui en Égypte, c'est-à-dire l'évaluation des risques avant renvoi (ERAR) faite par un agent agissant au nom du ministre, qui a été remise au défendeur en août 2002, et qui a maintenant été déposée sur ordre de la Cour en avril 2003, est réputée être l'évaluation des risques faite par le ministre aux termes de l'alinéa 172(2)a) du Règlement sur la LIPR, compte tenu de l'article 97 de la LIPR.

[4]En outre, étant donné qu'il n'y a pas encore d'explication satisfaisante concernant le retard à l'informer d'une décision du ministre ayant trait à la demande de protection, la Cour décide que, sans autre indication ferme d'une date à laquelle la décision sera rendue, l'accumulation du retard constitue un abus de procédure, le défendeur se trouvant toujours en détention sans bénéficier d'aucun droit de révision. Dans les circonstances de l'espèce, le redressement approprié consiste à reprendre l'instance qui traite de la question soulevée par le renvoi du certificat du ministre à la présente Cour, et à laisser le ministre prendre la décision concernant la demande de protection, selon ce que la Loi prescrit.

[5]Dans la Partie II des présents motifs, la Cour décide maintenant, aux termes du paragraphe 80(1) de la LIPR que le certificat daté du 13 août 2001 par les ministres demandeurs, est raisonnable compte tenu des éléments de preuve et des renseignements dont elle disposait.

[6]Puisqu'aucune décision n'a été communiquée concernant la demande de protection, aucune décision n'est rendue quant à savoir si cette décision est légale, aux termes du paragraphe 80(1). Il faut supposer qu'une fois prise la décision pourra faire l'objet d'un contrôle judiciaire.

[7]Les présents motifs sont longs. Ils font référence à plusieurs étapes de l'instance. Les rubriques qui suivent et les numéros de paragraphe marquant le début de chaque section pourront aider à fournir un aperçu du contexte dans lequel mes décisions sont rendues.

Partie I     Contexte

1.     Le régime législatif, le contexte des décisions [8]

2.     La décision de la Cour de reprendre l'instance [17]

3.     La situation du défendeur en matière d'immigration [37]

Partie II     L'instance concernant le certificat des ministres

4.    Les questions préliminaires [42]

5.     Les efforts pour identifier les «nouveaux» renseignements [50]

6.     Le dessaisissement de l'avocat du défendeur [55]

7.     L'assurance que le défendeur a eu la possibilité d'être entendu [57]

8.     L'examen des renseignements et de la preuve, 1999 et 2001 [61]

9.     Le retard à déterminer le caractère raisonnable du certificat [63]

10. L'instance condamnée par l'avocat de M. Jaballah [65]

11. Le caractère raisonnable du certificat des ministres

a)     Le critère utilisé pour évaluer les nouveaux renseignements [70]

b)     Les nouveaux renseignements fournis aux ministres après le 1er novembre 1999 [81]

c)     Les renseignements partiellement nouveaux fournis aux ministres en 2001 [83]

d)     La conclusion concernant les nouveaux renseignements dont la présente Cour est saisie [86]

e)     La conclusion sur le caractère raisonnable du certificat [90]

Partie III     Les conclusions, ordonnances et dépens [98]

PARTIE I     LE CONTEXTE

1.     LE RÉGIME LÉGISLATIF, LE CONTEXTE DES DÉCISIONS

[8]Quand la présente instance a été entamée en août 2001, elle était régie par la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, et ses modifications (la Loi de 1985), et en particulier, par l'article 40.1 de cette Loi, en vertu duquel l'avis certifié qui avait été délivré et cette affaire ont été transmis à la présente Cour. Toutefois, avant que la présente décision ne soit rendue, la Loi de 1985 a été abrogée et remplacée par la LIPR, qui est entrée en vigueur le 28 juin 2002. Cette instance, commencée sous la Loi de 1985, s'est poursuivie sous la LIPR, qui dispose en partie (conformément au principe général énoncé à l'alinéa 44c) de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, et ses modifications), ce qui suit:

190. La présente loi s'applique, dès l'entrée en vigueur du présent article, aux demandes et procédures présentées ou instruites, ainsi qu'aux autres questions soulevées, dans le cadre de l'ancienne loi avant son entrée en vigueur et pour lesquelles aucune décision n'a été prise.

Les dispositions pertinentes de la LIPR sont reproduites à l'Annexe A, et de brefs renvois sont faits aux dispositions semblables de la Loi de 1985. Les références législatives dans les présents motifs concernent surtout la LIPR qui est maintenant en vigueur, et des renvois additionnels sont faits aux dispositions comparables de la Loi de 1985 lorsque cela semble approprié.

[9]La présente instance a pris naissance au moment du renvoi à la Cour d'un certificat délivré par les demandeurs, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et le solliciteur général du Canada, aux termes de l'alinéa 40.1(3)a) de la Loi de 1985 (maintenant remplacé par le paragraphe 77(1) de la LIPR), afin que la Cour évalue le caractère raisonnable de ce certificat, aux termes du paragraphe 40.1(4) de la Loi de 1985 (maintenant remplacé par les paragraphes 80(1) et 80(2) de la LIPR). Ce certificat énonce l'avis des demandeurs, fondé sur des rapports secrets en matière de sécurité, que M. Jaballah, qui n'est pas citoyen canadien mais qui, après son arrivée au Canada en 1996, a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention en vertu de la Loi de 1985, n'est pas admissible au Canada puisqu'il est visé au sous-alinéa 19(1)e)(ii) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11], aux divisions 19(1)e)(iv)(B) [mod., idem], 19(1)e)(iv)(C) [mod., idem], au sous-alinéa 19(1)f)(ii) [mod., idem] et à la division 19(1)f)(iii)(B) [mod., idem] de cette Loi.

[10]Les dispositions de la LIPR comparables à celles dont il est fait mention dans le certificat du ministre, sont les alinéas 34(1)b), 34(1)c) et 34(1)f). Ainsi donc, aux termes de la LIPR, l'avis certifié des ministres indique que M. Jaballah n'est pas admissible pour des raisons de sécurité:

- parce qu'il est l'instigateur ou l'auteur d'actes visant au renversement d'un gouvernement par la force; en l'espèce le Gouvernement de l'Égypte (alinéa 34(1)b));

- parce qu'il s'est livré au terrorisme (paragraphe 34(1)c));

- parce qu'il est membre d'une organisation, aux termes de l'alinéa 34(1)f), dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle est, a été ou sera l'auteur d'un acte visé aux alinéas 34(1)b) ou c).

[11]Mes décisions sont rendues aux termes du paragraphe 80(1) de la LIPR, après examen des éléments de preuve et des renseignements déposés devant la Cour et présentés au nom des demandeurs, et en l'absence de toute preuve déposée par ou au nom de M. Jaballah, à l'exception de ce qui a été fourni en son nom dans la première instance de 1999, quand il a produit une preuve ayant trait à une attestation semblable qui avait été renvoyée à la Cour conformément au paragraphe 40.1(3) de la Loi de 1985. Après audition, cette première attestation avait été jugée non raisonnable et elle a été annulée aux termes d'une ordonnance du juge Cullen (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Jaballah, [1999] A.C.F. no 1681 (1re inst.) (QL), ci-après Jaballah no 1).

[12]La présente instance est inusitée parce qu'il s'agit du deuxième certificat concernant M. Jaballah, rendu pour les mêmes fins générales, qui énonce le même avis des ministres demandeurs en vertu de l'article 40.1 de la Loi de 1985. La première attestation datée du 31 mars 1999, comme on l'a déjà indiqué, n'a pas été jugée raisonnable, et a été annulée par l'ordonnance du juge Cullen, rendue au début de novembre 1999. La Cour est maintenant saisie du deuxième certificat, daté du 13 août 2001. Les avocats des ministres demandeurs prétendent qu'il se fonde dans une large mesure sur de nouveaux renseignements, un point de vue que ne partage pas le défendeur, M. Jaballah.

[13]Cette instance est également inusitée parce qu'après le début des audiences qui devaient se poursuivre le 11 mars 2002, afin d'entendre la preuve et l'argumentation au nom de M. Jaballah en vue de réfuter les renseignements que les ministres prétendent être nouveaux, l'avocat de M. Jaballah a annoncé qu'il se retirait de l'instance fondée sur l'article 40.1. Il a agi ainsi, d'après lui, sur l'avis d'un avocat qu'il avait consulté et parce que son serment d'avocat ne lui permettrait pas de poursuivre l'instance. À son avis, l'instance avait été manipulée par le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS) et avait été utilisée comme outil d'enquête et de poursuite. Le rôle traditionnel de la Cour en tant qu'arbitre a été terni et cette instance est une «imposture». Cette perception qu'entretient l'avocat mérite d'être discutée après qu'un aperçu de la procédure suivie aura été donné dans les présents motifs.

[14]Une autre étape de l'instance a commencé le 1er juillet 2002 quand l'avocat qui s'était retiré de l'instance fondée sur l'article 40.1, a demandé au nom de M. Jaballah que cette instance soit suspendue aux termes de l'article 79 de la LIPR en attendant une décision du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration concernant une demande de protection, que se proposait alors de présenter le défendeur en vertu de l'article 112 de la LIPR, demande qu'il est possible de faire en vertu de cette Loi à cette étape de la procédure. Comme la Cour avait réservé sa décision concernant la requête des ministres demandant à la Cour de juger leur certificat raisonnable, la procédure concernant ce certificat a alors été suspendue aux termes du paragraphe 79(1) de la LIPR. Bien que la Cour n'ait pas encore reçu l'avis du ministre concernant sa décision relativement à cette demande, il est maintenant décidé que le retard à fournir cet avis, pendant que M. Jaballah se trouve en détention, en isolement cellulaire, sans explication suffisante et sans aucune date prévisible raisonnable concernant sa libération constitue dans les circonstances de l'affaire un abus de procédure.

[15]La Cour est donc justifiée de reprendre son rôle primordial et, conformément aux paragraphes 79(2) et 80(1) de la LIPR, je reprends maintenant l'examen pour déterminer si le certificat des ministres est raisonnable.

[16]Après avoir décrit le fondement de la décision de la Cour de reprendre l'instance, les présents motifs donneront une brève description de la situation du défendeur en matière d'immigration. Suivra une brève description de la procédure qui a été suivie en l'espèce relativement au certificat des ministres. La principale question est de savoir si la présente Cour est saisie de «nouveaux renseignements», dont n'était pas saisi le juge Cullen en 1999, permettant d'appuyer une conclusion que le certificat actuel énonçant l'avis des ministres au sujet de M. Jaballah est raisonnable.

2. LA DÉCISION DE LA COUR DE REPRENDRE L'INSTANCE

[17]Le 11 avril 2003, une requête déposée au nom de M. Jaballah a été examinée pour décider, notamment, s'il y avait lieu de rendre des ordonnances pour que la décision de l'agent chargé de l'ERAR, prise le 15 août 2002 et ensuite communiquée au défendeur, soit déposée et considérée par la Cour comme étant la décision du ministre concernant les risques auxquels ferait face M. Jaballah s'il était expulsé du Canada. La requête demandait également une autre ordonnance en vue d'annuler le certificat des ministres en raison d'un abus de procédure découlant du retard à décider de la demande de protection faite par M. Jaballah en juillet 2002, et en vue d'obtenir la libération de ce dernier.

[18]Ce retard, pendant que M. Jaballah continue d'être détenu en isolement cellulaire, comme il l'est depuis le 14 août 2001, constitue à mon avis, dans les circonstances de l'espèce, un abus de procédure.

[19]Les circonstances de l'espèce à deux étapes précises ont été décrites dans des décisions antérieures (voir: Jaballah (Re), 2001 CFPI 1287, [2001] A.C.F. no 1748 (1re inst.) (QL) en date du 23 novembre 2001; et également Jaballah (Re), [2003] 3 C.F. 73 (1re inst.). La première décision traite d'un certain nombre de questions préliminaires soulevées par M. Jaballah, notamment l'application des principes de l'abus de procédure ou de l'autorité de la chose jugée dans le cadre du présent renvoi, que j'ai refusé d'accepter à cette étape des procédures, étant donné que je n'avais entendu aucun élément de preuve ni aucun argument pouvant justifier l'application de ces principes. Cette décision décrit également le contexte de l'affaire jusqu'à l'automne 2001, y compris le renvoi de la première attestation concernant M. Jaballah, qui a été jugée déraisonnable et qui a été annulée en novembre 1999.

[20]La deuxième de ces décisions traitait d'observations des parties concernant les dispositions de la LIPR et du Règlement sur la LIPR ayant trait à la procédure suivie par la Cour à la suite de la demande de protection de M. Jaballah et la réception de l'ERAR, en date du 15 août 2001, indiquant que cette demande devrait être accordée. Cette évaluation était fondée sur des motifs sérieux de croire que, s'il était expulsé du Canada pour être renvoyé dans son pays d'origine, soit l'Égypte, M. Jaballah ferait face à un risque de torture, de même qu'à une menace pour sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités au sens des alinéas 97(1)a) et b) de la LIPR. L'évaluation concluait que sa demande devait être accueillie.

[21]À cette étape, l'avocat de M. Jaballah a instamment demandé à la Cour de traiter l'évaluation qu'avait reçue M. Jaballah, et non pas la Cour, comme étant la décision du ministre concernant la demande de protection et d'annuler le certificat délivré par les ministres demandeurs en août 2001. La Cour n'avait reçu aucun rapport concernant la décision du ministre relativement à la demande de protection. J'ai conclu qu'en vertu de la LIPR et du Règlement sur la LIPR, la reprise de l'instance par la Cour avait été ordonnée après que la décision du ministre lui eut été signalée, et que la décision du ministre fondée sur le sous-alinéa 113d)(ii) de la LIPR (et sur le paragraphe 172(2) du Règlement sur la LIPR) doit se fonder sur les facteurs énoncés à l'article 97, et sur une analyse visant à déterminer si la demande devrait être refusée «en raison de la nature et de la gravité des actes passés ou du danger qu'il constitue pour la sécurité au Canada».

[22]À ce jour, il n'y a pas eu de rapport sur le deuxième aspect de la décision du ministre et aucune décision n'a été prise. La Cour a indiqué clairement à au moins trois reprises qu'elle s'inquiétait du retard qui, en septembre 2002, devait, selon les prévisions, durer encore au moins trois mois avant qu'une décision soit rendue. En novembre ou décembre 2002, la Cour a été informée par des lettres de l'avocat du ministre des initiatives prises par les représentants du gouvernement du Canada pour obtenir des renseignements et des assurances des représentants du Gouvernement de l'Égypte. Constatant qu'elle n'avait pas reçu d'autres renseignements à la mi-mars 2003, la Cour a convoqué une conférence téléphonique, afin d'entendre les parties sur cette question, et a bien accueilli une requête présentée par l'avocat de M. Jaballah. La Cour a ensuite réservé sa décision mais elle décide maintenant que la requête est accueillie en partie, dans la mesure où elle réclame une ordonnance en vue de faire déposer la décision concernant l'ERAR, en date du 15 août 2002, au nom du ministre comme la Cour en donnait instruction le 11 avril 2003, et cette décision est maintenant réputée constituer le rapport du ministre concernant les risques auxquels ferait face M. Jaballah s'il devait retourner en Égypte.

[23]En outre, la Cour décide que le retard à rendre la décision sur la demande de protection constitue un abus de procédure. Malgré l'explication fournie concernant des entretiens au sein du gouvernement quant aux formalités à suivre pour mettre en oeuvre la nouvelle procédure prévue dans la LIPR au sujet des demandes de protection, et des entretiens très longs avec des représentants du Gouvernement de l'Égypte, aucun rapport n'a à ce jour été remis à la Cour.

[24]Je note qu'à l'audience du 11 avril 2003, portant principalement sur la question du retard, l'avocat de M. Jaballah a déposé à la Cour un affidavit auquel était jointe une copie d'une lettre d'un agent du ministère concerné qui avait été signifiée à M. Jaballah le 8 avril 2003 et dont une copie avait ensuite été signifiée à son avocat. La lettre est accompagnée d'une note de service et d'un document intitulé [traduction] «Évaluation fondée sur l'alinéa 172(2)b) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés» daté du 3 avril 2003, par un analyste principal de la Division de la révision des cas, Direction générale de la gestion des cas du ministère concerné. L'évaluation passe en revue les circonstances du cas de M. Jaballah, estime qu'il est [traduction] «apparent,» qu'il est [traduction] «membre du groupe connu sous le nom de "Al Jihad"», qui est maintenant une organisation figurant dans la liste prévue à la partie II.I [art. 83.01 à 83.33] du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46 (édictée par L.C. 2001, ch. 41, art. 4)] comme étant une organisation qui se livrerait à des activités terroristes et conclut sur les mots suivants: [traduction] «à mon avis, Mahmoud Es-Sauy [apparemment le nom sous lequel l'auteur fait référence à M. Jaballah] représente un danger pour la sécurité du Canada».

[25]Cette conclusion n'est pas surprenante, compte tenu du certificat du ministre délivré en avril 2001. On aurait pu au contraire s'étonner si l'un des agents représentant le ministre estimait maintenant que le défendeur ne constitue pas un danger pour la sécurité canadienne. D'après la correspondance, il semble que M. Jaballah ait obtenu une prorogation de délai, soit jusqu'au 10 juin, pour répondre par écrit à l'évaluation selon laquelle il constitue [traduction] «un danger pour la sécurité du Canada».

[26]En toute déférence, cette évaluation ne semble pas répondre à première vue aux conditions de l'alinéa 172(2)b) du Règlement sur la LIPR qui traite d'une évaluation écrite qui doit être fournie au demandeur conformément aux facteurs énumérés au sous-alinéa 113d)(ii) de la LIPR. Cet alinéa traite à son tour de la question de savoir si la demande de protection devrait être refusée «en raison [. . .] du danger [que le demandeur] constitue pour la sécurité du Canada». Cette étape, savoir la mise en balance du risque que le demandeur constitue pour la sécurité du Canada, et implicitement du risque qu'il courrait s'il devait être expulsé du Canada, n'a pas encore été entreprise.

[27]Selon mon interprétation de la LIPR et du Règlement sur la LIPR, toute décision qui met en balance le risque auquel ferait face M. Jaballah s'il était renvoyé chez lui et le danger qu'il constitue pour la sécurité du Canada devra être communiquée à M. Jaballah (alinéa 172(2)b) du Règlement) et l'occasion de répondre devra lui être donnée (paragraphe 172(1) du Règlement) avant que la décision ne soit prise au nom du ministre. Cette décision pourrait même faire l'objet d'un contrôle au sujet de sa légalité (paragraphe 79(2) de la LIPR). On pourrait même prétendre que cette évaluation devra être faite conformément à l'article 7 de la Charte, à la lumière des observations formulées par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3. Dans cet arrêt, en discutant de la décision du ministre d'expulser un réfugié, la Cour a dit en partie ce qui suit, aux paragraphes 76 à 78:

Le fait que le Canada rejette le recours à la torture ressort des conventions internationales auxquelles il est partie. Les contextes canadien et international inspirent chacun nos normes constitutionnelles. Le rejet de la prise par l'État de mesures générales susceptibles d'aboutir à la torture--et en particulier de mesures d'expulsion susceptibles d'avoir cet effet--est virtuellement catégorique. De fait, l'examen de la jurisprudence, tant nationale qu'internationale, tend à indiquer que la torture est une pratique si répugnante qu'elle supplantera dans pratiquement tous les cas les autres considérations qui sont mises en balance, même les considérations de sécurité. Cette constatation suggère que, sauf circonstances extraordinaires, une expulsion impliquant un risque de torture violera généralement les principes de justice fondamentale protégés par l'art. 7 de la Charte [. . .]

Au Canada, le résultat de la mise en balance des diverses considérations par la ministre doit être conforme aux principes de justice fondamentale garantis à l'art. 7 de la Charte. Il s'ensuit que, dans la mesure où la Loi sur l'immigration n'écarte pas la possibilité d'expulser une personne vers un pays où elle risque la torture, la ministre doit généralement refuser d'expulser le réfugié lorsque la preuve révèle l'existence d'un risque sérieux de torture.

Nous n'excluons pas la possibilité que, dans des circonstances exceptionnelles, une expulsion impliquant un risque de torture puisse être justifiée, soit au terme du processus de pondération requis par l'art. 7 de la Charte soit au regard de l'article premier de celle-ci. (Une violation de l'art. 7 est justifiée au regard de l'article premier «seulement dans les circonstances qui résultent de conditions exceptionnelles comme les désastres naturels, le déclenchement d'hostilités, les épidémies et ainsi de suite» [. . .] Dans la mesure où le Canada ne peut expulser une personne lorsqu'il existe des motifs sérieux de croire qu'elle sera torturée dans le pays de destination, ce n'est pas parce que l'art. 3 de la CCT limite directement les actions du gouvernement canadien, mais plutôt parce que la prise en compte, dans chaque cas, des principes de justice fondamentale garantis à l'art. 7 de la Charte fera généralement obstacle à une expulsion impliquant un risque de torture. Nous pouvons prédire que le résultat du processus de pondération sera rarement favorable à l'expulsion lorsqu'il existe un risque sérieux de torture. Toutefois, comme tout est affaire d'importance relative, il est difficile de prédire avec précision quel sera le résultat. L'étendue du pouvoir discrétionnaire exceptionnel d'expulser une personne risquant la torture dans le pays de destination, pour autant que ce pouvoir existe, sera définie dans des affaires ultérieures. [Citations omises.]

[28]À moins que la décision du ministre concernant la demande de protection soit favorable à M. Jaballah, tout indique qu'il y a lieu de poursuivre l'argumentation au sujet de la légalité de la décision du ministre, afin qu'une décision soit prise à cet égard conformément au paragraphe 79(2) de la LIPR, avant que la présente Cour reprenne l'instance de toute autre manière. À cette étape, il n'est tout simplement pas possible de prévoir raisonnablement la date à laquelle cette formalité pourra être terminée et à quel moment on pourrait reprendre l'examen du caractère raisonnable de l'avis certifié des ministres selon lequel M. Jaballah n'est pas admissible au Canada. Entre-temps, le défendeur continue d'être gardé en détention, jusqu'à maintenant en isolement cellulaire, sur l'ordre des ministres. En vertu de la LIPR, la possibilité qu'une personne dans la situation de M. Jaballah puisse faire revoir les conditions de sa détention ne se présente qu'après un délai précis suivant la décision que le certificat des ministres est raisonnable, et que la personne concernée n'est pas renvoyée du Canada et se trouve toujours en détention.

[29]À mon avis, le retard à décider de la demande de protection de M. Jaballah pendant qu'il demeure en détention, sans lui offrir aucune prévision raisonnable quant à la date à laquelle cette décision sera prise, constitue un abus de procédure en l'espèce. Ce retard n'a aucune répercussion sur le rôle principal de la Cour en l'espèce, c'est-à-dire évaluer le caractère raisonnable du certificat qui lui a été transmis pour examen. Que la décision du ministre concernant la demande de protection soit prise demain ou dans quelques mois, la responsabilité de la présente Cour d'évaluer le caractère raisonnable du certificat demeurera la même.

[30]Dans les circonstances, bien que la Cour ne soit pas disposée à accepter le redressement proposé par l'avocat de M. Jaballah, c'est-à-dire une ordonnance annulant le certificat des ministres, l'abus de procédure justifie certainement une ordonnance donnant instruction de reprendre maintenant l'instance concernant le certificat sans attendre la décision du ministre au sujet de la demande de protection. À mon avis, bien que je n'aie entendu aucun argument sur la question, M. Jaballah a le droit en vertu de la LIPR d'obtenir une réponse à sa demande de protection et le ministre a l'obligation de prendre une décision conforme à la LIPR. En outre, quelle que soit la date à laquelle cette décision sera prise, elle pourra à mon avis faire l'objet d'une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire.

[31]Je ne suis pas disposé à annuler le certificat dont la Cour est saisie, non seulement parce que le délai, qui comme je l'ai dit, constitue un abus, concerne une question secondaire se rattachant principalement au possible renvoi de M. Jaballah du Canada, affaire dont la Cour n'est pas saisie, mais également parce que les ministres demandeurs et leurs ministères, les avocats et la Cour, y ont déjà consacré beaucoup de temps, d'effort et d'énergie. L'abus constaté ne justifie pas d'annuler le certificat, sans qu'une décision ne soit prise au sujet du caractère raisonnable du certificat des ministres.

[32]Pour M. Jaballah, une requête préliminaire demandant que le certificat soit annulé en s'appuyant sur le principe de l'abus de procédure (discuté dans la décision Jaballah (Re), 2001 CFPI 1287, précitée) concernait un autre abus allégué se fondant, non pas sur le retard dans la prise d'une décision concernant la demande de protection, mais plutôt sur la perception que dans la présente instance il n'existe aucune preuve dont le juge Cullen n'était pas déjà saisi en 1999, dans l'affaire Jaballah no 1. Je n'ai pas accepté l'objection préliminaire quand je l'ai entendue, et j'estime que le fondement de cet abus allégué n'a pas été établi. Il ressort clairement des présents motifs qu'après avoir soigneusement examiné la preuve dont étaient saisis le juge Cullen et la présente Cour, la Cour est effectivement saisie de nouveaux renseignements et de nouveaux éléments de preuve.

[33]Je ne suis pas convaincu que M. Jaballah a été victime d'un abus de procédure ou subi un préjudice indu, au-delà de ce que prévoit la LIPR, dans les procédures qui se sont déroulées jusqu'au dépôt de sa demande de protection en juillet 2002.

[34]Un autre facteur important a joué dans la décision de reprendre maintenant l'examen du caractère raisonnable du certificat des ministres au vu de l'absence de toute prévision raisonnable quant à la date à laquelle la Cour pourrait autrement traiter de ce certificat. Il faut mettre fin à toute perception selon laquelle la présente Cour a délibérément retardé sa procédure concernant M. Jaballah, malgré le retard qui s'est produit au ministère concerné sur une question dont la Cour n'est pas encore saisie, et qui n'est pas pertinente aux décisions concernant le certificat sur lequel la Cour doit se prononcer.

[35]Bien qu'elle ait conclu qu'il y a abus de procédure dans le retard à rendre une décision sur la demande de protection présentée par M. Jaballah, la Cour n'approuve pas la requête du défendeur selon laquelle, au vu de cet abus, le certificat des ministres devrait maintenant être annulé. En fait, la Cour reprend l'instance ayant trait au certificat et entreprend maintenant de traiter de cette question. En outre, je n'accepte pas la demande de libération de M. Jaballah puisqu'il est détenu sur l'ordre des ministres. Sa libération pourra être traitée au moment d'une révision des motifs de sa détention aux termes de la LIPR.

[36]Avant d'énoncer les considérations ayant trait à la procédure à suivre pour évaluer le certificat des ministres, le contexte de cette évaluation est étayé d'un bref examen de la situation du défendeur en matière d'immigration.

3. LA SITUATION DU DÉFENDEUR EN MATIÈRE D'IMMIGRATION

[37]M. Jaballah est arrivé au Canada en 1996 et son épouse, ses quatre enfants et lui-même y ont revendiqué le statut de réfugié. La famille arrivait d'Égypte dont M. Jaballah, son épouse et au moins les plus vieux de ses enfants sont citoyens. La famille, qui comptait alors moins de membres, a quitté l'Égypte en 1991 pour faire un pèlerinage religieux et n'y est pas retournée à cause d'inquiétudes concernant le traitement que les autorités égyptiennes réservaient à M. Jaballah, qui allègue avoir fait l'objet de plusieurs arrestations, détentions et tortures, ainsi qu'à son épouse qui a été détenue et tellement maltraitée à une reprise qu'elle a fait une fausse couche. À compter de 1991, la famille a vécu pendant trois mois en Arabie saoudite puis elle a déménagé au Pakistan. M. Jaballah a vécu en 1994 et 1995 au Yémen et en Azerbaïdjan, éloigné de sa famille qui était demeurée au Pakistan. Il l'a rejointe en 1996 et sa famille et lui-même ont voyagé en Turquie et en Allemagne avant d'arriver au Canada. Dès leur arrivée en 1996, M. Jaballah, qui avait voyagé sous un faux passeport saoudien, son épouse et ses quatre enfants ont revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention. Depuis leur arrivée au Canada, M. Jaballah et son épouse ont eu deux autres enfants.

[38]Le 4 mars 1999, la section du statut de réfugié au sens de la Convention (la section du statut) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a décidé que M. Jaballah et les membres de sa famille qui étaient nés à l'étranger n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention. Cette décision a alors fait l'objet d'une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire.

[39]Entre-temps, le 31 mars 1999, M. Jaballah a été arrêté aux termes de la première attestation relative à la sécurité délivrée contre lui par les demandeurs. Cette attestation a été transmise à la présente Cour et, après audition comme on l'a déjà noté, elle a été annulée sur ordre du juge Cullen en novembre 1999.

[40]Par la suite, comme l'autorisation présentée en vue d'un contrôle judiciaire de la décision négative de la section du statut, qui a refusé la demande de réfugié au sens de la Convention présentée par la famille, avait été accordée, cette décision a été annulée le 28 septembre 2000, et elle a été renvoyée à une formation différente pour nouvel examen (voir: Jaballah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 196 F.T.R. 175 (C.F. 1re inst.)). La réaudition de la revendication du statut de réfugié de M. Jaballah par la section du statut avait été prévue pour le 16 août 2001.

[41]La réaudition de la revendication du statut de réfugié concernant son épouse et ses enfants a finalement été effectuée et terminée, après un long retard, le 9 avril 2003. Comme nous l'avons vu, le 15 août 2001, le certificat qui est à l'origine de la présente instance a été transmis par les ministres à la Cour, et ensuite à moi, à titre de juge désigné aux termes du paragraphe 40.1(4) de la Loi de 1985 (maintenant les articles 76 et 78 de la LIPR). Le 14 août 2001, le deuxième certificat ayant été délivré aux termes de l'article 40.1 de la Loi de 1985 par les ministres demandeurs, M. Jaballah a été arrêté et il est depuis détenu en isolement cellulaire.

PARTIE II

4.     L'INSTANCE CONCERNANT LE CERTIFICAT DES MINISTRES QUESTIONS PRÉLIMI-NAIRES

[42]Les procédures préliminaires ayant trait au certificat des ministres, y compris les requêtes préliminaires débattues au cours des audiences du 31 octobre et du 1er novembre 2001, sont examinées dans des motifs déjà publiés (voir: Jaballah (Re), 2001 CFPI 1287, précité). Dans ces motifs et dans les ordonnances qui les accompagnaient, j'ai traité des requêtes préliminaires des parties, y compris de la radiation des subpoenas duces tecum délivrés au nom du défendeur aux ministres demandeurs. En réponse à la requête du défendeur en vue de suspendre l'instance, les avocats des demandeurs ont reconnu que les principes de l'autorité de la chose jugée, de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige et de l'abus de procédure pourraient s'appliquer dans des situations où un deuxième certificat est délivré en vertu de l'article 40.1 de la Loi de 1985, mais ils ont instamment fait valoir que ces principes n'étaient pas applicables à l'espèce parce que la Cour est saisie de nouveaux éléments de preuve qui n'ont pas été présentés dans l'affaire Jaballah no 1. J'ai rejeté la requête du défendeur demandant la suspension de l'instance pour l'un ou plusieurs de ces principes à l'étape préliminaire, en lui conservant le droit de revenir pour débattre de l'application de ces principes après que la preuve aura été entendue sur cette question.

[43]Mes précédents motifs indiquent que, aux termes des alinéas 40.1(4)a) et b) et du paragraphe 40.1(5.1) de la Loi de 1985, la Cour a examiné une preuve présentée au nom des ministres demandeurs, à huis clos et ex parte, en présence des avocats des ministres, mais en l'absence de M. Jaballah et de l'avocat qui le représentait. J'ai ensuite approuvé un résumé des renseignements dont j'étais saisi, résumé qui devait être fourni à M. Jaballah, en omettant tous les renseignements qui, s'ils étaient divulgués, pourraient à mon avis porter atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui. Le défendeur a reçu en même temps que ce résumé six classeurs de copies de documents, les classeurs étant identifiés de la manière suivante: A1, A2, A3, A4, A5 et B. Ces documents remis à M. Jaballah comprennent une partie de la preuve documentaire dont étaient saisis les ministres et qui a été présentée à la Cour. Elle exclut tous les documents pertinents retenus pour des motifs de sécurité nationale ou de préjudice potentiel à la sécurité d'autrui.

[44]Mes précédents motifs traitaient également de deux autres questions soulevées par le défendeur qu'il est utile de rappeler ici. J'ai indiqué que les questions constitutionnelles soulevées, dans la mesure où elles étaient semblables à celles qui ont été soulevées devant le juge Nadon dans l'arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Mahjoub (2001), 81 C.P.R. (2d) 350 (C.F. 1re inst.), si elles étaient débattues en l'espèce, le seraient de la même façon dont elles l'ont été par le juge Nadon, à moins que la présente Cour ne soit convaincue qu'il était manifestement dans l'erreur. Cela incluait sa décision selon laquelle un juge qui examine une attestation rendue en vertu de l'article 40.1 de la Loi de 1985 n'a pas le pouvoir d'entendre les arguments concernant la constitutionnalité de cette disposition législative, à l'égard de laquelle on a conclu qu'elle ne contrevenait pas aux articles 7 et 9, ou à l'alinéa 10c) de la Charte canadienne des droits et libertés ni à l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits [L.R.C. (1985), appendice III] (voir: Ahani c. Canada, [1995] 3 C.F. 669 (1re inst.), appel rejeté (1996), 37 C.R.C. (2d) 187 (C.A.F.), et autorisation d'appel refusée [1997] 2 R.C.S. v). Bien qu'il n'y ait pas eu d'autres arguments concernant les questions constitutionnelles dont je suis saisi, je note pour le dossier qu'elles ont été soulevées.

[45]La dernière question soulevée dans les requêtes préliminaires du défendeur concernait des questions de communication de la preuve s'étendant au-delà du résumé de la preuve et des documents qui ont été remis à M. Jaballah. J'ai ordonné qu'on lui fournisse les noms d'un ou de plusieurs agents du SCRS au courant des résumés publics délivrés dans l'affaire Jaballah no 1 et en l'espèce, ainsi qu'une liste de tous les agents du SCRS, de la GRC ou d'autres fonctionnaires qui ont interrogé M. Jaballah, de même que des renseignements concernant ces entrevues. Par la suite, j'ai ordonné aux demandeurs qu'ils nomment un agent du SCRS, au courant de la preuve présentée dans l'affaire Jaballah no 1 et en l'espèce, pour qu'il vienne témoigner au sujet des différences dans la preuve et dans les renseignements énoncés dans des résumés publics et dans les documents remis à M. Jaballah dans les deux cas.

[46]À la mi-décembre 2001, un représentant du SCRS, identifié seulement sous le prénom de «Mike» pour les fins de l'audience, a été appelé à la barre des témoins par les avocats des ministres. Il a été interrogé et contre-interrogé afin de préciser quels étaient les nouveaux renseignements, qui n'avaient pas été produits dans l'affaire Jaballah no 1, dont la présente Cour était saisie, plus précisément dans le résumé public remis au défendeur. Dans son témoignage, il a porté une attention particulière à un document intitulé [traduction] «Comparaison des résumés, Jaballah no 1 (5 février 1999) et Jaballah no 2 (14 août 2001)» préparé par les avocats des ministres. J'examinerai en détail les renseignements qui, selon la déposition de Mike, étaient nouveaux en l'espèce, après avoir tout d'abord terminé la description de la présente instance.

[47]Il est utile de revenir brièvement sur les résumés remis à M. Jaballah dans l'affaire Jaballah no 1 en 1999 et en l'espèce. Chacun de ces résumés énonce les renseignements qui ont été rendus publics et qui constituent le fondement des avis respectifs des ministres. L'avis certifié en 2001 est le même que celui qui a été certifié en 1999, c'est-à-dire que M. Jaballah est considéré comme une personne non admissible au Canada aux termes des catégories établies dans les mêmes paragraphes de l'article 19 de la Loi de 1985. Une bonne partie des renseignements publics inclus dans le résumé sur lequel l'avis actuel serait fondé sont les mêmes que l'information dont le juge Cullen était saisi. Une certaine partie des renseignements sur lesquels on s'appuie maintenant et qui n'étaient pas à la disposition des ministres quand la première attestation a été délivrée provient de M. Jaballah lui-même, c'est-à-dire du témoignage qu'il a donné dans le cadre de sa revendication du statut de réfugié présentée à la section du statut et à l'audition de cette revendication, ou du témoignage qu'il a donné dans l'affaire Jaballah no 1. C'est l'utilisation de cette dernière preuve qui a mené l'avocat du défendeur à alléguer qu'il y avait eu abus de la procédure de la Cour par le SCRS et par les ministres demandeurs qui font maintenant valoir, en s'appuyant en partie du moins sur le témoignage de M. Jaballah dans l'affaire Jaballah no 1, que le certificat dont la Cour est maintenant saisie est raisonnable.

[48]Je note pour le dossier que le résumé remis à M. Jaballah dans la présente affaire, et les documents qui lui ont été communiqués, ont été préparés et compilés avant la mi-août 2001, soit plus d'un mois avant les terribles événements qui se sont déroulés à New York et ailleurs aux États-Unis en septembre 2001, et bien avant les événements subséquents en Afghanistan et plus récemment en Irak et ailleurs dans le monde. Bien que, dans son témoignage donné à la mi-décembre 2001, Mike fasse référence à des renseignements récents reçus depuis le 11 septembre sans en préciser le contenu, aucun autre renseignement signalé après cette date du mois de septembre n'a été déposé à la Cour à aucun moment, à l'exception des pièces déposées au cours du témoignage de Mike.

[49]Ces pièces incluent des copies de jugements et d'ordonnances de mises en accusation et de condamnations par la Cour fédérale des États-Unis, et de diagrammes démontrant les perceptions du SCRS concernant les liens de communication entre les cellules du Al Jihad (AJ) et le réseau Al-Qaïda, particulièrement aux environs du mois d'août 1998, quand les ambassades des États-Unis à Nairobi et à Dar es Salaam ont été les cibles de bombes mortelles placées dans des automobiles ce même jour et qui ont entraîné de nombreuses pertes de vie. Ces dernières pièces sont intéressantes et elles dépeignent les liens de communication entre M. Jaballah à Toronto et certains agents secrets ou centres connus d'Al-Qaïda et entre ces centres dans plusieurs pays. Ces pièces, du moins en partie, seraient fondées sur des mises en accusation dans des procédures engagées devant les tribunaux des États-Unis relativement aux attentats à la bombe dans les ambassades en 1998. Je note que les jugements ou les ordonnances qui ont découlé de ces mises en accusation, qui ont été déposés dans la présente instance par l'entremise du témoignage de Mike pour le compte des ministres, ne font pas référence à des allégations ayant précisément trait à M. Jaballah ou ne les appuient pas. Il n'y a aucune référence à ces liens de communication allégués dans le résumé de la thèse des ministres, ni dans le premier résumé ou le résumé supplémentaire dont il est question dans les présents motifs. Les diagrammes en eux-mêmes n'ont aucun poids en tant que preuve et dans la mesure où ils se fondent sur des renseignements qui étaient à la disposition des ministres avant le 1er novembre 1999, ils ne sont pas fondés sur de «nouveaux» renseignements, qui n'étaient pas disponibles ou qui n'ont pas été communiqués dans l'affaire Jaballah no 1.

5.     LES EFFORTS POUR IDENTIFIER LES «NOUVEAUX» RENSEIGNEMENTS

[50]Quand les deux résumés, remis dans l'affaire Jaballah no 1 et en l'espèce ont été comparés par l'avocat de M. Jaballah, celui-ci a instamment fait valoir qu'il y avait relativement peu de renseignements différents qui avaient été fournis pour appuyer le même avis des ministres en cette deuxième occasion. En fait, il prétend, pour le compte de M. Jaballah, qu'il n'y a pas de nouveaux éléments de preuve importants qui pourraient justifier une décision différente de celle qui a été prise dans l'affaire Jaballah no 1.

[51]Cette position a été présentée à la Cour après le témoignage et le contre-interrogatoire de Mike en décembre 2001. L'avocat du défendeur avait auparavant posé une série de questions en contre-interrogatoire qui avait amené Mike à confirmer que toutes les allégations concernant la participation de M. Jaballah, et ses relations perçues avec d'autres personnes, étaient essentiellement semblables à celles qui avaient été alléguées par les ministres comme fondement de leur avis certifié dans l'affaire Jaballah no 1. En réinterrogatoire, les avocats des ministres ont posé une dernière question qui a amené la Cour à poser des questions et l'avocat de M. Jaballah à faire un nouveau contre-interrogatoire, qui est reproduit ci-dessous (transcription, le 18 décembre 2001, aux pages 662 à 667):

M. Batt [pour les ministres]:

Q.     Mike, d'après l'ensemble des réponses que vous avez données, je crois comprendre que vous êtes d'avis qu'il existe de nouveaux renseignements et que ceux-ci jettent un éclairage différent sur les anciens renseignements. Cela vous paraît-il un résumé exact de ce que vous avez dit depuis deux jours?

R.     C'est exact, oui.

La Cour:     [. . .] je ne suis pas certain de ce que cette réponse implique, et peut-être ne devrais-je pas vous poser cette question, mais vous devriez vous attendre à ce que l'avocat fasse des observations à ce sujet.

Je voudrais qu'il soit tout à fait clair dans mon esprit que l'opinion adoptée a trait à de nouveaux renseignements auxquels on peut s'attendre que M. Jaballah réponde. Je ne suis pas certain si cela découle de la réponse dans laquelle vous dites que cela jette un nouvel éclairage sur d'anciens renseignements. Ce n'est peut-être pas ce que vous avez dit, mais, si c'est ce que vous avez dit, alors c'est inquiétant. Qu'entendez-vous par «nouvel éclairage»?

Le témoin:     Monsieur le juge, les allégations demeurent certainement les mêmes. Les activités des personnes avec lesquelles M. Jaballah était en contact et avait des relations--nous ne disposions pas de tous les renseignements sur ces personnes et leurs activités et le sens des contacts qu'elles ont eus avec M. Jaballah. Depuis les récentes enquêtes qui ont été effectuées, des renseignements supplémentaires ont été découverts sur ces personnes et sur les activités auxquelles elles participaient réellement.

La Cour:     Mais elles ne sont pas ici.

Le témoin:     J'essaie de penser comment je pourrais m'exprimer autrement.

Les actes terroristes différents qui ont eu lieu, principalement celui qui a eu lieu en Afrique de l'Est en 1998--des renseignements supplémen-taires ont depuis fait surface sur les personnes qui ont participé à ces actes, leur degré de participation et la manière dont elles étaient reliées les unes aux autres. Ce sont ces renseignements, Monsieur le juge, qui ont permis de préciser ce qui s'est réellement produit au cours de ces opérations, qui était responsable de quoi, la façon dont les communications entre ces différentes cellules s'effectuaient réellement et les personnes qui ont participé à ces communications.

La Cour:     Merci. Chacun de vous a la possibilité de faire des observations ou de questionner Mike, si vous le souhaitez, sur ce qui découle de ma question.

M. Galati [pour M. Jaballah]:

Q.     J'ai une seule question, Monsieur le juge.

NOUVEAU CONTRE-INTERROGATOIRE

[. . .]

M. Galati [pour M. Jaballah]:

Q.     Les réponses que vous avez données au cours du contre-interrogatoire que je vous ai fait subir concernant le fait qu'il n'y a rien de nouveau au sujet des allégations ni aucune allégation ou lien direct avec ces activités de ces autres membres et M. Jaballah tiennent toujours. Exact?

R.     M. Jaballah a eu des contacts avec ces personnes au moment où elles étaient opérationnelles.

Q.     Je comprends cela. On a traité de cela en 1999. Ma question est la suivante: compte tenu de votre réponse à M. le juge MacKay, vos réponses tiennent toujours, par exemple, concernant le fait qu'il n'est pas allégué que mon client a été lié au USS Cole et aux autres activités ou à la structure du Al Jihad, ce qui d'après vous serait maintenant nouveau.

R.     Pas le USS Cole, non.

Q.     Ce que je dis, c'est que les réponses que vous donnez aujourd'hui valent toujours au sujet du fait que je vous ai signalé qu'il n'y avait pas de nouvelles allégations, qu'il n'y avait pas de lien direct, qu'il n'y avait pas de mention dans les transcriptions aux États-Unis ou au Royaume-Unis. Exact?

R.     Sur la question du lien direct, c'est l'association qui existait entre M. Jaballah et ces différentes personnes. Le rôle qu'il a joué avec ces personnes est fondamenta-lement ce qui nous intéresse.

Q.     Mais ce que je veux dire, c'est qu'il s'agit des mêmes contacts et du même rôle que ce dont il a été question devant le juge Cullen. Il ne s'agit pas d'un nouveau rôle qui, d'après vos allégations, aurait été tenu après 1999. Exact?

R.     Nous étions au courant des contacts. Nous n'étions pas au courant du contenu de ces contacts.

Q.     Ce que je dis c'est que vous n'alléguez pas qu'il y a eu de nouveaux contacts entre 1999 et 2001.

R.     Je pense qu'il n'y a que celui que nous mentionnons ici.

Q.     Vous ne laissez entendre que Mahjoub.

R.     Non, il y avait également la question au sujet de M. Al Deek. Ce sont de nouveaux renseignements. C'est en quelque sorte une question distincte.

Q.     Ma question est la suivante: mais cela n'a pas de rapport avec les personnes de Londres.

R.     Les nouveaux renseignements sur les membres de Londres sont ressortis de l'enquête menée sur les activités de ces personnes.

Q.     Je comprends cela, mais vous ne laissez pas entendre qu'il y a de nouveaux renseignements qui démontrent que M. Jaballah en 2000 et en 2001 a renoué des contacts avec les membres de Londres.

R.     Ce serait exact.

Q.     Il n'y a pas de tel renseignement.

R.     C'est exact.

Q.     Tous les renseignements ayant trait aux membres de Londres sont de vieux renseignements.

R.     Les contacts avec eux, oui.

[52]À l'issue de l'interrogatoire de Mike le 18 décembre 2001, la Cour a ajourné, pour se réunir de nouveau le 8 janvier 2002 afin d'entendre les observations des parties concernant cette preuve, ce qui a clos la preuve des ministres. Le lendemain, les avocats des demandeurs ont mentionné huit points qui avaient été soulevés par le témoignage de Mike et qu'ils ont qualifié de nouveaux renseignements sur lesquels l'avis des ministres est fondé en l'espèce, renseignements dont ne disposait pas le juge Cullen en 1999. L'avocat du défendeur a de nouveau fait valoir qu'il ne pouvait adéquatement aider ou conseiller son client à moins que les renseignements prétendus nouveaux devant la présente Cour soient mieux identifiés que dans le témoignage de Mike et les observations des ministres ayant trait à ce témoignage.

[53]Par la suite, en janvier et au début de février 2002, j'ai de nouveau convoqué des audiences à huis clos et ex parte en présence d'un avocat et d'un représentant du SCRS, à cinq reprises (les 10, 15, 25, 31 janvier et le 4 février 2002), qui avaient toutes pour objet d'ordonner la production d'un autre résumé concernant le fondement de l'avis certifié des ministres, résumé ayant pour but d'indiquer clairement, au moyen d'une mise en évidence dans le texte, les renseignements qui sont maintenant connus et que l'on prétend nouveaux du fait que le juge Cullen n'en était pas saisi, et qui n'ont pas été retenus pour des raisons de sécurité. En outre, j'ai revu tous les documents déposés à la Cour, tant ceux qui font partie du dossier public et qui ont été communiqués à M. Jaballah dans les six classeurs en août 2001, que les documents confidentiels non divulgués, afin d'identifier ceux qui étaient considérés comme nouveaux par les ministres. Une liste des «nouveaux» documents parmi ceux figurant dans le dossier public en l'espèce, qui n'avaient pas été fournis dans l'affaire Jaballah no 1, a été remise aux avocats. J'ai de nouveau examiné ces documents qui n'avaient pas été communiqués auparavant pour des motifs de sécurité nationale afin d'avoir la certitude qu'ils ne doivent toujours pas être communiqués à M. Jaballah, conformément à l'alinéa 40.1(5.1)d) de la Loi de 1985. Au cours des conférences téléphoniques avec les avocats des deux parties les 15 et 31 janvier et le 8 février, je me suis efforcé de faire en sorte que l'avocat du défendeur soit informé des progrès accomplis et qu'il participe à l'établissement des dates des nouvelles audiences.

[54]À l'issue de ces audiences à huis clos, j'ai donné des instructions le 5 février 2002. Celles-ci prévoyaient la communication d'un nouveau résumé intitulé [traduction] «Résumé supplémentaire non confidentiel des renseignements ayant trait à Mahmoud Jaballah (Jaballah no 2), le 4 février 2002», qui mettait en évidence les renseignements contenus dans le dossier public que les ministres considèrent comme nouveaux. Mes instructions dressaient également la liste des documents fournis au défendeur et dont la Cour n'était pas saisie dans l'affaire Jaballah no 1. Des mesures ont ensuite été prises pour que les audiences publiques reprennent le 11 mars et qu'elles se poursuivent afin de s'assurer, conformément à l'alinéa 40.1(4)c) de la Loi de 1985, que M. Jaballah avait eu une possibilité raisonnable d'être entendu, avant que soit évalué le caractère raisonnable du certificat délivré par les ministres demandeurs sur la base de la preuve et des renseignements dont la Cour est saisie.

6.     DESSAISISSEMENT DE L'AVOCAT DU DÉFENDEUR

[55]Quand l'audience a repris le 11 mars, comme en étaient convenus les avocats des parties et sur ordre de la Cour, pour les fins d'entendre les observations que le défendeur M. Jaballah souhaitait apporter en réponse aux renseignements qui lui avaient été fournis, son avocat a demandé la permission de porter à l'attention de la Cour une question préliminaire. L'avocat a alors informé la Cour qu'après avoir consulté son client M. Jaballah, après avoir demandé l'avis d'autres avocats expérimentés, et après avoir passé en revue les étapes de l'instance jusqu'à cette date, il en était venu à la conclusion suivante (transcription, 11 mars 2002, pages 879 à 883):

[traduction] Monsieur le juge, cette situation m'a conduit dans un dilemme au sujet duquel j'ai demandé plusieurs avis--si je pouvais en faire la somme, peut-être 80 à 120 années d'expérience d'avocats qui ont tous convenu avec moi que je n'ai d'autre choix que de vous informer que, à l'époque où j'ai prêté mon serment d'avocat dans la province d'Ontario, en plus de faire serment d'allégeance à Sa Majesté la Reine au moment où je prêtais serment à titre d'avocat en tant qu'auxiliaire de la présente Cour et de tous les autres tribunaux, par mon serment d'avocat je suis également tenu «de ne pas dénaturer le droit et de me conduire en toute chose avec honnêteté et intégrité» et en outre «de défendre l'intérêt de la Reine ainsi que les intérêts des citoyens et de les soutenir conformément à la Constitution et au droit de cette province».

Mes règles d'éthique et de conduite professionnelle en Ontario exigent en outre que je m'abstienne «d'adopter une conduite entachée de malhonnêteté, ou qui puisse porter préjudice à l'administration de la justice» et que je m'abstienne «d'aider sciemment un juge ou un auxiliaire de la justice dont la conduite contrevient aux règles applicables à la déontologie judiciaire ou à toute autre loi», ce qui, dans la province, inclut la Constitution ainsi que les traités internationaux ayant force obligatoire.

Essentiellement, Monsieur le juge, je suis d'avis en tant qu'avocat que j'irais à l'encontre du fondement même de mon serment d'avocat, tel qu'il a été interprété historiquement et législativement, de même qu'à l'encontre des règles de conduite professionnelle en participant davantage en tant qu'avocat et auxiliaire de la Cour de Sa Majesté à cette procédure pour les raisons suivantes:

1.  Les procédures engagées contre Jaballah en général, si vous examinez l'affaire Jaballah no 1 et la présente instance, démontrent clairement que la salle d'audience a été transformée en poste de police. La procédure dans l'affaire Jaballah no 1 a fourni de base d'enquêtes, d'interrogatoires et de preuves à l'affaire Jaballah no 2.

2.  Bien que ma présence dans cette salle puisse faire croire que les règles d'un contrôle judiciaire équitable et indépendant sont respectées dans les faits et sur le fond, en relisant mon serment d'avocat, je conclus sincèrement et honnêtement que ma présence dans cette salle serait une imposture et irait à l'encontre des intérêts de mon client et constituerait une violation totale de mon serment et des règles de conduite professionnelle.

Même si le SCRS et le Solliciteur général poussent les hauts cris et essaient de prétendre tant qu'ils le peuvent que la procédure en l'espèce est tout à fait impartiale, les questions préliminaires, les formalités suivies et les motifs de sécurité nationale invoqués pour faire obstacle à la divulgation de la preuve réunie contre Jaballah et cette preuve que Jaballah doit réfuter n'ont jamais été mises en balance ni formulées par la présente Cour ni aucun autre tribunal et n'ont jamais fait l'objet d'une décision de la présente Cour ou de la Cour suprême du Canada. Nous avons aveuglément accepté la parole et la procédure invoquée par le SCRS et les forces de sécurité malgré le fait que cette procédure ne s'appuie sur aucun fondement législatif.

Bien que cette procédure secrète tenue à huis clos sans aucune mise en balance ou formulation judiciaire puisse être acceptable à la Cour, les normes constitutionnelles et internationales de justice naturelle s'appliquent également à la présente Cour et à sa procédure et, ce qui est encore plus important pour moi, à mon serment d'avocat, selon l'interprétation historique que j'en donne depuis l'adoption de la Grande Charte jusqu'à ce jour.

En raison de l'absence troublante de ces normes, je refuse en tant qu'avocat ayant prêté le serment indépendant de les respecter de participer plus longtemps à cette instance. Mon serment ne me le pardonnerait pas; ma conscience ne me le pardonnerait pas; et l'histoire ne me le pardonnerait pas.

À mon humble avis, Monsieur le juge, les principes de Nuremberg s'appliquent également au Canada et au système judiciaire canadien comme partout ailleurs. Les Canadiens japonais et italiens ont été victimes de ce qui constitue à mon avis des crimes contre l'humanité au cours de la Seconde Guerre mondiale. Je ne participerai pas à ce qui constitue à mon avis une injustice semblable contre les Musulmans et les Arabes et je ne serai pas complice de cette procédure telle qu'elle se présente.

M. Jaballah et sa famille se sont pourvus en justice devant les tribunaux de l'Ontario. Je continuerai de défendre leurs droits contre la décision de la présente Cour devant d'autres tribunaux, mais je me retire de la présente instance et M. Jaballah reste silencieux dans les mains puissantes, mais secrètes, de l'avocat du SCRS et les vôtres, Monsieur le juge.

Je ne peux continuer davantage, Monsieur le juge, c'est aussi simple que cela. Je me refuse à cela.

[56]Après une brève discussion avec la Cour, l'avocat de M. Jaballah et son conseiller juridique retenu pour l'occasion ont quitté la salle d'audience.

7.     L'ASSURANCE QUE LE DÉFENDEUR A EU LA POSSIBILITÉ D'ÊTRE ENTENDU

[57]La Cour a alors appelé M. Jaballah à la barre pour qu'il réponde lui-même, avec l'aide d'un interprète, à des questions dont le but était de déterminer s'il comprenait bien sa situation à cette étape. La transcription suivante reprend les parties pertinentes de cet interrogatoire (transcription, 11 mars 2002, pages 888 à 893):

[traduction]LA COUR: M. Jaballah, il nous faut savoir si vous souhaitez être représenté par un avocat. Si vous souhaitez prendre un peu de temps pour réfléchir à ce que vous pouvez faire à cette étape de l'instance, je vous donnerai du temps, mais pas beaucoup. Tout ce que je veux dire par là c'est que, si vous voulez vous représenter vous-même, vous aurez besoin de temps pour vous préparer. Si vous décidez que vous voulez être représenté par un autre avocat, alors vous aurez aussi besoin de temps pour retenir les services de cet avocat.

Je dois savoir au plus tard à midi si vous souhaitez ou non vous représenter vous-même ou essayer de retenir les services d'un autre avocat. Je présume--et il n'est pas nécessaire que vous répondiez à cette question, je présume que M. Galati, quand il était votre avocat, vous a peut-être informé à l'avance de ce qu'il allait faire ce matin, mais qui sait. Je ne vous demande pas de répondre à cette question.

Aimeriez-vous avoir un peu de temps? Voulez-vous vous représenter vous-même?

M. JABALLAH (par son interprète): M. Galati est mon avocat et j'aimerais suivre ses instructions. Je suis d'accord avec sa position. Je suis d'accord avec la position que mon avocat a adoptée ce matin, et tout ce qu'il a dit représente ce que je crois à l'égard de la preuve qui a été présentée à la Cour.

La preuve qui a été présentée dans la présente instance est la même que celle qui a été présentée il y a deux ans. Je n'ai entendu aucun élément de preuve auquel je pourrais répondre.

Il y avait deux questions, l'une concernant la case postale et l'autre concernant le numéro de téléphone qui a été trouvé en possession de M. Mahjoub. Sur ces deux points, je n'ai rien à répondre.

LA COUR: Je veux être sûr de bien comprendre la position de M. Jaballah. Il dit que M. Galati est son avocat et il souhaite agir conformément à son avis.

M. JABALLAH (par son interprète): Oui.

LA COUR: Ma question est la suivante: Veut-il maintenant l'avis de M. Galati?

M. JABALLAH (par son interprète): Il m'a déjà donné son avis et je suis d'accord avec ce qu'il a dit, et je suis son avis. C'est un expert en droit. Je n'ai rien d'autre à dire.

LA COUR: Est-ce que je comprends que M. Jaballah est au courant que M. Galati a été informé qu'il y a un nombre important--et je n'ai pas le chiffre exact en tête--de nouveaux documents dont la Cour n'était pas saisie dans l'affaire Jaballah no 1?

M. JABALLAH (par son interprète): Oui, et M. Galati a examiné ces nouveaux éléments de preuve, et il les a revus avec moi. Il a dit qu'il n'y avait rien de nouveau dans ces éléments de preuve. Il a également examiné la preuve avec moi, et nous sommes tous les deux d'accord pour dire que la seule nouvelle preuve a trait au numéro de téléphone qui a été trouvé en possession de Mahjoub, au sujet duquel je n'ai rien à dire, et la case postale qui n'était en fait pas utilisée, et cela faisait déjà partie de la preuve dans la première affaire.

Tout ce que mon avocat a examiné fait l'objet du témoignage que j'ai donné dans la première instance. Je ne sais pas ce que je pourrais ajouter de nouveau maintenant.

LA COUR: M. Batt, avez-vous des questions, uniquement au sujet de la position de M. Jaballah à cette étape? Avez-vous des questions à ce sujet et rien d'autre?

M. BATT: Je veux seulement m'assurer qu'il comprend qu'il s'agit là d'une possibilité raisonnable qui lui est donnée d'être entendu. Il a le droit d'exposer sa position s'il souhaite le faire. D'après ce que je comprends, s'il ne le fait pas, alors nous pouvons vous demander de déclarer que le certificat est raisonnable et la procédure d'expulsion pourra suivre son cours. S'il comprend cela, je pense que c'est l'essentiel.

M. JABALLAH (par son interprète): L'avocat est mon conseiller, je suis ses instructions tant et aussi longtemps que c'est lui qui est l'expert en droit. Je ne suis pas un expert en droit. C'est mon avocat qui dit que c'est ce qui devrait se passer. C'est son opinion et je suis d'accord avec lui.

M. BATT: Monsieur le juge, mon inquiétude c'est que, d'après ma perception, la déclaration que M. Galati a faite ce matin était une déclaration portant sur sa position personnelle dans le cadre de cette instance. Cela ne correspond pas nécessairement aux meilleurs intérêts de M. Jaballah. Il se peut fort bien qu'il doive avoir l'avis d'un autre avocat qui a une perception de l'instance différente de celle de M. Galati qui s'est essentiellement dissocié de la loi, d'après ce que je vois.

M. JABALLAH (par son interprète): Encore une fois, ma position est que je suis les instructions de mon avocat. C'est lui l'expert en droit et, à son avis, il n'y a rien de nouveau dans la preuve. Je suis ses instructions et son conseil.

LA COUR: Merci. Je veux vous demander juste une dernière fois--M. Jaballah ne veut d'avis de personne d'autre. Est-ce qu'il souhaite répondre à toute autre question en son propre nom?

M. JABALLAH (par son interprète): Je ne peux pas me représenter moi-même dans cette instance. J'ai mon avocat et je suis ses conseils et ses instructions.

LA COUR: M. Batt, si vous avez d'autres observations--je n'ai pas d'autres questions pour M. Jaballah. Souhaitez-vous poser d'autres questions ou faire d'autres observations?

M. BATT: Pour ce qui a trait au statut de M. Jaballah?

LA COUR: Non. D'après ce que je comprends, M. Jaballah ne souhaite pas retenir les services d'un autre avocat, il a décidé d'accepter l'avis de son ancien avocat de ne faire aucune observation en son propre nom, et il accepte que cela constitue, en vertu de la loi, la possibilité de répondre à la position des ministres.

[58]Je conclus que M. Jaballah a refusé la possibilité qui lui était donnée de demander les services d'un autre avocat. Je conclus également qu'il a refusé la possibilité qui lui était donnée de présenter des observations en son propre nom, à l'exception du fait qu'il a reconnu qu'il y avait des renseignements que les ministres ont qualifié de nouveaux dont la Cour n'était pas saisie dans l'affaire Jaballah no 1, au sujet de deux questions. La première, au sujet de laquelle il dit qu'il ne sait rien, portait sur des renseignements indiquant que son numéro de téléphone à Toronto avait été trouvé sur un papier en possession d'un certain Mahjoub, une personne ayant également fait l'objet d'une attestation en vertu de l'article 40.1 de la Loi de 1985 par les ministres demandeurs comme étant une personne non admissible au Canada. Dans ce cas, le juge Nadon a jugé l'attestation raisonnable en octobre 2001 (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Mahjoub, [2001] 4 C.F. 664 (1re inst.)). La deuxième question concernait la location par M. Jaballah d'une case postale, un point sur lequel il a témoigné dans l'affaire Jaballah no 1, case qu'il disait, comme il l'a fait en 1999, ne pas avoir utilisée. À tous les autres égards, les renseignements considérés par les ministres comme nouveaux, n'étaient pas nouveaux de l'avis de M. Jaballah, puisque ces renseignements étaient déjà en possession de la Cour dans l'affaire Jaballah no 1, une opinion qu'il a adoptée après avoir consulté son avocat, qui ne s'était pas encore retiré de l'instance.

[59]Je suis convaincu que M. Jaballah a compris qu'il s'agissait là d'une possibilité qui lui était donnée d'être entendu au sujet de l'avis des ministres et des renseignements sur lesquels cet avis était fondé, dans la mesure où ces renseignements lui ont été communiqués, conformément à l'alinéa 40.1(4)c) de la Loi de 1985, qui est maintenant l'alinéa 78(i) de la LIPR. Ces renseignements lui ont d'abord été fournis dans le résumé et les documents qui lui ont été remis en août 2001. Par la suite, le témoignage et le contre- interrogatoire de Mike en décembre 2001, les observations des ministres ayant trait au témoignage de Mike en janvier 2002, et les instructions de la Cour en février 2002 avaient tous pour but de communiquer à M. Jaballah des renseignements, sur lesquels l'avis des ministres se fonde, et qui selon eux sont nouveaux puisque le juge Cullen n'en n'était pas saisi en 1999 dans l'affaire Jaballah no 1.

[60]Je conclus que M. Jaballah a eu la possibilité d'être entendu concernant la question de sa non-admissibilité et des renseignements figurant dans le dossier public sur lesquels l'avis certifié des ministres se fonde, conformément à l'alinéa 78i) de la LIPR. Je conclus également qu'il a refusé d'exercer son droit d'utiliser cette possibilité. Il n'a pas répondu d'une façon détaillée ou significative aux renseignements et à la preuve dont était saisie la Cour.

8.     L'EXAMEN DES RENSEIGNEMENTS ET DE LA PREUVE, 1999 ET 2001

[61]Après l'interrogatoire de M. Jaballah par la Cour à l'audience du 11 mars 2002, les avocats des ministres, dans une requête verbale, ont proposé que la Cour statue que le certificat signé par les ministres le 13 août 2001, est raisonnable, suivant les décisions de la Cour dans Al Sayegh (Re) (1997), 131 F.T.R. 7 (C.F. 1re inst.) et Almrei (Re) (2001), 19 Imm. L.R. (3d) 297 (C.F. 1re inst.). Dans chacune de ces affaires, le juge a estimé que le certificat en question était raisonnable, après que la personne concernée eut refusé d'exercer la possibilité qui lui était donnée de répondre aux renseignements fournis et à l'avis des ministres.

[62]J'ai refusé d'accueillir la requête de la Couronne à cette étape puisque, à mon avis, la Cour doit en l'espèce déterminer s'il y a de nouveaux renseignements, dont la Cour n'était pas saisie ou qui n'étaient pas disponibles dans l'affaire Jaballah no 1, susceptibles d'appuyer, au sujet de l'avis des ministres dans la présente espèce, une conclusion différente de celle à laquelle est parvenu le juge Cullen dans la première décision. Je n'avais pris aucune décision sur cette question avant l'audience du 11 mars, et mes instructions du 5 février précisaient seulement que les ministres demandeurs, et non pas la Cour, considéraient qu'il s'agissait de nouveaux renseignements. À l'audience du 11 mars, j'ai noté que je dois évaluer les renseignements qui ont été communiqués à M. Jaballah, et les renseignements qui ne sont pas publics, afin de déterminer si l'avis certifié des ministres est raisonnable. Pour ce faire, au vu des principes de l'autorité de la chose jugée et de l'abus de procédure, et de l'avis exprimé pour lui et par M. Jaballah lui-même, je dois décider si la Cour est saisie de renseignements qui n'étaient pas à la disposition de la Cour dans l'affaire Jaballah no 1, et qui appuient l'avis des demandeurs qui a été certifié en août 2001.

9.     LE RETARD À DÉTERMINER LE CARACTÈRE RAISONNABLE DU CERTIFICAT

[63]En tant que juge désigné, je regrette que la décision sur la question ultime ait été retardée. Pour ma part, il m'a simplement fallu plus de temps que je ne le prévoyais pour comparer complètement les renseignements dont était saisi le juge Cullen dans l'affaire Jaballah no 1 et les renseignements dont la Cour est saisie dans la présente instance. Tant que cette tâche n'a pas été terminée, je ne pouvais conclure en toute équité que la Cour était saisie de nouveaux renseignements, différents de ceux dans l'affaire Jaballah no 1, et que les intérêts de M. Jaballah avaient été pris en compte de façon aussi complète et équitable que possible à la lumière de l'observation générale de son avocat, avant qu'il se retire de l'instance, et par la suite de M. Jaballah lui-même selon laquelle, en fait, la Cour n'est saisie dans la présente instance d'aucune nouvelle preuve d'importance. Aucune observation précise n'a été faite par le défendeur relativement aux renseignements dont la Cour est saisie à l'exception de sa réponse générale indiquant que ces renseignements ne sont pas nouveaux.

[64]Étant donné que mon examen des renseignements déposés en rapport avec les certificats de 1999 et de 2001, et mon examen du dossier et des observations faites en l'espèce sont à peu près terminés, et que la version préliminaire des présents motifs a été écrite à l'avance, l'avocat de M. Jaballah, qui s'est retiré de cette instance le 11 mars 2002, a écrit à la Cour le 1er juillet 2002, pour demander la suspension des procédures aux termes du paragraphe 79(1) de la LIPR, Loi qui est entrée en vigueur le 28 juin 2002 (TR/2002-97). Comme il en a été question plus tôt, l'instance a été suspendue, et les faits nouveaux ont été examinés dans Jaballah (Re), [2003] 3 C.F. 73 (1re inst.), précité, et dans la première partie des présents motifs. Ces faits nouveaux ont amené la Cour à décider de reprendre l'instance et d'assumer sa responsabilité première qui est d'évaluer le caractère raisonnable du certificat des ministres en date d'août 2001.

10.     LA PROCÉDURE CONDAMNÉE PAR L'AVO-CAT DE M. JABALLAH

[65]Avant d'aborder les questions consécutives à l'avis de la décision du ministre concernant la demande de protection, je traiterai d'une autre question d'importance, c'est-à-dire la condamnation de la procédure suivie en l'espèce par l'avocat de M. Jaballah avant son dessaisissement le 11 mars 2002.

[66]À cette date, j'ai demandé d'autres explications à l'avocat de M. Jaballah puisqu'il avait auparavant accepté la date de la reprise des audiences, pour la présentation des témoignages ou de la preuve en réponse à l'avis des ministres.

[67]Essentiellement, l'avocat a dit qu'il ne savait pas quelle preuve il devait réfuter et qu'il ne pouvait conseiller son client. Ses mots sont les suivants (transcription, 11 mars 2002, pages 883 à 886):

[traduction] [. . . ] je ne sais pas quelle est la preuve à réfuter. Je suis sûr que vous le savez, je suis sûr que mon collègue le sait, parce que vous avez tout vu. Je suis dans le noir. Franchement, de la façon dont je considère mon serment d'avocat et l'interprétation historique que je donne du système judiciaire, en fonction de son évolution, nous avons, à mon humble avis, et sans avoir l'intention de manquer de respect [. . .] les juges en Allemagne l'ont fait; les juges et les avocats ailleurs l'ont fait. Historiquement, ils ont pensé qu'ils agissaient correctement. En examinant mon serment d'avocat au regard de cette procédure, je pense que c'est une abomina-tion et une contravention des règles de justice naturelle, et que nous avons franchi la ligne au point où la Cour est utilisée en tant qu'outil d'enquête par les forces de sécurité, sans qu'il y ait une mise en balance des différents éléments par la Cour et sans équité pour la personne qui comparait devant elle.

[. . .]

Je ne sais absolument pas ce que je pourrais faire pour lui, sauf lui faire croire qu'il s'agit ici d'une analyse équitable et indépendante des allégations portées contre lui, ce à quoi, en vertu de mon serment d'avocat, je ne peux me résigner en toute équité.

En tant qu'avocat, je dois respecter mon propre serment.

Nous utilisons souvent l'expression «auxiliaire de la Cour», et cela n'a habituellement pas de sens. Toutefois, en l'espèce, cela signifie quelque chose pour moi. J'ai prêté serment --

[. . .]

[. . .] je dis que la procédure suivie en l'espèce par la Cour a été inventée par le SCRS en opposition flagrante avec le bon sens et le régime législatif.

[. . .]

Je ne vois pas qu'il n'y ait une pondération judiciaire d'après les éléments de preuve qui sont censés être retenus. Il y a une présomption dans la loi selon laquelle la preuve doit être communiquée à moins qu'elle ne porte préjudice à la sécurité nationale ou à des personnes.

La Cour suprême du Canada a indiqué très clairement quel était le critère à cet égard. Je n'ai pas participé à l'application de ce critère pour l'un ou l'autre des quelque 200 documents qui sont retenus. Je ne sais pas comment cela a été pondéré. Les pondérer en secret et me demander de prétendre et d'essayer de deviner comment s'est faite cette pondération et quelle était la preuve, équivaut à me demander de ne pas agir comme un avocat, mais bien pour le décorum.

[68]Ces observations de l'avocat n'ont pas beaucoup aidé la Cour, sauf pour lui indiquer sa frustration. J'ai décrit la procédure suivie en l'espèce avec force détails pour les fins du dossier. Je crois que la présente Cour n'a jamais cessé de suivre la procédure prévue par le législateur aux alinéas 40.1(4)a), b) et c) ainsi qu'aux alinéas 40.1(5.1)b) et d) de la Loi de 1985, qui s'appliquait à l'époque, procédure qui est maintenant énoncée essentiellement à l'article 78 de la LIPR. En outre, la Cour a ordonné et entendu le témoignage et le contre-interrogatoire de Mike, représentant du SCRS, ainsi que les observations qui s'y rapportaient, et elle a donné des instructions, notamment un résumé supplémentaire avec des passages mis en évidence et une liste de «nouveaux documents», qui avaient tous pour but de préciser pour le compte de M. Jaballah et son avocat les renseignements sur lesquels l'avis des ministres se fonde et qu'ils considéraient comme nouveaux puisque la Cour n'en était pas saisie dans l'affaire Jaballah no 1. Jusqu'en mars 2002, la présente instance avait pour but, outre d'autres questions préliminaires, de préciser quels étaient les renseignements dont était saisie la Cour et que les ministres disaient nouveaux et de s'assurer que M. Jaballah, personne nommée dans le certificat des ministres, puisse avoir une possibilité raisonnable d'être entendu en rapport avec leur avis et les renseignements sur lesquels cet avis se fondait.

[69]Dans les circonstances, je n'accepte pas la position de l'avocat selon laquelle la présente Cour a été utilisée par le SCRS comme un outil d'enquête, ni que la référence en l'espèce par les ministres à des renseignements produits dans l'affaire Jaballah no 1 indique que l'instance antérieure qui s'est déroulée devant le juge Cullen était simplement une enquête menant à la tenue de la présente instance. Pour ce qui est des préoccupations de l'avocat concernant la communication de renseignements, selon mon interprétation des dispositions législatives applicables, il existe une exception claire au principe selon lequel les renseignements fournis à la Cour par les ministres doivent être communiqués à la personne concernée, savoir lorsque la Cour, aux termes des alinéas 40.1(4)a) et b) ou du paragraphe 40.1(5.1) de la Loi de 1985, maintenant l'alinéa 78g) de la LIPR, détermine, en l'absence de la personne nommée dans le certificat et de son avocat, que les renseignements ne devraient pas être divulgués au motif que cette divulgation pourrait porter atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui. Ayant respecté les dispositions législatives et pris des mesures spéciales, avec le concours des avocats des ministres, pour préciser ce que les demandeurs considèrent comme de nouveaux renseignements, la Cour n'accepte pas la condamnation de la présente instance par l'avocat de M. Jaballah. Je reconnais qu'en vertu de la LIPR une personne qui fait l'objet du certificat des ministres et son avocat peuvent ne pas avoir accès aux renseignements sur lesquels s'appuient les ministres, position injuste peut-être, mais néanmoins prévue dans une loi fédérale.

11.     LE CARACTÈRE RAISONNABLE DU CERTIFI-CAT DES MINISTRES

a)     Le critère utilisé pour évaluer les nouveaux renseignements

[70]Aucune observation n'a été faite au nom de M. Jaballah ou par lui-même concernant le critère qu'il convient d'utiliser pour évaluer quels renseignements sont nouveaux, au sujet de la date d'entrée en vigueur de ce critère, ou au sujet des implications de l'avis des ministres selon lequel les renseignements dont était saisie la Cour dans l'affaire Jaballah no 1 devraient maintenant être réexaminés sous l'éclairage nouveau que donnent les nouveaux renseignements. Ne disposant d'aucune observation déposée au nom de M. Jaballah, je n'ai pas demandé aux avocats des demandeurs d'observations précises concernant le critère à utiliser pour identifier les nouveaux renseignements. L'analyse qui suit sur le critère qu'il convient d'appliquer à l'espèce a donc été construite sans l'avis ou les observations précises d'aucun des avocats des parties.

[71]Aux termes du paragraphe 80(1) de la LIPR, je dois déterminer si le certificat du ministre est raisonnable en me fondant sur la preuve et les renseignements dont la Cour est saisie, notamment ceux qui ont été communiqués à M. Jaballah, et ceux qui ont été déposés mais ne lui ont pas été communiqués pour des motifs de sécurité. Pour parvenir à cette décision, la Cour peut examiner les renseignements qui à son avis sont appropriés, même s'ils ne sont pas admissibles en preuve dans une poursuite civile ou criminelle ordinaire, et la décision peut se fonder sur ces renseignements (alinéa 78j) de la LIPR). En résumé, la Cour n'est pas liée par les règles traditionnelles de preuve et le juge désigné prend sa décision en s'appuyant sur les renseignements et la preuve déposés en Cour et sur lesquels le certificat est fondé.

[72]La décision à prendre n'est pas une question de fait dans le sens ordinaire des mots, mais plutôt une évaluation du caractère raisonnable de l'avis certifié qui a été pris dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire des ministres, au vu des renseignements sur lesquels l'avis est fondé. Bien que cela semble manifeste et tout à fait conforme à la Loi, dans le cas où un deuxième certificat de sécurité exprimant le même avis est délivré après que le premier a été annulé, la présente Cour accepte que les principes de l'autorité de la chose jugée, de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige ou de l'abus de procédure, puissent s'appliquer. La simple répétition de renseignements, n'apportant aucun changement significatif depuis la fin des procédures dans l'affaire Jaballah no 1, ne devrait pas mener à la réévaluation de ces renseignements en vue de déterminer le caractère raisonnable du deuxième avis certifié des ministres, à mon avis. S'il n'y a pas de nouveau renseignement, l'autorité de la chose jugée ou le principe de l'abus de procédure s'appliquerait pour empêcher que soit prise une décision différente de celle qui a été rendue dans l'affaire Jaballah no 1.

[73]L'article 40.1 de la Loi de 1985 ne renfermait aucune disposition prévoyant qu'un deuxième avis certifié des ministres puisse être déposé concernant la même personne, après qu'un premier avis eut été trouvé déraisonnable et, de même, l'article 77 de la LIPR ne contient aucune disposition de ce genre. Néanmoins, à mon avis, l'autorisation expresse de déposer un deuxième avis certifié n'est pas obligatoire. Ces instances sont exceptionnelles, elles sont conçues pour traiter de cas où les intérêts de la sécurité nationale, notamment, entrent en jeu du fait des antécédents ou des activités de non-canadiens qui demandent l'admission au Canada. À mon avis, cette procédure exceptionnelle n'est pas assujettie au principe selon lequel les parties à un litige ne peuvent intenter qu'une seule instance, du moins lorsqu'une nouvelle preuve ou de nouveaux renseignements sont présentés.

[74]S'il en était autrement, les intérêts permanents de la sécurité de l'État, évalués et réévalués sur la foi d'un ensemble de renseignements recueillis de diverses sources, pourraient être compromis. Les intérêts de la personne, les intérêts de l'équité procédurale et les efforts pour éviter qu'on en abuse sont bien servis si l'on applique, comme dans le cas des procédures judiciaires ordinaires, les principes de l'autorité de la chose jugée, de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige et de l'abus de procédure.

[75]Par analogie avec les procédures judiciaires civiles ordinaires, il semble approprié d'évaluer les «nouveaux renseignements» dans une deuxième instance en faisant référence aux règles et à la jurisprudence concernant la réception d'une nouvelle preuve en vue d'évaluer s'il y a lieu de modifier une question déjà décidée, ou de proposer la tenue d'un nouveau procès sur une question déjà tranchée.

[76]Le principe qui sous-tend le paragraphe 399(2) des Règles de la Cour fédérale (1998) [DORS/98-106], qui prévoit l'annulation ou la modification d'une ordonnance lorsque «des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l'ordonnance a été rendue», peut à mon avis s'appliquer par analogie en l'espèce afin d'évaluer quelle est la nouvelle preuve. Il est vrai que la Cour n'est saisie d'aucune requête visant à annuler ou à modifier l'ordonnance rendue par le juge Cullen dans l'affaire Jaballah no 1.

[77]Dans l'arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983, le juge Major, en maintenant la décision du juge de première instance de ne pas rouvrir le procès, a confirmé que le critère approprié pour déterminer si une nouvelle preuve justifie un nouveau procès est de savoir si la preuve découverte après le procès, si elle était présentée, aurait vraisemblablement modifié le résultat et si la preuve aurait pu être obtenue avant que le procès prenne fin en faisant preuve d'une diligence raisonnable. En outre, le juge Major a cité [au paragraphe 63] les observations suivantes de lord Denning dans l'arrêt Ladd c. Marshall, [1954] 1 W.L.R. 1489 (C.A.) [à la page 1491]:

[traduction] Trois conditions doivent être remplies pour justifier la réception d'un nouvel élément de preuve ou la tenue d'un nouveau procès. Premièrement, il faut démontrer qu'il n'aurait pas été possible en faisant preuve de diligence raisonnable d'obtenir l'élément de preuve pour le procès. Deuxièmement, il doit s'agir d'un élément de preuve qui, s'il était présenté, aurait probablement une influence importante sur l'issue de l'affaire; il n'est pas nécessaire toutefois qu'il soit déterminant. Troisièmement, l'élément de preuve doit pouvoir être présumé crédible ou, autrement dit, il doit être apparemment crédible, bien qu'il n'ait pas à être irréfutable.

[78]Ces mêmes principes, et en particulier celui selon lequel la nouvelle preuve aurait probablement eu une influence importante sur l'issue de l'affaire, ont été adoptés par le juge Teitelbaum, de la présente Cour, dans un contrôle judiciaire d'une décision du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) dans l'affaire Mackay c. Canada (Procureur général) (1997), 129 F.T.R. 286 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 26 et 27.

[79]À mon avis, l'application par analogie de ces principes, au sujet de la réception d'une nouvelle preuve après qu'une affaire a été décidée, mènerait à ce que la norme ou le critère suivant soit considéré comme adéquat pour ce qui devrait en l'espèce être reconnu comme des renseignements nouveaux.

(i) Les renseignements pertinents qui ont été découverts ou qui ont été portés à la connaissance des ministres demandeurs après le 1er novembre 1999, quand la première instance concernant le premier avis certifié s'est terminée par la décision prise dans l'affaire Jaballah no 1, constituent des nouveaux renseignements.

Ainsi, les renseignements qui ont été portés à la connaissance de la Cour au cours des témoignages ou autrement dans cette affaire, ou qui étaient alors à la disposition des ministres, mais qui n'ont pas été déposés devant le juge Cullen, ne peuvent être considérés comme des renseignements nouveaux pour les fins de la présente audience et de la présente décision.

(ii) «Les renseignements partiellement nouveaux» obtenus par le ministre après le 1er novembre 1999, qui sont pertinents et qui jettent un éclairage nouveau sur les renseignements connus ou qui pouvaient raisonnablement être obtenus avant cette date, si la totalité des renseignements, soit les nouveaux renseignements et les renseignements liés à l'affaire Jaballah no 1, permet de comprendre différemment ou de façon plus complète les circonstances, peuvent avoir de l'importance selon les conclusions du juge Cullen dans cette affaire.

Par exemple, de nouveaux renseignements au sujet du rôle et des activités de personnes ou de bureaux participant activement au groupe Al Jihad, avec qui on croit que M. Jaballah a eu des contacts, peuvent avoir de l'importance à moins que le juge Cullen n'ait conclu précisément que la preuve des contacts n'a pas été faite. Le principal motif de la décision dans l'affaire Jaballah no 1 reposait sur l'évaluation du juge Cullen selon laquelle la preuve produite par M. Jaballah et au nom de celui-ci était digne de foi, ce qui est une conclusion générale. Ceci inclut le témoignage de M. Jaballah dans lequel il affirme qu'il ne connaissait pas certaines des personnes dont les noms lui ont été mentionnés. Cela inclut également son aveu indiquant qu'il a eu des contacts avec certaines autres personnes et en particulier avec les bureaux de Londres d'un organisme que l'on dit maintenant être une façade pour AJ et Al-Qaïda.

[80]Je vais maintenant évaluer les renseignements dont la Cour est saisie, tout d'abord les renseignements figurant dans le dossier public que je considère comme nouveaux, et deuxièmement, les renseignements partiellement nouveaux qui jettent un éclairage nouveau sur des renseignements déjà connus, dont la Cour n'était pas saisie ou qui n'étaient pas à la disposition des ministres avant la décision dans l'affaire Jaballah no 1.

b)     LES NOUVEAUX RENSEIGNEMENTS FOURNIS AUX MINISTRES APRÈS LE 1er NOVEMBRE 1999

[81]La présente Cour est saisie de renseignements qui ont été communiqués aux ministres après le 1er novembre 1999, date à laquelle la première attestation a été annulée aux termes de l'ordonnance du juge Cullen, et qui sont versés dans le dossier public qui a été fourni à M. Jaballah, dans le résumé et les documents qui lui ont été remis en août 2001, dans le témoignage de Mike et dans le résumé supplémentaire qui lui a été remis sur instruction de la Cour le 5 février 2002.

[82]Ces renseignements concernent les questions importantes suivantes:

1) Un avis d'Interpol, publié le 13 juillet 1999, qui est parvenu au SCRS, agissant pour le compte du solliciteur général, le 29 novembre 1999 seulement, au sujet d'une personne identifiée comme étant Mahmoud Said, également connue sous le nom de Mahmoud Al Sayed Gaballah Said, qui était recherchée par le gouvernement égyptien en vertu d'un mandat alléguant qu'il était membre d'une organisation terroriste responsable de la planification et de la logistique, de la fourniture d'armes et d'explosifs et de l'évasion de terroristes actifs. En août 2000, le SCRS a reçu une comparaison certifiée par un expert de la GRC des empreintes digitales prises en 1996 par Immigration Canada à son arrivée au Canada, de Mahmoud Es-Sayyid Jaballah, le défendeur, et des empreintes fournies par le gouvernement égyptien à Interpol pour son avis de juillet 1999. Cette comparaison certifiée indique que les deux séries d'empreintes digitales appartiennent à la même personne. En l'absence de toute explication, il s'ensuit manifestement que M. Jaballah est la personne dont les empreintes digitales ont été communiquées en même temps que l'avis d'Interpol et en outre que M. Jaballah est la personne faisant l'objet d'un mandat d'arrestation en Égypte, bien que l'avis d'Interpol mentionne qu'il s'agit d'une personne répondant à un autre nom. M. Jaballah n'a pas répondu à ces renseignements, mais je note que cet avis a apparemment été mentionné comme l'un des fondements de sa demande de protection en juillet 2002, du moins c'est ce qui ressort de la correspondance de son avocat.

2) Les renseignements reçus depuis les rapports de novembre 1999 selon lesquels M. Jaballah a passé quelque temps en 1993 et 1994 en Afghanistan, pays qu'il a nié avoir visité quand il a témoigné dans l'affaire Jaballah no 1. M. Jaballah n'a pas réfuté ces renseignements indiquant qu'il s'était déjà rendu en Afghanistan.

3) Des renseignements ont découlé de l'arrestation de Mohamed Zeki Mahjoub, qui a été arrêté en 2000 en vertu de l'article 40.1 de la Loi de 1985, et qui a fait l'objet d'une attestation de sécurité que le juge Nadon, en 2001, a jugé raisonnable. M. Mahjoub a été décrit par Mike, dans le témoignage qu'il a donné devant moi, comme étant un agent secret de AJ oeuvrant au sein de la faction militante connue sous le nom de l'Avant-garde de la conquête, et également comme un membre du Conseil Shura qui est l'organe dirigeant de AJ. Au moment de son arrestation en 2000, M. Mahjoub avait en sa possession un papier portant un nom qu'il a reconnu comme faisant référence à M. Jaballah et qui mentionnait le numéro de téléphone de M. Jaballah. Dans la présente instance, M. Jaballah a répondu à ces renseignements, à l'audience de mars qui a suivi le dessaisissement de son avocat, en indiquant qu'il [traduction] «n'avait rien à dire» à ce sujet.

4) Des renseignements ont été reçus par les ministres au sujet de l'utilisation d'une case postale louée à Toronto par M. Jaballah sous un autre nom, dont l'existence a été révélée par M. Jaballah lui-même dans le cours de son témoignage dans l'affaire Jaballah no 1. Il a ensuite dit que la case postale avait été louée afin de servir de boîte anonyme pour que sa famille en Égypte puisse communiquer avec lui sans indiquer où il se trouvait, mais que la case postale n'avait pas été utilisée. Des renseignements maintenant à la disposition des ministres indiquent que des lettres adressées à M. Jaballah de sources canadiennes et étrangères avaient été reçues dans cette case postale à plusieurs reprises jusqu'en juin 1999. Dans son témoignage à ce sujet, Mike a décrit la preuve de l'utilisation comme étant une «preuve matérielle». En réponse à cela, M. Jaballah, dans un bref témoignage donné par l'intermédiaire d'un interprète après que son avocat se fut retiré de la présente procédure, a simplement dit ceci: [traduction] «la case postale [. . .] n'était en fait pas utilisée, et cela faisait déjà partie de la preuve dans la première affaire».

5) La deuxième question concernant la case postale de M. Jaballah est la suivante: bien qu'il n'y ait pas de renseignements concernant son utilisation d'un autre correspondant potentiel identifié, Mike a déclaré dans son témoignage que Khalil Said Deek, membre du comité d'information de AJ, et que l'on croit être un agent secret actif de l'organisation de Osama ben Laden, Al-Qaïda, quand il a été arrêté au Pakistan et qu'il a été expulsé vers la Jordanie, en décembre 1999, avait en sa possession un disque d'ordinateur qui indiquait, comme contact pour les publications d'AJ, l'adresse de la case postale de M. Jaballah à Toronto. M. Jaballah n'a pas répondu à cette information.

c)     LES RENSEIGNEMENTS PARTIELLE-MENT NOUVEAUX FOURNIS AUX MINISTRES EN 2001

[83]En outre, les ministres demandeurs disposent de nombreux nouveaux renseignements au sujet des opérations d'AJ et d'Al-Qaïda et des activités d'un certain nombre de leurs dirigeants. Ce sont principalement les nouveaux renseignements ayant trait à ces questions qui, d'après les ministres demandeurs, jettent un éclairage nouveau et font mieux comprendre les renseignements qui leur avaient été communiqués avant le 1er novembre 1999, au sujet de ces personnes, de leurs activités et de leurs relations avec M. Jaballah. Ces renseignements, que j'ai décrits pour les fins des présents motifs comme étant «partiellement nouveaux» concernent les faits suivants:

1) la place et le rôle d'Ayman Al Zawaheri, en tant que dirigeant d'AJ, dans l'intégration des opérations d'AJ avec Al-Qaïda, et en tant qu'aide principal d'Osama ben Laden. On croit que M. Jaballah aurait eu des contacts avec Al Zawaheri pendant qu'il se trouvait au Yémen ou au Pakistan;

2) le statut d'Ibrahim Eidarous et d'Abdel Al Bari en tant qu'agents secrets principaux d'AJ et d'Al-Qaïda à Londres, deux personnes avec qui on croit que M. Jaballah a eu des contacts téléphoniques à l'été de 1998, et leur rôle dans la revendication de la responsabilité d'AJ pour les attentats à la bombe dans les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie en août 1998. Pendant que ces audiences se poursuivaient, du moins jusque dans les premiers mois de 2002, ces deux hommes étaient détenus, faisaient l'objet de procédures judiciaires, en Angleterre, ainsi que d'une demande d'extradition pour faire face à des accusations aux États-Unis pour le rôle qu'ils ont joué dans les attentats à la bombe dans les ambassades américaines en 1998 en Afrique de l'Est;

3) Kassun Daher, citoyen canadien et membre d'une organisation extrémiste basée au Liban, a été arrêté en février 2000, et est en détention au Liban. Dans l'affaire Jaballah no 1, les contacts de M. Jaballah avec Daher au Canada et avec d'autres personnes qui se trouvent ici, et dont on croit qu'elles participent aux activités d'AJ, ont été explorés, mais il a ensuite reconnu qu'il avait eu des contacts limités, puis nié qu'il était au courant des activités terroristes de Daher et des autres. La participation de Daher à ces activités n'a été complètement comprise par le SCRS que lorsque celui-ci a obtenu des renseignements d'une autre source à la suite de l'arrestation de Daher. Les contacts de M. Jaballah avec Daher au Canada et après que celui-ci eut quitté le Canada sont à l'origine des préoccupations du SCRS à cet égard;

4) le rôle de Thirwat Salah Shehata dont M. Jaballah a reconnu, au cours de son témoignage dans l'affaire Jaballah no 1, qu'il le connaissait puisqu'il était son avocat en Égypte dans les années 1980. Les nouveaux renseignements communiqués aux ministres indiquent que Shehata est un dirigeant d'AJ et d'Al-Qaïda, qu'il a été pendant un certain temps membre d'un comité de trois personnes dirigeant AJ, le chef de son comité de sécurité et un membre de son organe dirigeant, le Majlis Shura. Bien que M. Jaballah prétende ignorer les activités de Shehata, de nouveaux renseignements indiquent qu'il y avait des liens étroits entre les deux hommes, notamment des contacts au nom de M. Jaballah avec Shehata au Yémen ou au Pakistan;

5) le rôle des centres d'AJ-Al-Qaïda à Bakou, en Azerbaïdjan et à Londres, en Angleterre, et plus particulièrement leur rôle en tant que centres de communication en ce qui a trait aux attentats à la bombe dans les ambassades américaines en Afrique de l'Est en août 1998, et les nouveaux renseignements au sujet des opérations de sécurité interne d'AJ sont tels que l'on croit que toute personne qui est en contact avec ces centres aurait pris part aux opérations de grande envergure d'AJ. D'après son propre témoignage dans l'affaire Jaballah no 1, M. Jaballah aurait été en contact avec le bureau de Londres du bureau international pour la défense du peuple égyptien (le BIDPE), peut-être à quelque 20 reprises à l'été de 1998, afin d'obtenir des renseignements à l'appui de sa revendication du statut de réfugié au Canada ou d'autres renseignements généraux. Ce bureau est situé à l'adresse même d'où AJ opérait à Londres, à ce qu'il ressort des renseignements partiellement nouveaux, sous la supervision d'Eidirous et d'Al Bari au moment des contacts de Jaballah avec Londres en 1998. On croit que ce bureau était une couverture pour les opérations d'AJ à Londres et qu'il servait de centre de communication pour les activités ayant trait au complot qui a mené aux attentats à la bombe dans les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie en 1998.

[84]Très peu de ces renseignements partiellement nouveaux font précisément référence au défendeur, M. Jaballah. Au cours des audiences qui se sont tenues devant le juge Cullen, M. Jaballah a déclaré dans son témoignage que ses contacts avec l'une ou l'autre des personnes qui ont été mentionnées ici, ou avec le bureau de Londres du BIDPE, ont eu lieu sans qu'il soit au courant d'activités terroristes ou d'une participation semblable de ces personnes ou du bureau de Londres. De l'avis des ministres, au vu des renseignements partiellement nouveaux, toute personne en contact avec MM. Al Zawaheri, Eidirous, Al Bari, Shehata, Daher et avec le bureau de Londres du BIDPE, comme l'aurait été M. Jaballah, et il l'admet à certains égards, participerait à des organisations extrémistes avec lesquelles on savait que ces personnes et ce bureau étaient associés. Cette perception se fonde en partie sur les nouveaux renseignements au sujet des opérations d'AJ et d'Al-Qaïda qui ont été effectuées par des cellules locales, au moyen de contacts limités avec un petit nombre de personnes-clés, afin d'assurer la sécurité interne de ces opérations.

[85]Il n'y a eu aucune réponse de la part de M. Jaballah ou en son nom à l'égard de la perception des ministres, découlant de ses contacts avec des agents secrets d'AJ et des nouveaux renseignements concernant les activités et les méthodes d'opération d'AJ, voulant qu'il ait participé à ces opérations d'AJ avant et après son arrivée au Canada. En outre, aucune réponse ou explication n'a été donnée concernant ses contacts avec ces personnes ou avec le bureau de Londres d'AJ, à l'exception de ce qu'il a dit dans son témoignage dans l'affaire Jaballah no 1. Le juge Cullen a accepté ce témoignage comme étant essentiellement digne de foi, mais sa décision a été prise alors qu'il disposait de beaucoup moins d'information que ce qui est le cas en l'espèce, particulièrement au sujet des opérations d'AJ, de leur organisation et des méthodes adoptées pour assurer la sécurité interne. L'inférence qui s'en dégage et qui est maintenant renforcée par les nouveaux renseignements est défavorable à M. Jaballah, et à moins qu'il ait été un agent secret principal d'AJ-Al-Qaïda, il ne pouvait avoir des contacts avec autant d'autres personnes qui étaient des membres importants et actifs au sein de ces organisations.

d)     LA CONCLUSION CONCERNANT LES NOUVEAUX RENSEIGNEMENTS DONT LA PRÉSENTE COUR EST SAISIE

[86]Je conclus que la présente Cour est saisie de nouveaux renseignements qui n'étaient pas en possession de la Cour dans l'affaire Jaballah no 1. Certains de ces renseignements sont importants en raison de leurs implications directes pour M. Jaballah, notamment l'avis d'Interpol et l'identification, au moyen de la comparaison des empreintes digitales, de la personne désignée dans cet avis comme étant M. Jaballah, les renseignements indiquant qu'il s'est rendu en Afghanistan, le fait que son numéro de téléphone ait été retrouvé en possession de M. Mahjoub, le fait que la case postale qu'il a louée de façon anonyme a été utilisée et que son adresse se trouvait sur un disque d'ordinateur en possession d'un extrémiste accusé et détenu en Jordanie, et des renseignements indiquant que certaines personnes avec qui M. Jaballah a eu des contacts étaient des agents secrets actifs ayant des responsabilités importantes au sein d'AJ-Al-Qaïda, dont certaines de ces personnes ont été impliquées dans des communications concernant les attentats à la bombe au Kenya et en Tanzanie en 1998.

[87]Ces renseignements, qui étaient nouveaux pour les ministres et dont la Cour n'était pas saisie dans l'affaire Jaballah no 1, figurent tous dans le dossier public, dans les résumés et les documents communiqués à M. Jaballah, et dans le témoignage de Mike. La décision dans l'affaire Jaballah no 1 a été rendue sans le bénéfice d'autres nouveaux renseignements dont la Cour est maintenant saisie, qui n'ont pas été divulgués à M. Jaballah en raison des préoccupations pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui, et qui ont trait aux contacts entre M. Jaballah et d'autres personnes participant aux opérations d'AJ. Ces renseignements, qui ne font pas partie du dossier public, contredisent en partie le témoignage que M. Jaballah a donné dans l'affaire Jaballah no 1, et ils ne pourraient être ignorés que si M. Jaballah donnait une explication convaincante, qu'il est seul à pouvoir donner, ce qu'il a refusé de faire.

[88]À mon avis, considérant uniquement les renseignements publics dont la Cour est saisie et qui sont nouveaux et importants, et que les ministres n'ont pu se procurer avant le 1er novembre 1999, ces renseigne-ments, s'ils avaient été disponibles au moment de la première instance, auraient fort bien pu mener à une conclusion différente dans l'affaire Jaballah no 1. Cette conclusion est renforcée par d'autres renseignements nouveaux portés à la connaissance de la Cour et qui n'ont pas été communiqués à M. Jaballah au motif que leur communication porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui.

[89]Dans les circonstances, les principes de l'autorité de la chose jugée, de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige et de l'abus de procédure, invoqués parce qu'il s'agit d'une deuxième instance ayant trait à un second certificat, concernant le même avis que celui dont la Cour était saisie dans l'affaire Jaballah no 1, ne s'appliquent pas en l'espèce.

e)     LA CONCLUSION SUR LE CARACTÈRE RAISONNABLE DU CERTIFICAT

[90]Comme je l'ai déjà noté et comme je le répète maintenant, je conclus, conformément à la loi, telle qu'elle était appliquée alors, et à l'alinéa 78(i) de la LIPR, que M. Jaballah a eu une possibilité raisonnable d'être entendu, de répondre à l'avis certifié par les ministres le 13 août 2001 et aux renseignements qui lui ont été communiqués et sur lesquels se fonde cet avis. Il n'a répondu à aucun des nouveaux renseignements importants dont la Cour est saisie, qui n'étaient pas en possession du juge Cullen dans l'affaire Jaballah no 1.

[91]C'est dans ces circonstances que les avocats des ministres ont demandé verbalement, à l'audience de mars 2002, que la Cour conclue que le certificat des ministres concernant M. Jaballah est raisonnable.

[92]Comme dans les décisions Al Sayegh (Re), et Almrei (Re), précitées, lorsqu'une personne qui fait l'objet de l'avis des ministres a eu la possibilité de répondre à cet avis et aux renseignements sur lesquels celui-ci se fonde, mais qu'elle refuse de donner des explications ou de répondre, la Cour n'a d'autre choix que d'évaluer si l'avis certifié est raisonnable en s'appuyant uniquement sur la preuve dont elle est saisie.

[93]L'avis certifié indique que M. Jaballah n'est pas admissible au Canada pour des motifs de sécurité, selon le libellé du paragraphe 77(1) de la LIPR. Ces motifs, décrits en août 2001 en vertu des dispositions de ce qui était alors l'article 19 de la Loi de 1985, trouvent maintenant leur expression aux alinéas 34(1)b), c) et f) de la LIPR.

[94]Je conclus que les renseignements faisant partie du dossier public incluent des éléments qui appuient la conclusion selon laquelle l'avis des ministres est raisonnable, particulièrement en l'absence d'une explication ou d'une réponse de M. Jaballah. Je fais référence en particulier à l'avis d'Interpol, au fait que le numéro de téléphone de M. Jaballah a été retrouvé en possession de M. Mahjoub lors de son arrestation, aux renseignements concernant la mention de l'adresse de la case postale de M. Jaballah à Toronto dans des renseignements contenus sur un disque d'ordinateur saisi à l'arrestation de M. Deek en Jordanie, à l'utilisation de la case postale de M. Jaballah malgré son déni, aux liens de communication ou aux relations qui existent entre M. Jaballah et les principaux dirigeants d'AJ ou de son bureau de Londres, et à l'inférence selon laquelle seules des personnes qui étaient activement liées aux principaux dirigeants de l'organisation pouvaient avoir un tel accès. Toutes ces questions, versées au dossier public qui a été remis à M. Jaballah, fournissent à mon avis un fondement raisonnable à l'avis des ministres selon lequel M. Jaballah était l'instigateur ou l'auteur d'actes visant au renversement d'un gouvernement par la force, en l'espèce le gouvernement égyptien (au sens de l'alinéa 34(1)b) de la LIPR), qu'il s'est livré au terrorisme ( au sens de l'alinéa 34(1)c) de la LIPR), et qu'il est membre d'une organisation, en l'espèce Al Jihad (AJ), dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle est, a été ou sera l'auteur d'un acte visant au renversement par la force du gouvernement égyptien ou qu'elle se livrera au terrorisme (au sens de l'alinéa 34(1)f) de la LIPR).

[95]Je note que le terme «terrorisme», utilisé à l'article 19 de la Loi de 1985, et utilisé dans un sens similaire à l'article 34 de la LIPR, n'est pas d'un mot qui souffre d'une imprécision inconstitutionnelle. Dans l'arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), précité, au paragraphe 98, la Cour a fait l'observation suivante:

À notre avis, on peut conclure sans risque d'erreur, suivant la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, que le terme «terrorisme» employé à l'art. 19 de la Loi inclut tout «acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s'abstenir d'accomplir un acte quelconque». Cette définition traduit bien ce que l'on entend essentiellement par «terrorisme» à l'échelle internationale. Des situations particulières, à la limite de l'activité terroriste, susciteront inévitablement des désaccords. Le législateur peut toujours adopter une définition différente ou plus détaillée du terrorisme. La question à trancher en l'espèce consiste à déterminer si le terme utilisé dans la Loi sur l'immigration a un sens suffisamment certain pour être pratique, raisonnable et constitutionnel. Nous estimons que c'est le cas.

[96]Je note de plus que dans le document DORS/2002-284, en date du 23 juillet 2002, le gouverneur général en conseil, agissant aux termes du paragraphe 83.05(1) du Code criminel, édicté par L.C. 2001, ch. 41, art. 4, sur la recommandation du solliciteur général du Canada, a adopté le Règlement établissant une liste d'entités. À l'article premier, ce règlement énumère une liste d'entités, dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles se sont, sciemment, livrées ou tenté de se livrer à une activité terroriste, y ont participé ou l'ont facilitée, ou qui, sciemment, ont agi au nom d'une telle entité, sous sa direction ou en collaboration avec elle. Les entités énumérées incluent Al-Qaïda, Al Jihad (AJ) également connu sous le nom de Jihad islamique égyptien (JIE), et l'Avant-garde de la conquête.

[97]Les renseignements en possession des ministres et versés au dossier public qui ont été remis par la Cour à M. Jaballah, appuient à mon avis clairement la conclusion que l'avis certifié des ministres est raisonnable, que M. Jaballah n'est pas admissible au Canada pour des motifs de sécurité, comme il a été conclu précédemment en rapport avec des motifs énumérés aux alinéas 34(1)b), c) et f) de la LIPR. Je décide, notant l'absence de toute réponse conséquente du défendeur, M. Jaballah, ou en son nom, que l'avis certifié par les ministres demandeurs le 13 août 2001 est raisonnable.

PARTIE III     LES CONCLUSIONS, ORDONNANCES ET DÉPENS

[98]Un résumé des principales décisions de la Cour est donné ci-dessous.

1. La requête du défendeur, M. Jaballah, qui a été entendue le 11 avril 2003, est accueillie en partie, c'est-à-dire que, pour ce qui concerne le rapport d'un agent sur l'évaluation des risques avant renvoi, daté du 15 août 2002, qui a été déposé, celui-ci est réputé constituer l'évaluation du risque du ministre concernant M. Jaballah, si celui-ci devait être renvoyé en Égypte.

2. La requête est également accueillie en ce que la Cour estime que l'accumulation du retard à décider de la demande de protection de M. Jaballah constitue un abus de procédure, parce qu'il n'a pas été expliqué de façon satisfaisante, et qu'il n'existe pas de prévision raisonnable quant à la date à laquelle la décision pourra être rendue, alors que M. Jaballah est toujours détenu, en isolement cellulaire depuis le 14 août 2001, sans disposer du droit de faire revoir les motifs de cette détention.

3. Cet abus justifie la reprise du rôle principal de la Cour dans la présente instance et qui est d'évaluer le caractère raisonnable de l'avis certifié des ministres, mais cet abus qui a trait à une procédure accessoire au rôle principal de la Cour ne justifie pas d'annuler le certificat, et ne justifie pas non plus la libération de M. Jaballah sans qu'il y ait un examen normal des motifs de sa détention.

4. L'instance concernant le certificat est reprise, ce qui laisse en suspens la décision nécessaire que doit prendre le ministre ou son délégué concernant la demande de protection de M. Jaballah.

5. La procédure de la Cour ayant trait au certificat a respecté les exigences de la Loi sur l'immigration, qui est maintenant la LIPR. Ce faisant, la procédure est à mon avis légale.

6. La Cour est saisie de nouveaux renseignements et d'une preuve nouvelle dont n'était pas saisie la Cour dans l'affaire Jaballah no 1, renseignements qui, s'ils avaient été connus au moment de cette première instance, auraient pu mener le juge Cullen à une conclusion différente.

7. M. Jaballah, qui était au début représenté par un avocat, et qui par la suite s'est représenté lui-même, a eu une possibilité raisonnable de répondre aux nouveaux renseignements dont était saisie la Cour, mais il ne l'a pas fait.

8. À la lumière des renseignements et de la preuve dont la Cour est saisie, en particulier des nouveaux renseignements qui n'ont pas été produits dans l'affaire Jaballah no 1, le certificat des ministres, en date du 13 août 2001, est raisonnable, d'après les renseignements et la preuve versés au dossier public qui a été remis à M. Jaballah. En outre, cette conclusion est appuyée par d'autres renseignements qui étaient à la disposition de la Cour et qui n'ont pas été communiqués au défendeur pour des motifs de sécurité nationale.

9. L'avis certifié des ministres, qui est maintenant jugé raisonnable, est que M. Jaballah n'est pas admissible au Canada puisqu'il est visé aux alinéas 34(1)b), 34(1)c) et 34(1)f) de la LIPR.

[99]Des ordonnances et des décisions distinctes sont maintenant rendues. La première concerne les décisions portant sur les questions procédurales et autres qui découlent de l'examen des observations des parties le 11 avril 2003. La deuxième énonce ma décision selon laquelle le certificat des ministres est raisonnable.

DÉPENS

[100]Pour ce qui est des dépens, M. Jaballah a demandé les frais sur la base procureur/client pour sa requête entendue le 11 avril 2003. Celle-ci a été accueillie en partie. À mon avis, la requête aurait été inutile n'eut été de l'accumulation du retard non expliqué pour décider de sa demande de protection, retard qui se poursuit encore à ce jour. Ce retard dans les circonstances constitue un abus de procédure. M. Jaballah a droit aux dépens pour la préparation et la tenue de l'audience du 11 avril 2003, sur la base des frais procureur/client.

[101]Les ministres demandeurs n'ont pas demandé les dépens. Si l'une ou l'autre des parties a d'autres questions au sujet des dépens de la présente instance, et sur lesquels l'autre partie n'est pas d'accord, la question peut être soulevée au moyen d'observations écrites ou par comparution personnelle.

Annexe A

Extrait de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, et ses modifications.

Disposition comparable de la Loi de 1985

Section 9

Examen de renseignements

à protéger

Examen à la demande du ministre et du solliciteur général

76. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente section.

«juge» Le juge en chef adjoint de la Cour fédérale ou le juge de la Section de première instance de cette juridiction désigné par celui- ci.

Aucune

«renseignements» Les renseignements en matière de sécurité ou de criminalité et ceux obtenus, sous le sceau du secret, de source canadienne ou du gouvernement d'un État étranger, d'une organisation internationale mise sur pied par des États ou de l'un de leurs organismes.

paragraphe 40.1(4)

77. (1) Le ministre et le solliciteur général du Canada déposent à la Section de première instance de la Cour fédérale le certificat attestant qu'un résident permanent ou qu'un étranger est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée pour qu'il en soit disposé au titre de l'article 80.

paragraphe 40.1(1)

(2) Il ne peut être procédé à aucune instance visant le résident permanent ou l'étranger au titre de la présente loi tant qu'il n'a pas été statué sur le certificat; n'est pas visée la demande de protection prévue au paragraphe 112(1).

paragraphe 40.1(2)

78. Les règles suivantes s'appliquent à l'affaire:

a) le juge entend l'affaire;

paragraphes 40.1(4), 40.1 (5)

b) le juge est tenu de garantir la confidentialité des renseignements justifiant le certificat et des autres éléments de preuve qui pourraient lui être communiqués et dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui;

paragraphe 40.1(4)

c) il procède, dans la mesure où les circonstances et les considérations d'équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et selon la procédure expéditive;

paragraphe 40.1(4)

d) il examine, dans les sept jours suivant le dépôt du certificat et à huis clos, les renseignements et autres éléments de preuve;

paragraphe 40.1(4)

e) à chaque demande d'un ministre, il examine, en l'absence du résident permanent ou de l'étranger et de son conseil, tout ou partie des renseignements ou autres éléments de preuve dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui;

Aucune

f) ces renseignements ou éléments de preuve doivent être remis aux ministres et ne peuvent servir de fondement à l'affaire soit si le juge décide qu'ils ne sont pas pertinents ou, l'étant, devraient faire partie du résumé, soit en cas de retrait de la demande;

alinéa 40.1(5.1) c)

g) si le juge décide qu'ils sont pertinents, mais que leur divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle d'autrui, ils ne peuvent faire partie du résumé, mais peuvent servir de fondement à l'affaire;

alinéa 40.1(5.1) d)

h) le juge fournit au résident permanent ou à l'étranger, afin de lui permettre d'être suffisamment informé des circonstances ayant donné lieu au certificat, un résumé de la preuve ne comportant aucun élément dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui;

alinéa 40.1(4) b)

i) il donne au résident permanent ou à l'étranger la possibilité d'être entendu sur l'interdiction de territoire le visant;

article 40.1

j) il peut recevoir et admettre en preuve tout élément qu'il estime utile--même inadmissible en justice--et peut fonder sa décision sur celui-ci.

paragraphe 40.1(5)

79. (1) Le juge suspend l'affaire, à la demande du résident permanent, de l'étranger ou du ministre, pour permettre à ce dernier de disposer d'une demande de protection visée au paragraphe 112(1).

Aucune

(2) Le ministre notifie sa décision sur la demande de protection au résident permanent ou à l'étranger et au juge, lequel reprend l'affaire et contrôle la légalité de la décision, compte tenu des motifs visés au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale.

Aucune

80. (1) Le juge décide du caractère raisonnable du certificat et, le cas échéant, de la légalité de la décision du ministre, compte tenu des renseignements et autres éléments de preuve dont il dispose.

alinéa 40.1(4)d)

(2) Il annule le certificat dont il ne peut conclure qu'il est raisonnable; si l'annulation ne vise que la décision du ministre il suspend l'affaire pour permettre au ministre de statuer sur celle-ci.

alinéa 40.1(4)d)

(3) La décision du juge est définitive et n'est pas susceptible d'appel ou de contrôle judiciaire.

Aucune

81. Le certificat jugé raisonnable fait foi de l'interdiction de territoire et constitue une mesure de renvoi en vigueur et sans appel, sans qu'il soit nécessaire de procéder au contrôle ou à l'enquête; la personne visée ne peut dès lors demander la protection au titre du paragraphe 112(1).

(a) it is conclusive proof that the permanent resident or the foreign national named in it is inadmissible;

section 40.1

(c) the person named in it may not apply for protection under subsection 112(1).

section 40.1

Détention

82. (1) [. . .]

(2) L'étranger nommé au certificat est mis en détention sans nécessité de mandat. Detention

alinéa 40.1(7)b)

[. . .]

84. (1) [. . .]

(2) Sur demande de l'étranger dont la mesure de renvoi n'a pas été exécutée dans les cent vingt jours suivant la décision sur le certificat, le juge peut, aux conditions qu'il estime indiquées, le mettre en liberté sur preuve que la mesure ne sera pas exécutée dans un délai raisonnable et que la mise en liberté ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui.

paragraphe 40.1(8), 40.1(9)

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