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A-313-02

2003 CAF 157

Le procureur général du Canada (demandeur)

c.

Loreto Scarola (défendeur)

Répertorié: Canada (Procureur général) c. Scarola (C.A.)

Cour d'appel, juges Létourneau, Nadon et Sharlow-- Toronto, 13 mars; Ottawa, 26 mars 2003.

Juges et tribunaux -- Cour canadienne de l'impôt -- Compétence inhérente d'annuler des avis de désistement -- Affaire de prestations d'assurance-emploi -- Présomption de rejet de l'appel en vertu de l'art.16.2(2) de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt après que l'avocat eut informé la Cour que l'appel avait été abandonné -- La C.C.I. avait par la suite autorisé l'annulation de l'avis de désistement -- Divergences de vues entre les juges de la C.C.I. sur ce point, sur lequel la C.A.F. n'avait jamais statué -- Les motifs sous-tendant l'adoption de l'art.16.2 ont été expliqués -- L'intérêt public exige que les litiges en arrivent à une solution définitive -- La disposition déterminative de l'art. 16.2 crée une fiction juridique -- Il a été fait mention des explications données par les auteurs au sujet du but et de l'application des fictions juridiques -- Conformément à l'art. 16.2, un désistement acquiert tous les attributs d'un rejet par interprétation -- Le pouvoir de la Cour est épuisé: la Cour est dessaisie en l'absence de circonstances telles qu'une fraude -- L'art. 172 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (Procédure générale) (la règle du «lapsus») permet la modification d'un jugement dans certains cas, qui ne s'appliquaient pas en l'espèce -- L'art. 16.2 a éliminé toute compétence inhérente ou résiduelle de la C.C.I. permettant le retrait d'un avis de désistement.

Il s'agissait d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision par laquelle la Cour canadienne de l'impôt avait autorisé l'annulation d'un avis de désistement et le rétablissement d'un appel. La compétence inhérente de la Cour de l'impôt d'annuler des avis de désistement était en cause.

Le défendeur avait reçu des prestations d'assurance-emploi s'élevant à 17 000 $, mais l'Agence des douanes et du revenu du Canada avait par la suite demandé le remboursement de ce montant, plus le paiement de pénalités et d'intérêts, l'emploi exercé par le défendeur ne rendant pas celui-ci admissible aux prestations. Le défendeur en avait appelé de la conclusion relative à l'inadmissibilité. Le ministre a subséquemment informé le défendeur que son emploi était assurable, mais que son contrat de louage de services n'avait été valide que pendant 18 semaines. L'avocat ayant écrit au ministre en vue d'interjeter appel contre cette décision, sa lettre a été transmise à la Cour de l'impôt, qui l'a considérée comme un avis d'appel. L'avocat a ensuite informé la Cour que l'appel avait été abandonné, de sorte que le greffe avait présumé que l'appel avait été rejeté: Loi sur la Cour canadienne de l'impôt, paragraphe 16.2(2). L'avocat a ensuite écrit à la Cour à trois reprises: 1) pour lui demander l'autorisation de poursuivre l'appel; 2) pour lui demander de ne pas tenir compte de la lettre antérieure; 3) pour demander encore une fois de rétablir l'appel. Le procureur général a ensuite demandé le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Cour de l'impôt avait autorisé l'annulation de l'avis de désistement.

Arrêt: la demande doit être accueillie.

Il existe des divergences de vues entre les juges de la Cour de l'impôt au sujet de la question de savoir si cette cour possède la compétence inhérente nécessaire pour annuler un avis de désistement et, dans l'affirmative, si l'article 16.2 de la Loi fait obstacle à l'exercice de cette compétence. La Cour de l'impôt était saisie de cette question dans l'affaire Bogie c. Canada; la décision, dans cette affaire-là, a fait l'objet d'un appel devant la présente Cour, mais le juge Robertson ne s'est pas prononcé sur la question, celle-ci devant faire l'objet d'un examen futur.

L'article 16.2 de la Loi indique la nécessité d'avoir des décisions définitives en vue d'assurer la bonne administration de la justice. Cette disposition a été édictée en réponse au jugement rendu par le juge Heald dans l'affaire McCambridge c. R. La Commission de révision de l'impôt avait statué qu'elle ne pouvait pas entendre un appel lorsque l'avis d'appel avait été retiré. La Commission avait ainsi dérogé à sa politique antérieure, qui consistait à rendre jugement lorsqu'un appel avait été abandonné. Toutefois, le juge Heald a statué que, compte tenu de la législation alors en vigueur, la Commission devait prendre des mesures pour régler un appel. L'article 16.2 visait à dispenser de la nécessité de rendre un jugement formel en cas de désistement. Cette disposition libérait les ressources judiciaires à un moment où il y avait de plus en plus de litiges. L'intention était d'assurer que les litiges de nature fiscale en arrivent à une solution définitive.

L'article 16.2 est une disposition déterminative qui crée une fiction juridique consistant à travestir les faits et à en tirer des conséquences de droit qui s'attacheraient à la vérité que l'on feint, si celle-ci existait sous les dehors qu'on lui prête. Pareilles fictions révèlent notre capacité restreinte de créer des concepts pleinement adaptés aux réalités. Conformément à l'article 16.2, un désistement acquiert tous les attributs d'un rejet. Les pouvoirs de la Cour sont épuisés; la Cour est dessaisie en l'absence d'une fraude ou d'un pouvoir prévu par la loi l'autorisant à conserver le pouvoir perdu. L'article 172 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (Procédure générale) (la règle du «lapsus») prévoit pareil pouvoir, qui permet à la Cour de l'impôt d'annuler ou de modifier un jugement dans certains cas restreints (lorsqu'il comporte une erreur découlant d'un lapsus ou d'une omission ou s'il doit être modifié relativement à une question sur laquelle la Cour n'a pas statué). Il arrive souvent que les fictions juridiques ne s'intègrent pas pleinement avec les autres dispositions législatives pertinentes. Il faut parfois faire les ajustements nécessaires pour éviter des injustices possibles.

L'article 172 des Règles s'appliquerait au rejet prévu au paragraphe 16.2(2) si les conditions nécessaires étaient remplies. Cependant, en l'espèce, la fraude n'était pas alléguée et on n'a signalé aucun fait survenu ou découvert après le rejet. L'article 16.2 a éliminé toute compétence inhérente ou rési-duelle permettant le retrait d'un avis de désistement.

lois et règlements

Loi sur la Cour canadienne de l'impôt, L.R.C. (1985), ch. T-2, art. 13 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 67), 16.2(2) (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 51, art. 5).

Règles de la Cour canadienne de l'impôt (Procédure générale), DORS/90-688, art. 172 (mod. par DORS/96-503, art. 4).

jurisprudence

décisions appliquées:

Laskaris c. Ministre du Revenu national (1990), 90 DTC 1364 (C.C.I.); Baker c. Canada, [1999] 2 C.T.C. 2388 (C.C.I.); Roberts c. Canada, [2001] A.C.I. no 866 (QL); Sixgraph Informatique Ltée c. Canada, [2000] A.C.I. no 720 (QL); R. c. Verrette, [1978] 2 R.C.S. 838; (1978), 85 D.L.R. (3d) 1; 40 C.C.C. (2d) 273; 3 C.R. (3d) 132; 21 N.R. 571.

décisions examinées:

Bogie c. Canada (1997), 97 DTC 1079 (C.C.I.); Bogie c. Canada, [1998] 4 C.T.C. 195; (1998), 98 DTC 6679; 233 N.R. 163 (C.A.F.); Rutledge c. Canada, [2001] 1 C.T.C. 2569; (2000), 2001 DTC 65 (C.C.I.); McCambridge c. R., [1980] 2 C.F. 142; [1979] CTC 473; (1979), 79 DTC 5412; 36 N.R. 299 (C.A.).

décision citée:

Lehner c. M.R.N., [1997] 2 C.T.C. 309; (1997), 97 DTC 5270 (C.A.F.).

doctrine

Jacob, I. H. «The Inherent Jurisdiction of the Court» (1970), 23 Current Legal Problems 23.

Létourneau, G. «Les fictions en droit public» in Les fictions du droit. Montréal: Éditions Thémis, 2001.

Thomas, Yan. «Fictio Legis. L'empire de la fiction romaine et ses limites médiévales» (1995), 21 Droits -- Revue française de théorie juridique 17.

Wicker, G. Les fictions juridiques -- Contribution à l'analyse de l'acte juridique. Paris: L.G.D.J., 1994.

DEMANDE de contrôle judiciaire d'une décision de la Cour canadienne de l'impôt (Scarola c. Canada (Ministre du Revenu national -- M.R.N.), [2002] A.C.I. no 189 (QL)) autorisant l'annulation d'un avis de désistement relatif à un appel. Demande accueillie.

ont comparu:

J. Paul Malette, c.r. et Brent E. Cuddy pour le demandeur.

Mitchell Worsoff pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier:

Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.

Worsoff, Silver, Toronto, pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]Le juge Létourneau, J.C.A.: La présente demande de contrôle judiciaire soulève la question de savoir si la Cour canadienne de l'impôt (la Cour) avait la compétence inhérente voulue pour annuler les avis de désistement qui avaient été déposés auprès d'elle à l'égard d'une instance dont elle était saisie [[2002] A.C.I. no 189 (QL)].

Les faits

[2]Les faits sous-tendant la présente affaire ne sont pas contestés. Le défendeur avait reçu des prestations d'assurance-emploi (les PAE) s'élevant à 17 000 $. Par la suite, il a été décidé que l'emploi ne rendait pas le défendeur admissible aux prestations puisqu'il était un nouveau venu sur le marché du travail. L'Agence des douanes et du revenu du Canada a donc cherché à obtenir le remboursement de la somme de 17 000 $, plus le paiement de pénalités et d'intérêts, le montant total en cause s'élevant à environ 41 000 $. L'avocat du défendeur a réussi à faire annuler les pénalités et les intérêts. Le défendeur en a appelé de la conclusion relative à l'inadmissibilité.

[3]Par une lettre en date du 23 janvier 2001, le défendeur a été informé par le ministre du Revenu national (le ministre) que son emploi était assurable, mais que son contrat de louage de services [traduction] «n'[avait] été valide que pendant 18 semaines, c'est-à-dire du 10 août au 11 décembre 1992». L'avocat a écrit au ministre pour le compte de son client en vue d'interjeter appel contre cette décision. Le ministre a transmis cette lettre à la Cour qui, le 12 février 2001, en a accusé réception et l'a considérée comme un avis d'appel valide.

[4]Le 20 février 2001, l'avocat du défendeur a informé la Cour par télécopieur que son client avait abandonné l'appel. Dans sa lettre du 21 février 2001, le greffe a présumé que l'appel était rejeté conformément au paragraphe 16.2(2) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 51, art. 5] de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt, L.R.C. (1985), ch. T-2, dans sa forme modifiée (la Loi).

[5]Le 26 avril 2001, l'avocat du défendeur a écrit à la Cour pour lui demander de ne pas tenir compte de sa lettre du 20 février et d'autoriser son client à poursuivre l'appel. Le 9 mai, le demandeur s'est opposé à la demande. La requête relative à cette demande a été mise au rôle pour audition le 20 juin 2001.

[6]Le 14 juin 2001, l'avocat a de nouveau écrit au greffier de la Cour pour lui demander, cette fois, de ne pas tenir compte de la lettre du 26 avril 2001 dans laquelle il demandait que son client soit autorisé à poursuivre l'appel. Le 28 août 2001, l'avocat a informé la Cour, dans une longue lettre, que son client voulait encore une fois que son appel soit rétabli. Le demandeur s'est opposé au rétablissement de l'appel. La date de l'audience a été fixée au 6 novembre 2001 et, après avoir été ajournée, l'audience a finalement eu lieu le 21 mars 2002.

[7]Le 15 avril 2002 [[2002] A.C.I. no 189 (QL)], la Cour a autorisé l'annulation de l'avis de désistement et a accordé au défendeur un délai de 60 jours pour déposer une réponse à l'avis d'appel. D'où la demande de contrôle judiciaire que le procureur général du Canada a présentée contre cette décision.

La décision de la Cour canadienne de l'impôt

[8]En se fondant sur le principe bien établi voulant que les tribunaux judiciaires possèdent les pouvoirs nécessaires pour régir leurs propres procédures, la Cour a conclu qu'elle avait la compétence inhérente voulue pour annuler un avis de désistement et elle a conclu que les faits de l'affaire justifiaient l'exercice de cette compétence. Elle a donc autorisé le retrait de l'avis. Au paragraphe 46 de la décision, la Cour a dit ce qui suit:

Il s'agit selon moi d'un cas dans lequel la mesure de redressement demandée devrait être accordée. Le retrait a été fait à la hâte et dans une confusion quant aux exigences de la Loi sur l'assurance-emploi. À la complexité de la Loi et des règles et règlements y afférents s'ajoute le fait que la Loi prévoit un partage de compétence entre notre cour et le conseil arbitral. Je ne peux fermer les yeux sur le fait que l'avocat a agi d'une manière téméraire en retirant l'appel sans que soit clairement établi le succès de son client devant le conseil arbitral, mais l'avocat a agi de bonne foi, quoique plutôt maladroitement.

Analyse

[9]Il existe des divergences de vues entre les juges de la Cour au sujet de la question de savoir si la Cour possède la compétence inhérente nécessaire pour annuler un avis de désistement et, dans l'affirmative, si l'article 16.2 de la Loi fait obstacle à l'exercice de cette compétence. Selon l'article 16.2, un désistement équivaut au rejet de la procédure en cause. Cette disposition est ainsi libellée:

16.2 (1) La partie qui a engagé une procédure devant la Cour peut en tout temps s'en désister par avis écrit.

(2) Le désistement équivaut au rejet de la procédure en cause à la date à laquelle la Cour reçoit l'avis de désistement.

La disposition en question a été édictée le 22 septembre 1988. Elle est entrée en vigueur le 1er janvier 1991.

[10]Dans la décision Bogie c. Canada (1997), 97 DTC 1079 (C.C.I.), au paragraphe 2, la Cour a conclu qu'en sa qualité d'entité créée par la Loi, elle ne possédait pas pareille compétence inhérente. Un appel a été interjeté devant notre Cour [1998] 4 C.T.C. 195 (C.A.F.)], mais M. le juge Robertson ne s'est pas pro-noncé sur la question, celle-ci devant faire l'objet d'un examen futur. Dans une autre décision qui a été rendue après que l'article 16.2 eut été édicté mais avant qu'il soit entré en vigueur, la Cour a conclu qu'elle n'était pas autorisée à accorder une réparation à la suite d'un rejet fondé sur le retrait de l'appel: voir Laskaris c. Ministre du Revenu national (1990), 90 DTC 1364 (C.C.I.).

[11]Dans la décision Baker c. Canada, [1999] 2 C.T.C. 2388 (C.C.I.), la Cour s'est fondée sur l'article 16.2 pour refuser d'annuler le rejet réputé des procédures. Dans la décision Roberts c. Canada, [2001] A.C.I. no 866 (QL), le juge en chef a suivi la décision rendue dans l'affaire Baker puisqu'il était d'avis que, compte tenu du libellé de l'article 16.2 [traduction] «le désistement met fin à l'appel»: voir le paragraphe 7 de la décision.

[12]Toutefois, dans la décision Rutledge c. Canada, [2001] 1 C.T.C. 2569 (C.C.I.), au paragraphe 14, la Cour a exercé la compétence inhérente qu'elle possédait en vue d'«annuler le rejet d'un appel ayant eu lieu à la suite d'un avis erroné, un tel rejet n'ayant pas été ordonné par jugement de cette cour».

[13]Il est juste de dire que la plupart des décisions dont j'ai fait mention, et la liste n'est pas exhaustive, révèlent des circonstances favorables du point de vue du contribuable, allant de la confusion compréhensible générée par la complexité du droit jusqu'à la fourniture de conseils erronés de la part du ministère de l'Impôt, aboutissant dans tous les cas au dépôt d'un avis de désistement. Toutefois, il ne s'agit pas uniquement ici de sympathiser avec le point de vue des contribuables: le caractère définitif des décisions et l'administration efficace de la justice sont également en jeu. Je crois que l'article 16.2 de la Loi indique ces préoccupations fondamentales, en ce qui concerne la bonne adminis-tration de la justice. J'examinerai maintenant l'origine, la portée et l'effet de cette disposition.

L'origine de l'article 16.2 de la Loi

[14]Il semble exister un consensus selon lequel la décision rendue par M. le juge Heald dans l'arrêt McCambridge c. R., [1980] 2 C.F. 142 (C.A.) est à l'origine de l'adoption de l'article 16.2. Le vice-président de la Commission de révision de l'impôt avait statué que la Commission ne pouvait pas entendre un appel lorsque l'appelant avait retiré l'avis d'appel. À ce moment-là, la Commission avait dérogé à sa politique antérieure, qui consistait à rendre un jugement dans les appels qui avaient fait l'objet d'un désistement ou qui avaient été retirés ou abandonnés. Le vice-président était d'avis qu'il n'était pas nécessaire de prononcer un jugement formel de rejet. Le juge Heald a examiné les dispositions pertinentes régissant les pouvoirs de la Commission. Il a conclu qu'il n'y avait que deux façons dont la législation alors en vigueur prévoyait le règlement des appels portés devant la Commission et que, dans les deux cas, la législation exigeait que la Commission elle-même prenne des mesures. À la page 145 de la décision, le juge a dit ce qui suit:

Si le Parlement avait voulu prévoir qu'un appel puisse être réglé par voie d'avis de désistement, il lui aurait été facile de l'indiquer dans le texte de loi.

[15]En conséquence, l'article 16.2 a été édicté, notamment, de toute évidence, pour des raisons liées à l'efficacité. La disposition visait à dispenser les membres de la Commission et les juges de la Cour de rendre un jugement formel chaque fois qu'une instance faisait l'objet d'un désistement: d'où le rejet réputé, comme si un jugement avait été prononcé en ce sens. Étant donné le nombre de plus en plus élevé de litiges, la disposition déterminative comportait des répercussions importantes lorsqu'il s'agissait de libérer les ressources judiciaires disponibles.

[16]Les dispositions du paragraphe 16.2(2) qui établissaient la notion de rejet réputé révèlent également l'intention du législateur de donner des précisions au sujet de l'effet d'un avis de désistement ainsi que l'intention d'assurer que les litiges de nature fiscale en arrivent à une solution définitive.

[17]Dans la décision Sixgraph Informatique Ltée c. Canada, [2000] A.C.I. no 720 (QL), la juge Lamarre, de la Cour de l'impôt, a refusé d'accueillir une requête en date du 7 avril 2000 visant le retrait d'avis de désistement qui avaient été déposés près de trois ans plus tôt, le 14 avril 1997. La juge s'est ralliée aux raisons invoquées par l'intimée en ce qui concerne une bonne administration de la justice et le caractère définitif du rejet d'un appel. La décision Sixgraph Informatique Ltée, précitée, constitue un bon exemple de la nécessité de mettre fin, dans l'intérêt public, à un litige. Une partie a certes le droit de supposer qu'en règle générale, un litige en est arrivé à sa fin lorsqu'un appel est réputé être rejeté. Elle peut à bon droit supposer qu'une fois disparue, l'instance ne réapparaîtra pas environ 14 mois plus tard, comme en l'espèce, ou trois ans plus tard, comme dans l'affaire Sixgraph.

[18]Au lieu de laisser la question du désistement à la discrétion de la Cour, le législateur a décidé de déterminer législativement les conséquences juridiques d'un avis de désistement. Cela m'amène à une analyse de la portée et de l'effet de l'article 16.2 de la Loi et des conséquences en résultant.

La portée et l'effet de l'article 16.2 de la Loi

[19]L'article 16.2 de la Loi est une disposition déterminative qui crée une fiction juridique. Comme l'a dit M. le juge Beetz dans l'arrêt R. c. Verrette, [1978] 2 R.C.S. 838, à la page 845 «[u]ne disposition déterminative est une fiction légale; elle reconnaît implicitement qu'une chose n'est pas ce qu'elle est censée être, mais décrète qu'à des fins particulières, elle sera considérée comme étant ce qu'elle n'est pas ou ne semble pas être». Le but et l'application d'une fiction juridique ont également été éloquemment décrits par Yan Thomas dans un article intitulé: «Fictio Legis. L'empire de la fiction romaine et ses limites médiévales» (1995), 21 Droits--Revue française de théorie juridique 17:

La fiction est un procédé qui, on l'a assez souvent signalée, appartient à la pragmatique du droit. Elle consiste d'abord à travestir les faits, à les déclarer autres qu'ils ne sont vraiment, et à tirer de cette adultération même et de cette fausse supposition les conséquences de droit qui s'attacheraient à la vérité que l'on feint, si celle-ci existait sous les dehors qu'on lui prête.

[20]Les fictions révèlent «l'infirmité de notre esprit impuissant à créer sans cesse des concepts parfaitement adéquats aux réalités» (the limited ability of our mind to unceasingly create concepts which are fully adapted to realities [traduction]). G. Wicker, Les fictions juridiques-- Contribution à l'analyse de l'acte juridique, Paris: L.G.D.J., 1997, à la page 14. On les utilise souvent pour obtenir ou éviter une conséquence juridique, pour contourner ou éviter une règle juridique ou pour effectuer des réformes nécessaires de nature législative que la législature n'a pas effectuées: G. Létourneau, «Les fictions en droit public» dans Les fictions du droit, Montréal: Éditions Thémis, 2001, aux pages 14 et 15.

[21]Conformément au paragraphe 16.2(2), un désistement constitue un rejet. L'appel qui est rejeté est un appel sur lequel il a été statué, et l'appel sur lequel il a été statué n'existe plus: voir Lehner c. M.R.N., [1997] 2 C.T.C. 309 (C.A.F.), au paragraphe 2, le juge Pratte. Le paragraphe 16.2(2) fait du dépôt d'un avis de désistement un rejet par interprétation analogue à un véritable rejet. En d'autres termes, le désistement, par suite de cette disposition, acquiert tous les attributs d'un rejet. Il a le même effet qu'un jugement par lequel la Cour rejette l'appel, quoique l'effet soit obtenu par la simple application de la fiction juridique. Dans un cas comme dans l'autre, les pouvoirs de la Cour sont épuisés: le décideur est dessaisi. Un rejet, réputé ou réel, est une décision définitive qui met fin à l'affaire, sauf dans certaines circonstances telles que la fraude ou un pouvoir prévu par la loi autorisant le décideur à conserver ou à acquérir de nouveau le pouvoir perdu.

[22]L'article 172 [mod. par DORS/96-503, art. 4] des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (Procédure générale) [DORS/90-688], qui est souvent désigné sous le nom de règle du «lapsus», prévoit pareil pouvoir. Il permet à la Cour d'annuler ou de modifier un jugement lorsque les conditions qui y sont énoncées sont remplies:

Annulation ou modification de jugements en raison d'erreurs--Général

172. (1) Le jugement qui:

a) comporte une erreur découlant d'un lapsus ou d'une omission;

b) doit être modifié relativement à une question sur laquelle la Cour n'a pas statué,

peut être modifié par la Cour, sur demande ou de son propre chef.

(2) Une partie peut demander, par voie de requête dans l'instance, selon le cas:

a) l'annulation ou la modification d'un jugement en raison d'une fraude ou de faits survenus ou découverts après qu'il a été rendu;

b) un sursis d'exécution d'un jugement;

c) une mesure de redressement différente de celle qui a déjà été accordée.

[23]Dans la décision Roberts, précitée, au paragraphe 11, le juge en chef Garon a supposé avec réticence, sans statuer sur la question, que le désistement prévu à l'article 16.2 de la Loi équivaut à un jugement rejetant l'appel. Le juge doutait que cela soit l'approche correcte, mais il a néanmoins cherché, conformément au paragraphe 172(2) des Règles, à déterminer si le jugement pouvait être annulé ou modifié en raison d'une fraude ou de faits survenus ou découverts après qu'il a été rendu.

[24]Comme c'est souvent le cas, les fictions juridiques ne s'intègrent pas parfaitement bien ou pleinement avec les autres dispositions législatives pertinentes existantes. Il faut parfois faire les ajustements nécessaires pour combler les lacunes ou pour éviter des disparités ou des injustices possibles. L'article 172 des Règles confère à la Cour la compétence voulue pour modifier ou pour annuler tout jugement qu'elle a rendu, y compris un jugement rejetant une affaire. Comme il en a déjà été fait mention, la fiction juridique fait d'un désistement un rejet. Ce rejet emporte le même effet qu'un jugement de rejet rendu par la Cour. Cela équivaut de fait à un jugement de rejet sur consentement.

[25]Afin de permettre l'application des dispositions correctives restreintes de la règle 172, je suis prêt à donner un effet complet et cohérent à la fiction juridique créée par le paragraphe 16.2(2) et à combler la lacune créée par le libellé de la disposition en question et de l'article 172 des Règles. Je ne crois pas qu'il soit contraire à l'intention du législateur de conclure que le rejet prévu au paragraphe 16.2(2) doit être traité comme un jugement de rejet auquel l'article 172 des Règles s'applique si les conditions nécessaires sont remplies.

[26]En pratique, c'est l'alinéa 172(2)a) des Règles qui sera le plus souvent invoqué lorsque le rejet réputé a été obtenu par la fraude ou par suite de faits survenus ou découverts après que le rejet a pris effet. Je m'empresse d'ajouter qu'en l'espèce, la fraude n'est pas alléguée et que, même s'il nous a invités à le faire, l'avocat du défendeur n'a pas pu signaler de faits survenus ou découverts après le rejet qui justifieraient l'application de l'article 172 des Règles.

[27]Le défendeur a soutenu que la Cour possédait une compétence inhérente qu'elle pouvait exercer en vue de permettre le retrait d'un avis de désistement. Je ne puis retenir cet argument compte tenu du paragraphe 16.2(2). Comme l'a dit avec raison I. H. Jacob dans un article intitulé «The Inherent Jurisdiction of the Court» (1970), 23 Current Legal Problems 23, à la page 24:

[traduction] [. . .] la cour peut exercer sa compétence inhérente même à l'égard de questions qui sont réglementées par une loi ou par une règle judiciaire, dans la mesure où elle peut le faire sans contrevenir à une disposition législative. [Non souligné dans l'original.]

Je crois que, selon son sens clair, l'article 16.2 a éliminé toute compétence inhérente ou résiduelle que possède la Cour lorsqu'il s'agit de permettre le retrait d'un avis de désistement. Le droit et la logique donnent à entendre que la Cour n'a pas plus la latitude ou le pouvoir nécessaires pour le faire que pour rouvrir une affaire après avoir rendu jugement.

[28]Dans la décision Rutledge, précitée, la Cour semble, au paragraphe 13 de sa décision, s'être fondée sur l'article 13 de la Loi en tant qu'autorisation législative lui permettant d'annuler un rejet réputé. Cette disposition conférait à la Cour, en ce qui concerne la présence et l'interrogatoire des témoins et d'autres questions nécessaires à l'exercice de sa compétence, les pouvoirs, droits et privilèges conférés à une cour supérieure d'archives. Cette disposition a maintenant été remplacée [L.C. 2002, ch. 8, art. 67] par une disposition qui confère à la Cour le droit de punir un outrage au tribunal. Quoi qu'il en soit, dans l'arrêt McCambridge, précité, à la page 146, cette disposition avait été interprétée de façon à ne pas conférer une compétence supplémentaire à la Commission: elle conférait simplement à celle-ci les pouvoirs accessoires que possède une cour supérieure lorsqu'il s'agit d'exercer la compétence qui lui est reconnue par la Loi.

Conclusion

[29]Pour ces motifs, j'accueillerais la demande de contrôle judiciaire, j'infirmerais la décision de la Cour canadienne de l'impôt et je rétablirais le présumé rejet de l'appel du défendeur.

Le juge Nadon, J.C.A.: Je soucris aux présents motifs.

Le juge Sharlow, J.C.A.: Je soucris aux présents motifs.

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