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[2013] 3 R.C.F. 558

T-716-06

2011 CF 1467

Paul Slansky (demandeur)

c.

Procureur général du Canada, Sa Majesté la Reine (défendeurs)

et

Conseil canadien de la magistrature (intervenant)

Répertorié : Slansky c. Canada (Procureur général)

Cour fédérale, juge de Montigny—Toronto, 17 octobre et 13 décembre 2011.

* Note de l’arrêtiste : Cette décision a été confirmée en appel (A-497-11, 2013 CAF 199). Les motifs du jugement, qui ont été prononcés le 9 septembre 2013, seront publiés dans le Recueil des décisions des Cours fédérales.

Pratique — Communications privilégiées — Appel d’une décision de la protonotaire ordonnant au Conseil canadien de la magistrature (le CCM) de produire les passages de rapport sur lesquels le CCM revendique des privilèges — Le demandeur, avocat, a déposé une plainte d’inconduite à l’encontre d’un juge de première instance — Le CCM, après avoir examiné un rapport rédigé par un professeur de droit, a estimé que la plainte ne justifiait pas une enquête plus poussée — Le demandeur cherchait à faire produire un rapport — Le CCM a soutenu que le rapport est protégé par le secret professionnel de l’avocat ainsi que par un privilège d’intérêt public — La protonotaire a dissocié les faits des avis sur des questions juridiques et a expurgé le rapport des avis juridiques — Il n’a été trouvé aucune preuve d’un privilège d’intérêt public — Il s’agissait de savoir si la protonotaire a erré en statuant que le rapport n’était pas protégé au complet par le secret professionnel de l’avocat et par un privilège d’intérêt public — Tout le rapport est protégé par le secret professionnel de l’avocat — La protonotaire a commis une erreur de droit en dissociant les faits des avis juridiques — Le privilège du secret professionnel de l’avocat doit être déterminé en tenant compte de l’ensemble des circonstances — Une relation avocat-client a été établie entre le CCM et le professeur de droit — Le professeur de droit a été engagé comme avocat — La dissociation des faits et des avis juridiques contredit la protection dont bénéficie le secret professionnel de l’avocat — Le champ d’application du secret professionnel de l’avocat est large et englobe les renseignements factuels sur lesquels est fondée l’analyse juridique — La proposition portant que l’on peut prélever les éléments factuels d’un document protégé par un privilège n’est pas étayée par la jurisprudence — La protonotaire a commis une erreur en statuant que le rapport ne donnait pas lieu à l’application du privilège d’intérêt public — Les art. 63(5) et 63(6) de la Loi sur les juges constituent une claire reconnaissance du fait que l’intégrité du processus d’enquête du CCM risque d’être minée si l’on ne garantit pas la confidentialité — La notification du CCM avisant du rejet de la plainte est fort détaillée et renseigne suffisamment le demandeur — Les critères permettant de transformer une demande en action n’ont pas été satisfaits — Appel accueilli.

Juges et Tribunaux — Le demandeur a agi comme avocat de la défense lors du procès d’un individu accusé de meurtre au premier degré — Le demandeur a déposé une plainte pour inconduite à l’encontre du juge de première instance — Le Conseil canadien de la magistrature (le CCM), après avoir examiné un rapport rédigé par un professeur de droit, a estimé que la plainte ne justifiait pas une enquête plus poussée — La protonotaire a ordonné au CCM de produire des passages du rapport — Le CCM a soutenu que le rapport est protégé par le secret professionnel de l’avocat ainsi que par un privilège d’intérêt public — La protonotaire a commis une erreur en dissociant les faits des avis juridiques — Tout le rapport est protégé par le secret professionnel de l’avocat — La protonotaire a également commis une erreur en statuant que le rapport ne donnait pas lieu à l’application du privilège d’intérêt public.

Il s’agissait d’un appel à l’encontre d’une décision rendue par une protonotaire ordonnant au Conseil canadien de la magistrature (le CCM) de produire les passages d’un rapport sur lesquels le CCM revendiquait divers privilèges.

Le demandeur a agi comme avocat de la défense lors du procès d’un individu accusé de meurtre au premier degré. Le demandeur et le juge qui a présidé le procès avaient des reproches à s'adresser l'un à l'autre au sujet de leur conduite respective et ont chacun porté plainte en s’adressant à leur organisme de réglementation respectif. Le demandeur a notamment accusé le juge d’inconduite grave et d’avoir sciemment contrevenu à la loi. Un rapport rédigé par un professeur de droit engagé par le CCM et son Comité sur la conduite des juges contenait des recommandations et proposait un avis sur les fonctions juridictionnelles du Comité et sur le mandat du CCM. Après examen du rapport, le CCM a estimé que la plainte ne justifiait pas une enquête plus poussée, étant donné qu’elle ne démontrait pas que le juge s’était rendu coupable d’inconduite. Le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision du CCM et a réclamé la production de tous les documents se rapportant à l’enquête; le CCM s’est toutefois opposé à la production de ce rapport au motif qu’il était protégé par le secret professionnel de l’avocat ainsi que par un privilège d’intérêt public. En raison de cette réponse, le demandeur a présenté une requête par laquelle il réclamait le prononcé d’une ordonnance convertissant sa demande de contrôle judiciaire en action ou, à titre subsidiaire, une ordonnance forçant le CCM à produire le rapport dans son intégralité. La protonotaire a fait droit à la requête en partie. Tout en se disant disposée à accepter que la partie du rapport relative aux recommandations juridiques était protégée par le secret professionnel de l’avocat, la protonotaire a toutefois estimé que ce privilège ne devait pas s’appliquer pour autant à la totalité du rapport. La protonotaire a statué que les faits présentés dans le rapport étaient distincts des avis donnés sur des questions juridiques et pouvaient en être dissociés, et qu’il convenait d’expurger du rapport les conseils juridiques qui s’y trouvaient. La protonotaire a ensuite examiné la question de savoir si les renseignements que l’on cherchait à faire produire étaient protégés par un privilège d’intérêt public, mais les arguments présentés ne l’ont pas convaincue.

Il s’agissait de savoir si la protonotaire a commis des erreurs de droit en statuant que le rapport n’était pas protégé au complet par le secret professionnel de l’avocat, ni protégé par un privilège d’intérêt public.

Jugement : l’appel doit être accueilli.

Tout le rapport était protégé par le secret professionnel de l’avocat et la protonotaire a commis une erreur en concluant que l’on pouvait séparer les éléments factuels des opinions juridiques. Afin d’établir si une situation déterminée donne lieu à l’application du privilège du secret professionnel de l’avocat, on ne doit pas s’en tenir à un document particulier, mais plutôt tenir compte de l’ensemble des circonstances. Étant donné la nature des rapports qui existaient entre le CCM et le professeur de droit, ainsi que les circonstances dans lesquelles le rapport a été demandé et présenté, force est de conclure qu’une relation avocat-client a été créée. Pour pouvoir simplement s’efforcer d’apporter des éclaircissements sur les accusations portées contre le juge et réunir des éléments de preuve qui serviraient de fondement à ces accusations ou, au contraire, leur retireraient toute légitimité, l’enquêteur doit connaître les éléments juridiques des allégations spécifiques et, de façon plus générale, être au courant du concept d’inconduite judiciaire. L’avocat ne pouvait que recueillir et examiner les faits pertinents et présenter ses conclusions et son analyse en respectant un cadre ou une analyse juridique déterminée. Le professeur de droit a été engagé par le CCM en sa qualité professionnelle d’avocat et le CCM s’attendait à ce qu’il offre son aide en raison de ses compétences et de son analyse juridiques. L’hypothèse selon laquelle les « faits sont distincts des avis donnés sur des questions juridiques protégées par un privilège » est non seulement injustifiée et sans aucun fondement dans la jurisprudence, mais elle contredit la protection « quasi absolue » dont bénéficie le secret professionnel de l’avocat. Dès lors que l’existence du secret professionnel de l’avocat a été démontrée, son champ d’application est extrêmement large et englobe les renseignements factuels sur lesquels est fondée l’analyse juridique. Il n’y a aucun précédent qui permette de soutenir que l’on peut séparer les faits d’une communication qui est protégée par application du secret professionnel de l’avocat. La décision invoquée par la protonotaire pour justifier le prélèvement et la divulgation des éléments factuels du rapport est l’arrêt Blank c. Canada (Ministre de la Justice) de la Cour d’appel fédérale, qui ne permet pas d’affirmer que l’on peut prélever des éléments factuels d’un document protégé par un privilège.

La protonotaire a commis une erreur de droit en statuant que le rapport ne donnait pas lieu à l’application du privilège d’intérêt public. Il est important de protéger l’intégrité du processus sommaire du CCM pour éviter de devoir tenir une instance formelle en bonne et due forme. Les paragraphes 63(5) et 63(6) de la Loi sur les juges constituent une nette reconnaissance du fait que l’intégrité du processus d’enquête du CCM risque d’être minée si l’on ne garantit pas la confidentialité. La réponse à la question cruciale de savoir s’il y a lieu de protéger ou de divulguer des renseignements déterminés repose sur le juste équilibre entre l’intérêt qu’a le public à la transparence et au maintien de sa confiance dans l’intégrité du processus judiciaire et son intérêt face à la confidentialité et à l’utilisation optimale des rares ressources judiciaires. La notification au demandeur par le CCM du fait que sa plainte était rejetée était fort détaillée et le renseignait suffisamment sur ce qu’il devait démontrer devant la Cour fédérale pour obtenir gain de cause.

Enfin, le demandeur n’a pas démontré qu’il a satisfait aux critères des « motifs très clairs » nécessaires pour justifier de convertir la présente demande en action.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 15.

Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1, art. 3 « institution fédérale » (mod. par L.C. 2006, ch. 9, art. 141), 4 (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144, ann. VII, no 1(F); 2001, ch. 27, art. 202; 2006, ch. 9, art. 143), 23, 25.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18.4(2) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 28).

Loi sur les juges, L.R.C. (1985), ch. J-1, art. 59 (mod. par L.C. 1996, ch. 30, art. 6; 1999, ch. 3, art. 77; 2002, ch. 7, art. 195; ch. 8, art. 104), 60 (2)(C), 63 (mod., idem, art. 106), 64 (mod., idem, art. 111(A)), 65 (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 27, art. 5; L.C. 2002, ch. 8, art. 111(A)).

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2), 51 (mod., idem, art. 33; 2007-130, art. 3), 151, 317 (mod. par DORS/2002-417, art. 19; 2006-219, art. 11 (F)).

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne), 2004 CSC 31, [2004] 1 R.C.S. 809; College of Physicians of B.C. v. British Columbia (Information and Privacy Commissioner), 2002 BCCA 665, 9 B.C.L.R. (4th) 1, [2003] 2 W.W.R. 279, 23 C.P.R. (4th) 38.

décisions différenciées :

Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2007 CAF 87; Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1573, [2005] 3 R.C.F. 82.

décisions examinées :

Cosgrove c. Conseil canadien de la magistrature, 2007 CAF 103, [2007] 4 R.C.F. 714; Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, [2004] 2 R.C.F. 459; Smith c. Jones, [1999] 1 R.C.S. 455; Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Blood Tribe Department of Health, 2008 CSC 44, [2008] 2 R.C.S. 574; R. c. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565; R. c. National Post, 2010 CSC 16, [2010] 1 R.C.S. 477; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1999] 2 R.C.S. 817; Gower v. Tolko Manitoba Inc., 2001 MBCA 11 (CanLII), 196 D.L.R. (4th) 716, [2001] 4 W.W.R. 622, 7 C.C.E.L. (3d) 1; R. v. Ahmad, 2008 CanLII 27470, 59 C.R. (6th) 308 (C.S.J. Ont.); Macinnis c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 464 (C.A.); Association des crabiers acadiens Inc. c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 357.

décisions citées :

R. v. Baltrusaitis, 2002 CanLII 36440, 58 R.J.O. (3d) 161, 162 C.C.C. (3d) 539, 155 O.A.C. 249 (C.A.); Canada c. Aqua-Gem Investment Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.); Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821; Murchison c. Exportation et développement Canada, 2009 CF 77.

DOCTRINE CITÉE

Bryant, Alan W. et al. The Law of Evidence in Canada, 3e éd. Markham (Ont.) : LexisNexis Canada, 2009

Procédures relatives à l’examen des plaintes déposées au Conseil canadien de la magistrature au sujet de juges de nomination fédérale : « Procédures relatives aux plaintes ». Approuvée par le Conseil canadien de la magistrature le 27 septembre 2002, en vigueur le 1er janvier 2003.

Sopinka, J. et al. The Law of Evidence in Canada, 2e éd. Toronto : Butterworths, 1999.

Wigmore, John Henry. Evidence in Trials at Common Law, McNaughton Revision, vol. 8. Boston : Little, Brown & Co., 1961.

appel à l’encontre d’une décision (2011 CF 476) d’une protonotaire ordonnant au Conseil canadien de la magistrature (le CCM) de produire les passages d’un rapport sur lesquels le CCM revendiquait divers privilèges. Appel accueilli.

ONT COMPARU

Rocco Galati pour le demandeur.

Kathryn Hucal pour les défendeurs.

Paul J. J. Cavalluzzo et Adrienne Telford pour l’intervenant.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Rocco Galati Law Firm Professional Corporation, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.

Cavalluzzo Hayes Shilton McIntyre & Cornish LLP, Toronto, pour l’intervenant.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance rendus par

[1]        Le juge de Montigny : La Cour est saisie d’un appel interjeté en vertu de la règle 51 [mod. par DORS/2004-283, art. 33; 2007-130, art. 3] des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)] (les Règles) à l’encontre d’une décision en date du 19 avril 2011 [2011 CF 476] par laquelle la protonotaire Milczynski a ordonné au Conseil canadien de la magistrature (le CCM ou le Conseil) de produire les passages de rapport sur lesquels le Conseil revendique divers privilèges.

[2]        Les questions soulevées dans le présent appel revêtent une importance cruciale pour le déroulement des enquêtes menées par le CCM au sujet des plaintes ou des allégations formulées à l’égard d’un juge d’une cour supérieure. Le débat porte essentiellement sur la question de savoir si le rapport établi par l’avocat chargé par le CCM de mener une enquête supplémentaire au sujet de la plainte devrait être gardé confidentiel ou s’il devrait être produit (en totalité ou en partie) et être versé au dossier conformément à la règle 317 [mod. par DORS/2002-417, art. 19; 2006-219, art. 11(F)] des Règles, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire.

[3]        Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la décision de la protonotaire doit être annulée. J’estime qu’elle a commis une erreur en concluant que seule la partie du rapport du professeur Friedland contenant les recommandations juridiques de ce dernier bénéficiait de la protection du secret professionnel de l’avocat et que le privilège d’intérêt public ne s’appliquait par ailleurs pas. Je suis également d’avis que la présente demande de contrôle judiciaire ne justifie pas de convertir la demande en action.

1. Les faits

[4]        Me Paul Slansky est avocat et procureur dans la province d’Ontario. Admis au Barreau en 1986, il a exercé sa profession à titre individuel pendant la plus grande partie de sa carrière. Il a surtout exercé dans le domaine du droit criminel et a participé à plusieurs procès pour meurtre.

[5]        Me Slansky agissait comme avocat de la défense lors du nouveau procès d’un individu accusé de meurtre au premier degré. À l’issue du premier procès qui s’est déroulé en 1996, l’accusé a été jugé coupable, mais sa condamnation a été infirmée par la Cour d’appel et la tenue d’un nouveau procès a été ordonnée (R. v. Baltrusaitis, 2002 CanLII 36440, 58 R.J.O. (3e) 161 (C.A.)). C’est à l’occasion du second procès, qui était présidé par M. le juge Thompson, que les incidents à l’origine de la plainte déposée devant le CCM sont survenus. Ce second procès, qui s’est soldé par un acquittement, était très long et très complexe : les requêtes préalables à l’instruction ont nécessité 40 jours. Le procès a dû être annulé parce que le jury avait été contaminé et le lieu du procès lui-même a dû être déplacé de Walkerton à Owen Sound. Le procès a duré 130 jours.

[6]        Dès le début du nouveau procès, il est devenu évident que Me Slansky et le juge Thompson avaient des reproches à s’adresser l’un à l’autre au sujet de leur conduite respective. Ils ont chacun porté plainte en s’adressant à leur organisme de réglementation respectif. Dans le cas de Me Slansky, le Barreau du Haut-Canada a estimé qu’il n’y avait pas lieu d’infliger de sanctions disciplinaires ou de faire instruire l’affaire et le dossier a été clos. Dans le cas de la plainte portée contre le juge Thompson, l’affaire mérite un examen plus approfondi.

[7]        Le 12 août 2004, Me Slansky a déposé une plainte contre le juge Thompson. Dans une lettre de 16 pages, il accusait le juge Thompson d’inconduite grave et notamment de partialité, de malveillance, d’abus d’autorité et d’avoir sciemment contrevenu à la loi.

[8]        Compte tenu de la complexité de certaines des questions soulevées par la plainte et notamment des questions de droit qu’elle comportait, le président du Comité sur la conduite des juges, le juge en chef Scott du Manitoba, a retenu les services du professeur Martin L. Friedland, professeur de droit à l’Université de Toronto, qu’il a chargé de mener une enquête supplémentaire et de rédiger un rapport (le rapport Friedland ou le rapport). Dans la lettre confirmant sa désignation, Me Norman Sabourin, directeur exécutif et avocat général principal du CCM, a cité l’extrait suivant de la politique du CCM concernant les avocats engagés pour faire enquête dans les affaires relatives à la conduite d’un juge :

Le rôle de l’avocat menant une enquête supplémentaire consiste essentiellement à obtenir un complément d’information. Les personnes au fait des circonstances entourant la plainte, y compris le juge visé par celle‑ci, seront interrogées. Il est possible que l’on amasse des documents et que l’on procède à leur analyse. Il ne revient pas à l’avocat menant une enquête supplémentaire d’évaluer le bien‑fondé d’une plainte ou de faire des recommandations quant à la décision qui devrait être prise par le président ou le sous‑comité. L’avocat qui assume cette fonction agit conformément aux directives du président ou du sous‑comité.

L’on associe parfois ce rôle à celui d’un « enquêteur ». Cette analogie est fondée dans la mesure où elle n’implique rien d’autre que la recherche et l’éclaircissement des faits. Elle ne l’est pas si l’on entend également par là la recherche des faits dans le cadre d’un processus juridictionnel, c’est‑à‑dire la prise de décisions fondées sur la crédibilité des témoins ou sur le caractère plus ou moins convaincant d’un fait par rapport à un autre. Le rôle de l’avocat menant une enquête supplémentaire consiste simplement à s’efforcer d’apporter des éclaircissements sur les accusations portées contre le juge et à réunir des éléments de preuve qui, s’ils étaient établis, serviraient de fondement à ces accusations ou, au contraire, leur retireraient toute légitimité. L’avocat doit obtenir la réponse du juge sur ces accusations et sur ces éléments de preuve, puis il doit soumettre ces informations au président ou au sous‑comité.

L’avocat menant une enquête supplémentaire a pour rôle d’examiner les allégations qui sont formulées. Le champ de son enquête ne se limite toutefois pas obligatoirement à ces allégations. Si de nouvelles allégations de conduite déplacée ou d’incompétence de la part du juge parviennent à sa connaissance, et que ces allégations sont à la fois graves et vraisemblables, il n’est pas interdit à l’avocat d’enquêter aussi à leur sujet.

[9]        Dans l’affidavit qui a été versé au dossier de requête du CCM soumis à la protonotaire, Me Sabourin affirmait que l’avocat avait examiné le procès-verbal, la transcription et les enregistrements des débats ainsi que les nombreuses décisions rendues par le juge Thompson sur le fond et sur la procédure. L’avocat avait également interrogé plusieurs personnes qui connaissaient bien le dossier criminel, y compris Me Slansky, le juge Thompson, trois procureurs de la Couronne, le directeur régional des procureurs de la Couronne, sept membres du personnel judiciaire ainsi que le juge principal régional Bruce Durno.

[10]      Après avoir terminé son enquête, le professeur Friedland a rédigé un rapport dans lequel il faisait état de ses conclusions et de son analyse. Dans son rapport, il a passé en revue les principaux éléments de preuve et a formulé des recommandations et proposé son avis au président au sujet de ses fonctions juridictionnelles et au sujet du mandat du CCM en ce qui concerne la conduite des juges en général. Fait intéressant à signaler, la page couverture du rapport porte une mention indiquant que le document est confidentiel et qu’il est protégé par le secret professionnel de l’avocat, ce qui tendrait à confirmer l’affirmation que Me Sabourin a faite dans son affidavit (au paragraphe 27) suivant laquelle lui et le président s’attendaient à ce que le rapport de Me Friedland constitue une opinion juridique.

[11]      Après examen du rapport, le président a estimé que la plainte ne justifiait pas une enquête plus poussée étant donné qu’elle ne démontrait pas que le juge Thompson s’était rendu coupable d’inconduite. Le 9 mars 2006, Me Sabourin a écrit à Me Slansky au nom du président une lettre dans laquelle il donnait une réponse très longue et détaillée dans laquelle il exposait en long et en large les motifs du rejet de la plainte.

[12]      Le 18 avril 2006, Me Slansky a présenté une demande au contrôle judiciaire de la décision du CCM. Il sollicitait un jugement déclaratoire portant que : i) le CCM avait refusé d’exercer sa compétence et avait mené une enquête viciée, superficielle et anémique; ii) le CCM avait commis une erreur de droit dans son interprétation de la conduite du juge Thompson; iii) le CCM avait outrepassé sa compétence en jugeant de façon erronée et viciée le comportement du demandeur au procès en tant qu’avocat de la défense pour justifier la conduite répréhensible du juge; iv) le mécanisme de règlement des plaintes du CCM, qui consiste à faire juger l’inconduite d’un juge par un autre juge, est inconstitutionnel et est donc invalide et sans effet et donne lieu à une crainte raisonnable de partialité institutionnelle, en plus de porter atteinte aux droits garantis au demandeur par les articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]. Me Slansky sollicitait également une ordonnance annulant la décision du CCM et renvoyant l’affaire au CCM pour qu’il procède à un nouvel examen plus approfondi de la plainte en se conformant aux directives de la Cour.

[13]      Pour les besoins de la présente instance, Me Slansky a écrit au CCM pour lui réclamer la production de tous les documents se rapportant à la plainte, à l’enquête et à la décision du CCM relativement à la plainte, ainsi que le dossier intégral du CCM concernant la décision du CCM de fermer le dossier de la plainte. Le CCM a produit le dossier, à l’exception de certains documents, dont le rapport Friedland. Le CCM s’opposait à la production de ce rapport au motif qu’il était protégé par le secret professionnel de l’avocat ainsi que par un privilège d’intérêt public.

[14]      C’est en raison de cette réponse que Me Slansky a présenté une requête par laquelle il réclamait le prononcé d’une ordonnance convertissant sa demande de contrôle judiciaire en action ou, à titre subsidiaire, une ordonnance forçant le CCM à produire le rapport Friedland dans son intégralité. Le 19 avril 2011, la protonotaire Milczynski a fait droit à la requête en partie en ordonnant au CCM de déposer une copie du rapport Friedland en indiquant sur cette copie les passages à expurger au motif qu’ils renfermaient un avis juridique (Slansky c. Canada (Procureur général), 2011 CF 476 (Slansky) (publiée sur CanLII)).

2. La décision contestée

[15]      À l’audience, Me Slansky a principalement fait porter son argumentation sur son moyen subsidiaire suivant lequel le CCM devrait être contraint de produire le rapport Friedland conformément à la règle 317 des Règles. La protonotaire a par conséquent expliqué que la question en litige était « celle de savoir, comme l’explique le CCM, si l’engagement du professeur Friedland a donné lieu à une relation avocat‑client et/ou si les renseignements que l’on cherche à faire produire sont protégés par un privilège d’intérêt public » (Slansky, précitée, au paragraphe 23). Ayant conclu que seules les parties du rapport qui constituaient une opinion juridique étaient protégées par le secret professionnel de l’avocat et devaient être expurgées de la copie qui sera produite et qui sera déposée à la Cour, la protonotaire a estimé qu’il n’était pas nécessaire d’aborder la question de la conversion de la demande de contrôle judiciaire en action (Slansky, précitée, au paragraphe 2).

[16]      En premier lieu, la protonotaire a déclaré que les éléments essentiels à examiner pour déterminer si le rapport Friedland devait être produit résidaient dans les modalités de l’engagement du professeur Friedland ainsi que dans la description du rôle et des fonctions de l’avocat engagé par le CCM pour mener l’enquête prévue à l’alinéa 5.1c) des Procédures relatives aux plaintes [Procédures relatives à l’examen des plaintes déposées au Conseil canadien de la magistrature au sujet des juges de nomination fédérale, 1er janvier 2003]. Elle a fait observer que les modalités de la lettre d’engagement indiquaient bien que les rapports entre le CCM et l’avocat chargé de mener l’enquête n’étaient pas censés créer une relation avocat-client et que les services de cet avocat n’étaient pas retenus en vue d’obtenir des conseils juridiques. Elle a par conséquent estimé que Me Friedland avait été engagé comme « enquêteur compétent » chargé de recueillir les faits.

[17]      Elle a pris acte des préoccupations du CCM, qui signalait que les personnes qui possèdent des renseignements au sujet de la plainte étaient souvent susceptibles de se sentir vulnérables ou qu’elles pouvaient estimer que les relations de travail professionnelles ou hiérarchiques pouvaient souffrir si leur avis au sujet de la plainte était porté à la connaissance de leurs collègues ou du public, de sorte que ces personnes risquaient de ne pas être aussi transparentes qu’elles ne le seraient si la confidentialité était la règle. Le CCM serait ainsi incité à recourir à des audiences en bonne et due forme au cours desquelles des personnes seraient contraintes à témoigner sous serment pour s’assurer que les renseignements recueillis soient complets et fiables. Bien que ces considérations d’ordre pratique soient compréhensibles, vu les contraintes imposées par la Loi sur les juges, L.R.C. (1985), ch. J‑1, sur la façon dont le CCM reçoit et instruit les plaintes, ces considérations ne sont pas déterminantes quant à la question soulevée par la requête, en l’occurrence celle de savoir si l’engagement du professeur Friedland donnait lieu à une relation avocat-client et/ou si les renseignements que l’on cherchait à faire produire étaient protégés par un privilège d’intérêt public. Les articles 63 à 65 [art. 63 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 106), 64 (mod., idem, art. 111(A)) et 65 (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 27, art. 5; L.C. 2002, ch. 8, art. 111(A)) de la Loi sur les juges sont reproduits en annexe par souci de commodité.

[18]      La protonotaire a ensuite examiné la question du secret professionnel de l’avocat. Après avoir examiné les caractéristiques essentielles de ce privilège, elle a examiné l’argument du CCM suivant lequel, outre sa mission d’enquêteur, le professeur Friedland avait reçu pour instruction de soumettre l’analyse et les recommandations d’un avocat relativement aux allégations et que le CCM s’attendait effectivement à ce que le rapport rédigé par l’avocat soit confidentiel et à ce qu’il soit considéré comme contenant une opinion juridique. Après avoir examiné attentivement le rapport, la protonotaire a conclu que le professeur Friedland ne s’était pas contenté d’exposer les faits et qu’il avait offert en fait jusqu’à un certain point une analyse et un avis juridiques. Il ne s’agissait toutefois pas d’un avis juridique non sollicité, étant donné que Me Sabourin avait bien précisé dans son affidavit que ceux qui sont engagés comme avocats reçoivent pour instruction de proposer leur analyse et leurs recommandations en tant qu’avocats au sujet des allégations d’inconduite judiciaire en vue de leur examen par le président du Comité sur la conduite des juges.

[19]      Tout en se disant disposée à accepter que la partie du rapport relative aux recommandations juridiques était protégée par le secret professionnel de l’avocat, la protonotaire Milczynski a toutefois estimé que ce privilège ne devait pas s’appliquer pour autant à la totalité du rapport. Voici ce qu’elle a déclaré au sujet de cette distinction cruciale (Slansky, précitée, au paragraphe 30) :

   Toutefois, ce n’est pas parce qu’une partie du rapport Friedland est protégée par le secret professionnel de l’avocat que la communication de tout le rapport devrait être refusée en raison de ce privilège. Ainsi que la Cour d’appel fédérale le fait observer dans l’arrêt Blank c. Canada (Ministre de la Justice), (2007), 280 DLR (4th) 540 (CAF), il est possible de prélever les faits recueillis par « l’avocat » dans le cadre de son travail d’enquête en ne divulguant pas les faits constatés par le professeur Friedland au sujet de ce qui s’est produit au procès, de même que les entrevues qu’il a réalisées avec des personnes au courant des faits en vue d’obtenir d’elles des éclaircissements au sujet des allégations. Ces faits sont distincts des avis donnés sur des questions juridiques protégées par un privilège. À ce propos, lors de l’instruction de la requête, on a effectivement envisagé la possibilité d’expurger le rapport (dans la mesure où l’on ne concluait pas qu’il y avait eu renonciation au secret professionnel de l’avocat). On aurait pu prélever ces passages du rapport, mais le CCM a écarté cette possibilité. Néanmoins, cette façon de procéder était appropriée dans les circonstances. On ne saurait refuser de divulguer les faits recueillis par le professeur Friedland en sa qualité d’« avocat » au sujet du procès et de la clarification des allégations pour la simple raison qu’une autre partie du rapport porte sur des questions juridiques et sur les avis donnés à leur sujet. Il convient plutôt d’expurger du rapport les conseils juridiques qui s’y trouvent et, à titre d’exemple, on pourrait prélever la partie du rapport comprise entre le milieu de la page 23 et la fin de la page 30.

[20]      La protonotaire a ensuite examiné l’argument de Me Slansky suivant lequel, dans la mesure où le rapport final était en tout ou en partie protégé par le secret professionnel de l’avocat, le CCM devait être présumé avoir renoncé à ce privilège en divulguant le rapport à des tiers. Elle a fait observer que le CCM avait transmis une copie du rapport au Barreau du Haut-Canada en vue de le faire verser au dossier de l’enquête que le Barreau menait sur la plainte déposée par le juge Thompson contre Me Slansky. Elle a également fait observer qu’une autre copie avait été envoyée aux mêmes fins au sous-procureur général à la demande du juge Thompson. À son avis, le CCM et le Barreau du Haut-Canada avaient un mandat similaire et un but commun pour ce qui était d’enquêter sur les plaintes d’inconduite, surtout lorsque des plaintes sont déposées contre un juge et un avocat ayant participé au même procès. Pour cette raison, elle a estimé que l’argument de Me Slansky était intenable en raison des intérêts en commun que ces organismes de réglementation partageaient du fait qu’ils avaient à cœur qu’une bonne décision soit rendue au sujet des plaintes en question.

[21]      La protonotaire a ensuite examiné l’argument du CCM suivant lequel les renseignements qui ne sont pas protégés par le secret professionnel de l’avocat bénéficient par ailleurs de la protection d’un privilège d’intérêt public. L’intérêt public invoqué par le CCM à l’appui de son argument portait sur le fait que, sans garantie de confidentialité, il serait difficile d’obtenir des renseignements complets, fiables et francs au sujet du juge visé par la plainte. La protonotaire a également tenu compte d’un argument du CCM suivant lequel l’indépendance de la magistrature pourrait être compromise si l’état d’esprit du juge au cours du processus de délibération ou de prise de décision était rendu public. Elle a toutefois expliqué que ces arguments ne la convainquaient pas et elle a fait observer que rien ne permettait de penser que les gens qui avaient été interrogés en vue de la rédaction du rapport Friedland n’auraient pas été francs s’ils avaient su que les renseignements qu’ils communiquaient pouvaient devenir publics. Elle a également souligné qu’il était toujours loisible au CCM de tenir une enquête formelle qui lui permettrait de contraindre des personnes à témoigner sous serment s’il estimait que l’enquête informelle n’avait pas permis de recueillir des éléments de preuve fiables et suffisamment complets.

[22]      Le paragraphe suivant traduit l’essentiel du raisonnement de la protonotaire sur cette question (Slansky, précitée, au paragraphe 38) :

   Je suis convaincue qu’il est dans l’intérêt du public de savoir comment le CCM traite les plaintes portées contre des juges pour s’assurer de la confiance du public en qui concerne l’intégrité du processus, et pour s’assurer aussi que la demande de contrôle judiciaire puisse être examinée utilement. Je ne puis conclure que la divulgation des faits porterait atteinte à l’examen de la présente plainte ou de toute autre plainte qui pourrait à l’avenir être portée contre des membres de la magistrature. Le fait qu’une plainte a été portée n’était pas en soi un secret et l’identité des personnes auprès desquelles l’avocat chercherait à obtenir des renseignements ne serait pas non plus nécessairement un secret. En tout état de cause, dans la mesure où cette préoccupation existe, l’avocat du demandeur a suggéré à l’audience que le nom de ces personnes soit expurgé ou que l’article 151 des Règles des Cours fédérales pourrait éventuellement s’appliquer lors de la présentation d’une requête ultérieure en confidentialité portant sur des renseignements particulièrement sensibles. Cette suggestion a également été rejetée par le CCM à l’audience, mais elle demeure une mesure qui peut être réclamée au besoin plus tard dans le cadre d’une autre requête.

[23]      Pour tous ces motifs, la protonotaire a ordonné au CCM de déposer une copie du rapport Friedland et d’indiquer sur cette copie les passages à expurger, le tout conformément à ses motifs. Après que la Cour en aurait établi la version définitive expurgée, le rapport Friedland expurgé devait être produit et versé au dossier conformément à la règle 317 des Règles.

3. Le régime législatif

[24]      Le CCM est un organisme législatif qui a été constitué en vertu de l’article 59 [mod. par L.C. 1996, ch. 30, art. 6; 1999, ch. 3, art. 77; 2002, ch. 7, art. 195; ch. 8, art. 104] de la Loi sur les juges. Il est composé du juge en chef du Canada et de tous les juges en chef et juges en chef adjoint des juridictions supérieures du Canada. Il a pour mission de mener des enquêtes sur toute plainte portant sur les juges nommés par le gouvernement fédéral (alinéa 60(2)c)).

[25]      Il y a deux façons de saisir le CCM d’une plainte. Aux termes du paragraphe 63(1) de la Loi sur les juges, le ministre de la Justice du Canada ou le procureur général d’une province peut demander au Conseil d’ouvrir une enquête sur la question de savoir si un juge d’une juridiction supérieure devrait être révoqué pour tout motif énoncé aux alinéas 65(2)a) à d). Suivant le paragraphe 63(2), « [l]e Conseil peut en outre enquêter sur toute plainte ou accusation relative à un juge d’une juridiction supérieure ».

[26]      Lorsqu’il mène une enquête, le CCM est réputé constituer une juridiction supérieure et il a le pouvoir de contraindre des témoins à déposer sous la foi du serment (paragraphe 63(4)). Le CCM peut interdire la publication de tous renseignements ou documents produits devant lui ou au cours de l’enquête ou découlant de celle‑ci (paragraphe 63(5)). Le Conseil peut également, sauf ordre contraire du ministre, ordonner que l’enquête se tienne à huis clos (paragraphe 63(6)). À l’issue de l’enquête, le Conseil peut recommander la révocation du juge s’il est d’avis que le juge en cause est inapte à remplir utilement ses fonctions, ou il peut décider de ne formuler aucune recommandation (article 65).

[27]      Le CCM a adopté des « Procédures relatives aux plaintes » qui régissent l’examen de plaintes. On trouve les dispositions pertinentes de ce document à l’annexe jointe aux présents motifs. Sur réception d’une plainte et après avoir obtenu la réponse du juge concerné et de son juge en chef, le président peut « demander à un avocat de mener une enquête supplémentaire et de rédiger un rapport, si le président est d’avis qu’un tel rapport faciliterait l’examen de la plainte » (alinéa 5.1c)). Après avoir examiné le rapport de l’avocat, le président peut rejeter la plainte, mettre le dossier en suspens en attendant l’application de mesures correctives ou déférer le dossier en comité d’examen (article 8.1). Le recours à l’avocat se veut une procédure sommaire de contrôle préalable des plaintes en tant que mesure de rechange à leur renvoi direct à un comité d’examen. Ainsi que la Cour d’appel fédérale l’a fait observer dans l’arrêt Cosgrove c. Conseil canadien de la magistrature, 2007 CAF 103, [2007] 4 R.C.F. 714, au paragraphe 77, cette procédure d’examen préalable « permet la résolution rapide d’une plainte à l’aide de mesures correctives, sans que soit créé un comité d’enquête ».

4. Questions en litige

[28]      Le présent appel soulève les questions suivantes :

a) Quelle est la norme de contrôle applicable?

b) La protonotaire a‑t‑elle commis une erreur de droit en statuant que le rapport n’était pas protégé au complet par le secret professionnel de l’avocat?

c) La protonotaire a‑t‑elle commis une erreur de droit en statuant que le rapport n’était pas protégé par un privilège d’intérêt public?

d) Pour le cas où l’ordonnance de la protonotaire serait annulée et où la Cour n’ordonnerait pas la production du rapport Friedland, y aurait-il lieu de convertir la demande de contrôle judiciaire en action conformément au paragraphe 18.4(2) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 28] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7 [art. 1 (mod., idem, art. 14)]?

[29]      Il est important de signaler que le procureur général du Canada intimé n’a pris part au présent appel que pour s’opposer à la requête présentée par le demandeur en vue de convertir sa demande en action. L’avocate du procureur général n’a pas pris position au sujet des trois premières questions et elle s’est essentiellement fondée sur les arguments qu’elle avait plaidés devant la protonotaire pour ce qui est de la quatrième question.

5. Analyse

a) La norme de contrôle

[30]      Il est de jurisprudence constante que les juges de notre Cour doivent faire preuve de déférence envers les décisions des protonotaires tout comme les juridictions d’appel le font lorsqu’elles sont appelées à examiner les décisions discrétionnaires des juges de première instance. La Cour doit faire preuve de cette déférence et ne pas modifier la décision de la protonotaire, sauf dans les deux cas suivants : « a) l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal, b) l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits » (Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, [2004] 2 R.C.F. 459 (Apotex), au paragraphe 19). (Voir également l’arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.), au paragraphe 95 (publié sur CanLII).)

[31]      En l’espèce, les questions soulevées dans la requête de l’intervenant ne portent de toute évidence pas sur des points qui auront une influence déterminante sur l’issue du contrôle judiciaire. La protonotaire a rendu une ordonnance interlocutoire prescrivant la production d’une copie expurgée du rapport Friedland. Cette ordonnance ne tranche d’aucune façon la question de fond à examiner en réponse à la demande de contrôle judiciaire, en l’occurrence celle de savoir si le CCM (par l’intermédiaire du juge en chef Scott) a commis une erreur justifiant l’infirmation de sa décision en rejetant la plainte de Me Slansky. Ainsi que la Cour d’appel fédérale l’a souligné dans l’arrêt Apotex, précité, au paragraphe 22, le premier volet du critère doit être appliqué de façon stricte si l’on doit donner effet à l’intention qu’avait le législateur en créant la charge de protonotaire. Loin d’être une simple « “étape” préliminaire sur le chemin de la procédure qui mène au juge des requêtes », pour reprendre la formule employée par la Cour d’appel dans l’arrêt Apotex, précité, le rôle du protonotaire est de promouvoir la bonne administration de la justice et l’efficacité de la Cour. L’ordonnance de la protonotaire Milczynski visait de toute évidence à favoriser le déroulement de l’instance et non à préjuger la décision finale. Dans cette mesure, elle a droit à la déférence de notre Cour.

[32]      Aucune des parties n’a prétendu que la décision de la protonotaire reposait sur une interprétation erronée des faits. En conséquence, le seul moyen d’obtenir la modification de l’ordonnance de la protonotaire est de démontrer clairement que cette décision est mal fondée en ce sens qu’elle reposait sur un principe erroné ou sur une mauvaise interprétation de la loi.

b) Le secret professionnel de l’avocat

[33]      Il n’y a pas de débat entre les parties au sujet de la nature et de la portée du privilège du secret professionnel de l’avocat. Ce privilège remonte au XVIe siècle et il reposait alors sur le serment d’honneur qui forçait l’avocat à garder secrètes les informations qu’il avait obtenues de son client (Alan W. Bryant, Sidney N. Lederman et Michelle K. Fuerst. The Law of Evidence in Canada, 3e éd. (Markham, Ont. : LexisNexis Canada, 2009), au paragraphe 14.42 (Sopinka, Lederman et Fuerst, The Law of Evidence in Canada)).

[34]      Au XVIIIe siècle, la raison d’être du secret professionnel de l’avocat avait évolué et était plutôt motivée pour la recherche de la vérité. Il est maintenant bien établi que le secret professionnel de l’avocat est essentiel au bon fonctionnement de notre système juridique. La complexité du droit exige des connaissances spécialisées de la part des professionnels et les conseils que donne un avocat ne valent que dans la mesure où les renseignements factuels sur lesquels ils reposent sont valables. Ainsi que le juge Cory l’a expliqué dans l’arrêt Smith c. Jones, [1999] 1 R.C.S. 455, au paragraphe 46 (publié sur CanLII) :

   Les clients qui consultent un avocat doivent pouvoir s’exprimer en toute liberté avec la certitude que ce qu’ils disent ne sera pas divulgué sans leur consentement. Il ne faut pas oublier que le privilège appartient au client et non à l’avocat. Le privilège est essentiel si l’on veut que des avis juridiques judicieux soient donnés dans tous les domaines. Il revêt une grande importance dans presque chaque cas où un avis juridique est sollicité, qu’il s’agisse d’opérations commerciales, de relations familiales, de litiges civils ou d’accusations criminelles. Les secrets de famille, les secrets d’entreprise, les faiblesses et les étourderies doivent parfois être révélés par le client à l’avocat. Sans ce privilège, les clients ne pourraient parler avec franchise à leurs avocats ni leur communiquer l’ensemble des renseignements qu’ils doivent connaître pour conseiller judicieusement leurs clients. Il s’agit d’un élément qui constitue une partie extrêmement importante du fonctionnement du système judiciaire. C’est en raison de l’importance cruciale de ce privilège qu’il incombe à juste titre à ceux qui désirent l’écarter de justifier une mesure d’une telle gravité. [Non souligné dans l’original.]

Voir également, dans le même sens : Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Blood Tribe Department of Health, 2008 CSC 44, [2008] 2 R.C.S. 574 (Blood Tribe), au paragraphe 9.

[35]      À l’origine, le privilège du secret professionnel de l’avocat était conçu comme une règle de preuve et il était considéré comme un simple privilège du témoin qui ne pouvait être invoqué que dans le cadre d’un procès. La jurisprudence récente s’est toutefois dissociée de cette position en reconnaissant que l’on devait désormais considérer ce privilège comme une règle de fond dont le rôle va beaucoup plus loin que d’empêcher la présentation de documents protégés en preuve dans le cadre d’une instance judiciaire. Le secret professionnel de l’avocat englobe toute consultation visant à obtenir une opinion juridique et il ne se limite plus aux communications échangées au cours d’un procès. Ainsi que le juge Binnie l’a expliqué, dans l’arrêt Blood Tribe, précité, au paragraphe 10, au nom d’une Cour unanime :

Bien que le privilège du secret professionnel de l’avocat ait d’abord été considéré comme une règle de preuve, il constitue sans aucun doute maintenant une règle de fond applicable à toutes les communications entre un client et son avocat lorsque ce dernier donne des conseils juridiques ou agit, d’une autre manière, en qualité d’avocat et non en qualité de conseiller d’entreprise ou à un autre titre que celui de spécialiste du droit : Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821, p. 837; Descôteaux c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860, p. 885‑887; R. c. Gruenke, [1991] 3 R.C.S. 263; Smith c. Jones, [1999] 1 R.C.S. 455; Société d’énergie Foster Wheeler ltée c. Société intermunicipale de gestion et d’élimination des déchets (SIGED) inc., [2004] 1 R.C.S. 456, 2004 CSC 18, par. 40‑47; McClure, par. 23‑27; Blank c. Canada (Ministre de la Justice), [2006] 2 R.C.S. 319, 2006 CSC 39, par. 26; Goodis c. Ontario (Ministère des Services correctionnels), [2006] 2 R.C.S. 32, 2006 CSC 31; Celanese Canada Inc. c. Murray Demolition Corp., [2006] 2 R.C.S. 189, 2006 CSC 36; Juman c. Doucette, [2008] 1 R.C.S. 157, 2008 CSC 8. Il existe une rare exception, qui ne s’applique pas en l’espèce : aucun privilège ne protège les communications criminelles en elles-mêmes ou qui tendraient à réaliser une fin criminelle (voir Descôteaux, p. 881; R. c. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565). La nature extrêmement restreinte de cette exception fait ressortir, plutôt que l’atténuer, la suprématie de la règle générale selon laquelle le privilège du secret professionnel de l’avocat est établi et préservé de façon « aussi absolu[e] que possible pour assurer la confiance du public et demeurer pertinent » (McClure, par. 35).

[36]      Compte tenu de l’intérêt important qu’a le public à protéger les communications échangées entre l’avocat et son client, il n’est pas étonnant que ce privilège soit considéré comme quasi absolu. D’ailleurs, les tribunaux répugnent à intervenir dans l’exercice de ce privilège et ne le font que dans les circonstances les plus exceptionnelles. Il en serait ainsi par exemple lorsque les communications échangées entre une personne et son conseiller juridique sont de nature criminelle ou visent à obtenir un avis juridique pour faciliter la perpétration d’un crime ou encore lorsque le respect de ce principe aurait pour effet d’empêcher l’accusé de faire valoir une défense pleine et entière (voir, par exemple, R. c. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565 (Campbell), aux paragraphes 55 et 65 (publié sur CanLII)).

[37]      Pour traduire l’importance que revêt le secret professionnel de l’avocat pour l’administration de la justice, la Cour suprême du Canada a, dans l’arrêt Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821 (Solosky), à la page 835 (publié sur CanLII), repris à son compte la définition large suivante du secret professionnel de l’avocat proposé par Wigmore on Evidence [Evidence in Trials at Common Law par John Henry Wigmore] (McNaughton, Revision [vol. 8, Boston : Little, Brown & Co.], 1961, au paragraphe 2292) :

   [traduction] Les communications faites par le client qui consulte un conseiller juridique ès qualité, voulues confidentielles par le client, et qui ont pour fin d’obtenir un avis juridique font l’objet à son instance d’une protection permanente contre toute divulgation par le client ou le conseiller. [Italique dans l’original; note en bas de page omise.]

[38]      Une fois l’existence du secret professionnel établie, le privilège englobe une vaste gamme de communications échangées entre l’avocat et son client (Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne), 2004 CSC 31, [2004] 1 R.C.S. 809 (Pritchard), au paragraphe 16):

Une fois son existence établie, le privilège a une portée particulièrement large et générale. Dans Descôteaux c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860, p. 893, notre Cour a statué que le privilège s’attachait « à toutes les communications faites dans le cadre de la relation client‑avocat, laquelle prend naissance dès les premières démarches du client virtuel, donc avant même la formation du mandat formel ».

[39]      Le fait de reconnaître une protection aussi large est conforme au caractère global du secret professionnel de l’avocat, ainsi que la Cour suprême l’a expliqué dans l’arrêt R. c. National Post, 2010 CSC 16, [2010] 1 R.C.S. 477, au paragraphe 42 :

Dans le cas d’un privilège générique, l’important n’est pas tant le contenu de la communication que la protection du genre de relation. En principe, une fois que la relation nécessaire est établie entre la partie qui se confie et celle à qui elle se confie, les renseignements ainsi confiés sont présumés confidentiels par application du privilège, sans égard aux circonstances […] Suivant la jurisprudence, sans cette confidentialité générale, il serait impossible de donner au client de l’avocat ou à l’indicateur de police la garantie nécessaire pour qu’il puisse faire ce que l’administration de la justice exige de lui.

[40]      Comme on pouvait s’y attendre, l’avocat du CCM table fortement sur la portée de la protection qu’offre le privilège, soulignant qu’il englobe une vaste gamme de communications échangées entre l’avocat et son client. Il affirme par conséquent que la protonotaire a commis une erreur en concluant que la partie factuelle du rapport Friedland n’était pas couverte par le secret professionnel de l’avocat et qu’elle pouvait être extraite des conclusions et des opinions juridiques qu’on y trouve.

[41]      Avant d’arriver à cette conclusion, il faut d’abord avoir établi l’existence du secret professionnel de l’avocat. Le simple fait qu’une communication soit échangée entre un avocat et une autre personne ou que la mention « secret professionnel » soit apposée sur un document ne permet pas nécessairement de conclure qu’une authentique relation avocat-client a été crée. Il en sera en particulier ainsi au sein d’une personne morale ou de l’appareil étatique, où les avocats « internes » cumulent de nombreuses attributions et peuvent être appelés à donner des opinions dans un domaine qui est étranger à leur formation ou à leur spécialisation juridique. Chaque cas est un cas d’espèce, qu’il faut examiner pour déterminer si les circonstances justifient l’existence du privilège. Il s’agit d’un critère de nature fonctionnelle : « Le secret professionnel de l’avocat s’appliquera ou non à [une] situation [donnée] selon la nature de la relation, l’objet de l’avis et les circonstances dans lesquelles il est demandé et fourni » (Campbell, précité, au paragraphe 50; Pritchard, précité, au paragraphe 20).

[42]      En d’autres termes, celui qui cherche à revendiquer le privilège doit démontrer : 1) qu’il existe une communication entre un avocat et un client; 2) qui comporte une consultation ou un avis juridique; et 3) que les parties considèrent de nature confidentielle (Solosky, précité, à la page 837; Pritchard, précité, au paragraphe 15). Je vais maintenant examiner à tour de rôle ces conditions et déterminer si elles sont réunies en l’espèce.

[43]      En résumé, l’avocat de Me Slansky a formulé les arguments suivants. Il affirme en premier lieu que la loi n’oblige pas le CCM à engager un avocat pour examiner des plaintes, ajoutant que, bien qu’il soit peut-être préférable d’en confier l’examen à une personne possédant une formation juridique, il n’est pas obligatoire que l’intéressé soit membre du Barreau. La personne engagée pour mener l’enquête pourrait être par exemple un juge à la retraite ou un professeur d’université qui n’est membre d’aucun Barreau. Le CCM ne pourrait supprimer le contenu factuel du dossier simplement en engageant un avocat pour qu’il recueille les faits en tant qu’enquêteur. En second lieu — et cet argument s’apparente étroitement au premier —, l’avocat de Me Slansky fait valoir que le professeur Friedland a été engagé pour mener une enquête et pour recueillir les faits à l’instar du policier qui mène une enquête sur des accusations criminelles. Le fait que le professeur Friedland ait débordé le cadre de ses fonctions et ait offert des opinions juridiques ne change en rien son mandat et ne fait pas en sorte que son rapport est revêtu de la protection du secret professionnel de l’avocat.

[44]      Il est vrai que lorsqu’on examine la lettre d’engagement du professeur Friedland ainsi que la politique relative aux avocats engagés dans des affaires de conduite des juges, politique qui est citée dans cette même lettre, le rôle de l’avocat paraît être essentiellement celui d’un « enquêteur ». Non seulement ne trouve‑t‑on aucune mention de quelque rôle consultatif que ce soit, mais il n’est nulle part mentionné que l’avocat est censé donner des avis juridiques ou d’effectuer quelque analyse juridique que ce soit. Au contraire, suivant l’alinéa 5.1c) des Procédures relatives aux plaintes, son rôle consiste « simplement à s’efforcer d’apporter des éclaircissements sur les accusations portées contre le juge et à réunir des éléments de preuve qui, s’ils étaient établis, serviraient de fondement à ces accusations ou, au contraire, leur retireraient toute légitimité ». Sur ce seul fondement, il est incontestable que le secret professionnel de l’avocat ne s’appliquerait pas aux rapports échangés entre l’avocat et le CCM.

[45]      L’avocat du CCM fait observer que ce libellé vise à empêcher l’avocat d’usurper le rôle du président, qui est la personne chargée de trancher l’affaire. Invoquant le principe du droit administratif delegatus non potest delegare, l’avocat du CCM affirme qu’il convient de protéger l’intégrité du processus de prise de décisions et que la politique en question vise à souligner le fait que c’est le président qui prend la décision finale au nom du CCM et non l’avocat nommé pour enquêter sur la plainte.

[46]      Bien qu’il s’agisse sans conteste d’une explication intéressante, force est d’admettre qu’elle n’est pas tout à fait convaincante. L’avocat pourrait avoir pour mandat de faire enquête sur les faits et de proposer une analyse juridique ou même des recommandations sans se hasarder sur un terrain interdit. Il n’y aurait rien de mal à affirmer que le rôle du président consiste à déterminer, en se fondant sur l’ensemble des éléments de preuve pertinents et à la lumière d’une opinion juridique, s’il y a lieu de déférer le dossier à un comité d’appel. Si c’est effectivement la raison pour laquelle on retient les services d’un avocat, la transparence exigerait qu’on le déclare explicitement. Dès lors que l’avocat n’est pas le simple prolongement du président et que son rapport n’est pas destiné à être approuvé aveuglément, il n’y a rien de mal à ce que le président cherche à obtenir un avis juridique pour s’acquitter de sa tâche.

[47]      Ceci étant dit, je ne crois pas que cette lacune porte un coup fatal à la thèse défendue par le CCM. Il faut se rappeler que, pour déterminer si une situation déterminée donne lieu à l’application du privilège du secret professionnel de l’avocat, on ne doit pas s’en tenir à un document particulier, même dans le mandat de représentation en justice de l’avocat; il faut tenir compte de l’ensemble des circonstances. Envisagée sous cet angle, la thèse du CCM est davantage convaincante. On ne peut inférer l’intention des parties exclusivement de la lettre de mandat; lorsqu’on examine la nature des rapports qui existaient entre le CCM et le professeur Friedland et que l’on tient compte également des circonstances dans lesquelles le rapport a été demandé et présenté, force est de conclure qu’une relation avocat-client a été créée.

[48]      En tout premier lieu, suivant la preuve non contredite du CCM, en demandant au professeur Friedland de mener « une enquête supplémentaire » au sens de l’alinéa 5.1c) des Procédures relatives aux plaintes, le CCM s’attendait à ce que le professeur Friedland donne une opinion juridique. Le directeur exécutif et avocat général principal du CCM, Me Sabourin, qui a abordé Me Friedland au départ et a rédigé la lettre de mandat, déclare ce qui suit dans son affidavit (dossier de requête du demandeur, à la page 211) :

[traduction]

26. Ceux qui sont engagés comme avocats reçoivent pour instructions de recueillir des renseignements au sujet des allégations se rapportant à la plainte et de proposer leur analyse et leurs recommandations en tant qu’avocat au sujet des allégations en question en vue de leur examen par le président du Comité sur la conduite des juges.

27. S’agissait du mandat confié à l’avocat chargé de mener une enquête supplémentaire, le président et moi-même nous attendons à ce que le rapport de l’avocat soit considéré comme contenant un avis juridique parce que nous retenons les services d’un conseiller juridique à qui nous demandons de faire enquête sur les faits et de nous soumettre son analyse et ses recommandations au sujet des faits en question dans le cadre de la mission que la loi confie au Conseil et des obligations qu’elle lui impose lorsqu’il est saisi d’une plainte.

[49]      Il semble que le professeur Friedland était lui aussi d’avis qu’il avait été engagé comme avocat et qu’on recourait à ses services pour obtenir son opinion juridique au sens large du terme. C’est ce qu’on peut déduire du fait que la première page de son rapport porte la mention [traduction] « le présent document est CONFIDENTIEL et est protégé par le SECRET PROFESSIONNEL DE L’AVOCAT ». Cette conclusion se trouve encore renforcée par le fait que son rapport regorge d’avis et d’analyses juridiques. Je reviendrai bientôt sur cet aspect. Il semblerait donc que les deux parties étaient d’avis que l’opinion juridique qui a été demandée et obtenue était confidentielle et ne devait pas être divulguée.

[50]      Comme nous l’avons déjà mentionné, l’avocat de Me Slansky a fait valoir qu’il n’était pas essentiel que l’enquêteur possède des compétences juridiques spécialisées, étant donné que la mission envisagée consistait simplement à recueillir les faits et à en rendre compte. L’avocat a reconnu qu’il était utile d’avoir une formation en droit, mais il a ajouté qu’il n’était pas nécessaire d’être membre du Barreau pour satisfaire à cette exigence.

[51]      À mon avis, le fait que les Procédures relatives aux plaintes exigent que l’enquête supplémentaire soit menée par un conseiller de l’extérieur qui est avocat est tout à fait logique compte tenu du mandat qui lui est confié. Le rôle crucial du CCM et de son Comité sur la conduite des juges consiste à déterminer si la conduite d’un juge visée par une plainte équivaut à une inconduite. L’exercice de ce rôle justifie également la formulation d’une recommandation au ministre en vue de la destitution du juge conformément au paragraphe 65(2) de la Loi sur les juges. L’enquête peut également porter sur la question de savoir si le juge a commis des erreurs de droit qu’il est préférable de faire juger par les tribunaux dans le cadre d’un appel.

[52]      Je suis d’accord avec l’avocat du CCM pour dire que, pour pouvoir « simplement [...] s’efforcer d’apporter des éclaircissements sur les accusations portées contre le juge et à réunir des éléments de preuve qui, s’ils étaient établis, serviraient de fondement à ces accusations ou, au contraire, leur retireraient toute légitimité », pour citer les Procédures relatives aux plaintes, l’enquêteur doit connaître les éléments juridiques des allégations spécifiques et, de façon plus générale, être au courant des concepts d’« inconduite judiciaire » et d’« incapacité ». En l’espèce, par exemple, Me Slansky accusait, dans sa lettre de 16 pages, le juge de partialité, de malveillance, d’abus d’autorité et d’avoir sciemment enfreint la loi. Pour être en mesure de déterminer s’il existe des éléments de preuve susceptibles d’appuyer les allégations en question, l’enquêteur doit être capable de se prononcer sur l’importance de ces éléments. Il s’agit essentiellement d’une activité juridique qui oblige l’intéressé à déterminer s’il existe un lien probant entre les faits à prouver et les faits en litige selon le droit substantiel. La pertinence et l’importance relatives des éléments de preuve sont des questions qu’il appartient au juge du droit de trancher dans le cadre d’une instance judiciaire, tandis que le poids à accorder à ces éléments de preuve est une décision qui revient au juge des faits (Sopinka, Lederman et Bryant, The Law of Evidence in Canada, aux pages 56 à 58, paragraphes 2.49 et 2.50). Une fois de plus, il était essentiel que l’enquêteur soit bien au fait des principes de preuve et de droit substantiel pour être en mesure de déterminer si les exemples cités par Me Slansky à l’appui de sa plainte constituaient de simples erreurs de droit qu’il valait mieux laisser une juridiction d’appel trancher ou si ces exemples soulevaient effectivement, qu’on les considère isolément ou comme un tout, le genre de préoccupations exprimées par Me Slansky.

[53]      Qui plus est, l’enquêteur doit toujours veiller à l’équité procédurale du processus. Les Procédures relatives aux plaintes obligent elles-mêmes l’avocat à garantir le droit du juge à l’équité procédurale. Elles ordonnent [à l’article 7.2] expressément à l’avocat de s’assurer qu’il a fourni au juge suffisamment de renseignements sur les allégations formulées et sur les éléments de preuve qui s’y rapportent « pour […] permettre [au juge] de présenter une réponse complète ». Ainsi que la Cour suprême l’a déclaré dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 (publié sur CanLII), l’obligation d’équité procédurale est souple et dépend de l’appréciation du contexte de la loi et des droits visés. Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte lorsqu’il s’agit de définir le contenu de l’obligation d’agir avec équité, et un avocat est certainement mieux placé que quiconque pour procéder à cette analyse. Le fait qu’un professeur d’université ou un juge à la retraite pourrait remplir les conditions nécessaires pour mener une enquête ne change rien à cet argument. Il se peut tout au plus que l’obligation énoncée dans les Procédures relatives aux plaintes suivant laquelle l’enquêteur doit être un avocat soit un peu trop limitative. Peu importe la raison de ce choix de principe, il illustre en tout état de cause l’importance de choisir un enquêteur qui possède une formation et des compétences juridiques.

[54]      Vu ce qui précède, je suis par conséquent d’accord avec le CCM pour dire que l’avocat ne pouvait que recueillir et examiner les faits pertinents et présenter ses conclusions et son analyse en respectant un cadre ou une analyse juridique déterminée. Il n’y a aucun doute dans mon esprit que le professeur Friedland a été engagé par le CCM en sa qualité professionnelle d’avocat et que le CCM s’attendait à ce qu’il offre son aide en raison de ses compétences et de son analyse juridiques.

[55]      Une lecture attentive du rapport du professeur Friedland le confirme. Le professeur Friedland offre son analyse juridique en ce qui concerne les allégations de partialité et d’application manifestement erronée de la loi dans les dernières pages de son rapport. Le professeur Friedland s’est par ailleurs donné la peine d’examiner attentivement le procès-verbal et la transcription des débats ainsi que les entrevues réalisées auprès de plusieurs témoins clés pour exposer ce qu’il estimait être les faits saillants du procès et sa compréhension des diverses interactions entre les participants. Le fait que l’avocat ne conclut pas son analyse juridique par une conclusion définitive au sujet d’une question précise n’enlève rien au fait que les communications sont protégées par le secret professionnel de l’avocat.

[56]      La protonotaire l’a d’ailleurs reconnu dans sa décision. Elle a convenu que le professeur Friedland avait offert jusqu’à un certain point une analyse et un avis juridiques. Même si elle était d’avis que le professeur Friedland avait débordé le cadre de son mandat en donnant les avis et l’analyse en question, parce qu’elle se concentrait sur le rôle des avocats chargés de mener une enquête supplémentaire selon les Procédures relatives aux plaintes et la politique, la protonotaire a admis qu’elle ne pouvait conclure qu’il s’agissait de commentaires gratuits ou d’avis juridiques non sollicités. Pour cette raison, elle a estimé qu’au moins une partie du rapport Friedland était protégée par le secret professionnel de l’avocat et qu’il convenait d’expurger du rapport les conseils juridiques qui s’y trouvaient et qu’on pouvait notamment prélever la partie du rapport comprise entre le milieu de la page 23 et la fin de la page 30.

[57]      Cette façon de voir est conforme à la jurisprudence, suivant laquelle le secret professionnel de l’avocat s’applique lorsqu’on demande à un conseiller juridique professionnel de formuler un avis juridique de quelque nature que ce soit en sa capacité de conseiller juridique professionnel. Dans l’arrêt College of Physicians of B.C. v. British Columbia (Information and Privacy Commissioner), 2002 BCCA 665, 9 B.C.L.R. (4th) 1 (College of Physicians), la Cour a conclu que l’avocate à qui le Sexual Review Conduct Committee avait confié le mandat de déterminer s’il existait suffisamment de renseignements vu l’ensemble de la preuve pour justifier la formulation d’accusations disciplinaires agissait en qualité d’avocate lorsqu’elle a enquêté sur la plainte. La Cour a écrit ce qui suit (College of Physicians, précité, au paragraphe 42) :

   [traduction] À mon avis, le commissaire et le juge siégeant en son cabinet ont commis une erreur en concluant que l’avocate du collège n’agissait pas en sa qualité d’avocate lorsqu’elle a fait enquête sur la plainte de la demanderesse. Elle agissait conformément aux instructions de son client en vue de recueillir les faits nécessaires pour donner au comité un avis juridique au sujet de ses obligations légales par suite de la plainte. Elle avait donc été engagée pour donner une opinion juridique à son client.

[58]      C’est précisément la situation dans le cas qui nous occupe. Lorsqu’on examine la nature des rapports qui existaient entre le CCM et le professeur Friedland, l’objet de son rapport ainsi que les circonstances dans lesquelles il a été demandé et présenté, force est de conclure que l’avis qu’il a donné donne lieu à l’application du privilège du secret professionnel de l’avocat.

[59]      Il nous reste donc à examiner la question de savoir si ce privilège s’applique à l’ensemble du rapport ou si, comme l’a estimé la protonotaire, il s’applique uniquement à ce qu’elle considérait en être la partie juridique. En toute déférence, c’est ici que je me dissocie de sa décision.

[60]      La protonotaire conclut, au paragraphe 30 de sa décision, qu’il est « possible de [dissocier] les faits recueillis par “l’avocat” dans le cadre de son travail d’enquête » des avis sur des questions juridiques protégées par le privilège qui étaient donnés dans le rapport (Slansky, précitée). Elle a fondé sa conclusion sur son hypothèse que les « faits sont distincts des avis donnés sur des questions juridiques protégées par un privilège » (Slansky, précitée, au paragraphe 30). Cette hypothèse est non seulement injustifiée et sans aucun fondement dans la jurisprudence, mais elle contredit complètement la protection « quasi absolue » dont bénéficie le secret professionnel de l’avocat. Et nous ne parlons pas ici des difficultés pratiques qu’on rencontrerait, dans de nombreux cas, s’il fallait décortiquer un avis juridique pour en séparer les éléments factuels des éléments juridiques.

[61]      Il faut partir du principe que, dès lors que l’existence du secret professionnel de l’avocat a été démontrée, son champ d’application est extrêmement large et englobe les renseignements factuels sur lesquels est fondée l’analyse juridique. Ainsi que la Cour suprême l’a déclaré dans l’arrêt Pritchard, précité, au paragraphe 16 :

   Généralement, le privilège avocat-client s’applique dans la mesure où la communication s’inscrit dans le cadre habituel et ordinaire de la relation professionnelle. Une fois son existence établie, le privilège a une portée particulièrement large et générale.

[62]      Une des conséquences de ce principe est qu’une autorisation législative explicite est nécessaire pour supprimer le privilège ou en atténuer la portée. Le privilège du secret professionnel ne peut être supprimé par inférence. Dans l’arrêt Blood Tribe, précité, la Cour suprême a carrément abordé la question (au paragraphe 11) :

   Pour donner effet à ce principe de droit fondamental, notre Cour a statué que les dispositions législatives susceptibles (si elles sont interprétées de façon large) d’autoriser des atteintes au privilège du secret professionnel de l’avocat doivent être interprétées de manière restrictive. Le privilège ne peut être supprimé par inférence. On considérera ainsi qu’une disposition d’acception large régissant la production de documents ne vise pas les documents protégés par le secret professionnel de l’avocat […] [Italique dans l’original.]

[63]      Dans l’affaire Pritchard, précitée, la Cour suprême se penchait sur une disposition législative équivalente à la règle 317 des Règles, qui exigeait la production du dossier de l’instance d’un tribunal administratif dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire. La Cour a estimé qu’un « dossier de l’instance » n’englobait pas les communications privilégiées entre l’avocat et son client, étant donné que le législateur n’avait pas exprimé clairement et sans équivoque son intention d’écarter ce privilège. Cette analyse s’applique directement à l’affaire qui nous occupe, étant donné que la règle 317 des Règles ne renferme aucune disposition expresse permettant d’écarter le privilège du secret professionnel de l’avocat.

[64]      Il n’y a tout simplement aucun précédent qui permette de soutenir que l’on peut séparer les faits d’une communication qui est protégée par application du secret professionnel de l’avocat. L’arrêt Pritchard, précité, de la Cour suprême du Canada est fort éloquent à ce propos. Après avoir refusé la demande présentée par l’appelante en vue d’obtenir la production d’une opinion juridique dans le cadre du dossier de l’instance aux motifs que cet avis juridique était protégé par le secret professionnel de l’avocat, la Cour a refusé d’ordonner que les éléments factuels de cet avis juridique soient scindés de l’analyse juridique et qu’ils soient divulgués au motif qu’ils faisaient partie du dossier de l’instance. La Cour a plutôt implicitement jugé que le secret professionnel de l’avocat s’appliquait à l’avis juridique en entier, y compris à ces éléments factuels. Bien que les tribunaux aient à l’occasion accepté de séparer d’un avis juridique protégé par le secret professionnel de l’avocat des documents publics joints en annexe (voir, par exemple, le jugement Murchison c. Exportation et développement Canada, 2009 CF 77, au paragraphe 45), il n’existe aucun précédent dans lequel le tribunal aurait ordonné ce que la protonotaire a ordonné en l’espèce.

[65]      Cette façon de voir se justifie tant par des raisons d’ordre pratique que par des raisons de principe. En raison de l’importance que revêt le privilège pour l’administration d’une justice de qualité au Canada, il convient de s’opposer à toute tentative visant à restreindre ou à entraver ce privilège. Ce qui peut sembler être un renseignement factuel sans importance peut parfois révéler la nature ou la teneur de l’avis juridique demandé. Ainsi que les auteurs Sopinka, Lederman et Bryant le déclarent dans leur ouvrage [The Law of Evidence in Canada, 2e éd. Toronto : Butterworths, 1999] : [traduction] « Il est souvent difficile de distinguer les faits des actes de communication et les tribunaux doivent se garder d’établir une distinction trop subtile de crainte que le privilège ne s’en trouve grandement affaibli » (à la page 734, au paragraphe 14.53).

[66]      Qui plus est, les faits sont souvent si intimement liés à l’analyse juridique qu’il devient pratiquement impossible de les démêler. La décision rendue par la Cour d’appel du Manitoba dans l’affaire Gower v. Tolko Manitoba Inc., 2001 MBCA 11 (CanLII), 196 D.L.R. (4th) 716, en offre un exemple éloquent. Dans cette affaire, un avocat avait été engagé par un employeur pour faire enquête sur une plainte de harcèlement sexuel porté contre l’un de ses employés. La Cour a conclu que l’enquête était inextricablement liée à la fourniture d’un avis juridique. Il est curieux de constater que, dans cette affaire, la lettre de mandat chargeait explicitement l’enquêteur de la mission de fournir un rapport d’enquête et de donner un avis juridique. La Cour a néanmoins déclaré que la lettre de mandat ne serait pas déterminante s’il existait des éléments de preuve permettant de tirer une conclusion contraire. Ce raisonnement va dans le sens de l’approche fonctionnelle adoptée par les tribunaux pour déterminer si le privilège du secret professionnel de l’avocat s’applique ou non.

[67]      La décision rendue par la Cour supérieure de Justice de l’Ontario dans l’affaire R. v. Ahmad, 2008 CanLII 27470, 59 C.R. (6th) 308 (Ahmad), présente une autre analogie utile. Dans cette affaire, sept des dix individus accusés de diverses infractions de terrorisme demandaient au tribunal d’ordonner la communication de la série de documents qui avaient été transmis par le procureur de la Couronne au sous-procureur général pour qu’il les examine afin de décider s’il devait exercer son pouvoir discrétionnaire en vue de consentir à une mise en accusation directe. La Cour a conclu que la série de documents en question constituait une communication faite de façon confidentielle avec un conseiller juridique professionnel en vue de donner et de recevoir une opinion juridique qui était de ce fait protégée par le secret professionnel de l’avocat. Un des accusés affirmait cependant que le juge devait examiner les documents pour séparer les assertions et observations factuelles des éléments consistant en une opinion juridique pure et simple. Faisant observer [au paragraphe 83] qu’un tel argument traduisait [traduction] « une incompréhension totale de la portée de la protection dont bénéficie le privilège du secret professionnel de l’avocat », le juge Dawson déclare (Ahmad, précitée, au paragraphe 84) :

[traduction] De toute évidence, une discussion portant sur les faits et sur ce qu’on doit en retenir implique presque toujours nécessairement la fourniture et l’obtention d’un avis juridique. Les inférences à tirer des faits, les faits que la preuve établit seule ou en combinaison avec d’autres éléments de preuve ainsi que les rapports réciproques entre les faits et le droit et l’ordre public sont tous susceptibles d’être étroitement reliés aux avis juridiques demandés et donnés.

[68]      La seule décision invoquée par la protonotaire pour justifier le prélèvement et la divulgation des éléments factuels du rapport Friedland est l’arrêt Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2007 CAF 87 (Blank), de la Cour d’appel fédérale. Or, une lecture attentive de cette décision me convainc que cet arrêt ne permet pas d’affirmer que l’on peut prélever les éléments factuels d’un document protégé par un privilège.

[69]      Cette affaire concernait l’étendue de l’obligation du ministre de divulguer des portions de documents contenant des communications assujetties au privilège accordé aux opinions juridiques en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A‑1. Cette loi consacre le principe du droit du public à la communication des documents de l’administration fédérale. Lorsqu’une institution fédérale revendique le secret professionnel de l’avocat sur les documents réclamés, la Loi, à la différence de la règle 317 des Règles, prévoit expressément le prélèvement des parties des documents contenant des renseignements protégés (Loi sur l’accès à l’information, articles 23 et 25).

[70]      Tout d’abord, il est évident que l’arrêt de la Cour d’appel s’inscrit dans un contexte législatif tout à fait différent. Il importe de signaler que le CCM n’est pas assujetti à la Loi sur l’accès à l’information, étant donné qu’il ne répond pas à la définition d’« institution fédérale » (Loi sur l’accès à l’information, articles 3 [mod. par L.C. 2006, ch. 9, art. 141], 4 [mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144, ann. VII, no 1(F); 2001, ch. 27, art. 202; 2006, ch. 9, art. 143] et annexe 1).

[71]      Mais, plus fondamentalement, la Cour a estimé que l’obligation légale de prélèvement doit être interprétée restrictivement et qu’elle ne peut servir à prélever des éléments factuels qui font partie d’une communication privilégiée. La Cour a déclaré ce qui suit (Blank, précité, au paragraphe 13) :

   Deuxièmement, il est bien établi que l’article 25 s’applique aux documents visés par l’article 23 […] Toutefois, l’article 25 doit être appliqué aux communications assujetties au secret professionnel d’une manière qui reconnaît la pleine mesure de la protection. L’intention du législateur n’est pas d’exiger le prélèvement de renseignements qui font partie d’une communication privilégiée en exigeant, par exemple, la communication de renseignements qui révéleraient le sujet précis de la communication ou les hypothèses actuelles de l’avis juridique donné ou sollicité.

[72]      Le juge Evans, qui écrivait au nom de la Cour, a donné les éclaircissements suivants après avoir commenté une décision antérieure de la Cour mettant en présence les mêmes parties où la juge Sharlow avait expliqué qu’on pouvait parfois prélever « “le préambule et la conclusion généralement sans grande importance” » ainsi que d’autres renseignements d’identification générale (Blank, précité, aux paragraphes 21 et 22) :

   Troisièmement, la juge Sharlow a inclus dans sa liste de « renseignements d’identification générale » (au paragraphe 23), « le préambule et la conclusion généralement sans grande importance. » Je ne vois pas très bien ce que cela signifie. L’expression « sans grande importance » pourrait être interprétée comme exigeant l’examen du corps d’une communication confidentielle afin de décider si la communication de phrases particulières causerait un préjudice.

   Toutefois, à mon avis, une lecture de l’analyse de la juge Sharlow dans son ensemble (y compris sa déclaration au paragraphe 20 selon laquelle des conseils en matière de politique donnés par un avocat dans une lettre donnant également un avis juridique peuvent ne pas être assujettis au secret professionnel) indique que, selon elle, le critère approprié est la question de savoir si les renseignements font partie de la communication confidentielle. Si c’est le cas, l’article 25 n’exige pas alors qu’ils soient prélevés du reste de la communication confidentielle.

[73]      On ne peut donc invoquer cette décision pour ordonner le prélèvement des faits qui font partie d’une communication privilégiée. Au contraire, cette décision va tout à fait dans le même sens que la jurisprudence de la Cour suprême dont nous avons déjà fait état dans les présents motifs et suivant laquelle le privilège du secret professionnel de l’avocat doit être interprété de façon large et ne devrait être restreint que dans les circonstances les plus exceptionnelles.

[74]      Pour tous les motifs qui ont été exposés, je suis d’avis que tout le rapport du professeur Friedland est protégé par le secret professionnel de l’avocat et que la protonotaire a commis une erreur en concluant que l’on pouvait séparer les éléments factuels des opinions juridiques.

[75]      Ceci étant dit, j’estime que les 6 000 pages de transcription que le professeur Friedland a générées pour pouvoir rédiger son rapport devraient être produites par le CCM de même que tous les autres documents qui ont déjà été produits et dont le professeur Friedland a tenu compte. Même si ces documents n’étaient pas annexés à son rapport, le professeur Friedland a expliqué qu’on pouvait se les procurer (tant en copie papier que sous forme électronique) et qu’il serait heureux de les faire parvenir au CCM au besoin. Ces documents sont de toute évidence publics. Ils ne sont pas protégés par le secret professionnel de l’avocat et devraient être versés au dossier. Je crois comprendre que Me Slansky pourrait déposer la transcription lui-même en la versant à son dossier comme le suggère l’avocat du CCM. Toutefois, la production de la version intégrale de la transcription ne permettrait pas de savoir sur quels passages le professeur Friedland s’est fondé pour rédiger son rapport. De plus, il est inutile de forcer MSlansky à devoir engager des frais pour chercher à obtenir une transcription qui a déjà été préparée.

c) Le privilège d’intérêt public

[76]      Ayant conclu que le privilège du secret professionnel de l’avocat ne s’appliquait pas à la totalité du rapport Friedland, il n’est pas nécessaire d’examiner l’argument subsidiaire du CCM suivant lequel la protonotaire a aussi commis une erreur en jugeant que le rapport n’était pas protégé par le privilège de l’intérêt public. Je me permets néanmoins de risquer les quelques remarques suivantes, ne serait‑ce parce que l’argument en question a été plaidé devant moi tant par l’avocat du CCM que par celui de Me Slansky.

[77]      Il est acquis aux débats que le privilège de l’intérêt public s’applique aux communications dont la divulgation irait à l’encontre de l’intérêt public, ce qui implique que l’on mette en balance des intérêts publics opposés, à savoir, d’une part, celui de protéger le caractère confidentiel et, d’autre part, celui d’obtenir la communication des renseignements en question. En l’espèce, le CCM invoque la nécessité de protéger trois intérêts publics : a) assurer l’intégrité du processus sommaire de traitement des plaintes du CCM en obtenant une communication complète et franche au cours de l’enquête sur une plainte; b) protéger le droit à la protection de la vie privée du juge; c) protéger l’indépendance de la magistrature.

[78]      Je suis d’accord avec la protonotaire pour dire qu’il est loin d’être évident que la divulgation du rapport du professeur Friedland compromettrait l’indépendance de la magistrature. À l’audience qui s’est déroulée devant notre Cour, l’avocat de la CCM n’a pas été plus explicite à cet égard. Bien que l’indépendance de la magistrature mérite de toute évidence d’être protégée contre toute atteinte, je ne vois pas comment un rapport commandé par le CCM pour enquêter sur une plainte serait susceptible de porter atteinte à l’indépendance d’un juge. Ce n’est de toute évidence pas le cas, du moins, pour ce qui est du rapport Friedland.

[79]      Quant aux craintes formulées au sujet du droit à la protection de la vie privée du juge faisant l’objet de la plainte, ces préoccupations sont certainement valables et elles méritent d’être prises en considération. Dans la mesure où ces préoccupations s’appliquent, il est facile de s’en occuper en recourant à une requête en ordonnance de confidentialité en vertu de la règle 151 des Règles. D’ailleurs, l’avocat de Me Slansky a expressément déclaré que son client était prêt à reconnaître la nécessité d’une telle ordonnance pour protéger l’anonymat des témoins ainsi que tout renseignement délicat portant notamment sur la santé du juge Thompson.

[80]      Un argument plus convaincant est celui selon lequel il est important de protéger l’intégrité du processus sommaire pour éviter de devoir tenir une instance formelle en bonne et due forme. Il ne fait aucun doute qu’il est dans l’intérêt de toutes les parties et de l’administration de la justice de consacrer les ressources judiciaires limitées aux plaintes qui soulèvent des préoccupations sérieuses. En cas de doute, il est manifestement souhaitable de suivre une procédure informelle permettant au CCM de décider si la tenue d’une enquête en bonne et due forme est justifiée. À défaut de pareil mécanisme, chaque plainte qui n’est pas « frivole ou vexatoire […] formulée dans un but injustifié, […] manifestement dénuée de fondement ou [qui] ne nécessite pas un examen plus poussé » au sens de l’article 3.5 des Procédures relatives aux plaintes devrait être examinée par un collège composé de trois ou cinq juges (dont deux ou trois seraient des juges en chef ou des juges en chef adjoints). Cette façon de procéder constituerait de toute évidence un gaspillage de ressources judiciaires précieuses.

[81]      Pour que la procédure informelle soit efficace, il faut toutefois garantir une divulgation franche et complète. Même si rien ne permet de penser que les gens qui ont été interrogés par le professeur Friedland en vue de la rédaction de son rapport n’auraient pas été aussi francs s’ils avaient su que les renseignements qu’ils communiquaient pouvaient devenir publics, je ne crois pas qu’une telle inférence soit purement spéculative ou abusive. Dans sa lettre de plainte, Me Slansky a lui-même reconnu que des membres du Barreau hésiteraient à parler si on ne leur garantissait pas la confidentialité. Dans le même ordre d’idées, le professeur Friedland a souligné dans son rapport à quel point il était délicat d’interroger des membres du Barreau local, ajoutant que ces derniers seraient probablement réticents à lui parler ouvertement. On peut aisément comprendre ces réticences surtout dans le cas d’une petite communauté où le juge visé par la plainte sera souvent le seul juge résident de la Cour supérieure.

[82]      Le législateur fédéral a lui-même reconnu le rôle crucial que joue la confidentialité dans les enquêtes du CCM. Les paragraphes 63(5) et 63(6) de la Loi sur les juges prévoient que le CCM peut tenir ses enquêtes à huis clos et qu’il peut interdire la publication de tous renseignements ou documents produits devant lui au cours de l’enquête ou découlant de celle‑ci lorsqu’il estime que leur publication ne sert pas l’intérêt public. Je suis d’accord avec l’avocat du CCM pour dire qu’il s’agit là d’une nette reconnaissance du fait que l’intégrité du processus d’enquête risque d’être minée si l’on ne garantit pas la confidentialité.

[83]      En dernière analyse, la réponse à la question cruciale de savoir s’il y a lieu de protéger ou de divulguer des renseignements déterminés est le fruit d’une recherche du juste équilibre. L’intérêt qu’a le public à la transparence et au maintien de sa confiance dans l’intégrité du processus judiciaire l’emporte‑t‑elle sur son intérêt face à la confidentialité et à l’utilisation optimale des rares ressources judiciaires?

[84]      Pour répondre à cette question, on ne doit pas perdre de vue les renseignements fournis à Me Slansky par le directeur exécutif du CCM pour l’informer du rejet de sa plainte. Loin de constituer une simple lettre formelle, la décision lui a été communiquée sans autre explication. La lettre de 10 pages rédigée par Me Sabourin est fort détaillée et elle expose en détail la procédure suivie, les principes appliqués, l’essentiel des conclusions du rapport du professeur Friedland, ainsi que les motifs pour lesquels le juge en chef Scott avait décidé de clore le dossier, ce qui suffit amplement pour justifier le contrôle judiciaire de la décision du CCM et, contrairement à ce qu’il prétend, Me Slansky n’est pas laissé dans l’ignorance, mais est tout à fait au courant de ce qu’il doit démontrer devant la Cour fédérale pour obtenir gain de cause.

[85]      Pour tous ces motifs, je suis par conséquent d’avis que la protonotaire a commis une erreur en statuant que le rapport ne donnait pas lieu à l’application du privilège d’intérêt public.

d) Y a-t-il lieu de convertir la demande de contrôle judiciaire en action?

[86]      Comme nous l’avons déjà mentionné, le principal objectif que poursuivait le demandeur en saisissant la protonotaire de sa requête était d’obtenir que sa demande de contrôle judiciaire soit convertie en action conformément au paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales. La protonotaire n’a toutefois pas abordé cet aspect de la requête étant donné que le débat s’est rapidement déplacé sur la question de la réparation subsidiaire réclamée par Me Slansky, en l’occurrence une ordonnance contraignant le CCM à communiquer le dossier intégral, y compris le rapport Friedland.

[87]      Il est de jurisprudence constante que le législateur entendait que les instances en contrôle judiciaire soient jugées par voie de demande, pour assurer un règlement rapide des questions soulevées par les demandeurs. Ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles que la Cour acceptera de transformer une demande en action.

[88]      L’énoncé classique en la matière se trouve dans les remarques suivantes faites par la Cour d’appel fédérale sous la plume du juge Décary dans l’arrêt Macinnis c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 464 (Macinnis), aux pages 470 et 471 (publié sur CanLII) :

   En général, c’est seulement lorsque les faits, de quelque nature qu’ils soient, ne peuvent pas être évalués ou établis avec satisfaction au moyen d’un affidavit que l’on devrait envisager d’utiliser le paragraphe 18.4(2) de la Loi. Il ne faudrait pas perdre de vue l’intention clairement exprimée par le Parlement, qu’il soit statué le plus tôt possible sur les demandes de contrôle judiciaire, avec toute la célérité possible, et le moins possible d’obstacles et de retards du type de ceux qu’il est fréquent de rencontrer dans les procès. On a des « motifs très clairs » d’avoir recours à ce paragraphe, pour utiliser les mots du juge Muldoon, lorsqu’il faut obtenir une preuve de vive voix soit pour évaluer l’attitude et la crédibilité des témoins ou pour permettre à la Cour de saisir l’ensemble de la preuve lorsqu’elle considère que l’affaire requiert tout l’appareillage d’un procès tenu en bonne et due forme. [Note en bas de page omise.]

[89]      Avec le temps, la Cour d’appel [fédérale] et notre Cour ont ajouté quelques motifs à ceux permettant d’ordonner la conversion. La Cour d’appel [fédérale] a résumé la jurisprudence sur la question dans l’arrêt Association des crabiers acadiens Inc. c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 357, au paragraphe 39 :

   Ainsi une conversion sera possible a) lorsqu’une demande de contrôle judiciaire ne fournit pas de garanties procédurales suffisantes lorsqu’on cherche à obtenir un jugement déclaratoire (Haig c. Canada, [1992] 3 C.F. 611 (C.A.F.), b) lorsque les faits permettant à la Cour de prendre une décision ne peuvent être établis d’une manière satisfaisante par simple affidavit (Macinnis c. Canada, [1994] 2 C.F. 464 (C.A.F.)), c) lorsqu’il y a lieu de faciliter l’accès à la justice et d’éviter des coûts et des délais inutiles (Drapeau v. Canada (Minister of National Defence), [1995] A.C.F. no. 536 (C.A.F.)) et d) lorsqu’il est nécessaire de remédier aux lacunes qu’une demande de contrôle judiciaire présente en matière de réparation, tel l’octroi de dommages-intérêts (Hinton c. Canada, [2009] 1 R.C.F. 476).

[90]      En l’espèce, le seul argument invoqué par le demandeur pour justifier la conversion de sa demande en action est sa simple affirmation que les faits ne peuvent être établis ou soupesés au moyen d’un affidavit et qu’il existe [traduction] « plusieurs lacunes, contradictions et questions factuelles dans la preuve qui ne peuvent être soupesées par voie d’affidavit » (mémoire du demandeur, au paragraphe 30). Je suis d’accord avec le procureur général pour dire que cet argument est manifestement insuffisant en l’absence d’autres explications sur les raisons pour lesquelles l’affidavit est déficient et qu’il ne permet pas d’examiner comme il se doit la demande de contrôle judiciaire.

[91]      Le demandeur invoque l’affaire Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1573, [2005] 3 R.C.F. 82, dans laquelle une demande de contrôle judiciaire a été convertie en action. Cette affaire se distingue aisément de la présente espèce, étant donné qu’il existait de toute évidence des renseignements utiles pour trancher les questions soulevées par la demande et que ces renseignements ne pouvaient être obtenus qu’au cours de l’étape procédurale de l’interrogatoire préalable, étape qui n’existe que dans le cadre d’une action. De plus, des actions parallèles avaient été intentées sur le fondement de motifs semblables et auraient pu donner lieu à une multiplication d’instances advenant le cas où les demandes auraient été instruites en même temps. En l’espèce, il n’y a qu’une seule instance et les seuls renseignements qui ne sont pas disponibles se rapportent aux communications échangées entre le président du CCM et ses conseillers juridiques.

[92]      J’ai déjà conclu que l’omission du CCM de divulguer les documents en question n’a pas créé de lacunes significatives sur le plan de la preuve. La lettre que le directeur exécutif et avocat général a adressée à Me Slansky pour lui expliquer les raisons pour lesquelles le juge en chef Scott était d’avis que sa plainte ne justifiait pas un examen plus approfondi renfermait tous les renseignements pertinents nécessaires pour l’instruction de la demande de contrôle judiciaire. Toutefois, même s’il existait des lacunes, celles-ci ne pouvaient être corrigées au moyen de témoignages ou de toute autre procédure suivie dans le cadre d’une action. Le privilège du secret professionnel de l’avocat s’applique autant dans une action que dans une demande de contrôle judiciaire et il a pour effet de soustraire le rapport Friedland à la divulgation.

[93]      L’avocat de Me Slansky a fait valoir que l’on pouvait convoquer des témoins et les forcer à relater ce qu’ils avaient dit au professeur Friedland au cours de l’enquête. Tout d’abord, le nom des personnes que le professeur Friedland a interrogées n’a pas été divulgué étant donné que le secret professionnel a été revendiqué à cet égard. En second lieu, on se livre à de la pure spéculation lorsqu’on laisse entendre que ces témoins (dans la mesure où Me Slansky ou son avocat pourrait deviner leur identité) seraient en mesure de fournir des éléments de preuve pertinents et utiles qui appuieraient son argument. Ce raisonnement est manifestement insuffisant pour justifier la conversion de la demande en action. Ainsi que la Cour d’appel fédérale l’a déclaré dans l’arrêt Macinnis, précité, aux pages 471 et 472 : « Par conséquent, supposer qu’on pourra mettre au jour une preuve cachée n’est pas une raison suffisante pour ordonner la tenue d’un procès » [note en bas de page omise]. Ce n’est que lorsqu’il existe de « bonnes raisons » de croire que l’on pourrait mettre au jour des éléments de preuve pertinents dans le cadre d’un procès que le juge pourrait être justifié de convertir une demande de contrôle judiciaire en une action. En dernière analyse, « le vrai critère que le juge doit appliquer est de se demander si la preuve présentée au moyen d’affidavits sera suffisante, et non de se demander si la preuve qui pourrait être présentée au cours d’un procès pourrait être supérieure » (à la page 472). L’avocat du demandeur ne m’a proposé aucun argument valable permettant de croire que tel serait le cas en l’espèce.

[94]      Comme on n’a soumis à la Cour aucun autre argument justifiant de convertir la présente demande en action, j’estime que le demandeur n’a pas démontré qu’il avait satisfait aux critères des « motifs très clairs ».

[95]      L’appel est par conséquent accueilli. Les dépens suivront le sort de la cause.

ORDONNANCE

LA COUR ACCUEILLE l’appel. Les dépens suivront le sort de la cause.

Annexe

Loi sur les juges, L.R.C. (1985), ch. J-1

63. (1) Le Conseil mène les enquêtes que lui confie le ministre ou le procureur général d’une province sur les cas de révocation au sein d’une juridiction supérieure pour tout motif énoncé aux alinéas 65(2)a) à d).

Enquêtes obligatoires

(2) Le Conseil peut en outre enquêter sur toute plainte ou accusation relative à un juge d’une juridiction supérieure.

Enquêtes facultatives

(3) Le Conseil peut constituer un comité d’enquête formé d’un ou plusieurs de ses membres, auxquels le ministre peut adjoindre des avocats ayant été membres du barreau d’une province pendant au moins dix ans.

Constitution d’un comité d’enquête

(4) Le Conseil ou le comité formé pour l’enquête est réputé constituer une juridiction supérieure; il a le pouvoir de :

a) citer devant lui des témoins, les obliger à déposer verbalement ou par écrit sous la foi du serment — ou de l’affirmation solennelle dans les cas où elle est autorisée en matière civile — et à produire les documents et éléments de preuve qu’il estime nécessaires à une enquête approfondie;

b) contraindre les témoins à comparaître et à déposer, étant investi à cet égard des pouvoirs d’une juridiction supérieure de la province où l’enquête se déroule.

Pouvoirs d’enquête

(5) S’il estime qu’elle ne sert pas l’intérêt public, le Conseil peut interdire la publication de tous renseignements ou documents produits devant lui au cours de l’enquête ou découlant de celle-ci.

Protection des renseignements

(6) Sauf ordre contraire du ministre, les enquêtes peuvent se tenir à huis clos.

Publicité de l’enquête

64. Le juge en cause doit être informé, suffisamment à l’avance, de l’objet de l’enquête, ainsi que des date, heure et lieu de l’audition, et avoir la possibilité de se faire entendre, de contre-interroger les témoins et de présenter tous éléments de preuve utiles à sa décharge, personnellement ou par procureur.

Avis de l’audition

65. (1) À l’issue de l’enquête, le Conseil présente au ministre un rapport sur ses conclusions et lui communique le dossier.

Rapport du Conseil

(2) Le Conseil peut, dans son rapport, recommander la révocation s’il est d’avis que le juge en cause est inapte à remplir utilement ses fonctions pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

a) âge ou invalidité;

b) manquement à l’honneur et à la dignité;

c) manquement aux devoirs de sa charge;

d) situation d’incompatibilité, qu’elle soit imputable au juge ou à toute autre cause.

Recommandation au ministre

Procédures relatives à l’examen des plaintes déposées au Conseil canadien de la magistrature au sujet de juges de nomination fédérale

« Procédures relatives aux plaintes »

Approuvées par le Conseil canadien de la magistrature le 27 septembre 2002

en vigueur le 1er janvier 2003

3. Examen de la plainte par le président ou par un vice-président du comité sur la conduite des juges

3.1    À moins que le président du Conseil ne considère que l’intérêt public et la bonne administration de la justice l’exigent, ni lui ni aucun membre du Conseil qui est juge à la Cour fédérale du Canada ne peuvent participer à l’examen d’une plainte.

3.2    Le directeur exécutif transmet un dossier au président ou à un vice-président du comité sur la conduite des juges conformément aux directives du président du comité. Ni le président non plus que les vice-présidents ne doivent examiner un dossier mettant en cause un juge qui est membre de la même cour qu’eux.

3.3    Pour l’application des dispositions qui suivent, le terme « président » désigne le président ou l’un des vice-présidents du comité sur la conduite des juges constitué par le Conseil.

3.4    Si, après l’ouverture d’un dossier, le président reçoit une lettre dans laquelle le plaignant demande le retrait de sa plainte, il peut:

a) soit fermer le dossier et le classer dans la catégorie des plaintes « retirées »;

b) soit décider de poursuivre l’examen de la plainte, considérant que l’intérêt public et la bonne administration de la justice l’exigent.

3.5    Le président examine le dossier et peut, selon le cas:

a) fermer le dossier s’il estime:

(i) que la plainte est frivole ou vexatoire, qu’elle est formulée dans un but injustifié, qu’elle est manifestement dénuée de fondement ou qu’elle ne nécessite pas un examen plus poussé,

(ii) que la plainte n’est pas du ressort du Conseil, parce qu’elle ne met pas en cause la conduite d’un juge;

b) demander des renseignements supplémentaires au plaignant;

c) demander des commentaires au juge et à son juge en chef.

3.6    Lorsque le président a fermé un dossier aux termes du présent article, le directeur exécutif remet au juge et à son juge en chef une copie de la plainte de même qu’une copie de la lettre informant le plaignant de la fermeture du dossier.

4. Demande de commentaires au juge ou à son juge en chef

4.1    Lorsque le président a décidé de demander des commentaires au juge, le directeur exécutif écrit au juge et à son juge en chef leur demandant de formuler des commentaires.

5. Examen de la réponse du juge

5.1    Le président examine la réponse du juge et du juge en chef, de même que tout autre document pertinent reçu en réponse à la plainte. Il peut prendre l’une ou l’autre des décisions suivantes:

a) fermer le dossier dans l’un ou l’autre cas suivant :

(i) il conclut que la plainte est dénuée de fondement ou qu’elle ne nécessite pas un examen plus poussé,

(ii) le juge reconnaît que sa conduite était déplacée et le président est d’avis qu’il n’est pas nécessaire de prendre d’autres mesures en ce qui concerne la plainte;

b) mettre le dossier en suspens en attendant l’application de mesures correctives conformément à l’article 5.3,

c) demander à un avocat de mener une enquête supplémentaire et de rédiger un rapport, si le président est d’avis qu’un tel rapport faciliterait l’examen de la plainte;

d) déférer le dossier à un comité d’examen.

5.2    Lorsqu’il ferme le dossier conformément au sous-alinéa 5.1a)(ii), le président peut écrire au juge pour lui faire part de l’évaluation de sa conduite et lui exprimer ses préoccupations à l’égard de celle-ci.

5.3    En collaboration avec le juge en chef du juge et avec le consentement du juge, le président peut:

a) recommander que les problèmes relevés par suite de la plainte soient traités en ayant recours à des services de consultation ou à d’autres mesures correctives;

b) fermer le dossier s’il est satisfait que les problèmes relevés ont été traités de façon appropriée.

5.4   Lorsque le président ferme un dossier, le directeur exécutif remet au juge et à son juge en chef une copie de la lettre informant le plaignant de la fermeture du dossier.

6. Plaintes mettant en cause un membre du Conseil

6.1    Lorsque le président propose de fermer un dossier mettant en cause un membre du Conseil, il soumet la plainte et la réponse proposée à un avocat, qui donne son avis sur la décision qui est proposée relativement à la plainte.

7. Enquête supplémentaire menée par un avocat

7.1    Si le président demande à un avocat de mener une enquête supplémentaire en vertu de l’alinéa 5.1c), le directeur exécutif en informe le juge et son juge en chef.

7.2    L’avocat fournit au juge suffisamment de renseignements sur les allégations formulées et les éléments de preuve qui s’y rapportent pour lui permettre de présenter une réponse complète à leur égard; toute réponse du juge est incorporée au rapport de l’avocat.

8. Examen du rapport de l’avocat

8.1    Le président examine le rapport de l’avocat et peut prendre l’une ou l’autre des décisions suivantes :

a) fermer le dossier pour l’un des motifs précisés à l’alinéa 5.1a);

b) mettre le dossier en suspens en attendant l’application de mesures correctives conformément à l’article 5.3;

c) déférer le dossier à un sous-comité.

8.2    Lorsque le président ferme un dossier, le directeur exécutif remet au juge et à son juge en chef une copie de la lettre informant le plaignant de la fermeture du dossier.

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