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A-521-02

2003 CAF 104

Terry Balisky, Marcia Balisky, Bev Collin Holdings Ltd., Byron Bue, Raymond Bue, Peter Eggers, Levke Eggers, Bryan Ellingson, Charles Evaskevich, Nora Evaskevich, Brian Fast, Teresa Fast, Doug Gabert, Raymond Gilkyson, Vicki Gilkyson, James Glasman, Elaine Glasman, Stirling Hanson, Laura Hanson, Roger Jones, Fern Jones, Don Liland, Linda Liland, Mario Marouelli, Jamie Marouelli, Donald Meador, Mona Middleton, Glen Haughian, Brian Moe, Janice Moe, Randy Moe, Kris Moe, Franklin Moller, Lloyd Olley, Katherine Olley, Don Pedersen, Kane Piper, Robert Richards, Ada Richards, Cornie Schmidt, Priscilla Schmidt, Albert Slater, Ken Slater, Dale Smith, Gwen Smith, Gordon Strate, Frank Thederahn, Irma Thederahn et Ed Welsh (appelants)

c.

L'honorable Ralph Goodale, ministre des Ressources naturelles, et Alliance Pipeline Ltd. (intimés)

Répertorié: Balisky c. Canada (Ministre des Ressources naturelles) (C.A.)

Cour d'appel, juges Rothstein, Evans et Malone, J.C.A. --Edmonton, 3 février; Ottawa, 27 février 2003.

Énergie -- «Zone contrôlée» adjacente au droit de passage d'un pipeline -- Demandes d'indemnité présentées par les propriétaires -- Les réclamations pouvaient-elles être renvoyées à un comité d'arbitrage constitué en vertu de la Loi sur l'Office national de l'énergie, partie V? -- Avis d'arbitrage selon l'art. 90 signifié au ministre, qui a décidé que les réclamations ne pouvaient être renvoyées à un comité d'arbitrage -- Décision confirmée à la suite d'un contrôle judiciaire -- Infirmée par la C.A.F. -- L'art. 112(1) de la Loi, décrit ce qu'est une «zone contrôlée», une zone où certains travaux de construction sont interdits près du pipeline sans l'autorisation de l'Office national de l'énergie -- Le juge de la Section de première instance avait estimé que l'art. 84 circonscrit les questions pouvant être soumises à un comité d'arbitrage et que les réclamations résultant de la «zone contrôlée» étaient trop éloignées pour répondre au lien direct exigé par l'art. 84 -- L'art. 75 prévoit qu'une compagnie de pipeline doit payer une indemnité pour les dommages résultant de l'exercice des pouvoirs que lui confère la loi -- L'une ou l'autre des parties peut signifier un avis d'arbitrage si les parties ne parviennent pas à régler leur différend -- Obligation du ministre: envoyer un avis au comité, et établir un comité si aucun n'existe -- Selon l'art. 97(1), le comité a le pouvoir de régler toutes les questions d'indemnité mentionnées dans l'avis d'arbitrage -- Matières exclues de l'arbitrage par l'art. 84a): accidents de la route, diffamation ou congédiement injuste -- L'art. 84a) n'a pas pour effet d'exclure de l'arbitrage les demandes d'indemnité résultant de l'art. 112(1) -- Le juge de la Section de première instance a eu tort de faire une distinction entre les dommages résultant de l'acquisition du droit de passage et les dommages résultant des exigences de sécurité publique imposées par la loi -- Objet du régime d'arbitrage établi par la partie V: assurer le règlement rapide des réclamations de dommages-intérêts des propriétaires à l'encontre des compagnies de pipeline -- Rejet de l'argument selon lequel l'art. 112(1) n'impose pas de limites sévères puisque l'autorisation de l'Office peut être facilement obtenue -- L'obligation d'obtenir l'autorisation de l'Office risque de réduire la valeur des terrains car les acheteurs ne voudront pas assumer ce risque administratif.

Il s'agissait d'un appel, par demande de contrôle judiciaire, de la décision d'un juge de la Section de première instance qui avait confirmé la décision du ministre des Ressources naturelles selon laquelle une réclamation pour préjudice subi par la «zone contrôlée» contiguë au droit de passage d'un pipeline ne pouvait être renvoyée à un comité d'arbitrage constitué en vertu de la Loi sur l'Office national de l'Énergie, partie V.

L'intimée, Alliance Pipeline Ltd., et sa société affiliée américaine sont les propriétaires d'un pipeline de gaz naturel allant de la Colombie-Britannique à l'Illinois. L'Office national de l'énergie et le gouverneur en conseil avaient approuvé la partie canadienne de ce pipeline. La plupart des terrains avaient été acquis de gré à gré, et les terrains restants avaient été obtenus à la faveur d'ordonnances d'accès accordées par l'Office. Les appelants ont signifié au ministre, selon l'article 90, un avis d'arbitrage dans lequel ils demandaient une indemnité pour les terrains se trouvant à l'intérieur de la «zone contrôlée», ainsi que d'autres redressements.

Le point soulevé dans cet appel allait avoir valeur de précédent car il se rapportait à l'interprétation de la Loi, partie V, c'est-à-dire à la question de savoir si un comité d'arbitrage peut statuer sur l'indemnité payable pour de présumés dommages afférents à une «zone contrôlée» décrite au paragraphe 112(1) de la Loi. Cette disposition interdit certaines activités de construction dans un périmètre de 30 mètres du pipeline si l'autorisation de l'Office n'a pas été obtenue au préalable. La bande de 30 mètres de part et d'autre du droit de passage d'un pipeline est appelée la «zone contrôlée» et elle reste la propriété de celui ou de ceux à qui elle appartenait avant que ne soit pris le droit de passage du pipeline. Les appelants disent que le paragraphe 112(1) limite leur capacité d'utiliser des équipements motorisés pour creuser des fondations d'édifices, des fossés d'irrigation ou des tranchées destinées à l'abreuvement des animaux.

Selon le juge de la Section de première instance, l'article 84 (qui énumère les sujets non susceptibles d'arbitrage) limite le pouvoir d'un comité d'arbitrage à la fixation des dommages-intérêts qui se rapportent directement soit à l'acquisition de terrains, soit à la construction, à l'inspection, à l'entretien ou à la réparation du pipeline. Le juge de la Section de première instance avait exprimé l'avis qu'une demande d'indemnité se rapportant à la «zone contrôlée» était trop éloignée pour répondre au lien direct exigé par l'article 84.

Arrêt: l'appel doit être accueilli.

Il a été impossible à la Section d'appel d'accepter l'interprétation de l'article 84 proposée par le juge de la Section de première instance. L'article 75 prévoit qu'une compagnie de pipeline doit indemniser pleinement tous les intéressés des dommages qu'ils ont subis en raison de l'exercice des pouvoirs conférés par la loi à la compagnie. Selon les paragraphes 88(1) et 90(1), lorsque la compagnie de pipeline et le propriétaire ne parviennent pas à s'entendre sur l'indemnité à payer pour l'acquisition d'un terrain ou pour les dommages subis par le propriétaire en raison des activités de la compagnie, l'une ou l'autre des parties peut demander au ministre de soumettre le différend à l'arbitrage. Lorsqu'un avis d'arbitrage est signifié au ministre, le ministre doit immédiatement signifier l'avis à un comité d'arbitrage et, s'il n'existe pas un tel comité, il doit en nommer un et lui signifier l'avis. Selon le paragraphe 97(1), le comité d'arbitrage a le pouvoir de régler toutes les questions d'indemnité mentionnées dans l'avis d'arbitrage. L'argument de l'intimée était que l'alinéa 84a) empêche le comité d'arbitrage d'examiner les demandes d'indemnité qui résultent des restrictions établies par le paragraphe 112(1).

Une analyse du régime législatif pourrait commencer par l'observation selon laquelle l'objet de l'alinéa 84a) se limite aux activités de la compagnie, tandis que le paragraphe 90(1) incorpore par référence deux aspects mentionnés dans le paragraphe 88(1), l'aspect de l'achat de terrains et l'aspect des activités de la compagnie. Puisque l'alinéa 84a) ne concerne que les activités de la compagnie, et puisqu'il limite les questions qui peuvent être renvoyées à un comité d'arbitrage, sa portée doit être plus étroite que l'achat de terrains et les opérations de la compagnie. D'après le contexte dans lequel le mot «activités» est employé dans l'alinéa 84a), il semblerait que ce mot s'entend des actes des employés, sous-traitants ou autres et il semblerait s'agir des actes négligents qui causent un préjudice au propriétaire du terrain. Ce que l'alinéa 84a) exclut de l'arbitrage, ce sont les questions qui ne sont pas directement rattachées à l'acquisition de terrains (par exemple les activités d'arpentage), à la construction et à la réparation, et ce serait notamment les accidents de la route et les réclamations pour diffamation ou congédiement injuste. Ni les activités exclues ni les activités incluses dont parle l'alinéa 84a) n'ont de rapport avec l'effet du paragraphe 112(1) sur les propriétaires de terrains contigus au droit de passage d'un pipeline. Les demandes d'indemnité résultant du paragraphe 112(1) ne découlent pas d'activités de la compagnie au sens où le mot «activités» est employé dans l'alinéa 84a). L'alinéa 84a) n'exclurait pas non plus de l'arbitrage les demandes d'indemnité résultant de l'exploitation ordinaire du pipeline.

Le juge de la Section de première instance avait fait une distinction erronée entre les dommages résultant de l'acquisition du droit de passage et les dommages résultant des exigences de sécurité publique imposées par la loi. Il n'était nulle part mentionné que les propriétaires ne seraient pas indemnisés pour la perte de leurs terrains et pour l'effet préjudiciable du démembrement de propriété. Même si c'est la loi qui, dans l'intérêt public, place une limite à l'utilisation, par un propriétaire, d'un terrain sis dans une «zone contrôlée», le résultat peut être une perte de valeur pour le propriétaire. Il n'y avait aucune raison pour laquelle un propriétaire devrait être empêché de demander réparation pour une telle perte, tout comme il pourrait demander réparation pour tout autre effet préjudiciable sur les terrains restants, par suite de la présence du pipeline. Le régime d'arbitrage prévu par la partie V a été conçu pour offrir une procédure sommaire et expéditive d'établissement des dommages subis par les propriétaires touchés par un pipeline. Pourquoi les demandes d'indemnité se rapportant à une «zone contrôlée» devraient-elles être exclues du régime législatif? Il appartient naturellement au comité d'arbitrage de dire, d'après les faits, si des dommages ont effectivement été subis en raison des limites imposées à la «zone contrôlée».

Un argument avancé par les intimés était que le paragraphe 112(1) n'impose pas aux propriétaires une limite si sérieuse, en ce sens qu'il est facile pour eux d'obtenir l'autorisation de l'Office. Les appelants ont répondu en disant que l'obligation d'obtenir l'autorisation de l'Office risquait de réduire la valeur des terrains puisque l'éventuel acheteur pourrait voir là un risque administratif qu'il ne voudra sans doute pas assumer. Les intimés n'ont pu contredire cet argument.

lois et règlements

Loi sur l'Office national de l'énergie, L.R.C. (1985), ch. N-7, art. 75, 84, 88(1), 90, 91, 97(1), 104, 112(1) (mod. par L.C. 1990, ch. 7, art. 28).

APPEL à l'encontre de la décision d'un juge de la Section de première instance (2002 CFPI 976; [2002] A.C.F. no 1266 (QL)), selon laquelle les demandes d'indemnité faites par des propriétaires pour la «zone contrôlée» adjacente au droit de passage d'un pipeline ne pouvaient être renvoyées à un comité d'arbitrage selon la partie V de la Loi sur l'Office national de l'énergie. Appel accueilli.

ont comparu:

J. Darryl Carter, c.r., pour les appelants.

Lars H. Olthafer pour l'intimée Alliance Pipeline Ltd.

Bruce F. Hughson pour l'intimé le ministre des Ressources naturelles.

avocats inscrits au dossier:

Carter, Lock & Horrigan, Grande Prairie (Alberta), pour les appelants.

Fraser Milner Casgrain LLP, Calgary, pour l'intimée Alliance Pipeline Ltd.

Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé, le ministre des Ressources naturelles.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Rothstein, J.C.A.:

INTRODUCTION

[1]Selon la partie V de la Loi sur l'Office national de l'énergie, L.R.C. (1985), ch. N-7, lorsqu'une société ayant le pouvoir de construire et d'exploiter un pipeline s'empare d'un terrain pour l'utilisation du pipeline et qu'une indemnité n'est pas arrêtée avec le propriétaire du terrain, l'une ou l'autre des parties peut signifier au ministre des Ressources naturelles un avis d'arbitrage. Le ministre soumet alors l'affaire à un comité d'arbitrage pour qu'il détermine l'indemnité. Cependant, si l'affaire mentionnée dans l'avis d'arbitrage n'est pas une affaire à laquelle s'appliquent les procédures d'arbitrage prévues par la Loi, le ministre ne doit pas soumettre l'affaire à l'arbitrage.

[2]Dans le présent appel, la question est de savoir si le ministre doit renvoyer à un comité d'arbitrage les demandes d'indemnité pour présumés dommages afférents à ce qu'il est convenu d'appeler la «zone contrôlée» adjacente au droit de passage du pipeline.

[3]Le ministre a estimé que les réclamations des demandeurs dans cette affaire ne cadraient pas avec le régime d'arbitrage prévu par la partie V de la Loi. Il a donc refusé de renvoyer les réclamations à un comité d'arbitrage. La demande de contrôle judiciaire présentée par les appelants à la Section de première instance de la Cour fédérale a été rejetée [2002 CFPI 976; [2002] A.C.F. no 1266 (1re inst.) (QL)]. D'où le présent appel.

LES FAITS

[4]Les faits ne sont pas contestés et je les répéterai ici en m'inspirant du jugement de la Section de première instance. Alliance Pipeline Ltd. (Alliance) et sa société affiliée américaine sont les propriétaires et exploitants d'un pipeline de gaz naturel allant de la région nord-est de la Colombie-Britannique jusqu'à un point situé près de Chicago, Illinois (le pipeline). En 1998, Alliance était autorisée par l'Office national de l'énergie et par le gouverneur en conseil à construire et à exploiter la partie canadienne du pipeline.

[5]La plupart des terrains requis pour le droit de passage du pipeline ont été acquis de gré à gré. Dans les cas où cette forme de cession n'a pas été possible, Alliance a demandé à l'Office national de l'énergie, conformément à l'article 104 de la Loi, de rendre des ordonnances lui accordant un droit d'accès. L'Office a rendu les ordonnances demandées.

[6]En application de l'article 90 de la Loi, chacun des appelants a signifié au ministre un avis d'arbitrage dans lequel il demandait, entre autres, une indemnité pour les terrains se trouvant dans la zone contrôlée.

[7]Par lettre datée du 10 janvier 2001, le ministre avait informé les parties que des comités d'arbitrage seraient constitués en vertu de la Loi pour examiner les points soulevés dans les avis d'arbitrage, sauf les questions se rapportant à l'indemnité pour la zone contrôlée, parce qu'il n'était pas persuadé qu'elles relevaient des procédures d'arbitrage prévues par la partie V de la Loi.

[8]Par une ordonnance datée du 13 septembre 2001, la demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre fut rejetée.

ANALYSE

Norme de contrôle

[9]Les parties s'entendent pour dire que la norme de contrôle de la décision du ministre est la norme de la décision correcte. La question se rapporte à l'interprétation de la partie V de la Loi. La Loi ne renferme aucune clause privative et le point de savoir quelles questions peuvent être renvoyées à un comité d'arbitrage aura valeur de précédent. Je reconnais avec les parties que la norme de contrôle est celle de la décision correcte.

La zone contrôlée

[10]Il s'agit de savoir si un comité d'arbitrage constitué en vertu de la partie V de la Loi peut statuer sur l'indemnité payable pour de présumés dommages afférents à la zone contrôlée décrite au paragraphe 112(1) [mod. par L.C. 1990, ch. 7, art. 28] de la Loi. Voici le texte du paragraphe 112(1):

112. (1) Sous réserve du paragraphe (5), il est interdit, sans l'autorisation de l'Office, soit de construire une installation au-dessus, au-dessous ou le long d'un pipeline, soit de se livrer à des travaux d'excavation, avec de l'équipement motorisé ou des explosifs, dans un périmètre de trente mètres autour d'un pipeline.

[11]Les 30 mètres mentionnés dans le paragraphe 112(1) s'entendent d'une bande de 30 mètres contiguë à l'un ou l'autre des côtés du droit de passage d'un pipeline. Cette bande de 30 mètres est communément appelée la zone contrôlée. La zone contrôlée n'est pas le terrain destiné au droit de passage du pipeline, lequel est généralement une bande d'une largeur d'environ 18 mètres. La zone contrôlée reste la propriété de celui ou de ceux à qui elle appartenait avant que ne soit pris le droit de passage du pipeline.

[12]La partie du paragraphe 112(1) qui intéresse le présent appel prévoit que les propriétaires ne peuvent, sans avoir d'abord obtenu l'autorisation de l'Office, se livrer à des travaux de creusement dans la zone contrôlée, en utilisant des équipements motorisés ou des explosifs.

[13]Les activités qui, selon les appelants, leur sont interdites par le paragraphe 112(1) comprennent l'utilisation d'équipements motorisés pour creuser des fossés d'irrigation, des fondations d'édifices ou des tranchées destinées à l'abreuvement des animaux. Ils disent qu'ils sont fondés à renvoyer à un comité d'arbitrage les demandes d'indemnité pour dommages découlant des limites imposées par le paragraphe 112(1).

Le jugement de la Section de première instance et la décision du ministre

[14]Le juge de la Section de première instance a exprimé l'avis que l'indemnité visant la zone contrôlée n'était pas une question susceptible d'être renvoyée à un comité d'arbitrage. Elle s'est fondée sur l'article 84, qui circonscrit les questions pouvant être soumises à des procédures de négociation et d'arbitrage selon la partie V. Voici le texte de l'article 84:

84. Les procédures de négociation et d'arbitrage prévues par la présente partie pour le règlement des questions d'indemnité s'appliquent en matière de dommages causés par un pipeline ou ce qu'il transporte, mais ne s'appliquent pas:

a) aux demandes relatives aux activités de la compagnie qui ne sont pas directement rattachées à l'une ou l'autre des opérations suivantes:

(i) acquisition de terrains pour la construction d'un pipeline,

(ii) construction de celui-ci,

(iii) inspection, entretien ou réparation de celui-ci;

b) aux demandes dirigées contre la compagnie pour dommages à la personne ou décès;

c) aux décisions et aux accords d'indemnisation intervenus avant le 1er mars 1983.

[15]Au paragraphe 19 de ses motifs, le juge de la Section de première instance a estimé que, selon l'alinéa 84a), le comité d'arbitrage devait se limiter à fixer les dommages-intérêts qui se rapportaient directement soit à l'acquisition de terrains, soit à la construction, à l'inspection, à l'entretien ou à la réparation du pipeline. Puisque la zone contrôlée est établie en application du paragraphe 112(1), elle n'était pas, à son avis, rattachée directement à l'acquisition, par la compagnie, du droit de passage proprement dit du pipeline.

[16]Aux paragraphes 23 et 25 de ses motifs, elle s'est exprimée ainsi:

Eu égard à ces définitions, l'emploi du mot «directement», à l'article 84 de la Loi, évoque la participation immédiate de la compagnie de pipeline. Comme l'a fait observer la défenderesse Alliance, la «zone contrôlée» établie conformément à l'article 112 de la Loi n'est pas directement rattachée à l'acquisition de la servitude elle-même constituée par le pipeline. Il s'agit d'une condition touchant la sécurité publique qui est imposée aux propriétaires par le législateur fédéral.

[. . .]

À mon avis, la demande d'indemnité pour l'acquisition par Alliance de terrains devant constituer la «zone contrôlée» est trop éloignée pour répondre au lien direct exigé par l'article 84 de la Loi.

[17]Le ministre était arrivé à la même conclusion. Estimant que l'indemnité relative à la zone contrôlée ne cadrait pas avec le régime législatif, il avait déclaré qu'il n'était pas convaincu qu'une telle indemnité fût [traduction] «directement rattachée à l'indemnité pour dommages causés par une compagnie de pipeline à l'occasion de la construction, de l'entretien ou de la réparation du pipeline». Il ne s'est pas expressément référé à l'alinéa 84a), mais les mots «directement rattachée» permettent de croire qu'en arrivant à sa conclusion, il avait à l'esprit le texte de cet alinéa.

Le régime législatif

[18]Malheureusement, il m'est impossible de souscrire à l'interprétation que donnent de l'article 84 le ministre et le juge de la Section de première instance.

[19]L'article 75 prévoit qu'une compagnie doit indemniser pleinement tous les intéressés des dommages qu'ils ont subis en raison de l'exercice par la compagnie des pouvoirs que lui confère la Loi. Voici le texte de l'article 75:

75. Dans l'exercice des pouvoirs qui lui sont conférés par la présente loi ou une loi spéciale, la compagnie doit veiller à causer le moins de dommages possibles et, selon les modalités prévues à la présente loi et à une loi spéciale, indemniser pleinement tous les intéressés des dommages qu'ils ont subis en raison de l'exercice de ces pouvoirs.

[20]Lorsque la compagnie de pipeline et le propriétaire ne s'entendent pas sur l'indemnité à payer pour l'acquisition d'un terrain en vue de la construction d'un pipeline, ou pour les dommages subis par le propriétaire en raison des activités de la compagnie, l'une ou l'autre des parties peut demander au ministre de soumettre la question à la négociation et/ou à l'arbitrage. Les paragraphes 88(1) et 90(1) sont ainsi rédigés:

88. (1) À défaut d'entente entre la compagnie et le propriétaire sur toute question touchant l'indemnité, notamment son montant, à payer en vertu de la présente loi pour l'achat de terrains ou pour les dommages causés par les activités de la compagnie, la compagnie ou le propriétaire peut signifier à l'autre partie et au ministre un avis demandant que la question fasse l'objet de la négociation prévue au paragraphe (3).

[. . .]

90. (1) Pour passer outre à la procédure de négociation ou en cas d'échec de celle-ci sur toute question visée au paragraphe 88(1), la compagnie ou le propriétaire peut signifier à l'autre partie et au ministre un avis d'arbitrage.

[21]Lorsqu'un avis d'arbitrage est signifié au ministre, le ministre doit immédiatement renvoyer l'affaire à un comité d'arbitrage. Voici le texte du paragraphe 91(1):

91. (1) Dès qu'un avis d'arbitrage lui est signifié, le ministre:

a) si un comité d'arbitrage a déjà été constitué pour régler la question mentionnée dans l'avis, signifie à celui-ci l'avis d'arbitrage;

b) dans le cas contraire, nomme un comité d'arbitrage et signifie l'avis à celui-ci.

[22]Le paragraphe 97(1) de la Loi donne au comité d'arbitrage le pouvoir de régler toutes les questions d'indemnité mentionnées dans l'avis d'arbitrage. Lorsqu'il examine les questions d'indemnité, le comité d'arbitrage doit tenir compte, le cas échéant, de plusieurs éléments énumérés, ainsi que des autres éléments dont il estime devoir tenir compte en l'espèce. Le paragraphe 97(1) est ainsi rédigé:

97. (1) Le comité d'arbitrage doit régler les questions d'indemnité mentionnées dans l'avis qui lui a été signifié, et tenir compte, le cas échéant, des éléments suivants:

a) la valeur marchande des terrains pris par la compagnie;

b) dans le cas de versements périodiques prévus par contrat ou décision arbitrale, les changements survenus dans la valeur marchande mentionnée à l'alinéa a) depuis la date de ceux-ci ou depuis leurs derniers révision et rajustement, selon le cas;

c) la perte, pour leur propriétaire, de la jouissance des terrains pris par la compagnie;

d) l'incidence nuisible que la prise des terrains peut avoir sur le reste des terrains du propriétaire;

e) les désagréments, la gêne et le bruit qui risquent de résulter directement ou indirectement des activités de la compagnie;

f) les dommages que les activités de la compagnie risquent de causer aux terrains de la région;

g) les dommages aux biens meubles, notamment au bétail, résultant des activités de la compagnie;

h) les difficultés particulières que le déménagement du propriétaire ou de ses biens pourrait entraîner;

i) les autres éléments dont il estime devoir tenir compte en l'espèce.

[23]Le paragraphe 97(1) confère au comité d'arbitrage un pouvoir étendu lorsqu'il règle les questions d'indemnité, mais ce pouvoir n'est pas illimité. Le paragraphe 91(2) prévoit que le ministre doit s'abstenir de soumettre certaines questions au comité d'arbitrage. Voici le texte du paragraphe 91(2):

91. [. . .]

(2) Le paragraphe (1) ne s'applique pas dans les cas où le ministre est convaincu que la question mentionnée dans l'avis d'arbitrage qui lui a été signifié:

a) soit ne porte que sur le montant de l'indemnité accordé antérieurement par un comité d'arbitrage, lequel montant n'était pas, aux termes de la décision, susceptible de révision à la date de signification de l'avis;

b) soit est exclue de la procédure d'arbitrage.

[24]L'article 84 prévoit d'abord que les procédures d'arbitrage s'appliquent en matière de dommages causés par un pipeline ou ce qu'il transporte. Il dispose ensuite que les procédures d'arbitrage ne s'appliquent pas aux demandes relatives aux activités de la compagnie qui ne sont pas directement rattachées à l'acquisition de terrains pour la construction du pipeline, ou à la construction, à l'inspection, à l'entretien ou à la réparation du pipeline. Par souci de commodité, je répète ici l'alinéa 84a):

84. Les procédures de négociation et d'arbitrage prévues par la présente partie pour le règlement des questions d'indemnité s'appliquent en matière de dommages causés par un pipeline ou ce qu'il transporte, mais ne s'appliquent pas:

a) aux demandes relatives aux activités de la compagnie qui ne sont pas directement rattachées à l'une ou l'autre des opérations suivantes:

(i) acquisition de terrains pour la construction d'un pipeline,

(ii) construction de celui-ci,

(iii) inspection, entretien ou réparation de celui-ci;

Le seul point qui intéresse le présent appel est de savoir si l'alinéa 84a) empêche le comité d'arbitrage d'examiner les demandes d'indemnité qui résultent des restrictions établies par le paragraphe 112(1) pour la zone contrôlée.

[25]Selon le paragraphe 90(1), toutes les demandes d'indemnité résultant de l'acquisition de terrains ou des dommages subis en raison des activités de la compagnie peuvent être soumises à la négociation ou à l'arbitrage. Le paragraphe 91(1) prévoit que le ministre doit, dès qu'un avis d'arbitrage lui est signifié, renvoyer la question à un comité d'arbitrage. Le paragraphe 97(1) énumère les éléments dont doit tenir compte le comité d'arbitrage. Les demandes d'indemnité résultant de l'effet du paragraphe 112(1) seraient des demandes susceptibles d'être soumises à un comité d'arbitrage aux termes du paragraphe 90(1) et susceptibles d'être réglées par un comité d'arbitrage aux termes du paragraphe 97(1). Les intimés ne disent pas le contraire. Leur argument est que l'alinéa 84a) empêche le ministre de soumettre à un comité d'arbitrage les demandes résultant de l'effet du paragraphe 112(1).

Analyse du régime législatif

[26]Je ferai d'abord observer que l'objet de l'alinéa 84a) se limite aux activités de la compagnie, tandis que le paragraphe 90(1) incorpore par référence deux aspects mentionnés dans le paragraphe 88(1), l'aspect de l'achat de terrains et l'aspect des activités de la compagnie. Puisque l'alinéa 84a) ne concerne que les activités de la compagnie, et puisqu'il limite les questions qui peuvent être renvoyées à un comité d'arbitrage, sa portée doit être plus étroite que l'achat de terrains et les activités de la compagnie.

[27]D'après le contexte dans lequel le mot «activités» est employé dans l'alinéa 84a), il me semble que ce mot s'entend des actes des employés, sous-traitants ou autres qui agissent au nom de la compagnie de pipeline. Les activités directement rattachées à l'achat de terrains engloberaient les activités d'arpentage. Les activités directement rattachées à la construction comprendraient le transport physique des conduites et autres matériaux jusqu'au droit de passage ainsi que les travaux nécessaires pour mettre le pipeline dans un état qui convienne à son exploitation. Les activités directement rattachées à l'inspection, à l'entretien et à la réparation du pipeline comprendraient les travaux postérieurs à la mise en état du pipeline pour exploitation.

[28]L'alinéa 84a) semble porter sur les actes négligents, voire les actes de bonne foi, accomplis par les préposés, les sous-traitants et autres au nom de la compagnie de pipeline, tels les actes que j'ai mentionnés, qui causent un préjudice au propriétaire du terrain. À l'inverse, le dommage résultant d'actes accomplis par des préposés, sous-traitants ou autres au nom de la compagnie lorsque tels actes ne sont pas directement rattachés aux aspects du pipeline mentionnés à l'alinéa 84a) ne peuvent être renvoyés à un comité d'arbitrage. Il pourrait s'agir d'actes qui causent des dommages par suite d'un accident de la route, d'une diffamation ou d'un congédiement injuste.

[29]Ni les activités exclues ni les activités incluses dont parle l'alinéa 84a) n'ont de rapport avec l'effet du paragraphe 112(1) sur les propriétaires de terrains contigus au droit de passage d'un pipeline. Les demandes d'indemnité résultant du paragraphe 112(1) ne découlent pas d'activités de la compagnie au sens où le mot «activités» est employé à l'alinéa 84a). Elles découlent de la présence ou de l'existence du pipeline.

[30]Les activités de la compagnie de pipeline comprendront certainement les activités mentionnées à l'alinéa 84a). Cependant, l'exploitation quotidienne ordinaire du pipeline, abstraction faite de sa construction, de son entretien, de son inspection et de sa réparation, fait elle aussi partie des activités de la compagnie de pipeline. Tout comme l'alinéa 84a) ne peut avoir pour effet d'exclure de l'arbitrage les demandes d'indemnité résultant de l'exploitation ordinaire du pipeline, il ne saurait avoir pour effet d'exclure de l'arbitrage les demandes d'indemnité résultant de l'effet du paragraphe 112(1). Si l'article 84 intéresse de quelque façon le paragraphe 112(1), ce serait à raison des mots introductifs, selon lesquels les procédures d'arbitrage s'appliquent «en matière de dommages causés par un pipeline».

[31]Pour ces motifs, je suis d'avis que l'alinéa 84a) n'empêche pas de soumettre au comité d'arbitrage les demandes d'indemnité résultant de l'effet du paragraphe 112(1).

[32]Lorsqu'elle a estimé que les demandes d'indemnité résultant du paragraphe 112(1) ne pouvaient être soumises à un comité d'arbitrage, le juge de la Section de première instance a fait une distinction entre les dommages résultant de l'acquisition du droit de passage du pipeline et les dommages résultant des exigences de sécurité publique imposées par la loi. Il m'est impossible d'accepter la validité de cette distinction. L'acquisition du droit de passage du pipeline résulte d'un droit conféré à la compagnie de pipeline par la loi. Le législateur a jugé conforme à l'intérêt public que les compagnies de pipeline soient investies de tels droits, bien qu'ils nécessitent la prise de possession obligatoire de terrains, une prise de possession à laquelle le propriétaire pourrait autrement ne pas consentir. Néanmoins, il n'est nulle part mentionné que les propriétaires ne seront pas indemnisés pour la perte de leurs terrains afférents au droit de passage et pour l'effet préjudiciable de cette perte sur les terrains restants, pour cause de démembrement ou autres. Même si c'est la loi qui place une limite à l'utilisation, par un propriétaire, de la zone contrôlée, et même si cette limite est conforme à l'intérêt public, le résultat peut être une perte de valeur pour le propriétaire. On ne voit pas pourquoi le paragraphe 97(1) ne devrait pas s'appliquer, ni pourquoi un propriétaire devrait être empêché de demander réparation pour une telle perte, tout comme il peut demander réparation pour tout autre effet préjudiciable sur les terrains restants, par suite de la présence du pipeline.

[33]Si je comprends bien l'objet du régime d'arbitrage prévu par la partie V, cet objet est notamment d'offrir une procédure sommaire et expéditive d'établissement des dommages subis par les propriétaires touchés par un pipeline, afin que leur situation demeure intacte. Le comité d'arbitrage est considéré comme l'instance compétente pour les décisions de ce genre. Il m'est impossible de voir pourquoi la perte résultant d'une restriction qui vise la zone contrôlée et qui cause un préjudice au propriétaire limitrophe devrait être soustraite à toute indemnité, ni pourquoi la procédure d'arbitrage ne devrait pas servir à établir l'indemnité.

[34]Par cette conclusion, je ne voudrais pas donner à entendre que des dommages sont subis, en général ou dans un cas donné, en raison de restrictions portant sur la zone contrôlée. C'est au comité d'arbitrage qu'il appartient d'apprécier la preuve en la matière.

[35]Les intimés affirment que le paragraphe 112(1) n'empêche pas les propriétaires d'utiliser dans une zone contrôlée un équipement motorisé ou des explosifs. Ils disent que le paragraphe 112(1) oblige seulement le propriétaire à obtenir l'autorisation de l'Office national de l'énergie avant de pouvoir utiliser un équipement motorisé ou des explosifs. D'après eux, obtenir une telle autorisation est tâche facile et, si l'autorisation est refusée au propriétaire, alors ce n'est qu'à ce moment que l'on peut prouver, sans se livrer à des conjectures, qu'il y a eu effet préjudiciable pouvant donner lieu à une demande d'indemnité.

[36]Puis les intimés affirment que, avant la promulgation du paragraphe 112(1), une compagnie de pipeline pouvait, dans un cas qui le justifiait, obtenir contre un propriétaire adjacent une injonction lui interdisant de se livrer à des travaux de creusement en utilisant un équipement motorisé ou des explosifs sur les terres voisines d'un pipeline lorsque telles activités risquaient d'entraver l'exploitation du pipeline. Ils disent que le paragraphe 112(1) prévoit simplement un régime selon lequel c'est l'Office, et non le tribunal, qui donne suite aux restrictions, et selon eux le paragraphe 112(1) n'établit pas un nouveau genre de dommages qui n'existait pas auparavant.

[37]Cependant, les appelants disent que l'obligation d'obtenir l'autorisation de l'Office pour se livrer à des activités de creusement en utilisant un équipement motorisé ou des explosifs dans la zone contrôlée risque de réduire la valeur de la zone contrôlée et/ou peut-être aussi celle d'autres terrains adjacents. Les éventuels acheteurs pourraient voir dans l'obligation des propriétaires d'obtenir l'autorisation de l'Office un risque administratif qu'ils ne voudront sans doute pas assumer. Ce risque serait par conséquent apte à réduire la valeur des terrains du propriétaire. Les appelants disent que c'est là une question que les propriétaires devraient pouvoir porter devant un comité d'arbitrage.

[38]Les intimés n'ont pas de réponse à donner à cet aspect de la question. Il se peut que, avant le paragraphe 112(1), une limite possible aux travaux de creusement dans le voisinage d'un pipeline ait été un facteur à considérer dans l'attribution d'une indemnité pour la prise de possession d'un terrain en vue d'un pipeline, ou pour la construction ou l'exploitation d'un pipeline. Que ce soit le cas ou non, la loi actuelle impose au propriétaire l'obligation d'obtenir l'autorisation de l'Office avant de se livrer à des travaux de creusement à l'aide d'un équipement motorisé ou à l'aide d'explosifs.

[39]Il se peut que la réduction de la valeur d'un terrain en raison de la zone contrôlée soit légère, voire nulle. Toutefois, comme je l'ai dit, c'est là une question d'appréciation des faits qui relève du comité d'arbitrage. Je ne vois aucune raison, compte tenu du régime de la partie V, de refuser aux propriétaires la possibilité de soumettre cette question à un comité d'arbitrage.

[40]Pour ces motifs, je suis d'avis que le ministre a commis une erreur lorsqu'il a estimé qu'une indemnité pour la zone contrôlée ne cadrait pas avec le régime législatif, et je suis d'avis que le juge de la Section de première instance aurait dû faire droit à la demande de contrôle judiciaire présentée par les appelants.

CONCLUSION

[41]J'accueillerais l'appel, avec dépens, devant la Section d'appel et devant la Section de première instance, j'annulerais la décision du ministre portant sur l'indemnité à raison de la zone contrôlée, et j'ordonnerais au ministre de soumettre à un comité d'arbitrage ou à des comités d'arbitrage la question de l'indemnité se rapportant à la zone contrôlée.

Le juge Evans, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

Le juge Malone, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

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