Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[2013] 3 R.C.F. 605

A-355-10

2011 CAF 347

Air Canada (appelante)

c.

Administration portuaire de Toronto et Porter Airlines Inc. (intimées)

Répertorié : Air Canada c. Administration portuaire de Toronto

Cour d’appel fédérale, juges Létourneau, Dawson et Stratas, J.C.A.—Toronto, 6 juin; Ottawa, 12 décembre 2011.

Transports — Appel d’une décision de la Cour fédérale rejetant deux demandes de contrôle judiciaire présentées par l’appelante, en réponse à deux bulletins d’information publiés par l’Administration portuaire de Toronto au sujet de l’Aéroport Billy Bishop de la ville de Toronto
(l’ Aéroport de la ville) — L’Administration portuaire de Toronto a été constituée en vertu de la Loi maritime du Canada, et des Lettres patentes ont été délivrées à cet effet — Aux termes d’un accord tripartite, l’Administration portuaire de Toronto est autorisée à exploiter et à administrer l’Aéroport de la ville — L’intimée Porter Airlines a signé un accord de transporteur commercial avec l’Administration portuaire de Toronto, aux termes duquel elle a commencé à offrir des services depuis l’Aéroport de la ville — Le nombre de vols de Porter à partir de l’Aéroport de la ville n’a cessé d’augmenter, avec le temps — Au moment où le deuxième bulletin a été publié, l’Administration portuaire de Toronto a conclu un nouvel accord d’exploitation de transporteur commercial avec Porter Airlines — Dans sa deuxième demande de contrôle judiciaire, l’appelante demandait l’annulation de cet accord d’exploitation de transporteur commercial — La Cour fédérale a conclu que les bulletins et la conduite de l’Administration portuaire de Toronto décrite dans les bulletins ne sont pas susceptibles de contrôle judiciaire, et qu’en publiant les bulletins, l’Administration portuaire de Toronto n’agissait pas en qualité d’« office fédéral » aux termes de la définition de l’art. 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales, étant donné que sa conduite était de nature privée — Il s’agissait de savoir si la conduite de l’Administration portuaire de Toronto décrite dans les bulletins constituait une action administrative susceptible de contrôle judiciaire, si l’Administration portuaire de Toronto a agi en qualité d’« office fédéral » lorsqu’elle a mis en œuvre les mesures décrites dans les bulletins, et si les circonstances particulières en l’espèce donnaient naissance à une obligation d’équité procédurale — En publiant les bulletins, et en adoptant la conduite qui y est décrite, l’Administration portuaire de Toronto n’a pas déclenché de droit de présenter une demande de contrôle judiciaire — L’appelante ne conteste aucun élément contenu ou décrit dans le premier bulletin, mais s’en prend plutôt à l’attribution antérieure des créneaux de décollage et d’atterrissage à Porter par l’Administration portuaire de Toronto — Par ailleurs, l’appelante ne conteste aucune des annonces figurant dans le deuxième bulletin — Par conséquent, les deux avis de demande de l’appelante ne contestent aucun élément touchant les droits de l’appelante, l’imposition d’obligations juridiques à l’appelante ou des effets préjudiciables qui lui seraient causés, et ils n’ont donc pas eu pour effet de saisir la Cour fédérale d’une question susceptible de contrôle — D’autres motifs sur lesquels s’est fondée la Cour fédérale ont été examinés — Les mesures exposées dans les bulletins et dont le contrôle judiciaire est demandé en l’espèce sont de nature privée — En prenant ces mesures, l’Administration portuaire de Toronto n’agissait pas en qualité d’« office fédéral » — En adoptant la conduite décrite en l’espèce, l’Administration portuaire de Toronto n’agissait pas en qualité de mandataire de la Couronne, notamment en raison du fait que l’art. 7 de la Loi maritime du Canada énonce que les administrations portuaires ne sont mandataires de la Couronne que dans le cadre des activités portuaires visées à l’art. 28(2)a) de la Loi et de l’existence de Lettres patentes — Bien que les Lettres patentes autorisent l’Administration portuaire de Toronto à exploiter et à administrer l’Aéroport de la ville, celle-ci n’a pas qualité de mandataire de la Couronne à cette fin — La nature privée de l’Administration portuaire de Toronto amène à conclure que celle-ci n’agissait pas en qualité d’« office fédéral » en l’espèce — La présente affaire ne donne pas naissance à une obligation d’équité procédurale, étant donné qu’il s’agit de relations de nature privée et commerciale, et non pas publique — La Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en écartant les arguments de l’appelante concernant l’équité procédurale, en concluant que les « décisions » dont font état les bulletins ne sont déraisonnables et en concluant que l’Administration portuaire de Toronto ne perpétuait pas l’avantage concurrentiel important dont bénéficiait Porter — Appel rejeté.

Il s’agissait d’un appel d’un jugement par lequel la Cour fédérale rejetait deux demandes de contrôle judiciaire présentées par l’appelante. L’appelante a présenté des demandes de contrôle judiciaire en réponse à deux bulletins publiés par l’Administration portuaire de Toronto, intimée, au sujet de l’Aéroport Billy Bishop de la ville de Toronto (l’Aéroport de la ville). L’Administration portuaire de Toronto a été constituée conformément aux dispositions de la Loi maritime du Canada, et des Lettres patentes ont été délivrées à cet effet. Aux termes d’un Accord tripartite conclu, notamment, avec la ville de Toronto, l’Administration portuaire de Toronto était autorisée à exploiter et à administrer l’Aéroport de la ville. L’intimée Porter Airlines, qui avait signé un accord de transporteur commercial avec l’Administration portuaire de Toronto, a commencé à offrir des services à l’Aéroport de la ville; avec le temps, le nombre de vols de Porter à partir de l’Aéroport de la ville n’a cessé d’augmenter. En 2009 et 2010, l’Administration portuaire de Toronto a publié deux bulletins qui ont fait l’objet de demandes de contrôle judiciaire présentées par l’appelante. Le premier bulletin annonçait notamment que l’Administration portuaire de Toronto avait l’intention de solliciter des propositions officielles de services additionnels de transport aérien à l’Aéroport de la ville. Le deuxième bulletin chargeait, notamment, une partie indépendante d’examiner les propositions et d’attribuer des créneaux. Au moment où le deuxième bulletin a été publié, l’Administration portuaire de Toronto a conclu un nouvel accord de transporteur commercial avec Porter Airlines (l’accord de 2010) aux termes duquel Porter conserverait les créneaux de décollage et d’atterrissage qu’elle possédait déjà, ce qui accordait à Porter 157 des 202 créneaux de décollage et d’atterrissage à l’Aéroport de la ville. Dans sa deuxième demande de contrôle judiciaire, l’appelante demandait notamment l’annulation de l’accord de 2010. Toutefois, la demande de contrôle judiciaire concernait les « décisions » de l’Administration portuaire de Toronto ressortant du deuxième bulletin, et n’avait pas trait à l’accord de 2010 conclu avec Porter Airlines.

La Cour fédérale a conclu, particulièrement, que les bulletins et la conduite de l’Administration portuaire de Toronto décrite dans les bulletins n’étaient pas susceptibles de contrôle judiciaire, qu’en publiant ces bulletins, l’Administration portuaire de Toronto n’agissait pas en qualité d’« office fédéral » aux termes du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales, mais que les actes de l’Administration portuaire de Toronto étaient de nature privée, et que l’appelante n’avait pas démontré que les bulletins et la conduite qui y est décrite ne respectaient pas des obligations en matière d’équité procédurale.

Il s’agissait de savoir si la conduite de l’Administration portuaire de Toronto décrite dans les bulletins constituait une action administrative susceptible de contrôle judiciaire, si elle a agi en qualité d’« office fédéral » en mettant en œuvre les mesures décrites dans les bulletins, et si cela a donné naissance à une obligation d’équité procédurale en l’espèce.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

La publication des bulletins par l’Administration portuaire de Toronto et l’adoption de la conduite qui y est décrite n’ont pas conféré à Air Canada le droit de présenter des demandes de contrôle judiciaire. En ce qui concerne le premier bulletin, les motifs de contestation de l’appelante portaient sur la partialité dont l’Administration portuaire de Toronto aurait fait preuve en favorisant Porter Airlines. Toutefois, ce bulletin et la conduite qui y est décrite n’ont aucunement eu les effets mentionnés. Pour ce qui est des créneaux de décollage et d’atterrissage, le bulletin prévoit uniquement un processus d’attribution de nouveaux créneaux et mentionne le nombre approximatif de créneaux à attribuer selon ce processus. En réalité, l’appelante ne contestait aucun élément contenu ou décrit dans le premier bulletin. L’appelante s’en prenait plutôt à l’attribution antérieure des créneaux de décollage et d’atterrissage à Porter Airlines par l’Administration portuaire de Toronto, et cette décision antérieure ne faisait pas l’objet d’une demande de contrôle judiciaire.

En ce qui a trait au deuxième bulletin, l’appelante ne contestait aucune des annonces qui y figuraient. L’appelante soutenait que ce bulletin mettait en œuvre le processus proposé dans le premier bulletin. Or, le processus proposé dans le premier bulletin n’était pas le véritable objet de la contestation de l’appelante, qui était l’attribution antérieure des créneaux de décollage et d’atterrissage. Bien que le deuxième avis de demande de l’appelante ait fait allusion à l’accord de 2010, le deuxième bulletin et la conduite ne le mentionnent pas, et n’y font pas allusion.

Par conséquent, les deux avis de demande de l’appelante ne contestaient aucun élément touchant ses droits, l’imposition d’obligations juridiques à cette société ou des effets préjudiciables qui lui seraient causés, et ils n’ont pas eu pour effet de saisir la Cour fédérale d’une question susceptible de contrôle.

Même si ces conclusions suffisaient pour rejeter l’appel, d’autres motifs sur lesquels la Cour fédérale s’est fondée ont été examinés. L’Administration portuaire de Toronto a soutenu qu’il ne suffit pas qu’un décideur administratif tienne sa compétence ou son pouvoir d’une prérogative ou d’une loi fédérale pour démontrer que l’entité agissait en qualité d’« office fédéral » lorsqu’elle a pris la mesure ou exercé le pouvoir visé par la demande de contrôle judiciaire. Sa proposition, selon laquelle la mesure prise ou le pouvoir exercé doit être de nature publique, était très convaincante. Les mesures exposées dans les bulletins, soit les mesures dont le contrôle judiciaire était demandé en l’espèce, étaient de nature privée. Lorsqu’elle a pris ces mesures, l’Administration portuaire de Toronto n’agissait pas en qualité d’« office fédéral ». Il existait plusieurs facteurs qui étayaient cette conclusion. Lorsqu’elle a adopté la conduite décrite dans les bulletins, l’Administration portuaire de Toronto n’agissait pas en qualité de mandataire de la Couronne, plus particulièrement du fait que l’article 7 de la Loi maritime du Canada énonce que les administrations portuaires ne sont mandataires de la Couronne que dans le cadre des activités portuaires visées à l’alinéa 28(2)a) de la Loi, et étant donné que ses Lettres patentes établissent une distinction entre les questions pour lesquelles elle agit en qualité de mandataire de la Couronne et celles pour lesquelles ce n’est pas le cas. L’alinéa 7.2j) des Lettres patentes autorise l’Administration portuaire de Toronto à exploiter et à administrer l’Aéroport de la ville, mais, à cette fin, elle n’a pas qualité de mandataire de la Couronne. L’attribution des créneaux de décollage et d’atterrissage à l’Aéroport de la ville n’est pas une question connexe à l’attribution de permis relativement à des immeubles fédéraux, question qui relève du paragraphe 7.1 des lettres patentes, étant donné que les permis mentionnés dans cet article ne concernent pas les créneaux de décollage et d’atterrissage de l’Aéroport de la ville. L’attribution de ces créneaux fait partie intégrante de l’exploitation de l’Aéroport de la ville, question traitée du paragraphe 7.2, qui vise explicitement le sujet des décollages et des atterrissages à l’Aéroport de la ville. Le paragraphe 7.1 ne peut être interprété comme s’il modifiait cette question ou s’il créait une exception. Quoi qu’il en soit, les bulletins n’attribuaient pas de créneaux de décollage et d’atterrissage, mais ils annonçaient plutôt des études, des intentions et des projets qui concernaient l’exploitation et l’entretien de l’Aéroport de la ville.

La nature privée de l’Administration portuaire de Toronto est un autre facteur qui a mené à conclure que cette entité n’agissait pas en qualité d’« office fédéral » en l’espèce. La Loi maritime du Canada indique que, dans l’exploitation et l’entretien de l’Aéroport de la ville conformément au paragraphe 7.2 des Lettres patentes, l’Administration portuaire de Toronto peut poursuivre des fins privées, comme l’obtention de recettes et l’amélioration de sa situation financière. Pour l’Administration portuaire de Toronto, les objets traités dans les bulletins avaient principalement une dimension privée.

En ce qui concerne l’équité procédurale, les circonstances particulières en l’espèce n’ont pas donné naissance à une telle obligation. Les relations de nature privée et commerciale, comme en l’espèce, ne donnent pas naissance à ce type d’obligation. La Cour fédérale n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en écartant les arguments de l’appelante selon lesquels les « décisions » dont faisaient état les bulletins devaient être annulées parce qu’elles étaient déraisonnables, et en rejetant les arguments de l’appelante selon lesquels l’Administration portuaire de Toronto était motivée par un dessein répréhensible en perpétuant l’avantage anticoncurrentiel important dont bénéficiait Porter. Rien ne justifiait qu’on modifie cette conclusion de fait tirée par la Cour fédérale.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi maritime du Canada, L.C. 1998, ch. 10, art. 7, 8(1) (mod. par L.C. 2008, ch. 21, art. 5), 28(2)a),b), 29(3).

Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C-34.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 2(1) « office fédéral » (mod., idem, art. 15), 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26), 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27).

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2), 300 (mod. par DORS/2002-417, art. 18(A); 2004-283, art. 37).

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions examinées :

Canada (Procureur général) c. Mavi, 2011 CSC 30, [2011] 2 R.C.S. 504; Anisman c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 52; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 329 R.N.-B. (2e) 1; Martineau c. Comité de discipline de l’Institution de Matsqui, [1980] 1 S.C.R. 602; Peace Hills Trust Co. c. Première nation Saulteaux, 2005 CF 1364.

décisions citées :

Krause c. Canada, [1999] 2 C.F. 476 (C.A.); Irving Shipbuilding Inc. c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 116, [2010] 2 R.C.F. 488; Démocratie en surveillance c. Canada (Commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique), 2009 CAF 15; 1099065 Ontario Inc. c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CAF 47; Philipps c. Canada (Bibliothécaire et Archiviste), 2006 CF 1378, [2007] 4 R.C.F. 11; Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national), 1998 CanLII 7237 (C.F. 1re inst.); DRL Vacations Ltd. c. Administration portuaire de Halifax, 2005 CF 860, [2006] 3 R.C.F. 516; Halterm Ltd. c. Administration portuaire de Halifax, 2000 CanLII 15516 (C.F. 1re inst.); Regina v. Criminal Injuries Compensation Board, Ex parte Lain [1967] 2 Q.B. 864 (C.A.); Cairns c. Société du crédit agricole, [1992] 2 C.F. 115 (1re inst.); Jackson c. Canada (Procureur général), 1997 CanLII 6170 (C.F. 1re inst.); Scheerer v. Waldbillig (2006 CanLII 6460), 265 D.L.R. (4th) 749, 208 O.A.C. 29 (C. div. Ont.); Aeric, Inc. c. Président du conseil d’administration, Société canadienne des postes, [1985] 1 C.F. 127 (C.A.); R. v. Hampshire Farmer’s Markets Ltd., [2004] 1 W.L.R. 233 (C.A.); McDonald v. Anishinabek Police Service, 2006 CanLII 37598, 83 R.J.O. (3e) 132, 276 D.L.R. (4th) 460, 55 Admin. L.R. (4th) 47 (C. div.); Devil’s Gap Cottagers (1982) Ltd. c. Bande de Rat Portage No 38B, 2008 CF 812, [2009] 2 R.C.F. 267; Onuschak c. Société canadienne de consultants en immigration, 2009 CF 1135; Certified General Accountants Association of Canada v. Canadian Public Accountability Board, 2008 CanLII 1536, 77 Admin. L.R. (4th) 262, 233 O.A.C. 129 (C. div. Ont.); Regina v. Panel on Take-overs and Mergers; Ex parte Datafin Plc., [1987] Q.B. 815 (C.A.); Volker Stevin N.W.T. (’92) Ltd. v. Northwest Territories (Commissioner), 1994 CanLII 5246, [1994] N.W.T.R. 97, 113 D.L.R. (4th) 639, [1994] 4 W.W.R. 236 (C.A.); R. v. Disciplinary Committee of the Jockey Club, ex parte Aga Khan, [1993] 2 All E.R. 853 (C.A.); Ripley v. Investment Dealers Association of Canada, 1990 CanLII 4150, 99 N.S.R. (2d) 338 (C.S.); Masters v. Ontario (1993), 16 R.J.O. (3e) 439, 110 D.L.R. (4th) 407, 18 Admin. L.R. (2d) 179 (C. div.); Canadian Centre for Ethics in Sport v. Russell, 2007 CanLII 20978 (C. sup. Ont.); Chyz v. Appraisal Institute of Canada (1984), 36 Sask. R. 266, 13 C.R.R. 3 (Q.B.); Canada c. McGregor, [1989] A.C.F. no 266 (C.A.) (QL).

DOCTRINE CITÉE

Craig Paul. « Public Law and Control Over Private Power », dans Michael Taggart, dir. The Province of Administrative Law. Oxford : Hart Publishing, 1997.

Lettres patentes délivrées à l’Administration portuaire de Toronto, Gazette du Canada, partie I, vol. 133, no 23, suppl., 1999.

APPEL d’une décision de la Cour fédérale (2010 CF 774) rejetant deux demandes de contrôle judiciaire présentées par l’appelante, en réponse à deux bulletins d’information publiés par l’intimée, l’Administration portuaire de Toronto. Appel rejeté.

ONT COMPARU

Neil Finkelstein, Sarit E. Batner, Brandon Kain et Byron Shaw pour l’appelante.

Peter K. Doody, Colleen M. Shannon et Christiaan A. Jordaan pour l’intimée, l’Administration portuaire de Toronto.

Robert L. Armstrong, Orestes Pasparakis, Gregory Sheahan et Nicholas Daube pour l’intimée, Porter Airlines Inc.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l. Toronto, pour l’appelante.

Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., s.r.l. Ottawa, pour l’intimée, l’Administration portuaire de Toronto.

Norton Rose Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l. Toronto, pour l’intimée, Porter Airlines Inc.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Stratas, J.C.A. : Il s’agit d’un appel du jugement, ayant pour référence 2010 CF 774, par lequel le juge Hughes de la Cour fédérale a rejeté les deux demandes de contrôle judiciaire présentées par Air Canada.

[2]        Air Canada a présenté deux demandes de contrôle judiciaire en réponse à deux bulletins publiés par l’Administration portuaire de Toronto au sujet de l’Aéroport Billy Bishop de la ville de Toronto (l’Aéroport de la ville). L’Administration portuaire de Toronto gère et exploite l’Aéroport de la ville.

[3]        Le juge de la Cour fédérale a rejeté les demandes de contrôle judiciaire pour un certain nombre de motifs. Voici trois de ces motifs et les conclusions du juge de la Cour fédérale s’y rapportant :

• Les bulletins et la conduite de l’Administration portuaire de Toronto décrite dans les bulletins ne sont pas susceptibles de contrôle judiciaire. Ces questions n’ont pas déclenché de droit, dont pourrait se prévaloir Air Canada, de présenter une demande de contrôle judiciaire.

• Lorsque l’Administration portuaire de Toronto a publié les bulletins et adopté la conduite qui y est décrite, elle n’agissait pas en qualité d’« office fédéral ». Par conséquent, la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7 [art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14)], n’autorisait pas le contrôle judiciaire de ces actes. La conduite de l’Administration portuaire de Toronto était de nature privée et non publique.

• Air Canada n’a pas démontré que les bulletins et la conduite qui y est décrite ne respectaient pas des obligations en matière d’équité procédurale, étaient déraisonnables ou étaient motivés par un dessein répréhensible.

[4]        Air Canada interjette maintenant appel devant la Cour du rejet de ses deux demandes de contrôle judiciaire.

[5]        Après les plaidoiries, nous avons mis l’affaire en délibéré. Par la suite, la Cour suprême du Canada a rendu l’arrêt Canada (Procureur général) c. Mavi, 2011 CSC 30, [2011] 2 R.C.S. 504. Ce jugement était susceptible d’avoir de l’importance pour le deuxième de ces trois motifs, particulièrement en ce qui a trait à la distinction entre la nature publique ou privée d’un acte et à la question de savoir si la conduite de l’Administration portuaire de Toronto décrite dans les bulletins était susceptible de contrôle. Nous avons donc invité les parties à présenter d’autres observations écrites au sujet de cet arrêt. Nous avons maintenant reçu les observations écrites supplémentaires des parties et nous les avons examinées.

[6]        Pour les motifs exposés ci‑dessous, je souscris au rejet par le juge de la Cour fédérale des demandes de contrôle judiciaire présentées par Air Canada. À l’instar du juge de la Cour fédérale, j’estime que chacun des trois motifs susmentionnés entraîne le rejet des demandes de contrôle judiciaire. Je suis donc d’avis de rejeter l’appel avec dépens.

A.        Les faits essentiels

[7]        L’Aéroport de la ville est situé sur l’île de Toronto. Cette île, qui était auparavant un endroit tranquille principalement fréquenté par de petits aéronefs et des aviateurs amateurs, est maintenant un aéroport commercial très actif. Cette transformation a pris de nombreuses années.

[8]        Un élément essentiel de cette transformation a été l’accord conclu en 1983 entre la ville de Toronto, les Commissaires du havre de Toronto et le ministre fédéral des Transports. Désigné familièrement sous le nom d’accord tripartite, cet accord concédait aux Commissaires du havre de Toronto, et par la suite à leur successeur, l’Administration portuaire de Toronto, un bail de 50 ans pour l’Aéroport de la ville et les installations connexes. Aspect important, l’accord tripartite imposait aux Commissaires du havre de Toronto, et ensuite à l’Administration portuaire de Toronto, l’obligation de réglementer le nombre de décollages et d’atterrissages de façon à limiter le bruit dans le quartier résidentiel situé à proximité.

[9]        En 1990, une filiale d’Air Canada, Air Ontario, a commencé à exercer ses activités à l’Aéroport de la ville. Plus tard, une autre filiale d’Air Canada, Jazz, a exercé ses activités au même aéroport.

[10]      En 1998, la Loi maritime du Canada, L.C. 1998, ch. 10 [la Loi], est entrée en vigueur. Un an plus tard, conformément à ses dispositions, l’Administration portuaire de Toronto a été constituée et des Lettres patentes ont été délivrées à cet effet : Gazette du Canada, partie I, vol. 133, no 23 (supplément), 1999. Ces Lettres patentes seront examinées plus loin dans les présents motifs. Aux termes de l’alinéa 7.2j) des Lettres patentes, l’Administration portuaire de Toronto était autorisée à exploiter et à administrer l’Aéroport de la ville conformément à l’accord tripartite.

[11]      En 2002, l’Administration portuaire de Toronto fonctionnait à perte. Comme nous le verrons plus loin, aux termes de la Loi maritime du Canada, l’Administration portuaire de Toronto devait s’autofinancer. Pour améliorer sa situation financière, l’Administration portuaire de Toronto a essayé de convaincre Jazz de s’engager à poursuivre, voire à développer, ses activités à l’Aéroport de la ville. L’Administration portuaire de Toronto a par ailleurs entamé des pourparlers avec une autre compagnie aérienne intéressée à exercer ses activités à l’Aéroport de la ville. Cette compagnie aérienne, plus tard connue sous le nom de Porter, était exploitée par l’intimée Porter Airlines Inc.

[12]      Dans le cadre de cette étude, l’Administration portuaire de Toronto et la compagnie aérienne qui devait plus tard être connue sous le nom de Porter ont communiqué avec le Bureau de la concurrence pour savoir si Porter pouvait développer considérablement ses activités à l’Aéroport de la ville et utiliser 143 des 167 créneaux de décollage et d’atterrissage. Le Bureau de la concurrence leur a répondu. Il a défini le marché pertinent en incluant l’Aéroport international Lester B. Pearson, a estimé que cet aéroport constituait un [traduction] « proche substitut » de l’Aéroport de la ville pour les passagers aériens de Toronto et a pris note de la position dominante d’Air Canada à l’Aéroport international Pearson. Il a conclu que plafonner les créneaux de décollage et d’atterrissage d’Air Canada à l’Aéroport de la ville à un faible niveau et accorder à Porter un certain nombre de créneaux de décollage et d’atterrissage dans l’Aéroport de la ville serait justifié [traduction] « comme mesure provisoire » de façon à permettre à Porter d’offrir un nouveau service viable à l’Aéroport de la ville.

[13]      En 2004, Jazz a réduit le nombre de destinations desservies ainsi que la fréquence des vols à l’Aéroport de la ville. En 2005, elle a cessé d’offrir le service de navette entre le traversier et l’Aéroport de la ville et n’utilisait plus que six créneaux de décollage et d’atterrissage à l’Aéroport de la ville.

[14]      Consciente de l’expiration prochaine de l’accord d’exploitation de transporteur commercial concernant l’Aéroport de la ville conclu avec Jazz, l’Administration portuaire de Toronto a proposé à Jazz de conclure un nouvel accord. Jazz a rejeté la proposition et a cessé, en 2006, toutes ses opérations à l’Aéroport de la ville.

[15]      Peu après, Porter a annoncé qu’elle commencerait à offrir des services à l’Aéroport de la ville. Elle avait déjà signé un accord de transporteur commercial avec l’Administration portuaire de Toronto l’année précédente, en 2005. Cet accord prévoyait une période initiale pendant laquelle Porter aurait droit à un nombre fixe de créneaux de décollage et d’atterrissage, après quoi, elle continuerait d’avoir droit à ces créneaux selon la règle [traduction] « utiliser ou perdre ». Porter avait également le droit de participer [traduction] « sur une base équitable » à l’attribution de tout créneau supplémentaire qui pourrait devenir disponible.

[16]      Après que Porter eut annoncé le démarrage de ses activités, Air Canada a annoncé qu’elle avait l’intention de rétablir ses services à l’Aéroport de la ville. En outre, la filiale d’Air Canada, Jazz, a institué une action en dommages‑intérêts devant la Cour supérieure de l’Ontario contre l’Administration portuaire de Toronto. Dans cette action, Jazz alléguait notamment que l’Administration portuaire de Toronto avait accordé à Porter un monopole sur l’utilisation des installations de l’aérogare ainsi que la vaste majorité des créneaux de décollage et d’atterrissage à l’Aéroport de la ville : déclaration modifiée, paragraphe 31, dossier d’appel, vol. 14, pages 5746 et 5747. En 2006, Jazz a également déposé devant la Cour fédérale des demandes de contrôle judiciaire dans lesquelles elle invoquait les mêmes préoccupations : avis de demande, mémoire d’appel, vol. 15, pages 5894 à 5916 et 6189 à 6201. Par la suite, Jazz s’est désistée de toutes ces procédures ou les a abandonnées.

[17]      Le nombre de vols de Porter à partir de l’Aéroport de la ville n’a cessé d’augmenter. Porter a investi, par l’intermédiaire de sa filiale City Centre Terminal Corp., une somme de 49 millions de dollars dans l’infrastructure de l’Aéroport de la ville, notamment pour la construction d’une nouvelle aérogare et, par la suite, pour son extension. Pour la première fois depuis plus de 20 ans, l’Aéroport de la ville a commencé à enregistrer un bénéfice d’exploitation.

[18]      Plus tard, en septembre 2009, Air Canada s’est déclarée à nouveau intéressée à offrir des services à l’Aéroport de la ville. À l’époque, l’Administration portuaire de Toronto examinait la possibilité d’autoriser de nouveaux créneaux de décollage et d’atterrissage dans le cadre de l’accord tripartite et envisageait d’inviter d’autres transporteurs à utiliser l’Aéroport de la ville; elle a entamé des discussions avec tous ces transporteurs, y compris avec Air Canada. Les études et les discussions de l’Administration portuaire de Toronto se sont poursuivies jusqu’en 2010.

[19]      Le 24 décembre 2009 et le 9 avril 2010, l’Administration portuaire de Toronto a publié les deux bulletins qui font l’objet des demandes de contrôle judiciaire présentées par Air Canada dans la présente espèce. Le 9 avril 2010 également, à l’insu d’Air Canada à l’époque, l’Administration portuaire de Toronto et Porter ont conclu un nouvel accord d’exploitation de transporteur commercial aux termes duquel Porter conserverait les créneaux de décollage et d’atterrissage qu’elle possédait déjà, ce qui accordait à Porter 157 des 202 créneaux de décollage et d’atterrissage à l’Aéroport de la ville.

[20]      Dans sa demande de contrôle judiciaire concernant le deuxième bulletin, Air Canada demande notamment l’annulation de l’accord d’exploitation de transporteur commercial de 2010 conclu avec Porter. La demande de contrôle judiciaire concerne toutefois, comme nous allons le voir, les « décisions » de l’Administration portuaire de Toronto qui ressortent du deuxième bulletin, et non la décision de l’Administration portuaire de Toronto de conclure avec Porter un accord d’exploitation de transporteur commercial en 2010. Air Canada n’a pas présenté de demande de contrôle judiciaire à l’égard de cette décision.

B.        La conduite de l’Administration portuaire de Toronto décrite dans les bulletins constitue‑t‑elle une action administrative susceptible de contrôle judiciaire?

[21]      Comme cela a été mentionné précédemment, deux demandes de contrôle judiciaire ont été déposées devant la Cour fédérale comme suite aux deux bulletins. En réponse, les défenderesses, maintenant intimées, ont soutenu devant la Cour fédérale que le contrôle judiciaire n’était pas possible parce que l’Administration portuaire de Toronto n’avait pas pris de « décision » ni rendu une « ordonnance » au sens de la Loi sur les Cours fédérales. L’Administration portuaire de Toronto a simplement publié deux bulletins d’information de nature générale. Air Canada a contesté les arguments des défenderesses et fait valoir qu’il y a bien eu une « décision » ou une « ordonnance » et qu’elle pouvait donc présenter une demande de contrôle judiciaire. Les parties ont avancé des arguments très semblables devant notre Cour.

[22]      Le juge de la Cour fédérale a souscrit aux arguments des défenderesses et a conclu qu’il n’était saisi d’aucune « décision » ou « ordonnance » parce que les bulletins de l’Administration portuaire de Toronto « ne décident rien » (au paragraphe 73).

[23]      Le juge de la Cour fédérale et les parties ont centré le débat sur la question de savoir s’il y avait une « décision » ou une « ordonnance », mais je n’en conclus pas qu’ils ont soutenu que le contrôle judiciaire peut uniquement porter sur une « décision » ou sur une « ordonnance », ce qui serait inexact.

[24]      Le paragraphe 18.1(1) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la Loi sur les Cours fédérales énonce qu’une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est « directement touché par l’objet de la demande ». La question qui peut faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire ne comprend pas seulement une « décision ou ordonnance », mais tout objet susceptible de donner droit à une réparation aux termes de l’article 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26] de la Loi sur les Cours fédérales : Krause c. Canada, [1999] 2 C.F. 476 (C.A.). Le paragraphe 18.1(3) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] apporte d’autres précisions à ce sujet, indiquant que la Cour peut accorder une réparation à l’égard d’un « acte », de l’omission ou du refus d’accomplir un « acte », ou du retard mis à exécuter un « acte », une « décision », une « ordonnance » et une « procédure ». Enfin, les règles qui régissent les demandes de contrôle judiciaire s’appliquent aux « demandes de contrôle judiciaire de mesures administratives », et non pas aux seules demandes de contrôle judiciaire de « décisions ou ordonnances » : règle 300 [mod. par DORS/2002-417, art. 18(A); 2004-283, art. 37] des Règles des Cours fédérales [DORS/98-106, règle 1 (mod., idem, art. 2)].

[25]      En ce qui concerne les « décisions » ou « ordonnances », la seule exigence est que les demandes de contrôle judiciaire doivent être présentées dans les 30 jours qui suivent la première communication : paragraphe 18.1(2) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] de la Loi sur les Cours fédérales.

[26]      Les parties et le juge de la Cour fédérale ont centré le débat sur la question de savoir si une « décision » ou « ordonnance » avait été rendue, mais ils traitaient en fait d’une question plus fondamentale, soit celle de savoir si, en publiant les bulletins et en adoptant la conduite décrite dans ceux‑ci, l’Administration portuaire de Toronto avait fait quelque chose qui conférait à Air Canada un quelconque droit de demander le contrôle judiciaire.

[27]      Je souscris sur ce point aux arguments des défenderesses et à la décision du juge de la Cour fédérale : la publication des bulletins par l’Administration portuaire de Toronto et l’adoption de la conduite décrite dans ceux‑ci n’a pas conféré à Air Canada le droit de présenter des demandes de contrôle judiciaire.

[28]      La jurisprudence reconnaît qu’il y a de nombreuses situations où, en raison de sa nature ou de son caractère, la conduite d’un organisme administratif ne fait pas naître le droit de présenter une demande de contrôle judiciaire.

[29]      Une de ces situations est celle où la conduite attaquée dans une demande de contrôle judiciaire n’a pas pour effet de porter atteinte à des droits, d’imposer des obligations juridiques ni d’entraîner des effets préjudiciables : Irving Shipbuilding Inc. c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 116, [2010] 2 R.C.F. 488; Démocratie en surveillance c. Canada (Commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique), 2009 CAF 15.

[30]      De nombreuses décisions illustrent ce type de situation : p. ex., 1099065 Ontario Inc. c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CAF 47 (lettre d’un fonctionnaire proposant des dates de réunion); Philipps c. Canada (Bibliothécaire et Archiviste), 2006 CF 1378, [2007] 4 R.C.F. 11 (lettre de politesse envoyée en réponse à une demande de révision); Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national), 1998 CanLII 7237 (C.F. 1re inst.) (une décision anticipée ne constitue qu’une opinion ne liant pas son auteur).

[31]      Dans la présente affaire, Air Canada a présenté deux avis de demande :

• Le premier demande le contrôle judiciaire de [traduction] « la décision du 24 décembre 2009 […] de l’Administration portuaire de Toronto […] annonçant un processus […] selon lequel elle compte attribuer des créneaux » à l’Aéroport de la ville. À l’instar du juge de la Cour fédérale, j’interprète cet avis comme une demande de contrôle judiciaire visant le bulletin du 24 décembre 2009 publié par l’Administration portuaire de Toronto et la conduite qui y est décrite.

• Le second demande le contrôle judiciaire de [traduction] « la décision du 9 avril 2010 […] de l’Administration portuaire de Toronto […] annonçant un appel de propositions […] pour attribuer des créneaux et accorder autrement l’accès aux transporteurs commerciaux cherchant à obtenir l’accès » à l’Aéroport de la ville. Tout comme le juge de la Cour fédérale, j’interprète cet avis comme une demande de contrôle judiciaire visant le bulletin du 9 avril 2010 publié par l’Administration portuaire de Toronto et la conduite qui y est décrite.

[32]      Je vais examiner chacun des deux bulletins et décider si ces documents, ou la conduite qui y est décrite, portent atteinte aux droits d’Air Canada, lui imposent des obligations juridiques ou ont eu un effet préjudiciable sur elle.

1)         Le premier bulletin

[33]      Le premier bulletin intitulé [traduction] « L’APT annonce les résultats de l’évaluation de la capacité de l’Aéroport Billy Bishop de la ville de Toronto et commence à accepter des propositions officielles de transporteurs ». Ce bulletin proposait cinq mesures, dont aucune n’était en réalité contestée dans la première demande de contrôle judiciaire d’Air Canada :

• Il annonçait les résultats d’une étude d’impact sonore et d’une évaluation de la capacité de l’Aéroport de la ville et déclarait que l’Administration portuaire de Toronto prévoyait être en mesure d’offrir entre 42 et 92 créneaux de décollage et d’atterrissage supplémentaires. Dans sa demande de contrôle judiciaire visant le bulletin, Air Canada n’attaque aucunement cette étude ni l’évaluation de la capacité. Elle ne conteste aucunement l’évaluation du nombre de nouveaux créneaux de décollage et d’atterrissage offerts par l’Administration portuaire de Toronto.

• Il annonçait que l’Administration portuaire de Toronto avait l’intention de solliciter des propositions officielles de services additionnels de transport aérien à l’Aéroport de la ville. Dans sa demande de contrôle judiciaire du bulletin, Air Canada n’attaque pas cette intention.

• Le bulletin mentionnait la nomination d’un coordonnateur de créneaux chargé d’attribuer les créneaux de décollage et d’atterrissage à l’Aéroport de la ville. Air Canada ne mentionne pas dans sa demande de contrôle judiciaire que le coordonnateur de créneaux a été nommé de façon irrégulière, n’aurait pas dû être nommé, était partial, ou s’est conduit de façon inappropriée.

• Il mentionnait que toutes les lignes aériennes offrant des services à l’Aéroport de la ville seront tenues de conclure un accord d’exploitation de transporteur commercial avec l’Administration portuaire de Toronto et d’obtenir des locaux appropriés dans l’aérogare auprès de City Centre Terminal Corp. Air Canada ne conteste pas cet élément du bulletin dans sa demande de contrôle judiciaire.

• Il annonçait le besoin de nouvelles immobilisations à l’Aéroport de la ville pour pouvoir accueillir le trafic aérien supplémentaire. Dans sa demande de contrôle judiciaire, Air Canada n’attaque pas cet élément du bulletin.

[34]      Dans son premier avis de demande attaquant le bulletin et la conduite qui y est décrite, Air Canada expose les motifs de sa contestation. Ceux‑ci portent principalement sur la partialité dont l’Administration portuaire de Toronto aurait fait preuve en favorisant Porter. Air Canada affirme que les éléments exposés dans le premier bulletin perpétuent [traduction] « l’avantage anticoncurrentiel dont bénéficie actuellement Porter » et empêchent [traduction] « toute concurrence véritable », ce qui est [traduction] « contraire aux objectifs de la Loi maritime du Canada et à la common law ». Air Canada se plaint de [traduction] « l’accès exclusif de Porter » à l’Aéroport de la ville et des [traduction] « avantages concurrentiels importants » offerts par l’Aéroport de la ville comparativement aux autres aéroports de la région de Toronto. Elle ajoute que lorsque de nouveaux créneaux de décollage et d’atterrissage seront attribués, la position dominante qu’occupe Porter à l’Aéroport de la ville sera maintenue — Porter continuera à bénéficier de la vaste majorité des créneaux de décollage et d’atterrissage.

[35]      Le premier bulletin et la conduite qui y est décrite n’ont toutefois aucunement les effets susmentionnés. Pour ce qui est des créneaux de décollage et d’atterrissage, le premier bulletin prévoit uniquement un processus d’attribution de nouveaux créneaux et mentionne le nombre approximatif de créneaux à attribuer selon ce processus. En réalité, Air Canada ne conteste aucun élément contenu ou décrit dans le premier bulletin. Air Canada s’en prend plutôt à l’attribution antérieure des créneaux de décollage et d’atterrissage à Porter par l’Administration portuaire de Toronto, décision antérieure qui ne fait pas, à l’heure actuelle, l’objet d’une demande de contrôle judiciaire. Comme cela a été mentionné au paragraphe 16 des présents motifs, une filiale d’Air Canada, Jazz, a contesté en 2006 cette attribution et d’autres mesures qu’elle estimait anticoncurrentielles en intentant une action et en présentant des demandes de contrôle judiciaire, mais elle s’est par la suite désistée de ces procédures et les a abandonnées.

[36]      Si la demande de contrôle judiciaire présentée par Air Canada au sujet du premier bulletin était acceptée et que les éléments décrits dans le premier bulletin étaient annulés, l’attribution actuelle des créneaux de décollage et d’atterrissage à Porter — véritable objet de la plainte — demeurerait inchangée. Or, dans son avis de demande, Air Canada ne conteste pas l’attribution antérieure des créneaux de décollage et d’atterrissage à Porter.

[37]      Par conséquent, le premier bulletin et les éléments qui y sont décrits — les éléments qu’Air Canada conteste dans son premier avis de demande — ne portent pas atteinte aux droits d’Air Canada, ne lui imposent pas d’obligations juridiques et n’ont pas eu un effet préjudiciable sur elle. Le bulletin et les éléments qui y sont décrits ne peuvent faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire. Il est possible que d’autres mesures causent un préjudice à Air Canada, mais elles ne sont pas visées par son premier avis de demande.

            2)         Le second bulletin

[38]      Le second bulletin est intitulé [traduction] « L’Administration portuaire de Toronto publie un appel de propositions officiel pour amener des transporteurs additionnels à l’Aéroport Billy Bishop de la ville de Toronto ». Ce bulletin comprenait trois annonces dont aucune n’est en réalité attaquée par Air Canada dans son second avis de demande :

• Deux compagnies aériennes, dont une était Air Canada, ont exprimé informellement leur intérêt à participer à l’appel de propositions pour offrir des services aériens supplémentaires à l’Aéroport de la ville. Les autres transporteurs étaient invités à participer au processus d’appel de propositions.

• Une partie indépendante avait été chargée d’examiner les propositions et d’attribuer des créneaux en suivant une méthodologie utilisée par d’autres aéroports.

• Les résultats d’un rapport d’évaluation de la capacité étaient divulgués; d’après ce rapport et l’accord tripartite, 90 nouveaux créneaux de décollage et d’atterrissage pourraient être offerts.

[39]      Là encore, en réalité, Air Canada ne conteste aucune des annonces figurant dans le bulletin. Dans son deuxième avis de demande de contrôle judiciaire, Air Canada n’affirme aucunement que ces éléments portent atteinte à ses droits, imposent des obligations juridiques, ou ont des effets préjudiciables sur elle.

[40]      Dans son deuxième avis de demande, Air Canada énonce que le bulletin met en œuvre le processus qui était proposé dans le premier bulletin. Or, comme nous l’avons vu, le processus proposé dans le premier bulletin n’est pas le véritable objet de la contestation d’Air Canada. Ce qu’elle attaquait réellement, c’était l’attribution antérieure des créneaux de décollage et d’atterrissage, que Jazz avait contestée devant les tribunaux en 2006 avant d’abandonner les procédures.

[41]      Au moment où elle a présenté sa deuxième demande de contrôle judiciaire, Air Canada savait que des créneaux de décollage et d’atterrissage avaient été attribués à Porter, conformément à l’accord d’exploitation de transporteur commercial de 2010 conclu avec Porter. Le deuxième avis de demande fait allusion à cet accord. Le deuxième bulletin et la conduite qui y est décrite — l’objet de la deuxième demande de contrôle judiciaire — ne mentionnent toutefois pas l’accord d’exploitation de transporteur commercial de 2010 conclu avec Porter et n’y font pas allusion. Le deuxième avis de demande ne demande pas le contrôle de la décision de l’Administration portuaire de Toronto de conclure cet accord et d’attribuer un nombre important de créneaux de décollage et d’atterrissage à Porter.

[42]      Par conséquent, pour les raisons susmentionnées, les deux avis de demande d’Air Canada ne contestent aucun élément touchant les droits d’Air Canada, l’imposition d’obligations juridiques à cette société ou des effets préjudiciables qui lui seraient causés. Les avis de demande n’ont donc pas eu pour effet de saisir la Cour fédérale d’une question susceptible de contrôle.

[43]      Cette conclusion suffit pour rejeter l’appel. Je vais toutefois examiner les deux autres motifs sur lesquels s’est fondé le juge de la Cour fédérale pour rejeter les demandes de contrôle judiciaire présentées par Air Canada.

C.        L’Administration portuaire de Toronto a‑t‑elle agi en qualité d’« office fédéral » lorsqu’elle a mis en œuvre les mesures décrites dans les bulletins?

1)         Cette condition est impérative

[44]      Aux termes de la Loi sur les Cours fédérales, une demande de contrôle judiciaire ne peut viser qu’un « office fédéral ».

[45]      Plusieurs dispositions de la Loi sur les Cours fédérales l’indiquent clairement. Le paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales confère à la Cour fédérale une compétence exclusive en première instance afin d’accorder à la partie lésée, relativement à certaines questions, réparation de la part d’un « office fédéral ». Dans l’exercice de cette compétence, la Cour fédérale peut prendre diverses mesures pour accorder réparation, mais uniquement contre un « office fédéral » : paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales. Elle a le droit d’accorder cette réparation lorsqu’elle est convaincue que certaines erreurs ont été commises par l’« office fédéral » : paragraphe 18.1(4) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] de la Loi sur les Cours fédérales.

2)         Qu’est‑ce qu’un « office fédéral »?

[46]      L’expression « office fédéral » est définie au paragraphe 2(1) [mod., idem, art. 15] de la Loi sur les Cours fédérales. Selon cette disposition, seuls les organismes qui exercent une compétence ou des pouvoirs « prévus par une loi fédérale » ou « par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale » sont des « office[s] fédéra[ux] » :

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[…]

Définitions

« office fédéral » Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale […]

« office fédéral » “federal board, commission or other tribunal

[47]      Ces termes nous amènent à examiner la compétence ou le pouvoir particulier exercé dans un cas particulier et la source de cette compétence ou pouvoir : Anisman c. Canada (Agence des services frontaliers du Canada), 2010 CAF 52.

[48]      Dans la majorité des décisions portant sur la question de savoir si un « office fédéral » est visé, on se demande si le décideur administratif tient sa compétence ou son pouvoir d’une prérogative ou d’une loi fédérale. L’arrêt Anisman constitue un bon exemple. Dans cette affaire, la source du pouvoir du décideur administratif était une loi provinciale, de sorte que le contrôle judiciaire prévu par la Loi sur les Cours fédérales ne pouvait être exercé.

[49]      En l’espèce, toutes les parties acceptent que les mesures mentionnées dans les bulletins de l’Administration portuaire de Toronto ont pour source première le droit fédéral.

[50]      L’Administration portuaire de Toronto soutient toutefois que cette seule exigence ne suffit pas à démontrer que l’entité agissait en qualité d’« office fédéral » lorsqu’elle a pris la mesure ou exercé le pouvoir visé par la demande de contrôle judiciaire. Elle a cité de nombreuses décisions à l’appui de la proposition selon laquelle la mesure prise ou le pouvoir exercé doit être de nature publique. Un organe n’agit pas en qualité d’« office fédéral » lorsqu’il prend une mesure de nature privée ou exerce un pouvoir de nature privée : voir, par exemple, DRL Vacations Ltd. c. Administration portuaire de Halifax, 2005 CF 860, [2006] 3 R.C.F. 516; Halterm Ltd. c. Administration portuaire de Halifax, 2000 CanLII 15516 (C.F. 1re inst.).

[51]      L’argument présenté par l’Administration portuaire de Toronto est très convaincant.

[52]      Tous les tribunaux administratifs fédéraux importants possèdent le pouvoir de prendre des décisions de nature publique. Ils possèdent par ailleurs le pouvoir exprès ou implicite d’agir dans des domaines privés, par exemple pour louer et gérer des locaux, embaucher du personnel de soutien, etc. Techniquement, chacun de ces pouvoirs prend sa source première dans une loi fédérale. Toutefois, comme les décisions de principe citées ci‑après le démontrent, il est fréquent que les mesures prises dans l’exercice de ces pouvoirs ne soient pas susceptibles de contrôle. Par exemple, supposons qu’un tribunal administratif fédéral bien connu résilie le contrat conclu avec une société relativement aux services de conciergerie pour ses locaux. Ce faisant, il n’exerce pas un pouvoir central à la mission administrative que lui a attribuée le législateur. Il ne fait en réalité qu’agir comme n’importe quelle autre entreprise. Le pouvoir qu’exerce le tribunal administratif dans ce cas doit être qualifié de pouvoir de nature privée et non publique. En l’absence de circonstances exceptionnelles, le recours que pourrait exercer l’entreprise de services de conciergerie serait une action pour rupture de contrat, et non pas une demande de contrôle judiciaire de la décision du tribunal administratif de résilier le contrat.

[53]      La Cour suprême a récemment réaffirmé que les rapports qui sont de nature essentiellement privée sont régis par le droit privé et non par le droit public : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190. Dans cette affaire, un gouvernement avait congédié un de ses employés qui avait été embauché selon un contrat régi par le droit contractuel ordinaire. L’employé a présenté une demande de contrôle judiciaire dans laquelle il alléguait qu’il y avait eu iniquité procédurale. La Cour suprême a jugé que, dans les circonstances, l’objet de la demande était de nature privée et qu’il n’était donc pas possible d’imposer dans ce cas une obligation d’équité procédurale reconnue en droit public.

[54]      Récemment, la Cour suprême a appliqué les mêmes principes mais à des faits très différents; elle a jugé que la relation en cause était de nature publique et donc susceptible de contrôle judiciaire : arrêt Mavi, précité.

[55]      Le paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales, qui énonce que les principaux recours en matière de contrôle judiciaire sont les brefs de certiorari, de mandamus et de prohibition, constitue un autre fondement de cette distinction entre les domaines public et privé. Tous ces brefs ne peuvent être émis que dans l’exercice de pouvoirs de nature publique. C’est ce qu’a déclaré le juge Dickson, plus tard juge en chef du Canada, dans le contexte d’un certiorari dans l’arrêt Martineau c. Comité disciplinaire de l’Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; voir également l’arrêt Regina v. Criminal Injuries Compensation Board, Ex parte Lain, [1967] 2 Q.B. 864 (C.A.).

[56]      La question de savoir ce qui est de nature publique ou privée est, bien sûr, délicate. Dans les arrêts Dunsmuir et Mavi, la Cour suprême n’a pas fourni de réponse complète à cette question.

[57]      Il n’y a peut‑être pas de réponse complète. Il existe en droit certaines notions qui ne peuvent être définies clairement, parce qu’elles sont, par nature, insaisissables. Par exemple, en matière de droit de la négligence, à quel moment est‑ce qu’une partie ne respecte plus la norme de diligence? Il est impossible de répondre à cette question en une ou deux courtes phrases. Il faut plutôt procéder à l’étude attentive des facteurs examinés dans de nombreuses décisions et de leurs faits particuliers pour pouvoir cerner une réponse. À mon avis, il y a lieu de procéder de la même façon pour décider si une question est de nature publique ou privée aux fins du contrôle judiciaire.

[58]      En outre, il ne serait peut‑être pas judicieux de définir avec précision ce qui distingue le domaine public du privé. Les [traduction] « limites exactes [du contrôle judiciaire] ont varié dans le temps […] pour répondre à des besoins nouveaux ». Les limites du contrôle judiciaire, qui sont en grande partie fondées sur la distinction entre les domaines public et privé, n’ont [traduction] « jamais été et ne doivent pas être spécifiquement définies ». Voir les observations du juge Dickson, plus tard juge en chef, dans l’arrêt Martineau, précité, à la page 617, où il cite le juge lord Parker L.J. dans l’arrêt Lain, précité, à la page 882.

[59]      Les parties, en particulier l’Administration portuaire de Toronto, ont invoqué de nombreuses décisions qui éclairent la distinction entre les domaines public et privé aux fins du contrôle judiciaire, mais dans les circonstances présentes, la Cour se limitera à formuler les commentaires préliminaires nécessaires pour trancher la présente affaire.

[60]      Pour trancher la question de la nature publique ou privée d’une mesure, il convient d’apprécier l’ensemble des circonstances : Cairns c. Société du crédit agricole, [1992] 2 C.F. 115 (1re inst.); Jackson c. Canada (Procureur général), 1997 CanLII 6170 (C.F. 1re inst.). Il existe un certain nombre de facteurs qu’il convient de prendre en compte pour décider si une question est associée à une caractéristique, à un élément ou à un contexte suffisamment public pour qu’elle relève du droit public. La question de savoir si tel facteur ou tel ensemble de facteurs particuliers fait pencher la balance d’un côté et rend une question « publique » dépend des faits de l’affaire et de l’impression d’ensemble donnée à la Cour. Voici un certain nombre de facteurs pertinents qui ressortent de ces décisions :

• La nature de la question visée par la demande de contrôle. Est‑ce une question privée, commerciale ou de portée plus vaste intéressant les membres du public? Voir les décisions DRL Vacations Ltd. c. Administration portuaire de Halifax, précitée; Peace Hills Trust Co. c. Première nation Saulteaux, 2005 CF 1364, au paragraphe 61 « il faut s’abstenir d’appliquer les principes du droit administratif au règlement de ce qui est au fond une question de droit commercial ».

• La nature du décideur et ses attributions. S’agit‑il d’un décideur public, comme un mandataire de la Couronne ou un organisme administratif reconnu par la loi et à qui des attributions de nature publique ont été confiées? La question en cause est‑elle étroitement liée à ces attributions?

• La mesure dans laquelle la décision est fondée et influencée par le droit et non pas par un pouvoir discrétionnaire de nature privée. Lorsqu’une décision particulière est autorisée directement par une source de droit public comme une loi, un règlement ou une ordonnance, ou découle directement d’une telle source, le tribunal aura davantage tendance à considérer que la question est de nature publique : arrêt Mavi, précité; décision Scheerer v. Waldbillig, 2006 CanLII 6460, 265 D.L.R. (4th) 749 (C. div. Ont.); arrêt Aeric, Inc. c. Président du conseil d’administration, Société canadienne des postes, [1985] 1 C.F. 127 (C.A.). Il sera d’autant plus enclin à le faire si la source de droit public fournit le critère en fonction duquel la décision est prise : décision Scheerer v. Waldbillig, précitée, au paragraphe 19; arrêt R. v. Hampshire Farmer’s Markets Ltd., [2004] 1 W.L.R. 233 (C.A.), à la page 240, cité avec approbation dans la décision MacDonald v. Anishinabek Police Service, 2006 CanLII 37598, 83 R.J.O. (3e) 132 (C. div.). Les mesures prises en vertu d’un pouvoir découlant d’une source autre qu’une loi, comme le droit contractuel général ou des considérations commerciales, sont plus fréquemment considérées comme non susceptibles de contrôle judiciaire : arrêt Irving Shipbuilding Inc., précité; décision Devil’s Gap Cottagers (1982) Ltd. c. Bande de Rat Portage No 38B, 2008 CF 812, [2009] 2 R.C.F. 276, aux paragraphes 45 et 46.

• Les rapports entre l’organisme en cause et d’autres régimes législatifs ou d’autres parties du gouvernement. Si l’organisme est intégré à un réseau gouvernemental et exerce un pouvoir en tant qu’élément de ce réseau, les actes qu’il pose seront plus fréquemment qualifiés d’actes de nature publique : Onuschak c. Société canadienne de consultants en immigration, 2009 CF 1135, au paragraphe 23; Certified General Accountants Association of Canada v. Canadian Public Accountability Board, 2008 CanLII 1536, 77 Admin. L.R. (4th) 262 (C. div. Ont.); Regina v. Panel on Take‑overs and Mergers; Ex parte Datafin Plc., [1987] Q.B. 815 (C.A.); Volker Stevin N.W.T. (92) Ltd. v. Northwest Territories (Commissioner), 1994 CanLII 5246, [1994] N.W.T.R. 97 (C.A.); R. v. Disciplinary Committee of the Jockey Club, ex parte Aga Khan, [1993] 2 All E.R. 853 (C.A.), à la page 874; arrêt R. v. Hampshire Farmer’s Markets Ltd., précité, à la page 240. Le seul fait que l’organisme en question soit mentionné dans une loi n’est pas toujours suffisant : Ripley v. Investment Dealers Association of Canada, 1990 CanLII 4150, 99 N.S.R. (2d) 338 (C.S.).

• La mesure dans laquelle le décideur est un mandataire du gouvernement ou est dirigé, contrôlé ou influencé de façon importante par une entité publique. Par exemple, les personnes privées embauchées par le gouvernement pour effectuer une enquête au sujet d’une allégation d’inconduite visant un fonctionnaire public peuvent être considérées comme exerçant un pouvoir de nature publique : Masters v. Ontario (1993), 16 R.J.O. (3e) 439 (C. div.). L’obligation de faire approuver ou contrôler par le gouvernement les politiques, règlements administratifs ou autres questions peut être un élément pertinent : décision Aeric, précitée; Canadian Centre for Ethics in Sport v. Russell, 2007 CanLII 20978 (C. sup. Ont.).

• Le caractère approprié des recours de droit public. Si la nature de la mesure est telle qu’il serait utile d’accorder dans ce cas un recours de droit public, les tribunaux sont davantage enclins à considérer qu’il s’agit là d’une question de nature publique : arrêt Dunsmuir, précité; arrêt Irving Shipbuilding, précité, aux paragraphes 51 à 54.

• L’existence d’un pouvoir de contrainte. L’existence d’un pouvoir de contrainte sur le public en général ou sur un groupe défini, comme une profession, peut être un indice de la nature publique. Il y a lieu de différencier cette situation avec celle où les parties acceptent volontairement de relever d’un organisme. Voir la décision Chyz v. Appraisal Institute of Canada (1984), 36 Sask. R. 266 (Q.B.); arrêt Volker Stevin, précité; arrêt Datafin, précité.

• Une catégorie d’affaires « exceptionnelles » dans laquelle les mesures prises ont acquis une dimension publique importante. Lorsqu’une mesure a des conséquences exceptionnelles et très graves sur les droits d’un large secteur de la population, elle est susceptible de contrôle : arrêt Aga Khan, précité, aux pages 867 et 873; voir également Paul Craig, « Public Law and Control Over Private Power » dans Michael Taggart, dir., The Province of Administrative Law (Oxford : Hart Publishing, 1997), à la page 196. Cela peut comprendre les cas où la fraude, les pots‑de‑vin, la corruption ou l’atteinte aux droits de la personne ont pour effet de transformer une question qui était de nature privée au départ en une question de nature publique : arrêt Irving Shipbuilding, précité, aux paragraphes 61 et 62.

3)         Application de ces principes aux faits de l’espèce

[61]      À mon avis, les mesures exposées dans les bulletins — les mesures dont le contrôle judiciaire est demandé en l’espèce — sont de nature privée. Lorsqu’elle a pris ces mesures, l’Administration portuaire de Toronto n’agissait pas en qualité d’« office fédéral ».

[62]      Aucun des facteurs n’est déterminant, mais il existe plusieurs facteurs dans la présente affaire qui étayent cette conclusion.

– I –

[63]      Premièrement, lorsqu’elle a adopté la conduite décrite dans les bulletins, l’Administration portuaire de Toronto n’agissait pas en qualité de mandataire de la Couronne.

[64]      L’article 7 de la Loi maritime du Canada énonce que les administrations portuaires, comme l’Administration portuaire de Toronto, ne sont mandataires de la Couronne que dans le cadre des activités portuaires visées à l’alinéa 28(2)a) de la Loi. Ces activités comprennent « les activités portuaires liées à la navigation, au transport des passagers et des marchandises, et à la manutention et l’entreposage des marchandises, dans la mesure prévue par les Lettres patentes ». Les administrations portuaires peuvent exercer les « autres activités qui sont désignées dans les Lettres patentes comme étant nécessaires aux opérations portuaires » (alinéa 28(2)b) de la Loi) mais, aux termes de l’article 7 de la Loi, elles exercent ces activités pour leur propre compte et non en qualité de mandataires de la Couronne.

[65]      Les Lettres patentes de l’Administration portuaire de Toronto établissent une distinction entre les questions pour lesquelles elle agit en qualité de mandataire de la Couronne et celles pour lesquelles ce n’est pas le cas. Au paragraphe 7.1, les Lettres patentes décrivent les activités portuaires que l’Administration portuaire de Toronto peut exercer aux termes de l’alinéa 28(2)a) de la Loi maritime du Canada — activités pour lesquelles l’Administration portuaire de Toronto est une mandataire de la Couronne. Au paragraphe 7.2, les Lettres patentes décrivent toutes les autres activités qui sont nécessaires aux opérations portuaires — activités pour lesquelles l’Administration portuaire de Toronto agit pour son propre compte et non en qualité de mandataire de la Couronne.

[66]      L’alinéa 7.2j) des Lettres patentes est très révélateur. Selon cet alinéa, l’Administration portuaire de Toronto est autorisée à exploiter et à administrer l’Aéroport de la ville. À cette fin, elle n’a pas qualité de mandataire de la Couronne. L’alinéa 7.2j) est rédigé comme suit :

7.2 Activités de l’Administration nécessaires aux opérations portuaires. Pour exploiter le port, l’Administration peut se livrer aux activités suivantes jugées nécessaires aux opérations portuaires conformément à l’alinéa 28(2)b) de la Loi :

[…]

j) exploitation et entretien de l’aéroport du centre‑ville de Toronto conformément à l’accord tripartite conclu entre la Corporation of the City of Toronto, Sa Majesté la Reine du chef du Canada et les Commissaires du havre de Toronto le 30 juin 1983, et service de traversier, pont ou tunnel au lieu dit Western Gap dans le port de Toronto pour permettre l’accès à l’aéroport du centre‑ville de Toronto;

[67]      Air Canada soutient que l’attribution des créneaux de décollage et d’atterrissage à l’Aéroport de la ville est une question connexe à l’attribution de permis relativement à des immeubles fédéraux, question qui relève des alinéas 7.1c), e) et f) des Lettres patentes. Elle affirme que les créneaux de décollage et d’atterrissage sont attribués sous la forme de « permis ». Air Canada fait également valoir que l’alinéa 7.1a), qui prévoit la « délivrance […] de permis concernant l’utilisation […] du port », vise notamment l’attribution des créneaux de décollage et d’atterrissage. Par conséquent, selon Air Canada, lorsque l’Administration portuaire de Toronto attribue des créneaux de décollage et d’atterrissage, elle le fait en qualité de mandataire de la Couronne.

[68]      La société Air Canada a‑t‑elle raison d’affirmer que le paragraphe 7.1 des Lettres patentes porte entre autres sur des « permis » concernant des « immeubles fédéraux » et l’attribution de « permis » pour l’utilisation du port. Le paragraphe 7.1 se lit ainsi :

7.1 Activités de l’Administration liées à certaines opérations portuaires. Pour exploiter le port, l’Administration peut se livrer aux activités portuaires mentionnées à l’alinéa 28(2)a) de la Loi dans la mesure précisée ci‑dessous :

a) élaboration, application, contrôle d’application et modification de règles, d’ordonnances, de règlements administratifs, de pratiques et de procédures; délivrance et administration de permis concernant l’utilisation, l’occupation ou l’exploitation du port; contrôle d’application des Règlements ou prise de Règlements conformément au paragraphe 63(2) de la Loi;

[…]

c) sous réserve des restrictions prévues aux paragraphes 8.1 et 8.3, gestion, location ou octroi de permis relativement aux immeubles fédéraux décrits à l’Annexe « B » ou dans des Lettres patentes supplémentaires comme étant des immeubles fédéraux, à condition que la gestion, la location ou l’octroi de permis vise ce qui suit :

(i)   les activités décrites aux paragraphes 7.1 et 7.2;

(ii)  les activités décrites au paragraphe 7.3 pourvu qu’elles soient menées par des Filiales ou des tierces parties conformément aux arrangements de location ou d’octroi de permis;

(iii) les utilisations suivantes dans la mesure où elles ne figurent pas dans les activités décrites aux paragraphes 7.1, 7.2 ou 7.3 :

(A) utilisations liées à la navigation, au transport des passagers et des marchandises et à la manutention et à l’entreposage des marchandises;

(B) prestation de services ou d’installations municipaux relativement à ces immeubles fédéraux;

(C) utilisations qui ne sont pas prévues aux divisions 7.1c)(iii)(A), (B) ou (D) mais qui sont décrites dans des Lettres patentes supplémentaires;

(D) projets de développement économique émanant du gouvernement et approuvés par le Conseil du Trésor;

pourvu qu’elles soient menées par des tierces parties, à l’exception des Filiales, conformément aux arrangements de location ou d’octroi de permis;

[…]

e) octroi d’emprises routières, de servitudes ou de permis pour des droits de passage ou d’accès ou des services publics visant des immeubles fédéraux décrits à l’Annexe « B » ou dans des Lettres patentes supplémentaires comme étant des immeubles fédéraux;

[…]

p) exécution des activités décrites au paragraphe 7.1 sur des immeubles, autres que des immeubles fédéraux, décrits à l’Annexe « C » ou décrits dans des Lettres patentes supplémentaires comme étant des immeubles autres que des immeubles fédéraux;

pourvu que l’Administration ne s’engage pas de façon conjointe ou solidaire avec toute autre personne à une dette, obligation, réclamation ou exigibilité lorsqu’elle prend un engagement, conclut une entente ou participe à un arrangement dans l’exercice de ses activités.

[69]      Toutefois, à mon avis, les permis mentionnés au paragraphe 7.1 des Lettres patentes ne concernent pas les créneaux de décollage et d’atterrissage de l’Aéroport de la ville. L’attribution de ces créneaux, même si elle est légalement considérée comme l’octroi de permis relativement à des immeubles fédéraux, fait partie intégrante de l’exploitation de l’Aéroport de la ville, question traitée au paragraphe 7.2.

[70]      Le pouvoir d’exploiter et d’entretenir l’Aéroport de la ville mentionné au paragraphe 7.2 des Lettres patentes est modifié par l’expression « conformément à l’accord tripartite ». Cet accord traite notamment du nombre de décollages et d’atterrissages à l’Aéroport de la ville et de l’horaire de ces décollages et atterrissages. Sur le plan de l’interprétation, le paragraphe 7.2 vise explicitement le sujet des décollages et des atterrissages à l’Aéroport de la ville. Le paragraphe 7.1 ne peut être interprété comme s’il modifiait cette question ou s’il créait une exception.

[71]      Je ne puis interpréter le paragraphe 7.1 comme s’il réduisait considérablement la portée de du paragraphe 7.2 qui accorde expressément à l’Administration portuaire de Toronto le pouvoir de s’occuper « [de l’]exploitation et [de l’]entretien de l’aéroport du centre‑ville de Toronto ». Selon les règles normales en matière d’interprétation, une disposition précise comme le paragraphe 7.2 l’emporte sur une disposition générale comme le paragraphe 7.1 : Canada c. McGregor, [1989] A.C.F. no 266 (C.A.) (QL).

[72]      Quoi qu’il en soit, les bulletins n’attribuent pas de créneaux de décollage et d’atterrissage. Si on les interprète correctement, ils annoncent des études, des intentions et des projets qui concernent l’exploitation et l’entretien de l’Aéroport de la ville. Les créneaux de décollage et d’atterrissage sont accordés conformément aux accords d’exploitation de transporteur commercial.

– II –

[73]      La nature privée de l’Administration portuaire de Toronto est un autre facteur qui m’amène à conclure que l’Administration portuaire de Toronto n’agissait pas en qualité d’« office fédéral » dans la présente affaire.

[74]      Comme nous l’avons indiqué précédemment, l’Administration portuaire de Toronto a obtenu des Lettres patentes. Une des conditions de l’octroi des Lettres patentes était que l’Administration portuaire de Toronto soit « financièrement autonome » et le demeure vraisemblablement : alinéa 8(1)a) de la Loi maritime du Canada. Le paragraphe 29(3) de la Loi vient renforcer cette condition. Il énonce ce qui suit :

29. […]

(3) Sous réserve de ses Lettres patentes, des autres lois fédérales et de leurs règlements d’application ou d’une entente contraire avec le gouvernement du Canada, l’administration portuaire qui exploite un aéroport doit le faire à ses frais.

Exploitation d’un aéroport

[75]      Les paragraphes 8(1) [mod. par L.C. 2008, ch. 21, art. 5] et 29(3) de la Loi maritime du Canada indiquent que, dans l’exploitation et l’entretien de l’Aéroport de la ville conformément au paragraphe 7.2 des Lettres patentes, l’Administration portuaire de Toronto peut poursuivre des fins privées, comme l’obtention de recettes et l’amélioration de sa situation financière. Pour l’Administration portuaire de Toronto, les objets traités dans les bulletins ont principalement une dimension privée.

– III –

[76]      J’examine maintenant quelques‑uns des facteurs pertinents couramment utilisés pour établir la distinction entre les domaines public et privé aux fins du contrôle judiciaire. Je les ai mentionnés au paragraphe 60 [des presents motifs].

[77]      Il est impossible d’affirmer que l’Administration portuaire de Toronto est intégrée à un réseau gouvernemental ou exerce un pouvoir en tant qu’élément de ce réseau. La Loi maritime du Canada et les Lettres patentes indiquent le contraire.

[78]      Il n’existe aucune disposition légale ou réglementaire qui limite le pouvoir discrétionnaire de l’Administration portuaire de Toronto ou qui fournit des critères pour la prise de décisions concernant les sujets abordés dans les bulletins. Autrement dit, le pouvoir discrétionnaire exercé par l’Administration portuaire de Toronto qui ressort des bulletins ne trouve pas sa source dans des règles juridiques, mais est plutôt le reflet du point de vue privé de l’Administration portuaire de Toronto sur la meilleure façon d’agir eu égard à l’ensemble des circonstances.

[79]      Il n’existe aucune preuve montrant que l’Administration portuaire de Toronto est dirigée, contrôlée ou influencée de façon importante par le gouvernement ou par une autre entité publique relativement aux questions abordées dans les bulletins et, en fait, dans l’exploitation et l’entretien de l’Aéroport de la ville. En outre, il n’existe pas de disposition législative susceptible de nous amener à conclure qu’il existe des instructions, directives, contrôle ou influence de cette nature.

[80]      Enfin, aucune preuve présentée à notre Cour en l’espèce ne tend à indiquer que les questions dont il est traité dans le bulletin font partie de la catégorie exceptionnelle des situations où les mesures envisagées ont pris une dimension publique telle, ou que les sujets décrits dans le bulletin ont eu ou auront un effet exceptionnel à ce point grave sur les droits ou les intérêts d’un large secteur de la population, qu’une réparation de droit public est justifiée.

[81]      Pour les motifs qui précèdent, l’Administration portuaire de Toronto n’agissait pas à titre d’organisme public, au sens de la jurisprudence, lorsqu’elle a pris les mesures décrites dans les bulletins dans ce cas. Dans ces circonstances, il n’est pas possible d’exercer le recours que constitue le contrôle judiciaire.

D.        L’équité procédurale, l’examen de la raisonnabilité et le dessein répréhensible

[82]      Présumant que les circonstances permettaient de présenter une demande de contrôle judiciaire, Air Canada soutient que les « décisions » qui ressortent des bulletins devraient être annulées en raison d’un manquement à l’obligation d’équité procédurale. Les circonstances particulières de la présente affaire ne donnent toutefois naissance à aucune telle obligation. Les relations de nature privée et commerciale, comme en l’espèce, et non pas publique, ne donnent pas naissance à ce type d’obligation : arrêt Dunsmuir, précité; voir également les paragraphes 61 à 81 des présents motifs. Dans d’autres circonstances, comme cela a été expliqué précédemment, une mesure prise par l’Administration portuaire de Toronto pourrait revêtir une dimension publique et des obligations en matière de procédure pourraient en découler, mais ce n’est pas le cas ici.

[83]      En outre, je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle dans la décision du juge de la Cour fédérale d’écarter les arguments d’Air Canada concernant l’équité procédurale et, en fait, je souscris en substance aux motifs exposés aux paragraphes 86 à 95. Dans ses motifs, le juge de la Cour fédérale a rejeté la prétention d’Air Canada selon laquelle l’Administration portuaire de Toronto était tenue d’appliquer les lignes directrices pour l’établissement des horaires au niveau international (World Scheduling Guidelines), établies par l’Association internationale du transport aérien. Il a également jugé que l’Administration portuaire de Toronto n’avait pas créé d’attente légitime en matière de consultation envers Air Canada, et que, de toute façon, Air Canada avait fait connaître clairement son point de vue à l’Administration portuaire de Toronto.

[84]      Air Canada soutient également que les « décisions » dont font état les bulletins devraient être annulées parce qu’elles sont déraisonnables. Le juge de la Cour fédérale a rejeté cet argument. Encore une fois, je ne décèle aucune erreur susceptible de contrôle dans les motifs du juge de la Cour fédérale (aux paragraphes 96 à 101), et je souscris, pour l’essentiel, à ceux‑ci. Dans la présente affaire, les mesures prises par l’Administration portuaire de Toronto qui sont décrites dans les bulletins faisaient partie de celles qui étaient justifiables et acceptables.

[85]      Air Canada soutient également que l’Administration portuaire de Toronto était motivée par un dessein répréhensible. Dans son premier avis de demande, Air Canada décrit cet objet de la façon suivante : [traduction] « préférer Porter aux nouveaux arrivants et perpétuer l’avantage anticoncurrentiel important dont bénéficie Porter ». Dans la mesure où les bulletins et les mesures qui y sont décrites sont en cause — s’agissant des seules questions faisant l’objet des demandes de contrôle judiciaire dans la présente affaire — le juge de la Cour fédérale a déclaré ce qui suit [au paragraphe 110] : « On ne m’a pas présenté de preuve qui donne à penser que [l’Administration portuaire de Toronto] et Porter faisaient autre chose qu’exercer une activité commerciale raisonnable, normale ». Rien ne justifie qu’on modifie cette conclusion de fait. J’estime donc que le juge de la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle lorsqu’il a rejeté les arguments d’Air Canada concernant le dessein répréhensible. Dans la mesure où Air Canada considère que les bulletins, les mesures qui y sont décrites, d’autres questions ou l’une d’elles ou toutes ces choses ont nui à la concurrence, elle peut exercer les recours prévus par la Loi sur la concurrence [L.R.C. (1985), ch. C-34].

E.        Dispositif proposé

[86]      Pour les motifs qui précèdent, je rejetterais l’appel avec dépens.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[87]      Les juges Létourneau et Dawson, J.C.A. : Nous avons lu les motifs que vient de nous transmettre notre collègue, le juge Stratas. Nous souscrivons au dispositif qu’il propose.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.