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T-1233-04

2004 CF 1404

Daniel Normandin (demandeur)

c.

Le procureur général du Canada (défendeur)

Répertorié: Normandin c. Canada (Procureur général) (C.F.)

Cour fédérale, juge Tremblay-Lamer--Montréal, 20 septembre; Ottawa, 13 octobre 2004.

        Libération conditionnelle -- Compétence de la Commission nationale des libérations conditionnelles (la CNLC) d'imposer une condition spéciale d'assignation à résidence à un délinquant soumis à une ordonnance de surveillance de longue durée -- Question d'interprétation législative -- Puisqu'il s'agit d'une pure question de droit, la norme de contrôle appropriée est celle de la décision correcte -- Aucune disposition spécifique ne prévoit l'imposition d'une condition d'assignation à résidence immédiatement suivant l'expiration du mandat d'incarcération d'un délinquant à contrôler -- L'argument fondé sur le principe expressio unius est exclusio alterius a été rejeté -- L'art. 134.1(2) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition est suffisamment large pour donner à la CNLC le pouvoir d'imposer toute condition qu'elle juge raisonnable et nécessaire pour protéger la société et favoriser la réinsertion du délinquant -- Il n'y a pas eu d'atteinte à l'art. 7 de la Charte -- Demande rejetée.

        Il s'agissait d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de l'imposition par la Commission nationale des libérations conditionnelles (la CNLC) d'une condition spéciale d'assignation à résidence au demandeur. Déclaré coupable de délits à connotation sexuelle et d'autres crimes, le demandeur fut déclaré délinquant à contrôler en vertu du paragraphe 753.1(1) du Code criminel et la Cour a ordonné qu'une fois la peine d'emprisonnement purgée, il fasse l'objet d'une ordonnance de surveillance de longue durée au sein de la collectivité pour une période maximale de 5 ans. La CNLC a imposé une condition d'assignation à résidence de 90 jours.

        Le demandeur a fait valoir que la CNLC n'avait pas la compétence d'imposer une condition d'assignation à résidence à un délinquant à contrôler. En vertu de l'article 134.1 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, un délinquant faisant l'objet d'une ordonnance de surveillance de longue durée doit satisfaire aux conditions prévues par le paragraphe 161(1) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. L'assignation à résidence ne se trouve pas dans la liste de conditions. Le paragraphe 133(4.1) (lequel permet d'imposer une condition d'assignation à résidence à un délinquant éligible à la libération d'office) n'apparaît pas dans la liste des articles qui s'appliquent avec les adaptations nécessaires aux délinquants à contrôler. Le paragraphe 135.1(1) prévoit spécifiquement dans quelles circonstances une condition d'assignation à résidence peut être imposée à un délinquant à contrôler. Le demandeur a également soutenu que son droit de choisir son lieu de résidence méritait la protection accordée par l'article 7 de la Charte.

        La position du procureur général était que la CNLC avait compétence, en vertu du paragraphe 134.1(2) de la Loi, d'imposer toute condition qu'elle juge raisonnable et nécessaire pour le maintien d'une société juste, paisible et sûre, ce qui est l'objectif principal de la Loi selon l'article 100. On a fait valoir que la liste de conditions du paragraphe 161(1) du Règlement n'était pas exhaustive. Le procureur général a ajouté que le mot «résidence» au paragraphe 161(1) du Règlement n'impliquait pas que le délinquant pouvait choisir cette résidence. Il n'y a pas eu non plus d'atteinte à l'article 7 de la Charte. Le demandeur était soumis à une ordonnance de surveillance de longue durée et la condition de résidence est directement reliée à la protection de la société.

        Jugement: la demande doit être rejetée.

        En ce qui a trait à la norme de contrôle, la méthode pragmatique et fonctionnelle établie par la Cour suprême dans l'arrêt Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, ne doit pas être appliquée de façon machinale, l'objectif global étant de cerner l'intention du législateur. La norme de contrôle appropriée en l'espèce était celle de la décision correcte puisqu'il s'agit d'une pure question de droit, même si la Cour fait preuve d'une plus grande retenue pour les décisions de la CNLC destinées à protéger la société tout en facilitant la réinsertion du délinquant. Les questions d'interprétation législative sont soumises couramment aux tribunaux judiciaires et ne relèvent pas de l'expertise de la Commission.

        Comme il n'y a aucune disposition spécifique qui prévoit l'imposition d'une condition d'assignation à résidence immédiatement suivant l'expiration du mandat d'un délinquant à contrôler, le demandeur a soutenu, en se fondant sur le principe de l'exclusion implicite expressio unius est exclusio alterius, qu'il n'avait pas été attribué de pouvoir d'imposer des conditions en matière de résidence. La Cour n'a pas pu souscrire à cette opinion et elle a accepté la proposition du procureur général selon laquelle le paragraphe 134.1(2) était suffisamment large pour permettre à la Commission d'imposer toute condition jugée raisonnable et nécessaire pour protéger la société et favoriser la réinsertion sociale du délinquant. Le législateur a édicté une disposition législative résiduelle souple qui dessert l'objet général de la Loi et il serait contraire à l'économie de la Loi d'écarter la compétence de la CNLC d'imposer une condition d'assignation à résidence à un délinquant à contrôler.

        En ce qui a trait à l'argument du demandeur fondé sur la Charte, les restrictions imposées en matière de résidence étaient conformes à la Charte parce qu'elles avaient pour but de protéger le public et d'éviter le recours à l'incarcération dont peuvent faire l'objet les délinquants qualifiés de délinquants à contrôler parce qu'il n'est pas possible de leur imposer une structure, un traitement et des mesures de contrôle.

lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 151 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 19, art. 1), 152 (mod., idem), 153 (mod., idem), 163.1(2) (édicté par L.C. 1993, ch. 46, art. 2), (3) (édicté, idem; 2002, ch. 13, art. 5), (4) (édicté par L.C. 1993, ch. 46, art. 2), (4.1) (édicté par L.C. 2002, ch. 13, art. 5), 172.1 (édicté, idem, art. 8), 173(2) (édicté par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 19, art.7), 271 (mod. par L.C. 1994, ch. 44, art. 19), 272 (mod. par L.C. 1995, ch. 39, art. 145), 273 (mod., idem, art. 146), 753.1(1) (édicté par L.C. 1997, ch. 17, art. 4), (2) (édicté, idem; 2002, ch. 13, art. 76), (3) (édicté par L.C. 1997, ch. 17, art. 4), 753.2 (édicté, idem).

Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, art. 99.1 (édicté par L.C. 1997, ch. 17, art. 18), 100, 101, 133(4.1) (édicté par L.C. 1995, ch. 42, art. 48), 134 (mod. par L.C. 1995, ch. 42, art. 71; 1997, ch. 17, art. 29), 134.1 (édicté, idem, art. 30), 135(1) (mod. par L.C. 1995, ch. 42, art. 50), 135.1(1) (édicté par L.C. 1997, ch. 17, art. 33).

Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620, art. 161(1).

jurisprudence citée

décisions appliquées:

Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226; (2003), 223 D.L.R. (4th) 599; [2003] 5 W.W.R. 1; 11 B.C.L.R. (4th) 1; 48 Admin. L.R. (3d) 1; 179 B.C.A.C. 170; 302 N.R. 34; 2003 CSC 19; McMurray c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles) (2004), 249 F.T.R. 118; 2004 CF 462; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; (1998), 36 O.R. (3d) 418; 154 D.L.R. (4th) 193; 50 C.B.R. (3d) 163; 33 C.C.E.L. (2d) 173; 221 N.R. 241; 106 O.A.C. 1; R. v. V.M., [2003] O.J. no 436 (QL); [2003] O.T.C. 97 (C.S.J.).

décision distincte:

Cartier c. Canada (Procureur général), [2003] 2 C.F. 317; (2002), 2 Admin. L.R. (4th) 247; 300 N.R. 362; 2002 CAF 384.

DEMANDE de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles d'imposer une condition spéciale d'assignation à résidence de 90 jours à un délinquant à contrôler soumis à un certificat de surveillance de longue durée. Demande rejetée.

ont comparu:

Diane M.P. Magas pour le demandeur.

Dominique Guimond pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier:

Magas Law Office, Ottawa, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Voici les motifs de l'ordonnance et ordonnance rendus en français par

[1]Le juge Tremblay-Lamer: La question soulevée dans la présente demande de contrôle judici aire est celle de la compétence de la Commission nationale des libérations conditionnelles (la CNLC) d'imposer une condition spéciale d'assignation à résidence à un délinquant qui a été déclaré délinquant à contrôler en vertu du paragraphe 753.1(1) [édicté par L.C. 1997, ch. 17, art. 4] du Code criminel , L.R.C. (1985), ch. C-46 (C. cr.).

[2]Le demandeur a purgé une deuxième peine fédérale de deux ans pour des délits à connotation sexuelle contre la personne ainsi que pour possession de substances illégales et défaut de se conformer à une ordonnance de probation. Le mandat d'incarcération du demandeur prit fin le 27 juin 2004.

[3]Le demandeur fut déclaré délinquant à contrôler selon l'article 753.1 du C. cr. En conséquence, le tribunal a ordonné que le demandeur fasse l'objet d'une ordonnance de surveillance de longue durée au sein de la collectivité aux termes du paragraphe 753.1(3) [édicté, idem ] et l'ar ticle 753.2 [édicté, idem ] du C. cr. pour une période maximale de cinq ans suivant l'expiration du mandat du demandeur.

[4]Le 3 juin 2004, la CNLC a ordonné une condition d'assignation à résidence à partir de tout CCC/CRC [centre correctionn el communautaire] pour une durée de 90 jours. Par conséquent, un certificat de surveillance de longue durée fut émis contre le demandeur.

[5]Le demandeur soumet que la CNLC n'a pas la compétence d'imposer une condition d'assignation à réside nce à un délinquant à contrôler pour les raisons suivantes.

[6]En vertu de l'article 134.1 [édicté par L.C. 1997, ch. 17, art. 30] de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la Loi) «les c onditions prévues par le paragraphe 161(1) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition s'appliquent, avec les adaptations nécessaires, au délinquant surveillé aux termes d'une ordonnance de surveillance de longue durée.»

[7]Or, le paragraphe 161(1) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition [DORS/92-620] (Règlement) prévoit une liste de conditions qui n'inclut pas la condition d'assignation à résidence.

[8]L'article 99.1 [édicté par L.C. 1997, ch. 17, art. 18] de la Loi prévoit que la «personne soumise à une ordonnance de surveillance de longue durée est assimilée à un délinquant pour l'application de la présente partie [i.e. la partie II de la Loi]; les arti cles 100, 101, 109 à 111 et 140 à 145 s'appliquent, avec les adaptations nécessaires, à cette personne et à la surveillance de celle-ci.» Le paragraphe 133(4.1) [édicté par L.C. 1995, ch. 42, art. 48] lequel permet d'imposer une condition d'assignation à résidence à un délinquant éligible à la libération d'office, n'est pas inclus dans la liste des articles qui s'appliquent avec les adaptations nécessaires aux délinquants à contrôler. Il ne s'applique donc pas à une ordonnance de surveillance de longue durée.

[9]De plus, le paragraphe 135.1(1) [édicté par L.C. 1997, ch. 17, art. 33] prévoit spécifiquement dans quelles circonstances une condition d'assignation à résidence peut être imposée à un délinquant à contrôler. Il serait il logique que le législateur ait prévu qu'une telle condition puisse être imposée aux termes du paragraphe 134.1(2) [édicté, idem , art. 30].

[10]Le demandeur soutient finalement que son droit de choisir son lieu de résidence fait partie de cet te catégorie de décisions limitées qui méritent la protection constitutionnelle accordée par l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 , annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (la Charte).

[11]Pour sa part le défendeur soumet que la CNLC a compétence en vertu du paragraphe 134.1(2) de la Loi d'imposer toute condition qu'elle juge raisonnable et nécessaire pou r le maintien d'une société juste, paisible et sûre qui est l'objectif principal de la Loi contenu à l'article 100. C'est en fonction de ce principe directeur qu'il convient d'interpréter le paragraphe 134.1(2).

[12]Bien que le paragraphe 161(1) du Règlement n'inclue pas la condition d'assignation à résidence, cette liste de conditions n'est pas exhaustive. Elle contient des conditions de base auxquelles peuvent s'ajouter d'autres conditions lorsque la CNLC le juge raisonnable et nécessaire d ans les circonstances particulières d'un dossier.

[13]Par ailleurs, le mot résidence au paragraphe 161(1) du Règlement n'implique pas que cette résidence est privée ou au choix du délinquant. Ainsi, le mot résidence s'entend aussi bien de la résidence au choix du délinquant que la résidence imposée par la CNLC, par exemple un centre correctionnel communautaire tel qu'en l'espèce.

[14]Finalement, pour le défendeur, la condition de résidence ne contrevient pas à l'article 7 de la Charte puisque le demandeur demeure soumis à une ordonnance de surveillance de longue durée qui entrave sa liberté sans exiger son incarcération. Cette restriction est conforme aux règles de la justice fondamentale, compte tenu de l'audition qui a eu lieu devant le tribunal. Par ailleurs, la condition de résidence est directement reliée à l'objet que constitue la protection de la société. De plus, celle-ci est de courte durée et peut être révisée pendant cette période si le demandeur démontre sa capacité à réintégrer la société. En conséquence, la condition de résidence ne contrevient pas à l'article 7 de la Charte.

i)     La norme de contrôle applicable

[15]La seule question soulevée par le présent litige est de déterminer si la CNLC a compétence pour imposer une condition d'assignation à résidence à un délinquant déclaré délinquant à contrôler.

[16]Il convient à prime abord de déterminer la norme de contrôle applicable. Dans Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia , [2003] 1 R.C.S. 226, la Cour suprême du Canada a confirmé que la cour qui révise la décision d'un tribunal administratif doit appliquer la méthode pragmatique et fonctionnelle pour établir le degré de déférence dont il faut faire preuve face à la décision. Cette méthode exige de la cour de révision de soupeser une série de facteurs afin de décider si une question précise dont le tribunal administratif était saisi doit être soumise à un contrôle exigeant, subir un examen ou une analyse en profond eur, ou être laissée à l'appréciation quasi exclusive du décideur. Quatre facteurs principaux doivent être pris en compte pour établir quelle norme de contrôle judiciaire est applicable à la décision d'un tribunal administratif: la présence ou l'absence d'une clause privative; l'objet de la loi dans son ensemble et de la disposition particulière; l'expertise du tribunal relativement à celle de la cour de révision sur la question en litige; la nature de la question.

[17]L'approche pragmatique et fonctionnelle ne doit pas être appliquée de façon machinale. Les facteurs peuvent se chevaucher. «L'objectif global est de cerner l'intention du législateur, sans perdre de vue le rôle constitutionnel des tribunaux judiciaires dans le maintien de la lég alité.» (Dr Q c. College of Physicians and Surgeons , au paragraphe 26). La Cour doit choisir une des trois normes de contrôle qui s'appliquent--la norme de la décision manifestement déraisonnable, la norme de la décision raisonnable simpliciter et la norme de la décision correcte--indiquant le degré de déférence requis à la décision administrative.

[18]En l'espèce, le demandeur suggère que la norme de contrôle appropriée soit celle de la norme raisonnable simpliciter alors que le défendeur propose la norme de la décision correcte lorsqu'il s'agit de déterminer la question relative à la compétence de la CNLC. Pour les motifs suivants, je suis d'accord avec le défendeur que la norme de contrôle applicable est celle de la décision co rrecte.

[19]L'objectif principal de la Loi est contenu à l'article 100 de la Loi. Il vise à contribuer au maintien d'une société juste, paisible et sûre en permettant à la CNLC d'imposer des conditions nécessaires pour protéger la société et favoriser la réinsertion du délinquant. Le mandat de la CNLC est guidé par les principes énoncés à l'article 101 de la Loi. Il ne fait aucun doute que l'intention du législateur est que la CNLC emploie son expertise dans la prise de décisions appropriées qui permettront de protéger la société tout en facilitant la réinsertion du délinquant. La Cour devra faire preuve d'une plus grande retenue pour ce type d'expertise.

[20]Cependant, lorsque la question se limite à décider si la CNLC a la com pétence, compte tenu des dispositions législatives pertinentes, d'imposer une condition d'assignation à résidence, il s'agit d'une pure question de droit qui appelle à peu ou pas de déférence. Les questions d'interprétation législative sont soumises couram ment aux tribunaux judiciaires et ne relèvent pas de l'expertise de la CNLC. La Cour est donc mieux placée que la CNLC pour décider de la question. C'est donc la norme de la décision correcte qui est appropriée. C'est d'ailleurs la norme de contrôle qui a été appliquée dans l'affaire McMurray c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles) (2004), 249 F.T.R. 118 (C.F.) où le juge Russell avait à déterminer si le législateur avait eu l'intention de donner aux délinquants à contrôler le droit d'interjeter appel devant la Section d'appel [de la Commission nationale des libérations conditionnelles].

[21]Je note au passage que la décision de la Cour d'appel fédérale dans Cartier c. Canada (Procureur général), [2003] 2 C.F. 317 (C.A.), sur laquelle s'appuie le demandeur ne trouve pas d'application quant à la norme de contrôle applicable en l'espèce. Dans cette affaire, la Cour d'appel s'était penchée sur le rôle de la Section d'appel [de la CNLC] lorsqu'elle révise une décision de la CNLC et du juge qui est saisi d'une demande de contrôle judiciaire relative à la décision de la Section d'appel. Dans cette affaire, la décision originale dont il était question relevait clairement de l'expertise de la CNLC puisqu'il s'agissait de son éva luation du risque de récidive d'un délinquant s'il était libéré.

ii)     Compétence de la CNLC pour imposer une condition d'assignation à un délinquant à contrôler

[22]Il s'agit maintenant de déterminer si la décision de la CNLC, qu'elle avait la compétence d'imposer une condition d'assignation de résidence à un délinquant surveillé aux termes d'une ordonnance de longue durée est correcte en droit.

[23]La démarche en est une d'interprétation législative. Il est bon de rappeler le principe directeur qui doit guider la Cour en matière d'interprétation législative tel que résumé par la Cour suprême du Canada dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re) , [1998] 1 R.C.S. 27. Aujourd'hui, il faut lire les termes d'une loi dans le contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

Le délinquant à contrôler en vertu du C. cr.

[24]Le point de départ de notre analyse se retrouve dans le C . cr. En effet, en vertu du paragraphe 753.1(1) du C.cr., le tribunal peut déclarer un délinquant qui satisfait aux critères suivants, «délinquant à contrôler»:

a) il y a lieu d'imposer au délinquant une peine minimale d'emprisonnement de deux ans pour l'infraction dont il a été déclaré coupable;

b) celui-ci présente un risque élevé de récidive;

c) il existe une possibilité réelle que ce risque puisse être maîtrisé au sein de la collectivité.

[25]Par ailleurs, en vertu du paragraphe 753.1(2) [édicté par L.C. 1997, ch. 17, art. 4; 2002, ch. 13, art. 76], le tribunal est convaincu que le délinquant présente un risque élevé de récidive si:

a) d'une part, celui-ci a été déclaré coupable d'une infraction visée aux articles 151 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 19, art. 1] (contacts sexuels), 152 [mod., idem] (incitation à des contacts sexuels) ou 153 [mod., idem] (exploitation sexuelle), aux paragraphes 163.1(2) [édicté par L.C. 1993, ch. 46, art. 2] (production de pornographie juvénile), 163.1(3) [édicté, idem; 2002, ch. 13, art. 5] (distribution de pornographie juvénile), 163.1(4) [édicté par L.C. 1993, ch. 46, art. 2] (possession de pornographie juvénile) ou 163.1(4.1) [édicté par L.C. 2002, ch. 13, art. 5] (accès à la pornographie juvénile), à l'article 172.1 [édicté, idem, art. 8] (leurre), au paragraphe 173(2) [édicté par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 19, art. 7] (exhibitionnisme) ou aux articles 271 [mod. par L.C. 1994, ch. 44, art. 19] (agression sexuelle), 272 [mod. par L.C. 1995, ch. 39, art. 145] (agression sexuelle armée) ou 273 [mod., idem, art. 146] (agression sexuelle grave), ou a commis un acte grave de nature sexuelle lors de la perpétration d'une autre infraction dont il a été déclaré coupable.

b)     d'autre part:

(i) soit le délinquant a accompli des actes répétitifs, notamment celui qui est à l'origine de l'infraction dont il a été déclaré coupable, qui permettent de croire qu'il causera vraisemblablement la mort de quelque autre personne ou causera des sévices ou des dommages psychologiques graves à d'autres personnes,

(ii) soit sa conduite antérieure dans le domaine sexuel, y compris lors de la perpétration de l'infraction dont il a été déclaré coupable, laisse prévoir que vraisemblablement il causera à l'avenir de ce fait des sévices ou autres maux à d'autres personnes.

[26]En l'espèce, le tribunal a conclu que le demandeur remplissait tous ces critères et l'a déclaré délinquant à contrôler.

[27]En conséquence, le tribunal a ordonné que le demandeur soit soumis à une surveillance de longue durée au sein de la collectivité conformément à l'article 753.2 du C. cr.

[28]Il est clair que le mot «surveillance» suggère impl icitement la présence de conditions. La juge Wilson dans l'affaire R. v. V.M. , [2003] O.J. no 436 (C.S.J.) (QL) en arrivait à cette conclusion. C'est dans la «Section des conditions de la surveillance de longue durée» de la Loi que l'on retrouve les dispos itions pertinentes.

[29]Cependant, avant de se pencher sur ces dispositions, il importe de comprendre comment la Loi fonctionne en relation avec les délinquants soumis à une ordonnance de longue durée. À cette fin, il faut examiner l'article 99.1 de la Loi qui prévoit:

99.1 La personne soumise à une ordonnance de surveillance de longue durée est assimilée à un délinquant pour l'application de la présente partie; les articles 100, 101, 109 à 111 et 140 à 145 s'appliquent, avec les adaptations nécessaires, à cette personne et à la surveillance de celle-ci.

[30]Le législateur a donc voulu préciser lorsque ce n'est pas évident, que certaines dispositions s'appliquent aux délinquants à contrôler avec les adaptations nécessaires.

[31]D'autres dispositions particulières s'appliqueront également mais uniquement lorsqu'il est évident qu'elles s'appliquent (McMurray).

[32]La condition d'assignation à résidence est prévue aux paragraphes 133(4.1) et 135.1(1) . Or, comme le souligne le demandeur, la condition d'assignation à résidence ne fait pas partie des dispositions énumérées à l'article 99.1. Elle est prévue spécifiquement au paragraphe 133.(4.1) pour un délinquant éligible à la libération d'office lorsque certains critères qui y sont énoncés sont rencontrés:

133. [. . .]

(4.1) L'autorité compétente peut, pour faciliter la réinsertion sociale du délinquant, ordonner que celui-ci, à titre de condition de sa libération d'office, demeure dans un établissement résidentiel communautaire ou un établissement psychiatrique si elle est convaincue qu'à défaut de cette condition la commission par le délinquant d'une infraction visée à l'annexe I avant l'expiration légale de sa peine présentera un risqu e inacceptable pour la société.

[33]De plus, le paragraphe 135(1) [mod. par L.C. 1995, ch. 42, art. 50] prévoit dans quelles circonstances une condition d'assignation à résidence peut être imposée à un délinquant à contrôler:

135. (1) En cas d'inobservation des conditions de la libération conditionnelle ou d'office ou lorsqu'il est convaincu qu'il est raisonnable et nécessaire de prendre cette mesure pour empêcher la violation de ces conditions ou pour protéger la société, un membre de la Co mmission ou la personne que le président ou le commissaire désigne nommément ou par indication de son poste peut, par mandat:

a) suspendre la libération conditionnelle ou d'office;

b) autoriser l'arrestation du délinquant;

c) ordonner la réincarcération du délinquant jusqu'à ce que la suspension soit annulée ou que la libération soit révoquée ou qu'il y soit mis fin, ou encore jusqu'à l'expiration légale de la peine.

[34]Il n'y a donc aucune disposition spécifique qui prévoit l'impos ition d'une condition d'assignation à résidence immédiatement suivant l'expiration du mandat d'un délinquant à contrôler. Le demandeur conclut en se fondant sur le principe d'interprétation législative de l'exclusion implicite expressio unius est exclusio alterius , que comme le pouvoir d'imposer des conditions en matière de résidence n'a pas été attribué expressément à l'article 134 [mod. par L.C. 1995, ch. 42, art. 71; 1997, ch. 17, art. 29] de la Loi, il n'a pas été attribué du tout.

[35]Je ne suis pas de cet avis. En premier lieu, l'article 134.1 traite des conditions qui peuvent être imposées par la CNLC en relation avec un délinquant soumis à une ordonnance de surveillance de longue durée:

134.1 (1) Sous réserve du paragraphe (4), les co nditions prévues par le paragraphe 161(1) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition s'appliquent, avec les adaptations nécessaires, au délinquant surveillé aux termes d'une ordonnance de surveillance de longue durée.

[36]Le paragraphe 161(1) du Règlement prévoit une liste de conditions qui n'inclue pas la condition d'assignation à résidence. Le défendeur soumet qu'il s'agit de conditions de base auxquelles peuvent s'ajouter d'autres conditions lorsque jugées nécessaires et raisonnables par la Commission dans chaque cas. Cette compétence est attribuée au paragraphe 134.1(2) de la Loi qui est suffisamment large pour permettre à la CNLC d'imposer toute condition qu'elle juge raisonnable et nécessaire pour protéger la société et favoriser la réinsertion sociale du délinquant. Je suis d'avis qu'il a raison. Il est évident que le législateur a voulu laisser à la CNLC une large discrétion au paragraphe 134.1(2) lequel se lit comme suit:

134.1 [. . .]

(2) La Commission peut imposer au délinquant les conditions de surveillance qu'elle juge raisonnables et nécessaires pour protéger la société et favoriser la réinsertion sociale du délinquant.

[37]Le législateur a édicté une d isposition législative résiduelle souple qui dessert l'objet général de la Loi et l'intention du législateur de protéger la société tout en favorisant la réinsertion du délinquant. Il serait contraire à l'économie de la Loi lue conjointement avec les dispo sitions pertinentes du C. cr. applicables, d'écarter la compétence de la CNLC d'imposer une condition d'assignation à résidence à un délinquant à contrôler lorsqu'une telle condition est jugée raisonnable et nécessaire dans la situation particulière d'un délinquant mais qui ne le serait pas dans le cas d'un autre délinquant.

[38]Comme l'affirmait la juge Wilson dans R. v. V.M. , il serait peu logique que la CNLC ait le pouvoir d'imposer des conditions en matière de résidence aux délinquants or dinaires faisant l'objet d'une libération conditionnelle mais qu'elle n'ait pas un tel pouvoir à l'égard des délinquants qui représentent un grave danger. De plus, contrairement à la prétention du demandeur, je suis d'avis que la décision du juge Russell d ans McMurray nous amène à la même conclusion. Le juge Russell affirmait [au paragraphe 111]:

Après avoir examiné les arguments soulevés par les avocats sur ce point, ainsi que l'économie générale et l'objet de la Loi (compte tenu particulièrement de la pa rtie II et des nouvelles dispositions visant les délinquants à contrôler), la Cour estime que le contexte, l'économie générale, l'objet et le sens ordinaire des mots indiquent que l'article 99.1 fait référence à des dispositions particulières dans le but de préciser, lorsque cela n'est pas évident, que ces dispositions s'appliquent aux délinquants à contrôler «avec les adaptations nécessaires». D'autres dispositions qui ne sont pas mentionnées dans l'article 99.1 s'appliquent également aux délinquants à contrôler mais la raison en est que ces dispositions indiquent clairement que c'est le cas. Si le législateur avait eu l'intention de rendre les articles 146 et 147 applicables aux délinquants à contrôler, il l'aurait dit expressément dans l'article 99.1. [Je souligne.]

[39]Interprétant la Loi dans son contexte global en tenant compte de son objet ainsi que de l'intention du législateur, il m'apparaît évident et clair que le paragraphe 134.1(2) s'applique au délinquant à contrôler contrairement aux dispositions d'appel qui faisaient l'objet du litige dans l'affaire McMurray .

[40]Pour tous ces motifs, je suis d'avis que la CNLC a compétence pour imposer une condition d'assignation à résidence au délinquant à contrôler.

iii)     La condition de résidence viole-t-elle l'article 7 de la Charte?

[41]Le demandeur a assimilé son droit à la liberté à celui de choisir son lieu de résidence. Il prétend que ce droit a été violé par la condition de résidence.

[42]Cependant, comme le souligne le défendeur, le demandeur demeure soumis à une ordonnance de surveillance de longue durée laquelle entrave sa liberté. D'une part cette restriction est conforme aux règles de justice fondamentale compte tenu de l'audition ayant e u lieu devant le tribunal. D'autre part, la condition de résidence est directement reliée à l'objet que constitue la protection de la société. Les restrictions imposées en matière de résidence sont conformes à la Charte parce qu'elles ont pour but de protéger le public et d'éviter le recours à l'incarcération dont peuvent faire l'objet les délinquants qualifiés de délinquants à contrôler parce qu'il n'est pas possible de leur imposer une structure, un traitement et des mesures de contrôle.

[43]Finalement, la condition de résidence n'a été imposée que pour une période de 90 jours. Il est toujours possible de réviser la condition pendant cette période si le demandeur a démontré sa capacité à réintégrer la société.

[44]En conséquence, je suis d'avis que la condition de résidence ne contrevient pas à l'article 7 de la Charte.

[45]Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée sans frais.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée sans frais.

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