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T-1909-04

2005 CF 987

Raymond Desrochers et Corporation de développement économique communautaire CALDECH (demandeurs)

c.

Industrie Canada, le gouvernement du Canada et le procureur général du Canada (défendeurs)

et

Commissaire aux langues officielles (intervenant)

Répertorié: Desrochers c. Canada (Industrie) (C.F.)

Cour fédérale, juge Harrington--Ottawa, 16 et 17 mai; 15 juillet 2005.

Langues officielles -- Demande de réparation fondée sur l'art. 77(4) de la Loi sur les langues officielles (la Loi) pour violation des droits -- Industrie Canada est responsable du Programme de développement des collectivités dans le cadre duquel sont financés des organismes sans but lucratif locaux appelés «sociétés d'aide au développement des collectivités (SADC)» -- Les SADC offrent une grande variété de programmes et de services dans les domaines du développement économique communautaire et de la croissance des petites entreprises -- Les demandeurs sont installés à Penetanguishene, dans le comté de Simcoe, où vit une minorité francophone -- La SADC de Simcoe Nord, située à Penetanguishene, est un entrepreneur indépendant, mais c'est FedNor, un organisme d'Industrie Canada créé pour administrer le Programme de développement des collectivités, qui exerce le contrôle au bout du compte -- Les demandeurs se sont plaints au commissaire aux langues officielles du fait qu'Industrie Canada n'offrait pas des services égaux en français et en anglais dans le cadre du Programme de développement des collectivités -- Le commissaire a déterminé qu'Industrie Canada contrevenait à l'art. 22 de la Loi -- La Loi s'applique-t-elle en l'espèce? -- La minorité francophone du nord du comté de Simcoe a-t-elle droit à des services égaux à ceux offerts à la majorité anglophone dans le cadre du Programme de développement des collectivités? -- La Loi a un statut quasi constitutionnel et elle impose des exigences pratiques aux institutions fédérales -- La partie IV de la Loi, «Communications avec le public et prestation des services» s'applique, mais non la partie VII, «Promotion du français et de l'anglais» -- La SADC de Simcoe Nord fournit des services pour le compte d'Industrie Canada -- Industrie Canada est tenu par l'art. 25 de la Loi de veiller à ce que la SADC de Simcoe Nord fournisse des services égaux dans les deux langues officielles -- «Égal» ne signifie pas nécessairement identique -- Le droit du public d'obtenir des services en français n'existe qu'à l'égard des institutions et ne comprend pas le droit de communiquer en français avec des personnes -- La preuve démontre que la SADC de Simcoe Nord s'est conformée aux exigences de la Loi.

Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Droits linguistiques -- Demande de réparation fondée sur l'art. 24 de la Charte pour violation des droits linguistiques -- Aucune preuve de violation -- La SADC de Simcoe Nord fournit des services égaux en français et en anglais pour le compte d'Industrie Canada.

Il s'agissait d'une demande de réparation fondée sur le paragraphe 77(4) de la Loi sur les langues officielles (la Loi) pour violation des droits et, dans le cas du demandeur Raymond Desrochers, sur l'article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) pour violation de ses droits linguistiques. M. Desrochers est le président du codemandeur, le Centre d'avancement et de leadership en développement économique communautaire de la Huronie (CALDECH), un organisme sans but lucratif dont la mission est d'assurer une plus grande participation des francophones à l'économie locale. En 2000, M. Desrochers et le CALDECH se sont plaints au commissaire aux langues officielles (le commissaire) du fait qu'Industrie Canada ne respectait pas les obligations que lui imposait la Loi parce qu'il n'offrait pas des services égaux en français et en anglais dans le cadre du Programme de développement des collectivités, un programme destiné aux petites entreprises qui fournit des renseignements, des conseils et du financement, favorise le développement économique communautaire et offre des services de planification stratégique. Dans le cadre de ce programme, Industrie Canada finance des organismes sans but lucratif locaux appelés «sociétés d'aide au développement des collectivités (SADC)». La SADC de Penetanguishene, où M. Desrochers et le CALDECH sont installés, est connue sous le nom de North Simcoe Community Futures Development Corporation/Simcoe Nord Société d'aide au développement des collectivités (la SADC de Simcoe Nord). Le commissariat aux langues officielles a souscrit en général aux allégations des demandeurs et a formulé quatre recommandations à l'intention d'Industrie Canada. Il a ensuite contrôlé la mise en oeuvre des recommandations en juin 2003 et, de nouveau, en août 2004. Le commissariat a signalé que, malgré des améliorations, la collectivité francophone du nord du comté de Simcoe ne recevait toujours pas des services égaux dans le cadre du Programme de développement des collectivités. Après le dépôt du rapport de 2004, M. Desrochers et le CALDECH ont intenté en Cour fédérale une action contre Industrie Canada afin que celui-ci indemnise le CALDECH des frais liés à la prestation des services dans le cadre du Programme de développement des collectivités dans le passé et finance ces services à l'avenir. Les questions en litige étaient les suivantes: la Loi ou la Charte s'appliquaient-elles et, dans l'affirmative, quels droits ont été violés; la minorité francophone du nord du comté de Simcoe avait-elle droit à des services égaux à ceux offerts à la majorité anglophone dans le cadre du Programme de développement des collectivités?

Jugement: la demande doit être rejetée.

Les paragraphes 16(1) et 20(1) de la Charte assurent une protection constitutionnelle à l'emploi du français et de l'anglais «dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada». La Loi a été qualifiée de texte quasi constitutionnel, ce qui signifie qu'elle doit être interprétée d'une manière qui tient particulièrement compte de notre constitution non écrite et du passé des minorités francophone et anglophone. La Loi va au-delà d'un énoncé de principes: elle impose des exigences pratiques aux institutions fédérales.

Bien que les rapports du commissaire concernant les plaintes des demandeurs traitent à la fois de la partie IV, «Communications avec le public et prestation des services», et de la partie VII, «Promotion du français et de l'anglais» de la Loi, cette dernière partie ne s'appliquait pas en l'espèce. Aux termes de l'article 22 de la Loi, une institution fédérale doit veiller à ce que le public puisse communiquer avec elle, et en recevoir les services, dans l'une ou l'autre des langues officielles lorsqu'il y a une demande importante. Or, il existe une telle demande dans la partie nord du comté de Simcoe. De plus, il n'était pas contesté que les deux demandeurs sont des membres du public et que le terme «services» signifie des services égaux. Aux termes de l'article 25, cette obligation s'étend aux tiers qui fournissent des services pour le compte de l'institution. Le commissaire a convenu que, comme Industrie Canada fournissait directement les services, il avait, aux termes de l'article 22, l'obligation de veiller à ce que le public puisse communiquer avec lui, et en recevoir les services, dans l'une ou l'autre des langues officielles. Industrie Canada prétendait qu'il ne traitait pas directement avec les bénéficiaires du Programme de développement des collectivités et que la SADC de Simcoe Nord ne fournissait pas les services pour son compte, mais pour celui de FedNor, un organisme d'Industrie Canada qui finance des projets communautaires et d'autres initiatives et administre le Programme de développement des collectivités partout dans le nord et dans les régions rurales de l'Ontario. La SADC de Simcoe Nord est un entrepreneur indépendant, mais c'est FedNor qui exerce le contrôle au bout du compte. Par conséquent, le principe selon lequel une entité privée dont le gouvernement conserve la responsabilité est assujettie à la Charte et à la Loi lorsqu'elle exécute des actes gouvernementaux ou met en oeuvre une politique ou un programme gouvernemental déterminé s'appliquait en l'espèce. En effet, la SADC de Simcoe Nord mettait en oeuvre une politique ou un programme gouvernemental déterminé: le Programme de développement des collectivités. Par conséquent, Industrie Canada avait, aux termes de l'article 25 de la Loi, l'obligation de s'assurer que la SADC de Simcoe Nord fournissait des services égaux dans les deux langues officielles, comme s'il fournissait lui-même ces services. Comme l'article 25 s'appliquait, l'article 22 ne s'appliquait pas. Industrie Canada ne pouvait, dans l'entente qu'il a conclue avec la SADC de Simcoe Nord, déroger à ses obligations en matière de langues officielles et à celles que lui impose la Charte.

La question de savoir si Industrie Canada a omis de veiller à ce que la SADC de Simcoe Nord offre des services égaux en français et en anglais, comme toute institution fédérale a l'obligation de le faire suivant l'article 25 de la Loi, devait être examinée en fonction des faits tels qu'ils existaient au moment du dépôt de la poursuite en octobre 2004. À l'époque, la SADC de Simcoe Nord avait une réceptionniste bilingue, un responsable des prêts francophone, un comité de prêts francophone et plusieurs administrateurs francophones; en outre, sa bibliothèque et son site Web étaient bilingues. Trois incidents ayant trait à la fourniture des services en français devaient être mentionnés. La réceptionniste de la SADC de Simcoe Nord était bilingue, mais il était possible d'avoir accès à la ligne directe des employés en anglais seulement. Il n'était pas obligatoire que les employés de la SADC de Simcoe Nord soient bilingues. Le fait de donner les numéros de téléphone d'unilingues anglophones n'était pas contraire à la Loi. La directrice générale de la SADC de Simcoe Nord était une unilingue anglophone. Il faut faire une distinction entre une institution fédérale et une personne. Le public a le droit d'employer le français dans ses rapports avec la SADC de Simcoe Nord, mais non dans ses rapports avec certaines personnes. Finalement, selon les rapports du commissaire, la SADC de Simcoe Nord a offert des séances de formation en anglais seulement. Malgré les efforts faits pour offrir des ateliers et des séminaires en français, ceux-ci étaient habituellement annulés faute de participants. Chaque séance d'information offerte par la SADC de Simcoe Nord n'avait pas à être bilingue. «Égal» ne signifie pas nécessairement identique. La preuve était insuffisante pour conclure que la partie IV de la Loi ou l'un ou l'autre des droits garantis par la Charte n'avait pas été respecté.

Le rapport de 2004 du commissaire indiquait que les services fournis en français par la SADC de Simcoe Nord n'étaient pas d'une qualité équivalente à ceux offerts en anglais et que des mesures supplémentaires étaient toujours nécessaires pour produire des résultats tangibles afin que la SADC de Simcoe Nord respecte pleinement la Loi. Le concept d'«égalité» et l'intensité des obligations de la SADC de Simcoe Nord devaient être établis pour déterminer si celle-ci se conformait pleinement à la Loi. L'idée que M. Desrochers se faisait de l'«égalité de services» reflétait sa crainte d'assimilation. En fait, il voulait que la SADC de Simcoe Nord soit une institution culturellement francophone administrée par une minorité francophone. L'égalité de services n'exige toutefois pas qu'une institution soit administrée par la minorité de langue officielle. L'article 22 de la Loi exige d'une institution fédérale qu'elle communique et fournisse des services égaux dans les deux langues. L'article 25 impose exactement la même obligation au tiers qui fournit les mêmes services. L'intensité de l'obligation incombant à la SADC de Simcoe Nord ne pouvait pas être plus grande que celle imposée à Industrie Canada lui-même. Une obligation de résultat est plus intense qu'une obligation de moyens, laquelle est remplie si, objectivement, tous les efforts sont faits à cette fin. La SADC de Simcoe Nord était capable de communiquer en français avec le public et elle fournissait des services égaux, même si ce n'était pas avec autant de succès que les demandeurs le souhaitaient. Si Industrie Canada n'était pas satisfait du rendement de la SADC de Simcoe Nord, il pouvait lui retirer son mandat, financer l'embauche d'employés additionnels ou administrer le programme directement. Une grande partie des prétentions des demandeurs avaient trait à la partie VII de la Loi. C'est au Parlement et au pouvoir exécutif, et non aux tribunaux, qu'il appartient de rendre des décisions à cet égard, comme celle de financer le CALDECH pour que celui-ci exerce les fonctions d'une SADC dans tout le comté de Simcoe.

lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 15(1), 16(1), 20(1), 23, 24, 32.

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 133.

Loi sur le ministère de l'Industrie, L.C. 1995, ch. 1, art. 4(2), 8.

Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31, art. 2, 3 «institutions fédérales», 21 à 33, 41, 77(4), 91.

jurisprudence citée

décisions appliquées:

Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence canadienne d'inspection des aliments), [2004] 4 R.C.F. 276; (2004), 243 D.L.R. (4th) 542; 324 N.R. 314; 2004 CAF 263; autorisation de pourvoi à la CSC accordée [2004] C.S.C.R. no 449 (QL); Glykis c. Hydro-Québec, [2004] 3 R.C.S. 285; (2004), 244 D.L.R. (4th) 277; 325 N.R. 369; 2004 CSC 60; Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), [2002] 2 R.C.S. 773; (2002), 214 D.L.R. (4th) 1; 289 N.R. 282; 2002 CSC 53; Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 201; (2005), 250 D.L.R. (4th) 421; 331 N.R. 256; 2005 CSC 14; Gilbert v. British Columbia (Forest Appeals Commission), [2005] BCCA 117; [2005] B.C.J. no 408 (QL); Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624; (1997), 151 D.L.R. (4th) 577; [1998] 1 W.W.R. 50; 38 B.C.L.R. (3d) 1; 96 B.C.A.C. 81; 218 N.R. 161.

décision distincte:

Lavigne c. Canada (Développement des ressources humaines), [2002] 2 C.F. 164; (2001), 228 F.T.R. 185; 2001 CFPI 1365; conf. par (2003), 308 N.R. 186; 2003 CAF 203.

décisions citées:

Lalonde c. Ontario (Commission de restructuration des services de santé) (2001), 56 O.R. (3d) 577; 208 D.L.R. (4th) 577; 38 Admin. L.R. (3d) 1; 89 C.R.R. (2d) 1; 153 O.A.C. 1 (C.A.); R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768; (1999), 173 D.L.R. (4th) 193; 121 B.C.A.C. 227; 134 C.C.C. (3d) 481; 238 N.R. 131; McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229; (1990), 76 D.L.R. (4th) 545; 91 CLLC 17,004; 2 C.R.R. (2d) 1; 118 N.R. 1; 45 O.A.C. 1; Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038; (1989), 59 D.L.R. (4th) 416; 26 C.C.E.L. 85; 89 CLLC 14,031; 40 C.R.R. 100; 93 N.R. 183; Quigley c. Canada (Chambre des communes), [2003] 1 C.F. 132; (2002), 43 Admin. L.R. (3d) 218; 220 F.T.R. 221; 2002 CFPI 645; Canada (Commissaire aux langues officielles) c. Canada (Ministère de la Justice) (2001), 35 Admin. L.R. (3d) 46; 194 F.T.R. 181; 2001 CFPI 239; Fraser River Pile & Dredge Ltd. c. Can-Dive Services Ltd., [1999] 3 R.C.S. 108; [1999] 9 W.W.R. 380; (1999), 67 B.C.L.R. (3d) 213; 127 B.C.A.C. 287; 50 B.L.R. (2d) 169; 11 C.C.L.I. (3d) 1; 47 C.C.L.T. (2d) 1.

DEMANDE de réparation fondée sur le paragraphe 77(4) de la Loi sur les langues officielles pour violation des droits et, dans le cas du demandeur Raymond Desrochers, sur l'article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés pour violation de ses droits linguistiques. Demande rejetée.

ont comparu:

Ronald F. Caza et Joël M. Dubois pour les demandeurs.

Alain Préfontaine et Marie-Josée Montreuil pour les défendeurs.

Pascale Giguère et François Boileau pour l'intervenant.

avocats inscrits au dossier:

Heenan Blaikie SRL, Ottawa, pour les demandeurs.

Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.

Commissariat aux langues officielles, Direction des affaires juridiques, Ottawa, pour l'intervenant.

Voici les motifs de l'ordonnance rendus en français par

[1]Le juge Harrington: Dois-je cesser de me battre et accepter d'être assimilé? Selon Raymond Desrochers, c'est la question que se pose chaque matin un Franco-Ontarien, à tout le moins un Franco-Ontarien habitant dans le comté de Simcoe.

[2]M. Desrochers est le président du codemandeur, le Centre d'avancement et de leadership en développement économique communautaire de la Huronie (CALDECH), un organisme sans but lucratif dont la mission est d'assurer une plus grande participation des francophones à l'économie locale.

[3]En 2000, M. Desrochers le CALDECH se sont plaints au commissaire aux langues officielles (le Commissaire) du fait qu'Industrie Canada ne respectait pas les obligations que lui imposait la Loi sur les langues officielles [L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31]. En gros, ils prétendaient qu'Industrie Canada n'offrait pas des services égaux en français et en anglais dans le cadre du Programme de développement des collectivités, un programme destiné aux petites entreprises qui fournit des renseignements, des conseils et du financement, favorise le développement économique communautaire et offre des services de planification stratégique.

[4]Industrie Canada ne fournit pas directement les services et les fonds, mais finance plutôt des organismes sans but lucratif locaux appelés «Sociétés d'aide au développement des collectivités (SADC)». Il y a 61 sociétés semblables dans le nord et dans les régions rurales de l'Ontario. Celle de Penetanguishene, où M. Desrochers et le CALDECH sont installés, est située à Midland et est maintenant connue sous le nom de North Simcoe Community Futures Development Corporation/ Simcoe Nord Société d'aide au développement des collectivités (la SADC de Simcoe Nord).

[5]Lorsque la plainte a été déposée en 2000, il était allégué que la SADC de Simcoe Nord n'était pas en mesure de fournir des services adéquats en français, encore moins des services égaux à ceux qu'elle offrait en anglais. Industrie Canada a répondu en versant au CALDECH, au moyen d'une série de contrats à court terme, la coquette somme de 25 000 $ par mois afin que celui-ci puisse fournir au moins une partie des services visés par le Programme de développement des collectivités. Industrie Canada a, en outre, demandé une évaluation indépendante des 16 SADC de l'Ontario fournissant des services bilingues. Quatre SADC ont été jugées satisfaisantes, sept--dont la SADC de Simcoe Nord--ont reçu la note moyenne et cinq ont été jugées peu satisfaisantes. Ce rapport était à jour en 2001.

[6]Dans son rapport de septembre 2001, le commissariat aux langues officielles (le commissariat) a souscrit en général aux allégations des demandeurs et a formulé quatre recommandations à l'intention d'Industrie Canada. Il a ensuite contrôlé la mise en oeuvre des recommandations en juin 2003 et, de nouveau, en août 2004. Bien qu'il soit d'avis que la situation s'est considérablement améliorée, le commissariat signale que la collectivité francophone du nord du comté de Simcoe ne reçoit toujours pas des services égaux dans le cadre du Programme de développement des collectivités.

[7]En octobre 2004, M. Desrochers et le CALDECH ont intenté devant la Cour une action contre Industrie Canada pour violations de la Loi sur les langues officielles et, à tout le moins dans le cas de M. Desrochers, pour atteinte aux droits garantis par la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]. Bon nombre des allégations se résument à la conviction que la minorité linguistique du nord du comté de Simcoe ne peut bénéficier pleinement d'un programme de développement communautaire offert par un organisme anglophone ou, à tout le moins, anglo-dominant. Ils demandent à la Cour d'ordonner qu'Industrie Canada indemnise le CALDECH des frais liés à la prestation des services dans le cadre du Programme de développement des collectivités dans le passé et finance ces services à l'avenir, à tout le moins jusqu'à ce qu'Industrie Canada prenne en charge la gestion du programme ou que la SADC de Simcoe Nord ou un autre organisme soit pleinement conscient des besoins et des aspirations de la collectivité francophone et y soit sensible.

[8]Industrie Canada fait valoir que la Loi sur les langues officielles ne s'applique pas parce que les services offerts par la SADC de Simcoe Nord ne sont pas fournis pour son compte. Il affirme cependant qu'il a respecté les directives du Conseil du Trésor dans son contrat avec celle-ci. Il a demandé à la SADC de Simcoe Nord de fournir des services égaux en français et en anglais et, à tout le moins au moment où l'action a été intentée l'année dernière, celle-ci se conformait parfaitement à la Loi. En conséquence, pour éviter les dépenses inutiles et le doublonnage, Industrie Canada a cessé de financer le CALDECH.

[9]Le commissaire a été autorisé à intervenir uniquement en ce qui a trait à la partie IV de la Loi sur les langues officielles, qui porte sur les «Communications avec le public et [la] prestation des services».

[10]Les faits seront exposés et analysés plus en détail afin de mieux comprendre les questions en litige et d'avoir à l'esprit les règles de droit qui doivent s'appliquer à ces faits.

QUESTIONS EN LITIGE

[11]

1. La Loi sur les langues officielles s'applique-t-elle en totalité ou en partie en l'espèce? Dans l'affirmative, quelles sont les parties et les dispositions qui s'appliquent?

2. La minorité francophone du nord du comté de Simcoe a-t-elle droit à des services égaux à ceux offerts à la majorité anglophone dans le cadre du Programme de développement des collectivités? Le cas échéant, quelle mesure devrait être prise pour remédier à la situation?

3. Les droits garantis par la Charte aux demandeurs ont-ils été violés? Dans l'affirmative, quelle réparation devrait être ordonnée?

[12]Je traiterai d'abord de la Loi sur les langues officielles. J'examinerai ensuite les faits et ce que sont des services égaux, avant de tirer une conclusion.

LOI SUR LES LANGUES OFFICIELLES

[13]La Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1 [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]] ne dit pratiquement rien au sujet de l'usage du français et de l'anglais. Son article 133 prévoit que l'une ou l'autre de ces langues peut être utilisée dans les débats du Parlement et de la législature du Québec et devant les cours de justice du Canada et du Québec, et que les lois du Parlement du Canada et de la législature de Québec doivent être imprimées et publiées dans les deux langues.

[14]Une version antérieure de la Loi sur les langues officielles datant de 1969 n'est pas pertinente en l'espèce. C'est la Charte canadienne des droits et libertés qui assure une protection constitutionnelle à l'emploi plus étendu du français et de l'anglais «dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada» et au Nouveau-Brunswick. Les paragraphes 16(1) et 20(1) prévoient ce qui suit:

16. (1) Le français et l'anglais sont les langues officielles du Canada; ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada.

[. . .]

20. (1) Le public a, au Canada, droit à l'emploi du français ou de l'anglais pour communiquer avec le siège ou l'administration centrale des institutions du Parlement ou du gouvernement du Canada ou pour en recevoir les services; il a le même droit à l'égard de tout autre bureau de ces institutions là où, selon le cas:

a) l'emploi du français ou de l'anglais fait l'objet d'une demande importante;

b) l'emploi du français et de l'anglais se justifie par la vocation du bureau.

[15]L'article 23 de la Charte traite des droits à l'instruction dans la langue de la minorité. L'article 24 prévoit que toute personne victime de violation des droits ou libertés garantis par la Charte peut s'adresser à un tribunal «pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances».

[16]L'article 32 se lit comme suit:

32. (1) La présente charte s'applique:

a) au Parlement et au gouvernement du Canada, pour tous les domaines relevant du Parlement, y compris ceux qui concernent le territoire du Yukon et les territoires du Nord-Ouest;

b) à la législature et au gouvernement de chaque province, pour tous les domaines relevant de cette législature.

[17]C'est dans ce contexte que s'inscrit la Loi sur les langues officielles, une loi dont les 11 parties ont récemment été analysées par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence d'inspection des aliments), [2004] 4 R.C.F. 276, autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada accordée [[2004] C.S.C.R. no 449]. Les parties IV, «Communications avec le public et prestation des services», VIII, «Attributions et obligations du Conseil du Trésor en matière de langues officielles», IX, «Commissaire aux langues officielles», et X, «Recours judiciaire», s'appliquent en l'espèce.

[18]La présente instance n'a pas trait à la partie VII, «Promotion du français et de l'anglais». L'article 41, qui figure dans cette partie, prévoit ce qui suit:

41. Le gouvernement fédéral s'engage à favoriser l'épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement, ainsi qu'à promouvoir la pleine reconnaissance et l'usage du français et de l'anglais dans la société canadienne.

[19]La Cour d'appel fédérale a clairement indiqué dans Forum des maires, que la partie VII ne crée pas d'obligations. Il s'agit d'une déclaration d'intention qui, contrairement à d'autres parties de la Loi, ne fait pas naître de droits et de recours. Cette distinction est importante parce que les rapports du commissaire concernant les plaintes des demandeurs traitent à la fois de la partie IV--la principale partie qui s'applique en l'espèce--et de la partie VII.

[20]Toutes les lois sont assujetties à la norme moderne de l'interprétation législative. La juge Deschamps a indiqué ce qui suit dans Glykis c. Hydro-Québec, [2004] 3 R.C.S. 285, au paragraphe 5:

La méthode d'interprétation des textes législatifs est bien connue (Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, 2002 CSC 42). La disposition législative doit être lue dans son contexte global, en prenant en considération non seulement le sens ordinaire et grammatical des mots mais aussi l'esprit et l'objet de la loi et l'intention du législateur. Cette méthode, énoncée à l'occasion de l'analyse de textes législatifs, s'impose, avec les adaptations nécessaires, pour l'interprétation de textes réglementaires.

[21]La Loi sur les langues officielles a été qualifiée de texte quasi constitutionnel, ce qui signifie qu'elle doit être interprétée d'une manière qui tient particulièrement compte de notre constitution non écrite et du passé des minorités francophone et anglophone.

[22]L'objet de la Loi sur les langues officielles est énoncé à son article 2:

2. La présente loi a pour objet:

a) d'assurer le respect du français et de l'anglais à titre de langues officielles du Canada, leur égalité de statut et l'égalité de droits et privilèges quant à leur usage dans les institutions fédérales, notamment en ce qui touche les débats et travaux du Parlement, les actes législatifs et autres, l'administration de la justice, les communications avec le public et la prestation des services, ainsi que la mise en oeuvre des objectifs de ces institutions;

b) d'appuyer le développement des minorités francophones et anglophones et, d'une façon générale, de favoriser, au sein de la société canadienne, la progression vers l'égalité de statut et d'usage du français et de l'anglais;

c) de préciser les pouvoirs et les obligations des institutions fédérales en matière de langues officielles.

[23]Comme la Cour suprême l'a souligné dans Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), [2002] 2 R.C.S. 773, aux paragraphes 22 et 23:

Ces objectifs sont fort importants, car la promotion des deux langues officielles est essentielle au bon développement du Canada. Comme le disait notre Cour dans le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721, p. 744:

L'importance des droits en matière linguistique est fondée sur le rôle essentiel que joue la langue dans l'existence, le développement et la dignité de l'être humain. C'est par le langage que nous pouvons former des concepts, structurer et ordonner le monde autour de nous. Le langage constitue le pont entre l'isolement et la collectivité, qui permet aux êtres humains de délimiter les droits et obligations qu'ils ont les uns envers les autres, et ainsi, de vivre en société.

La Loi sur les langues officielles va au-delà d'un énoncé de principes. Elle impose des exigences pratiques aux institutions fédérales [. . .]

[. . .]

L'importance de ces objectifs de même que les valeurs constitutionnelles incarnées par la Loi sur les langues officielles confèrent à celle-ci un statut privilégié dans l'ordre juridique canadien. Son statut quasi-constitutionnel est reconnu par les tribunaux canadiens. Ainsi, la Cour d'appel fédérale s'exprimait de la façon suivante dans Canada (Procureur général) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373, p. 386 (voir également Rogers c. Canada (Service correctionnel), [2001] 2 C.F. 586 (1re inst.), p. 602-603):

La Loi sur les langues officielles de 1988 n'est pas une loi ordinaire. Elle reflète à la fois la Constitution du pays et le compromis social et politique dont il est issu. Dans la mesure où elle est l'expression exacte de la reconnaissance des langues officielles inscrite aux paragraphes 16(1) et 16(3) de la Charte canadienne des droits et libertés, elle obéira aux règles d'interprétation de cette Charte telles qu'elles ont été définies par la Cour suprême du Canada. Dans la mesure, par ailleurs, où elle constitue un prolongement des droits et garanties reconnus dans la Charte, et de par son préambule, de par son objet défini en son article 2, de par sa primauté sur les autres lois établies en son paragraphe 82(1), elle fait partie de cette catégorie privilégiée de lois dites quasi-constitutionnelles qui expriment «certains objectifs fondamentaux de notre société» et qui doivent être interprétées «de manière à promouvoir les considérations de politique générale qui (les) sous-tendent.» [Je souligne.]

C'est à juste titre que la Cour fédérale a reconnu le statut privilégié de la Loi sur les langues officielles. Les racines constitutionnelles de cette loi de même que son rôle primordial en matière de bilinguisme justifient une telle interprétation.

[24]Plus récemment, la Cour suprême a indiqué dans Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 201, aux paragraphes 4 et 5, au sujet des droits à l'instruction dans la langue de la minorité au Québec toutefois:

Avant l'entrée en vigueur des art. 16 à 23 de la Charte canadienne, l'art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 comportait déjà un embryon de régime linguistique. De plus, bien qu'elles n'aient eu aucune valeur constitutionnelle, des mesures législatives de portée considérable avaient été mises en application au niveau fédéral et dans plusieurs provinces, telles la Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1985, ch. 31 (4e suppl.), adoptée par le Parlement du Canada en 1969, la CLF au Québec ou la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick, S.N.B. 1969, ch. 14 (voir M. Bastarache, «Introduction», dans M. Bastarache, dir., Les droits linguistiques au Canada (2e éd. 2004), 1, p. 24-26). Ces ensembles législatifs encadrent des situations qui mettent en jeu non seulement des droits individuels, mais aussi la vie des communautés linguistiques et la perception que celles-ci ont de leur avenir.

L'existence de ces deux niveaux de rapports sociaux et juridiques rend délicat l'effort d'aménagement des droits linguistiques. Il s'agit, en effet, d'une part, d'assurer l'épanouissement personnel des membres des minorités et de leurs familles dans chaque province ou territoire. D'autre part, sur le plan collectif, ces questions linguistiques mettent en jeu le développement et la présence des minorités anglophones au Québec et des francophones ailleurs au Canada. Elles mettent aussi inéluctablement en cause la perception que la communauté francophone du Québec a de son avenir au Canada, puisque, majorité au Québec, elle se trouve minoritaire au Canada et encore davantage dans l'ensemble nord-américain. Ajoutons à ce tableau les difficultés graves engendrées par le taux d'assimilation des minorités francophones hors Québec, pour lesquelles les droits linguistiques actuels représentent des acquis récents, chèrement et difficilement obtenus. L'interprétation judiciaire fait alors face à la responsabilité de concilier des priorités et intérêts parfois divergents et de ménager l'avenir de chaque communauté linguistique. Ainsi, le contexte social, démographique et historique de notre pays constitue nécessairement la toile de fond de l'analyse des droits linguistiques. Celle-ci ne saurait s'effectuer dans l'abstrait, sans égard au contexte qui a conduit à la reconnaissance de ces droits ou aux préoccupations auxquelles leurs modalités d'application actuelles sont censées répondre.

[25]Outre les nombreuses décisions citées dans cet arrêt, voir Lalonde c. Ontario (Commission de restructuration des services de santé) (2001), 56 O.R. (3d) 577 (C.A.) (version française).

LA LOI SUR LES LANGUES OFFICIELLES S'APPLIQUE-T-ELLE?

[26]La Loi sur le ministère de l'Industrie, L.C. 1995, ch. 1, prévoit [au paragraphe 4(2)] que les «pouvoirs et fonctions du ministre [. . .] s'étendent [. . .] aux domaines liés au développement économique régional en Ontario et au Québec». Aux termes de l'article 8:

8. Le ministre exerce les pouvoirs et fonctions que lui confère le paragraphe 4(2) de manière à:

a) promouvoir le développement économique des régions de l'Ontario et du Québec à faibles revenus et faible croissance économique ou n'ayant pas suffisamment de possibilités d'emplois productifs;

b) mettre l'accent sur le développement économique à long terme et sur la création d'emplois et de revenus durables;

c) concentrer les efforts sur les petites et moyennes entreprises et sur la valorisation des capacités d'entreprise. [Je souligne.]

[27]C'est cette disposition qui a mené à la création de FedNor, un organisme d'Industrie Canada qui finance des projets communautaires et d'autres initiatives dans le but d'améliorer le bien-être économique et social des gens vivant dans le nord de l'Ontario. L'organisme administre en outre le Programme de développement des collectivités partout dans le nord et dans les régions rurales de l'Ontario. Convaincu que les collectivités devraient prendre elles-mêmes les décisions, FedNor soutient 61 SADC qui, à leur tour, offrent une grande variété de programmes et de services dans les domaines du développement économique communautaire et de la croissance des petites entreprises.

[28]Industrie Canada est d'avis que, comme il ne traite pas directement avec les bénéficiaires du Programme de développement des collectivités, la Loi sur les langues officielles, en particulier sa partie IV, ne s'applique pas parce que le public ne communique pas avec une «institution fédérale». La partie IV, qui contient les articles 21 à 33 de la Loi, prévoit que le public a, au Canada, le droit de communiquer avec les institutions fédérales et d'en recevoir les services dans l'une ou l'autre des langues officielles dans la région de la capitale nationale et là où l'emploi de cette langue fait l'objet d'une demande importante. Il n'est pas contesté qu'il existe une telle demande dans la partie nord du comté de Simcoe. Par ailleurs, aux termes de l'article 22, Industrie Canada, en tant qu'institution fédérale, doit «veiller à ce que le public puisse communiquer avec [lui], et en recevoir les services, dans l'une ou l'autre des langues officielles». Il n'est pas contesté que les deux demandeurs sont des membres du public et que le terme «services» signifie des services égaux (R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768, aux paragraphes 22 à 25).

[29]L'article 25 prévoit cependant ce qui suit:

25. Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que, tant au Canada qu'à l'étranger, les services offerts au public par des tiers pour leur compte le soient, et à ce qu'il puisse communiquer avec ceux-ci, dans l'une ou l'autre des langues officielles dans le cas où, offrant elles-mêmes les services, elles seraient tenues, au titre de la présente partie, à une telle obligation.

[30]Industrie Canada soutient que la SADC de Simcoe Nord ne fournit pas des services «pour [son] compte». Ainsi, si je comprends bien cette prétention, les demandeurs n'ont pas qualité pour prétendre que la Loi sur les langues officielles n'a pas été respectée.

[31]Pour sa part, le commissaire estime que la partie IV s'applique, mais non l'article 25. Selon lui, c'est l'article 22 qui s'applique, c'est-à-dire qu'Industrie Canada fournit directement les services. Le commissariat a émis cet avis en 1999, à l'égard de deux plaintes concernant les SADC des îles de la Madeleine et de la Gaspésie, au Québec. Il a simplement dit:

À la lumière des explications fournies, nous sommes d'avis que les Sociétés d'aide au développement de la collectivité (SADC) en question n'agissaient pas comme des tiers conventionnés de Développement économique Canada (DÉC) au sens de l'article 25 de la Loi.

[32]En l'espèce, on ne m'a pas expliqué, de quelque façon que ce soit, pourquoi la Loi ne devrait pas s'appliquer.

[33]Si la SADC de Simcoe Nord ne fournit pas des services pour le compte d'Industrie Canada, pour qui le fait-elle? Il est vrai que c'est elle qui statue sur les demandes de prêt et qui décide des conseils qu'elle donne, mais, selon des paramètres généraux établis par FedNor, cet organisme indemnise la SADC de Simcoe Nord des salaires et des frais généraux et finance le compte de prêts. Le directeur de la planification de FedNor, Scott Merrifield, a été contre-interrogé sur son affidavit. Bien qu'il soit évident que la SADC de Simcoe Nord n'est pas un organisme d'État mais un entrepreneur indépendant capable de s'occuper de questions qui ne sont pas liées au Programme de développement des collectivités, et bien qu'elle jouisse d'une certaine indépendance dans le cadre de ce programme, c'est FedNor qui exerce le contrôle au bout du compte. Des rapports détaillés doivent être présentés. Si le plan n'est pas acceptable aux yeux de FedNor, ce dernier peut mettre fin au mandat. Dans les faits, les contrats sont de courte durée et sont ensuite renouvelés.

[34]L'expression «pour leur compte» («on its behalf») employée à l'article 25 de la Loi sur les langues officielles manque de précision. Dans une décision récente traitant spécifiquement de cette question, Gilbert v. British Columbia (Forest Appeals Commission), 2005 BCCA 117; [2005] B.C.J. no 408 (QL), la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a dit (au paragraphe 20):

[traduction] Selon les dictionnaires, l'expression «pour le compte de» signifie ou inclut clairement «dans l'intérêt de».

[35]À mon avis, la réponse se trouve dans l'arrêt Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624, rendu par la Cour suprême. Cette affaire portait sur les soins de santé en Colombie-Britannique, plus précisément sur le défaut de fournir des services d'interprétation gestuelle dans les hôpitaux. Les demandeurs invoquaient le paragraphe 15(1) de la Charte, qui garantit les droits à l'égalité, et l'article 32 de la Charte, qui prévoit que celle-ci s'applique au Parlement et au gouvernement du Canada. Il fallait déterminer dans quelles circonstances un établissement privé peut être considéré comme faisant partie du gouvernement aux fins de la Charte. L'expression «institutions fédérales» est définie à l'article 3 de la Loi sur les langues officielles:

3. [. . .]

«institutions fédérales» Les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada, [. . .] tout organisme-- bureau, commission, conseil, office ou autre-- chargé de fonctions administratives sous le régime d'une loi fédérale ou en vertu des attributions du gouverneur en conseil, les ministères fédéraux, [. . .] tout autre organisme désigné par la loi à titre de mandataire de Sa Majesté du chef du Canada ou placé sous la tutelle du gouverneur en conseil ou d'un ministre fédéral.

[36]Il n'est pas nécessaire de déterminer si la SADC de Simcoe Nord est expressément décrite car la liste n'est pas exhaustive. Dans Eldridge, il a d'abord été établi que le paragraphe 15(1) n'avait pas été respecté, à tout le moins si les services médicaux avaient été fournis par le gouvernement. La Cour a souligné qu'il était possible pour une législature de conférer des pouvoirs à un organisme qui n'est pas assujetti à la Charte ou, comme en l'espèce, à la Loi sur les langues officielles. Il existe cependant des organismes qui, à certains égards, peuvent exercer des pouvoirs qui leur sont délégués par le gouvernement ou encore sont responsables de la mise en oeuvre de politiques gouvernementales. La Cour a statué que, lorsqu'ils exercent cette fonction particulière, ces organismes font partie du «gouvernement» au sens de l'article 32 de la Charte. Le juge La Forest a écrit au paragraphe 42:

Il semble donc évident qu'un organisme privé peut être assujetti à la Charte à l'égard de certains actes de nature intrinsèquement gouvernementale. Les facteurs susceptibles de fonder la conclusion qu'une activité exercée par une entité privée est de nature «gouvernementale» ne sont pas faciles à reconnaître a priori. Toutefois, il ressort clairement de l'arrêt McKinney [McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229] que la Charte s'applique aux entités privées, dans la mesure où celles-ci agissent en vue de l'exécution d'une politique ou d'un programme déterminé du gouvernement. Dans de telles circonstances, même si c'est un acteur privé qui exécute effectivement le programme, le gouvernement en conserve néanmoins la responsabilité. La justification de ce principe est facile à discerner. Tout comme il est interdit aux gouvernements de se soustraire à l'examen fondé sur la Charte en concluant des contrats commerciaux ou d'autres accords «privés», ils ne devraient pas être autorisés à échapper à leurs obligations constitutionnelles en déléguant la mise en oeuvre de leurs politiques et programmes à des entités privées. Dans McKinney, j'ai souligné que l'arrêt Slaight [Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038], précité, était un exemple de situation où la Cour a décidé qu'une action accomplie dans le cadre de l'exécution d'une politique gouvernementale relevait du champ d'application de la Charte. J'ai fait observer, à la p. 265, que l'arbitre dans cette affaire «faisait [. . .] partie des rouages administratifs gouvernementaux qui permettent de réaliser l'objet précis de la loi». «Il serait étrange», ai-je ajouté, «que la législature et le gouvernement puissent se soustraire à la responsabilité qui leur incombe en vertu de la Charte en désignant une personne chargée de réaliser les objets de la Loi»; voir idem. Bien que, dans Slaight, l'arbitre ait été entièrement une créature de la loi et qu'il ait rempli des fonctions qui étaient exclusivement gouvernementales, le même raisonnement s'applique à toute entité chargée d'exercer une activité gouvernementale, même si cette entité exerce par ailleurs une activité privée; voir A. Anne McLellan et Bruce P. Elman, «To Whom Does the Charter Apply? Some Recent Cases on Section 32» (1986), 24 Alta. L. Rev. 361, à la p. 371. [Je souligne.]

[37]Il a ajouté au paragraphe 43:

Pour que la Charte s'applique à une entité privée, il doit être établi que celle-ci met en oeuvre une politique ou un programme gouvernemental déterminé. [Souligné dans l'original.]

Il a ajouté également que, bien que les hôpitaux, dans cet arrêt, aient été financés par le versement d'une somme forfaitaire, comme c'est aussi le cas en l'espèce, plutôt que selon un régime de «rémunération à l'acte», ils n'étaient pas entièrement libres d'affecter ces fonds comme ils le voulaient. De même, la SADC de Simcoe Nord ne peut pas utiliser à sa guise les fonds qu'elle reçoit d'Industrie Canada/FedNor.

[38]À mon avis, la SADC de Simcoe Nord met en oeuvre une politique ou un programme gouvernemental déterminé--le Programme de développement des collectivités. Par conséquent, Industrie Canada a l'obligation de s'assurer que des services égaux sont fournis dans les deux langues officielles, comme s'il fournissait lui-même ces services. Voir aussi Quigley c. Canada (Chambre des communes), [2003] 1 C.F. 132 (1re inst.), et Canada (Commissaire aux langues officielles) c. Canada (Ministère de la Justice) (2001), 35 Admin. L.R. (3d) 46 (C.F. 1re inst.). Par contre, la situation était différente dans Lavigne c. Canada (Développement des ressources humaines), [2002] 2 C.F. 164 (1re inst.), (conf. (2003), 308 N.R. 186 (C.A.F.)), où le gouvernement fédéral finançait un programme d'emploi au Québec, un secteur de compétence provinciale, alors qu'en l'espèce il est question d'un domaine de compétence fédérale.

[39]Ainsi, je suis d'accord avec les demandeurs et non avec Industrie Canada et le commissaire sur ce point.

[40]Le commissaire est d'avis que l'article 22 est applicable. Cette disposition s'applique lorsque l'institution fédérale fournit directement les services. Or, soit Industrie Canada fournit directement les services, soit il ne le fait pas. Comme l'article 25 s'applique en l'espèce, l'article 22 ne s'applique pas.

[41]Même s'il prétendait que la Loi n'était pas applicable, Industrie Canada n'a pas fait valoir que les demandeurs étaient laissés à eux-mêmes. Il dit au contraire qu'il a suivi la politique du Conseil du Trésor sur les subventions et contributions dans son contrat avec la SADC de Simcoe Nord. L'objectif de cette politique est de faire en sorte que, lorsque des subventions ou des contributions sont accordées à des organismes bénévoles non gouvernementaux qui servent le public des deux collectivités de langue officielle, les communications avec le public et la prestation des services soient assurées dans les deux langues officielles, conformément à l'esprit de la partie IV de la Loi et à l'intention du législateur. Cela revient à la même chose, selon Industrie Canada.

[42]Or, cela ne revient pas du tout à la même chose. Un droit constitutionnel ne peut être réduit à ce qui, au mieux, peut être décrit comme une stipulation contractuelle existant au bénéfice d'un tiers. Voir Fraser River Pile & Dredge Ltd. c. Can-Dive Services Ltd., [1999] 3 R.C.S. 108. En outre, les contrats sont de courte durée et les politiques peuvent changer. En d'autres termes, une institution fédérale ne peut déroger par contrat à ses obligations en matière de langues officielles et à celles que lui impose la Charte.

LES FAITS

[43]Les faits de cette affaire peuvent être exposés brièvement, contrairement au droit applicable qui est plus long à expliquer. Les faits pertinents sont ceux qui existaient au moment du dépôt de la poursuite en octobre 2004 (Forum des maires). La Cour doit décider si, à ce moment, Industrie Canada a omis de veiller à ce que la SADC de Simcoe Nord offre des services égaux en français et en anglais, comme toute institution fédérale a l'obligation de le faire suivant l'article 25 de la Loi sur les langues officielles.

[44]Si la poursuite avait été intentée en 2000, on aurait clairement pu considérer qu'Industrie Canada avait manqué à l'obligation imposée par l'article 25. À cette époque, la SADC de Simcoe Nord avait même de la difficulté à répondre au téléphone en français. Avant que la poursuite ne soit intentée cependant, elle avait embauché une réceptionniste bilingue et créé un comité de prêts francophone. En outre, l'un de ses responsables des prêts et plusieurs de ses administrateurs sont francophones, et sa bibliothèque et son site web sont bilingues. En fait, la proportion de francophones au sein de la SADC de Simcoe Nord est beaucoup plus grande que dans l'ensemble de la collectivité, où seulement 6 p. 100 de la population est d'expression française.

[45]La SADC de Simcoe Nord est un petit organisme ayant seulement cinq employés à temps plein, ainsi qu'un certain nombre de bénévoles qui occupent des postes d'administrateurs ou font partie du comité de prêts francophone ou anglophone. Les cinq employés sont parfaitement à l'aise en anglais, y compris les deux dont la langue maternelle est le français. Quant à la directrice générale, elle est unilingue anglophone.

[46]Trois incidents particuliers doivent être mentionnés: le service téléphonique, une rencontre que Rosita Desroches a eue avec la directrice générale et une série de petits déjeuners-causeries publics qui se sont déroulés en anglais seulement.

Service téléphonique

[47]La réceptionniste est bilingue. Elle répond d'abord au téléphone en anglais, avant de dire «bonjour». Les demandeurs ne se plaignent pas vraiment de la manière dont on répond aux appels téléphoniques. Aucun élément de preuve concernant les directives établies, le cas échéant, par Industrie Canada ou le Conseil du Trésor à ce sujet n'a été produit. S'il faut répondre au téléphone en disant «Good morning, North Simcoe Nord, bonjour», soit. L'article 25 exige d'Industrie Canada qu'il assure en tout temps des services égaux en français et en anglais. De minimis non curat lex (la loi ne se soucie pas des bagatelles).

[48]L'autre plainte concernait le répondeur téléphonique. En anglais, il est possible d'avoir accès à la ligne directe de tous les employés, mais non en français. Cela s'explique par le fait que tous les employés parlent anglais, ce qui n'est pas étonnant compte tenu de la composition de la population dans l'ensemble. La présente affaire porte sur les services offerts par une institution fédérale ou par une organisation pour son compte et sur les communications du public avec elle. Elle n'a pas trait directement à la partie V de la Loi qui traite de la langue de travail. Toute personne a le droit d'être unilingue. La SADC de Simcoe Nord, ou Industrie Canada lui-même s'il fournit les services, n'est pas tenu de veiller à ce que chacun de ses employés soit à l'aise dans les deux langues officielles. Je ne crois pas que le fait de donner les numéros de téléphone d'unilingues anglophones soit contraire à la Loi. Je ne peux même pas dire que cela est contraire à l'esprit de la Loi car aucune preuve concernant les politiques d'Industrie Canada ou du Conseil du Trésor n'a été produite. Mais même si cela constituait une violation de la Loi, la solution consisterait à raccourcir le message anglophone en conséquence.

Rosita Desroches

[49]Voulant discuter d'un projet, Rosita Desroches et Victor Brunelle ont expressément demandé à rencontrer la directrice générale, Deborah Muenz (Mme Muenz). Mme Desroches savait parfaitement bien que cette dernière était unilingue puisqu'elle était son professeur de français! En effet, Mme Desroches avait été embauchée pour enseigner le français aux anglophones de la SADC de Simcoe Nord afin qu'ils soient en mesure de répondre aux demandes.

[50]La responsable des prêts francophone, Lois Irvine, assistait aussi à la rencontre. Celle-ci s'est d'abord déroulée en français, Mme Irvine se chargeant de traduire les propos pour Mme Muenz. Après quelques minutes, Mme Desroches a tout simplement décidé d'employer l'anglais.

[51]À mon avis, Mme Muenz a été piégée. Il n'est pas objectivement nécessaire, suivant l'article 91 de la Loi, que la directrice générale de la SADC de Simcoe Nord parle français. Il faut une fois de plus faire clairement la distinction entre une institution fédérale et une personne. Mme Desroches avait le droit d'employer le français dans ses rapports avec la SADC de Simcoe Nord, mais non avec Mme Muenz. Elle aurait pu traiter directement avec Mme Irvine ou si, comme il est allégué, celle-ci n'avait pas la compétence voulue, avec un membre du comité de prêts francophone.

Petits déjeuners-causeries

[52]Les rapports d'enquête du commissariat sont recevables en preuve (Forum des maires), mais ils doivent être considérés avec prudence car les enquêtes sont effectuées à huis clos.

[53]Dans son rapport d'août 2004, qui était basé sur des entrevues effectuées au moins de février précédent, le commissariat a souligné qu'il y avait eu huit séances de formation du Programme déjeuners d'apprentissage qui avaient été offertes en anglais seulement. Le rapport indiquait également que des efforts avaient été faits pour offrir des ateliers et des séminaires en français, mais que ceux-ci avaient habituellement été annulés faute de participants. Dans son rapport annuel de 2003-2004 cependant, la SADC de Simcoe Nord faisait état de la coordination de trois séances de perfectionnement professionnel offertes à la collectivité francophone en partenariat avec La Clé d'la Baie, un organisme francophone local. Quarante-huit francophones y ont assisté. Selon le même rapport, 88 personnes environ ont participé au Programme déjeuners d'apprentissage.

[54]On n'a pas prétendu que chacune de ces séances d'information doit être bilingue. Si c'est le cas, la SADC de Simcoe Nord contrevient à la Loi en offrant certaines séances en anglais seulement et d'autres, en français seulement. «Égal» ne signifie pas nécessairement identique.

[55]Je ne dispose pas d'une preuve suffisante pour conclure que la partie IV de la Loi sur les langues officielles n'a pas été respectée lors de ces trois incidents. De même, il n'y a pas eu violation de la Charte.

RAPPORTS DU COMMISSAIRE

[56]Il ne s'agit pas en l'espèce d'un contrôle judiciaire des rapports du commissaire. Ce dernier est un ombudsman qui présente des rapports au Parlement et qui formule des recommandations. Le commissaire et les plaignants peuvent former un recours devant le tribunal, et celui-ci peut, «s'il estime qu'une institution fédérale ne s'est pas conformée à la [Loi], accorder la réparation qu'il estime convenable et juste eu égard aux circonstances» (paragraphe 77(4)).

[57]Comme je l'ai dit précédemment, les rapports traitent des parties IV et VII. Le commissaire a fait valoir, dans Forum des maires, que ces deux parties créent des droits donnant naissance à des recours, un argument qu'il pourra de nouveau faire valoir devant la Cour suprême lorsque celle-ci entendra l'appel interjeté dans cette affaire plus tard cette année. L'arrêt de la Cour d'appel fédérale demeure cependant pour l'instant l'arrêt de principe en ce qui concerne l'interprétation de la Loi, et je dois m'y conformer.

[58]Dans son rapport initial, le commissariat a formulé quatre recommandations qui ont fait l'objet d'un suivi dans ses deux rapports subséquents. Il recommandait notamment à Industrie Canada d'«examiner les mérites liés à l'établissement d'une Société francophone d'aide au développement des collectivités dans le comté de Simcoe». Cette recommandation n'est pas en cause en l'espèce puisqu'elle est liée à la partie VII de la Loi. La première recommandation du commissariat avait trait à l'obligation d'Industrie Canada de prendre:

[. . .] des mesures, tel que d'exiger une capacité bilingue satisfaisante en tout temps, afin d'assurer que les services fournis à la communauté de langue officielle minoritaire du comté de Simcoe dans le cadre du Programme de développement des communautés sont de qualité égale à ceux fournis à la majorité de langue officielle, et [d'établir] en conséquence des mécanismes appropriés de contrôle et de surveillance.

[59]Le rapport de 2004 indiquait: «nous ne pouvons conclure que les services fournis en français par la SADCSN sont d'une qualité équivalente à ceux offerts en anglais. Nous reconnaissons par contre que la Société fournit des services bilingues». Je traiterai de ce sujet lorsque j'examinerai les plaintes de M. Desrochers.

[60]Le rapport mettait la faute sur la SADC de Simcoe Nord parce que celle-ci n'a eu que six clients francophones, dont l'un seulement voulait recevoir des services en français. Par ailleurs, aucune demande de prêt n'a été soumise en français.

[61]Le rapport recommandait également qu'Industrie Canada revoie son entente avec la SADC de Simcoe Nord pour s'assurer que celle-ci tienne parfaitement compte des objectifs des parties IV et VII de la Loi sur les langues officielles. Le commissariat est convaincu que la clause relative aux langues officielles de la nouvelle entente conclue avec la SADC de Simcoe Nord et avec les autres SADC tient compte de ces deux parties de la Loi. Néanmoins, «des mesures supplémentaires doivent toujours être prises afin de produire des résultats tangibles et ainsi respecter pleinement la Loi».

[62]Le mot «résultats» évoque le concept de l'intensité d'une obligation existant en droit civil. À mon avis, ce concept est pertinent en l'espèce puisque le même programme existe au Québec. Alors qu'une obligation de moyens est remplie si, objectivement, tous les efforts sont faits à cette fin, une obligation de résultat est plus intense et seuls des moyens de défense comme une force majeure peuvent être invoqués à son égard.

[63]L'autre recommandation qui, selon le commissariat, a été mise en oeuvre en partie seulement est celle demandant à Industrie Canada de «consulter la communauté minoritaire de langue officielle du comté de Simcoe avant d'entreprendre tout projet ou de conclure tout accord qui pourrait avoir une incidence sur le développement de cette communauté». La preuve indique que la SADC de Simcoe Nord a effectivement consulté la minorité francophone. Elle n'a toutefois pas eu le même succès que le CALDECH. Il s'agit d'un autre exemple de la théorie de l'intensité de l'obligation.

Point de vue de Raymond Desrochers sur la question des services égaux

[64]La preuve démontrant qu'égal signifie différent était plutôt de nature sociologique et anecdotique. Cette preuve consistait en des affidavits et, dans certains cas, le contre-interrogatoire de personnes actives dans la collectivité, de statisticiens et de sociologues, ce qui a amené l'avocat des demandeurs à faire valoir ce qui suit:

26. Les francophones de la région de la Huronie sont différents de la majorité anglophone car, entre autres, ils:

(i) ont moins de force économique dans la région;

(ii) ont moins d'emplois et un taux de chômage plus élevé;

(iii) ont moins d'institutions qui sont les leurs et moins de chances de vivre dans leur langue maternelle;

(iv) ont moins de chance de travailler dans leur langue maternelle;

(v) souffrent d'un taux d'assimilation de plus de 67 %;

(vi) vivent dans une région où les francophones ont historiquement été persécutés; et

(vii) ont une culture qui est différente.

Par conséquent, les francophones de la région de la Huronie ont des besoins différents comparativement à leurs confrères et consoeurs anglophones en matière de développement économique communautaire.

[65]Malgré de légères divergences d'opinions-- j'emploie ce terme à dessein étant donné qu'il est question d'opinions et non de faits indéniables en l'espèce--Industrie Canada ne conteste pas véritablement ces allégations. Il ne conteste pas non plus le fait que le CALDECH, qui est financé en grande partie par des organisations du gouvernement de l'Ontario, a l'oreille de la collectivité francophone, communique mieux avec elle et fournit des services communautaires utiles.

[66]Industrie Canada fait valoir que les institutions fédérales doivent être bilingues à leur siège et lorsque le nombre l'exige. C'est là la philosophie du gouvernement du Canada.

[67]Selon Industrie Canada, l'égalité de services exigée par la partie IV de la Loi est loin d'être aussi philosophique ou culturelle que les demandeurs le prétendent. La partie VII de la Loi permet certainement au gouvernement fédéral de financer le CALDECH s'il le souhaite. De fait, le dernier financement fédéral reçu par le CALDECH, qui a pris fin le 31 mars dernier, a été versé par Patrimoine canadien en application de la partie VII de la Loi. Je dois également souligner que, selon l'entente qu'il a conclue avec la SADC de Simcoe Nord, Industrie Canada (FedNor) doit verser 4 000 $ par année pour financer le CALDECH. L'entente de financement passée entre le CALDECH et Patrimoine canadien reconnaissait que:

[. . .] la Ministre a le mandat d'encourager et d'aider les minorités de langue officielle, aux niveaux national, provincial et communautaire à établir et maintenir leurs institutions, à développer leurs organisations et à participer, dans leur langue, à la vie sociale, éducative, culturelle et économique de la société canadienne;

D'après ce que je vois, «leurs institutions» et «les institutions fédérales» ne sont pas la même chose.

[68]L'idée que M. Desrochers se fait de l'«égalité de services» reflète sa crainte d'assimilation.

Q.     Et on est d'accord comme francophones qu'un francophone assimilé c'est déjà un de trop.

R.     Oui.

M. Desrochers souligne qu'un grand nombre d'enfants sont incapables de parler en français à leurs grands-parents. De nombreux jeunes de la région sont attirés par la vie trépidante de Toronto. Il laisse entendre, sans évidemment pouvoir le prouver, que ces jeunes perdront leur langue s'ils déménagent à Toronto plutôt qu'à Montréal. Selon lui, presque tous les francophones qui ont à traiter avec la SADC de Simcoe Nord le font en anglais parce que les services offerts en français ne sont pas équivalents à ceux offerts en anglais. Cependant, les enquêtes réalisées par le CALDECH et la SADC de Simcoe Nord, dont aucune n'est scientifique, révèlent que de nombreuses entreprises francophones optent pour les services en anglais, parfois parce que leurs employés sont anglophones, parfois parce que leurs clients sont anglophones. Bon nombre de ces personnes sont bilingues au point où elles sont indifférentes à la langue employée. Une personne a le droit de se faire servir dans la deuxième langue officielle, de ne pas avoir une deuxième langue officielle ou de ne pas être capable de s'exprimer dans la langue officielle de ses ancêtres.

[69]En fait, M. Desrochers se plaint du fait que la SADC de Simcoe est bilingue.

Q.     Vous parlez de Simcoe Nord?

R.     Simcoe Nord ou n'importe quelle autre institution bilingue. Quand on offre les deux services, c'est juste une traduction. Ça ne reflète pas nos valeurs culturelles, notre approche. Et ça CALDECH a développé une approche culturellement sensible aux francophones et c'est ce qui explique pourquoi nous avons une cinquantaine d'initiatives. Alors que North Simcoe qui reçoit non seulement de l'argent régulièrement, mais a embauché une francophone et reçoit une prime au bilinguisme.

[. . .]

R.        Ça se passe de bouche à oreille. Quelqu'un va venir nous voir parce qu'on a une écoute attentive, une écoute culturelle dans le sens qu'on peut discerner ce que la personne a besoin. On rencontre souvent les gens dans leur cuisine. On va chez eux. Ce qui n'est pas le cas avec le North Simcoe. On travaille avec eux et on a développé ce qu'on appelle une approche d'accompa-gnement.

Et ça c'est très francophone, si vous voulez. C'est très culturellement francophone. Nous on les accompagne. On travaille avec le groupe.

Q.        Et quand vous faisiez état là de services de même qualité et tout ça là dans votre réponse précédente, ça c'était à partir de la prémisse que ça prend un francophone pour saisir les besoins culturels d'un autre francophone?

R.        Dans le domaine du développement économique communautaire, oui. Et j'ose dire que dans bien d'autres domaines aussi parce que j'étais dans l'enseignement aussi.

Donc le mandat doit répondre aux besoins de la minorité. Alors que les institutions bilingues comme North Simcoe ont par définition leur façon de voir les choses, une façon majoritaire.

[70]La solution proposée par M. Desrochers consiste à faire d'une minorité une majorité. À son avis, les deux seules SADC qui fournissent des services égaux en français en Ontario sont situées à Hawkesbury et à Hearst, où la population locale est majoritairement francophone. Ainsi, ces institutions sont culturellement francophones. M. Desrochers pense cependant que les anglophones reçoivent des services égaux à ces endroits.

[71]Le fait que la SADC de Simcoe Nord est située à Midland, une ville anglophone où mêmes les banques ne fournissent pas de services en français, est un autre irritant.

CONCLUSION

[72]Il se pourrait bien qu'un grand nombre de francophones préfèrent faire affaire avec le CALDECH, celui-ci ayant mieux réussi à nouer des relations avec la collectivité francophone. La SADC de Simcoe Nord n'est pas seulement tenue de traiter avec la collectivité francophone: elle doit également porter attention aux besoins des femmes, des jeunes et des Premières nations. Je pense que les demandeurs élargissent trop le sens des articles 22 et 25 de la Loi sur les langues officielles. Sans séparer la langue de la culture, je ne pense pas que l'égalité de services exige qu'une institution soit administrée par la minorité de langue officielle, que ce soit la minorité française en Ontario ou anglaise au Québec. On ne pourrait pas exiger une telle chose même d'Industrie Canada. L'article 22 de la Loi sur les langues officielles exige d'une institution fédérale qu'elle communique et fournisse des services égaux dans les deux langues. L'article 25 impose exactement la même obligation au tiers qui fournit les mêmes services.

[73]Quant à l'intensité de l'obligation qui lui incombe et qui ne peut être plus grande que celle imposée à Industrie Canada lui-même, la SADC de Simcoe Nord est capable de communiquer en français avec le public et elle fournit des services égaux--pas avec autant de succès que M. Desrochers et le CALDECH le souhaiteraient cependant. En fait, il est évident que ces derniers ne seront jamais satisfaits parce que la SADC de Simcoe Nord est une institution bilingue, tout comme Industrie Canada. Si Industrie Canada n'est pas satisfait du rendement de la SADC de Simcoe Nord, il peut lui retirer son mandat, financer l'embauche d'employés additionnels ou administrer le programme directement. S'il le fait, ce n'est pas en raison du non-respect de la Loi sur les langues officielles.

[74]Compte tenu de ces conclusions, il n'est pas nécessaire d'examiner les réparations appropriées. Il ne m'appartient pas cependant de dire à Industrie Canada comment s'organiser et de lui ordonner de financer le CALDECH. Il est possible que le gouvernement du Canada réalise son engagement de «favoriser l'épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et [d']appuyer leur développement» en finançant le CALDECH pour que celui-ci exerce les fonctions d'une SADC dans tout le comté de Simcoe. Le gouvernement peut choisir d'agir ainsi en vertu de la partie VII de la Loi; la Cour ne peut cependant pas le forcer à le faire. Dans le même ordre d'idées, le commissaire fait remarquer que, dans l'Ouest canadien, aucun organisme comparable aux SADC de l'Ontario n'est tenu de fournir des services en français; des organismes francophones distincts ont cependant été financés.

[75]Les demandeurs ont insisté sur le rôle symbolique des institutions, en particulier de celles qui fournissent des services à des minorités. On a fait valoir qu'une minorité doit agir de manière plus collective pour éviter d'être marginalisée. S'intégrer, c'est disparaître. On a rappelé le cas de l'Hôpital Montfort d'Ottawa (Lalonde). On ne peut cependant pas faire abstraction de la terminologie employée dans la Loi sur les langues officielles pour favoriser une conception de l'histoire ou pour réparer des torts. La partie IV de la Loi sur les langues officielles est claire. Une grande partie des prétentions de M. Desrochers et du CALDECH ont trait à la partie VII. C'est au Parlement et au pouvoir exécutif qu'il appartient de rendre des décisions à cet égard, non aux tribunaux.

[76]La demande doit être rejetée. À mon avis, il ne convient pas de rendre une ordonnance concernant les dépens. Malgré le fait que les demandeurs n'ont pas reçu leur résultat désiré, ils m'ont tout de même convaincu qu'Industrie Canada avait une obligation statutaire, en vertu de l'article 25 de la Loi sur les langues officielles, de s'assurer que la SADC de Simcoe Nord fournissait des services égaux en français et en anglais.

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