Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-428-04

2005 CAF 148

Emanuele Tesoro (appelant)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (intimé)

Répertorié: Tesoro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.A.F.)

Cour d'appel fédérale, juge Evans, J.C.A.--Toronto, 6 et 27 avril 2005.

Citoyenneté et Immigration -- Exclusion et renvoi -- Renvoi de résidents permanents -- Requête visant à surseoir à une ordonnance de renvoi en attendant l'issue d'un appel à la Cour d'appel fédérale -- La Cour fédérale a rejeté u ne demande de contrôle judiciaire du refus de la Section d'appel de l'Immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SAI) de réexaminer la décision de rejeter l'appel interjeté contre la mesure d'expulsion -- L'appelant est Italien e t résident permanent, et il vit au Canada depuis l'âge de 14 ans -- Il n'est jamais devenu citoyen canadien -- Reconnu coupable au Canada de 33 chefs d'accusation de fraude, de contrefaçon et de parjure, il a été condamné à 38 mois d'emprisonnement -- L'appel ant a interjeté appel devant la SAI sur des motifs d'«equity» conformément à l'art. 70(1)b) de l'ancienne Loi sur l'Immigration, mais avant que la SAI n'ait statué sur l'appel, cette loi a été remplacée par la Loi sur l'immigration et la protection des réf ugiés -- Les dispositions transitoires et l'art. 64(1) mettent fin aux appels interjetés devant la SAI sur des motifs d'«equity» par des personnes visées par des mesures de renvoi ayant été interdites de territoire pour raison de «grande criminalité» -- Dans l'arrêt Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), la Cour d'appel fédérale a confirmé la position adoptée par la SAI voulant que les art. 196 et 64(1) de la LIPR s'appliquent rétroactivement aux appels -- Dans l'instance en con trôle judiciaire, la Cour fédérale était liée par la décision de la Cour d'appel fédérale -- L'appelant n'a pas satisfait aux trois volets du critère applicable en matière de sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi -- L'appelant ne perd pas les avantages d'avoir gain de cause dans son appel puisque, selon la LIPR, la SAI ne perd pas sa compétence lui permettant de rouvrir un appel après que le demandeur eut été renvoyé du Canada -- Selon l'art. 71 de la LIPR, il suffit que le demandeur soit au Canada au mo ment du dépôt de la demande de réouverture -- L'appel de l'appelant devant la SAI n'est pas affaibli par son renvoi préalable -- La séparation de l'appelant d'avec sa famille n'est pas liée aux motifs pour lesquels il conteste le refus de la SAI; elle n'écha ppe pas aux «conséquences normales d'une expulsion» -- Les difficultés appréhendées doivent céder le pas devant l'intérêt du public dans l'application régulière des lois lorsqu'on tient compte de la prépondérance des inconvénients.

Il s'agiss ait d'une requête visant à surseoir au renvoi de l'appelant en attendant l'issue de l'appel, interjeté à la Cour d'appel fédérale, du rejet par la Cour fédérale de la demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d'appel de l'immigr ation de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SAI) a refusé de réexaminer la décision de rejeter l'appel formé contre la mesure d'expulsion. L'appelant, qui est arrivé au Canada en provenance d'Italie à l'âge de 14 ans, est résident perm anent et n'est jamais devenu citoyen canadien. Son épouse, ses parents, ses frères et soeurs, ses neveux et nièces vivent tous au Canada. Il a été reconnu coupable au Canada de 33 chefs d'accusation de fraude, de contrefaçon et de parjure, infractions pour lesquelles il a été condamné à 38 mois d'emprisonnement. L'appelant a déposé un appel à la SAI visant à obtenir un sursis à l'exécution de la mesure d'expulsion pour des motifs d'«equity» conformément à l'alinéa 70(1)b ) de l'ancienne Loi sur l'immigration. Cependant, avant que la SAI n'ait statué sur l'appel, la Loi sur l'immigration a été remplacée par la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR). Le paragraphe 64(1) a mis fin aux appels interjetés devant la SAI sur des motifs d'«equity» p ar des personnes visées par des mesures de renvoi ayant été interdites de territoire pour raison de «grande criminalité». Les condamnations de l'appelant étaient visées par la définition de «grande criminalité». La SAI a avisé l'appelant qu'il était mis fi n à son appel en raison du paragraphe 64(1), lequel lui était applicable en vertu des dispositions transitoires de la LIPR, particulièrement de l'article 196. L'appelant a demandé à la SAI de réexaminer sa décision de rejeter l'appel parce qu'elle avait fa illi à son obligation d'équité procédurale en ne lui donnant pas l'occasion de formuler des observations sur l'interprétation des dispositions transitoires de la LIPR. La SAI a décidé de ne pas réexaminer la décision parce que l'article 196 mettait clairem ent fin à l'instance et que rien ne pouvait empêcher l'exécution de la mesure de renvoi. Au moment où la Cour fédérale a été saisie de la demande de contrôle judiciaire présentée par l'appelant, la Cour d'appel fédérale avait rendu l'arrêt Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) et confirmé la position adoptée par la SAI voulant que, selon l'article 196, l'article 64 de la LIPR s'applique rétroactivement aux appelants qui, au moment de l'entrée en vigueur de la LIPR, avaient in terjeté appel à la SAI, mais n'avaient pas obtenu la suspension de l'exécution de la mesure d'expulsion prononcée contre eux, [traduction ] «eu égard à l'ensemble des circonstances de l'affaire». Liée par l'arrêt Medovarski , la Cour fédérale a rejeté la dem ande de contrôle judiciaire de l'appelant. La Cour suprême du Canada a accordé une autorisation de pourvoi dans l'affaire Medovarski , pourvoi qui n'a pas encore été entendu. Il s'agissait pour la Cour d'appel fédérale de décider si elle devait surseoir au renvoi de l'appelant jusqu'à ce qu'il ait été statué sur son appel parce que le renvoi lui causerait un préjudice irréparable.

Arrêt: la requête doit être rejetée.

Pour obtenir un sursis, l'appelant devait satisfaire au critère en trois volets. À la lumière de l'autorisation consentie par la Cour suprême dans l'affaire Medovarski , l'appel de l'appelant a soulevé une question sérieuse, soit celle de savoir si le refus de la SAI de réexaminer sa décision de rejeter l'appel devait être annulé. Si l'arrêt Medovarski est infirmé, le refus par la SAI de rouvrir l'affaire sera vraisemblablement annulé pour cause de manquement à l'obligation d'agir équitablement.

L'appelant n'a pas satisfait au deuxième volet du critère selon lequel son renvoi lui causerait un préjudice irréparable que ne pourrait compenser l'octroi d'une indemnité pécuniaire si son appel à la Cour d'appel fédérale était accueilli. L'appelant ne perdrait pas les avantages d'obtenir gain de cause dans son appel parce que, en vertu de la LIPR, la SA I n'a pas perdu la compétence de rouvrir un appel lorsque le demandeur a été renvoyé du Canada. Selon l'article 71 de la LIPR, il suffit que le demandeur ait été au Canada au moment du dépôt de la demande de réouverture d'appel à la SAI. En outre, bien que la SAI n'ait plus le pouvoir d'autoriser le retour d'une personne qui est partie à la suite d'une mesure d'expulsion, ce pouvoir peut maintenant être exercé par un agent d'immigration en vertu du paragraphe 52(1). Les moyens de télécommunication modernes permettent généralement à la SAI de tenir ses audiences sans ordonner le retour des appelants pour qu'ils comparaissent en personne et, de ce fait, elle continue d'exercer un contrôle sur sa propre procédure. Le fait que la SAI n'ait pas le pouvoir général d'enjoindre au ministre d'autoriser les appelants ayant eu gain de cause à revenir au Canada ne rend pas inopérante sa décision de surseoir à l'exécution de la mesure d'expulsion lorsque l'appelant a déjà été renvoyé.

Si l'appelant obtenait gain de cause dans son appel devant la Cour et que la SAI instruisait son appel au fond, sa requête en sursis de l'exécution de la mesure d'expulsion fondée sur les difficultés causées par la séparation d'avec sa famille, dont est saisie la SAI, ne serait pas affaiblie par son renvoi préalable. Il n'existait aucun lien entre les motifs fondant la contestation du refus de la SAI de rouvrir l'affaire et les préjudices que l'appelant craint voir résulter de son renvoi. En outre, les difficultés invoquées par l'appelant pou r qu'il soit sursis à l'exécution de la mesure de renvoi jusqu'à l'instruction de son appel (par exemple, la douleur engendrée par sa séparation d'avec sa famille) n'auraient vraisemblablement pas diminué après son expulsion. Il était hypothétique d'affirm er que, si l'appelant avait été expulsé du Canada, sa requête visant à surseoir à l'exécution de la mesure de renvoi prise contre lui par la SAI aurait été grandement affaiblie dans le cas où son appel à la Cour d'appel fédérale avait été accueilli et que la SAI avait réexaminé son appel. Son absence du Canada, entre le moment de son renvoi et la réouverture de son appel, n'aurait pas affaibli les fondements en equity de sa demande au point de le priver des avantages d'obtenir gain de cause dans l'appel qu'il avait formé devant la Cour d'appel fédérale.

Dans une requête en sursis de l'exécution d'une mesure de renvoi en attendant l'issue d'une demande de contrôle judiciaire ou d'un appel, l'accent est mis sur les conséquences que peut avoir l'absence temporaire de la personne expulsée du Canada jusqu'à l'issue de l'instance. Les décisions relatives à l'octroi d'un sursis tendent à être particulièrement liées aux faits. Un simple inconvénient ne constitue pas un préjudice irréparable. Pour que la séparation de la famille constitue un préjudice irréparable, les difficultés qu'entraîne un renvoi doivent échapper aux «conséquences normales d'une expulsion», qui est un critère plus difficile à satisfaire que celui du «simple inconvénient». Les décla rations sur ce que peut constituer un préjudice irréparable doivent être examinées dans le contexte de l'affaire. Il est possible que des préjudices qualifiés d'irréparables doivent, selon la prépondérance des inconvénients, céder le pas devant l'intérêt d u public dans l'application régulière de la loi. Dans de nombreuses affaires où le préjudice irréparable a été établi, on a tenu compte des conséquences du renvoi sur les enfants de la personne expulsée. L'appelant n'a aucun enfant au Canada et son épouse ne dépend pas financièrement de lui. Ses parents sont âgés et leur santé décline lentement. Malgré l'évidente affection que l'appelant porte à sa famille, le préjudice causé par la séparation n'est pas inhabituel dans le contexte d'une expulsion. Les voyag es fréquents de l'appelant en Italie, la qualité de la vie comparable dans ce pays et le fait que l'appelant y ait des parents et que sa fille mariée vive au Royaume-Uni ont atténué le désarroi et les difficultés que l'appelant craint voir résulter de son expulsion.

Même si la Cour avait décidé que le renvoi de l'appelant causerait un préjudice irréparable, elle aurait situé ce préjudice au bas de l'échelle de gravité. Selon la prépondérance des inconvénients, troisième volet du critère, le préjudice aurai t dû céder le pas devant l'intérêt du public dans le renvoi rapide du Canada de ceux qui ont été jugés interdits de territoire pour raison de grande criminalité. Si l'on veut que l'administration du droit de l'immigration soit crédible, il faut que le renv oi rapide des personnes visées par une mesure d'expulsion soit la règle, et que l'octroi d'un sursis en attendant l'issue d'une instance judiciaire, l'exception.

lois et règlements cités

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 56(1) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 33), 70(1)b) (mod., idem, art. 18), 74(2) (mod., idem), 75 (mod., idem).

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 52(1), 64(1),(2), 71, 196.

jurisprudence citée

décisions appliq uées:

Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 1 C.F. 535; (1988), 6 Imm. L.R. (2d) 123; 86 N.R. 302 (C.A.); Melo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 188 F.T.R. 39 (C.F. 1re inst.) (appliquée au rega rd du critère visant à déterminer si la séparation d'avec la famille constitue un préjudice irréparable); Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CAF 261; 2004 A.C.F. no 1200 (QL).

décisions distinctes:

Figurado c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 347; [2005] A.C.F. no 458 (QL); Melo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 188 F.T.R. 39 (C.F. 1re inst.) (distincte quant aux faits, c.-à -d. au motif d'appel); Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CAF 470; [2003] A.C.F. no 1976 (QL).

décision examinée:

Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] 4 R.C.F. 48; (2004), 238 D.L.R. (4th) 328; 116 C.R.R. (2d) 268; 35 Imm. L.R. (3d) 161; 318 N.R. 252; 2004 CAF 85.

décisions citées:

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Toledo, [2000] 3 C.F. 563; (2000), 187 D.L.R. (4th) 137; 4 Imm. L.R. (3d) 167; 254 N.R. 88 (C.A.); Grillas c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1972] R.C.S. 577; (1971), 23 D.L.R. (3d) 1; Townsend c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2004), 327 N.R. 229; 2004 CAF 247; Atwal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2004), 330 N.R. 300; 2004 CAF 427; Belkin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 175 F.T.R. 129; 3 Imm. L.R. (3d) 302 (C.F.1re inst.).

doctrine citée

Sharpe, Robert J. Injunctions and Specific Performance, 2nd ed., feuilles mobiles. Toronto: Canada Law Book, 1992.

Waldman, Lorne. Immigration Law and Practice, 2nd ed., feuilles mobiles. Markham, Ont.: Lexis Nexis Canada, 2005.

REQUÊTE visant à surseoir à une mesure de renvoi en attendant l'issue de l'app el, interjeté devant la Cour, du rejet par la Cour fédérale ((2004), 39 Imm. L.R. (3d) 148; 2004 CF 984) d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a refusé de réexaminer sa décision de rejeter l'appel formé par l'appelant contre la mesure d'expulsion.

ont comparu:

Ronald P. Poulton pour l'appelant.

Marianne Zoric pour l'intimé.

avocats inscrits au dossier:

Ronald P. Poulton, Toronto, pour l'appelant.

Le sous-procureur général du Canada, pour l'intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Evans, J.C.A.:

A. INTRODUCTION

[1]À l'âge de 14 ans, Emanuele Tesoro, en compagnie de sa famille, est arrivé au Canada en provenance d'Italie. Il a maintenant 52 ans. Son épouse, qu'il a rencontrée en 2002 et avec laquelle il s'est marié en 2004, ses parents, ses frères et soeurs, ses neveux et nièces sont tous au Canada. Il a une fille, née d'un premier mariage, qui est mariée et vit au Royaume-Uni. Bien qu'il soit résident permanent depuis 1967, il n'est jamais devenu citoyen canadien.

[2]En décembre 2001, il a fait l'objet d'une ordonnance de renvoi, ayant été reconnu coupable au Canada de 33 chefs d'accusation de fraude, de contrefaçon et de parjure, infractions pour lesquelles il a été condamné à 38 mois d'emprisonnement. Le 10 mai 2005, il doit se présenter pour son renvoi en Italie, son pays de nationalité.

[3]M. Tesoro a introduit une requête visant à surseoir à son renvoi en attendant l'issue de l'appel devant la Cour d'une décision du juge Gibson de la Cour fédérale (Tesoro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2004), 39 Imm. L.R. (3d) 148. Dans cette décision, le juge Gibson a rejeté la demande de contrôle judiciaire du refus de la Section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SAI) de réexaminer sa décision de rejeter l'appel formé contre la mesure d'expulsion.

[4]Pour obtenir un sursis, M. Tesoro doit établir qu'il satisfait au critère en trois volets bien connu établi dans Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 1 C.F. 535 (C.A.). La principale question sur laquelle je dois me pencher est de savoir si le renvoi de M. Tesoro, jusqu'à ce qu'il ait été statué sur son appel, causera un préjudice irréparable.

B. HISTORIQUE DE L'INSTANCE

[5]Le 10 décembre 2001, M. Tesoro a déposé un appel à la SAI visant à obtenir un sursis à l'exécution de la mesure d'expulsion pour des motifs d'«equity» conformément à l'alinéa 70(1)b ) de la loi applicable à cette époque, la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18]. Cependant, avant que la SAI n'ait statué sur l'appel, la Loi sur l'immigration a été remplacée par la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). Le paragraphe 64(1) de la LIPR a mis un terme aux appels interjetés devant la SAI sur des motifs d'«equity» par des personnes visées par des mesures de renvoi ayant été interdites de territoire pour «grande criminalité». Comme M. Tesoro a été condamné au Canada à une peine d'emprisonnement d'au moins deux ans, ses condamnations étaient visées par la définition de «grande criminalité» au paragraphe 64(2).

[6]Le 30 août 2002, la SAI a avisé M. Tesoro qu'il était mis fin à son appel en rais on du paragraphe 64(1), lequel lui était applicable en vertu des dispositions transitoires de la LIPR, particulièrement de l'article 196.

[7]Par lettre envoyée au nom de M. Tesoro le 21 novembre 2002, on a demandé à la SAI de réexaminer sa décision de rejeter l'appel parce qu'elle avait failli à son obligation d'équité procédurale en ne donnant pas à M. Tesoro l'occasion de formuler des observations sur l'interprétation des dispositions transitoires de la LIPR.

[8]Le 7 mai 2003, la SAI a avisé M. Tesoro qu'elle ne réexaminerait pas la décision, faisant valoir qu'elle aurait dû entendre M. Tesoro avant de rejeter son appel, mais que l'article 196 mettait clairement un terme à l'instance. Ainsi, rien de ce qui aurait pu être dit à la SAI pour empêcher l'expulsion de M. Tesoro ne pouvait changer la conclusion.

[9]Au moment où le juge Gibson a été saisi de la demande de contrôle judiciaire du refus de réexaminer la décision, la Cour avait rendu l'arrêt Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] 4 R.C.F. 48, lequel a, en quelque sorte, confirmé la position adoptée par la SAI. Autrement dit, selon l'article 196, l'article 64 de la LIPR s'applique rétroactivement aux appelants qui, au mom ent de l'entrée en vigueur de la LIPR, avaient interjeté appel à la SAI, mais n'avaient pas obtenu la suspension de l'exécution de la mesure d'expulsion prononcée contre eux, [traduction ] «eu égard à l'ensemble des circonstances de l'affaire».

[10]S'estimant lié par l'arrêt Medovarski , le juge Gibson a rejeté la demande de contrôle judiciaire au motif que la réouverture de l'appel ne pouvait conduire à une décision différente. Cependant, puisqu'une autorisation de pourvoi avait été demandée à la Cour suprême du Canada dans l'affaire Medovarski , il a certifié, en vue de l'appel, la question de l'interprétation de l'article 196. Après que le juge Gibson eut rendu sa décision, la Cour suprême a accordé l'autorisation de pourvoi dans l'affaire Medovarski . L'audition de ce pourvoi est prévue pour juin 2005.

C. QUESTIONS EN LITIGE ET ANALYSE

[11]Il s'agit de décider si la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour surseoir au renvoi de M. Tesoro jusqu'à ce qu'il ait été sta tué sur son appel. J'examinerai tour à tour chacun des éléments du critère établi dans Toth , tout en étant conscient des limites qu'il y a à s'appuyer indûment sur une méthode dite de «liste de contrôle»: voir Robert J. Sharpe, Injunctions and Specific Performance , 2e éd., feuilles mobiles (Toronto: Canada Law Book Inc., dernière mise à jour: novembre 2004), aux paragraphes 2.60 et 2.70.

i) Question sérieuse

[12]Il est acquis que, à la lumière de l'autorisation consentie par la Cour suprême dans l'affaire Medovarski , l'appel de M. Tesoro soulève une question sérieuse, soit celle de savoir si le refus de la SAI de réexaminer sa décision de rejeter l'appel devrait être annulé. Si l'arrêt Medovarski est infirmé, le refus par la SAI de rouvrir l'affaire sera vraisemblablement annulé pour cause de manquement à l'obligation d'agir équitablement. Or, même si c'est le cas et que la SAI rouvre l'appel, l'issue de l'appel lui-même n'est pas inéluctable.

ii) Préjudice irréparable

[13]L'avocat de M. Tesoro, M. Poulton, avance trois arguments au soutien de sa prétention selon laquelle le renvoi de M. Tesoro causerait à celui-ci un préjudice irréparable que ne pourrait compenser l'octroi d'une indemnité pécuniaire si son appel à la Cour dev ait être accueilli.

    a) Compétence de la SAI

[14]M. Poulton affirme qu'il ne servirait à rien à M. Tesoro, s'il était renvoyé, d'avoir gain de cause dans son appel de la décision du juge Gibson parce que la SAI n'aurait pas compétence pour rouvrir son appel. Il invoque l'article 71 de la LIPR à l'appui de la thèse voulant que la Commission perde compétence dès qu'un appelant quitte le Canada à la suite d'une mesure de renvoi.

71. L'étranger qui n'a pas quitté le C anada à la suite de la mesure de renvoi peut demander la réouverture de l'appel sur preuve de manquement à un principe de justice naturelle.

[15]M. Poulton concède que, en vertu de l'ancienne Loi sur l'Immigration, la SAI avait compétence po ur rouvrir les appels, même après que le demandeur ait été renvoyé du Canada: Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Toledo, [2000] 3 C.F. 563 (C.A.). Cependant, il soutient qu'en édictant l'article 71 de la LIPR, le législateur est cen sé avoir voulu modifier la règle de droit en retirant à la SAI son pouvoir de statuer sur les appels formés par des résidents permanents ayant déjà quitté le Canada à la suite d'une mesure de renvoi et ce, affirme l'avocat, parce que la LIPR a supprimé les deux fondements juridiques sur lesquels repose l'arrêt Toledo .

[16]Premièrement, sous le régime de l'ancienne loi, la compétence attribuée à la SAI pour rouvrir l'appel d'une mesure d'expulsion était de nature permanente: Grillas c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1972] R.C.S. 577. Cependant, en vertu de l'article 71, cette compétence ne peut plus être exercée chaque fois qu'un demandeur présente une requête en réouverture, mais uniquement au motif que la décision de la SAI a porté atteinte aux règles de justice naturelle.

[17]Deuxièmement, sous le régime de l'ancienne loi, la SAI pouvait autoriser la personne expulsée à revenir au Canada sans le consentement du ministre, mais seulement pour qu'elle assiste à l'audition de l'appel et, si l'appel était accueilli et que la Commission ordonnait de surseoir à l'exécution de la mesure de renvoi, pour qu'elle reste au Canada aux conditions fixées par la Commission: Loi sur l'immigration, paragraphes 56(1) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 33] et 74(2) [mod., idem, art. 18], et article 75 [mod., idem]. Dans Toledo, la Cour a inféré de ces dispositions que le législateur devait avoir voulu que la compétence de la SAI de rouvrir l'appel se poursuive après que l'intéressé eut quitté le Canada.

[18]Cependant, sous le régime de la LIPR, la seule disposition traitant du retour d'une personne expulsée qui s'applique aux faits de l'espèce est le paragraphe 52(1). Il prévoit que l'exécution d'une m esure de renvoi emporte «interdiction de revenir au Canada, sauf autorisation de l'agent». La SAI ne peut autoriser elle-même le retour au Canada d'une personne qui est partie à la suite d'une ordonnance de renvoi.

[19]Bien que l'argument av ancé par M. Poulton puisse sembler attrayant, j'estime que la SAI ne perd pas son pouvoir de statuer sur une demande de réouverture d'appel du fait que le demandeur, qui était au Canada au moment du dépôt de la demande, est parti à la suite d'une mesure de renvoi avant que la SAI n'ait statué sur la demande.

[20]D'une part, il ressort à l'évidence de l'article 71 qu'il suffit que le demandeur ait été au Canada au moment du dépôt de la demande à la SAI. C'est cette interprétation de l'article 71 qui a été adoptée dans l'arrêt Townsend c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2004), 327 N.R. 229 (C.A.F.), au paragraphe 5. La version française de l'article 71 est encore plus claire.

[21]D'autre part, bien que la SAI n'ait plus le pouvoir d'autoriser le retour d'une personne qui est partie à la suite d'une mesure d'expulsion, ce pouvoir peut maintenant être exercé par un agent d'immigration. Ce changement n'affaiblit pas beaucoup la capacité de la SAI de contrôler ses propres procédures.

[22]Les moyens de télécommunication modernes permettent généralement à la SAI de tenir ses audiences sans ordonner le retour des appelants pour qu'ils comparaissent en personne. Partant, le fait que la SAI ne soit pas habilitée à autoriser le retour d'un appelant pour qu'il assiste à une audition ne compromet pas réellement le contrôle qu'elle exerce sur sa propre procédure.

[23]Le fait que la SAI n'ait pas le pouvoir général d'enjoindre au ministre d'autoriser les appelants ayant eu gain de cause à revenir au Canada ne rend pas non plus inopérante sa décision de surseoir à l'exécution de la mesure de renvoi lorsque l'appelant a déjà été expulsé. Selon l'avocat du ministre, sans la preuve de nouveaux motifs permettant d'exclure un appelant, le refus par un agent d'immigration d'exercer le pouvoir discrétionnaire que le paragraphe 52(1) lui confère pour autoriser le retour d'une personne interdite de territoire dont l'expulsion a été suspendue par la Commission équivaudrait à de la mauvaise foi. La décision Figurado c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 347 se distingue en ce que, dans cette affaire, aucune opinion ou engagement semblable n'a été offert pour le compte du ministre au sujet d'une personne expulsée avant que l'examen des risques avant renvoi n'ait été complété (voir paragraphe 37).

    b) Menace pour l'affaire devant la SAI

[24]Subsidiairement, M. Poulton dit que l'affaire de M. Tesoro devan t la SAI dépend en grande partie des difficultés qui résulteront de la séparation d'avec son épouse et les autres membres de sa famille, laquelle est très unie, ainsi que de la perte de son emploi et de son incapacité à trouver du travail en Italie. De prétendre l'avocat, si M. Tesoro obtient gain de cause dans son appel et que la SAI instruit son appel au fond, sa requête en sursis d'exécution de la mesure d'expulsion fondée sur ces motifs, dont est saisie la SAI, sera affaiblie par son renvoi préalable. I l s'appuie sur Melo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 188 F.T.R. 39 (C.F. 1re inst.), et Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CAF 470.

[25]Je ne suis pas d'accord. Dans Melo , la contestation de la décision de la SAI reposait sur le fait que celle-ci n'avait pas accordé suffisamment d'attention aux intérêts des enfants de M. Melo. La preuve démontrait que le renvoi, même temporaire, de M. Melo causerait un préjudice à ses enfan ts. Vu le lien étroit qui existe entre les motifs de contrôle et le préjudice résultant d'un renvoi, sa demande de contrôle judiciaire perdrait toute son efficacité comme réparation.

[26]La décision Melo ne se fondait donc pas sur le fait que, si M. Melo était renvoyé, sa cause devant la SAI s'en trouverait affaiblie. Toutefois, c'est sur l'idée que l'affaiblissement de la cause d'une personne dans une procédure administrative subséquente puisse constituer un préjudice irréparable que reposai t l'arrêt Owusu .

[27]M. Owusu avait demandé l'autorisation de séjourner au Canada pour des raisons d'ordre humanitaire afin de pouvoir continuer à subvenir aux besoins de ses enfants au Ghana à même ses revenus d'emploi. Sa demande ayant été refusée, il a présenté une demande de contrôle judiciaire au motif que l'agente d'examen CH ne s'était pas suffisamment intéressée aux intérêts de ses enfants. Le juge Pelletier, J.C.A., a sursis au renvoi de M. Owusu en attendant l'instruction de son app el parce que le renvoi de M. Owusu avant l'audition de l'appel aurait compromis le fondement de sa demande CH, à savoir qu'il soutient financièrement ses enfants.

[28]À mon avis, Owusu se distingue quant aux faits. Il n'existe aucun lien ent re les motifs fondant la contestation du refus de la SAI de rouvrir l'affaire et les préjudices que M. Tesoro craint voir résulter de son renvoi. En outre, les difficultés qu'invoque M. Tesoro pour qu'il soit sursis à l'exécution de la mesure de renvoi jus qu'à l'instruction de son appel ne diminueront vraisemblablement pas après son expulsion. Par exemple, la douleur engendrée par sa séparation d'avec ses parents, ses frères et soeurs et leurs enfants, ne prendra pas fin avec son renvoi. Le choix auquel fait face son épouse--vivre au Canada sans lui ou vivre dans un pays étranger avec lui, isolée de sa famille élargie--ne deviendra probablement pas plus facile s'il est renvoyé avant que la Cour n'ait statué sur son appel.

[29]Par conséquent, j'estime qu'il est hypothétique d'affirmer que si M. Tesoro est expulsé du Canada, sa requête en sursis à l'exécution de la mesure de renvoi prise contre lui par la SAI sera grandement affaiblie dans le cas où son appel à la Cour est accueilli et que la SAI réexamine son appel. Je ne suis pas convaincu que son absence du Canada, entre le moment de son expulsion et la réouverture de son appel, affaiblira les fondements en equity de sa demande au point de le priver des avantages d'obtenir gain de cause dans l'appel qu'il a formé devant notre Cour.

    c) Séparation de la famille

[30]Enfin, M. Poulton soutient que la pierre de touche du préjudice irréparable n'est pas sa gravité mais le fait qu'il ne peut être quantifié, du point de vue pécuniaire, ou compensé par l'octroi de dommages-intérêts. Si M. Tesoro gagne son appel et revient au Canada après une décision favorable sur le fond, il n'aura pas droit à une compensation financière pour les perturbations et la souffrance causées par so n renvoi fondé sur une ordonnance valide prononcée avant l'issue de son appel. La douleur d'être séparé de sa famille ne peut se quantifier. Par conséquent, affirme l'avocat, le renvoi d'une personne cause des perturbations importantes dans les relations f amiliales, lesquelles constituent un préjudice irréparable pour l'application du critère établi dans Toth .

[31]De façon générale, cette position est compatible avec le résumé suivant du droit applicable rédigé par Lorne Waldman, Immigration Law and Practice , 2e éd., feuilles mobiles (Markham, Ont.: Lexis Nexis Canada Inc., 2005), au paragraphe 11.275:

[traduction] La jurisprudence traitant de la question de la séparation des membres d'une famille est loin d'être claire. Bien que dans certain s cas, l'on ait conclu que la séparation des familles ne constitue pas un préjudice irréparable, les tribunaux ont, dans d'autres cas, adopté la position inverse. Il semblerait que la seule façon de concilier ces différentes décisions consiste à admettre q u'elles sont particulièrement liées aux faits. La jurisprudence ne donne pas à entendre qu'un simple inconvénient constituera un préjudice irréparable. Cependant, lorsqu'il ressort de la preuve crédible présentée à la cour que l'expulsion aura vraisemblablement des consé-quences graves sur le bien-être affectif et psychologique, sur les perspectives d'études ou sur la santé du demandeur, de son époux ou épouse ou de ses enfants, alors un sursis sera accordé. [Je souligne.]

[32]Dans l'examen de cette question, je ferai deux remarques préliminaires. Premièrement, dans une requête en sursis de l'exécution d'une mesure de renvoi en attendant l'issue d'une demande de contrôle judiciaire ou d'un appel, l'accent est mis sur les conséquences que peut avoir l'absence temporaire de la personne expulsée du Canada jusqu'à l'issue de l'instance.

[33]Deuxièmement, les décisions relatives à l'octroi d'un sursis tendent à être particulièrement liées aux faits. Les requêtes peuvent être entendues à bref délai et les décisions sont souvent rendues dans des délais très serrés. Il n'est donc pas surprenant de constater que la jurisprudence comporte certaines incohérences. J'estime néanmoins que, dans un tel contexte, le préjudice irréparable peut s'entendre de la séparation des familles et ne se limite pas aux menaces pesant sur la vie ou l'intégrité physique de la personne expulsée. Il est plus difficile de déterminer dans quelles circonstances la séparation de la famille e t la perturbation des liens familiaux et autres liens importants constituent un préjudice irréparable.

[34]Dans Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CAF 261, au paragraphe 13, j'ai adopté le critère formulé dans Melo (au paragraphe 21), où le juge Pelletier (maintenant juge de notre Cour) a statué que, pour que la séparation de la famille constitue un préjudice irréparable, les difficultés qu'entraîne un renvoi doivent échapper aux «conséquences normales d'une expulsion». En ce sens, Melo et Selliah ont été suivies par le juge en chef Richard dans Atwal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2004), 330 N.R. 300 (C.A.F.), aux paragraphes 16 et 17.

[35]La question est donc de savoir, au vu de la preuve dont je suis saisi, si, en raison de la séparation, les conséquences du renvoi sur M. Tesoro et sa famille échapperont aux «conséquences normales d'une expulsion». Ce critère semble être plus difficile à satisfaire pour M. Teso ro que celui relatif aux conséquences suffisamment graves sur les liens familiaux pour constituer plus qu'un «simple inconvénient». Toutefois, lorsque les faits et le pouvoir discrétionnaire sont tous importants, la portée des différences d'ordre définitio nnel dans le critère juridique applicable peut se révéler plus apparent que réel.

[36]D'une part, lorsqu'il s'agit de décisions judiciaires qui concernent l'exercice du pouvoir discrétionnaire fondé sur des faits particuliers, les déclaratio ns sur ce que peut constituer un préjudice irréparable doivent être examinées dans le contexte des faits et des arguments dans lequel elles ont été faites.

[37]En outre, dans la mesure où le critère des «conséquences graves» sur les liens fa miliaux est moins exigeant que celui des conséquences qui vont «plus loin que les conséquences normales d'une expulsion», il est possible que les préjudices qualifiés d'irréparables selon le premier critère, mais non le dernier, ne permettent pas de justif ier une suspension, parce que selon la prépondérance des inconvénients, celle-ci doit céder le pas devant l'intérêt du public dans l'application régulière de la loi.

[38]Quant aux faits invoqués par M. Tesoro, je remarque en p remier lieu ce qu'il n'allègue pas . M. Tesoro n'a aucun enfant au Canada. Dans de nombreuses affaires où le préjudice irréparable a été établi, y compris Melo et Owusu, on a tenu compte des conséquences du renvoi sur les enfants de la personne expulsée. M. Tesoro n'est pas seul à subvenir aux besoins de ses parents, mais partage cette responsabilité avec ses frères et soeurs. Et l'épouse de M. Tesoro ne dépend pas non plus financièrement de lui.

[39]Par ailleurs, l'épouse de M. Tesoro, qui ne parle pas italien, ne prévoit pas le rejoindre en Italie avant 2007, alors qu'elle aura droit à une pension de la fonction publique provinciale. Dans l'intervalle, elle pourrait toutefois lui rendre visite pendant ses vacances avant que l'affaire soit défi nitivement tranchée.

[40]M. Poulton a mentionné le fait que le ministre a reconnu que la séparation conjugale est contraire à l'ordre publique en permettant qu'une demande de statut de résident canadien soit traitée au Canada si le demandeur est marié à une citoyenne canadienne ou à une résidente permanente. Cependant, puisque cette directive exclut les demandeurs visés par une mesure de renvoi, elle n'est pas très utile pour l'argument de M. Poulton.

[41]En ce qui concerne la séparation de M. Tesoro d'avec ses parents, il convient de signaler que ces derniers sont âgés: sa mère est à l'aube de ses 70 ans, et son père a quelques années de plus. Sa mère a des problèmes cardiaques et il se peut qu'elle ne puisse pas se rendre en I talie, bien que la preuve médicale versée au dossier à cet effet soit peu abondante. À mesure que les gens vieillissent et que leur santé va en déclinant, il devient plus difficile de réparer le préjudice qu'une séparation peut leur causer: Belkin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 175 F.T.R. 129 (C.F. 1re inst.).

[42]Malgré l'évidente affection que portent à M. Tesoro ses frères et soeurs et leurs enfants, et la place importante que celui-ci occupe au sein de l a famille, le préjudice que leur cause la séparation n'est pas inhabituel dans le contexte d'une expulsion, même si deux des soeurs ont des ennuis de santé.

[43]S'agissant du tort appréhendé touchant M. Tesoro lui-même du fait de devoir vivre en Italie, je reconnais le préjudice inévitable que subit un homme de 52 ans qui doit quitter le pays où il vit depuis l'âge de 14 ans. Son renvoi signifie la perte de son emploi et il n'est pas certain qu'il puisse se trouver un nouvel emploi, bien qu'aucune preuve n'ait été présentée au soutien de cette simple assertion selon laquelle il ne serait pas capable de trouver du travail en Italie.

[44]D'un autre côté, bien qu'il puisse avoir de bonnes raisons de rester au Canada, M. Tesoro a déclaré que ses activités de jeux de hasard en Italie l'ont amené à voyager fréquemment entre le Canada et l'Italie où, à deux reprises au cours des dix dernières années, il a passé beaucoup de temps. M. Tesoro a des oncles, des tant es et des cousins en Italie et, son dossier étant muet à cet égard, j'en déduis qu'il parle italien. L'Italie est en outre un pays où la qualité de vie est en général comparable à celle qui existe au Canada. L'agent d'examen des risques avant renvoi a reje té la prétention de M. Tesoro selon laquelle son renvoi là -bas l'exposerait au risque que représente pour lui le crime organisé. Sa présence en Italie peut aussi faciliter ses rapports avec sa fille qui est au Royaume-Uni.

[45]Compte tenu de tout ce qui précède, je ne suis pas convaincu que le renvoi de M. Tesoro, jusqu'à ce qu'il ait été statué sur son appel, perturberait ses relations familiales et causerait un désarroi au point de constituer une conséquence inhabituelle de l'expulsion.

iii) Prépondérance des inconvénients

[46]L'avocat de M. Tesoro a concédé que, s'il n'arrivait pas à faire la preuve d'un préjudice irréparable, il ne pourrait pas obtenir un sursis fondé sur la prépondérance des inconvénients. Je n'ai donc rien à ajouter à ce sujet.

[47]Cependant, si j'avais décidé que le renvoi de M. Tesoro causerait un préjudice irréparable, parce que les effets de la séparation familiale étaient plus que de simples inconvénients, j'aurais situé ce p réjudice au bas de l'échelle de gravité et j'aurais conclu que, selon la prépondérance des inconvénients, il devait céder le pas devant l'intérêt du public dans le renvoi rapide du Canada de ceux jugés interdits de territoire pour cause de grande criminali té. Si l'on veut que l'administration du droit de l'immigration soit crédible, il faut que le renvoi des personnes visées par une mesure d'expulsion soit la règle, et que l'octroi d'un sursis en attendant l'issue d'une instance judiciaire, l'exception.

[48]M. Tesoro a été condamné à une lourde peine d'emprisonnement après avoir été déclaré coupable d'infractions graves contre la propriété, consistant en la fabrication de titres le désignant comme le propriétaire de cinq immeu bles résidentiels, libres de toute hypothèque. Ces faux documents ont servi à frauder des prêteurs qui lui ont consenti des prêts totalisant 1,5 millions de dollars, somme qu'il a transférée par l'intermédiaire de banques internationales et dont on a maint enant perdu la trace.

[49]Après avoir découvert le pot aux roses, les propriétaires ont dû assumer les frais liés à la correction des titres et il ne fait aucun doute qu'ils ont ressenti une grande anxiété à l'idée de perdre leur maison. En outre, les prêteurs spoliés ont perdu leurs fonds. Les autorités chargées de l'application de la loi doutent des prétentions de M. Tesoro, qui est partiellement illettré, voulant qu'il ait commis ces infractions seul et qu'il ait utilisé cet argent pour le jeu et d'autres dépenses à l'appui desquelles il n'existe aucun document et qui sont irrécupérables.

D. CONCLUSION

[50]Pour ces motifs, la requête présentée par l'appelant pour obtenir un sursis sera rejetée.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.