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A-496-04

A-497-04

2005 CAF 28

TMR Energy Limited, une personne morale dûment constituée en vertu des lois de Chypre (appelante) (demanderesse)

c.

State Property Fund of Ukraine, un organe de l'État ukrainien (intimé) (défendeur)

et

ANTK Antonov et l'État ukrainien (intimés) (intervenants)

Répertorié: TMR Energy Ltd. c. State Property Fund of Ukraine (C.A.F.)

Cour d'appel fédérale, juges Décary, Nadon et Sexton, J.C.A.--Toronto, 10 et 11 janvier; Ottawa, 24 janvier 2005.

Juges et tribunaux -- Protonotaires -- Un protonotaire a-t-il compétence pour faire droit à une demande présentée en vertu de la règle 327 des Règles de la Cour fédérale (1998) et visant à l'enregistrement, à la reconnaissance et à l'exécution d'une sentence arbitrale étrangère? -- Les attributions des protonotaires ont été élargies au fil du temps, mais cet élargissement est circonscrit aux procédures avant procès et aux procédures après jugement -- Examen et exposé des dispositions législatives, des Règles et des précédents se rapportant aux attributions des protonotaires -- L'exécution d'un jugement étranger est une «demande», non une simple procédure après jugement, et elle dépasse la compétence du protonotaire -- Le fait qu'une personne qui n'a pas la qualité de juge rende une ordonnance que seul un juge peut rendre ne saurait être qualifié de simple inobservation des Règles; il s'agit d'un cas d'incompétence -- Renvoi à des précédents où des décisions rendues par des protonotaires qui ont été annulées pour incompétence -- Le protonotaire n'avait pas non plus agi sur la foi d'un présumé pouvoir.

Pratique -- Jugements et ordonnances -- Ordonnance ex parte portant exécution d'une sentence arbitrale étrangère -- Dans une requête ex parte, le requérant a l'obligation de faire une divulgation franche et intégrale -- Il doit déposer un affidavit attestant qu'il n'a connaissance d'aucun empêchement à l'exécution du jugement étranger -- Il doit informer la Cour des points de fait ou de droit dont il a connaissance et qui favorisent l'autre partie -- Dans une demande ex parte, la plus entière bonne foi doit être observée car il s'agit d'une procédure qui va à l'encontre du principe fondamental de justice selon lequel toutes les parties à un différend doivent être entendues -- En l'espèce, il y a eu non-divulgation d'un fait important se rapportant à la désignation du débiteur, et il en a résulté une confusion à propos de l'entité contre laquelle un redressement était demandé -- La Cour n'a pas été informée de l'application possible de la Loi sur l'immunité des États.

Il s'agissait d'appels réunis interjetés à l'encontre de deux ordonnances rendues par le juge Martineau, de la Cour fédérale. La première ordonnance faisait droit à des requêtes présentées en application de la règle 399 des Règles de la Cour fédérale (1998) et annulait une ordonnance rendue ex parte qui avait fait droit à une demande présentée en vertu de la règle 327 et visant à l'enregistrement, à la reconnaissance et à l'exécution d'une sentence arbitrale étrangère. En effet, selon le juge Martineau, le protonotaire n'avait pas le pouvoir de rendre une telle ordonnance. Le juge Martineau avait estimé que l'ordonnance du protonotaire était nulle et ne pouvait être rectifiée ou rachetée par le principe de la validité de facto ni selon une quelconque règle de pratique. Par une deuxième ordonnance, le juge Martineau avait rejeté la demande ex parte présentée par l'appelante en vue d'une ordonnance nunc pro tunc (ou de bene esse) portant exécution de la sentence sur la foi du dossier tel qu'il existait au 15 janvier 2003, date de la demande originale. Selon le juge, l'appelante n'avait pas divulgué au protonotaire certains obstacles à l'enregistrement et à l'exécution de la sentence.

Le 30 mai 2002, l'Institut d'arbitrage de la Chambre de commerce de Stockholm rendait une sentence arbitrale définitive chiffrée à 40 millions de dollars américains en faveur de l'appelante et à l'encontre du State Property Fund (SPF) of Ukraine, l'un des intimés dans la présente affaire. L'appelante a alors déposé une demande d'enregistrement en application des règles 327 et 328. Elle y affirmait que le SPF était un organe de l'État ukrainien, dont l'adresse au Canada était l'ambassade d'Ukraine. L'ordonnance du protonotaire, favorable à l'appelante, fut signifiée au SPF. L'appelante a alors obtenu un bref de saisie-exécution à l'encontre du «State Property Fund of Ukraine, un organe de l'État ukrainien» et a écrit à un shérif de Terre-Neuve pour le prier de saisir des biens utilisés dans le cadre d'une activité commerciale. Le shérif a saisi «l'aéronef Antonov--124-100», situé à l'aéroport de Goose Bay (Terre-Neuve), qui appartenait à l'État ukrainien, mais qui était exploité par Aviation Scientific Technical Complex (l'Antonov). Lorsque le shérif a délivré un avis de vente du bien, le SPF a déposé un avis d'opposition tandis que l'Antonov déposait un avis de mise en cause et priait la Cour fédérale d'annuler l'avis de saisie aux motifs que le bien saisi n'appartenait pas au SPF, le débiteur, et que le fait d'autoriser la saisie reviendrait à rétablir comme débiteur l'État ukrainien, à l'endroit duquel il y avait eu désistement de la procédure d'arbitrage. À son tour, l'appelante a déposé un avis de requête contestant les avis d'opposition et l'avis de mise en cause, afin qu'il soit précisé si l'État ukrainien était un débiteur judiciaire et aussi pour faire valider la saisie. Le SPF a plus tard sollicité une ordonnance annulant l'ordonnance ex parte du protonotaire aux motifs que la Cour fédérale n'avait pas la compétence matérielle et que le Canada n'était pas l'État approprié du for. Quand la protonotaire Tabib a fait droit à la requête de l'appelante, le SPF et l'Antonov ont interjeté appel et l'État ukrainien a demandé l'autorisation d'intervenir. L'État ukrainien a ensuite demandé selon la règle 399 une ordonnance déclarant que le protonotaire Morneau n'avait pas compétence 1) en raison de l'article 3 de la Loi sur l'immunité des États, et 2) parce qu'un protonotaire n'a pas le pouvoir de rendre une ordonnance dans une demande présentée selon les règles 327 et 328. Lors d'une conférence de gestion de l'instance, le juge Martineau avait fait savoir que, à l'audition de la «nouvelle exception d'incompétence», il ne serait pas disposé à entendre des arguments portant sur l'immunité des États ou sur la compétence de la Cour fédérale.

Arrêt: les appels doivent être rejetés.

S'agissant d'abord des requêtes présentées en vertu de la règle 399, l'appelante a fait valoir que la requête du SPF avait été présentée en dehors des délais. La règle 399 ne fixe aucune limite de temps au dépôt d'une requête, mais le juge Hugessen avait indiqué, dans la décision Bande indienne de la rivière Blueberry c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), que «l'intérêt que possède le public dans la stabilité et la finalité du processus judiciaire [. . .] s'ajoute de façon probante à la jurisprudence qui énonce que les requêtes de cette nature doivent être déposées avec une diligence raisonnable». Ici, 12 mois s'étaient écoulés avant que le SPF ne soulève la question de la compétence. Dans des circonstances normales, un délai aussi long serait fatal. Il ne s'agissait pas cependant d'une situation normale; le dossier était encore très actif quand la question a finalement été soulevée et la question a été soulevée la toute première fois qu'un juge a été saisi de l'affaire. C'était là une importante exception d'incompétence et, en tout état de cause, la Cour était disposée à instruire la requête présentée par le SPF en vertu de la règle 399. L'argument relatif à la tardiveté pouvait être considéré à l'étape de l'adjudication des dépens.

Les attributions des protonotaires ont été examinées récemment par la Cour dans l'arrêt First Canadians' Constitution Draft Committee, The United Korean Government c. Canada. Il a été reconnu dans ce précédent que la compétence des protonotaires s'est élargie au fil du temps, mais cet élargissement est pour l'essentiel circonscrit aux procédures avant procès et aux procédures après jugement. Les Règles n'habilitent plus les protonotaires à agir sur simple consentement des parties. Le paragraphe 12(1) de la Loi sur les Cours fédérales prévoit la nomination de protonotaires de la Cour fédérale «remplissant les conditions voulues pour l'exécution des travaux de celle-ci qui, aux termes des règles, incombent à cette catégorie de personnel». Les attributions générales des protonotaires sont définies dans la règle 50. Le protonotaire peut entendre toute requête (sous réserve de quelque 12 exceptions) ainsi que certaines actions dans lesquelles la somme demandée ne dépasse pas 50 000 $. Il exerce aussi un rôle dans les conférences préparatoires, les conférences de gestion des instances et les conférences de règlement des litiges. Une instance ne peut être introduite qu'au moyen d'une action, d'une demande ou d'un appel. Elle ne peut être introduite par voie de requête. Les requêtes sont régies par des règles particulières qui se trouvent dans la partie 7: les règles 358 à 371. La règle 2 définit une requête comme un document par lequel une personne demande à la Cour de faire appliquer les Règles, mais il ressort clairement des Règles qu'un tel «document» n'a pas le même rang ou le même rôle que celui d'une action, d'une demande ou d'un appel et que les requêtes sont généralement accessoires aux actions, aux demandes ou aux appels. La règle 50 ne donne aux protonotaires aucun pouvoir de statuer en dernier ressort sur des demandes ou des appels; une demande d'enregistrement et d'exécution d'un jugement étranger est une «demande» et elle échappe donc aux attributions d'un protonotaire. Quelle que puisse être la pratique--ou quelle qu'elle ait pu être selon les anciennes Règles--un protonotaire n'a pas le pouvoir de statuer sur une demande présentée en vertu des règles 327 à 334. La Cour n'a pu admettre que l'exécution d'un jugement étranger équivalait à une procédure après jugement et qu'elle ressortissait de ce fait aux protonotaires.

L'ordonnance du protonotaire ne pouvait non plus être rachetée par la règle 56, qui concerne l'inobservation des Règles. L'appelante s'est fondée sur un arrêt de la Cour d'appel anglaise, Harkness v. Bell's Asbestos and Engineering, Ltd. Dans cette affaire, l'autorisation du «tribunal» pour l'introduction d'une instance avait été accordée par un greffier de district (assimilable à un protonotaire) plutôt que par un juge en chambre. La Cour d'appel anglaise avait estimé qu'il s'agissait là d'une simple irrégularité qui pouvait être corrigée au moyen d'une règle très semblable à notre règle 56. La Cour d'appel fédérale n'a pu admettre que le fait pour une personne qui n'a pas statut de juge de rendre une ordonnance que seul un juge peut rendre puisse être qualifié de simple inobservation des Règles. Il s'agit plutôt d'un cas d'incompétence. Le mot «irrégularité» pourrait, selon les Règles des Cours fédérales, être assimilé dans certains cas à la «nullité». Selon les Règles de la Cour fédérale du Canada, la notion d'inobservation a toujours été confinée aux questions de forme par opposition aux questions de compétence. C'est l'exercice tout entier ici qui, à sa base, présentait un vice, à la fois de forme et de fond. L'arrêt Harkness pouvait sans doute s'expliquer par les circonstances très particulières de cette affaire. Plusieurs années s'étaient écoulées avant que ne fussent découverts les vices de la procédure, et la nouvelle règle qui conférait le pouvoir à un juge plutôt qu'à un protonotaire n'était pas venue à l'attention de la profession. À supposer que l'absence de pouvoir du protonotaire puisse être considérée comme une forme d'«inobservation», il s'agirait d'une inobservation de la Loi, et non des Règles. Le protonotaire, lorsqu'il exerce un pouvoir qu'il ne possède pas, agit en dehors des Règles et se trouve en réalité à ne pas observer la Loi. Cette interprétation trouvait appui dans plusieurs précédents canadiens qui avaient cassé des décisions de protonotaires parce qu'elles avaient été rendues sans compétence. La règle 56 n'était pas applicable.

La décision contestée ne pouvait non plus être rachetée par la «doctrine de la validité de facto», qui confère la validité aux actes officiels de personnes qui rendent des décisions sur la foi d'un présumé pouvoir. Au reste, il n'y avait en l'espèce aucun pouvoir apparent. Le protonotaire avait peut-être agi en conséquence d'une erreur, c'est-à-dire l'erreur de quiconque avait été conduit à lui attribuer le dossier à lui plutôt qu'à un juge, mais il avait accompli un acte que seul un juge pouvait accomplir. Aucun précédent ne permettait d'affirmer que la doctrine de la validité de facto pouvait valider l'accomplissement de fonctions judiciaires par une personne n'ayant pas statut de juge. Par ailleurs, une ordonnance portant exécution de la sentence n'aurait pas dû être rendue ex parte.

S'agissant de la requête nunc pro tunc, le juge Martineau n'avait commis aucune erreur lorsqu'il avait précisé que, lorsqu'une requête ou demande est présentée ex parte, le requérant ou le demandeur a l'obligation de faire une divulgation franche et intégrale de tous les faits pertinents. Selon l'alinéa 329(1)g) des Règles, le demandeur doit déposer un affidavit mentionnant que «le demandeur, après avoir effectué des recherches complètes et minutieuses, ne connaît aucun empêchement à l'enregistrement, à la reconnaissance ou à l'exécution du jugement étranger». Outre cette obligation, il y a la règle de common law qui astreint le demandeur, dans une demande ex parte, à un exercice exigeant de divulgation. Comme le disait le juge Sharpe dans la décision United States of America v. Friedland, un tel demandeur «ne peut se limiter à présenter uniquement sa version des faits sous le meilleur jour possible, comme ce serait le cas si l'autre partie était présente [. . .] La partie requérante [. . .] doit informer la Cour des points de fait ou de droit dont elle a connaissance et qui favorisent l'autre partie». Ce principe était exposé dans le contexte d'injonctions ex parte, mais il était applicable ici. Dans une demande ex parte, la plus entière bonne foi doit être observée parce que le demandeur invoque une procédure qui va à l'encontre du principe fondamental de justice selon lequel toutes les parties à un différend doivent être entendues. L'appelante, TMR Energy Limited, avait produit un affidavit où elle affirmait qu'elle n'avait connaissance d'aucun obstacle à l'enregistrement bien qu'en fait elle fût d'avis que le débiteur selon la sentence était l'État ukrainien (non le SPF) et que son intention fût d'utiliser l'enregistrement canadien de la sentence rendue contre le SPF afin de pouvoir exécuter la sentence contre l'État ukrainien au Canada. Cette information était fort importante. Lorsque, comme c'est le cas ici, le créancier selon la sentence décrit le débiteur d'une manière qui sème la confusion, une confusion dont il entend tirer parti, la Cour a le droit, avant de rendre une ordonnance ex parte, de savoir que l'intention du créancier est d'exécuter la sentence contre une entité qui n'est pas, à proprement parler, le débiteur désigné par la sentence. TMR aurait dû divulguer les obstacles dont elle avait connaissance afin d'avertir la Cour de l'application possible de la Loi sur l'immunité des États.

lois et règlements cités

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 12(1) (mod., idem, art. 20), (3), 46(1)h) (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 14; 2002, ch. 8, art. 44).

Loi sur l'immunité des États, L.R.C. (1985), ch. S-18, art. 3.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 336.

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règles 2 «action», «appel», «Cour», «demande», «requête», 24, 50, 56, 57, 58, 59, 60, 61, partie 4 (règles 169 à 299), partie 5 (règles 300 à 334), partie 6 (règles 335 à 357), partie 7 (règles 358 à 371), 383, 387, 399.

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (mod. par DORS/2004-283, art. 2).

jurisprudence citée

décisions appliquées:

Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Commission canadienne des transports, [1988] 2 C.F. 437; (1987), 13 F.T.R. 52 (1re inst.); Coppard v. Customs and Excise Commissioners, [2003] EWCA Civ 511; [2003] E.W.J. no 2101 (QL); Iscar Ltd. c. Karl Hertel GmbH, [1989] 3 C.F. 479; (1989), 24 C.I.P.R. 202; 25 C.P.R. (3d) 116; 27 F.T.R. 186 (1re inst.); Gibb v. Nigeria (2003), 341 A.R. 339; 20 Alta. L.R. (4th) 190; 2003 ABQB 604; Anlaby v. Praetorius (1888), 20 Q.B.D. 764 (C.A.); Foster v. Chubb Insurance Co. of Canada, [1998] O.J. no 2283 (Div. gén.) (QL); McGrath v. St. Phillips's (Town) (1985), 51 Nfld. & P.E.I.R. 276 (C.A. T.-N.); United States of America v. Friedland, [1996] O.J. no 4399 (Div. gén.); Landhurst Leasing plc v. Marcq, [1997] E.W.J. no 1490 (C.A.) (QL); Canadian Paraplegic Assn. (Newfoundland and Labrador) Inc. v. Sparcott Engineering Ltd. (1997), 150 Nfld. & P.E.I.R. 203 (C.A. T.-N.).

décision infirmée:

TMR Energy Ltd. c. State Property Fund of Ukraine (2003), 244 F.T.R. 1; 2003 CF 1517.

décisions examinées:

Bande indienne de la rivière Blueberry c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien) (1999), 189 F.T.R. 111 (C.F. 1re inst.); First Canadians' Constitution Draft Committee, The United Korean Government c. Canada (2004), 238 D.L.R. (4th) 306; 317 N.R. 352; 2004 CAF 93; Vaughan c. Canada (2000), 184 F.T.R. 197 (C.F. 1re inst.); Harkness v. Bell's Asbestos and Engineering, Ltd., [1966] 3 All E.R. 843 (C.A.); Prenor Trust Co. of Canada v. Seawood Enterprises Ltd. (1993), 121 N.S.R. (2d) 144; 16 C.P.C. (3d) 30 (C.A. N.-É.); Norsk Hydro ASA v. State Property Fund of Ukraine and Ors, [2002] EWHC 2120 (Comm.).

décision citée:

Fawdry & Co. v. Murfitt, [2002] EWCA Civ 643; [2002] E.W.J. no 2149 (QL).

APPELS RÉUNIS interjetés à l'encontre d'ordon-nances de la Cour fédérale 1) annulant une ordonnance rendue ex parte par un protonotaire qui avait fait droit à une demande présentée selon la règle 327 des Règles de la Cour fédérale (1998) et se rapportant à une sentence arbitrale étrangère, et 2) rejetant une demande ex parte qui avait été présentée pour que soit rendue une ordonnance nunc pro tunc portant enregistrement et exécution de la sentence. Appels rejetés.

ont comparu:

Richard L. Desgagnés, François Fontaine, Azim Hussain et Brian R. Daley pour l'appelante (demanderesse).

George J. Pollack et Louis-Martin O'Neill pour l'intimé (défendeur).

Thomas G. Heintzman, c.r. et David E. Platts pour l'intimé (intervenant), ANTK Antonov.

Frank J. C. Newbould, c.r. et Lou Kozak, c.r. pour l'intimé (intervenant), l'État ukrainien.

avocats inscrits au dossier:

Ogilvy Renault, Montréal, pour l'appelante (demanderesse).

Davies Ward Phillips & Vineberg, s.r.l., Montréal, pour l'intimé (défendeur).

McCarthy Tétrault, s.r.l., Toronto, et Montréal, pour l'intimé (intervenant), ANTK Antonov.

Borden Ladner Gervais, s.r.l., Toronto, pour l'intimé (intervenant), l'État ukrainien.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]Le juge Décary, J.C.A.: Par une ordonnance datée du 22 septembre 2004, le juge Martineau faisait droit aux requêtes présentées par les intimés en application de la règle 399 des Règles [Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106] et annulait une ordonnance rendue ex parte par le protonotaire Morneau. Selon lui, le protonotaire n'avait pas compétence pour faire droit à une demande présentée en vertu de la règle 327 des Règles de la Cour fédérale (1998) visant à l'enregistrement, à la reconnaissance et à l'exécution d'une sentence arbitrale étrangère. Puis le juge Martineau concluait que l'ordonnance du protonotaire était nulle, qu'[traduction] «une erreur de compétence aussi fondamentale ne peut être rectifiée ou rachetée par le principe de la validité de facto, ni par la règle 56 ou la règle 399, ni pour une raison quelconque invoquée par TMR» et que «toutes les procédures ayant suivi ou complété ladite ordonnance» étaient «nulles et de nul effet».

[2]Dans une ordonnance parallèle portant la même date, le juge Martineau rejetait la demande présentée par l'appelante, TMR Energy Limited (TMR), en vue d'une ordonnance nunc pro tunc (ou de bene esse) ex parte qui enregistrerait, reconnaîtrait et exécuterait la sentence sur la foi du dossier tel qu'il était alors au moment de la présentation de la demande originale à la Cour, c'est-à-dire le 15 janvier 2003. Le juge était d'avis que TMR n'avait pas pleinement révélé au protonotaire les obstacles à l'enregistrement, à la reconnaissance et à l'exécution de la sentence. Il a rendu son ordonnance [traduction] «sans préjudice du droit de TMR de présenter de nouveau sa demande originale ou de présenter une nouvelle demande [. . .], à condition que l'avis de demande soit signifié, de la manière prévue par l'article 9 de la Loi sur l'immunité des États, au débiteur judiciaire».

[3]TMR a fait appel des deux ordonnances, no du greffe A-496-04 (pour la deuxième ordonnance) et no du greffe A-497-94 (pour la première ordonnance). Les appels ont été réunis pour être jugés ensemble. Les motifs qui suivent régleront les deux appels: l'original sera déposé dans le dossier A-496-04, et une copie dans le dossier A-497-04.

Les faits

[4]Un bref rappel des faits et des procédures est requis à ce stade-ci.

[5]Le 30 mai 2002, l'Institut d'arbitrage de la Chambre de commerce de Stockholm (l'Institut) rendait une sentence arbitrale définitive (la sentence) en faveur de TMR, à l'encontre de l'intimé, le State Property Fund of Ukraine (le SPF). La sentence accorde une somme totale d'environ 40 millions de dollars américains.

[6]Il appert du dossier (D.A., vol. 1, pages 42 et 128) que TMR avait désigné également l'État ukrainien comme intimé distinct, dans la même procédure introduite devant l'Institut, mais qu'elle s'était finalement, sous toutes réserves, désistée de cette procédure.

[7]Le 15 janvier 2003, TMR déposait, ex parte, à Montréal, «un avis de demande d'enregistrement d'une sentence arbitrale étrangère», en application des règles 327 et 328 des Règles de la Cour fédérale (1998) (leur désignation à l'époque), la sentence étant celle [traduction] «qui avait été rendue à l'encontre du State Property Fund of Ukraine». L'avis de demande désignait comme défendeur le «State Property Fund of Ukraine», qu'il décrit dans l'intitulé comme [traduction] «un organe de l'État ukrainien» (D.A., vol. 1, page 29).

[8]Dans les pièces produites au soutien de l'avis de demande, TMR disait que le SPF est [traduction] «un organe de l'État ukrainien» (D.A., vol. 1, page 35), dont l'adresse au Canada serait l'ambassade d'Ukraine au Canada. Un avocat français et un avocat suédois affirmaient, dans leurs affidavits respectifs, qu'ils [traduction] «n'avaient connaissance d'aucun obstacle à l'enregistrement, à la reconnaissance ou à l'exécution de la sentence arbitrale définitive» (D.A., vol. 1, pages 131 et 295). Un avocat canadien affirmait la même chose dans un affidavit, mais uniquement sur la foi des deux affidavits susmentionnés (D.A., vol. 1, page 37). Deux lettres provenant de TMR et adressées au SPF, datées respectivement du 14 juin 2002 et du 1er juillet 2002, étaient également produites, dans lesquelles TMR informait le SPF de ce qui suit (D.A., vol. 1, pages 288 et 290):

[traduction] Si nous ne recevons pas le paiement dans le délai susmentionné, nous n'aurons d'autre choix que de demander à nos avocats de prendre, en Ukraine et dans tous les pays où l'État ukrainien détient des actifs, toutes les mesures qui permettraient d'obtenir l'exécution obligatoire de la sentence définitive [. . .]

[. . .]

Avant que nous n'introduisions, dans divers pays, des procédures d'exécution à l'encontre des actifs de l'État ukrainien afin de faire exécuter la sentence définitive [. . .]

[9]La demande est soumise par le greffe à un protonotaire. Le 17 janvier 2003, le protonotaire Morneau, après avoir entendu les avocats de TMR, accordait la demande ex parte, selon les termes suivants:

[traduction]

APRÈS LECTURE de l'avis de demande ex parte produit par la demanderesse en vue de l'enregistrement, de la reconnaissance et de l'exécution de la sentence arbitrale étrangère, en application des règles 327 et 328 des Règles de la Cour fédérale (1998), et lecture des pièces à l'appui de tel avis de demande, et après avoir entendu les observations des avocats de la demanderesse, il est ordonné ce qui suit:

1.     La sentence arbitrale définitive rendue à l'encontre du State Property Fund of Ukraine par le tribunal arbitral établi conformément aux règles de l'Institut d'arbitrage de la Chambre de commerce de Stockholm le 30 mai 2002 est enregistrée et reconnue et sera exécutoire comme tout autre jugement de la Cour. Toutefois, sauf ordonnance contraire de la Cour, l'exécution ne pourra se faire que 60 jours après signification de la présente ordonnance;

2.     Le State Property Fund of Ukraine devra payer à la demanderesse, à titre de dommages-intérêts, la somme de 56 363 127,57 $CAN, soit l'équivalent de 36 711 475,00 $US;

3.     Le State Property Fund of Ukraine devra payer à la demanderesse, au titre des intérêts courus jusqu'au 31 décembre 2002, la somme de 3 963 170,35 $CAN, soit l'équivalent de 2 546 533,67 $US;

4.     Le State Property Fund of Ukraine devra payer à la demanderesse, au titre des frais d'arbitrage de la demanderesse, la somme de 1 535 300 $CAN, soit l'équivalent de 1 000 000 $US;

5.     Le State Property Fund of Ukraine devra payer à la demanderesse, au titre des honoraires et frais des arbitres, la somme de 397 773,40 $CAN, soit l'équiva-lent de 277 426 ;

6.     Le State Property Fund of Ukraine devra payer à la demanderesse, au titre des honoraires et frais des arbitres, la somme de 775,50 $CAN, soit l'équivalent de 5 000 KR S;

7.     Le State Property Fund of Ukraine devra payer à la demanderesse, au titre des honoraires et frais des arbitres, la somme de 551,17 $CAN, soit l'équivalent de 359 $US;

8.     Le State Property Fund of Ukraine devra payer à la demanderesse, en vertu des conditions de la sentence arbitrale définitive, des intérêts selon un taux correspondant au taux LIBOR à un mois, plus cinq points de pourcentage, sur la somme de 30 545 045 $US, et cela à compter du 1er janvier 2003 jusqu'à paiement;

9.     Le grand total se chiffre à 62 260 697,99 $CAN, plus les intérêts calculés comme le prévoit le paragraphe 8;

Avec les dépens et les intérêts postérieurs à l'enregistrement, sur la somme de 11 401 720,05 $CAN, selon le taux indiqué dans l'article 3 de la Loi sur l'intérêt (5 %), à l'encontre du State Property Fund of Ukraine.

[10]L'ordonnance du protonotaire, ainsi qu'elle le prévoyait, fut signifiée au SPF le 4 mars 2003. Bien qu'elle n'y fût pas tenue, TMR a tenté le 22 janvier 2003 de signifier l'ordonnance à l'État ukrainien, par l'entremise des bureaux du ministère canadien des Affaires étrangères et du Commerce international. TMR fut cependant informée par le ministère le 2 juillet 2004 que l'État ukrainien avait refusé, au cours du mois de février 2003, de recevoir signification de l'ordonnance (D.A., vol. 2, page 420):

[traduction] Comme nous vous l'avons expliqué plus tôt, puisque l'ordonnance n'était pas un acte introductif d'instance (article 9) ni une ordonnance découlant d'un acte introductif d'instance signifié en vertu de la Loi sur l'immunité des États (article 10), elle n'a pu être signifiée en conformité avec la méthode indiquée dans la Loi sur l'immunité des États.

[11]Le SPF n'a pas fait appel de l'ordonnance du protonotaire.

[12]Le 11 juin 2003, TMR demandait au shérif de tout comté de toute province du Canada et/ou à l'huissier de la province de Québec de délivrer un bref de saisie-exécution. D'après le sommaire des écritures consignées, demande était faite au shérif et à l'huissier [traduction] «de procéder à une saisie-exécution contre l'État ukrainien, à la suite de l'enregistrement de la sentence arbitrale étrangère», mais un projet fut préparé par le protonotaire Morneau, qui concernait [traduction] «l'intimé, "le State Property Fund of Ukraine, un organe de l'État ukrainien", tel que l'indique le projet de bref ci-joint» (D.A. suppl., onglet 3, pages 121 et 122).

[13]Le 11 juin 2003, un bref de saisie-exécution était délivré par le greffe à Montréal, à l'encontre des biens de l'intimé, celui-ci étant appelé dans l'intitulé le [traduction] «State Property Fund of Ukraine, un organe de l'ÉTAT UKRAINIEN» (D.A., suppl., onglet 4, page 71).

[14]Le 27 juin 2003, l'avocat de TMR envoyait la lettre suivante au shérif de St. John's (Terre-Neuve) (D.A. suppl., onglet 5, page 78):

[traduction] Suite à notre conversation téléphonique de ce matin, veuillez trouver ci-joint l'ordonnance originale de la Cour fédérale du Canada.

Je vous confirme qu'une traduction officielle en ukrainien de ladite ordonnance a été signifiée au défendeur le 4 mars 2003 et que, depuis lors, le défendeur a connaissance des procédures introduites au Canada et du fait que l'ordonnance susmentionnée est maintenant exécutoire contre l'un quelconque de ses biens.

Je vous confirme aussi que, compte tenu des renseignements disponibles, les biens qui seront saisis sont «les biens utilisés ou destinés à être utilisés dans le cadre d'une activité commerciale», au sens de l'alinéa 12(1)b) de la Loi sur l'immunité des États, et que par conséquent ils ne sont pas insaisissables au sens de l'article 12 de la Loi.

[15]Le 27 juin 2003, le shérif délivrait l'avis de saisie suivant (D.A. suppl., onglet 6, page 68):

[traduction]

DESTINATAIRE:     LE STATE PROPERTY FUND OF UKRAINE, UN ORGANE DE L'ÉTAT UKRAINIEN

KUTUZOVA ST. 18/9 KIEV, 252133, UKRAINE

N du greffe: T-60-03     N d'enregistrement: 2003003306

Créanciers

TMR ENERGY LIMITED         / OGILVY RENAULT

Débiteurs

LE STATE PROPERTY FUND

OF UKRAINE,             /

UN ORGANE DE L'ÉTAT UKRAINIEN

SACHEZ QUE, POUR SATISFAIRE AUX RÉCLAMATIONS DONT VOUS ÊTES L'OBJET ET QUI SONT DÉTAILLÉES DANS LE RAPPORT CI-JOINT DE RECOUVREMENT D'UNE CRÉANCE, TMR ENERGY LIMITED NOUS A DEMANDÉ DE SAISIR LES BIENS SUIVANTS:

Désignation:     «L'aéronef Antonov -124-100», nO de série 19530501005

Endroit:     Aéroport de Goose Bay (Terre-Neuve)

Autres détails:     Propriété de l'État ukrainien

L'aéronef saisi le 28 juin 2003 appartient à l'État ukrainien, mais il est exploité par Aviation Scientific Technical Complex name OP (ANTK) Antonov (ci-après l'Antonov).

[16]Le 4 juillet 2003, le shérif délivrait un avis de vente du bien. La vente devait avoir lieu le 18 août 2003 (D.A. suppl., onglet 6, page 69).

[17]À la suite d'un avis d'opposition déposé par le SPF, et d'un avis de mise en cause déposé par l'Antonov le 11 juillet 2003, le shérif a estimé le 17 juillet 2003 que les deux avis [traduction] «étaient valides», et il a informé le «créancier» qu'il [traduction] «pouvait s'adresser à un tribunal compétent pour contester une opposition ou une réclamation dans un délai de 15 jours», à défaut de quoi [traduction] «la mainlevée de la saisie du bien sera accordée» (D.A. suppl., onglet 7, pages 103 à 109).

[18]Le 18 juillet 2003, l'Antonov signifiait à la Cour fédérale un avis de requête pour que soit rendue une ordonnance annulant l'avis de saisie, au motif, essentiellement, que le bien saisi n'appartenait pas au débiteur, le SPF, que le fait d'autoriser la saisie reviendrait à rétablir comme débiteur l'État ukrainien, à l'endroit duquel il y avait eu désistement de la procédure d'arbitrage, et que ni l'État ukrainien ni l'Antonov n'avaient reçu notification de l'ordonnance du protono-taire datée du 17 janvier 2003 (D.A. suppl.,onglet 9).

[19]Le 1er août 2003, conformément à l'avis du shérif, TMR signifiait à la Cour fédérale, un avis de requête contestant l'avis d'opposition et l'avis de mise en cause. La requête visait aussi à préciser si l'État ukrainien était un débiteur judiciaire et à valider la saisie de l'aéronef (D.A. suppl., onglet 10).

[20]Le 8 août 2003, le SPF signifiait un avis de requête pour que soit rendue une ordonnance annulant l'ordonnance ex parte du protonotaire Morneau rendue le 17 janvier 2003, et cela notamment pour les raisons suivantes: la sentence n'était pas encore exécutoire, la Cour fédérale n'avait pas la compétence matérielle et le Canada n'était pas l'État approprié du for (D.A. suppl., onglet 11).

[21]La requête signifiée par TMR le 1er août 2003 a été instruite par la protonotaire Tabib en août et septembre 2003. Le SPF et l'Antonov ont tous deux comparu à l'audience, l'Antonov en tant qu'intervenant.

[22]Le 23 décembre 2003 [(2003), 244 F.T.R. 1], la protonotaire Tabib faisait droit à la requête de TMR, jugeait que l'État ukrainien était le débiteur de par la sentence et validait la saisie de l'aéronef.

[23]Les 15 et 16 janvier 2004, le SPF et l'Antonov faisaient appel de l'ordonnance de la protonotaire Tabib. Le 19 janvier 2004, l'État ukrainien demandait l'autorisation d'intervenir dans l'appel. Des requêtes présentées par le SPF et par l'État ukrainien en vue d'obtenir des directives furent instruites le 19 février 2004 par le juge chargé de la gestion des instances, le juge Martineau. La veille, c'est-à-dire le 18 février 2004, l'avocat de l'Antonov avait informé le juge Martineau qu'il entendait soutenir que le protonotaire Morneau n'avait pas le pouvoir de rendre l'ordonnance du 17 janvier 2003.

[24]Le 11 mars 2004, le juge Martineau ordonnait, entre autres, que [traduction] «la nouvelle exception d'incompétence soit alléguée par voie de requête selon la règle 399, une requête visant à l'annulation de l'ordonnance rendue par le protonotaire Richard Morneau le 17 janvier 2003» (D.A., vol. 2, page 602).

[25]Le 24 mars 2004, l'État ukrainien signifiait un avis de requête selon la règle 399 en vue d'obtenir une ordonnance déclarant que le protonotaire Morneau n'avait pas compétence, en raison de l'article 3 de la Loi sur l'immunité des États [L.R.C. (1985), ch. S-18] et parce qu'un protonotaire n'a pas le pouvoir de rendre des ordonnances dans une demande présentée selon les règles 327 et 328 (D.A., vol. 2, page 381).

[26]Également le 24 mars 2004, le SPF signifiait un avis de requête en vue d'obtenir une ordonnance déclarant que l'ordonnance du protonotaire Morneau avait été rendue sans compétence (D.A., vol. 2, page 383).

[27]Également le 24 mars 2004, l'Antonov signifiait un avis de requête selon la règle 399 pour que soit rendue une ordonnance déclarant que l'ordonnance du protonotaire Morneau avait été rendue sans compétence (D.A., vol. 2, page 387).

[28]Le 23 juin 2004, lors d'une conférence de gestion de l'instance, le juge Martineau faisait savoir que, à l'audition de la «nouvelle exception d'incompétence», il ne voulait pas entendre d'arguments portant sur l'immunité des États ou sur la compétence de la Cour fédérale. Il demandait aussi à TMR de déposer une requête en «mesures conservatoires», pour le cas où il ferait droit à la requête contestant la compétence du protonotaire Morneau.

[29]Le 7 juillet 2004, TMR signifiait sa requête en mesures conservatoires, dans laquelle elle sollicitait diverses ordonnances, notamment une ordonnance nunc pro tunc enregistrant, reconnaissant et exécutant la sentence [traduction] «au 17 janvier 2003, sur la foi du dossier tel qu'il existait alors» (D.A., vol. 2, page 390).

[30]En août 2004, se sont déroulées les audiences se rapportant aux requêtes signifiées le 24 mars 2004 par le SPF, l'État ukrainien et l'Antonov (les requêtes présentées en vertu de la règle 399) et se rapportant à la requête de TMR signifiée le 7 juillet 2004 (la requête nunc pro tunc). Le 22 septembre 2004, le juge Martineau rendait les ordonnances qui sont contestées dans les présents appels et dont il est fait état aux paragraphes 1 et 2 des présents motifs.

Les requêtes présentées en vertu de la règle 399 (no du greffe A-497-04)

[31]La règle 399 autorise la Cour à annuler ou à modifier une ordonnance qui a été rendue ex parte si la partie contre laquelle elle a été rendue présente une preuve prima facie démontrant pourquoi elle n'aurait pas dû être rendue. J'ai du mal à voir sur quelle base l'Antonov, et dans une moindre mesure l'État ukrainien, qui, ni l'un ni l'autre, n'étaient visés par l'ordonnance du protonotaire Morneau en date du 17 janvier 2003, ont été invités par le juge Martineau à déposer une requête selon la règle 399, mais rien ne repose sur cet aspect étant donné que le SPF y apparaît à juste titre comme demandeur.

[32]J'examinerai d'abord l'argument de TMR selon lequel la requête du SPF a été présentée hors des délais. La règle 399 ne fixe aucune limite de temps au dépôt de la requête. Ainsi que le faisait observer cependant le juge Hugessen dans la décision Bande indienne de la rivière Blueberry c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien) (1999), 189 F.T.R. 111 (C.F. 1re inst.), paragraphe 14 «Cela ne signifie pas cependant que la Règle 399 autorise indéfiniment le dépôt de motifs de contestation des décisions, bien au contraire. L'intérêt que possède le public dans la stabilité et la finalité du processus judiciaire [. . .] s'ajoute de façon probante à la jurisprudence qui énonce que les requêtes de cette nature doivent être déposées avec une diligence raisonnable» [[1999] A.C.F. no 1508 (QL)].

[33]En l'espèce, l'ordonnance du protonotaire Morneau a été signifiée au SPF en mars 2003. La question de la compétence du protonotaire a été soulevée pour la première fois en février 2004, et les requêtes présentées en vertu de la règle 399 ont été signifiées en mars 2004. Une période de 12 mois s'est donc écoulée, au cours de laquelle le SPF a eu de multiples occasions, si tant est qu'une occasion fût nécessaire, de soulever la question, y compris lorsqu'il a signifié le 8 août 2003 sa première requête présentée selon la règle 399 (voir le paragraphe 20). Dans des circonstances normales, un délai aussi long aurait été fatal au SPF. Mais nous n'avons pas affaire à des circonstances normales. La question aurait pu évidemment être soulevée plus tôt, et je ne suis pas insensible à l'idée de TMR, qui voit la contestation de la compétence du protonotaire Morneau comme une stratégie après coup née de la décision de la protonotaire Tabib de confirmer la saisie de l'aéronef. Il se trouve cependant que le dossier était encore très actif quand la question a finalement été soulevée, que la question a été soulevée la toute première fois qu'un juge a été saisi de l'affaire, que la question de la nullité de l'ordonnance du protonotaire aurait sans doute pu être soulevée à ce moment-là par le juge lui-même, que TMR elle-même aurait pu la soulever au tout début, quand elle a comparu au départ devant le protonotaire Morneau, et que la requête a été déposée à cette date tardive à l'invitation même du juge Martineau. Nous avons ici affaire à une importante exception d'incompétence. La sentence n'a pas encore été appliquée. Une demande nouvelle d'enregistrement, de reconnaissance et d'exécution de la sentence selon la règle 327 peut encore être faite et jugée par l'autorité compétente. Tout bien considéré, je suis disposé à instruire la requête présentée par le SPF en vertu de la règle 399. L'argument relatif à la tardiveté sera examiné avec plus d'à-propos lorsque nous serons arrivés à la question des dépens.

[34]S'agissant du bien-fondé de l'appel, je reconnais avec le juge Martineau qu'un protonotaire n'a pas le pouvoir de prononcer sur une demande d'enregistrement, de reconnaissance ou d'exécution d'un jugement étranger qui est présentée en vertu des règles 326 à 334. Je reconnais aussi avec lui que l'ordonnance du protonotaire ne saurait être rectifiée par l'application de la règle 56, qui traite de l'inobservation d'une disposition des Règles, ni par le principe de la validité de facto.

Le pouvoir du protonotaire

[35]La Cour a examiné récemment les pouvoirs des protonotaires, dans l'arrêt First Canadians' Constitution Draft Committee, The United Korean Government c. Canada (2004), 238 D.L.R. (4th) 306 (C.A.F.). Il est vrai, comme on peut le lire dans cet arrêt, que la compétence des protonotaires a été considérablement élargie au fil du temps, mais il se trouve que cet élargissement a pour l'essentiel été circonscrit aux procédures avant procès (sauf les injonctions) et aux procédures après jugement et qu'il se limite en droit aux pouvoirs établis par le comité des règles de la Cour fédérale. Les Règles ne renferment plus de dispositions habilitant les protonotaires à agir sur simple consentement des parties (voir l'ancienne Règle 336 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663]).

[36]Le paragraphe 12(1) [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 20] de la Loi sur les Cours fédérales [L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14)] prévoit la nomination de protonotaires de la Cour fédérale «remplissant [. . .] les conditions voulues pour l'exécution des travaux de celle-ci qui, aux termes des règles, incombent à cette catégorie de personnel» (non souligné dans l'original). Le paragraphe 12(3) précise ensuite que «[l]es pouvoirs et fonctions des protonotaires sont fixés par les règles» (non souligné dans l'original). La règle 2 assimile au mot «Cour» le protonotaire «qui agit dans les limites de la compétence conférée par les présentes règles» (non souligné dans l'original). L'alinéa 46(1)h) [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 14; 2002, ch. 8, art. 44] de la Loi sur les Cours fédérales précise par qui et de quelle manière des pouvoirs sont dévolus aux protonotaires:

46. (1) Sous réserve de l'approbation du gouverneur en conseil et, en outre, du paragraphe (4), le comité peut, par règles ou ordonnances générales:

[. . .]

h) donner pouvoir aux protonotaires d'exercer une autorité ou une compétence--même d'ordre judiciaire--sous la surveillance de la Cour fédérale;

[37]Les attributions générales des protonotaires sont définies dans la règle 50. Le paragraphe 50(1) est ainsi formulé:

50. (1) Le protonotaire peut entendre toute requête présentée en vertu des présentes règles--à l'exception des requêtes suivantes--et rendre les ordonnances nécessaires s'y rapportant [suit une liste de douze exceptions, dont aucune n'est applicable ici]. [Non souligné dans l'original.]

Les paragraphes 50(2) et (3) des Règles donnent aux protonotaires le pouvoir d'entendre certaines actions dans lesquelles la réclamation ne dépasse 50 000 $. Les règles 266, 383 et 387 reconnaissent expressément le rôle des protonotaires dans les conférences préparatoires, les conférences de gestion de l'instance et les conférences de règlement des litiges.

[38]Pour comprendre la compétence des protonotaires selon les Règles de la Cour fédérale (1998), il importe de faire la distinction entre d'une part les actions, les demandes et les appels, qui sont les seules voies autorisées par les Règles pour l'introduction des instances, et d'autre part les requêtes.

[39]La règle 61 prévoit qu'une instance peut être introduite par voie d'action, par voie de demande ou par voie d'appel. Une «action» est définie dans la règle 2 comme une «[i]nstance visée à la règle 169» (c'est-à-dire dans la partie 4 des Règles, qui va de la règle 169 à la règle 299). Une «demande» est définie dans la règle 2 comme une «[i]nstance visée à la règle 300» (c'est-à-dire dans la partie 5 des Règles, qui va de la règle 300 à la règle 334). Un «appel» est défini dans la règle 2 comme une «[i]nstance visée à la règle 335» (c'est-à-dire dans la partie 6 des Règles, qui va de la règle 335 à la règle 357).

[40]Une requête n'est donc pas un mode d'introduction d'une instance devant la Cour fédérale, et les «requêtes» sont régies par des règles particulières qui se trouvent dans la partie 7 (laquelle va de la règle 358 à la règle 371). La règle 24 va jusqu'à préciser qu'un avis de requête visant la prorogation du délai de dépôt d'une action, d'une demande ou d'un appel envisagé est conservé dans un dossier distinct. Même si une «requête» est définie dans la règle 2 comme un «[d]ocument par lequel une personne demande à la Cour de se prévaloir des présentes règles ou de les faire appliquer», il ressort clairement des Règles, lues dans leur intégralité, qu'un tel «document» n'a pas le même rang ou le même rôle que celui d'une action, d'une demande ou d'un appel, et que les requêtes sont généralement accessoires aux actions, aux demandes ou aux appels qui ont été introduits ou qui sont sur le point de l'être.

[41]Il est évident que, lu dans ce contexte, la règle 50 ne donne aux protonotaires aucun pouvoir de statuer en dernier ressort sur des demandes ou des appels et qu'il leur accorde un pouvoir restreint de statuer en dernier ressort sur des actions. Ainsi que le faisait observer la juge McGillis dans la décision Vaughan c. Canada (2000), 184 F.T.R. 197 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 14: «la règle 50 élargit la compétence des protonotaires en leur permettant d'entendre des requêtes et de rendre des ordonnances, exception faite des cas spécifiquement prévus, et d'entendre certaines actions» [[2000] A.C.F. no 311 (QL)] (non souligné dans l'original). Et, dans l'arrêt First Canadians', la Cour, au paragraphe 9 [2004 CAF 93], relevait que «[l]e législateur avait certainement à l'esprit la distinction entre "requête" et "action"». Il en va de même pour la distinction entre une «requête» et une «demande». Une demande d'enregistrement, de reconnaissance ou d'exécution d'un jugement étranger est décrite comme une «demande» dans l'alinéa 300h) des Règles, et une telle demande est régie par les règles 327 à 334, qui se trouvent dans la partie 5 des Règles. Un protonotaire ne saurait donc se prononcer sur une telle demande, même s'il est habilité à instruire les requêtes s'y rapportant.

[42]Quel qu'ait pu être le droit ou la pratique selon les anciennes Règles, ou quelle que puisse être la pratique selon les Règles actuelles, un protonotaire n'a pas, selon les Règles actuelles, le pouvoir de statuer sur une demande présentée en vertu des règles 327 à 334. La compétence doit trouver son origine dans les Règles de la Cour; elle ne saurait être trouvée dans de simples règles de pratique, à plus forte raison si telles règles de pratique sont incompatibles avec les Règles.

[43]L'appelante fait valoir qu'une demande d'enregistrement, de reconnaissance ou d'exécution d'un jugement étranger n'entraîne pas l'attribution de droits matériels et équivaut à une procédure après jugement, laquelle relève en général de la compétence des protonotaires. Je ne partage pas ce point de vue. L'effet d'une ordonnance d'enregistrement, de reconnaissance ou d'exécution d'un jugement étranger est de conférer au créancier désigné par le jugement étranger les mêmes droits que si le jugement avait été obtenu au Canada; en ce sens, l'ordonnance est un «jugement» plutôt qu'une procédure «après jugement».

[44]Je suis donc d'avis que le protonotaire Morneau n'avait pas le pouvoir de statuer sur la demande présentée en vertu de la règle 327. L'appelante fait valoir, pour le cas où la Cour conclurait à l'incompétence du protonotaire, que la règle 56 pourrait racheter l'ordonnance rendue par le protonotaire et que les intimés sont, selon la règle 58, hors des délais et qu'ils ne peuvent plus attaquer ce que l'appelante appelle une simple «irrégularité». Je suis disposé à admettre qu'une requête selon la règle 56 a été implicitement présentée par l'appelante.

La règle 56 et l'inobservation des Règles

[45]Les règles 56 à 60 des Règles traitent de l'inobservation des Règles. Ils sont ainsi formulés:

Inobservation des règles

56. L'inobservation d'une disposition des présentes règles n'entache pas de nullité l'instance, une mesure prise dans l'instance ou l'ordonnance en cause. Elle constitue une irrégularité régie par les règles 58 à 60.

57. La Cour n'annule pas un acte introductif d'instance au seul motif que l'instance aurait dû être introduite par un autre acte introductif d'instance.

58. (1) Une partie peut, par requête, contester toute mesure prise par une autre partie en invoquant l'inobservation d'une disposition des présentes règles.

(2) La partie doit présenter sa requête aux termes du paragraphe (1) le plus tôt possible après avoir pris connaissance de l'irrégularité.

59. Sous réserve de la règle 57, si la Cour, sur requête présentée en vertu de la règle 58, conclut à l'inobservation des présentes règles par une partie, elle peut, par ordonnance:

a) rejeter la requête dans le cas où le requérant ne l'a pas présentée dans un délai suffisant--après avoir pris connaissance de l'irrégularité--pour éviter tout préjudice à l'intimé;

b) autoriser les modifications nécessaires pour corriger l'irrégularité;

c) annuler l'instance en tout ou en partie.

60. La Cour peut, à tout moment avant de rendre jugement dans une instance, signaler à une partie les lacunes que comporte sa preuve ou les règles qui n'ont pas été observées, le cas échéant, et lui permettre d'y remédier selon les modalités qu'elle juge équitables.

[46]L'appelante s'appuie essentiellement sur les propos tenus par lord Denning, maître des rôles, et par lord Diplock dans l'arrêt Harkness v. Bell's Asbestos and Engineering, Ltd., [1966] 3 All E.R. 843 (C.A.). Dans cette affaire, la loi applicable à la prescription des actions obligeait le demandeur à obtenir l'autorisation du «tribunal» pour engager une action. L'autorisation fut accordée par un greffier de district (assimilable à un maître des rôles ou à un protonotaire) plutôt que par un juge en chambre. La Cour d'appel anglaise a estimé que c'était là une irrégularité qui pouvait être corrigée au moyen d'une règle très semblable à notre règle 56:

[traduction] Cette nouvelle règle supprime l'ancienne distinction entre les nullités et les irrégularités. Toute omission ou erreur entachant la pratique ou la procédure sera dorénavant considérée comme une irrégularité que le tribunal peut et doit rectifier pour autant que cela soit possible sans qu'il en résulte une injustice. On peut enfin affirmer qu'il n'est pas possible pour un plaideur honnête qui se présente devant la Cour suprême de Sa Majesté d'échouer dans son procès en raison d'un simple détail technique, d'une simple étourderie ou d'un faux pas. [Lord Denning, M.R., aux pages 845 et 846.]

Si [le demandeur] a suivi, et je ne doute pas qu'il l'ait fait, les complexités de la procédure interlocutoire introduite dans cette affaire, il a dû penser que la loi est idiote. Je ne suis pas sûr que le présent jugement modifiera son opinion, mais à tout le moins il n'aura pas l'impression qu'elle est aussi injuste qu'il le pensait au départ. C'est pour corriger précisément ce genre d'injustice qu'a été pris le nouveau R.S.C., Ord. 2, r. 1. [Lord Diplock, à la page 846.]

[47]Je fais une pause ici pour faire observer que l'expression employée par lord Denning, [traduction] «l'ancienne distinction entre les nullités et les irrégularités», est quelque peu fallacieuse, du moins dans le contexte canadien. Il s'agit plutôt de savoir si une action ou une omission peut être considérée comme une «inobservation des Règles», «non-compliance with the Rules». Pour les raisons que je vais maintenant exposer, le fait qu'une personne qui n'a pas statut de juge rende une ordonnance que seul un juge peut rendre ne saurait être qualifié de simple «inobservation des Règles». Il s'agit d'un cas d'incompétence. Une autre raison d'employer avec circonspection les mots de lord Denning pour l'interprétation des Règles de la Cour fédérales [mod. par DORS/2004-28, art. 2], c'est que, selon l'alinéa 59c), lorsque l'inobservation des Règles constitue une irrégularité aux fins de la règle 56, la nullité de la procédure peut quand même être prononcée. Si l'on s'en tient donc aux propos de lord Denning, le mot «irrégularité» pourrait, selon les Règles des Cours fédérales, être assimilé dans certains cas à la «nullité».

[48]La règle 56, telle qu'elle était formulée auparavant, n'a jamais eu pour objet de considérer comme une inobservation des Règles un acte accompli par un protonotaire dépassant ses pouvoirs, et elle n'a jamais été interprétée de cette manière. La notion même d'inobservation a toujours été confinée aux questions de forme par opposition aux questions de compétence. Ainsi que le faisait observer le juge McNair dans la décision Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Commission canadienne des transports, [1988] 2 C.F. 437 (1re inst.), à la page 449:

Les questions de pratique et les questions de compétence sont deux choses tout à fait distinctes.

[49]On se demande aussi qu'est-ce qui pourrait bien être corrigé, modifié ou rectifié, et comment cela pourrait être fait selon les règles 59 et 60, lorsqu'une ordonnance a été rendue hors du champ de compétence. Que la présumée «irrégularité» soit le fait du juge en chef ou du greffe lorsqu'il a assigné l'affaire au protonotaire, ou qu'elle soit le fait du protonotaire qui s'est arrogé le pouvoir, il ne saurait être question de substituer le nom d'un juge à celui du protonotaire sur l'ordonnance, et une nouvelle ordonnance ne saurait non plus être signée par un juge sans une nouvelle audition de la demande. C'est l'exercice tout entier qui à sa base présente un vice, à la fois de forme et de fond. Dans ces conditions, je suis d'avis que les propos de lord Denning, appliqués aux circonstances qui lui étaient soumises, ne s'accordent pas avec les observations faites plus tard par lord Sedley, pour la Cour d'appel d'Angleterre et du Pays de Galles, dans l'arrêt Coppard v. Customs and Excise Commissioners, [2003] EWCA Civ 511; [2003] E.W.J. No. 2101 (QL), paragraphe 13:

[traduction] L'unique réponse à l'appel qui à notre avis est inacceptable en principe est celle qui est avancée, en signe d'espoir plutôt que par conviction sans doute, par l'avocat des commissaires, M. Michael Patchett-Joyce, réponse selon laquelle le défaut de pouvoir était une simple erreur de procédure qui, en vertu du CPR 3.10, n'invalide pas comme telle une mesure prise sous l'empire de ce texte. Ce serait faire peu de cas du principe de la primauté du droit et de la rectitude constitutionnelle que de reléguer au domaine de la procédure une question aussi importante que l'aptitude à occuper une charge judiciaire. [Non souligné dans l'original.]

[50]L'arrêt rendu par la Cour d'appel anglaise dans l'affaire Harkness peut sans doute s'expliquer par les circonstances très particulières qui ont conduit à cet arrêt et que l'on ne trouve pas dans la présente affaire. La demande d'autorisation n'avait pas été l'objet d'une audience, et il n'avait donc pas été possible de mettre en doute le pouvoir du décideur. Plusieurs années s'étaient écoulées avant que ne fussent découverts les vices de la procédure. La nouvelle règle qui conférait le pouvoir à un juge plutôt qu'à un protonotaire n'avait pas été diffusée ou publiée d'une manière qui eût permis aux praticiens d'en prendre connaissance. Il était beaucoup trop tard pour présenter à un juge une nouvelle demande d'autorisation. [traduction] «Rien d'autre ne convenait», de dire lord Denning [à la page 844], «de telle sorte que le demandeur devait obtenir que l'ordonnance du greffier soit rectifiée et présumée valide à compter de cette date, avril 1964, à défaut de quoi il était assuré d'échouer». Et, aspect sans doute plus important, nul n'a prétendu que l'ordonnance, eût-elle été rendue par l'autorité compétence, aurait pu être différente.

[51]Supposons un instant que l'absence de pouvoir du protonotaire puisse être considérée comme une forme d'«inobservation». Il s'agirait d'une inobservation de la Loi, et non des Règles. Ainsi que le faisait observer le juge en chef adjoint Jerome dans la décision Iscar Ltd. c. Karl Hertel GmbH, [1989] 3 C.F. 479 (1re inst.), à la page 484, la compétence du protonotaire «découle du paragraphe 46(1) [de la Loi sur la Cour fédérale]» et «n'est pas fondée sur notre règle ou sur ma directive de pratique, mais sur la Loi sur la Cour fédérale». J'ajouterais que la compétence des protonotaires découle également du paragraphe 12(3) de la Loi sur les Cours fédérales, qui prévoit que «[l]es pouvoirs et fonctions des protonotaires sont fixés par les règles». Le juge en chef de la Cour fédérale, lorsqu'il attribue au protonotaire une affaire sur laquelle celui-ci n'a pas compétence, ou le protonotaire, lorsqu'il exerce un pouvoir qu'il ne possède pas, agit en dehors des Règles et se trouve en réalité à ne pas observer la Loi.

[52]Mon interprétation trouve appui dans maintes décisions rendues par d'autres tribunaux canadiens. Dans l'arrêt Gibb v. Nigeria (2003), 341 A.R. 339 (C.B.R.), le juge Hutchinson a estimé qu'un jugement par défaut obtenu par demande adressée au protonotaire était nul car le protonotaire n'avait pas le pouvoir de statuer sur une telle demande (paragraphe 2). Pour arriver à la conclusion que la demanderesse avait [traduction] «agi en dehors des Règles de la Cour en présentant une demande de jugement au protonotaire et non à un juge, entraînant de ce fait un jugement invalide» (paragraphe 22), le juge Hutchinson s'est fondé sur un ancien arrêt de la Cour d'appel anglaise, Anlaby v. Praetorius (1888), 20 Q.B.D. 764 (C.A.), où un jugement par défaut avait été consigné prématurément et où lord juge Fry s'était exprimé ainsi, à la page 769:

[traduction] Mais, en l'espèce, nous n'avons pas affaire à un cas d'inobservation d'une règle, ni à un cas d'irrégularité d'application d'une règle. L'inscription irrégulière du jugement s'est faite indépendamment des règles; la demanderesse n'avait pas le droit d'obtenir un quelconque jugement.

[53]Dans la décision Foster c. Chubb Insurance Co. of Canada, [1998] O.J. no 2283 (Div. gén.) (QL), le juge Morin a estimé que le protonotaire n'avait pas compétence pour décider un point de droit dans une requête en jugement sommaire et il a annulé la décision du protonotaire. Il a autorisé le défendeur à présenter de nouveau à un juge sa requête en jugement sommaire.

[54]Dans l'arrêt McGrath v. St. Phillip's (Town) (1985), 51 Nfld. & P.E.I.R. 276, la Cour d'appel de Terre-Neuve avait jugé que la pratique qui consistait à soumettre une affaire à un protonotaire pour qu'il établisse la mesure du préjudice subi devait être abandonnée parce que le protonotaire n'avait pas ce pouvoir. Le rapport du protonotaire fut déclaré nul et sans effet.

[55]Je relève que, dans la décision Prenor Trust Co. of Canada v. Seawood Enterprises Ltd. (1993), 121 N.S.R. (2d) 144 (C.A.), un protonotaire avait rendu une ordonnance prorogeant le délai à l'intérieur duquel pouvait être déposée une demande de jugement compensatoire. Le protonotaire n'avait pas compétence pour rendre une telle ordonnance. Un juge en chambre avait estimé que c'était là une irrégularité, mais [à la page 146] [traduction] «non une irrégularité que, eu égard aux circonstances, le tribunal fût disposé à corriger». La Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse avait fait droit à l'appel au motif que, après l'ordonnance du protonotaire, une ordonnance rendue, du consentement des parties, par un juge avait [à la page 146] [traduction] «résolu d'une manière concluante la question des délais». La Cour d'appel ne s'était pas exprimée sur la question de l'«irrégularité».

[56]J'arrive donc à la conclusion que la règle 56 n'est pas applicable. Quoi qu'il en soit, d'affirmer ensuite TMR, la décision du protonotaire pouvait encore être rachetée par la «doctrine de la validité de facto».

La doctrine de la validité de facto

[57]La doctrine de la validité de facto confère la validité aux actes officiels de personnes qui, en certaines circonstances, rendent des décisions sur la foi d'un présumé pouvoir. L'une des nombreuses difficultés que me cause cet argument dans le présent appel, c'est qu'il n'y avait au départ aucun pouvoir apparent. Il n'existait simplement aucune disposition légale valide autorisant le protonotaire à agir. Il occupait validement sa charge, sa nomination n'était entachée d'aucune irrégularité, et il agissait en tant que protonotaire, non en tant que juge. Il agissait peut-être en conséquence d'une erreur, c'est-à-dire l'erreur de quiconque avait été conduit à lui attribuer le dossier à lui plutôt qu'à un juge, mais il accomplissait un acte que seul un juge pouvait accomplir, et il n'était pas un juge ni ne prétendait exercer les fonctions d'un juge.

[58]Quels que soient les arguments qui puissent reposer sur la doctrine de la validité de facto, nous n'avons été dirigés vers aucun précédent donnant à entendre qu'une personne qui n'a pas statut de juge peut, selon cette doctrine, être présumé avoir validement accompli des actes judiciaires. La présente affaire, me semble-t-il, se distingue aisément des cas où un juge dûment nommé et ayant les qualités requises pour siéger en cette qualité exerce un aspect de la compétence de son tribunal dans lequel il n'est pas autorisé à s'aventurer (voir l'arrêt Coppard c. Customs and Excise Commissioners, Fawdry & Co. v. Murfitt, [2002] EWCA Civ 643; [2002] E.W.J. no 2149 (QL)).

[59]Quoi qu'il en soit, je ne serais pas prêt à dire, m'appuyant sur la doctrine de la validité de facto, que les parties, qui ont le droit d'obtenir une ordonnance rendue par un juge, n'ont pas à tout le moins le droit d'obtenir que l'affaire soit décidée à nouveau par un juge, même si cela devait être rétroactivement. Comme je suis d'avis, pour les motifs ci-après énoncés, que l'ordonnance reconnaissant et exécutant la sentence n'aurait pas dû être rendue ex parte, j'aurais de toute manière rejeté ce premier appel.

[60]Je suis d'avis par conséquent que le protonotaire Morneau n'avait pas le pouvoir de rendre l'ordonnance contestée et que ni la règle 56 ni la doctrine de la validité de facto ne peuvent être invoquées pour préserver la validité de son ordonnance.

[61]En fin de compte, l'ordonnance du protonotaire en date du 17 janvier 2003 doit être annulée sur présentation d'une requête selon la règle 399, pour la simple raison que l'ordonnance ex parte n'était pas de son ressort en tant que protonotaire. Je rejetterais donc l'appel A-497-04.

La requête nunc pro tunc (no du greffe A-496-04)

[62]S'agissant maintenant de l'appel dont le numéro du greffe est A-496-04, je présumerai que le juge Martineau était habilité à instruire une requête nunc pro tunc lorsque l'ordonnance en cause a été déclarée nulle pour incompétence de son auteur. Il ne m'est pas nécessaire de trancher la question puisque je suis arrivé à la conclusion que, en tout état de cause, aucune ordonnance nunc pro tunc ne peut être rendue.

[63]Je n'ai trouvé aucune erreur sujette à révision dans la conclusion du juge Martineau selon laquelle [traduction] «lorsqu'une requête ou demande est présentée ex parte, le requérant ou le demandeur a l'obligation de faire une divulgation franche et intégrale de tous les faits importants».

[64]TMR a décidé de présenter ex parte sa demande selon la règle 357, comme elle était en droit de le faire. Cependant, TMR se soumettait ainsi à l'obligation de divulguer pleinement tous les faits pertinents. D'abord, l'alinéa 329(1)g) des Règles oblige le demandeur à déposer un affidavit mentionnant que «le demandeur, après avoir effectué des recherches complètes et minutieuses, ne connaît aucun empêchement à l'enregistrement, à la reconnaissance ou à l'exécution du jugement étranger». Outre cette obligation, il y a la règle de common law qui astreint le demandeur, dans une demande ex parte, à un exercice exigeant de divulgation. Le principe a été bien exposé par le juge Sharpe (tel était alors son titre) dans la décision United States of America v. Friedland, [1996] O.J. no 4399 (Div. gén.) (QL), au paragraphe 27:

[traduction] Pour cette raison, la loi impose une obligation exceptionnelle à la partie qui exerce un recours ex parte. Cette partie ne peut se limiter à présenter uniquement sa version des faits sous le meilleur jour possible, comme ce serait le cas si l'autre partie était présente. Il incombe plutôt à la partie requérante de présenter un exposé équilibré des faits et du droit. La partie requérante doit exposer avec impartialité ses propres arguments et doit informer la Cour des points de fait ou de droit dont elle a connaissance et qui favorisent l'autre partie. L'obligation de divulgation complète et franche est nécessaire pour atténuer le risque évident d'injustice qui est inhérent à toute situation où un juge est prié de rendre une ordonnance sans avoir entendu l'autre partie.

[65]Ce principe est exposé dans le contexte d'injonctions ex parte, lesquelles sont immédiatement exécutoires, par opposition aux ordonnances ex parte, comme celle dont il s'agit ici, qui ne sont exécutoires que 60 jours après qu'elles ont été signifiées à l'autre partie, mais il s'applique au-delà du domaine des injonctions ex parte (voir Landhurst Leasing plc v. Marcq, [1997] E.W.J. no 1490 (C.A.) (QL), le juge lord Beldam, aux paragraphes 63 à 66):

[traduction] Sans vouloir contredire le juge du fond, je ne crois pas que c'était là tout à fait la bonne manière de considérer la question. Ainsi que l'a jugé la Cour dans l'arrêt Brinks Mat Ltd. v. Elcombe, [1988] 1 WLR 1350, la Cour, nonobstant la preuve d'une importante non-divulgation lorsqu'une injonction fut obtenue à l'origine à la faveur d'une demande ex parte, a encore le pouvoir discrétionnaire de laisser subsister l'injonction ou de lui substituer une nouvelle injonction.

C'est cependant un pouvoir qui sera exercé très prudemment. Il sera rarement exercé, voire jamais, lorsque la non-divulgation était délibérée, ou lorsqu'elle a causé un préjudice à la partie visée par l'injonction, et cela en permettant au demandeur d'obtenir un redressement provisoire qu'il n'aurait pas autrement obtenu.

Le raisonnement à l'origine de la règle qui astreint un demandeur, dans une demande ex parte, à une divulgation franche et complète, c'est que la Cour est priée d'accorder un redressement sans que la personne contre qui le redressement est demandé ait eu l'occasion de se faire entendre. Je ne partage pas l'avis du juge du fond sur ce point particulier, car je ne crois pas que le contexte soit différent simplement parce que l'ordonnance obtenue ex parte dans la présente affaire était non pas une injonction, mais une ordonnance portant enregistrement d'un jugement, ordonnance qui, selon les Règles de la Cour suprême, doit être présentée ex parte (voir l'Ordonnance 71, r. 27). L'Ordonnance 71, r. 28(1)d)(ii), obligeait expressément la demanderesse à informer la Cour que le jugement concerné avait été exécuté en partie, et, ainsi que le juge du fond a eu raison de le dire, le fait que la demanderesse n'ait pas ainsi informé la Cour constituait une non-divulgation d'un fait important.

À mon avis, l'obligation de divulgation imposée à un demandeur par l'Ordonnance 27, r. 28(1) n'est pas moins contraignante et sérieuse que l'obligation imposée à l'auteur d'une demande ex parte. L'obligation de divulgation complète et franche et les conséquences possibles d'un manquement à telle obligation sont à mon avis du même degré que dans toute autre demande ex parte. Il n'y a aucune raison logique de faire la distinction dans ce contexte entre divers types de demandes ex parte.

Voir Canadian Paraplegic Assn. (Newfoundland and Labrador) Inc. v. Sparcott Engineering Ltd. (1997), 150 Nfld. & P.E.I.R. 203 (C.A.), le juge Green, J.C.A., au paragraphe 18:

[traduction] Dans une demande ex parte, la plus entière bonne foi doit être observée. Le demandeur ou son avocat sont astreints à une divulgation complète et impartiale de tous les faits pertinents dont ils ont connaissance et qui pourraient raisonnablement influer sur l'issue de la demande. Comme l'avocat de la demanderesse prie le juge d'appliquer une procédure qui va à l'encontre du principe fondamental de justice selon lequel toutes les parties à un différend doivent être entendues, l'avocat est astreint à une obligation additionnelle envers le tribunal et les autres parties, celle de s'assurer qu'est entrepris un examen aussi équilibré de la question que ce que permettent les circonstances.

[66]En l'espèce, TMR écrivait, dans les affidavits déposés au soutien de sa demande, qu'elle n'avait connaissance [traduction] «d'aucun obstacle à l'enregistrement, à la reconnaissance ou à l'exécution du jugement étranger». Si l'on pose pour hypothèse que le dépôt de vagues affidavits par deux avocats étrangers répond à l'obligation de «recherches complètes et minutieuses» qui est imposée par l'alinéa 329(1)g) des Règles, il se trouve que, au moment de déposer sa demande, TMR était d'avis, et qu'elle avait été d'avis depuis quelque temps, que le débiteur selon la sentence était l'État ukrainien plutôt que le SPF et que son intention était d'utiliser contre le SPF l'enregistrement de la sentence au Canada afin de pouvoir exécuter la sentence contre l'État ukrainien au Canada. Cette information était fort importante.

[67]Je sais que la tâche d'un tribunal à qui il est demandé d'exécuter une sentence doit être aussi [traduction] «mécanique» que possible et [traduction] «qu'un tel tribunal n'est ni fondé ni astreint à remettre en question la sentence considérée, à explorer le raisonnement du tribunal d'arbitrage ou à reconsidérer ses intentions» (voir la décision Norsk Hydro ASA v. State Property Fund of Ukraine and Ors, [2002] EWHC 2120 (Comm.), le juge Gross, au paragraphe 17).

[68]Cependant, lorsque, comme c'est le cas ici, le créancier selon la sentence décrit le débiteur d'une manière qui sème la confusion, une confusion dont il entend tirer parti, la Cour a le droit, avant de rendre une ordonnance ex parte, de savoir que le créancier se prépare déjà à exécuter la sentence au Canada contre un débiteur qui n'est pas, à proprement parler, le débiteur désigné par la sentence. L'alinéa 329(1)g) des Règles est clair et impératif. TMR avait connaissance d'obstacles à l'exécution de la sentence. Elle aurait dû les divulguer à la Cour sans hésitation, ne fût-ce que pour avertir la Cour de l'application possible de la Loi sur l'immunité des États. La Cour aurait alors été en position d'examiner l'à-propos de ne pas procéder ex parte et l'à-propos de faire signifier la demande à l'État ukrainien. C'est précisément l'effet de l'ordonnance du juge Martineau, à laquelle je ne trouve rien à redire.

[69]Le refus du juge Martineau de suspendre la procédure ou de rendre une injonction interlocutoire en attendant le dépôt d'une nouvelle demande selon la règle 327 n'a pas été sérieusement contesté par TMR et, à mon avis, il n'aurait pu l'être.

[70]Finalement, je rejetterais l'appel A-496-04.

Les dépens

[71]J'accorderais les dépens aux intimés dans les deux appels, mais sur la base d'un seul mémoire de dépens.

Le juge Nadon, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

Le juge Sexton, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

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