Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-1372-03

2004 CF 1165

Magic Sportswear Corp. et Blue Banana (demanderesses)

c.

OT Africa Line Ltd., OT Africa Line, et les propriétaires et les affréteurs du «Mathilde Maersk» et du «Suzanne Delmas» (défenderesses)

Répertorié: Magic Sportswear Corp. c. Mathilde Maersk (Le) (C.F.)

Cour fédérale, juge O'Keefe--Toronto, 23 février; Halifax, 23 août 2004.

Compétence de la Cour fédérale -- Action réelle en amirauté pour perte de cargaison -- Les défenderesses ont demandé une suspension en s'appuyant sur la clause d'élection de for du connaissement et sur la doctrine du forum non conveniens -- Les demanderesses ont soutenu que l'art. 46 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime étayait la compétence de la C.F. -- Les défenderesses ont obtenu ex parte de la Haute Cour de justice de l'Angleterre (H.C.J.) une injonction empêchant l'action devant la C.F. -- La protonotaire a refusé la suspension -- Elle a correctement conclu que les demanderesses n'ont pas acquiescé à la compétence de la H.C.J. -- Le contrat de transport prévoyait que les différends étaient soumis à la H.C.J. à Londres -- L'art. 46 empêche-t-il la Cour d'examiner quel est le tribunal approprié? -- Les arrêts Z.I. Pompey Industrie c. ECU-Line N.V., de la C.S.C., et Incremona-Salerno Marmi Affini Siciliani (I.S.M.A.S.) s.n.c. c. Castor (Le), de la C.A.F., ont reçu une interprétation restrictive -- L'art. 46(1) confère compétence à la C.F., en dépit de la clause d'élection de for, lorsque les conditions prévues sont remplies -- Mention de l'explication donnée à l'adoption de l'art. 46(1) dans les Débats de la Chambre des communes -- Relativement à la question de savoir si la C.F. est le tribunal approprié, la protonotaire a correctement retenu les facteurs à prendre en considération dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire d'ordonner une suspension.

Droit maritime -- Transport de marchandises -- Une société américaine a expédié 170 caisses de New York au Libéria, mais il manquait 99 caisses dans le conteneur à l'arrivée -- Le connaissement a été délivré à Toronto et le fret maritime y était payable -- Les défenderesses avaient un bureau à Toronto -- Demande en subrogation d'une société d'assurance de Toronto -- Requête en annulation de la décision de la protonotaire de refuser la suspension -- Relativement à la question de la compétence, les demanderesses ont invoqué l'art. 46 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime et les défenderesses, la clause d'élection de for du connaissement et la doctrine du forum non conveniens -- Mention de l'explication donnée à l'adoption de l'art. 46(1) dans les Débats de la Chambre des communes: les petits exportateurs canadiens sont nettement désavantagés face aux grandes lignes de navigation dans les salles de conseil ou les tribunaux britanniques -- Il est difficile et exorbitant de s'adresser à une juridiction étrangère pour le règlement d'une créance peu importante -- Les honoraires des avoués et avocats britanniques sont très élevés -- La protonotaire a refusé la suspension à bon droit.

Juges et tribunaux -- Protonotaires -- Requête en annulation de la décision de la protonotaire de refuser la suspension dans une instance intéressant le transport maritime de marchandises -- Norme de contrôle applicable -- Application du critère formulé dans Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd. -- Examen de l'arrêt Z.I. Pompey Industrie c. Ecu-Line N.V. de la C.S.C., portée limitée -- La décision attaquée n'avait pas une influence déterminante sur l'issue du principal -- La protonotaire n'a pas commis d'erreur en concluant que les demanderesses n'avaient pas acquiescé à la compétence de la H.C.J. -- Elle a interprété restrictivement l'arrêt Incremona-Salerno Marmi Affini Siciliani (I.S.M.A.S.) s.n.c. c. Castor (Le) de la C.A.F. -- Elle a correctement retenu les facteurs à prendre en considération pour déterminer s'il y a lieu d'accorder une suspension.

Il s'agit d'une requête en annulation de l'ordonnance rendue par une protonotaire dans une action réelle en amirauté intentée par suite de la perte partielle d'une cargaison expédiée en conteneur par voie maritime. Les demanderesses, Magic Sportswear Corp. et Blue Banana, étaient respectivement chargeur et consignataire des marchandises. Les défenderesses avaient présenté une requête pour suspension de l'action en se fondant sur la clause d'élection de for figurant dans le connaissement et sur la doctrine du forum non conveniens. Les demanderesses ont soutenu que la Cour fédérale avait compétence en invoquant l'article 46 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, en vertu duquel un tribunal canadien compétent peut être saisi d'une action, même lorsque le contrat de transport prévoit le renvoi devant une autre juridiction, si le port de chargement ou de déchargement est situé au Canada, si le défendeur a un établissement au Canada ou si le contrat a été conclu au Canada.

La demanderesse Magic Sportswear, une société américaine, a expédié de New York 170 caisses de marchandise à Blue Banana au Libéria. Les demanderesses ont prétendu qu'il manquait 99 caisses à l'arrivée. Leurs témoins sont presque tous au Libéria, mais quelques-uns peuvent se trouver à New York. La défenderesse OT Africa Line a délivré le connaissement à Toronto et c'est là que le fret maritime était payable. Les défenderesses ont des bureaux et un centre d'appel dans la région de Toronto. L'action en dommages-intérêts de 30 000 $ était une demande en subrogation d'une compagnie d'assurance établie à Toronto. Les défenderesses se sont adressées à la Haute Cour de justice, en Angleterre, pour être exonérées de toute responsabilité, mais les demanderesses ont indiqué qu'elles contesteraient la compétence de ce tribunal. Toutefois, les défenderesses ont obtenu, à la suite d'une requête ex parte, une «injonction interdisant les poursuites» empêchant les demanderesses d'aller de l'avant devant la Cour fédérale, puis elles ont présenté leur requête visant la suspension de l'instance canadienne. La protonotaire a refusé la suspension. La Cour devait déterminer 1) quelle était la norme de contrôle applicable et 2) s'il y avait lieu d'annuler la décision de la protonotaire.

Jugement: la requête doit être rejetée.

Il ne convient pas de modifier en appel les ordonnances discrétionnaires rendues par les protonotaires, sauf si elles sont entachées d'erreur flagrante parce qu'elles sont fondées sur un mauvais principe ou qu'elles découlent d'une mauvaise appréciation des faits ou si elles portent sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, auquel cas le juge siégeant en appel doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire de novo. La décision de la protonotaire n'avait pas une influence déterminante sur la décision finale quant au fond. Plutôt que d'exercer son propre pouvoir discrétionnaire de novo, la Cour doit établir si la décision de la protonotaire était entachée d'erreur flagrante parce qu'elle était fondée sur un mauvais principe ou découlait d'une mauvaise appréciation des faits.

Selon les défenderesses, la protonotaire a commis une erreur en concluant que les demanderesses n'avaient pas acquiescé à la compétence de la Haute Cour de Londres et que le Canada était un for approprié. Le contrat de transport prévoyait que tout différend ressortissait au droit anglais et à la Haute Cour de Londres, mais que si le transport faisait intervenir des ports canadiens ou américains le connaissement serait assujetti à la Carriage of Goods by Sea Act 1936 des États-Unis ou à la Loi sur le transport des marchandises par eau du Canada (1936).

Les demanderesses ont soutenu que l'article 46 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime confère compétence à la Cour et la prive du pouvoir discrétionnaire d'accorder une suspension sous le régime de l'article 50 de la Loi sur les Cours fédérales. Les défenderesses ont fait valoir que l'article 46 n'empêche pas la Cour d'effectuer une analyse fondée sur la doctrine du forum non conveniens. La protonotaire avait cité l'arrêt Z.I. Pompey Industrie c. ECU-Line N.V., dans lequel la Cour suprême du Canada a statué que l'article 46 prive la Cour fédérale du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par l'article 50 de la Loi sur les Cours fédérales de suspendre une instance en raison de l'existence d'une clause d'élection de for, si les exigences de l'article 46 sont remplies. La protonotaire a également considéré que la décision de la Cour d'appel fédérale, Incremona-Salerno Marmi Affini Siciliani (I.S.M.A.S.) s.n.c. c. Castor (Le) appuyait la conclusion que l'article 46 annule l'effet déterminant des clauses d'élection de for, mais elle a conclu qu'il ne la prive pas du pouvoir de tenir compte de la doctrine du forum non conveniens et d'ordonner une suspension dans les circonstances appropriées. Ce raisonnement limitait la portée de l'arrêt Z.I. Pompey Industrie, dans lequel la Cour suprême a statué que le législateur semble avoir jugé opportun, dans des circonstances bien précises, de limiter la portée des clauses d'élection de for pour faciliter l'instruction au Canada des demandes se rapportant au transport maritime de marchandises et ayant un lien minimal avec notre pays. La protonotaire a aussi donné une interprétation restrictive à l'arrêt Incremona-Salerno en concluant que la Cour devrait quand même ordonner une suspension en application de la doctrine du forum non conveniens.

La Cour a approuvé la décision de la protonotaire. Le paragraphe 46(1) investit la Cour de la compétence simpliciter d'examiner une créance dans le cas où se trouve remplie l'une ou l'autre des conditions énoncées aux alinéas 46(1)a), b) ou c), malgré les stipulations contraires d'une clause d'élection de for. En plus de l'arrêt Z.I. Pompey Industrie, la Cour a cité les propos du député de St. John's East rapportés dans les Débats de la Chambre des communes du 9 mai 2001, selon lesquels «une culture s'est installée selon laquelle la plupart des différends sont réglés dans des salles de conseil et des tribunaux britanniques. Cela fait l'affaire des grandes lignes de navigation et des gens de robe britanniques. Cependant, je suis d'avis que, dans un tel contexte, un petit exportateur canadien serait nettement désavantagé face aux grandes lignes de navigation, de sorte que nous sommes favorables à l'affirmation de la compétence canadienne». Le président de l'Association canadienne de droit maritime à l'époque a fait écho à ces propos en affirmant devant le Comité permanent des transports que «le règlement de créances peu élevées peut être source de nombreux problèmes et entraîner des coûts exorbitants si on est obligé d'intenter une procédure judiciaire ou arbitrale dans un pays étranger».

Toutefois, la Cour n'est pas disposée à donner à l'arrêt Z.I. Pompey ou aux débats parlementaires une interprétation aussi large que le proposent les demanderesses. La Cour est sans aucun doute un for compétent pour examiner la question considérée, mais il reste à établir si elle est le for le plus approprié. La protonotaire a correctement relevé les facteurs à prendre en considération pour décider si elle devait ou non exercer le pouvoir discrétionnaire d'ordonner une suspension. Elle a tenu compte de la valeur des marchandises et du fait que les véritables demanderesses se trouvaient au Canada et que les défenderesses y avaient des intérêts commerciaux. Le fait que la plupart des témoins se trouvaient à Monrovia et à New York ne favorisait ni l'Angleterre ni le Canada.

Elle n'a pas commis d'erreur non plus en concluant que les demanderesses n'avaient pas acquiescé à la compétence de la Haute Cour de justice anglaise. Bien qu'elles n'aient pas déposé de documents en vue de contester la compétence du tribunal dans le délai de 28 jours suivant le dépôt indiqué dans l'avis d'accusé de réception déposé devant la Haute Cour, les commentaires accompagnant les Règles de procédure anglaises indiquent que la question peut être tranchée à une date ultérieure.

lois et règlements cités

Loi sur la responsabilité en matière maritime, L.C. 2001, ch. 6, art. 46.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 50 (mod., idem, art. 46), 57.

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règle 51.

jurisprudence citée

décisions appliquées:

Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425; [1993] 1 C.T.C. 186; (1993), 93 DTC 5080; 149 N.R. 273 (C.A.); Z.I. Pompey Industrie c. ECU-Line N.V., [2003] 1 R.C.S. 450; (2003), 224 D.L.R. (4th) 577; 30 C.P.C. (5th) 1.

décision examinée:

Incremona-Salerno Marmi Affini Siciliani (I.S.M.A.S.) s.n.c. c. Castor (Le), [2003] 3 C.F. 220; (2002), 297 N.R. 151 (C.A.).

décision citée:

Jian Sheng Co. c. Great Tempo S.A., [1998] 3 C.F. 418; (1998), 225 N.R. 140 (C.A.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [1998] 3 R.C.S. vi.

doctrine citée

Canada. Parlement. Chambre des communes. Comité permanent des transports et des opérations gouvernementales. Témoignages, 1re session, 37e législature (27 mars 2001).

Débats de la Chambre des communes, no 058, 1re session, 37e législature (9 mai 2001).

REQUÊTE en vue de l'obtention d'une ordonnance visant à faire annuler l'ordonnance d'un protonotaire ayant refusé la suspension d'une action se rapportant au transport de marchandises par voie maritime intentée devant la Cour fédérale (Magic Sportswear Corp. c. OT Africa Line Ltd., 2003 CF 1513; [2003] A.C.F. no 1933 (QL)). Requête rejetée.

ont comparu:

Marc D. Isaacs pour les demanderesses.

C. William Hourigan pour les défenderesses.

avocats inscrits au dossier:

Strathy & Associates, Toronto, pour les demanderesses.

Fasken Martineau DuMoulin LLP, Toronto, pour les défenderesses.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance et ordonnance rendus par

[1]Le juge O'Keefe: Il s'agit d'une requête présen-tée par les défenderesses, OT Africa Line Ltd. et OT Africa Line, sous le régime de la règle 51 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS 98-106, par laquelle elles sollicitent:

1. une ordonnance d'annulation de l'ordonnance de la protonotaire Milczynski en date du 22 décembre 2003;

2. une ordonnance accueillant la requête des défenderesses, OT Africa Line et OT Africa Line Ltd., en suspension de l'action considérée;

3. les dépens afférents à la présente requête et à la requête instruite par la protonotaire Milczynski, sur une base procureur-client;

4. toute autre réparation que les avocats recommanderont et que la Cour jugera adéquate.

[2]La protonotaire a exposé comme suit le contexte et les faits pertinents dans sa décision, qu'on trouvera à la référence 2003 CF 1513; [2003] A.C.F. no 1933 (QL) [aux paragraphes 2 à 9]:

La présente action découle d'une demande se rapportant à la perte partielle d'une cargaison de marchandises qui avaient été expédiées par mer dans un conteneur. Les demanderesses, Magic Sportswear Corp. et Blue Banana, étaient respectivement chargeur et consignataire des marchandises. Les défenderesses, OT Africa Line Ltd. et OT Africa Line, étaient les transporteurs.

Cette requête a été présentée par les défenderesses, qui cherchaient à faire suspendre l'action en se fondant sur la clause d'élection de for figurant dans le connaissement se rapportant à l'expédition des marchandises ainsi que sur la doctrine du forum non approprié. Les demanderesses affirment qu'elles ont droit à ce que leur demande soit tranchée par la présente cour compte tenu de l'article 46 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime ou, subsidiairement, compte tenu de la doctrine du forum non approprié.

Les faits

La demanderesse Magic Sportswear Corp. est une société constituée aux États-Unis qui a expédié 170 caisses de marchandises par conteneur de la ville de New York à la société demanderesse Blue Banana, à Monrovia, Libéria. Les demanderesses affirment que, lorsque le conteneur est arrivé à Monrovia, 99 des 170 caisses manquaient.

La résolution d'un litige factuel concernant la cargaison manquante dépend de la preuve soumise par les témoins présents lorsqu'on a ouvert le conteneur, à Monrovia. Les demanderesses affirment que tous ces témoins sont au Libéria. D'autres témoins des demanderesses, venant de New York, peuvent être cités.

La défenderesse OT Africa Line a délivré un connaissement en vue de l'expédition le 5 février 2002, à Toronto, Canada. Le fret maritime était payable à Toronto, Canada. Compte tenu de certains éléments de preuve, je conclus qu'en fait, la défenderesse OT Africa Line a des bureaux, maintient un centre téléphonique et exploite son entreprise depuis des bureaux situés dans la région de Toronto et exploite cette entreprise par l'entremise d'une agence (Seabridge International Shipping Inc., ou OTAL North America) dans la Région du Grand Toronto.

Les demanderesses ont intenté leur action en dommages-intérêts, d'un montant de 30 000 $, devant la présente cour le 1er août 2003 et ont signifié un avis à OT Africa Line, à son bureau de la région de Toronto, le 15 août 2003. La demande est en fait une demande en subrogation d'une compagnie d'assurance établie à Toronto, qui avait versé une indemnité aux demanderesses pour la perte des marchandises conformément à leur police.

Le 3 septembre 2003, OT Africa Line a engagé des procédures devant la Haute cour de justice, en Angleterre, en vue d'obtenir une décision l'exonérant de toute responsabilité à l'égard de la perte subie par les demanderesses. L'avis y afférent a été signifié aux demanderesses qui, le 28 octobre 2003, ont déposé un accusé de réception de la signification indiquant qu'elles contesteraient la compétence des tribunaux anglais. Toutefois, les demanderesses n'ont pas pris d'autres mesures à cet égard; elles soutiennent qu'elles attendaient le résultat de la présente requête.

Le 8 septembre 2003, à la suite de la présentation d'une requête ex parte devant le tribunal anglais, les défendeurs ont obtenu une [traduction] «injonction interdisant les poursuites» empêchant les demanderesses d'aller de l'avant dans la présente action et, le 9 septembre 2003, les défendeurs ont présenté la requête ici en cause visant la suspension des procédures canadiennes.

Les dispositions et règles applicables

[3]Le paragraphe 46(1) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, L.C. 2001, ch. 6, dispose ce qui suit:

46. (1) Lorsqu'un contrat de transport de marchandises par eau, non assujetti aux règles de Hambourg, prévoit le renvoi de toute créance découlant du contrat à une cour de justice ou à l'arbitrage en un lieu situé à l'étranger, le réclamant peut, à son choix, intenter une procédure judiciaire ou arbitrale au Canada devant un tribunal qui serait compétent dans le cas où le contrat aurait prévu le renvoi de la créance au Canada, si l'une ou l'autre des conditions suivantes existe:

a) le port de chargement ou de déchargement--prévu au contrat ou effectif--est situé au Canada;

b) l'autre partie a au Canada sa résidence, un établissement, une succursale ou une agence;

c) le contrat a été conclu au Canada.

[4]Le paragraphe 50(1) [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 46] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 [art. 1 (mod. idem, art. 14)], porte les dispositions suivantes:

50. (1) La Cour d'appel fédérale et la Cour fédérale ont le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures dans toute affaire:

a) au motif que la demande est en instance devant un autre tribunal;

b) lorsque, pour quelque autre raison, l'intérêt de la justice l'exige.

[5]Le paragraphe 51(1) des Règles de la Cour fédérale (1998) est libellé comme suit:

51. (1) L'ordonnance du protonotaire peut être portée en appel par voie de requête présentée à un juge de la Section de première instance.

Les questions en litige

[6]Les deux questions en litige dans la présente espèce sont les suivantes:

1.     Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.     La décision de la protonotaire devrait-elle être annulée?

Analyse et décision

[7]La première question en litige

Quelle est la norme de contrôle applicable?

Le juge MacGuigan de la Cour d'appel fédérale a formulé les observations suivantes concernant la norme de contrôle à appliquer à l'appel d'une décision de protonotaire dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 [aux pages 462 et 463]:

Je souscris aussi en partie à l'avis du juge en chef au sujet de la norme de révision à appliquer par le juge des requêtes à l'égard des décisions discrétionnaires de protonotaire. Selon en particulier la conclusion tirée par lord Wright dans Evans v. Bartlam, [1937] A.C. 473 (H.L.) à la page 484, et par le juge Lacourcière, J.C.A., dans Stoicevski v. Casement (1983), 43 O.R. (2d) 436 (C. div.), le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants:

a) l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits,

b) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal.

Si l'ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.

Il poursuit son raisonnement, aux pages 464 et 465 dans les termes suivants:

La matière soumise en l'espèce au protonotaire peut être considérée comme interlocutoire seulement parce qu'il a prononcé en faveur de l'appelante. Eût-il prononcé en faveur de l'intimée, sa décision aurait résolu définitivement la cause; voir P-G du Canada c. S.F. Enterprises Inc. et autre (1990), 90 DTC 6195 (C.A.F.) aux pages 6197 et 6198; Ainsworth v. Bickersteth et al., [1947] O.R. 525 (C.A.). Il me semble qu'une décision qui peut être ainsi soit interlocutoire soit définitive selon la manière dont elle est rendue, même si elle est interlocutoire en raison du résultat, doit néanmoins être considérée comme déterminante pour la solution définitive de la cause principale. Autrement dit, pour savoir si le résultat de la procédure est un facteur déterminant de l'issue du principal, il faut examiner le point à trancher avant que le protonotaire ne réponde à la question, alors que pour savoir si la décision est interlocutoire ou définitive (ce qui est purement une question de forme), la question doit se poser après la décision du protonotaire. Il me semble que toute autre approche réduirait la question de fond de «l'influence déterminante sur l'issue du principal» à une question purement procédurale de distinction entre décision interlocutoire et décision définitive, et protégerait toutes les décisions interlocutoires contre les attaques (sauf le cas d'erreur de droit).

[8]La Cour suprême du Canada a adopté la même approche dans l'arrêt Z.I. Pompey Industrie c. ECU-Line N.V., [2003] 1 R.C.S. 450, au paragraphe 18:

Le juge des requêtes ne doit modifier l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire que dans les cas suivants: a) l'ordonnance est entachée d'une erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire sur le fondement d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits, ou b) le protonotaire a mal exercé son pouvoir discrétionnaire relativement à une question ayant une influence déterminante sur la décision finale quant au fond: Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.), le juge MacGuigan, p. 462-463.

[9]Dans la présente espèce, la protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire de refuser une suspension des procédures, ce qui n'est pas une question ayant une influence déterminante sur la décision finale quant au fond: Jian Sheng Co. c. Great Tempo S.A., [1998] 3 C.F. 418 (C.A.), autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [1998] 3 R.C.S. vi. Par conséquent, je ne dois pas exercer mon pouvoir discrétionnaire pour reprendre l'affaire depuis le début, mais il m'incombe plutôt d'établir maintenant si l'ordonnance de la protonotaire «est entachée d'une erreur flagrante, en ce sens [qu'elle] a exercé son pouvoir discrétionnaire sur le fondement d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits».

[10]La seconde question en litige

La décision de la protonotaire devrait-elle être annulée?

Les défenderesses soutiennent que la protonotaire a commis une erreur en concluant que les demanderesses n'avaient pas acquiescé à la compétence de la Haute Cour de Londres et qu'elle a commis une autre erreur en posant que le Canada était un for approprié à l'instruction de l'affaire.

[11]Le contrat de transport passé entre les parties contenait une clause d'élection de for ainsi libellée:

[traduction]

25. DROIT ET COMPÉTENCE

1) Tout différend qui s'élèverait entre les parties relativement à l'exécution du connaissement ressortit exclusivement au droit anglais et à la Haute Cour de Londres.

2) Toute stipulation du présent contrat qui serait incompatible avec une convention internationale ou une loi nationale applicables auxquelles il ne peut être dérogé par contrat privé est nulle et de nul effet dans la seule mesure de cette incompatibilité.

[12]La clause 24 est rédigée comme suit:

[traduction]

24. ÉTATS-UNIS ET CANADA

S'il s'applique au transport des marchandises vers des ports, ou en provenance de ports, des États-Unis d'Amérique ou du Canada, le connaissement relève de la United States Carriage of Goods by Sea Act 1936 et/ou de la Loi sur le transport de marchandises par eau (Canada, 1936), lesquelles sont incorporées dans le présent contrat, et leurs dispositions sont d'application avant le chargement, après le déchargement et durant tout le temps où les marchandises sont sous la garde du transporteur. Toute disposition de ces lois qui invaliderait ou priverait de force exécutoire une clause du présent contrat n'influe sur la validité ou la force exécutoire d'aucune autre de ses clauses. Le transporteur n'est responsable à aucun titre des pertes, avaries ou retards de transport qui surviendraient pendant que les marchandises ne sont pas sous sa garde effective.

[13]L'effet de la Loi sur la responsabilité en matière maritime

Nous reproduisons ci-dessous, pour la commodité du lecteur, l'article 46 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime:

46. (1) Lorsqu'un contrat de transport de marchandises par eau, non assujetti aux règles de Hambourg, prévoit le renvoi de toute créance découlant du contrat à une cour de justice ou à l'arbitrage en un lieu situé à l'étranger, le réclamant peut, à son choix, intenter une procédure judiciaire ou arbitrale au Canada devant un tribunal qui serait compétent dans le cas où le contrat aurait prévu le renvoi de la créance au Canada, si l'une ou l'autre des conditions suivantes existe:

a) le port de chargement ou de déchargement--prévu au contrat ou effectif--est situé au Canada;

b) l'autre partie a au Canada sa résidence, un établissement, une succursale ou une agence;

c) le contrat a été conclu au Canada.

[14]Les demanderesses soutiennent que cet article a pour effet d'investir la Cour fédérale de la compétence pour entendre l'action considérée relative à la perte de leurs marchandises et la prive du pouvoir discrétionnaire d'accorder une suspension sous le régime de l'article 50 de la Loi sur les Cours fédérales. Les défenderesses, quant à elles, font valoir que cet article ne fait que conférer une compétence simpliciter et laisse à la Cour la possibilité de passer à l'étape suivante consistant à effectuer une analyse fondée sur la doctrine du forum non conveniens.

[15]La protonotaire formule les observations suivantes aux paragraphes 15 et 16 de sa décision:

Au paragraphe 37 de l'arrêt Z.I. Pompey, la Cour suprême dit que «le paragraphe 46(1) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime prive la Cour fédérale, en présence de l'une ou l'autre des conditions énoncées aux alinéas 46(1)a), b) ou c), du pouvoir discrétionnaire que lui confère l'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale de suspendre les procédures pour donner effet à une clause d'élection de for» (non souligné dans l'original). De même, au paragraphe 13 de l'arrêt Incremona-Salerno, la Cour d'appel fédérale dit ce qui suit:

Cette disposition a pour effet de retirer à la présente Cour le pouvoir discrétionnaire conféré à l'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale lorsqu'il s'agit de suspendre les procédures en raison de l'existence d'une clause de compétence ou d'arbitrage s'il est satisfait aux exigences des alinéas 46(1)a), b) ou c). En l'espèce, si l'avis exprimé par le juge des requêtes est exact, l'alinéa 46(1)a) empêcherait les appelants d'obtenir une suspension fondée sur la clause 25 du connaissement [qui prévoyait que tout litige serait tranché à Hambourg, en Allemagne] étant donné que le déchargement a eu lieu au port de Halifax. Par conséquent, si le paragraphe 46(1) s'applique à l'instance ici en cause, les demandes de suspension présentées par les appelants seront probablement rejetées. [Non souligné dans l'original.]

Ces passages montrent clairement que l'article 46 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime annule l'effet déterminant des clauses d'élection de for en vertu desquelles une décision devrait être rendue dans un ressort autre que le Canada. Cela n'écarte pas la compétence qui est conférée à la Cour par l'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale, la Cour pouvant exercer son pouvoir discrétionnaire, le cas échéant, en vue d'ordonner la suspension des procédures et tenir notamment compte de la doctrine du forum non approprié.

[16]Selon l'approche adoptée par la protonotaire, l'article 46 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime ne fait que priver la Cour du pouvoir discrétionnaire que lui confère l'article 50 de la Loi sur les Cours fédérales de suspendre les procédures pour donner effet à une clause d'élection de for, et non de «la compétence qui est conférée à la Cour par l'article 50 de la Loi sur [les] Cour[s] fédérale[s], la Cour pouvant exercer son pouvoir discrétionnaire, le cas échéant, en vue d'ordonner la suspension des procédures et tenir notamment compte de la doctrine du forum non approprié».

[17]Le raisonnement de la protonotaire limite la portée de l'arrêt Z.I. Pompey Industrie de la Cour suprême du Canada, dont les paragraphes 37 et 38 portent les observations suivantes:

Entré en vigueur le 8 août 2001, le par. 46(1) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime prive la Cour fédérale, en présence de l'une ou l'autre des conditions énoncées aux al. 46(1)a), b) ou c), du pouvoir discrétionnaire que lui confère l'art. 50 de la Loi sur la Cour fédérale de suspendre les procédures pour donner effet à une clause d'élection de for. Le fait que le port de chargement ou de déchargement effectif est situé au Canada fait partie des conditions énoncées. Dans la présente affaire, nul ne contesterait que la Cour fédérale a compétence pour connaître de la demande des intimées si ce n'était que l'art. 46 ne s'applique pas aux procédures engagées avant son entrée en vigueur: Incremona-Salerno Marmi Affini Siciliani (I.S.M.A.S.) s.n.c. c. Castor (Le), [2002] A.C.F. no 1699 (QL), 2002 CAF 479, par. 13-24. L'article 46 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime n'est donc pas pertinent en l'espèce.

En fait, il semblerait, à la lecture du par. 46(1), que le législateur a jugé opportun, dans des circonstances bien précises, de limiter la portée des clauses d'élection de for en facilitant l'instruction au Canada des demandes se rapportant au transport maritime de marchandises et ayant un lien minimal avec notre pays. Cette mesure législative ne justifie cependant pas le revirement jurisprudentiel fondamental de la Cour d'appel en l'espèce. Au contraire, le par. 46(1) témoigne de l'intention du législateur de n'élargir la compétence de la Cour fédérale que dans des cas bien particuliers que pourra facilement identifier le protonotaire saisi d'une demande de suspension fondée sur la clause d'élection de for d'un connaissement. Le paragraphe 46(1) n'oblige aucunement le protonotaire à examiner le bien-fondé de l'instance, une démarche conforme aux objectifs généraux de certitude et d'efficacité sous-jacents à ce domaine du droit.

La protonotaire propose aussi une interprétation restrictive de l'arrêt Incremona-Salerno Marmi Affini Siciliani (I.S.M.A.S.) s.n.c. c. Castor (Le), [2003] 3 C.F. 220, en concluant que le paragraphe 46(1) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime n'écarte pas la compétence de la Cour pour ordonner une suspension des procédures au motif que le Canada ne serait pas un for approprié.

[18]Après examen de la décision de la protonotaire, je ne peux qu'approuver sa conclusion.

[19]Premièrement, je souscris à l'idée que le paragraphe 46(1) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime investit la Cour de la compétence simpliciter pour examiner une créance dans le cas où se trouve remplie l'une ou l'autre des conditions énoncées aux alinéas 46(1)a), b) ou c), malgré les stipulations contraires d'une clause d'élection de for. Je suis conforté dans cette conclusion par le paragraphe 38 de l'arrêt Z.I. Pompey Industrie ainsi que par les discussions éclairant le contexte du paragraphe 46(1) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime dont il est rendu compte dans les Débats de la Chambre des communes, no 058, 1re sess., 37e lég., 9 mai 2001, à la page 1645, et dont j'extrais le passage suivant de l'intervention du député de St. John's-Est, M. Norman Doyle:

Une modification qui a soulevé un débat au comité porte sur les dispositions prévues à l'article 46 et qui vise à étendre la compétence des tribunaux canadiens pour qu'ils puissent traiter les créances liées au transport des importateurs et des exportateurs du Canada. Les représentants des lignes de navigation ne voulaient pas que la compétence canadienne soit précisée, préférant que des dispositions sur la procédure judiciaire ou arbitrale soient inscrites dans leurs contrats de transport.

D'ailleurs, une culture s'est installée selon laquelle la plupart des différends sont réglés dans des salles de conseil et des tribunaux britanniques. Cela fait l'affaire des grandes lignes de navigation et des gens de robe britanniques. Cependant, je suis d'avis que, dans un tel contexte, un petit exportateur canadien serait nettement désavantagé face aux grandes lignes de navigation, de sorte que nous sommes favorables à l'affirmation de la compétence canadienne.

[20]Il convient de retenir aussi à ce propos les observations qu'a formulées M. James Gould, alors président de l'Association canadienne de droit maritime, devant le Comité permanent des transports et des opérations gouvernementales (Canada, Chambre des communes, Comité permanent des transports et des opérations gouvernementales, Témoignages, 27 mars 2001, pages 1205 et 1210). Je citerai le passage suivant du témoignage de M. Gould:

L'ACDM est favorable à l'adoption de la clause de juridiction énoncée à l'article 46 du projet de loi S-2. Elle reflète, dans une certaine mesure, les dispositions des articles 21 et 22 des règles de Hambourg qui, comme vous le savez, ont été annexées à notre Loi sur le transport des marchandises par eau. Elles n'ont toutefois pas encore été promulguées.

La Fédération maritime du Canada, membre prisé de notre association, et la Chamber of Shipping of British Columbia appuient le projet de loi, mais se sont prononcées contre la clause de juridiction. Or, nous sommes en faveur de cette clause parce qu'elle permet à un réclamant canadien--et il s'agit bien d'un choix qu'on lui offre--d'intenter une procédure judiciaire ou arbitrale au Canada, dans les cas où le lien avec le Canada est clairement établi. Elle fournirait un avantage aux exportateurs et importateurs canadiens dont le seul choix serait d'abandonner leur demande de réclamation ou d'intenter une procédure judiciaire ou arbitrale dans un pays étranger.

De manière plus précise, le règlement de créances peu élevées peut être source de nombreux problèmes et entraîner des coûts exorbitants si on est obligé d'intenter une procédure judiciaire ou arbitrale dans un pays étranger. En Angleterre, par exemple, il faudra peut-être faire appel à un avoué, qui peut commander entre 250 et 300 livres, ou plus, l'heure, et aussi à un avocat, ce qui fera augmenter les coûts, leurs honoraires étant identiques ou plus élevés. Même les hôtels coûtent cher là-bas. L'expérience peut donc s'avérer fort coûteuse.

Je crois également comprendre qu'au Japon, par exemple, même si le contrat est conclu en anglais entre des Japonais, ou avec des Japonais, tous les documents doivent être traduits en japonais avant qu'une poursuite ne puisse être intentée, ce qui peut constituer tout un fardeau.

Par ailleurs, le Canada ne serait pas le seul à adopter une telle clause. Comme on l'a mentionné ce matin, plusieurs pays très importants ont déjà adopté des dispositions similaires à l'article 46. Parmi ceux-ci figurent l'Australie et la Nouvelle-Zélande, qui exigent que le réclamant intente une procédure judiciaire ou arbitrale dans ce pays, tout autre recours étant jugé nul. C'est ce que dit la disposition.

Cette clause a également été reprise par les quatre pays nordiques, soit la Suède, le Danemark, la Finlande et la Norvège--des pays qui possèdent tous des navires, ce qui est significatif--et aussi par l'Afrique du Sud et la République populaire de Chine, qui représente un vaste marché.

[21]S'il est vrai que ces remarques tirées d'un témoignage devant un comité permanent de la Chambre des communes ne peuvent avoir d'effet déterminant sur ma décision, le contexte qu'elles illustrent étaye mon interprétation du paragraphe 46(1) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime et est compatible avec le raisonnement formulé par la Cour suprême du Canada au paragraphe 37 de l'arrêt Z.I. Pompey Industrie. S'il est vrai que la Loi sur la responsabilité en matière maritime refuse manifestement à la Cour la compétence pour ordonner une suspension des procédures sur la base d'une clause d'élection de for (ce qui est une question de compétence simpliciter), je ne puis donner à l'arrêt Z.I. Pompey ou aux débats du Parlement une interprétation aussi large que celle que les demanderesses me pressent d'adopter. La Cour est sans aucun doute un for compétent pour examiner la question considérée, mais il reste à établir si elle est le for le plus approprié.

[22]En outre, j'estime que l'analyse proposée par la protonotaire sur la base de la doctrine du forum non conveniens n'est pas entachée d'une erreur flagrante et qu'elle n'a pas exercé son pouvoir discrétionnaire sur le fondement d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits. Elle a correctement relevé (au paragraphe 18) les facteurs à prendre en considération pour décider si elle devait ou non exercer le pouvoir discrétionnaire d'ordonner une suspension de l'action portée devant la Cour:

En l'espèce, compte tenu des faits dans l'ensemble et des circonstances relatives à l'expédition des marchandises de New York à Monrovia, y compris la valeur des marchandises, le fait que les véritables demanderesses sont au Canada, que les défendeurs ont des intérêts commerciaux au Canada, et plus particulièrement, que presque tous les témoins importants, sinon tous, doivent venir de Monrovia ou de New York (facteur ne favorisant ni l'Angleterre ni le Canada), je conclus que la présente cour est le forum le plus commode et le plus approprié aux fins de la détermination de la demande des demanderesses, y compris l'interprétation et l'application du droit anglais.

[23]Dans le cadre de son analyse fondée sur la doctrine du forum non conveniens, la protonotaire a conclu (au paragraphe 19 de sa décision) que les demanderesses n'avaient pas acquiescé à la compétence de la Haute Cour de justice anglaise:

Quant à l'argument des défendeurs selon lequel les demanderesses s'en sont remises à la compétence de la Haute cour de justice en Angleterre, je ne retiens pas cet argument. L'avis d'accusé de réception qui a été signé et déposé par les demanderesses devant la Haute cour exigeait qu'elles déposent les documents en vue de contester la compétence dans les 28 jours suivant le dépôt, mais les commentaires accompagnant les Règles de procédure anglaises indiquent que la question peut être tranchée à une date ultérieure. Il peut également y avoir une raison pratique pour laquelle les demanderesses ne se défendent pas devant les tribunaux anglais, à savoir que le coût associé à la poursuite d'une demande de 30 000 $ dans ce ressort l'emporte sur l'avantage que comporterait un résultat fructueux.

[24]À mon sens, la protonotaire n'a pas à cet égard commis d'erreur au sens de l'arrêt Aqua-Gem. Il me paraît qu'elle a correctement pris en considération les facteurs nécessaires pour conclure que la Cour est le for le plus approprié pour examiner la créance des demanderesses.

[25]La requête en appel des défenderesses est en conséquence rejetée.

[26]Les dépens afférents à la présente requête sont adjugés aux demanderesses.

ORDONNANCE

[27]LA COUR ORDONNE:

1.     La requête en appel des défenderesses est rejetée.

2.     Les dépens afférents à la requête sont adjugés aux demanderesses.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.