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2005 CAF 118

A-417-04

Greffier du Conseil privé (appelant)

c.

Jean Pelletier et Procureur général du Canada (intimés)

A-418-04

Greffier du Conseil privé (appelant)

c.

Michel Vennat et Procureur général du Canada (intimés)

Répertorié: Pelletier c. Canada (Procureur général) (C.A.F.)

Cour d'appel fédérale, juges Létourneau, Noël et Nadon, J.C.A.--Montréal, 4 et 7 avril 2005.

Preuve -- Opposition à la divulgation -- Renseignements confidentiels du Cabinet -- Appels d'ordonnances de la C.F. qui a conclu que les attestations de confidentialité délivrées en vertu de l'art. 39 de la Loi sur la preuve au Canada pour s'opposer à la production de certains documents demandés par les intimés étaient entachées d'un défaut fatal parce qu'elles ne contenaient aucun détail utile quant à la date, à l'auteur, au titre, ni au contenu des documents -- La C.F. a également conclu, après avoir examiné le contenu d'un document divulgué accidentellement, que ce document ne contenait pas des renseignements confidentiels -- Les exigences relatives aux attestations ont été identifiées par la C.S.C. dans l'arrêt Babcock c. Canada (Procureur général) -- Le privilège de l'art. 39 n'est pas irrémédiablement perdu du fait de légères défaillances dans l'attestation et le greffier du Conseil privé a le droit de remédier à l'insuffisance de la description des documents dans l'attestation -- Il n'y a aucune renonciation au privilège de l'art. 39 dans la présente affaire mais, de toute façon, la renonciation relativement à certains documents ou renseignements ne constitue pas une renonciation relativement à d'autres documents ou renseignements -- L'objection fondée sur l'art. 39 exige que la Cour rende une décision à partir de l'attestation déposée -- La conclusion de la C.F. selon laquelle le document ne contenait pas de renseignements confidentiels est donc sans effet -- La note au Cabinet et ses recommandations sont indissociables -- Appels rejetés, sans préjudice au droit de l'appelant de déposer de nouvelles attestations.

Il s'agissait de deux appels, qui ont fait l'objet d'une audience commune, de deux ordonnances de la Cour fédérale qui avait conclu que les attestations présentées par le greffier du Conseil privé qui s'opposait, en se fondant sur l'art. 39 de la Loi sur la preuve au Canada, à la production de certains documents (c.-à-d. une note et des recommandations au Conseil) demandés par les intimés, étaient entachées d'un défaut fatal.

Le juge était d'avis que les attestations ne contenaient aucun détail utile quant à la date, à l'auteur, au titre ni au contenu des documents pour lesquels on réclamait un privilège. Il a également examiné le contenu de l'un de ces documents, lequel avait été donné par inadvertance à l'un des intimés et déposé à la Cour, et il a conclu qu'il ne contenait pas de renseignements confidentiels.

Arrêt: les appels doivent être rejetés, sans préjudice au droit de l'appelant de déposer, dans chacun des deux dossiers, une nouvelle attestation.

Les exigences de forme requises pour une attestation de confidentialité, identifiées par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Babcock c. Canada (Procureur général), ont été appliquées aux documents ici en cause. Bien que certaines des exigences minimales d'identification des documents n'aient peut-être pas été respectées, le privilège de non-divulgation fondé sur l'article 39 n'est pas nécessairement perdu de manière irrémédiable à la moindre défaillance technique ou formelle de l'attestation. Le greffier du Conseil privé doit avoir la possibilité de remédier à l'insuffisance de la description des documents à l'égard desquels l'attestation de confidentialité est déposée. L'objectif des exigences d'identification suffisante des documents visés par l'attestation n'est pas de faire perdre le bénéfice du privilège, mais bien de permettre à la Cour de constater à la face même de l'attestation qu'il s'agit de renseignements confidentiels du Cabinet, qu'ils tombent sous le coup du paragraphe 39(2) de la Loi et que le Greffier n'a pas excédé les pouvoirs que la Loi lui confère.

Les déclarations faites par le premier ministre et le ministre des Transports, contenues dans un communiqué de presse, et la divulgation par inadvertance de l'un des documents en cause, ne constituaient pas des renonciations au privilège de non-divulgation. De toute façon, le fait de renoncer à la protection de l'article 39 en communiquant certains documents ou renseignements n'emporte pas une renonciation au droit d'invoquer l'article 39 relativement à d'autres documents ou renseignements.

Quant à l'examen par le juge du contenu de l'un des documents réclamés, sur une objection à la production de documents fondée sur l'article 39, la Cour est tenue de rendre une décision sur le bien-fondé de l'objection à partir de l'attestation déposée et elle n'a pas la compétence pour examiner le ou les documents en question. Alors qu'il n'y avait pas eu renonciation à la divulgation du document en question, la conclusion du juge que le document ne contenait pas de renseignements confidentiels, fondée sur l'examen de ce document, a été rendue en l'absence de compétence et était donc sans effet.

Enfin, une note au Cabinet, et la ou les recommandations qu'elle contient, sont indissociables pour fin de confidentialité.

lois et règlements cités

Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, art. 39 (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144, ann. VII, no 5).

jurisprudence citée

décisions appliquées:

Babcock c. Canada (Procureur général), [2002] 3 R.C.S. 3; (2002), 214 D.L.R. (4th) 193; [2002] 8 W.W.R. 585; 3 B.C.L.R. (4th) 1; 168 B.C.A.C. 50; 3 C.R. (6th) 1; 289 N.R. 341; 2002 CSC 57; Ainsworth Lumber Co. v. Canada (Attorney General), 2001 BCSC 225; [2001] B.C.J. no 220 (QL).

décision distincte:

Best Cleaners and Contractors Ltd. c. La Reine, [1985] 2 C.F. 293; (1985), 58 N.R. 295 (C.A.).

décision examinée:

Babcock v. Canada (Attorney General) (2000), 188 D.L.R. (4th) 678; [2000] 6 W.W.R. 581; 76 B.C.L.R. (3d) 35; 142 B.C.A.C. 161; 2000 BCCA 348.

APPELS de deux ordonnances de la Cour fédérale (2004 CF 1072; 2004 CF 1073; [2004] A.C.F. no 1291 (QL)), laquelle a conclu que les attestations déposées par le greffier du Conseil privé, en vertu de l'article 39 de la Loi sur la preuve au Canada, pour s'opposer à la production de certains documents demandés par les intimés, étaient entachées d'un défaut fatal. Appels rejetés, sans préjudice au droit de l'appelant de déposer de nouvelles attestations.

ont comparu:

Claude Joyal et Pascale C. Guay pour l'appelant (A-417-04; A-418-04).

Suzanne Côté pour l'intimé Jean Pelletier (A-417-04).

Alberto Martinez pour l'intimé, le procureur général du Canada (A-417-04).

Louis P. Bélanger et Patrick Girard pour l'intimé Michel Vennat (A-418-04).

Martine L. Tremblay pour l'intimé, le procureur général du Canada (A-418-04).

avocats inscrits au dossier:

Le sous-procureur général du Canada pour l'appelant (A-417-04; A-418-04).

Stikeman, Elliott S.E.N.C.R.L., s.r.l., Montréal, pour les intimés Jean Pelletier (A-417-04) et Michel Vennat (A-418-04).

Deslauriers, Jeansonne, Montréal, pour l'intimé, le procureur général du Canada (A-417-04).

Kugler, Kandestin S.E.N.C.R.L., Montréal, pour l'intimé, le procureur général du Canada (A-418-04).

Voici les motifs du jugement de la Cour prononcés à l'audience en français par

[1]Le juge Létourneau, J.C.A.: Nous sommes saisis de deux appels de deux ordonnances rendues par le juge Hugessen de la Cour fédérale dans les dossiers T-611-04 et T-668-04 [Pelletier c. Canada (Procureur général), 2004 CF 1072; 2004 CF 1073 impliquant respectivement, dans ces dossiers, les demandeurs M. Pelletier et M. Vennat. À quelques différences près que nous signalerons au cours des présents motifs, les deux appels mettent substantiellement en cause les mêmes questions. En outre, l'audition des appels fut commune. En conséquence, les présents motifs disposeront des deux appels.

[2]Dans les deux ordonnances qu'il a émises le 4 août 2004, le juge Hugessen a conclu qu'étaient déficientes au plan formel les attestations fournies par le greffier du Conseil privé (greffier), en vertu desquelles il s'opposait, en se fondant sur l'article 39 [mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144, ann. VII, no 5] de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5 (Loi), à la production de certains documents réclamés par les demandeurs.

[3]L'essence de la décision du juge se retrouve aux paragraphes 5, 6 et 7 des motifs de l'ordonnance qu'il a rendue dans chacun des dossiers:

À mon avis, il est clair sans l'ombre d'un doute que les deux documents décrits par le Greffier dans son annexe dans le cas Vennat ci-haut et le premier document décrit dans son annexe dans le cas Pelletier, souffrent d'un défaut formel et fatal. On n'en donne aucun détail utile quant à la date, à l'auteur, au titre ni au contenu des documents. Ce n'est pas par inadvertance que Madame le juge McLachlin a mentionné spécifiquement les exigences des règles de pratique de toutes les juridictions concernant une réclamation du privilège de l'avocat. Il faut spécifier adéquatement le document pour lequel on réclame un privilège afin de permettre non seulement de décider si la demande de privilège est bien fondée mais surtout afin de permettre d'identifier le document si à une étape subséquente des procédures on tente de l'introduire en preuve ou par un hasard quelconque ou même par inadvertance, il est produit devant la Cour. Dans le cas présent, pour les documents que j'ai mentionnés tout à l'heure, il n'en est rien, aucun détail utile n'est donné.

Pour ce qui est du deuxième document dans le cas Pelletier, un certain minimum de détail est donné en ce sens qu'on mentionne le nom de l'auteur de la recommandation. Il est possible que j'en viendrais à la conclusion que ce minimum de détail serait suffisant mais il n'est pas nécessaire que je tranche la question parce que dans le cas présent, le document en question a été produit au dossier de la Cour et est devant moi. L'on me demande de déclarer que cette production a été faite par inadvertance. Et cela aussi est possible. Mais le fait est qu'à présent, le document est devant moi et j'ai connaissance de son contenu. Son contenu est tel qu'il ne fait que reproduire pratiquement au texte la description qui en est donnée dans le décret attaqué, c'est-à-dire que c'est une recommandation en très peu de mots que la Gouverneure en conseil destitue monsieur Pelletier de ses fonctions.

Je dis, avec respect, que le Greffier du Conseil privé ne pouvait pas raisonnablement conclure qu'il était dans l'intérêt public de garder confidentiel ce document qui, je répète, est repris dans le texte même du décret qui est public. Il ne pouvait pas raisonnablement conclure ainsi, il a erré en droit en le faisant. [Nous soulignons.]

Les prétentions des parties

[4]L'appelant soumet que les attestations sont suffisantes en ce qui a trait aux documents auxquels elles réfèrent. Il ajoute que, contrairement à la prétention des intimés, il n'y a pas eu de renonciation au privilège de non-divulgation octroyé par l'article 39 de la Loi. Enfin, il soutient que le juge a eu tort d'examiner le contenu du document qui avait été remis à M. Pelletier par inadvertance et qui est couvert par l'attestation du greffier. Il s'agit, en l'occurrence, de la recommandation faite à la gouverneure en conseil de destituer M. Pelletier de ses fonctions.

[5]Enfin, à titre subsidiaire, l'appelant, en se fondant sur le but et les objectifs de l'article 39 de la Loi, se dit d'avis qu'au cas où nous en viendrions à la conclusion que les attestations étaient insuffisantes, il y a lieu de lui permettre de corriger le ou les défauts de forme par la production de nouvelles attestations qui rencontreraient les exigences légales en la matière.

[6]Pour leur part, les procureurs des intimés, sans qu'il n'y ait là de grandes surprises, s'opposent aux revendications de l'appelant. Ils endossent les motifs du juge de la Cour fédérale en ajoutant un certain nombre d'arguments dont nous ne retiendrons que les suivants, compte tenu de la conclusion à laquelle nous en sommes venus sur la suffisance des attestations.

[7]Tel que précédemment mentionné, les procureurs des intimés argumentent qu'il y a eu une renonciation au privilège de non-divulgation par l'appelant. Ils fondent leur prétention sur deux événements.

[8]Premièrement, le premier ministre et le ministre des Transports, dans un communiqué de presse du 1 mars 2004, auraient révélé une partie des délibérations du Conseil des ministres ayant, par ce fait même, renoncé à la confidentialité des délibérations du Cabinet que le privilège cherche et tend à protéger.

[9]Deuxièmement, dans le cas de M. Pelletier, la divulgation de la recommandation faite à la gouverneure générale en counseil n'est pas le fruit d'une erreur ou inadvertance, mais plutôt la résultante de la négligence de l'appelant. À cela s'est ajouté, selon eux, un manque de diligence à réparer la soi-disante erreur et à récupérer le document, ce qui confirme, à leurs yeux, que la divulgation était volontaire.

[10]Selon les intimés, le juge a eu raison de prendre connaissance de la recommandation qui, dans le dossier Pelletier, avait été déposée au dossier par le demandeur lequel en avait obtenu la possession et connaissait son contenu. Ils ajoutent qu'il était d'autant plus justifié de le faire que personne ne s'est objectée à ce qu'il en examine le contenu.

[11]Enfin, les intimés prétendent que l'alinéa 39(2)a) de la Loi, ci-après reproduit, ne protège pas la recommandation comme telle et que la confidentialité qui y est prévue ne s'attache qu'au contenu de la note débouchant sur la recommandation:

Renseignements confidentiels du Conseil privé de

la Reine pour le Canada

39. (1) Le tribunal, l'organisme ou la personne qui ont le pouvoir de contraindre à la production de renseignements sont, dans les cas où un ministre ou le greffier du Conseil privé s'opposent à la divulgation d'un renseignement, tenus d'en refuser la divulgation, sans l'examiner ni tenir d'audition à son sujet, si le ministre ou le greffier attestent par écrit que le renseignement constitue un renseignement confidentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada.

(2) Pour l'application du paragraphe (1), un «renseignement confidentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada» s'entend notamment d'un renseignement contenu dans:

a) une note destinée à soumettre des propositions ou recommandations au Conseil;

b) un document de travail destiné à présenter des problèmes, des analyses ou des options politiques à l'examen du Conseil;

c) un ordre du jour du Conseil ou un procès-verbal de ses délibérations ou décisions;

d) un document employé en vue ou faisant état de communications ou de discussions entre ministres sur des questions liées à la prise des décisions du gouvernement ou à la formulation de sa politique;

e) un document d'information à l'usage des ministres sur des questions portées ou qu'il est prévu de porter devant le Conseil, ou sur des questions qui font l'objet des communications ou discussions visées à l'alinéa d);

f) un avant-projet de loi ou projet de règlement.

(3) Pour l'application du paragraphe (2), «Conseil» s'entend du Conseil privé de la Reine pour le Canada, du Cabinet et de leurs comités respectifs.

(4) Le paragraphe (1) ne s'applique pas:

a) à un renseignement confidentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada dont l'existence remonte à plus de vingt ans;

b) à un document de travail visé à l'alinéa (2)b), dans les cas où les décisions auxquelles il se rapporte ont été rendues publiques ou, à défaut de publicité, ont été rendues quatre ans auparavant.

La suffisance de la description des documents visés par l'attestation de confidentialité

[12]Pour une meilleure compréhension du litige, il n'est pas inutile, dans chacun des deux dossiers, de reproduire et l'attestation comme telle, et l'annexe à laquelle l'attestation renvoie, cette dernière fournissant les détails quant aux documents en litige et à leur caractère confidentiel:

Je, soussigné, Alex Himelfarb, domicilié dans la ville d'Ottawa, dans la province d'Ontario, atteste et déclare ce qui suit:

1.     Je suis le Greffier du Conseil privé de la Reine pour le Canada et le Secrétaire du Cabinet.

2.     J'ai examiné et soigneusement inspecté les deux (2) documents dont il est fait mention à l'annexe ci-jointe afin de déterminer s'ils contiennent des renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada et s'il y a lieu d'en refuser la divulgation en vertu de l'article 39 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5 (Loi).

3.     Je certifie à cette honorable Cour qu'au sens du paragraphe 39(1) de la Loi, les documents mentionnés dans ladite annexe sont des renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada pour les raisons décrites dans l'annexe ci-jointe et je m'oppose à la divulgation de ces documents et des renseignements qu'ils contiennent.

4.     Je certifie en outre à cette honorable Cour que l'alinéa a) du paragraphe 39(4) de la Loi ne s'applique pas à ces documents puisqu'ils n'existaient pas il y a vingt ans, et que l'alinéa b) du même paragraphe de ladite Loi ne s'applique pas à ces documents parce qu'il ne s'agit pas de documents de travail visés à l'alinéa (2)b).

5.     Si l'on cherchait à obtenir un témoignage oral sur les renseignements confidentiels contenus dans les documents dont je m'objecte à la divulgation par le biais de la présente attestation, je m'opposerais à ce témoignage pour les mêmes motifs que je [m]'oppose par la présente à la divulgation de ces renseignements en question.

    ANNEXE À L'ATTESTATION D'ALEX HIMELFARB

DATÉE DU 10 JOUR DU MOIS DE JUIN 2004

dans le dossier

Michel Vennat c. Le Procureur général du Canada

1.     Présentation à la Gouverneure en conseil (le contenu indique février 2004)

Le document #1 est une copie d'un document consistant en de l'information contenue dans une note destinée à soumettre des propositions ou recommandations au Conseil au sens de l'alinéa 39(2)a) de la Loi sur la preuve au Canada (Loi).

Le document #1 est aussi une copie d'un document consistant en de l'information contenue dans un ordre du jour du Conseil ou d'un procès-verbal de ses délibérations au sens de l'alinéa 39(2)c) de ladite Loi.

2.     Présentation à la Gouverneure en conseil (le contenu indique mars 2004)

Le document #2 est une copie d'un document consistant en de l'information contenue dans une note destinée à soumettre des propositions ou recommandations au Conseil au sens de l'alinéa 39(2)a) de ladite Loi.

Le document #2 est aussi une copie d'un document consistant en de l'information contenue dans un ordre du jour du Conseil ou d'un procès-verbal de ses délibérations ou décisions au sens de l'alinéa 39(2)c) de ladite Loi.

    ANNEXE À L'ATTESTATION D'ALEX HIMELFARB

DATÉE DU 26 JOUR DU MOIS DE MAI 2004

dans le dossier

Jean Pelletier c. Procureur général du Canada

1.     Présentation à la Gouverneure générale en conseil (le contenu indique mars 2004)

Le document #1 est une copie d'un document consistant en de l'information contenue dans une note destinée à soumettre des propositions ou recommandations au Conseil au sens de l'alinéa 39(2)a) de la Loi sur la preuve au Canada (Loi).

Le document #1 est aussi une copie d'un document consistant en de l'information contenue dans un ordre du jour au Conseil ou d'un procès-verbal des délibérations ou décisions au sens de l'alinéa 39(2)c) de ladite Loi.

2.     Recommendation ministérielle à la Gouverneure en conseil, signée par Tony Valeri, ministre des Transports (le contenu indique mars 2004)

Le document #2 est une copie d'un document consistant en de l'information contenue dans une note destinée à soumettre des propositions ou recommandations au Conseil au sens de l'alinéa 39(2)a) de la Loi sur la preuve au Canada (Loi).

[13]Nous ne sommes pas nécessairement convaincus que les attestations et les annexes qui les accompagnent sont affectées, pour utiliser l'expression du juge, «d'un défaut formel et fatal». Par exemple, en prenant l'attestation et l'annexe dans le cas de M. Pelletier, on peut voir que, dans un premier temps, l'attestation elle-même écarte l'application de l'alinéa 39(4)b) en spécifiant qu'il ne s'agit pas d'un document de travail visé à l'alinéa (2)b).

[14]En outre, l'attestation et l'annexe, en ce qui a trait au premier document, décrivent ce document et indiquent qu'il s'agit d'un document au sens de l'alinéa (2)b), soit une note (en anglais, «a memorandum») présentée à la gouverneure générale en conseil destinée à soumettre des propositions ou des recommandations au Conseil, que la note est datée de mars 2004 et qu'elle est destinée au Conseil.

[15]Les intimés, en se fondant sur l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans Babcock c. Canada (Procureur général), [2002] 3 R.C.S. 3, se plaignent que les détails contenus à l'annexe et relatifs à ce premier document ne révèlent pas le titre du document et son origine ou son auteur. Sur ce dernier aspect, nous notons que les intimés eux-mêmes suggéraient, ce qui ne nous apparaît pas dans les circonstances une inférence déraisonnable, que la recommandation émanait de la ministre des Transports, responsable de la compagnie VIA Rail Canada Inc., dont M. Pelletier était le président du Conseil d'administra-tion. On ne saurait dire qu'ils sont dans l'obscurité totale quant à l'auteur ou à l'origine de la recommandation et qu'ils en souffrent un préjudice.

[16]Quoiqu'il en soit, la Cour suprême a, dans l'arrêt Babcock, au paragraphe 28, identifié les exigences de forme requises pour une attestation de confidentialité:

Quelles sont les exigences de forme de l'attestation qui en découlent? On peut considérer que le deuxième aspect, l'élément discrétionnaire, est établi par l'acte d'attestation. Toutefois, le premier élément de la décision du greffier commande que son attestation établisse que les renseignements sont visés par la Loi. Cela signifie que le greffier ou le ministre ont l'obligation de donner des renseignements une description suffisante pour établir à la face même de l'attestation qu'il s'agit de renseignements confidentiels du Cabinet et qu'ils appartiennent aux catégories prévues au par. 39(2) ou à une catégorie analogue; la possibilité de catégories analogues découle des termes généraux utilisés dans la disposition introductive du par. 39(2). Ce premier élément résulte du principe qui oblige le greffier ou le ministre à exercer leur pouvoir légal d'une façon régulière en conformité avec la loi. Il suffira généralement à cet égard de fournir une description semblable à celle que les règles de pratique imposent en matière civile dans les demandes visant à protéger le secret professionnel de l'avocat. La date, le titre, l'auteur et le destinataire du document dans lequel se trouvent les renseignements devraient normalement être divulgués. Si des préoccupations touchant à la confidentialité empêchent la divulgation de l'un quelconque de ces indices préliminaires d'identification, ce sera au gouvernement d'en faire la preuve en cas de contestation. Par contre, si les documents dans lesquels se trouvent les renseignements sont correctement identifiés, la personne qui en demande la production et le tribunal doivent accepter la décision du greffier. Une seule argumentation est possible: les documents, au vu de leur description, ne sont pas visés par l'art. 39 ou le greffier a outrepassé les pouvoirs qui lui sont conférés. [Nous soulignons.]

[17]Nous sommes disposés à appliquer les mêmes exigences d'identification aux documents ici en cause, c'est-à-dire:

a) la date si, bien entendu, le document en porte une, consistant non seulement en le mois et l'année, mais aussi le jour s'il est précisé;

b) le titre, si le document s'en est vu attribuer un, car on ne saurait dire que les mémoires au Cabinet ont nécessairement des titres spécifiques;

c) l'auteur du mémoire au Cabinet, de l'ordre du jour du Conseil ou des procès verbaux de ses délibérations, encore qu'il n'est pas interdit de l'inférer du document lui-même, de sa nature et de sa provenance; et

d) le destinataire de ces documents, ce qui ne pose pas de problème en l'espèce.

Vraisemblablement, les ordres du jour du Conseil et les procès-verbaux de ses délibérations portaient des dates et sont imputables à un auteur ou à un service. De même, les notes au Conseil portant recommandation devaient avoir un auteur. Par contre, rien au dossier n'indique qu'elles avaient un titre et que le jour de leurs confections était indiqué.

[18]En somme, certaines des exigences minimales d'identification des documents n'ont peut-être pas été respectées. Mais cela dit, il ne s'ensuit pas nécessairement que le défaut est irrémédiable et que le privilège de non-divulgation est perdu. Il suffit de voir les rôles et les buts de l'article 39 de la Loi pour être convaincu du contraire: assurer la confidentialité des discussions qui se tiennent au Cabinet, permettre aux membres de discuter librement les aspects des problèmes dont ils sont saisis et de prendre des décisions gouvernementales controversées comme l'exigent leurs fonctions, éviter que les documents qu'ils ont lus et les propos qu'ils ont tenus ne fassent l'objet d'une examen public, éviter qu'ils soient l'objet de critiques publiques ou politiques mal fondées ou spécieuses (voir les paragraphes 17 et 18 de l'arrêt Babcock).

[19]Conclure, comme les intimés le prétendent, à la perte irrémédiable du privilège de l'article 39 de la Loi à la moindre défaillance technique ou formelle de l'attestation, c'est faire primer la forme sur le fond, au détriment des objectifs mêmes du privilège. Nous ne croyons pas que ce soit là l'intention législative ou l'effet recherché par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Babcock en précisant les exigences d'identification.

[20]Dans l'affaire Ainsworth Lumber Co. v. Canada (Attorney General), 2001 BCSC 225, le juge Tysoe de la Cour suprême de la Colombie-Britannique était d'avis que la solution en pareil cas était de permettre qu'une nouvelle attestation, plus spécifique et explicite, soit déposée dans un délai imparti. La juge Southin, dissidente dans l'affaire Babcock v. Canada (Attorney General) (2000), 188 D.L.R. (4th) 678 (B.C.C.A.), à la page 705, lorsqu'en-tendue en Cour d'appel de la Colombie-Britannique, avait aussi conclu dans le même sens.

[21]Nous estimons cette approche remédiatrice plus respectueuse des objectifs de l'article 39, plus propice à leur atteinte et, partant, plus conforme à l'intention législative. Car l'objectif des exigences d'identification suffisante des documents visés par l'attestation n'est pas de faire perdre le bénéfice du privilège, mais bien de permettre à la Cour de constater à la face même de l'attestation qu'il s'agit de renseignements confidentiels du Cabinet, qu'ils tombent sous le coup du paragraphe 39(2) de la Loi et que le greffier n'a pas excédé les pouvoirs que la Loi lui confère. À notre avis, le détenteur de ce privilège d'intérêt public doit avoir la possibilité de remédier à l'insuffisance de la description des documents à l'égard desquels l'attestation de confidentialité est déposée.

La renonciation au privilège par l'appelant

[22]Les intimés voient dans les deux déclarations suivantes, l'une du premier ministre et l'autre du ministre des Transports, contenues dans un communiqué de presse, une renonciation au privilège de l'article 39 à l'égard de tous les renseignements réclamés relativement à cette affaire:

«Les propos tenus la semaine dernière par M. Pelletier à l'égard de Mme Myriam Bédard étaient tout à fait inacceptables», a déclaré le premier ministre Paul Martin. «J'ai demandé aux personnes qui ont connaissance de possibles actes répréhensibles de se manifester. Et je m'attends à ce qu'elles soient traitées de manière appropriée lorsqu'elles le font. Ce qui, en l'occurrence, n'a pas été le cas. Mon gouvernement est arrivé au pouvoir avec l'engagement de changer la façon de faire les choses. La décision que nous prenons aujourd'hui entend refléter cet engagement.»

Le ministre des Transports Tony Valeri a déclaré: «La semaine dernière, j'avais dit que le gouvernement examinerait les commentaires du président de VIA Rail, puis prendrait les mesures qui s'imposent. Il est tout à fait inapproprié pour le président d'une société d'État de tenir des propos de la sorte à l'égard de quelqu'un qui a mis en lumière des actes répréhensibles en milieu de travail.»

[23]Cette prétention des intimés est sans mérite. Elle revient à dire que, parce qu'un membre du Cabinet peut avoir délibérément, négligemment ou accidentellement révélé certains renseignements confidentiels discutés au Cabinet, tous les autres membres du Cabinet perdent le bénéfice du privilège à l'égard non seulement de ces renseignements, mais aussi de tous les autres renseignements s'y rapportant, alors que le greffier dépose une attestation de confidentialité en vertu de l'article 39. C'est vider l'article 39 de tous sens.

[24]Même en admettant que le communiqué de presse ci-auparavant mentionné pourrait constituer une renonciation à la confidentialité des renseignements que ces propos véhiculent, ce qui est loin d'être évident puisque rien n'indique qu'il s'agit de propos tenus à la réunion du Conseil, le fait de renoncer à la protection de l'article 39 de la Loi en communiquant certains documents ou renseignements n'emporte pas, comme le dit la Cour suprême dans l'arrêt Babcock, une renonciation au droit d'invoquer l'article 39 relativement à d'autres documents ou renseignements. Au paragraphe 35, la juge en chef McLachlin écrit:

L'article 39 protège les «renseignements» en empêchant leur divulgation. Il se peut que certains renseignements touchant un sujet particulier aient été divulgués, alors que d'autres touchant le même sujet ne l'ont pas été. Le libellé du par. 39(1) ne permet pas d'affirmer que la divulgation de certains renseignements empêche d'autres renseignements non divulgués de bénéficier de la protection de l'art. 39.

[25]En ce qui a trait, dans le dossier de M. Pelletier, à la divulgation de la recommandation elle-même faite à la gouverneure générale en conseil, nous sommes satisfaits que celle-ci fut faite par inadvertance et qu'elle ne saurait constituer une renonciation au privilège de non-divulgation. Mme Nixon, adjointe exécutive au sous-ministre de Transport Canada, a expliqué dans son affidavit et dans son témoignage que, dans son empressement à vouloir informer M. Pelletier de la décision du Conseil le concernant, elle a omis de donner instruction à son personnel de ne remettre au destinataire que l'arrêté en conseil lui-même: voir le dossier d'appel dans A-417-04, aux pages 56, 57 et 117 à 121.

[26]Nous sommes également satisfaits que l'appelant n'a pas indûment tardé à prendre les mesures nécessaires pour corriger l'erreur et assurer la confidentialité du document en litige, une fois l'erreur découverte.

Le juge a-t-il eu raison de prendre connaissance du contenu du document lui-même pour décider de son caractère confidentiel?

[27]On se rappellera que le juge s'est dit d'avis que la description du document no 2 serait possiblement suffisante pour satisfaire les exigences de l'article 39 de la Loi, mais que la lecture du document l'avait convaincu qu'il n'était pas nécessaire de garder le document confidentiel.

[28]Le document fut déposé devant le juge par le demandeur, M. Pelletier. Son avocate soutient que, puisque le document avait été déposé dans les procédures, il serait inéquitable et préjudiciable à l'administration de la justice de ne pas permettre au juge de prendre connaissance de son contenu. Elle cite l'extrait suivant, tiré de la décision de cette Cour dans l'arrêt Best Cleaners and Contractors Ltd. c. La Reine, [1985] 2 C.F. 293 (C.A.), que l'on retrouve à la page 311:

C'est faire preuve de beaucoup d'irréalisme que de prétendre que le dépôt d'un certificat a pour effet d'effacer la production de renseignements déjà légalement divulgués à la partie adverse dans une procédure judiciaire. Tous ceux qui possèdent un intérêt légitime dans ces renseignements les ont en mains sauf la Cour. Le fait de préserver la confidentialité de ces renseignements uniquement vis-à-vis de la Cour, dans un tel cas, sous-entend l'intention du Parlement d'autoriser le dépôt d'un certificat en vue de faire obstruction à l'administration de la justice et ce, sans aucun motif légitime apparent. [Nous soulignons.]

[29]Avec respect, nous ne croyons pas que cette décision soit d'un grand secours en l'espèce puisque nous ne sommes pas en présence d'un document légalement divulgué dans une procédure judiciaire, mais plutôt en présence d'un document divulgué par erreur, en dehors du contexte d'une procédure judiciaire, même s'il a fini par aboutir dans une procédure judiciaire visant à en déterminer le caractère confidentiel ou non.

[30]Le juge était saisi d'une objection à la production de ce document fondée sur l'article 39 de la Loi. La définition de son rôle et de ses pouvoirs se retrouve au paragraphe 39(1): il doit juger du bien-fondé de l'objection à la production à partir de l'attestation déposée et, si les paramètres de l'article 39 sont respectés, il est tenu de refuser la divulgation du document sans l'examiner. Il n'appartient pas au juge d'examiner le document en question et d'effectuer une pondération des intérêts qui s'opposent, c.-à-d. de déterminer si l'intérêt public commande davantage la divulgation du document que sa protection. L'exercice de pondération des intérêts relève du greffier et non de la Cour. Au paragraphe 17 de l'arrêt Babcock, la juge en chef McLachlin écrit:

Les articles 37, 38 et 39 de la Loi sur la preuve au Canada régissent les oppositions à la divulgation de renseignements protégés détenus par le gouvernement fédéral. L'article 37 vise tous les cas où la Couronne fait valoir son immunité, sauf en ce qui a trait aux renseignements confidentiels du Cabinet ou du Conseil privé de la Reine pour le Canada; l'art. 38 traite des oppositions relatives aux relations internationales ou à la défense nationale; enfin, l'art. 39 s'applique aux renseignements confidentiels du Cabinet. Sous le régime des art. 37 et 38, un juge détermine si l'intérêt public commande davantage la divulgation des renseignements ou, au contraire, leur protection. Par contre, pour l'application de l'art. 39, c'est le greffier ou le ministre qui soupèsent les intérêts opposés. [Nous soulignons.]

[31]En outre, et nous le répétons, la détermination, par le juge, du mérite de l'objection fondée sur l'article 39 de la Loi doit se faire sur la foi de l'attestation et le juge ne possède pas la compétence pour examiner le document. Ainsi, le fait que les parties ne se soient pas objectées à ce qu'il examine le document n'a pas pour effet de lui conférer une compétence que non seulement la Loi ne lui attribue pas, mais une compétence qu'elle lui dénie expressément. À cet égard, il convient de rappeler les propos de la juge en chef McLachlin que l'on retrouve aux paragraphes 17 et 40 de la décision Babcock:

Si le greffier ou le ministre attestent valablement que des renseignements sont confidentiels, le juge ou le tribunal est tenu de rejeter la demande de divulgation des renseignements, sans les examiner.

[. . .]

Le tribunal, l'organisme ou la personne qui contrôle la délivrance de l'attestation prévue à l'art. 39 doit composer avec l'inconvénient de ne pas pouvoir examiner les renseignements contestés. Une contestation fondée sur l'argument que les renseignements ne sont pas des renseignements confidentiels du Cabinet au sens de l'art. 39 se limitera donc généralement au contrôle du degré de précision de la liste et de la preuve de divulgation. Une contestation fondée sur l'exercice abusif du pouvoir de délivrer une attestation se limitera de la même manière aux renseignements qui figurent sur l'attestation et à toute preuve externe que la partie qui la conteste sera en mesure d'apporter. Il ne fait aucun doute que ces restrictions peuvent, dans les faits, rendre difficile l'annulation de l'attestation délivrée en application de l'art. 39. [Nous soulignons.]

[32]Dans les circonstances, alors qu'il n'y avait pas eu renonciation à la divulgation du document en question, soit la recommandation à la gouverneure générale en conseil, le juge ne pouvait examiner le document. Sa conclusion que le document n'avait rien de confidentiel, fondée sur l'examen dudit document, a été rendue en l'absence de compétence et est donc sans effet.

L'alinéa 39(2)a) de la Loi protège-t-il la recommandation elle-même?

[33]L'argument de l'intimé, M. Pelletier, sur ce point repose sur une lecture spécieuse, mais incorrecte, de l'alinéa 39(2)a) de la Loi. La note, et la ou les recommandations qu'elle contient, sont indissociables pour fin de confidentialité. Il n'est pas impensable non plus que la recommandation qui est retenue en définitive puisse faire référence à des renseignements contenus dans la note confidentielle, lesquels expliquent la recommandation elle-même ou le choix de cette recommandation plutôt qu'une autre parmi celles proposées.

Conclusion

[34]Pour ces motifs, les appels seront rejetés avec dépens, sans préjudice au droit de l'appelant de déposer, dans les 15 jours des présents motifs, dans chacun des deux dossiers, une nouvelle attestation en vertu de l'article 39 de la Loi, qui fournit, des documents, une description conforme aux exigences de l'arrêt Babcock, telles qu'énoncées au paragraphe 17 des présents motifs.

[35]À défaut par l'appelant de ce faire dans le délai imparti, les documents en litige devront être remis aux intimés.

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