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T-437-01

2004 CF 578

Rothbury International Inc. (demanderesse)

c.

Ministre de l'industrie et Commissaire des brevets (défendeurs)

Répertorié: Rothbury International Inc. c. Canada (Ministre de l'Industrie) (C.F.)

Cour fédérale, juge Tremblay-Lamer -- Ottawa, 22 mars et 16 avril 2004.

Dessins industriels -- La demanderesse a déposé une demande d'enregistrement pour un dessin industriel relatif à un bloc utilisé dans la construction de murs de soutènement et de murs de division extérieurs -- Demande rejetée -- La procédure appropriée à la lumière de l'art. 22 de la Loi sur les dessins industriels est une action -- L'objet de la loi est la protection des caractéristiques ou combinaisons de caractéristiques visuelles d'un objet fini en ce qui touche la configuration, le motif ou les éléments décoratifs -- L'originalité d'un dessin est déterminée par l'appréciation uniquement visuelle -- L'art. 7(3) de la Loi prévoit que le dessin doit être considéré par l'examinateur comme étant original, du point de vue du consommateur averti -- La preuve supplémentaire déposée devant la Cour fédérale a révélé que plusieurs options d'installation étaient possibles tant pour un mur de soutènement que pour un mur de division -- Le commissaire aux brevets a omis de considérer l'aspect esthétique du dessin, et il a erré en droit et en fait dans son évaluation du degré d'originalité requis pour l'enregistrement du dessin industriel du bloc de la demanderesse -- Le dessin industriel était valide et enregistrable en vertu de la Loi sur les dessins industriels.

Droit administratif -- Contrôle judiciaire -- Mandamus -- La demanderesse cherchait à faire inscrire la demande 1997-1470 sur le registre des dessins industriels -- Le commissaire aux brevets a rejeté la demande d'enregistrement en raison de l'absence d'originalité du dessin par rapport à l'art antérieur -- L'appel des conclusions du commissaire en vertu de l'art. 22 de la Loi sur les dessins industriels exige la détermination de la norme de contrôle appropriée -- Application de l'approche pragmatique et fonctionnelle -- L'originalité d'un dessin est une question de fait pour laquelle la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable, mais, parce qu'une preuve additionnelle a été déposée devant la Cour, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

Il s'agit d'une action introduite par déclaration par laquelle la demanderesse sollicitait une ordonnance déclarant que l'objet de la demande d'enregistrement du dessin industriel 1997-1470 est complet, valide et enregistrable. La demanderesse demandait également à la Cour d'ordonner au ministère de l'Industrie d'inscrire la demande 1997-1470 sur le registre des dessins industriels. En juin 1997, la demande-resse a déposé la demande d'enregistrement 1997-1470 pour le dessin industriel relatif au bloc New Pisa II (NPII), lequel est un bloc parallélépipède utilisé dans la construction de murs de soutènement et de murs de division extérieurs. Suite à l'examen initial de sa demande par l'examinateur des dessins industriels et après avoir reçu un refus final de la demande d'enregistrement, la demanderesse a logé un appel à la Commission d'appel des brevets. La Commission a rejeté l'appel de la demanderesse et a refusé de recommander l'enregistrement du NPII. La demanderesse a soutenu que le commissaire a commis une erreur de droit dans son application du test juridique développé par la jurisprudence pour évaluer l'enregistrabilité du bloc NPII et qu'il aurait dû examiner le bloc avec l'oeil d'une personne versée dans le domaine des blocs avant d'évaluer l'originalité du dessin pour le bloc NPII. Trois questions ont été soulevées: 1) le commissaire des brevets a-t-il erré en droit et en fait dans son évaluation du degré d'originalité requis pour l'enregistrement du dessin industriel du bloc NPII de la demanderesse? 2) le commissaire a-t-il erré en refusant, sans cause suffisante, d'enregistrer le dessin industriel? 3) le dessin industriel en question est-il valide et enregistrable en vertu de la Loi sur les dessins industriels?

Jugement: l'ordonnance doit être accordée et les trois questions doivent recevoir une réponse affirmative.

Le paragraphe 22(1) de la Loi sur les dessins industriels prévoit que «toute personne lésée, soit par l'omission, sans cause suffisante, d'une inscription sur le registre des dessins industriels» peut demander à la Cour fédérale d'ordonner que cette inscription soit faite sur le registre. La procédure appropriée à la lumière de l'article 22 est une action. En l'absence d'une disposition expresse portant que les procédures prévues à l'article 22 de la Loi sont instituées par voie de demande, toutes autres procédures doivent l'être par voie de déclaration. C'est donc à bon droit que la demanderesse s'est adressée à la Cour par voie de déclaration. Il ne peut en outre s'agir d'un procès de novo au sens strict en vertu de l'article 22 puisque ce terme renvoie à un procès qui requiert la création d'un nouveau dossier et, en vertu de l'article 22, le dossier constitué par le commissaire constitue le fondement de la preuve devant la Cour fédérale auquel peut être ajoutée une preuve additionnelle.

Puisque l'appel prévu à l'article 22 de la Loi exige la révision en partie des conclusions du commissaire, il fallait déterminer la norme de contrôle appropriée en l'espèce. Dans l'affaire Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, la Cour suprême du Canada a réitéré qu'il faut appliquer l'approche pragmatique et fonctionnelle qui exige que la cour de révision soupèse une série de facteurs afin de déterminer la norme de révision applicable à une décision administrative. Le premier facteur est la présence ou l'absence d'une clause privative. En l'espèce, l'absence d'une clause privative indique que peu de déférence est due à la décision du commissaire. Le deuxième facteur reconnaît qu'un décideur peut, dans un domaine, avoir une expertise particulière, qui est plus importante que celle des cours de justice. En décidant si on doit enregistrer ou non un dessin industriel, le commissaire possède une expertise que la Cour ne détient pas et plus de déférence doit lui être accordé. Le troisième facteur est l'objet de la Loi. La Loi sur les dessins industriels n'exige pas que le décideur choisisse parmi diverses réparations, ni qu'il statue sur les droits de deux parties: elle prévoit uniquement l'enregistrement d'un dessin qui est original et satisfait aux critères formulés dans la Loi. Ainsi, l'objet législatif s'écarte considérablement du rôle usuel des tribunaux, ce qui milite en faveur d'une plus grande déférence. Le dernier facteur est la nature de la question. En l'espèce, la question était de savoir si la forme du dessin industriel est originale. Comme la Cour fédérale a décidé qu'il s'agissait d'une question purement factuelle, il y avait donc lieu à plus grande déférence. Compte tenu de ces facteurs, la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable. Toutefois, à la lumière de la preuve additionnelle soumise à la Cour fédérale, le commissaire n'aurait pas rendu la même décision de sorte que la norme de contrôle applicable en l'espèce est celle de la décision correcte.

La Loi sur les dessins industriels vise à protéger les caractéristiques ou combinaisons de caractéristiques visuelles d'un objet fini en ce qui touche la configuration, le motif ou les éléments décoratifs. Le test utilisé pour déterminer l'originalité d'un dessin est celui de l'appréciation uniquement visuelle des caractéristiques d'un objet fini. Ce test requiert que l'examen des dessins soit fait du point de vue du consommateur averti, en l'espèce un consommateur qui connaît le domaine du marché des blocs. Le paragraphe 7(3) de la Loi prévoit que le dessin doit être considéré par l'examinateur comme étant original. L'originalité d'un dessin est une question de fait qui doit être appréciée en tenant compte de la nature ainsi que du caractère de l'objet auquel le dessin réfère et les contraintes doivent être considérées lorsque l'originalité est évaluée. Un dessin industriel vise à protéger les caractéristiques visuelles des objets fonctionnels mais celles-ci ne doivent pas être uniquement le résultat d'une fonction de cet objet.

La demanderesse a déposé devant la Cour fédérale une preuve supplémentaire en plus du dossier de la demande d'enregistrement du dessin industriel du NPII. La preuve supplémentaire a révélé que plusieurs options d'installation sont possibles tant pour un mur de soutènement que pour un mur de division. En concluant que cet embrèvement avait un rôle purement fonctionnel, le commissaire a omis de considérer son aspect esthétique. Il a commis une erreur de fait en omettant de considérer que la surface opposée à la face granulaire du bloc pouvait également servir de façade pour un mur. Cette erreur était importante car elle influençait son appréciation de l'originalité du dessin faisant l'objet de la demande 1997-1470. Le NPII était plus versatile que le bloc Pisa II et présentait suffisamment de différences avec l'art antérieur pour retenir l'attention du consommateur. Ces blocs ne sont pas vendus directement au public, mais sont distribués à des entrepreneurs, des ingénieurs, des jardiniers, etc. Le consommateur est donc une personne bien versée dans l'art des blocs utilisés pour des murs de soutènement et des murs de division et c'est avec cette perspective que le commissaire aurait dû examiner le dessin. Le commissaire aux brevets a erré en droit et en fait dans son évaluation du degré d'originalité requis pour l'enregistrement du dessin industriel du bloc NPII de la demanderesse et en refusant, sans cause suffisante, d'enregistrer ce dessin. Le dessin en question est valide et enregistrable en vertu de la Loi sur les dessins industriels.

lois et règlements

Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 41 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 16).

Loi sur les dessins industriels, L.R.C. (1985), ch. I-9, art. 2 «dessin» (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 10, art. 20), 7(3), 22.

Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, art. 56.

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règles 61(1), 169, 300.

jurisprudence

décisions appliquées:

Gandy c. Commissaire des brevets et autre (1980), 47 C.P.R. (2d) 109 (C.F. 1re inst.); Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226; (2003), 223 D.L.R. (4th) 599; [2003] 5 W.W.R. 1; 11 B.C.L.R. (4th) 1; 48 Admin. L.R. (3d) 1; 179 B.C.A.C. 170; 302 N.R. 34; Garbo Group Inc. c. Harriet Brown & Co. (1999), 23 Admin. L.R. (3d) 153; 3 C.P.R. (4th) 224; 176 F.T.R. 80 (C.F. 1re inst.); Amp Incorporated v. Utilux Proprietary Ltd., [1972] R.P.C. 103 (H.L.); Clatworthy & Son Ltd. v. Dale Display Fixtures Ltd., [1929] R.C.S. 429; [1929] 3 D.L.R. 11.

décision examinée:

Application for Industrial Design Registration by Robin R. Boyan (Re) (1977), 56 C.P.R. (2d) 134 (Comm. des brevets).

décisions citées:

Brasseries Molson c. John Labatt Ltd., [2000] 3 C.F. 145; (2000), 5 C.P.R. (4th) 180; 252 N.R. 91 (C.A.); Bata Industries Ltd. c. Warrington Inc. (1985), 5 C.I.P.R. 223; 5 C.P.R. (3d) 339 (C.F. 1re inst.); Application of Dart Industries Inc. (Re) (1983), 3 C.P.R. (3d) 420 (Comm. des brevets).

ACTION visant à obtenir une ordonnance déclarant que l'objet de la demande d'enregistrement du dessin industriel 1997-1470 est complet, valide et enregistrable et enjoignant au ministère de l'Industrie d'inscrire ladite demande sur le registre des dessins industriels. Ordonnance accordée.

ont comparu:

Jacques A. Léger, c.r., et Alexandra Steele pour la demanderesse.

Sébastien Gagné pour les défendeurs.

avocats inscrits au dossier:

Léger Robic Richard, s.e.n.c., Montréal, pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance et ordonnance rendus par

[1]La juge Tremblay-Lamer: Il s'agit d'une action introduite par déclaration selon le paragraphe 61(1) et la règle 169 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106 (les Règles). La demanderesse recherche une ordonnance déclarant que l'objet de la demande d'enregistrement du dessin industriel 1997-1470 est complet, valide et enregistrable. La demanderesse demande également que cette Cour ordonne au ministère de l'Industrie (le Ministère) d'effectuer l'inscription de la demande 1997-1470 sur le registre des dessins industriels (le registre).

LES FAITS

[2]Le 3 juin 1997, la demanderesse a déposé la demande d'enregistrement 1997-1470 pour le dessin industriel relatif au bloc New Pisa II (le NPII). Celui-ci est un bloc parallélépipède utilisé dans la construction de murs de soutènement et de murs de division extérieurs. La demande d'enregistrement contient la description amendée suivante du NPII:

[traduction] Le dessin repose essentiellement sur la forme et la configuration d'un bloc ayant un côté arrière rectangulaire avec une surface centrale granulaire et un embrèvement transversal de forme trapézoïdale à angle droit, situé sur le côté opposé au côté granulaire, qui s'édend sur toute la longueur et qui est situé vers le haut du bloc.

[3]Suite à l'examen initial de sa demande par l'examinateur des dessins industriels (l'examinateur) et à la production de deux réponses à deux rapports de l'examinateur, la demanderesse reçut un refus final de l'enregistrement le 16 juin 1999. La demanderesse logea un appel à la Commission d'appel des brevets (la Commission).

[4]Le 13 septembre 2000, la Commission a rejeté l'appel de la demanderesse et a refusé de recommander l'enregistrement du NPII, d'où la présente action contre le Ministère et le commissaire aux brevets (le commissaire), contestant la décision de la Commission.

QUESTIONS EN LITIGE

1. Est-ce-que le commissaire aux brevets (et l'examinateur avant lui) a erré en droit et en fait dans son évaluation du degré d'originalité requis pour l'enregistrement du dessin industriel du bloc NPII de la demanderesse?

2. Est-ce-que le commissaire a erré en refusant, sans cause suffisante, d'enregistrer le dessin industriel de la demanderesse pour le bloc NPII?

3. Est-ce-que le dessin industriel de la demanderesse pour le bloc NPII est valide et enregistrable en vertu des dispositions de la Loi sur les dessins industriels [L.R.C. (1985), ch. I-9] de sorte que la Cour fédérale puisse ordonner que l'inscription soit faite au registre conformément à l'article 22 de cette Loi?

LA POSITION DE LA DEMANDERESSE

[5]La demanderesse soumet que le commissaire a commis une erreur de droit dans son application du test juridique développé par la jurisprudence pour évaluer l'enregistrabilité du bloc NPII. Elle suggère que le commissaire aurait dû examiner le bloc avec l'oeil d'une personne versée dans le domaine des blocs ou encore, avec l'oeil du consommateur ayant une connaissance du domaine des blocs avant d'évaluer l'originalité du dessin pour le bloc NPII.

[6]De cette erreur de droit découleraient les erreurs de fait suivantes:

1. Le commissaire n'a pas considéré le fait que le NPII était substantiellement différent de ce qui existait dans l'industrie à l'époque où la demande fut faite.

2. Lors de sa comparaison pour déterminer l'originalité du dessin, le commissaire a décortiqué d'abord le bloc NPII et ensuite le bloc Pisa II alors qu'il devait regarder celui qui existait déjà (le Pisa II) avant d'examiner le NPII.

3. Le commissaire a erronément décidé a priori que le NPII ne pouvait être installé que d'une seule façon.

4. Le commissaire a erronément conclu que les caractéristiques visuelles du NPII étaient uniquement le résultat de sa fonctionnalité.

ANALYSE

1. Le droit applicable

a) La procédure appropriée

[7]La demanderesse a institué une action par voie de déclaration requérant une ordonnance de la Cour fédérale pour que l'inscription du dessin industriel faisant l'objet de la demande d'enregistrement 1997-1470 de la demanderesse soit faite sur le registre.

[8]Le paragraphe 22(1) de la Loi sur les dessins industriels, L.R.C. (1985), ch. I-9 (la Loi) prévoit que «toute personne lésée, soit par l'omission, sans cause suffisante, d'une inscription sur le registre des dessins industriels» peut demander à la Cour fédérale qui a juridiction exclusive pour [paragraphe 22(3)] «décider toute question dont la décision est nécessaire ou opportune pour la rectification du registre» d'ordonner que cette inscription soit faite sur le registre.

[9]Le paragraphe 22(1) de la Loi se lit comme suit:

22. (1) La Cour fédérale peut, sur l'information du procureur général, ou à l'instance de toute personne lésée, soit par l'omission, sans cause suffisante, d'une inscription sur le registre des dessins industriels, soit par quelque inscription faite sans cause suffisante sur ce registre, ordonner que l'inscription soit faite, rayée ou modifiée, ainsi qu'elle le juge à propos ou peut rejeter la demande.

[10]Cependant, la Loi ne prévoit aucun délai ou mécanisme pour instituer un recours en vertu de l'article 22 de la Loi.

[11]Dans l'affaire Gandy c. Commissaire des brevets et autre (1980), 47 C.P.R. (2d) 109 (C.F. 1re inst.), la Cour fédérale a jugé que la procédure appropriée à la lumière de l'article 22 était une action. Le juge Mahoney affirme ce qui suit à la page 114:

En l'espèce, l'appel est recevable conformément au par. 22(1) de la Loi sur les dessins industriels. Une poursuite par voie de demande fondée sur le par. 17(5) ou l'art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale serait inappropriée. Dans un appel interjeté conformément au par. 22(1) de la Loi, il faut engager une action.

[12]La Cour d'appel ne s'étant pas prononcée sur cette question, je suis d'avis que la procédure suggérée par le juge Mahoney est appropriée.

[13]De plus, comme le souligne avec justesse le procureur de la demanderesse, la règle 300 des Règles, dresse une liste exhaustive des procédures qui peuvent être instituées par voie de demande; le recours décrit à l'article 22 de la Loi n'est pas sur cette liste. En l'absence d'une disposition expresse à l'effet que les procédures suivant l'article 22 de la Loi sont instituées par voie de demande, toutes autres procédures doivent être prises par voie de déclaration (paragraphe 61(1) et règle 169 des Règles).

[14]C'est donc à bon droit que la demanderesse s'adresse à la Cour par voie de déclaration.

b) S'agit-il d'un procès de novo?

[15]Le paragraphe 22(1) de la Loi précise que la Cour ne doit intervenir que lorsqu'elle est satisfaite qu'il y a une omission sans cause suffisante d'une inscription sur le registre.

[16]Ainsi, la Cour devra évaluer le dossier tel que constitué devant le commissaire. Il ne peut donc s'agir d'un procès de novo au sens strict puisque ce terme renvoie à un procès qui requiert la création d'un nouveau dossier comme s'il n'y avait pas de dossier constitué précédemment (Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F. 145 (C.A.)).

[17]Les défendeurs soutiennent qu'un appel sous le régime de l'article 22 de la Loi doit être traité d'une manière similaire à un appel sous le régime de l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, et à un appel prévu à l'article 41 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 16] de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4. Je suis d'avis qu'ils ont raison puisque de la même façon, dans ces derniers recours, le dossier constitué par le commissaire constitue le fondement de la preuve devant la Cour fédérale auquel peut être ajoutée une preuve additionnelle.

c) La norme de contrôle

[18]Puisque l'appel prévu à l'article 22 de la Loi exige la révision en partie des conclusions du commissaire, il faut donc déterminer la norme de contrôle appropriée en l'espèce.

[19]Récemment, dans l'affaire Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, la Cour suprême du Canada a réitéré qu'il faut appliquer l'approche pragmatique et fonctionnelle qui exige que la cour de révision soupèse une série de facteurs afin de déterminer la norme de révision applicable à une décision administrative. Les facteurs contextuels sont les suivants: la présence ou l'absence dans la loi d'une clause privative ou d'un droit d'appel; l'expertise du tribunal relativement à celle de la cour de révision sur la question en litige; l'objet de la loi et de la disposition particulière; la nature de la question--de droit, de fait ou mixte de fait et de droit.

La présence ou l'absence d'une clause privative

[20]Le premier facteur concerne le mécanisme de contrôle prévu par la Loi. La Loi peut contenir une clause privative laquelle invite à une plus grande déférence. En l'espèce, l'absence d'une clause privative indique que peu de déférence est due à la décision du commissaire.

L'expertise du décideur

[21]Le deuxième facteur reconnaît qu'un décideur peut avoir une expertise particulière dans un domaine qui est plus importante que celle des cours de justice. Le commissaire est appelé à rendre toute décision en vertu de la Loi sur les dessins industriels, plus particulièrement, il est appelé à décider si on doit enregistrer ou non un dessin industriel. Ce faisant, je suis d'avis qu'il a une expertise que la Cour ne détient pas et que plus de déférence doit lui être accordé.

L'objet de la Loi

[22]L'approche pragmatique et fonctionnelle étant axée sur l'intention du législateur, il faut examiner l'objet général de la Loi dans laquelle s'inscrit la décision. La Loi sur les dessins industriels n'exige pas que le décideur choisisse parmi diverses réparations, ni qu'il statue sur les droits de deux parties mais prévoit uniquement l'enregistrement d'un dessin qui est original et qui rencontre les critères formulés dans la Loi. Ainsi, l'objet législatif s'écarte considérablement du rôle usuel des tribunaux, ce qui milite en faveur d'une plus grande déférence.

La nature de la question

[23]Lorsque la question qui fait l'objet du contrôle est de nature purement factuelle, il y a lieu à plus grande déférence. Inversement, une question de droit invite à contrôle plus rigoureux (Dr Q).

[24]En l'espèce, la question est de savoir si la forme du dessin industriel est originale. La Cour fédérale a décidé qu'il s'agissait d'une question purement factuelle (Bata Industries Ltd. c. Warrington Inc. (1985), 5 C.I.P.R. 223 (C.F. 1re inst.)). Il y a donc lieu à plus grande déférence.

[25]Après avoir examiné ces facteurs, je suis d'avis que de façon générale la norme de contrôle appropriée en l'espèce sera celle de la décision raisonnable.

[26]Cependant, vu la possibilité de soumettre une preuve nouvelle, il faut regarder l'incidence de l'apport de cette nouvelle preuve sur la norme de contrôle. Cette question fait l'objet de commentaires par le juge Evans dans l'affaire Garbo Group Inc. c. Harriet Brown & Co. (1999), 23 Admin. L.R. (3d) 153 (C.F. 1re inst.), eu égard à l'impact du dépôt d'une preuve nouvelle en vertu du paragraphe 56(5) de la Loi sur les marques de commerce. Ces commentaires sont très pertinents en l'espèce.

[27]Le juge Evans affirmait aux paragraphes 37 et 38:

Les conséquences à l'égard de la norme de contrôle qu'entraîne le dépôt en appel d'une preuve additionnelle seront largement fonction de la mesure dans laquelle cette autre preuve a une force probante plus grande que celle des éléments fournis au registraire. Si l'élément apporté a peu de poids et ne consiste qu'en une simple répétition des éléments déjà mis en preuve sans accroître la force probante de ceux-ci, la présence de cet élément additionnel ne devrait avoir aucune incidence sur la norme de contrôle appliquée par la Cour en appel.

Par contre, lorsque la preuve additionnelle va au-delà de ce qui a déjà été établi devant le registraire, la Cour doit alors se demander si, à la lumière de cette preuve, le registraire a rendu la mauvaise décision à l'égard de la question sur laquelle porte ces éléments de preuve et, peut-être, si la décision au fond est elle-même justifiée. Plus les éléments de preuve additionnels ont un poids important, plus la cour d'appel sera portée à tirer elle-même une conclusion de fait.

[28]Dans la présente affaire, la demanderesse a soumis une preuve nouvelle à la Cour fédérale laquelle ajoute de façon significative à la preuve apportée devant le commissaire. Je considère, à la lumière de cette preuve additionnelle, que le commissaire n'aurait pas rendu la même décision de sorte que la norme de contrôle applicable en l'espèce est celle de la décision correcte.

d) Les dessins industriels

[29]La Loi sur les dessins industriels vise à protéger les caractéristiques ou combinaisons de caractéristiques visuelles d'un objet fini en ce qui touche la configuration, le motif ou les éléments décoratifs.

[30]Le test utilisé pour déterminer l'originalité d'un dessin est celui de l'appréciation uniquement visuelle des caractéristiques d'un objet fini. Il est trouvé dans la version anglaise de la définition de «design» à l'article 2 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 10, art. 20] de la Loi qui se lit comme suit:

2. . . .

"design" or "industrial design" means features of shape, configuration, pattern or ornament and any combination of those features that, in a finished article, appeal to and are judged solely by the eye;

[31]La demanderesse soumet que ce test requiert que l'examen des dessins soit fait du point de vue du consommateur averti. Je suis du même avis. Dans l'arrêt anglais Amp Incorporated v. Utilux Proprietary Ltd., [1972] R.P.C. 103 (H.L.), la Cour établit que le dessin industriel doit être apprécié du point de vue du consommateur. À la page 108 de la décision, lord Reid écrit:

[traduction] Donc le dessin doit plaire à l'oeil de certains clients. El les mots «appréciation uniquement visuelle» doivent avoir pour objet d'exclure les cas où un client choisit un objet de telle ou telle forme non pas en raison de son apparence mais parce qu'il croit que l'objet lui sera plus utile en raison de sa forme. [Je souligne.]

[32]Cet arrêt fut cité par le juge Mahoney de cette Cour dans Gandy c. Commissioner of Patents. Le commissaire devait donc se placer dans la position du consommateur qui connaît le domaine du marché des blocs.

e) L'originalité

[33]Avant d'être enregistrable, la Loi sur les dessins industriels prévoit que le dessin doit être considéré par l'examinateur comme étant original [paragraphe 7(3)]:

7. [. . .]

(3) En l'absence de preuve contraire, le certificat est une attestation suffisante du dessin, de son originalité, du nom du propriétaire, du fait que la personne dite propriétaire est propriétaire, de la date et de l'expiration de l'enregistrement, et de l'observation de la présente loi.

[34]La Loi ne définit pas le standard d'originalité requis. Le test pour déterminer si un dessin industriel est original fut établi dans l'affaire Clatworthy & Son Ltd. v. Dale Display Fixtures Ltd., [1929] R.C.S. 429. Le juge Lamont écrit aux pages 431 et 432 de la décision:

[traduction] Dans l'arrêt Dover, Limited v. Nürnberger Celluloidwaren Fabrik Gebruder Wolff ([1910] 2 Ch. 25, à la p. 29.], le juge Buckley, définit de la manière suivante le mot «original» lorsqu'il est question de dessin:--

Le mot «original» signifie que la personne a crée quelque chose, qu'en faisant travailler son esprit elle a eu une idée que personne n'a eue auparavant, c'est-à-dire qu'un motif, une forme ou un ornement particulier pourrait être incorporé. Si cet état de choses se réalise, alors le dessin sera original malgré que son image ou sa forme ou peu importe de ce dont il s'agit soit ancien en ce sens qu'il existait déjà si on le compare à un autre objet déjà existant.

Puis, il poursuit en affirmant:--

Il doit y avoir un exercise intelletuel visant à créer, c'est-à-dire à proposer pour la première fois quelque chose auquel personne n'a pensé auparavant quant à l'incorporation par un procédé manuel, mécanique ou chimique d'un motif, d'une forme ou d'un ornement à un élément particulier qui n'a jamais fait l'objet d'une telle incorporation.

[35]À la page 433, il ajoute que l'existence d'une différence substantielle avec le dessin antérieur est nécessaire pour trouver que le dessin est original:

[traduction] On doit toutefois se rappeler que pour qu'un dessin soit considéré comme étant original, il doit exister une différence importante entre le nouveau dessin et ce qui existait à ce moment-là. Une légère modification du contour ou de la configuration ou une modification peu importante ne permet pas à l'auteur d'obtenir un enregistrement.

Le degré d'originalité requis pour l'enregistrabilité d'un dessin industriel est supérieur à celui prévu par la législation canadienne en droit d'auteur, mais moindre que celui requis pour enregistrer un brevet (Bata Industries Ltd. c. Warrington Inc.).

[36]L'originalité d'un dessin est une question de fait qui doit être appréciée en tenant compte de la nature ainsi que du caractère de l'objet auquel le dessin réfère et les contraintes doivent être considérées lorsque l'originalité est évaluée (Bata Industries; Application of Dart Industries Inc. (Re) (1983), 3 C.P.R. (3d) 420 (Comm. des brevets)).

[37]Un dessin industriel vise à protéger les caractéristiques visuelles des objets fonctionnels mais celles-ci ne doivent pas être uniquement le résultat d'une fonction de cet objet. Dans l'affaire Application for Industrial Design Registration by Robin R. Boyan (Re) (1977), 56 C.P.R. (2d) 134 (Comm. des brevets), l'examinateur a rejeté une demande d'enregistrement d'un dessin industriel pour des pierres de pavé parce que le dessin n'était pas suffisamment original comparé au dessin antérieur. Les deux dessins avaient des saillies sur les côtés latéraux des pierres, mais dans le dessin du demandeur, les saillies étaient placées de manière irrégulière alors que dans l'art antérieur elles étaient situées à distance égale le long des côtés.

[38]La Commission a décidé que lorsqu'un objet est majoritairement fonctionnel, des différences minimes peuvent être suffisantes pour conclure à l'originalité.

2. La preuve de la demanderesse devant la Cour fédérale

[39]Le commissaire a rejeté la demande d'enregistre-ment en raison de l'absence d'originalité du dessin par rapport à l'art antérieur. Il a aussi conclu que les changements apportés au dessin résultaient des caractéristiques fonctionnelles de la configuration du bloc.

[40]La demanderesse a déposé devant la Cour fédérale une preuve supplémentaire en plus du dossier de la demande d'enregistrement du dessin industriel du NPII. Elle réfère à l'affidavit de M. Angelo Risi, le président de la demanderesse ainsi que le concepteur du NPII, ainsi qu'à l'affidavit de M. Michael Bernardi, témoin-expert de la demanderesse en matière de murs de soutènement.

[41]M. Risi a témoigné qu'en 1997, il a conçu un nouveau dessin pour les blocs utilisés pour ériger des murs de soutènement et de division, le NPII. Ce bloc avait un embrèvement (recess) transversal sur le côté opposé au côté granulaire. Cet embrèvement n'existait pas sur les blocs trouvés sur le marché à cette époque.

[42]Il explique que ces blocs sont produits en paires. La surface granulaire est créée une fois que les deux blocs sont séparés par le consommateur. Donc, lorsque le consommateur achète ce produit, il remarquera tout de suite que les côtés ne sont plus lisses comme ceux de l'art antérieur, mais ont maintenant un embrèvement transversal. M. Risi a témoigné n'avoir jamais vu un tel embrèvement sur un bloc de ce type avant l'introduction de ses blocs sur le marché. M. Risi dit avoir créé ce nouveau dessin pour trouver une manière de se distinguer de ses compétiteurs. La présence de l'embrèvement donnait une allure esthétique différente qui offrait au consommateur un choix quant à la façade qu'il voulait donner à son mur.

[43]M. Risi mentionne que suite à l'introduction du NPII sur le marché, la demande pour le produit a immédiatement augmenté et il a reçu des commentaires favorables de plusieurs clients qui appréciaient l'alternative esthétique que leur procurait le NPII.

[44]M. Risi a témoigné que ces blocs ne sont pas offerts au public, mais sont distribués à des entrepreneurs, des ingénieurs et des jardiniers. Le consommateur de ces blocs est donc une personne bien versée dans l'art des blocs utilisés pour ériger des murs de soutènement et des murs de division.

[45]M. Bernardi, une personne versée dans le domaine des blocs servant à la construction de murs de soutènement et de murs de division, explique que lorsqu'il a vu ce bloc pour la première fois, son attention fut immédiatement portée sur cet embrèvement et il s'est immédiatement demandé quelle était la raison de ce changement au dessin. Il a témoigné n'avoir jamais vu entre 1982 et 1997 un bloc ayant un embrèvement transversal sur la surface opposée de la face granulaire.

[46]M. Bernardi a également témoigné que cet embrèvement est trop petit pour faciliter le transport des blocs, surtout une fois qu'ils sont séparés, et que sa présence n'allège pas le bloc de manière substantielle (M. Bernardi estime que l'embrèvement réduirait le poids d'un bloc individuel par trois livres, ce qui est négligeable car ils pèsent individuellement approximativement 45 livres).

[47]M. Bernardi a expliqué que plusieurs options d'installation sont possibles selon que l'on utilise la face granulaire ou la face de l'embrèvement.

[48]De plus, ces blocs sont très utiles pour ériger des murs de soutènement combinés avec des murs de division. Le consommateur pourrait alors choisir de construire un mur qui a deux façades différentes, une granulaire, et une avec un air plus moderne.

[49]M. Bernardi estime que le NPII est plus versatile à l'effet que le bloc Pisa II. Il présente suffisamment de différences avec l'art antérieur pour retenir l'attention du consommateur de ces blocs. Selon M. Bernardi, cet ajout d'un embrèvement à la surface opposée à la face granulaire du bloc rend le dessin du NPII original.

[50]Ainsi, la preuve supplémentaire a révélé que plusieurs options d'installation sont possibles tant pour un mur de soutènement que pour un mur de division. Le commissaire a conclu que cet embrèvement relevait purement d'un rôle fonctionnel. Il a omis de considérer l'aspect esthétique de l'embrèvement.

[51]Vu la nouvelle preuve, je suis d'avis que le commissaire a commis une erreur de fait en omettant de considérer que la surface opposée à la face granulaire du bloc pouvait également servir de façade pour un mur. Cette erreur est importante car elle influence son appréciation de l'originalité du dessin faisant l'objet de la demande 1997-1470.

[52]J'accepte le témoignage de M. Bernardi, lui-même étant une personne versée dans le domaine des blocs servant à la construction de murs de soutènement et de murs de division, à l'effet que lorsqu'il a vu ce bloc pour la première fois, son attention fut immédiatement attirée par cet embrèvement sur la face «arrière» de la pierre. Il s'est immédiatement demandé quelle était la raison de ce changement au dessin. J'accepte sa conclusion que l'embrèvement permet plusieurs options d'installation et que le NPII est plus versatile que le bloc Pisa II et qu'il présente suffisamment de différences avec l'art antérieur pour retenir l'attention du consommateur.

[53]J'accepte également le témoignage de M. Risi que ces blocs ne sont pas vendus directement au public, mais sont distribués à des entrepreneurs, des ingénieurs, des jardiniers, etc. Le consommateur est donc une personne bien versée dans l'art des blocs utilisés pour des murs de soutènement et des murs de division, tout comme le témoin-expert, et, à la lumière de la décision dans Gandy, c'est avec cette perspective que le commissaire aurait dû examiner le dessin.

[54]Eu égard à la preuve produite devant cette Cour, je réponds par l'affirmative aux trois questions soulevées dans le présent litige.

1. Est-ce-que le commissaire aux brevets (et l'examinateur avant lui) a erré en droit et en fait dans son évaluation du degré d'originalité requis pour l'enregistrement du dessin industriel du bloc NPII de la demanderesse?

Réponse: oui.

2. Est-ce-que le commissaire a erré en refusant, sans cause suffisante, d'enregistrer le dessin industriel de la demanderesse pour le bloc NPII?

Réponse: oui.

3. Est-ce-que le dessin industriel de la demanderesse pour le bloc NPII est valide et enregistrable en vertu des dispositions de la Loi sur les dessins industriels de sorte que la Cour fédérale puisse ordonner que l'inscription soit faite au registre conformément à l'article 22 de cette Loi?

Réponse: oui

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que l'inscription du dessin industriel intitulé «block» faisant l'objet de la demande 1997-1470 soit faite sur le registre des dessins industriels.

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