Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-2473-03

2005 CF 171

Procureur général du Canada (demandeur)

c.

Sam Lévy et Associés Inc., syndic de faillite et Samuel S. Lévy, syndic de faillite (défendeurs)

Répertorié: Canada (Procureur général) c. Sam Lévy et Associés Inc. (C.F.)

Cour fédérale, juge Martineau--Toronto, 18 janvier; 3 février 2005.

Droit administratif -- Contrôle judiciaire visant l'annulation d'une décision interlocutoire rendue lors de l'audition relative à la conduite professionnelle des syndics -- Le délégué du surintendant des faillites s'est déclaré compétent pour entendre une requête préliminaire visant à faire déclarer inopérantes les dispositions législatives en cause au motif que la Loi sur la faillite et l'insolvabilité ne contient aucune garantie assurant aux syndics une audition devant un tribunal indépendant et impartial -- Le délégué s'est également déclaré compétent pour ordonner l'arrêt des procédures disciplinaires contre les syndics -- Le délégué s'est appuyé sur l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Nouvelle-Écosse (Workers' Compensation Board) c. Martin pour conclure qu'il avait implicitement compétence pour trancher les questions de droit soulevées en l'espèce puisqu'il était chargé d'appliquer les dispositions législatives concernant les procédures disciplinaires -- La suspension ou la révocation de la licence d'un syndic de faillite constitue l'aboutissement d'un processus quasi-judiciaire et le rôle exercé à cet égard est assimilable à celui d'un tribunal -- L'art. 14.02(1) à (3) prévoit que le syndic a le droit de recevoir un avis et de se faire entendre avant l'imposition de mesures disciplinaires -- Selon l'art. 14.02(2)b), lors de l'audition, le tribunal n'est lié par aucune règle juridique ou procédurale en matière de preuve -- Le pouvoir d'un tribunal d'examiner des questions de droit dépend de la question de savoir si la loi habilitante a confié ce pouvoir -- L'art. 14.01(1) impose au tribunal l'obligation de trancher des questions de fait, des questions mixtes de fait et de droit et des questions de droit concernant la conduite du syndic -- Le fait de trancher, en application de l'art. 14.01(1)b), la question de savoir si le syndic a violé la Loi, les Règles générales, etc. implique une question de droit -- La décision du délégué ne contenait aucune erreur révisable.

Faillite -- Le délégué du surintendant des faillites s'est déclaré compétent pour entendre une requête présentée de façon préliminaire par les syndics visant à faire déclarer inopérantes les dispositions législatives en cause et a ordonné l'arrêt des procédures disciplinaires -- En vertu de l'art. 5(2) de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, le surintendant des faillites a le mandat de contrôler l'administration des actifs et des affaires régies par la Loi -- Le surintendant, ou le délégué qu'il désigne, a le pouvoir de tenir des enquêtes sur la conduite d'un syndic et de lui imposer des mesures disciplinaires (c.-à-d. annuler la licence du syndic, la suspendre, etc.) -- Les obligations du surintendant lorsqu'on reproche à un syndic d'avoir violé la Loi, les Règles générales, etc. impliquent le fait de trancher des questions de droit (art. 14.01(1)) -- Pouvoir concomitant de statuer sur la constitutionnalité de sa loi habilitante.

Droit constitutionnel -- Principes fondamentaux -- L'arrêt Nouvelle-Écosse (Workers' Compensation Board) c. Martin a réaffirmé le principe, aux termes de l'art. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, de la suprématie de la Constitution et de l'invalidité de toute règle de droit qui y est incompatible -- Les réparations constitutionnelles relevant des tribunaux administratifs sont limitées et n'incluent pas les déclarations générales d'invalidité -- Présomption selon laquelle le tribunal ayant compétence pour trancher des questions de droit a le pouvoir concomitant de statuer sur la constitutionnalité de sa loi habilitante -- La Loi sur la faillite et l'insolvabilité donne au délégué du surintendant le pouvoir de trancher des questions de droit -- Rien dans la Loi ne renverse cette présomption -- Le délégué a eu raison de se déclarer compétent pour statuer sur la constitutionnalité de sa loi habilitante -- Les décisions des tribunaux administratifs sur des questions constitutionnelles ne lient pas les décideurs et sont sujettes au contrôle judiciaire d'une cour supérieure.

Il s'agissait d'une demande de contrôle judiciaire qui visait à faire annuler une décision interlocutoire rendue par le délégué du surintendant des faillites dans le cadre de l'audition relative à la conduite professionnelle des syndics. L'audition concernait leur administration de certains actifs régis par la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (la Loi). Le délégué s'est déclaré compétent pour entendre la requête présentée de façon préliminaire par les syndics visant à faire déclarer inopérantes à leur égard les dispositions législatives en cause au motif que celles-ci ne contenaient aucune garantie structurelle leur assurant une audition devant un tribunal indépendant et impartial et visant à obtenir une ordonnance d'arrêt des procédures disciplinaires contre eux. Après avoir rendu la décision contestée, le délégué a rejeté la requête des syndics et a indiqué qu'il était prêt à entendre le fond de l'affaire, une décision faisant également l'objet d'un contrôle judiciaire. Le délégué s'est appuyé sur l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Nouvelle-Écosse (Workers' Compensation Board) c. Martin pour conclure que, puisqu'il était chargé d'appliquer les dispositions législatives concernant les procédures disciplinaires, il avait implicitement compétence pour trancher toute question de droit pouvant se soulever en l'espèce, y compris les questions portant sur l'indépendance et l'impartialité du tribunal. La question est de savoir si le délégué, en tant que tribunal administratif, avait effectivement cette compétence.

Jugement: la demande est rejetée.

Organisme multifonctionnel de surveillance, d'enquête et d'adjudication, l'institution du surintendant des faillites doit contrôler l'administration des actifs et des affaires régies par la Loi (paragraphe 5(2)). Le surintendant, ou le délégué qu'il désigne, a le pouvoir de tenir des enquêtes concernant la conduite d'un syndic de faillite et il peut prendre des mesures disciplinaires ou économiques contre les syndics, comme l'annulation ou la suspension de leur licence. Toutefois, selon les paragraphes 14.02(1) à (3) de la Loi, un syndic doit recevoir un avis préalable de telles mesures et avoir la possibilité de se faire entendre lors d'une audition relative à sa conduite. La suspension ou la révocation de la licence d'un syndic de faillite constitue l'aboutissement d'un processus quasi judiciaire et le rôle qu'exerce le surintendant ou son délégué est assimilable à celui d'un tribunal. Les alinéas 14.02(2)b) et c) de la Loi prévoient que, lors des auditions, le tribunal n'est lié par aucune règle juridique ou procédurale en matière de preuve et il règle les questions avec célérité et sans formalisme, eu égard aux circonstances et à l'équité. Le demandeur n'a pas convaincu la Cour que la décision du délégué renfermait une erreur révisable.

Le délégué a bien interprété et appliqué l'arrêt Martin qui est applicable en l'espèce. Cet arrêt a affirmé clairement et unanimement la volonté de réévaluer et de reformuler les règles concernant la compétence des tribunaux administratifs en matière d'application de la Charte canadienne des droits et libertés. Il a également aboli la distinction, établie précédemment, entre les questions de droit générales et spécifiques. L'arrêt Martin a aussi réaffirmé trois principes fondamentaux: le principe, aux termes du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, de la suprématie de la Constitution et de l'invalidité de toute règle de droit qui y est incompatible; la pertinence du rôle joué par les tribunaux administratifs sur le plan contextuel; et la portée restreinte des ordonnances pouvant être émises par un tribunal administratif, ainsi que le rôle de contrôle que conservent les tribunaux supérieurs à leur égard. L'arrêt Martin a en outre déclaré que le tribunal administratif à qui l'on a conféré le pouvoir d'interpréter la loi est présumé détenir le pouvoir concomitant de déterminer si la loi est constitutionnelle. Une fois que le tribunal administratif est habilité à trancher des questions de droit, la complexité de la question ne constitue pas un obstacle. Contrairement aux jugements d'une cour de justice, les décisions des tribunaux administratifs sur des questions constitutionnelles ne créent pas de précédent et ne peuvent pas constituer une déclaration de validité de quelque règle de droit que ce soit--les réparations constitutionnelles disponibles sont donc limitées. Les décisions sont également sujettes au contrôle judiciaire d'une cour supérieure, selon le critère de la décision correcte.

Le pouvoir d'un tribunal de trancher des questions de droit dépendra de la question de savoir si la loi habilitante lui a confié ce pouvoir, expressément ou implicitement. Ainsi, selon une analyse contextuelle des articles 14.01 et 14.02 de la Loi et de la jurisprudence récente en matière disciplinaire, le surintendant ou son délégué (le tribunal) a effectivement le pouvoir et la responsabilité de trancher les questions de droit découlant de l'application de la Loi. Le paragraphe 14.01(1) impose l'obligation de trancher des questions de droit lorsqu'il est reproché à un syndic d'avoir violé la Loi, les Règles générales, les instructions du surintendant ou toute autre règle de droit relative à la bonne administration de l'actif. Dans ces circonstances, le surintendant peut, par exemple, suspendre ou révoquer la licence d'un syndic. Ces mesures peuvent également être prises lorsqu'un syndic ne remplit pas adéquatement ses obligations et «lorsqu'il est dans l'intérêt public de le faire». Par conséquent, le paragraphe 14.01(1) fait appel non seulement à l'examen de questions de fait, mais également à la détermination de questions mixtes de fait et de droit, et accessoirement de questions de droit. De plus, étant donné le pouvoir du tribunal de décréter le huis-clos (nouveau paragraphe 14.02(3) de la Loi), cela implique que le tribunal a le pouvoir de décider des questions de droit. Enfin, il n'y avait rien dans la Loi renversant la présomption selon laquelle, du fait que le tribunal a compétence pour trancher toute question de droit découlant de l'application de sa loi habilitante, il détient le pouvoir concomitant de statuer sur sa constitutionnalité. Par conséquent, le tribunal avait le pouvoir de statuer sur la constitutionnalité des dispositions législatives en cause.

lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,     Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appendice III, art. 2.

Forest Practices Code of British Columbia, R.S.B.C. 1996, ch. 159, art. 131(8).

Loi constitutionnelle de l982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 35.

Loi sur la faillite et l'insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3, art. 1 (mod. par L.C. 1992, ch. 27, art. 2), 5(2) (mod., idem, art. 5), (3)e) (mod. par L.C. 1997, ch. 12, art. 4), 14.01 (édicté par L.C. 1992, ch. 27, art. 9; 1997, ch. 12, art. 12), 14.02 (édicté par L.C. 1992, ch. 27, art. 9; 1997, ch. 12, art. 13; 2002, ch. 8, art. 182(1)b)), 14.03 (édicté par L.C. 1992, ch. 27, art. 9; 1997, ch. 12, art. 14); 14.04 (édicté par L.C. 1992, ch. 27, art. 9).

Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I-11.

jurisprudence citée

décision non suivie:

Laflamme c. Canada (Surintendant des faillites), [1995] 3 C.F. 174; (1995), 35 C.P.R. (3d) 230; 96 F.T.R. 200 (1re inst.).

décisions appliquées:

Pfeiffer c. Canada (Surintendant des faillites), [1996] 3 C.F. 584; (1996), 42 C.B.R. (3d) 245; 116 F.T.R. 173 (1re inst.) (quant à la méthode utilisée pour régler la question de savoir si le tribunal a le pouvoir de trancher des questions de droit); Nouvelle-Écosse (Workers' Compensation Board) c. Martin; Nouvelle-Écosse (Workers' Compensation Board) c. Laseur, [2003] 2 R.C.S. 504; (2003), 217 N.S.R. (2d) 301; 231 D.L.R. (4th) 385; 4 Admin. L.R. (4th) 1; 29 C.C.E.L. (3d) 1; 110 C.R.R. (2d) 233; 310 N.R. 22; 2003 CSC 54.

décisions examinées:

Paul c. Colombie-Britannique (Forest Appeals Commission), [2003] 2 R.C.S. 585; (2003), 213 D.L.R. (4th) 449; [2003] 11 W.W.R. 1; 187 B.C.A.C. 1; 18 B.C.L.R. (4th) 207; 5 Admin. L.R. (4th) 161; 3 C.E.L.R. (3d) 161; [2003] 4 C.N.L.R. 25; 310 N.R. 122; 2003 CSC 55; Dans l'affaire de l'audition disciplinaire du syndic Ronald McMahon, 16 février 2001, Marc Mayrand.

décisions citées:

Blais c. Basford, [1972] C.F. 151 (C.A.); 2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d'alcool), [1996] 3 R.C.S. 919; (1996), 140 D.L.R. (4th) 577; 42 Admin. L.R. (2d) 1; 205 N.R. 1; Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342; (1989), 57 D.L.R. (4th) 231; [1989] 3 W.W.R. 97; 75 Sask. R. 82; 47 C.C.C. (3d) 1; 33 C.P.C. (2d) 105; 38 C.R.R. 232; 92 N.R. 110; Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854; (1996), 140 D.L.R. (4th) 193; 43 Admin. L.R. (2d) 155; 26 C.C.E.L. (2d) 1; 40 C.R.R. (2d) 81; 204 N.R. 1; Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 17 D.L.R. (4th) 422; 12 Admin. L.R. 137; 14 C.R.R. 13; 58 N.R. 1; MacBain c. Lederman, [1985] 1 C.F. 856; (1985), 22 D.L.R. (4th) 119; 16 Admin. L.R. 109; 6 C.H.R.R. D/3064; 85 CLLC 17,023; 18 C.R.R. 165; 62 N.R. 117 (C.A.); Gwala c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 3 C.F. 404; (1999), 3 Imm. L.R. (3d) 26; 242 N.R. 173 (C.A.); Métivier c. Mayrand, [2003] R.J.Q. 3035; (2003), 18 Admin. L.R. (4th) 14; 50 C.B.R. (4th) 153 (C.A.); Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College, [1990] 3 R.C.S. 570; (1990), 77 D.L.R. (4th) 94; [1991] 1 W.W.R. 643; 52 B.C.L.R. (2d) 68; 91 CLLC 17,002; 118 N.R. 340; Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [1991] 2 R.C.S. 5; (1991), 81 D.L.R. (4th) 121; 91 CLLC 14,024; 122 N.R. 361; [1991] OLRB Rep 790; Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), [1991] 2 R.C.S. 22; (1991), 81 D.L.R. (4th) 358; 50 Admin. L.R. 1; 36 C.C.E.L. 117; 91 CLLC 14,023; 4 C.R.R. (2d) 12; 126 N.R. 1; R. c. Stinchcombe, [1995] 1 R.C.S. 754; (1995), 162 A.R. 269; 96 C.C.C. (3d) 318; 38 C.R. (4th) 42; 178 N.R. 157; Dans l'affaire de l'audition disciplinaire des syndics Henry Sztern et Henry Sztern et Associés inc., 29 mai 2001, Benjamin J. Greenberg; Dans l'affaire de l'audition disciplinaire des syndics Segal & Partners Inc. et Todd Y. Sheriff, 3 septembre 2002, Marc Mayrand; Dans l'affaire de l'audition disciplinaire des syndics Segal & Partners Inc. et Todd Y. Sheriff, 12 septembre 2003, Marc Mayrand.

DEMANDE de contrôle judiciaire visant à obtenir l'annulation d'une décision interlocutoire du délégué du surintendant des faillites qui s'est déclaré compétent pour entendre une requête présentée de façon préliminaire par les syndics visant à faire déclarer inopérantes à leur égard les dispositions législatives en cause et à obtenir une ordonnance d'arrêt des procédures disciplinaires contre eux. Demande rejetée.

ont comparu:

Bernard Letarte et Robert Monette pour le demandeur.

Daniel DesAulniers, Jean-Philippe Gervais et R. Michel Décary pour les défendeurs.

avocats inscrits au dossier:

Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.

Grondin, Poudrier, Bernier, Québec, et Gervais & Gervais, Montréal, et Stikeman, Elliott, LLP, Montréal, pour les défendeurs.

Voici les motifs de l'ordonnance et de l'ordonnance rendus en français par

[1]Le juge Martineau: Les défendeurs Samuel S. Lévy et Sam Lévy et Associés Inc. (les syndics) font présentement l'objet de procédures disciplinaires relativement à leur administration de certains actifs régis par la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3, telle que modifiée [art. 1 (mod. par L.C. 1992, ch. 27, art. 2)] (la Loi).

[2]Organisme multifonctionnel de surveillance, d'enquête et d'adjudication, l'institution du surintendant des faillites (le surintendant) a pour mandat général de contrôler l'administration des actifs et des affaires régies par la Loi (paragraphe 5(2) de la Loi [mod., idem, art. 5]). Ainsi, le surintendant peut notamment tenir ou faire tenir des enquêtes sur la conduite d'un syndic de faillite et suspendre ou annuler la licence qu'il lui a délivrée, en plus d'ordonner au syndic de rembourser à l'actif toute somme qui a été soustraite en raison de sa conduite (alinéa 5(3)e) [mod. par L.C. 1997, ch. 12, art. 4] et paragraphe 14.01(1) [édicté par L.C. 1992, ch. 27, art. 9; 1997, ch. 12, art. 12] de la Loi). Toutefois, de telles mesures disciplinaires ou économiques ne peuvent être prises contre un syndic sans avis préalable et sans avoir donné à ce dernier la possibilité de se faire entendre, et ce, à une audition dûment convoquée à cette fin (paragraphes 14.02(1) à (3) de la Loi [art. 14.02(1) (édicté par L.C. 1992, ch. 27, art. 9; 1997, ch.12, art. 13), (2) (édicté par L.C. 1992, ch. 27, art. 9), (3) (édicté, idem; 1997, ch. 12, art. 13)]).

[3]Avant d'aller plus loin, précisons que les parties sont d'accord pour reconnaître que la suspension ou la révocation de la licence d'un syndic de faillite constitue l'aboutissement d'un processus quasi-judiciaire, et que le rôle qu'exercent à cet égard soit le surintendant lui-même (antérieurement le ministre de l'Industrie, des Sciences et de la Technologie et ses prédécesseurs), soit le délégué qu'il désigne en vertu du paragraphe 14.01(2) [édicté par L.C. 1992, ch. 27, art. 9; 1997, ch. 12, art. 12] de la Loi, est assimilable à celui d'un tribunal (Blais c. Basford, [1972] C.F. 151 (C.A.), à la page 164; Laflamme c. Canada (Surintendant des faillites), [1995] 3 C.F. 174 (1re inst.), aux pages 181 et 182; Pfeiffer c. Canada (Surintendant des faillites), [1996] 3 C.F. 584 (1re inst.), à la page 591; 2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d'alcool), [1996] 3 R.C.S. 919, aux pages 947 à 949). Aussi, pour les fins des présents motifs de décision, lorsque le surintendant ou le délégué qu'il peut désigner en vertu du paragraphe 14.01(2) [édicté par L.C. 1992, ch. 27, art. 9; 1997, ch. 12, art. 12] de la Loi exercent ou prétendent exercer une compétence qui leur est dévolue en vertu des articles 14.01 [(3) édicté par L.C. 1992, ch. 27, art. 9)], 14.02 [(4) (édicté, idem; 1997, ch. 12, art. 13), (5) (édicté par L.C. 1992, ch. 27, art. 9; 2002, ch. 8, art. 182(1)b)] et 14.03 [édicté par L.C. 1992, ch. 27, art. 9; 1997, ch. 12, art. 14] de la Loi (les dispositions législatives en cause), j'utiliserai le terme «tribunal». Ceci étant dit, les dispositions législatives en cause prévoient que lors de l'audition, le tribunal n'est lié par aucune règle juridique ou procédurale en matière de preuve, et que celui-ci règle les questions exposées dans l'avis d'audition avec célérité et sans formalisme, eu égard aux circonstances et à l'équité (alinéas 14.02(2)b) et c) de la Loi). En outre, diverses mesures conservatoires peuvent être prises pour assurer la sauvegarde d'un actif avant que la décision finale ne soit rendue par le tribunal (article 14.03 de la Loi). Les dispositions législatives en cause sont reproduites en annexe.

[4]En l'espèce, le demandeur, le procureur général du Canada, a déposé la présente demande de contrôle judiciaire qui vise à faire annuler une décision interlocutoire rendue le 4 décembre 2003 par l'honorable Fred Kaufman, c.r., délégué du surintendant des faillites (le délégué), dans le cadre de l'audition relative à la conduite professionnelle des syndics (la décision contestée). Ce dernier s'est déclaré compétent pour entendre une requête présentée de façon préliminaire par les syndics visant, d'une part, à faire déclarer inopérantes à leur égard les dispositions législatives en cause au motif que celles-ci ne contiennent aucune garantie structurelle leur assurant une audition devant un tribunal indépendant et impartial et visant, d'autre part, à obtenir une ordonnance d'arrêt des procédures à leur égard au motif que la mise en application de ces dispositions ne leur assure pas davantage une audition devant un tribunal indépendant et impartial. Quoiqu'il en soit, après avoir rendu la décision contestée, dans une seconde décision, celle-là rendue le 19 décembre 2003, le délégué a rejeté la requête des syndics et a indiqué aux parties qu'il était prêt à entendre le fond de l'affaire (la seconde décision). Cette dernière décision fait également l'objet d'une demande de contrôle judiciaire, celle-là déposée par les syndics (dossier T-75-04).

[5]Bien que la demande de contrôle du procureur général du Canada m'apparaît à première vue sans objet, ou jusqu'à un certain point académique, je ne ferai pas porter le rejet de la demande sur ce dernier motif. Considérant que les parties ont eu l'occasion de débattre pleinement de la question de compétence du tribunal et que l'applicabilité des décisions antérieures de la Cour dans Laflamme et Pfeiffer mérite d'être clarifiée eu égard à la jurisprudence plus récente de la Cour suprême et à certains amendements législatifs, j'ai décidé de trancher aujourd'hui la question de compétence du tribunal (Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342).

[6]Essentiellement, la décision contestée se fonde sur l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada, le 3 octobre 2003, dans Nouvelle-Écosse (Workers' Compensation Board) c. Martin; Nouvelle-Écosse (Workers' Compensation Board) c. Laseur, [2003] 2 R.C.S. 504 (l'arrêt Martin). Puisqu'il est chargé d'appliquer les dispositions législatives en cause, le délégué a conclu qu'il avait implicitement compétence pour trancher toute question de droit pouvant se soulever en l'espèce,--ce qui inclut donc la question de l'indépendance et de l'impartialité du tribunal; d'autant plus que toute erreur de droit pourra être ultimement corrigée par la Cour fédérale qui a compétence pour réviser toute décision du tribunal (paragraphe 14.02(5) de la Loi).

[7]À mon avis, le délégué a bien interprété et appliqué l'arrêt Martin qui est applicable en l'espèce. Le procureur général ne m'a pas convaincu que la décision contestée renferme une erreur de droit révisable. L'arrêt Martin est déterminant. Celui-ci affirme la volonté clairement exprimée par la Cour suprême du Canada, dans une opinion unanime, de réévaluer et de reformuler, sous forme de lignes directrices claires, les règles concernant la compétence des tribunaux administratifs en matière d'application de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (la Charte). Ce faisant, la Cour suprême a également aboli la distinction entre les questions de droit générales et spécifiques qui avait été créée dans l'arrêt Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854.

[8]Au paragraphe 3 du jugement, le juge Gonthier, énonce par ailleurs la règle générale suivante:

Les tribunaux administratifs ayant compétence--expresse ou implicite--pour trancher les questions de droit découlant de l'application d'une disposition législative sont présumés avoir le pouvoir concomitant de statuer sur la constitutionnalité de cette disposition. Cette présomption ne peut être réfutée que par la preuve que le législateur avait manifestement l'intention de soustraire les questions relatives à la Charte à la compétence que les tribunaux administratifs possèdent à l'égard des questions de droit. Je suis d'avis que, dans la mesure où ils sont incompatibles avec ce point de vue, il n'y a plus lieu de se fonder sur les motifs des juges majoritaires dans l'arrêt Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854.

[9]D'autre part, trois principes fondamentaux ont été réaffirmés dans l'arrêt Martin. Le premier concerne le principe de la suprématie de la Constitution [Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice III, no 44]] (aux paragraphes 28 et 29):

Premièrement--ce qui est le plus important --, la Constitution est, aux termes du par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, «la loi suprême du Canada» et «elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit». L'invalidité d'une disposition législative incompatible avec la Charte découle non pas d'une déclaration d'inconstitutionnalité par une cour de justice, mais plutôt de l'application du par. 52(1). Donc, en principe, une telle disposition est invalide dès son adoption, et l'obtention d'un jugement déclaratoire à cet effet n'est qu'un moyen parmi d'autres de protéger ceux et celles qui en souffrent préjudice. En ce sens, la question de la constitutionnalité est inhérente à tout texte législatif en raison du par. 52(1). Les tribunaux judiciaires ne doivent pas appliquer des règles de droit invalides, et il en va de même pour tout niveau ou organe de gouvernement, y compris un organisme administratif de l'État. De toute évidence, un fonctionnaire ne saurait être tenu de s'interroger et de se prononcer sur la constitutionnalité de chaque disposition qu'il est appelé à appliquer. Toutefois, s'il est investi du pouvoir d'examiner les questions de droit liées à une disposition, ce pouvoir englobe habituellement celui d'évaluer la constitutionnalité de cette disposition. Cela s'explique par le fait que la compatibilité d'une disposition avec la Constitution est une question de droit découlant de l'application de cette disposition. À vrai dire, il n'y a pas de question de droit plus fondamentale puisqu'elle permet de déterminer si, dans les faits, la disposition est valide et, par conséquent, si elle doit être interprétée et appliquée, ou s'il y a lieu de ne pas en tenir compte.

Il découle, en pratique, de ce principe de la suprématie de la Constitution que les Canadiens doivent pouvoir faire valoir les droits et libertés que leur garantit la Constitution devant le tribunal le plus accessible, sans devoir engager des procédures judiciaires parallèles: voir Douglas College, précité, p. 603-604. Pour reprendre les propos du juge La Forest, «il ne peut y avoir une Constitution pour les arbitres et une autre pour les tribunaux» (Douglas College, précité, p. 597). Ce souci d'accessibilité est d'autant plus pressant qu'au départ bon nombre de tribunaux administratifs ont compétence exclusive pour trancher les différends relatifs à leur loi habilitante, de sorte qu'obliger les parties à ces différends à saisir une cour de justice de toute question liée à la Charte leur imposerait un long et coûteux détour. Comme la juge McLachlin (maintenant Juge en chef) l'a affirmé dans ses motifs dissidents dans l'arrêt Cooper, précité, par. 70:

La Charte n'est pas un texte sacré que seuls les initiés des cours supérieures peuvent aborder. C'est un document qui appartient aux citoyens, et les lois ayant des effets sur les citoyens ainsi que les législateurs qui les adoptent doivent s'y conformer. Les tribunaux administratifs et les commissions qui ont pour tâche de trancher des questions juridiques ne sont pas soustraits à cette règle. Ces organismes déterminent les droits de beaucoup plus de justiciables que les cours de justice. Pour que les citoyens ordinaires voient un sens à la Charte, il faut donc que les tribunaux administratifs en tiennent compte dans leurs décisions. [Nos soulignés.]

[10]Le second principe identifié dans l'arrêt Martin s'attarde à la pertinence du rôle joué par les tribunaux administratifs sur le plan contextuel (au paragraphe 30):

Deuxièmement, un différend relatif à la Charte ne survient pas en l'absence de tout contexte. Son règlement exige une connaissance approfondie des objectifs du régime législatif contesté, ainsi que des contraintes pratiques liées à son application et des conséquences de la réparation constitutionnelle proposée. Cela est d'autant plus vrai lorsque, comme c'est souvent le cas, il devient nécessaire de décider si l'atteinte prima facie à un droit garanti par la Charte est justifiée au sens de l'article premier. À cet égard, les conclusions de fait d'un tribunal administratif et le dossier qu'il établit, de même que la perception éclairée qu'il a, à titre d'organisme spécialisé, des différentes questions que soulève une contestation constitutionnelle, seront souvent extrêmement utiles à la cour qui procède au contrôle judiciaire. [Nos soulignés.]

[11]Le troisième principe retenu dans Martin souligne la portée restreinte des ordonnances pouvant être émises par un tribunal administratif, ainsi que le rôle de contrôle que conservent les tribunaux supérieurs à leur égard (au paragraphe 31):

Troisièmement, les décisions d'un tribunal administratif fondées sur la Charte sont assujetties au contrôle judiciaire suivant la norme de la décision correcte: voir Cuddy Chicks, précité, p. 17. L'erreur de droit qu'un tribunal administratif commet en interprétant la Constitution peut toujours faire l'objet d'un contrôle complet par une cour supérieure. En outre, les réparations constitutionnelles relevant des tribunaux administratifs sont limitées et n'incluent pas les déclarations générales d'invalidité. La décision d'un tribunal administratif qu'une disposition de sa loi habilitante est invalide au regard de la Charte ne lie pas les décideurs qui se prononceront ultérieurement dans le cadre ou en dehors du régime administratif de ce tribunal. Ce n'est qu'en obtenant d'une cour de justice une déclaration formelle d'invalidité qu'une partie peut établir, pour l'avenir, l'invalidité générale d'une disposition législative. En conséquence, permettre aux tribunaux administratifs de trancher des questions relatives à la Charte ne mine pas le rôle d'arbitre ultime que les cours de justice jouent en matière de constitutionnalité au Canada. [Nos soulignés.]

[12]Une fois posé les principes exposés plus haut, le juge Gonthier poursuit dans Martin, au paragraphe 34 en affirmant que «[d]onc, en règle générale, "le tribunal administratif à qui l'on a conféré le pouvoir d'interpréter la loi a aussi le pouvoir concomitant de déterminer si la loi est constitutionnelle" [. . .] Si un tribunal administratif jouit du pouvoir d'examiner des questions de droit, il s'ensuit, par application du par. 52(1) [de la Loi constitutionnelle de 1982], qu'il peut se prononcer sur des questions constitutionnelles, dont celle de la constitutionnalité de sa loi habilitante». Au passage, je note ici que, comme instrument quasi-constitutionnel, la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, ch. 44, reproduite dans L.R.C. (1985), appendice III (la Déclaration) conserve toute sa force et son effet (Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, à la page 224; MacBain c. Lederman, [1985] 1 C.F. 856 (C.A.), aux pages 875 à 879). À cet égard, l'article 2 de la Déclaration précise que «[t]oute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonobstant la Déclaration canadienne des droits, doit s'interpréter et s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes» (nos soulignés).

[13]Les règles élaborées dans l'arrêt Martin ont par ailleurs été appliquées dans Paul c. Colombie- Britannique (Forest Appeals Commission), [2003] 2 R.C.S. 585, également décidé le même jour. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a décidé à l'unanimité que la Forest Appeals Commission (la Commission), un organisme administratif provincial, pouvait trancher de manière accessoire une question de droits ancestraux relevant de la compétence législative fédérale. La Cour suprême a reconnu que malgré leurs différences, les tribunaux administratifs et les cours de justice font parties du système judiciaire. Il est donc juste de considérer que le système judiciaire englobe les tribunaux de droit commun, les cours fédérales, les cours créées par une loi provinciale et les tribunaux administratifs. Bref, en appliquant leur loi habilitante, les organismes administratifs doivent tenir compte de toutes les règles de droit fédérales et provinciales applicables. Or, le pouvoir de trancher une question de droit s'entend du pouvoir de la trancher en n'appliquant que des règles de droit valides. À cet égard, la loi en cause dans Paul, soit la Forest Practices Code of British Columbia, R.S.B.C. 1996, ch. 159 [paragraphe 131(8)], permettait à une partie de [traduction] «présenter des observations concernant les faits, le droit et la compétence». L'existence de cette dernière disposition, conjugué au fait que la décision de la Commission pouvait être portée en appel sur une question de droit ou de compétence, faisaient donc en sorte qu'il était impossible de soutenir que la Commission, un organisme juridictionnel, tranchait seulement de simples questions de fait.

[14]D'autre part, la complexité de la question à trancher ne constitue pas un obstacle une fois qu'il a été établi que le tribunal administratif est habilité à trancher des questions de droit. En l'espèce, dans Paul, la Cour suprême a décidé qu'il n'y avait aucune raison de distinguer les droits visés à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, des autres questions de droit constitutionnel. Ceci étant dit, contrairement aux jugements d'une cour de justice, les décisions des tribunaux administratifs sur des questions constitutionnelles ne crééent pas de précédents et ne sauraient constituer une déclaration de validité de quelque règle de droit que ce soit. De plus, celles-ci sont sujettes au contrôle judiciaire d'une cour supérieure, selon le critère de la décision correcte (Paul, aux paragraphes 22, 23, 33 et 39). En l'espèce, dans le cadre de l'examen de la deuxième décision du tribunal, la Cour pourra effectuer un examen complet de l'institution chargée de sanctionner la conduite dérogatoire des syndics de faillites, et ce, tant du point de vue des arguments de droit administratif que celui des arguments de droit constitutionnel soulevés par les syndics (Gwala c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 3 C.F. 404 (C.A.), aux paragraphes 4 et 5; Métivier c. Mayrand, [2003] R.J.Q. 3035 (C.A.), aux paragraphes 7, 10, 11, 21, 31 et 45).

[15]Quoiqu'il en soit, dans le présent dossier, le procureur général du Canada soutient que le tribunal, --qu'il s'agisse du surintendant lui-même ou du délégué qu'il désigne, --n'a pas compétence pour trancher des questions d'ordre constitutionnel sur la base des décisions rendues par notre Cour en 1995 et 1996 dans les affaires Laflamme et Pfeiffer. Ces deux décisions se fondent sur les principes généraux que la Cour suprême du Canada a antérieurement établis dans les arrêts Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College, [1990] 3 R.C.S. 570; Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [1991] 2 R.C.S. 5, et Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), [1991] 2 R.C.S. 22, mais que les juges Noël et Tremblay-Lamer ont interprété et appliqué de façon quelque peu différente.

[16]Dans Laflamme, le juge Noël (tel qu'il était alors) reconnaît que le tribunal possède le pouvoir implicite d'interpréter et d'appliquer toute disposition législative applicable en l'espèce. Il répond donc affirmativement à la question énoncée dans Martin. Toutefois, selon lui, ceci n'est pas suffisant pour conférer au tribunal le pouvoir de déterminer si ces mêmes dispositions sont valides «constitutionnellement» parlant. Ainsi, il indique à la page 184:

Je note à prime abord que le simple pouvoir que possède un tribunal d'interpréter et d'appliquer sa loi habilitante n'est pas en soi évocateur d'une intention législative conférant à ce tribunal le pouvoir de considérer toute question de droit relevant de la Charte. Tout tribunal est appelé à appliquer une loi et, dans cette mesure, doit l'interpréter. Si l'analyse devait s'arrêter là, la longue discussion dans laquelle s'est engagée la Cour suprême tant dans Tétreault-Gadoury, supra, que dans Cuddy Chicks, supra, ainsi que dans Douglas/Kwantlen, supra, serait superflue. Il semble clair que l'attribution législative doit non seulement conférer au tribunal le pouvoir d'interpréter sa loi habilitante, mais la compétence quant à l'objet du litige issu de l'invocation de la Charte ainsi que la réparation recherchée qui en découle doivent également s'inscrire dans la loi habilitante et faire partie des pouvoirs que le législateur a voulu lui conférer.

Or, dans l'instance, ce que le requérant demande, c'est que tout le régime législatif mis en place par l'article 7 et le paragraphe 14(2) de la Loi soit anéanti. De fait, il demande à l'honorable Fred Kaufman de se saisir d'une requête qui a comme aboutissement l'annulation pure et simple de son mandat législatif. Je ne peux déceler dans la Loi une intention législative quelconque voulant que le ministre ou son délégué puisse déclarer l'invalidité constitutionnelle de la loi constitutive de leur poste. À ce titre, ni l'objet du litige ni la réparation recherchée ne s'inscrivent dans la loi habilitante. [Nos soulignés.]

[17]Il est clair que l'approche «intégrale» préconisée plus haut est contraire à Martin. D'ailleurs, le procureur général du Canada reconnaît que la justesse juridique de la démarche suivie par le juge Noël dans Laflamme a été subséquemment mise en doute par Mme le juge Tremblay-Lamer dans Pfeiffer. Celle-ci indique aux paragraphes 26 et 31:

Bien que j'arrive à la même conclusion que le juge Noël, je ne suivrai pas la même démarche qu'a suivi mon collègue. Cette approche, à mon avis, est celle que l'on doit adopter lorsque l'on doit déterminer s'il s'agit d'un tribunal compétent au sens du paragraphe 24(1) de la Charte. Cette analyse n'est pas exigée lorsqu'il s'agit de déterminer le pouvoir d'un tribunal administratif d'examiner la constitutionnalité de sa loi habilitante en vertu de l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982.

[. . .]

À mon avis, il faut rechercher si, dans sa loi habilitante, le législateur, expressément ou implicitement, a confié au tribunal l'obligation d'examiner des questions de droit. C'est la démarche suivie par la Section de première instance dans l'arrêt Canada (Procureur général). c. Gill ainsi que celle que je suivais dans Canada (Procureur général) c. Racette-Villeneuve. [Mon soulignement.]

[18]Je préfère donc l'approche suggérée par Mme le juge Tremblay-Lamer dans Pfeiffer, qui m'apparaît plus conforme à l'état actuel du droit, bien que je n'utiliserais pas le terme «obligation» mais celui de «pouvoir» en référence à l'examen de questions de droit par le tribunal. Il faut donc rechercher si, dans sa loi habilitante, le législateur, expressément ou implicitement, a confié au tribunal le pouvoir de trancher des questions de droit.

[19]Ceci étant dit, Mme le juge Tremblay-Lamer dans Pfeiffer, est parvenue à la conclusion que le tribunal n'avait pas le pouvoir de trancher des questions de droit. Sa conclusion repose essentiellement sur les considérations suivantes:

a) Le fait que le tribunal doive appliquer sa loi habilitante n'est pas suffisant en soi pour conclure qu'il a le pouvoir de trancher des questions de droit (Pfeiffer, au paragraphe 33);

b) La décision de suspendre ou d'annuler la licence d'un syndic est prise lorsque le tribunal «estime que l'intérêt public le requiert» [mon soulignement] (Pfeiffer, au paragraphe 32);

c) Le processus d'audition prévu à la Loi est informel. Ainsi, le tribunal n'est pas lié par les règles de preuve. De plus, «[l]es questions doivent être réglées eu égard aux circonstances et à l'équité» (Pfeiffer, au paragraphe 35);

d) Le législateur n'a pas accordé au tribunal les pouvoirs d'enquête que l'on retrouve dans la Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I-11 (Pfeiffer, au paragraphe 35);

e) En particulier, l'absence du pouvoir du tribunal de décréter le huis-clos (cette détermination implique selon la Cour nécessairement des questions de droit) ne permet pas d'inférer que le tribunal possède le pouvoir implicite de statuer sur des questions de droit (Pfeiffer, aux paragraphes 36 et 37).

[20]Il m'est impossible d'arriver, comme le fait Mme le juge Tremblay-Lamer dans Pfeiffer, à la conclusion que le tribunal n'a pas compétence pour trancher les questions de droit découlant de l'application des dispositions législatives en cause. Si je lis bien les motifs fournis par cette dernière, celle-ci semble tenir pour acquis que la décision du tribunal de suspendre ou d'annuler une licence d'un syndic est essentiellement prise en fonction de l'intérêt public, eu égard aux circonstances et à l'équité. En conséquence, le tribunal ne serait jamais appelé à trancher des questions de droit. Si tel est le cas, la prémisse sur laquelle repose la suite du raisonnement de Mme le juge Tremblay-Lamer dans Pfeiffer est clairement erronée. Ainsi, une analyse contextuelle des articles 14.01 et 14.02 de la Loi et de la jurisprudence plus récente en matière disciplinaire permet aujourd'hui de conclure que le tribunal a effectivement le pouvoir et la responsabilité de trancher les questions de droit découlant de l'application de la Loi.

[21]Il semble que la conclusion d'absence de compétence pour trancher des questions de droit dans Pfeiffer repose en grande partie sur une lecture de ce qui n'est pas inclus à l'article 14.02 de la Loi. Toutefois, il n'est pas fait mention de l'article 14.01 de la Loi qui impose, à mon avis, l'obligation de trancher des questions de droit lorsqu'il est reproché à un syndic d'avoir violé la Loi, les Règles générales, les instructions du surintendant ou toute autre règle de droit relative à la bonne administration de l'actif. En effet, la suspension ou la révocation d'une licence «lorsqu'il est dans l'intérêt public de le faire» [mon soulignement] n'est pas le seul motif prévu au paragraphe 14.01(1) de la Loi. Cette dernière disposition fait appel non seulement à l'examen de questions de fait par le tribunal, mais également à la détermination de questions mixtes de fait et de droit, et accessoirement de questions de droit. C'est le cas lorsque le tribunal doit notamment déterminer si le syndic n'a pas observé la Loi, les Règles générales, les instructions du surintendant ou toute autre règle de droit relative à la bonne administration de l'actif. De toute façon, étant donné le libellé du nouveau paragraphe 14.02(3) de la Loi, par lequel il est maintenant possible pour le tribunal de décréter le huis-clos (cette détermination implique nécessairement des questions de droit selon Pfeiffer, paragraphe 36), je suis d'avis que la décision Pfeiffer, doit maintenant s'interpréter en faveur des syndics.

[22]Je note également que depuis 1996 plusieurs décisions rendues par le tribunal ont trait à des questions de droit se soulevant dans le cadre de l'application des dispositions législatives en cause. D'une part, le tribunal a eu à se prononcer sur la nature et l'étendue du fardeau de preuve applicable, ainsi que l'application de l'obligation de divulgation établie par la Cour suprême dans l'arrêt R. c. Stinchcombe, [1995] 1 R.C.S. 754, d'autre part (Dans l'affaire de l'audition disciplinaire des syndics Henry Sztern et Henry Sztern et Associés inc., 29 mai 2001, Benjamin J. Greengerg; Dans l'affaire de l'audition disciplinaire des syndics Segal & Partners Inc. et Todd Y. Sheriff, 3 septembre 2002, Marc Mayrand; Dans l'affaire de l'audition disciplinaire des syndics Segal & Partners Inc. et Todd Y. Sheriff, 12 février 2003, Marc Mayrand). Dans une décision rendue en 2001, le tribunal a également dû trancher une question de droit épineuse, à savoir: un acte dérogatoire commis par un syndic de faillite à titre de séquestre nommé en vertu d'une loi provinciale, constitue-t-il une infraction susceptible d'emporter le dépôt d'une plainte disciplinaire en vertu de la Loi? Le tribunal s'interrogea donc longuement sur les dispositions applicables de la Loi, procéda à une analyse de la jurisprudence pertinente, exposa les principes de droit susceptibles de le guider dans sa réflexion, puis parvint à la conclusion qu'il avait compétence pour se saisir de cette plainte (Dans l'affaire de l'audition disciplinaire du syndic Ronald McMahon, 16 février 2001, Marc Mayrand).

[23]Pour les motifs exposés plus haut, je suis donc d'avis que le tribunal a compétence pour trancher toute question de droit se soulevant au niveau de l'application des dispositions législatives en cause. Par conséquent, le tribunal est présumé détenir le pouvoir concomitant de statuer sur la constitutionnalité des dispositions de sa loi habilitante. D'autre part, à mon sens, il n'existe aucune disposition dans la Loi qui renverse cette présomption. Par conséquent, le tribunal a le pouvoir de statuer sur la constitutionnalité des dispositions législatives en cause.

[24]La présente demande doit donc échouer. Vu le résultat, les syndics auront droit aux dépens.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue le 4 décembre 2003 dans le dossier des défendeurs soit rejetée avec dépens.

ANNEXE

Loi sur la faillite et l'insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3

14.01 (1) Après avoir tenu ou fait tenir une enquête sur la conduite du syndic, le surintendant peut prendre l'une ou plusieurs des mesures énumérées ci-après, soit lorsque le syndic ne remplit pas adéquatement ses fonctions ou a été reconnu coupable de mauvaise administration de l'actif, soit lorsqu'il n'a pas observé la présente loi, les Règles générales, les instructions du surintendant ou toute autre règle de droit relative à la bonne administration de l'actif, soit lorsqu'il est dans l'intérêt public de le faire:

a) annuler ou suspendre la licence du syndic;

b) soumettre sa licence aux conditions ou restrictions qu'il estime indiquées, et notamment l'obligation de se soumettre à des examens et de les réussir ou de suivre des cours de formation;

c) ordonner au syndic de rembourser à l'actif toute somme qui y a été soustraite en raison de sa conduite.

(1.1) Dans la mesure où ils sont applicables, le présent article et l'article 14.02 s'appliquent aux anciens syndics avec les adaptations nécessaires.

(2) Le surintendant peut, par écrit et aux conditions qu'il précise dans cet écrit, déléguer tout ou partie des attributions que lui confèrent respectivement le paragraphe (1), les paragraphes 13.2(5), (6) et (7) et les articles 14.02 et 14.03.

3) En cas de délégation aux termes du paragraphe (2), le surintendant ou le délégué doit:

a) dans la mesure où la délégation vise les syndics en général, en aviser tous les syndics par écrit;

b) en tout état de cause, aviser par écrit, avant l'exercice du pouvoir qui fait l'objet de la délégation ou lors de son exercice, tout syndic qui pourrait être touché par l'exercice de ce pouvoir.

14.02 (1) Lorsqu'il se propose de prendre l'une des mesures visées au paragraphe 14.01(1), le surintendant envoie au syndic un avis écrit et motivé de la mesure qu'il entend prendre et lui donne la possibilité de se faire entendre.

(2) Lors de l'audition, le surintendant:

a) peut faire prêter serment;

b) n'est lié par aucune règle juridique ou procédurale en matière de preuve;

c) règle les questions exposées dans l'avis d'audition avec célérité et sans formalisme, eu égard aux circonstances et à l'équité;

d) fait établir un résumé écrit de toute preuve orale.

(3) L'audition et le dossier de l'audition sont publics à moins que le surintendant ne juge que la nature des révélations possibles sur des questions personnelles ou autres est telle que, en l'espèce, l'intérêt d'un tiers ou l'intérêt public l'emporte sur le droit du public à l'information. Le dossier de l'audition comprend l'avis prévu au paragraphe (1), le résumé de la preuve orale visé à l'alinéa (2)d) et la preuve documentaire reçue par le surintendant.

(4) La décision du surintendant est rendue par écrit, motivée et remise au syndic dans les trois mois suivant la clôture de l'audition, et elle est publique.

(5) La décision du surintendant, rendue et remise conformément au paragraphe (4), est assimilée à celle d'un office fédéral et comme telle est soumise au pouvoir d'examen et d'annulation prévu à la Loi sur les Cours fédérales.

14.03 (1) Pour assurer la sauvegarde d'un actif dans les circonstances visées au paragraphe (2), le surintendant peut:

a) donner instruction à quiconque de s'occuper des biens de l'actif visé dans les instructions conformément aux modalités qui y sont indiquées, notamment d'en continuer l'administration;

b) donner instruction à quiconque de prendre les mesures qu'il estime nécessaires à la sauvegarde des livres, registres, données sur support électronique ou autre, et documents de l'actif;

c) donner instruction à une banque ou autre dépositaire de ne faire aucun paiement sur les fonds détenus au crédit de cet actif, si ce n'est conformément à l'instruction;

d) donner instruction au séquestre officiel de ne plus nommer le syndic en cause pour administrer de nouveaux actifs tant qu'une décision n'est pas rendue au titre des paragraphes 13.2(5) ou 14.01(1).

(2) Le surintendant peut exercer les pouvoirs visés au paragraphe (1) dans les circonstances suivantes:

a) le décès, la destitution ou l'empêchement du syndic responsable de l'actif;

b) la tenue par lui de l'enquête prévue à l'alinéa 5(3)e);

c) l'exercice par lui des pouvoirs visés à l'article 14.01;

d) le défaut de paiement de droits prévus au paragraphe 13.2(2) à l'égard de la licence du syndic;

e) l'insolvabilité du syndic;

f) le syndic a été reconnu coupable d'un acte criminel ou n'a pas observé l'une des conditions ou restrictions de sa licence;

g) le fait qu'il envisage d'annuler la licence du syndic au titre des alinéas 13.2(5)c) ou d).

(3) Les instructions énoncent la disposition législative conformément à laquelle elles sont données, lient leur destinataire et font pleinement foi de leur contenu en faveur de leur destinataire.

(4) Quiconque obtempère aux instructions données en application du paragraphe (1) échappe à toute responsabilité pour les actes posés dans le seul but de s'y conformer.

14.04 Le tribunal, à la demande de tout intéressé, peut révoquer pour un motif suffisant un syndic et nommer à sa place un autre syndic autorisé.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.