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IMM-2347-03

2004 CF 1507

Jung Woo Cha (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (défendeur)

Répertorié: Cha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.F.)

Cour fédérale, juge Lemieux--Montréal, 30 juin; Ottawa, 29 octobre 2004.

Citoyenneté et Immigration -- Exclusion et renvoi -- Renvoi de visiteurs -- Le demandeur est un citoyen de la Corée du Sud qui est au Canada depuis 1996, muni d'un visa d'étudiant -- En 2001, on l'a reconnu coupable d'avoir conduit alors que son alcoolémie était trop élevée -- Après lui avoir fait passer une entrevue, un agent d'immigration a établi un rapport à l'intention du ministre, en application de l'art. 44(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, où il disait estimer le demandeur être interdit de territoire pour criminalité, aux termes de l'art. 36(2)a) de la Loi -- Immédiatement après, une représentante du ministre a fait passer une entrevue au demandeur et a conclu que le rapport était bien fondé, puis a pris une mesure d'expulsion, aux termes de l'art. 44(2) -- Il s'agissait de savoir s'il y avait eu manquement dans l'exercice par la représentante du ministre de son pouvoir discrétionnaire, du fait qu'elle aurait pris la mesure d'expulsion de manière automatique -- La Cour a examiné le contexte, l'objet et l'historique de la Loi ainsi que l'intention du législateur -- La représentante du ministre était tenue de prendre en compte la situation particulière du demandeur et l'existence de circonstances atténuantes en vue d'établir si la mesure d'expulsion était déraisonnable -- L'acte criminel en l'espèce était une infraction mineure et une mesure d'expulsion ne favorisait en rien l'intérêt public -- Il s'agissait de savoir s'il y avait eu violation de l'obligation d'équité procédurale -- Il était justifié que le demandeur dispose d'assez larges droits de participation à l'étape de la prise d'une mesure d'expulsion -- On a dénié au demandeur le droit de savoir que l'entrevue pouvait résulter en une ordonnance d'expulsion, son droit à la présence d'un avocat et son droit à une occasion raisonnable de présenter des éléments de preuve -- Demande accueillie.

Interprétation des lois -- Le demandeur est un étranger dont on a ordonné l'expulsion en vertu de l'art. 44 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés du fait qu'il était interdit de territoire pour criminalité (art. 36(2)a) de la Loi) -- Il s'agissait de savoir s'il y avait eu manquement dans l'exercice par la représentante du ministre de son pouvoir discrétionnaire, du fait qu'elle aurait pris la mesure d'expulsion de manière automatique -- La Cour a appliqué la méthode d'interprétation législative énoncée par la C.S.C. dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re) et réitérée dans Glykis c. Hydro-Québec --La Cour a examiné le contexte, l'objet et l'historique de la Loi ainsi que l'intention du législateur -- Le terme «peut» à l'art. 44 a un caractère facultatif et non obligatoire -- La représentante du ministre était tenue de prendre en compte la situation particulière du demandeur et l'existence de circonstances atténuantes en vue d'établir si la mesure d'expulsion était déraisonnable -- L'acte criminel en l'espèce était une infraction mineure et une mesure d'expulsion ne favorisait en rien l'intérêt public.

Droit administratif -- Équité procédurale -- Le demandeur est un étranger qu'un agent d'immigration a convoqué pour une entrevue en relation avec une condamnation dont il avait fait l'objet en 2001 -- L'agent a établi un rapport à l'intention du ministre, en application de l'art. 44(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, où il disait estimer le demandeur être interdit de territoire pour criminalité, aux termes de l'art. 36(2)a) de la Loi -- Une représentante du ministre a conclu que le rapport était bien fondé et a pris une mesure d'expulsion en application de l'art. 44(2) -- Il s'agissait de savoir s'il y avait eu violation de principes d'équité procédurale -- La Cour a appliqué les principes et facteurs régissant l'obligation d'équité procédurale dont la C.S.C. a traité dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) et Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) -- Les droits de participation faisant partie de l'obligation d'équité procédurale visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d'une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision -- Il était justifié que le demandeur dispose d'assez larges droits de participation à l'étape finale que constitue la prise d'une mesure d'expulsion -- Le caractère définitif de la décision et les conséquences de l'expulsion pour le demandeur militaient en faveur d'assez larges droits de participation -- On a dénié au demandeur le droit de savoir que l'entrevue pouvait résulter en une ordonnance d'expulsion, son droit à la présence d'un avocat et son droit à une occasion raisonnable de présenter des éléments de preuve.

Il s'agissait d'une demande de contrôle judiciaire visant la mesure d'expulsion prise à l'encontre du demandeur le 17 mars 2003 par une représentante du ministre, en application du paragraphe 44(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Le demandeur, un cito yen de la Corée du Sud, est entré au Canada le 31 décembre 1996 muni d'un visa d'étudiant. Le 4 juin 2001, on l'a reconnu coupable d'avoir conduit alors que son alcoolémie était trop élevée. Après lui avoir fait passer une entrevue le 17 mars 2003, un agent d'immigration a établi un rapport à l'intention du ministre, en application du paragraphe 44(1) de la Loi, où il disait estimer le demandeur être interdit de territoire pour criminalité, aux termes de l'alinéa 36(2)a) de la Loi, puisqu'on l'avait déclaré coupable au Canada d'une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation. Ce rapport a été transmis à la représentante du ministre, qui a également fait passer une entrevue au demandeur pour établir si le rapport était ou non bien fondé. La représentante a conclu que le rapport était bien fondé et elle a signifié une mesure d'expulsion au demandeur, en application du paragraphe 44(2) de la Loi. Le demandeur a demandé le contrôle judiciaire de cette mesure. Il a soutenu 1) qu'il y avait eu manquement dans l'exercice par la représentante de son pouvoir discrétionnaire, du fait qu'elle avait pris la mesure d'expulsion de manière automatique, en se contentant de constater qu'il y avait eu condamnation et 2) qu'il y avait eu violation de principes d'équité procédurale puisqu'on l'avait privé de l'occasion de faire valoir son droit de demeurer au Canada.

Jugement: la demande doit être accueillie.

1) La Cour devait d'abord établir la portée du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 44(2). La Cour a appliqué la méthode d'interprétation législative énoncée par la Cour suprême du Canada dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd., (Re) et réitérée dans Glykis c. Hydro-Québec, à savoir qu'il faut prendre en considération non seulement le sens ordinaire et grammatical des mots mais aussi l'esprit et l'objet de la loi et l'intention du législateur. Compte tenu du contexte et de l'objet de la Loi ainsi que de l'intention du législateur, de même que de l'historique du texte législatif, soit la Loi sur l'immigration de 1976 telle qu'elle a été modifiée à ce jour, le terme «peut» à l'article 44 (l'agent peut établir un rapport à l'intention du ministre (44(1)); le ministre peut prendre une mesure de renvoi (44(2)) avait un caractère facultatif et non obligatoire. La représentante du ministre était tenue de prendre en compte la situation particulière du demandeur et sa condamnation en vue d'établir si des circonstances atténuantes rendaient ou non déraisonnable une mesure d'expulsion. Il y a lieu d'exercer ce pouvoir discrétionnaire dans les cas où, comme en l'espèce, un étranger a commis une infraction mineure qui, techniquement parlant, est punissable par mise en accusation mais pour laquelle la prise automatique d'une mesure d'expulsion ne favoriserait en rien l'intérêt public.

2) La Cour a passé en revue certains des principes et facteurs régissant le contenu de l'obligation d'agir équitablement et de l'équité procédurale dont la Cour suprême a traité dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) et dans Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration). Le contenu de l'obligation d'équité procédurale est assurément souple et variable et on doit l'adapter au contexte particulier de chaque cas; «les droits de participation [en l'espèce, le droit du demandeur de faire valoir son droit de demeurer au Canada] faisant partie de l'obligation d'équité procédurale visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d'une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal, institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leur point de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu'ils soient considérés par le décideur». Compte tenu des faits en l'espèce, n'ayant pas trait à une exclusion au point d'entrée, il était justifié que le demandeur dispose d'assez larges droits de participation à l'étape finale que constitue la prise d'une mesure d'expulsion par la représentante du ministre. Parmi les facteurs militant en faveur d'assez larges droits de participation, il y avait le caractère définitif de la décision et les graves conséquences d'une expulsion pour une personne telle que le demandeur. On a dénié au demandeur le droit de savoir que l'entrevue pouvait résulter en une ordonnance d'expulsion, son droit à la présence d'un avocat pendant l'entrevue et son droit à une occasion raisonnable de présenter des éléments de preuve.

lois et règlements cités

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 253 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 32, art. 59).

Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 11.

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 27(3) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 16).

Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52.

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3(1)h),i), 25, 33, 34, 35, 36, 37, 44, 52, 62.

Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 226, 228(1)a).

jurisprudence citée

décisions appliquées:

Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; (1998), 36 O.R. (3d) 418; 154 D.L.R. (4th) 193; 50 C.B.R. (3d) 163; 33 C.C.E.L. (2d) 173; 221 N.R. 241; 106 O.A.C. 1; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; (1999), 174 D.L.R. (4th) 193; 14 Admin. L.R. (3d) 173; 1 Imm. L.R. (3d) 1; 243 N.R. 22; Glykis c. Hydro-Québec, [2004] 3 R.C.S. 285; (2004), 244 D.L.R. (4th) 277; 325 N.R. 369; 2004 CSC 60; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3; (2002), 208 D.L.R. (4th) 1; 37 Admin. L.R. (3d) 152; 90 C.R.R. (2d) 1; 18 Imm. L.R. (3d) 1; 281 N.R. 1; 2002 CSC 1.

décisions distinctes:

Correia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2004), 253 F.T.R. 153; 36 Imm. L.R. (3d) 139; 2004 CF 782; Dehghani c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 1 R.C.S. 1053; (1993), 101 D.L.R. (4th) 654; 10 Admin. L.R. (2d) 1; 20 C.R. (4th) 34; 14 C.R.R. (2d) 1; 18 Imm. L.R. (2d) 245; 150 N.R. 241; Kindler c. MacDonald, [1987] 3 C.F. 34; (1987), 41 D.L.R. (4th) 78; 26 Admin. L.R. (2d) 186; 3 Imm. L.R. (2d) 38; 80 N.R. 388 (C.A.); Poonawalla c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2004), 248 F.T.R. 206; 2004 CF 371.

décisions citées:

Cardinal et autre c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643; (1985), 24 D.L.R. (4th) 44; [1986] 1 W.W.R. 577; 69 B.C.L.R. 255; 16 Admin. L.R. 233; 23 C.C.C. (3d) 118; 49 C.R. (3d) 35; 63 N.R. 353; Qi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 33 Imm. L.R. (2d) 57 (C.F. 1re inst.); Babcock c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), IMM-4504-02, ordonnance en date du 8-9-03.

doctrine citée

Sullivan, Ruth. Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd. Toronto: Butterworths, 2002.

DEMANDE de contrôle judiciaire visant la mesure d'expulsion prise à l'encontre du demandeur le 17 mars 2003 par une représentante du ministre, en application du paragraphe 44(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, au motif que le demandeur était un étranger interdit de territoire pour criminalité, aux termes de l'alinéa 36(2)a) de la Loi. Demande accueillie.

ont comparu:

Stewart Istvanffy pour le demandeur.

Caroline Cloutier pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier:

Stewart Istvanffy, Montréal, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Lemieux:

RÉGIME LÉGISLATIF ET FAITS

[1]Par la présente demande de contrôle judiciaire, Jung Woo Cha (le demandeur), un étranger qui étudiait au Canada en étant muni d'un visa d'étudiant, conteste la mesure d'expulsion prise à son encontre le 17 mars 2003 par une représentante du ministre, en application du paragraphe 44(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés [L.C. 2001, ch. 27] (la Loi).

[2]La représentante du ministre a estimé bien fondé le rapport transmis le 17 mars 2003 au ministre par un agent d'immigration qui, pour sa part, estimait le demandeur être un étranger interdit de territoire pour criminalité, aux termes de l'alinéa 36(2)a) de la Loi, comme il avait été reconnu coupable en 2001 de conduite avec facultés affaiblies.

[3]Je vais exposer le régime législatif applicable à l'interdiction de territoire et au renvoi d'un étranger tel que le demandeur. Des distinctions importantes sont établies dans la Loi entre la situation d'un résident permanent et de celle d'un étranger. La Section 5 s'intitule «Perte de statut et renvoi» et l'article 44, le premier de la section, est précédé du titre suivant: «Constat de l'interdiction de territoire». Voici le libellé des paragraphes 44(1) et (2):

44. (1) S'il estime que le résident permanent ou l'étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l'agent peut établir un rapport circonstancié, qu'il transmet au ministre.

(2) S'il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l'affaire à la Section de l'immigration pour enquête, sauf s'il s'agit d'un résident permanent interdit de territoire pour le seul motif qu'il n'a pas respecté l'obligation de résidence ou, dans les circonstances visées par les règlements, d'un étranger; il peut alors prendre une mesure de renvoi. [Non souligné dans l'original.]

[4]Il est ainsi clairement énoncé que, si le ministre estime bien fondé un rapport d'interdiction de territoire visé au paragraphe 44(1), il peut déférer l'affaire à la Section de l'immigration pour enquête, sauf s'il s'agit d'un résident permanent--une situation qui ne nous concerne pas en l'espèce--ou, dans les circonstances visées par le Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés [DORS/2002-227] (le Règlement), d'un étranger; dans ce dernier cas, le ministre peut prendre une mesure de renvoi.

[5]L'alinéa 228(1)a) du Règlement précise, pour l'application du paragraphe 44(2) de la Loi, les circonstances où le ministre peut prendre une mesure de renvoi à l'égard d'un étranger. En voici le libellé:

228. (1) Pour l'application du paragraphe 44(2) de la Loi, mais sous réserve du paragraphe (3), dans le cas où l'affaire ne comporte pas de motif d'interdiction de territoire autre que ceux prévus dans l'une des circonstances ci-après, l'affaire n'est pas déférée à la Section de l'immigration et la mesure de renvoi à prendre est celle indiquée en regard du motif en cause:

a) en cas d'interdiction de territoire de l'étranger pour grande criminalité ou criminalité au titre des alinéas 36(1)a) ou (2)a) de la Loi, l'expulsion; [Non souligné dans l'original.]

[6]Il ressort clairement de cette disposition que, si un rapport visé au paragraphe 44(1) ne fait état pour un étranger que de la criminalité comme motif d'interdiction de territoire et que le représentant du ministre estime le rapport bien fondé, la mesure de renvoi à prendre doit être l'expulsion.

[7]On traite d'interdiction de territoire à la Section 4 de la Loi. L'article 33, le premier de cette section, s'énonce ainsi:

33. Les faits--actes ou omissions--mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu'ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir. [Non souligné dans l'original.]

[8]L'article 34 de la Loi porte sur la sécurité, l'article 35 sur les atteintes aux droits humains ou internationaux et le paragraphe 36(1) sur la grande criminalité, tant dans le cas d'un résident permanent que d'un étranger. Le paragraphe 36(2), pour sa part, n'a trait qu'aux étrangers et prévoit qu'emporte interdiction de territoire pour criminalité le fait pour un étranger d'être déclaré coupable au Canada d'une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation. L'objet de l'article 37, enfin, ce sont les activités de criminalité organisée.

[9]Voici l'alinéa 36(2)a) de la Loi:

36. [. . .]

(2) Emportent, sauf pour le résident permanent, interdiction de territoire pour criminalité les faits suivants:

a) être déclaré coupable au Canada d'une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de deux infractions à toute loi fédérale qui ne découlent pas des mêmes faits;

[10]La note marginale pour l'article 52 de la Loi est libellée «Interdiction de retour» et, selon les termes de l'article, «L'exécution de la mesure de renvoi emporte interdiction de revenir au Canada, sauf autorisation de l'agent ou dans les autres cas prévus par règlement».

[11]Aux termes de l'article 226 du Règlement sur la mesure d'expulsion oblige l'étranger à obtenir une autorisation écrite pour revenir au Canada à quelque moment que ce soit après l'exécution de la mesure.

[12]Pour compléter le tour d'horizon, je relève qu'en vertu de l'article 62 de la Loi, un étranger d'un statut au Canada tel que celui du demandeur ne peut faire appel d'une mesure de renvoi auprès de la Section d'appel de l'immigration, laquelle a le pouvoir de suspendre une mesure d'expulsion pour des raisons d'ordre humanitaire.

[13]Je reproduis l'article 25 de la Loi, finalement, dont la note marginale est «Séjour pour motif d'ordre humanitaire»:

25. (1) Le ministre doit, sur demande d'un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s'il estime que des circonstances d'ordre humanitaire relatives à l'étranger-- compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché--ou l'intérêt public le justifient.

(2) Le statut ne peut toutefois être octroyé à l'étranger visé au paragraphe 9(1) qui ne répond pas aux critères de sélection de la province en cause qui lui sont applicables.

LES FAITS

[14]Le demandeur est né en Corée du Sud le 12 décembre 1977 et il est un citoyen de ce pays.

[15]Le 31 décembre 1996, il est entré au Canada (à Vancouver) et on lui a délivré un visa d'étudiant valide jusqu'au 30 septembre 1997. Le visa a toujours éré renouvelé depuis lors.

[16]Le 4 juin 2001, alors que son visa était toujours en cours de validité, le demandeur a été reconnu coupable de l'infraction visée à l'article 253 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 32, art. 59] du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46] en regard d'un incident survenu à Ottawa le 16 avril 2000. On l'avait alors inculpé des infractions visées aux alinéas 253a) et b) du Code criminel. Il n'y a eu ni accident ni personne blessée, mais on a déclaré le demandeur coupable d'avoir conduit alors que son alcoolémie était trop élevée. On lui a infligé une amende de 1 150 $ et son permis de conduire a été suspendu.

[17]Après avoir déménagé à Ottawa, le demandeur a commencé des études en administration des affaires à l'Université Carleton; il a ensuite mis un terme à ce programme d'études. Plus récemment, il suivait des cours au Collège Algonquin en vue de devenir technicien de l'automobile.

[18]Dans son affidavit fait le 4 juin 2003, le demandeur a déclaré qu'il restait un semestre avant l'obtention de son diplôme (en août 2003). La déclaration de culpabilité du 4 juin 2001 est la seule dont le demandeur ait fait l'objet.

[19]Le 17 mars 2003, les événements suivants ont eu lieu successivement:

a) À 9 h 05, l'agent d'immigration Marc Yelle a fait passer une entrevue au demandeur aux bureaux de Citoyenneté et Immigration à Ottawa. L'agent Yelle a reconnu l'exactitude de ses notes consignées, datées du 20 mars 2003. L'agent a notamment discuté avec le demandeur de sa condamnation au criminel.

b) Après l'entrevue, M. Yelle a immédiatement établi un rapport à l'intention du ministre, en application du paragraphe 44(1) de la Loi. Il y déclarait que le demandeur était un étranger qui avait été autorisé à entrer au Canada et qu'il estimait être interdit de territoire aux termes de l'alinéa 36(2)a) de la Loi, du fait qu'il y a des motifs raisonnables de croire qu'il s'agit d'un étranger interdit de territoire pour criminalité, puisqu'il a été déclaré coupable au Canada d'une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation.

c) Selon les notes remises au dossier de l'agent, l'entrevue a pris fin à 9 h 30 et il a ensuite recommandé la prise d'une mesure de renvoi pour les motifs suivants:

[TRADUCTION]

-- le demandeur a été reconnu coupable de conduite avec facultés affaiblies;

-- au cours des 6 années qui ont précédé, il n'a obtenu aucun diplôme quelconque d'une université ou d'un collège reconnu;

-- il lui est arrivé à diverses reprises de ne pas achever des cours postsecondaires.

d) Les notes de M. Yelle, rédigées à la main, se terminent comme suit:

[traduction]

17 MARS 03

J'ai examiné les notes de l'agent

Je souscris à la recommandation

L. Perreault

[20]Mme Lisa Perreault (qui porte désormais le nom de MacIntyre) était la représentante du ministre dans cette affaire. Le rapport d'interdiction de territoire établi par M. Yelle en application du paragraphe 44(1) lui a été transmis. Mme Perreault a fait passer une entrevue au demandeur et elle lui a posé des questions sur le modèle du [traduction] «message suggéré A-44». D'après cette formule, l'entrevue s'est déroulée le 17 mars 2003, à compter de 9 h 50. La formule est dactylographiée et elle compte des espaces en blanc que doit remplir l'intervieweur.

[21]Voici un résumé du message, assorti de commentaires:

1) La représentante du ministre se présente et déclare qu'on lui a transmis un rapport visé au paragraphe 44(1) de la Loi qui concerne Jung Woo Cha. Elle demande au demandeur s'il est bien Jung Woo Cha. Mme Lisa Perreault inscrit [traduction] «Oui» comme réponse.

2) Au paragraphe suivant, il est énoncé [traduction] «L'entrevue vise à me permettre d'établir si le rapport est ou non bien fondé. Si j'estime qu'il ne l'est pas, vous pourrez demeurer au Canada en conservant le statut qui est actuellement le vôtre. Si toutefois j'estime le rapport bien fondé, j'ai l'obligation en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés de prendre à votre encontre une mesure de renvoi. Il vous faudra par suite de cette mesure quitter le Canada immédiatement ou dès que possible. Comprenez-vous bien?» (Non souligné dans l'original.) Mme Perreault inscrit [traduction] «Oui» comme réponse.

3) On ajoute au paragraphe suivant: [traduction] «Le type de mesure de renvoi que je prendrais à votre endroit est une mesure d'expulsion, en application de l'article 228 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés. Comprenez-vous bien?» Mme Perreault inscrit [traduction] «Oui» comme réponse. Il y a également entre parenthèses les mots dactylographiés suivants: [traduction] «(expliquez ensuite les effets et conséquences de la mesure de renvoi en cause, puis demandez à l'intéressé si il comprend bien)». Mme Perreault inscrit [traduction] «Fait» à cet égard.

4) On énonce ce qui suit au paragraphe 4 du message: [traduction] «Voici un exemplaire du rapport établi à votre encontre. On y soutient que vous êtes interdit de territoire au Canada, en vertu de l'alinéa 36(2)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, parce que vous avez été déclaré coupable au Canada de conduite avec facultés affaiblies (lisez ce qui est écrit dans le rapport). Comprenez-vous bien?» Mme Perreault inscrit [traduction] «Oui» comme réponse.

5) On ajoute au paragraphe suivant: [traduction] «Je commencerai par vous poser des questions au sujet des allégations formulées dans le rapport. Après, j'examinerai tout élément de preuve que l'agent concerné a pu soumettre pour étayer son rapport. Je vous offrirai ensuite l'occasion de présenter des éléments de preuve et de formuler des explications relativement au rapport. Comprenez-vous bien?» Mme Perreault inscrit [traduction] «Oui» comme réponse.

6) Il y a aussi entre parenthèses dans le message le passage dactylographié suivant: [traduction] «(Interrogez l'intéressé en fonction de ce qui est allégué. Commencez en obtenant confirmation du nom au complet de l'intéressé, de sa date et de son lieu de naissance ainsi que de son pays de citoyenneté, puis adaptez vos questions selon les allégations en cause. Une fois cela fait, examinez tout élément de preuve soumis pour étayer le rapport, et permettez aussi à l'intéressé d'en faire l'examen. Offrez-lui ensuite l'occasion de présenter des éléments de preuve et de formuler des explications. Inscrivez ci-dessous vos questions ainsi que les réponses fournies. Utilisez une autre feuille au besoin)». Mme Perreault inscrit ceci à ce sujet: [traduction] «Rapport avec renseignements confirmés par C.P. lu. Aucun élément de preuve présenté.»

7) Il y a ensuite le passage dactylographié suivant consigné par Mme Perreault: [traduction] «Je vais maintenant vous faire état de ma décision relativement au rapport. J'estime, compte tenu de la preuve au soutien de celui-ci, de vos réponses à mes questions et des explications que vous avez fournies, que le rapport est bien fondé».

8) Mme Perreault écrit avoir déclaré: [traduction] «J'estime que vous êtes bien tel que le décrit [le rapport]. Je prends par conséquent la présente mesure d'expulsion. Comprenez-vous bien?» Mme Perreault inscrit [traduction] «Oui» comme réponse.

9) Voici le paragraphe dactylographié qui suit: [traduction] «Comme il vous a déjà été expliqué, vous devrez par suite de la présente décision quitter le Canada sans délai. Comprenez-vous bien?» Mme Perreault inscrit [traduction] «Oui» comme réponse.

10) Il y a sous ce paragraphe le passage dactylographié et entre parenthèses suivant: [traduction] «(Si une mesure de renvoi est prise, établissez-en la teneur et signifiez le document à l'intéressé. Passez le document en revue, faites-le signer par l'intéressé et remettez-lui en une copie. Informez alors l'intéressé de son droit de présenter une demande à la Cour fédérale, s'il le désire, dans les 15 jours. Informez-le finalement de la possibilité de présenter une demande d'ERAR, en faisant en sorte que son intention soit dûment confirmée par écrit)». Mme Perreault inscrit à cet égard: [traduction] «Fait. Il désire présenter une demande d'ERAR; il emportera chez lui les documents appropriés».

[22]Il est précisé dans le message, signé par Mme Lisa Perreault, que l'entrevue a pris fin à 10 h 30. Sous le titre [traduction] «Remarques (s'il en est)», Mme Perreault a écrit ce qui suit:

[traduction] N'a pu convaincre la RM qu'il devrait demeurer au Canada. Il ne semble pas prendre ses études au sérieux. Il est au Canada depuis six ans. Pas de diplôme. Fréquents déménagements. Pas de motifs d'ordre humanitaire [Signé Lisa Perreault]

[23]Le demandeur a déposé un affidavit à l'appui de sa demande de contrôle judiciaire. On ne l'a pas contre-interrogé. Il fait ressortir ce qui suit:

1) Paragraphe 9--On lui a demandé de venir passer une entrevue aux bureaux d'Immigration Canada à Ottawa, le 17 mars 2003, mais il ne savait pas de quoi il s'agirait.

2) Paragraphe 10--On ne l'a pas informé de son droit à l'assistance d'un avocat et on ne lui a posé aucune question sur lui-même ou sur sa situation au Canada.

3) Paragraphe 11--Il a rencontré M. Marc Yelle, qui lui a remis un rapport quant à un acte criminel dont il avait été reconnu coupable, de même que copie de l'ordonnance d'expulsion.

4) Paragraphe 12--On ne lui a jamais demandé de présenter la moindre observation ou explication; il semblait que tout avait un caractère purement automatique et que ce qu'il aurait à dire serait de bien peu d'importance.

5) Paragraphe 13--Les seules questions qu'on lui a posées concernaient sa date de naissance, la date de son entrée au Canada [traduction] «et d'autres questions plutôt d'usage comme celles-là».

6) Paragraphe 14--[traduction] «On m'a aussi demandé quelques précisions sur les études que j'avais faites depuis mon arrivée au Canada et j'ai alors indiqué quels établissements j'avais fréquentés et quelles études j'avais effectuées.»

7) Paragraphe 15--Avant de se rendre à l'entrevue il a téléphoné pour en savoir l'objet; on lui a dit qu'il serait question de sa [traduction] «condamnation pour conduite avec facultés affaiblies, mais on n'a fait nulle mention d'une éventuelle mesure d'expulsion».

8) Paragraphe 16--Il n'avait aucune idée de ce qui l'attendait lorsqu'il s'est présenté à l'entrevue. On l'a fait attendre 30 minutes pendant que M. Yelle discutait avec un [traduction] «quelconque supérieur». Il ne savait nullement [traduction] «de quoi il retournait».

9) Paragraphe 17--[traduction] «J'ai alors appris qu'on prenait une mesure d'expulsion contre moi et que j'étais interdit de territoire à vie au Canada. Ce fut un grand choc, comme personne ne m'avait parlé le moindrement de cette éventualité.»

10) Pour conclure, il affirme que plusieurs personnes sont disposées à témoigner de sa bonne moralité, tout en déclarant: [traduction] «Je ne crois pas avoir été traité équitablement.»

[24]M. Marc Yelle a déposé un affidavit mais on ne l'a pas contre-interrogé. Il confirme avoir fait passer une entrevue au demandeur le 17 mars 2003 et avoir établi un rapport à son encontre. Il a pris des notes pendant l'entrevue; ces notes, en date du 20 mars 2003, figurent au dossier en tant que «notes remises au dossier». On relate de façon exhaustive et précise dans les notes le déroulement de l'entrevue. M. Yelle a confirmé s'être fondé sur les déclarations faites à l'entrevue pour formuler sa recommandation.

[25]M. Yelle déclare ceci, au paragraphe 5 de son affidavit [traduction] «J'ai établi un rapport défavorable au demandeur [après l'entrevue] pour le motif mentionné dans les présentes notes.» Il précise au paragraphe suivant qu'une fois le rapport établi, le demandeur a rencontré Mme Perreault pour discuter de la question du bien-fondé du rapport. M. Yelle était présent lors de cette seconde entrevue et il confirme que le «message suggéré A-44» signé par l'agente Perreault constituait un reflet fidèle du déroulement de l'entrevue et que l'agente avait expliqué étape par étape au demandeur la procédure applicable.

[26]M. Yelle a ensuite commenté brièvement l'affidavit du demandeur. Il déclare se rappeler que, lorsqu'il a téléphoné au demandeur le 14 mars 2003 pour modifier la date de l'entrevue, il a informé ce dernier que le but de l'entrevue était de discuter avec lui de sa condamnation. M. Yelle confirme n'avoir jamais informé le demandeur de son droit à l'assistance d'un avocat parce qu'il [traduction] «n'avait jamais été arrêté en application de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés». Contrairement à ce qui est mentionné au paragraphe 11 de l'affidavit du demandeur, c'est l'agente Perreault-MacIntyre et non M. Yelle, ce dernier affirme-t-il, qui aurait présenté au demandeur la mesure d'expulsion. Contrairement à ce que le demandeur prétend au paragraphe 12 de son affidavit, finalement, ce n'est pas de manière automatique qu'on a décidé d'établir le rapport et de prendre contre le demandeur une mesure d'expulsion. M. Yelle déclare enfin: [traduction] «Comme il est indiqué dans nos notes, le demandeur a eu l'occasion de formuler des observations et d'expliquer quelle était sa situation au Canada.»

ANALYSE

1)     La position des parties

[27]L'avocat du demandeur soutient que la présente affaire porte sur deux points fondamentaux: 1) la portée du pouvoir discrétionnaire dont dispose un représentant du ministre, en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi, quant à la prise d'une mesure d'expulsion; 2) la violation de principes d'équité procédurale.

[28]Le représentant du ministre, l'avocat soutient-il, ne doit pas se contenter de constater qu'il y a eu condamnation puis de vérifier l'identité de l'étranger. Le représentant doit examiner l'ensemble des faits et porter un jugement avant de prendre une mesure d'expulsion, laquelle peut avoir de graves conséquences, comme en l'espèce perturber les études et les projets professionnels d'un étudiant. L'emploi des mots «peut alors prendre une mesure de renvoi», au paragraphe 44(2), fait voir quelle était l'intention du législateur quant au pouvoir discrétionnaire du représentant du ministre. L'avocat soutient qu'en l'espèce, la représentante du ministre a pris la mesure d'expulsion de manière automatique en raison de la condamnation de son client, et elle a ainsi entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[29]L'avocat du demandeur soutient, pour ce qui est de l'équité procédurale, qu'on n'a pas informé son client que l'entrevue pouvait conduire à la prise d'une mesure d'expulsion ni qu'il pouvait alors être accompagné d'un avocat. Selon l'avocat, on a ainsi privé injustement le demandeur de l'occasion de faire valoir son droit de demeurer au Canada.

[30]L'avocate du défendeur, pour sa part, a déposé un mémoire initial puis un mémoire supplémentaire.

[31]Dans son mémoire initial déposé le 7 juillet 2003 et dans lequel elle demande que l'autorisation sollicitée ne soit pas accordée, l'avocate a déclaré, après avoir mentionné certains objectifs visés par la Loi--en l'occurrence ceux prévus aux alinéas 3(1)h) et i)--et avoir passé en revue les dispositions législatives et réglementaires applicables, qu'il ressortait clairement des notes de l'entrevue que la décision d'établir un rapport et de prendre une mesure d'expulsion à l'encontre du demandeur [traduction] «avait été arrêtée après un examen approfondi des faits pertinents dans l'affaire du demandeur». Selon l'avocate, il ressortait tout particulièrement des notes de la représentante du ministre qu'on avait expliqué l'objet de l'entrevue au demandeur et que ce dernier comprenait parfaitement les éléments invoqués contre lui. On a également expliqué au demandeur l'objet et la nature du rapport ainsi que les conséquences d'une mesure d'expulsion. L'avocate a ajouté, sur la foi des notes de la représentante, que le demandeur n'avait produit aucun élément de preuve et était d'accord avec la formulation dans le rapport des faits en cause. Elle a déclaré que, contrairement à ce que prétendait le demandeur, il ressortait clairement de la preuve présentée qu'on n'avait pas pris la mesure d'expulsion de façon automatique en raison de la condamnation du demandeur mais bien qu'en fait, M. Yelle avait pris en compte la situation particulière du demandeur, pour ensuite conclure qu'aucune circonstance atténuante justifiait de ne pas établir de rapport contre lui. Selon l'avocate, la représentante du ministre s'est ensuite interrogée elle aussi sur l'existence de circonstances atténuantes, puis a également conclu qu'il n'y en avait pas assez pour qu'il soit justifié de ne pas prendre la mesure d'expulsion.

[32]Comme on avait tenu compte de la situation particulière du demandeur, l'avocate a-t-elle soutenu, il n'était pas nécessaire que la Cour réponde à la question soulevée par le demandeur quant à savoir si un agent d'immigration est tenu ou non d'examiner tous les faits de l'espèce et de porter un jugement d'une façon quelconque avant de prendre une mesure d'expulsion. L'avocate a soutenu qu'il n'y avait pas lieu de soulever une telle question dans la présente affaire.

[33]Le défendeur soutient, en ce qui concerne l'équité procédurale, que le demandeur ne disposait pas du droit à l'assistance d'un avocat dans le cadre de l'entrevue, puisqu'il s'agissait alors d'un simple examen administratif visant le statut d'immigrant du demandeur. Or, il est de jurisprudence constante que l'intéressé n'a pas droit à l'assistance d'un avocat dans un tel contexte.

[34]L'avocate a soutenu dans son mémoire initial que la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable.

[35]Après qu'a été accordée l'autorisation de présenter la demande de contrôle judiciaire, l'avocate du défendeur a déposé un mémoire supplémentaire en date du 9 juin 2004. Le défendeur y citait de longs passages de la décision récente du juge Phelan dans Correia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2004), 253 F.T.R. 153 (C.F.), particulièrement les paragraphes 22, 23, 25, 27, 28, 29 et 30 reproduits ci-après [2004 CF 782]:

Aux fins du rapport établi suivant le paragraphe 44(1), il s'agit d'un rapport réservé aux cas de rapport «circonstancié». Dans le cas de grande criminalité, ce rapport circonstancié touche aux circonstances qui ont entraîné la déclaration de culpabilité.

La nature de l'enquête ne touche pas les questions d'ordre humanitaire, de réhabilitation ou d'autres facteurs semblables. Il s'agit d'une enquête très limitée qui est essentiellement une confirmation que la déclaration de culpabilité a effectivement été prononcée. Par la suite, le processus de renvoi est entamé.

[. . .]

Bien que l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Kindle[r] c. MacDonald, [1987] 3 C.F. 34, soit un peu moins pertinent compte tenu de la nouvelle disposition de la Loi, l'analyse de base du processus demeure pertinente dans le contexte de la grande criminalité. Comme la Cour d'appel fédérale a mentionné, l'enquête est purement factuelle et administrative par sa nature.

[. . .]

Étant donné que l'interdiction de territoire pour raison de grande criminalité suivant le paragraphe 44(1) est fondée sur la déclaration de culpabilité et sur la sentence elle-même, l'opinion de l'agent est de la même façon limitée à l'obtention des renseignements démontrant que la déclaration de culpabilité et la sentence ont été prononcées. Les faits du «rapport circonstancié» dans le contexte du rapport au ministre ou au représentant sont l'existence de la déclaration de culpabilité et la durée de la sentence.

Par conséquent, l'agent n'avait pas compétence pour examiner les questions d'ordre humanitaire lorsqu'il a préparé son rapport.

De la même façon, le représentant, lorsqu'il détermine si le rapport est «bien fondé», est limité dans son examen aux faits pertinents de la déclaration de culpabilité et de la sentence.

Il n'a été invoqué aucun motif qui aurait justifié que le ministre ou le représentant n'ait pas déféré le rapport à la Section de l'immigration. L'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre n'a pas pour effet que soit effectué un examen des raisons d'ordre humanitaire, comme l'a confirmé la Cour d'appel fédérale.

[36]L'avocate a ensuite soutenu qu'en l'espèce, il ressortait clairement des notes de l'agent d'immigration et de la représentante du ministre que ces derniers avaient pris en compte les faits pertinents, à savoir la déclaration de culpabilité au Canada du demandeur--un étranger--pour conduite avec facultés affaiblies, soit une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation.

[37]Le défendeur s'est ensuite tourné vers l'allégation du demandeur selon laquelle l'agent d'immigration devait prendre en compte tous les faits de l'espèce et porter un jugement quelconque avant de prendre une mesure d'expulsion. Le défendeur a soutenu à cet égard que, tel que le juge Phelan l'a clairement indiqué dans Correia, examiner les faits pertinents ne nécessite pas d'examiner les questions d'ordre humanitaire pouvant se rattacher au demandeur, mais simplement de s'assurer qu'il y a bien eu déclaration de culpabilité ainsi que de la durée de la peine. Le défendeur a ajouté que, puisque le demandeur a admis l'existence de ces deux éléments, les décisions de l'agent d'immigration et de la représentante du ministre étaient manifestement bien fondées.

[38]L'avocate du défendeur réitère la position qu'elle a défendue dans son mémoire initial pour ce qui concerne l'équité procédurale. Elle souligne qu'à cet égard le demandeur n'a pu préciser aucun fait dont l'agent d'immigration ou la représentante du ministre auraient fait abstraction, ni aucun fait pertinent qu'on aurait pu porter à leur connaissance pour les convaincre de ne pas établir le rapport ni de prendre la mesure d'expulsion en cause. L'avocate en conclut que le préjudice prétendument subi par le demandeur était de nature purement spéculative. Elle soutient pour finir que, s'il y a véritablement eu violation des principes d'équité procédurale, la mesure de redressement appropriée ne consisterait pas en l'annulation de la décision, comme le demandeur n'a pu mentionner aucun fait pertinent qu'on aurait pu communiquer à la représentante du ministre et qui aurait pu modifier d'une manière quelconque la décision de déférer l'affaire pour enquête.

2)     Principes applicables d'interprétation législa-tive

[39]Voici ce que le juge Iacobucci a déclaré, dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au sujet de la méthode à suivre pour l'interprétation des textes législatifs [aux paragraphes 20 à 22]:

Une question d'interprétation législative est au centre du présent litige. Selon les conclusions de la Cour d'appel, le sens ordinaire des mots utilisés dans les dispositions en cause paraît limiter l'obligation de verser une indemnité de licenciement et une indemnité de cessation d'emploi aux employeurs qui ont effectivement licencié leurs employés. À première vue, la faillite ne semble pas cadrer très bien avec cette interprétation. Toutefois, en toute déférence, je crois que cette analyse est incomplète.

Bien que l'interprétation législative ait fait couler beaucoup d'encre (voir par ex. Ruth Sullivan, Statutory Interpretation (1997); Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994) (ci-après «Construction of Statutes»); Pierre-André Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1990)), Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l'interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit:

[traduction] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution: il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

[. . .]

Je m'appuie également sur l'art. 10 de la Loi d'interprétation, L.R.O. 1980, ch. 219, qui prévoit que les lois «sont réputées apporter une solution de droit» et doivent «s'interpréter de la manière la plus équitable et la plus large qui soit pour garantir la réalisation de leur objet selon leurs sens, intention et esprit véritables».

[40]La juge Deschamps a récemment réitéré ces principes dans la décision Glykis c. Hydro-Québec, [2004] 3 R.C.S. 285, au paragraphe 5, de la Cour suprême du Canada:

La méthode d'interprétation des textes législatifs est bien connue (Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, 2002 CSC 42). La disposition législative doit être lue dans son contexte global, en prenant en considération non seulement le sens ordinaire et grammatical des mots mais aussi l'esprit et l'objet de la loi et l'intention du législateur. Cette méthode, énoncée à l'occasion de l'analyse de textes législatifs, s'impose, avec les adaptations nécessaires, pour l'interprétation de textes réglementaires.

3)     Contenu de l'obligation d'agir équitablement

[41]L'issue de la présente affaire repose pour bonne part sur le contenu de l'obligation d'agir équitablement, une question à l'égard de laquelle notre Cour applique comme norme de contrôle celle de la décision correcte.

[42]Je renvoie aux décisions de la Cour suprême Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 et Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3 pour un exposé des principes s'appliquant en l'espèce quant au contenu de l'obligation d'agir équitablement, puisque les mesures d'expulsion constituent des décisions qui, aux termes d'un examen administratif, «touchent les droits, privilèges ou biens d'une personne» (voir Cardinal et autre c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, à la page 653).

[43]Manifestement, la notion d'équité procédurale est «"éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas'. Il faut tenir compte de toutes les circonstances pour décider de la nature de l'obligation d'équité procédurale» (se reporter au paragraphe 21 des motifs de la juge L'Heureux-Dubé dans Baker).

[44]Avant d'énumérer certains facteurs permettant de circonscrire l'obligation d'équité procédurale, la juge a fait ressortir ce qui suit, au paragraphe 22 de ses motifs: «l'idée sous-jacente à tous ces facteurs est que les droits de participation faisant partie de l'obligation d'équité procédurale visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d'une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal, institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leur point de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu'ils soient considérés par le décideur».

[45]Je citerai maintenant le passage suivant de l'arrêt Suresh, où la Cour suprême du Canada a également résumé les facteurs permettant de circonscrire l'obligation d'équité procédurale (au paragraphe 115):

L'obligation d'équité--et par conséquent les principes de justice fondamentale--exigent en fait que la question soulevée soit tranchée dans le contexte de la loi en cause et des droits touchés: Baker, précité, par. 21; Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, p. 682; Assoc. des résidents du Vieux St-Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170, le juge Sopinka. Plus précisément, pour décider des garanties procédurales qui doivent être accordées, nous devons tenir compte, entre autres facteurs, (1) de la nature de la décision recherchée et du processus suivi pour y parvenir, savoir «la mesure dans laquelle le processus administratif se rapproche du processus judiciaire», (2) du rôle que joue la décision particulière au sein du régime législatif, (3) de l'importance de la décision pour la personne visée, (4) des attentes légitimes de la personne qui conteste la décision lorsque des engagements ont été pris concernant la procédure à suivre et (5) des choix de procédure que l'organisme fait lui-même: Baker, précité, par. 23-27. Cela ne signifie pas qu'il est exclu que d'autres facteurs et considérations entrent en jeu. Cette liste de facteurs n'est pas exhaustive même pour circonscrire l'obligation d'équité en common law: Baker, précité, par. 28. Elle ne l'est donc forcément pas pour décider de la procédure dictée par les principes de justice fondamentale.

[46]Dans Suresh, la Cour suprême se penchait sur la procédure permettant au ministre, en vertu de l'ancienne Loi sur l'immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2], d'expulser M. Suresh--à qui avait été reconnu le statut de réfugié au sens de la Convention--vers le Sri Lanka, où celui-ci avait démontré courir un risque sérieux de torture en cas d'expulsion. Pour ce motif, l'arrêt Suresh n'est pas d'application générale en matière d'expulsion.

[47]Il est toutefois intéressant de voir l'analyse qu'a faite la Cour suprême du Canada, dans ce contexte précis, des droits de participation requis [Suresh, aux paragraphes 116 à 118 et 121 à 123]:

La décision d'expulser une personne s'apparente, par sa nature, à une procédure judiciaire. Bien qu'il s'agisse d'une décision grave, rendue après l'évaluation et la pondération des risques, elle doit conserver un caractère discrétionnaire. Dans le cadre de l'examen prescrit par l'art. 53, la ministre doit évaluer non seulement les antécédents de l'intéressé et les dangers qu'il court, mais également son comportement futur. Nous concluons que la nature de la décision ne milite ni en faveur de l'application de garanties procédurales particuliè-rement strictes, ni en faveur de l'application de garanties particulièrement laxistes.

La nature du régime législatif donne à penser que de solides garanties procédurales s'imposent. Bien que la procédure établie par l'art. 40.1 de la Loi sur l'immigration soit détaillée, qu'elle vise à faire en sorte que l'attestation prévue par cette disposition soit délivrée de manière équitable et qu'elle permette une participation utile de l'intéressé, il existe une disparité troublante entre ces garanties et l'absence de telles garanties à l'al. 53(1)b). Cette dernière disposition ne prévoit ni audience, ni communication de motifs par écrit ou de vive voix, ni droit d'appel; en fait, elle n'établit aucune procédure à suivre. Comme l'a dit madame le juge L'Heureux-Dubé dans l'arrêt Baker, précité, «des protections procédurales plus importantes seront exigées lorsque la loi ne prévoit aucune procédure d'appel, ou lorsque la décision est déterminante quant à la question en litige et qu'il n'est plus possible de présenter d'autres demandes» (par. 24). Tel est particulièrement le cas lorsque, comme en l'espèce, le législateur a établi dans d'autres dispositions de la Loi, une procédure équitable et systématique à l'égard de mesures comparables.

Le troisième facteur exige que nous nous penchions sur l'importance du droit visé. Comme nous l'avons indiqué précédemment, l'intérêt qu'a l'appelant à demeurer au Canada est très important, non seulement parce qu'il a obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention, mais également parce que, en qualité de membre des LTTE, il risque la torture s'il retourne au Sri Lanka. Plus l'incidence de la décision sur la vie de l'intéressé est grande, plus les garanties procédurales doivent être importantes afin que soient respectées l'obligation d'équité en common law et les exigences de la justice fondamentale consacrées par l'art. 7 de la Charte. L'expulsion du Canada a de graves conséquences sur les plans personnel, financier et émotif. Par conséquent, ce facteur milite en faveur du respect de garanties procédurales accrues pour l'application de l'al. 53(1)b). Dans les cas où, comme en l'espèce, la personne visée par l'attestation délivrée en vertu de l'al. 53(1)b) pourrait être soumise à la torture, ce facteur exige des garanties encore plus importantes.

[. . .]

Après pondération de ces facteurs et de toutes les circonstances, nous estimons que les garanties procédurales dictées par l'art. 7 en l'espèce ne vont pas jusqu'à obliger la ministre à tenir une audience ou une instance judiciaire complète. Elles commandent toutefois davantage que la procédure que requiert l'al. 53(1)b) de la Loi--c'est-à-dire aucune--et que celle dont M. Suresh a bénéficié.

Nous concluons qu'une personne susceptible, par application de l'al. 53(1)b), d'être expulsée vers un pays où elle risque la torture doit être informée des éléments invoqués contre elle. Par conséquent, sous réserve du caractère privilégié de certains documents ou de l'existence d'autres motifs valables d'en restreindre la communication, comme la nécessité de préserver la confidentialité de documents relatifs à la sécurité publique, tous les éléments sur lesquels la ministre fonde sa décision doivent être communiqués à l'intéressé, y compris les notes de service, telle la recommandation de M. Gautier à la ministre. En outre, la justice fondamentale exige que l'intéressé ait l'occasion de réfuter la preuve présentée à la ministre. Bien que celle-ci ait accepté, en l'espèce, que l'appelant lui soumette des observations par écrit, M. Suresh et son avocate n'ont pas eu accès aux documents que la ministre a reçu de ses fonctionnaires et sur lesquels elle a en grande partie fondé sa décision, de sorte qu'ils ne savaient pas sur quels facteurs axer leurs arguments et qu'ils n'ont pas eu l'occasion de corriger les inexactitudes ou erreurs de qualification que pouvaient comporter les faits. La justice fondamentale exige que la personne visée par l'ordonnance soit autorisée à présenter des observations par écrit, après avoir eu la possibilité d'examiner les éléments invoqués contre elle. La ministre doit alors examiner tant ces observations que celles présentées par ses fonctionnaires.

Le réfugié doit non seulement être informé des éléments invoqués contre lui, mais aussi avoir la possibilité de contester l'information recueillie par la ministre lorsque sa validité peut être mise en doute. Ainsi, le réfugié doit pouvoir présenter des éléments de preuve conformément à l'art. 19 de la Loi pour établir que sa présence au Canada ne sera pas préjudiciable au Canada, malgré la preuve établissant qu'il est associé à une organisation terroriste. Cela vaut aussi en ce qui concerne le risque qu'il soit soumis à la torture à la suite de son renvoi. Lorsque la ministre s'appuie sur l'assurance, donnée par écrit par un gouvernement étranger, qu'une personne ne sera pas soumise à la torture, le réfugié doit avoir la possibilité de présenter des éléments de preuve et des observations sur la valeur de l'assurance ainsi donnée. [Non souligné dans l'original.]

4)     Discussion

a)     Les circonstances

[48]Aux fins de l'analyse tant des droits de participation que de la portée du pouvoir discrétionnaire, je vais maintenant énumérer les circonstances ou facteurs en jeu en l'espèce, aussi bien de nature personnelle que liés au régime législatif applicable.

1) Le demandeur résidait au Canada depuis sept ans en toute légalité, étant muni d'un visa d'étudiant renouvelé chaque année.

2) Au moment où la représentante du ministre a décidé de prendre une mesure d'expulsion, le demandeur allait recevoir son diplôme (en août 2003).

3) Bien que le demandeur ait été déclaré coupable d'une infraction punissable par mise en accusation, on l'a jugé par procédure sommaire et on ne lui a infligé qu'une amende et une suspension de permis.

4) L'incident pour lequel on l'a déclaré coupable n'a causé de dommage à aucune personne ni à aucun bien.

5) Pendant son long séjour au Canada, le demandeur n'a été reconnu coupable que d'une seule infraction.

6) La décision de la représentante du ministre de prendre une mesure d'expulsion était une décision finale sans droit d'appel (pouvant entraîner la suspension de la mesure pour des raisons d'ordre humanitaire) auprès de la Section d'appel de l'immigration. Le demandeur pouvait, ce qu'il a fait, demander sur autorisation le contrôle judiciaire de la décision de la représentante du ministre.

7) La seule mesure de renvoi pouvant être prise par la représentante du ministre en l'espèce était une mesure d'expulsion.

8) La mesure d'expulsion est la mesure de renvoi la plus rigoureuse parmi les trois que la Loi prévoit, les deux autres étant les mesures d'exclusion et d'interdiction de séjour.

9) Le paragraphe 226(1) du Règlement prévoit, en ce qui concerne une personne telle que le demandeur, que la mesure d'expulsion l'oblige à obtenir une autorisation pour revenir au Canada à quelque moment que ce soit après l'exécution de la mesure.

b)     La portée du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 44(2)

[49]Selon la Loi, s'il estime bien fondé un rapport établi en vertu du paragraphe 44(1), le représentant du ministre «peut» déférer l'affaire à la Section de l'immigration pour enquête, sauf s'il s'agit d'un étranger et dans les circonstances prescrites; c'est le représentant du ministre et non la Section de l'immigration qui «peut», de manière exclusive, prendre une mesure d'expulsion.

[50]Il est bien établi comme principe d'interprétation législative, ce que vient étayer l'article 11 de la Loi d'interprétation [L.R.C. (1985), ch. I-21], qu'en recourant au mot «peut» lorsqu'il octroie un pouvoir, le législateur entend accorder discrétion au décideur pour exercer ou non ce pouvoir (voir Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd. (Toronto: Butterworths, 2002)).

[51]Cela ne clôt pas, toutefois, notre exercice d'interprétation législative. L'interprète doit en outre établir si une autre disposition de la loi visée ou une circonstance quelconque rend obligatoire, de manière expresse ou implicite, l'exercice du pouvoir concerné--en l'occurrence la prise de la mesure d'expulsion. Pour trouver la solution, selon Ruth Sullivan, il faut examiner le contexte où s'inscrit la disposition législative ainsi que la portée et l'objet de la loi en cause et prendre en compte l'historique du texte législatif.

[52]À mon avis, l'examen du contexte et de l'objet de la Loi ainsi que de l'intention du législateur ne donnent pas au terme «peut» («may» dans la version anglaise), à caractère facultatif, le sens d'un indicatif («shall» dans la version anglaise), à caractère obligatoire.

[53]L'étude de l'historique du texte législatif, en l'occurrence la Loi sur l'immigration de 1976 [S.C. 1976-77, ch. 52] telle qu'elle a été modifiée à ce jour et plus particulièrement ses dispositions relatives aux renvois, m'amène à conclure que le législateur, de manière constante et générale--à quelques exceptions près--, a recouru au terme «peut» pour exprimer la faculté et à l'indicatif pour exprimer l'obligation.

[54]Sous le régime de l'ancienne Loi, finalement, le sous-ministre avait un rôle clé à jouer en ce qui concerne la transmission d'un rapport remis par l'agent d'immigration dans le cas d'une mesure de renvoi visant un résident permanent ou un visiteur, mais non dans le cas d'une exclusion au point d'entrée.

[55]Le paragraphe 27(3) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 16] de l'ancienne Loi prévoyait que le sous-ministre, sous réserve de directives contraires du ministre, «s'il l'estime justifié dans les circonstances», pouvait déférer l'affaire pour enquête ou transmettre le rapport à un agent principal d'immigration pour qu'il prenne une nouvelle décision (se reporter au paragraphe 27(3) de l'ancienne Loi).

[56]Pour résumer, je conclus que, si le représentant du ministre estime un rapport visé au paragraphe 44(1) bien fondé, il dispose du pouvoir discrétionnaire de déférer ou non l'affaire à la Section de l'immigration pour enquête, sauf dans les circonstances prescrites; dans ces circonstances, il a le pouvoir discrétionnaire de prendre une mesure d'expulsion.

[57]L'avocate du ministre a cité une jurisprudence abondante que je juge non pertinente, puisqu'il s'agissait d'affaires portant sur des étapes de l'enquête antérieures à la prise d'une mesure d'expulsion ou sur des cas d'exclusion au point d'entrée, et non sur une mesure de renvoi après admission. Il en était ainsi dans Dehghani c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 1 R.C.S. 1053 et dans Kindler c. MacDonald, [1987] 3 C.F. 34 (C.A.).

[58]Dans les affaires citées se fondant sur la nouvelle Loi, le processus de renvoi n'en était pas arrivé à l'étape finale, soit la prise de la mesure d'expulsion. Il en était ainsi dans les affaires Poonawalla c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2004), 248 F.T.R. 206 (C.F.) et Correia.

[59]Je suis d'avis, par conséquent, que la représentante du ministre était tenue de prendre en compte la situation particulière du demandeur ainsi que les éléments particuliers de sa déclaration de culpabilité en vue d'établir si des circonstances atténuantes rendaient ou non déraisonnable une mesure d'expulsion.

[60]Je souscris à l'opinion de certains voulant qu'il y ait lieu d'exercer le pouvoir discrétionnaire dans les cas où un étranger a commis une infraction mineure qui, techniquement parlant, est punissable par mise en accusation mais pour laquelle la prise automatique d'une mesure d'expulsion ne favoriserait en rien l'intérêt public.

[61]Cela laisserait à penser que le pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 44(2) de la Loi peut être restreint, et que ce pouvoir ne devrait pas faire obstacle à l'exercice par le ministre de sa compétence fondée, en vertu de l'article 25 de la Loi, sur des circonstances d'ordre humanitaire, et ce, bien que des directives ministérielles puissent venir s'appliquer à divers éléments communs aux deux situations.

[62]Sur la foi du dossier, il me semble manifeste que tant la représentante du ministre que l'agent d'immigration estimaient disposer d'un pouvoir discrétionnaire et pouvoir tenir compte--ce qu'ils ont fait--de facteurs d'ordre humanitaire.

c)     Les droits de participation

[63]Un problème soulevé par les mesures d'expulsion prises par un représentant du ministre en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi, c'est que le législateur n'a pas précisé la procédure applicable au processus conduisant à la prise de telles mesures. Cela fait contraste avec l'énoncé très précis dans la Loi de la procédure applicable lorsque des mesures d'expulsion doivent être prises par l'organisme quasi judiciaire qu'est la Section de l'immigration.

[64]Comme la Cour suprême du Canada, la Cour d'appel fédérale et notre Cour le soulignent depuis plusieurs années déjà, le contenu de l'obligation d'équité procédurale est souple et variable et doit être adapté selon le contexte particulier de chaque cas.

[65]Tel qu'il a été mentionné précédemment, on énumère dans Baker et Suresh, les facteurs qui viennent circonscrire l'obligation d'équité procédurale.

[66]Compte tenu des faits de l'espèce, qui n'ont pas trait à une exclusion au point d'entrée, j'estime justifié que le demandeur dispose d'assez larges droits de participation à l'étape finale que constitue la prise d'une mesure d'expulsion par la représentante du ministre.

[67]Voici divers facteurs qui militent en faveur du caractère assez rigoureux de l'obligation d'équité procédurale dans le cas de la prise d'une mesure d'expulsion par un représentant du ministre:

1) le caractère définitif de la décision prise par le représentant sans que l'intéressé dispose d'un droit d'appel auprès de la Section d'appel de l'immigration, sous réserve uniquement d'un recours en contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, sur autorisation;

2) les graves conséquences d'une expulsion pour une personne dans une situation telle que celle du demandeur, soit notamment la fin de ses études sans qu'il ait obtenu un diplôme et l'exclusion à vie du Canada, sauf si le ministre consent à un retour, et le fait que la représentante n'a pas de pouvoir discrétionnaire quant à la prise d'une mesure d'expulsion.

[68]J'estime qu'en l'espèce le demandeur disposait des droits de participation qui suivent, qu'on lui a déniés pour la plupart:

1) Une entrevue avec la représentante du ministre, un droit qu'on a accordé au demandeur.

2) Un avis l'informant que la procédure pour laquelle il était convoqué pouvait résulter en une ordonnance d'expulsion. On a dénié ce droit au demandeur. Ce dernier savait que l'agent d'immigration désirait l'interroger au sujet de sa condamnation, mais il ne savait pas de quoi il retournait. On ne lui a parlé de la mesure d'expulsion qu'au moment de l'entrevue avec la représentante du ministre. Je déduis en outre du déroulement de l'entrevue que le demandeur ne savait pas quelles seraient les conséquences pour lui de la prise d'une mesure d'expulsion, puisqu'on ne lui a pas donné d'explications à ce sujet.

3) Un avis informant le demandeur de son droit à la présence d'un avocat lors de l'entrevue. Il y a eu déni de ce droit de participation.

4) L'occasion raisonnable de présenter des éléments de preuve. Le déroulement de l'entrevue m'amène à conclure que le demandeur n'a pas disposé de pareille occasion raisonnable, parce qu'on ne l'a pas informé de ce qu'il lui fallait démontrer, et en particulier qu'il pouvait faire valoir des circonstances atténuantes.

[69]Cette conception des droits de participation s'accorde avec la décision du juge Reed dans Qi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 33 Imm. L.R. (2d) 57 (C.F. 1re inst.) et celle du juge Simon Noël dans Babcock c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), IMM-4504-02, 8 septembre 2003.

[70]Selon l'avocate du ministre, il serait de peu d'intérêt de faire droit à la demande de contrôle judiciaire si j'estimais qu'il y a eu manquement à l'équité procédurale. Elle s'est appuyée à cet égard sur Correia, où le juge Phelan a déclaré [au paragraphe 36]: «Il s'agit de l'un de ces cas rares dans lesquels il y a eu un manquement à la procédure en matière d'équité, mais dans lesquels la réparation ne devrait pas être l'annulation de la décision. Le demandeur a été incapable d'avancer les faits pertinents qui auraient pu être soumis au représentant afin de modifier de quelque façon la décision de déférer le rapport».

[71]Comme on l'a mentionné, Correia n'est pas une décision pertinente parce que la décision alors contestée du représentant du ministre était la décision de déférer l'affaire à la Section d'appel de l'immigration. La décision contestée en l'espèce, c'est celle de la représentante du ministre de prendre une mesure d'expulsion. Selon moi, il y avait plusieurs facteurs pouvant inciter la représentante du ministre à ne pas mener à son terme le processus d'expulsion, soit la fin des études du demandeur dans seulement quelques mois, le retour probable de ce dernier en Corée et le fait qu'il a été reconnu coupable d'une infraction mineure.

[72]Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la représentante du ministre de prendre une mesure d'expulsion est annulée et l'affaire est renvoyée à un autre représentant du ministre pour nouvel examen. Chacune des parties pourra proposer la certification d'une ou plusieurs questions d'ici au 9 novembre 2004, l'autre partie pouvant alors présenter des commentaires jusqu'au 16 novembre 2004.

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