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[2013] 1 R.C.F. 3

2011 CAF 146

A-408-09

Nell Toussaint (appelante)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimé)

et

Charter Committee on Poverty Issues (intervenant)

A-501-09

Ben Ndungu (appelant)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimé)

Répertorié : Toussaint c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)

Cour d’appel fédérale, juges Sharlow, Dawson et Layden-Stevenson, J.C.A.—Toronto, 19 janvier; Ottawa, 29 avril 2011.

Citoyenneté et Immigration — Pratique en matière d’immigration — Appels de décisions de la Cour fédérale rejetant des demandes de contrôle judiciaire du refus de l’intimé de lever l’obligation d’acquitter les frais prévus à l’art. 307 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, quant au traitement d’une demande présentée au titre de l’art. 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) — Les appelants, des étrangers, ne se sont pas conformés à l’art. 10(1)d) (récépissé de paiement des droits applicables) lorsqu’ils ont présenté leurs demandes en vertu de l’art. 25(1) — Ils ont allégué qu’il s’agissait d’une contrainte financière excessive et ont demandé une dispense du paiement des frais — La Cour fédérale a conclu que l’obligation de payer les frais était une condition de validité de la demande présentée au titre de l’art. 25(1) — Il s’agissait de savoir si l’art. 25(1) confère à l’intimé le pouvoir de lever l’obligation de payer les frais prévus à l’égard d’une demande — Selon une interprétation correcte de l’art. 25(1) de la LIPR, l’intimé est tenu d’examiner une demande de dispense de l’obligation de payer les frais — Si un étranger est en mesure de démontrer que, dans son cas, l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’accorder la résidence permanente au titre de l’art. 25(1) serait justifié, rien ne s’oppose, en principe, à ce qu’on puisse faciliter sa demande au moyen d’une dispense de paiement des frais — Appels accueillis.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et sécurité — Rejet par la Cour fédérale des demandes de contrôle judiciaire du refus de l’intimé de lever l’obligation d’acquitter les frais prévus pour le traitement d’une demande présentée au titre de l’art. 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — Il s’agissait de savoir si l’omission de la gouverneure en conseil de permettre une dispense du paiement des frais pour les étrangers qui vivent dans la pauvreté et souhaitent présenter une demande en application de l’art. 25(1) contrevient à l’art. 7 de la Charte — Les droits que garantit l’art. 7 de la Charte aux appelants n’entrent pas en jeu par suite du défaut d’examiner leurs demandes de dispense des frais — Le renvoi des appelants, avant l’examen des motifs d’ordre humanitaire soulevés dans leurs demandes présentées en vertu de l’art. 25(1), ne les prive pas de leur droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de leur personne.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à l’égalité — Rejet par la Cour fédérale des demandes de contrôle judiciaire du refus de l’intimé de lever l’obligation d’acquitter les frais prévus pour le traitement d’une demande présentée au titre de l’art. 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — L’absence d’une disposition prévoyant la dispense du paiement des frais ne contreviendrait pas aux droits, garantis à l’art. 15 de la Charte, des étrangers qui souhaitent présenter une demande de résidence permanente en application de l’art. 25(1) — Cette absence de disposition ne cause pas de difficultés excessives, n’empêche pas d’accéder à la justice et ne perpétue pas un préjudice ou l’application de stéréotypes.

Droit constitutionnel — Principes fondamentaux — Rejet par la Cour fédérale des demandes de contrôle judiciaire du refus de l’intimé de lever l’obligation d’acquitter les frais prévus pour le traitement d’une demande présentée au titre de l’art. 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — L’absence de disposition prévoyant la dispense du paiement des frais ne va pas à l’encontre du droit d’accès aux tribunaux ou de la primauté du droit — L’accès à l’intimé en application de l’art. 25(1) n’est pas analogue à l’accès aux tribunaux — La primauté du droit ne peut pas servir à créer une dispense du paiement des frais s’il n’en existe aucune dans la loi.

Il s’agissait d’appels de deux décisions de la Cour fédérale rejetant les demandes de contrôle judiciaire des appelants du refus de l’intimé de lever l’obligation d’acquitter les frais prévus à l’article 307 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés pour le traitement d’une demande de résidence permanente présentée au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR).

Les appelants, des étrangers sans statut de résident permanent ni visas, ont chacun présenté une demande de résidence permanente en application du paragraphe 25(1), mais ils ne se sont pas conformés à l’alinéa 10(1)d) du Règlement, qui exige que les demandes soient accompagnées d’un récépissé de paiement des droits applicables. Les appelants ont allégué que le paiement des frais constituerait une contrainte financière excessive et ont demandé une dispense du paiement des frais. La Cour fédérale a accepté l’interprétation de l’intimé du paragraphe 25(1) (c.-à-d. que l’obligation de payer les frais est une condition de validité de la demande présentée au titre du paragraphe 25(1)), estimant que cette interprétation était davantage compatible avec l’objet du régime législatif, lequel comprend le paragraphe 25(1). La Cour fédérale a également conclu qu’aucun principe constitutionnel n’obligeait la gouverneure en conseil à prendre un règlement régissant la dispense de frais exigibles en vertu de la LIPR.

La question à trancher était de savoir si le paragraphe 25(1) confère à l’intimé le pouvoir de lever l’obligation, prévue à l’alinéa 10(1)d) du Règlement, de payer les frais prévus à l’égard d’une demande et, dans la négative, si l’omission de la gouverneure en conseil d’adopter un règlement permettant une dispense du paiement des frais pour les étrangers qui vivent dans la pauvreté et souhaitent présenter une demande de résidence permanente en application du paragraphe 25(1) contrevient aux droits des appelants garantis à l’article 7 ou à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), ou à la primauté du droit ou au droit constitutionnel d’accès aux tribunaux en common law.

Arrêt : les appels doivent être accueillis.

Rien dans le régime de la LIPR ou le contexte législatif n’oblige à conclure que l’obligation, prévue à l’alinéa 10(1)(d) du Règlement, de payer des frais relativement à une demande fondée sur le paragraphe 25(1) ne fait pas partie de « tout ou partie des critères et obligations applicables » du paragraphe 25(1) de la LIPR. Selon une interprétation correcte du paragraphe 25(1), l’intimé est obligé d’examiner une demande de dispense de l’obligation prévue à l’article 307 du Règlement quant au paiement des frais de traitement d’une demande présentée au titre du paragraphe 25(1). Le principe voulant que l’immigration soit un privilège signifie que celui qui présente une demande en vertu du paragraphe 25(1) n’a pas droit à une décision favorable de l’intimé quant à une demande de dispense. Toutefois, ce principe ne donne aucune indication sur la portée du pouvoir discrétionnaire de l’intimé en application du paragraphe 25(1), ou si ce pouvoir devrait être interprété étroitement ou largement. Donner à l’intimé le pouvoir de faciliter un processus susceptible d’amener un étranger à obtenir le statut de résident permanent est davantage compatible avec les objets du paragraphe 3(1) de la LIPR, qui sont de permettre au Canada de retirer de l’immigration le maximum d’avantages économiques, de favoriser le développement économique et la prospérité du Canada, et de promouvoir l’intégration des résidents permanents au Canada. L’étranger qui se trouve au Canada et n’a pas le statut de résident permanent ne jouit pas du droit absolu de travailler pour assurer son autonomie. Si cette personne est en mesure de démontrer que, dans son cas, l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’accorder la résidence permanente au titre du paragraphe 25(1) serait justifié, rien ne s’oppose, en principe, à ce qu’on puisse faciliter sa demande au moyen d’une dispense de paiement des frais. Adopter l’interprétation proposée par les appelants à l’égard du paragraphe 25(1) n’est pas susceptible de porter atteinte aux objectifs déclarés de la LIPR. L’article 89 de la LIPR, qui stipule que les règlements peuvent prévoir des cas de dispense de paiement des frais, n’est pas une indication que le législateur voulait que l’intimé ne dispose d’aucun pouvoir discrétionnaire pour dispenser du paiement des frais. Il n’y a aucune raison pour laquelle le législateur n’aurait pas jugé approprié d’autoriser l’intimé à accorder une dispense du paiement des frais à l’égard d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ou d’intérêt public en application du paragraphe 25(1), au cas par cas, tout en autorisant en même temps la gouverneure en conseil à prendre des règlements régissant les cas de dispense. À la lumière de l’article 39 de la LIPR, qui exige des étrangers la stabilité et l’indépendance financières, il serait plus conforme aux objectifs de la LIPR d’interpréter le paragraphe 25(1) d’une façon qui permettrait à l’intimé d’accorder la dispense du paiement de ces frais, plutôt que de l’interpréter d’une façon qui empêcherait l’application de cette mesure. Enfin, le risque d’une charge administrative accrue, résultant de l’examen des demandes de dispense de paiement des frais, ne constitue pas en soi un motif valable d’adopter l’interprétation proposée par l’intimé à l’égard du paragraphe 25(1).

Même si ce qui précède était suffisant pour que l’appel soit accueilli, la deuxième question et les questions constitutionnelles ont néanmoins été examinées. Les droits que garantit l’article 7 de la Charte aux appelants n’entrent pas en jeu par suite du défaut de l’intimé d’examiner leurs demandes de dispense des frais. Le fait qu’ils soient renvoyés avant l’examen des motifs d’ordre humanitaire soulevés dans leurs demandes présentées en vertu du paragraphe 25(1) ne les prive pas de leur droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de leur personne, et ils n’ont été privés d’aucun droit sans application des principes de justice fondamentale. Et l’absence de disposition prévoyant la dispense du paiement des frais pour une demande présentée au titre du paragraphe 25(1) ne constituerait pas de la discrimination à l’endroit des appelants, au sens du paragraphe 15(1) de la Charte : elle ne cause pas de difficultés excessives pour les étrangers vivant dans la pauvreté au Canada, n’empêche pas d’accéder à un mécanisme permettant de faire valoir ses droits, ni ne crée de désavantage par la perpétuation d’un préjudice ou l’application de stéréotypes. Enfin, l’absence d’une disposition prévoyant la dispense du paiement des frais ne va pas à l’encontre du droit constitutionnel d’accès aux tribunaux en common law, ni à l’encontre de la primauté du droit. L’accès à l’intimé en application du paragraphe 25(1) de la LIPR n’est pas analogue à l’accès aux tribunaux parce que le pouvoir conféré à l’intimé au paragraphe 25(1) se limite à procurer un avantage discrétionnaire exceptionnel. Dans le contexte des dispositions de la LIPR relatives à l’immigration, la primauté du droit ne peut servir à créer une dispense du paiement des frais s’il n’en existe aucune dans la loi.

Pour ces motifs, les jugements de la Cour fédérale ont été annulés, et les deux affaires ont été renvoyées à l’intimé pour examen des demandes de dispense du paiement des frais exigibles à l’égard des demandes présentées par les appelants au titre du paragraphe 25(1).

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 15.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 2(1) « étranger », (2), 3, 5(1),(2) (mod. par L.C. 2008, ch. 3, art. 2), 25(1) (mod., idem, ch. 28, art. 117), 26, 34, 35, 38, 39, 41, 74d), 89, 148, 150.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 10(1), 66, 294, 307.

JURISPRUDENCE CITÉE

décision citée :

Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711.

APPELS de deux décisions de la Cour fédérale (Toussaint c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 873, [2010] 3 R.C.F. 452; Ndungu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1269) rejetant les demandes, par les appelants, de contrôle judiciaire du refus de l’intimé de lever l’obligation d’acquitter les frais prévus à l’article 307 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, quant au traitement d’une demande de résidence permanente présentée au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Appels accueillis.

ONT COMPARU

Andrew C. Dekany et Angus Grant pour l’appelante Nell Toussaint.

Rocco Galati pour l’appelant Ben Ndungu.

Martin Anderson, Kristina Dragaitis et Mahan Keramati pour l’intimé.

Raj Anand pour l’intervenant.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Andrew Dekany, Toronto, pour l’appelante Nell Toussaint.

Galati, Rodrigues & Associates, Toronto, pour l’appelant Ben Ndungu.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

WeirFoulds LLP, Toronto, pour l’intervenant.

            Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        La juge Sharlow, J.C.A. : Il s’agit des appels de deux jugements de la juge Snider, répertoriés sous les intitulés Toussaint c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 873, [2010] 3 R.C.F. 452, et Ndungu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1269. Les appels ont été entendus ensemble compte tenu des questions graves de portée générale certifiées par la juge Snider en vertu de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Ces questions, que j’ai quelque peu reformulées, sont les suivantes :

1) Selon l’interprétation correcte du paragraphe 25(1) [mod. par L.C. 2008, ch. 28, art. 117] de la LIPR, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) est‑il obligé d’examiner une demande de dispense de l’obligation prévue à l’alinéa 10(1)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement), quant au paiement des frais de traitement d’une demande présentée au titre du paragraphe 25(1)?

2) Dans la négative, l’omission de la gouverneure en conseil d’adopter un règlement permettant une dispense du paiement des frais pour les étrangers qui vivent dans la pauvreté et souhaitent présenter depuis le Canada une demande de résidence permanente en application du paragraphe 25(1) de la LIPR contrevient‑elle :

a) aux droits des appelants garantis à l’article 7 ou à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (la Charte)];

b) soit à la primauté du droit, soit au droit constitutionnel d’accès aux tribunaux en common law?

[2]        La juge Snider a conclu que la réponse à ces deux questions était négative et elle a donc rejeté les demandes de contrôle judiciaire. Je souscris à l’opinion de la juge Snider quant à la seconde question. Toutefois, en toute déférence, je suis en désaccord avec elle sur la première question et, pour cette raison, je suis d’avis d’accueillir les appels.

A. Contexte

[3]        La description du contexte des présents appels se divise en trois parties : 1) le paragraphe 25(1) de la LIPR; 2) les dispositions de la LIPR et du Règlement relatives aux frais; 3) les faits pertinents et l’historique du litige.

1. Paragraphe 25(1) de la LIPR

[4]        Un étranger peut obtenir le statut de « résident permanent » en vertu de la LIPR. Le terme « étranger » est défini comme suit au paragraphe 2(1) de la LIPR :

2. […]

Définitions

« étranger » Personne autre qu’un citoyen canadien ou un résident permanent; la présente définition vise également les apatrides.

« étranger »

foreign national

[5]        Le statut de résident permanent confère plusieurs droits importants, y compris le droit d’entrer et de séjourner au Canada, et surtout, à l’instar du citoyen, les droits de travailler au Canada et de bénéficier de certains avantages sociaux, notamment des soins de santé.

[6]        Pour devenir résident permanent, l’étranger doit normalement commencer par présenter une demande alors qu’il se trouve hors du Canada. Toutefois, le paragraphe 25(1) de la LIPR permet à l’étranger se trouvant « au Canada » ou « au pays » de présenter une demande de statut de résident permanent et de demander au ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’accorder certaines mesures. Le paragraphe 25(1) était rédigé comme suit à l’époque pertinente aux présents appels :

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative ou sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

Séjour pour motif d’ordre humanitaire

(L’article 25 a été modifié par le paragraphe 4(1) de la Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés, L.C. 2010, ch. 8, qui est entrée en vigueur le 29 juin 2010. Toutefois, personne n’a fait valoir que les modifications s’appliquent aux demandes présentées au titre du paragraphe 25(1) qui font l’objet des présents appels et qui ont été soumises avant l’entrée en vigueur des modifications. Pour cette raison, je n’ai pas tenu compte des modifications.)

[7]        L’étranger se trouvant au Canada peut présenter une demande au titre du paragraphe 25(1) seulement s’il est interdit de territoire ou ne se conforme pas à la LIPR. L’étranger peut être interdit de territoire pour l’un des motifs précisés aux articles 34 à 42 de la LIPR. Il n’est pas nécessaire que je résume toutes ces dispositions; je me limiterai donc à donner quelques exemples.

[8]        En vertu de l’article 34, emporte interdiction de territoire pour raison de sécurité, entre autres, le fait d’être l’auteur d’actes d’espionnage, de se livrer à la subversion ou au terrorisme ou de constituer un danger pour la sécurité du Canada, à moins que le ministre ne soit convaincu que la présence de l’étranger au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national. En vertu de l’article 35, emportent interdiction de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux les faits y énumérés, sous réserve encore une fois d’une exception ministérielle. En vertu de l’article 38, est interdit de territoire pour motifs sanitaires, entre autres, l’étranger dont l’état de santé risque d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé.

[9]        Les catégories d’admissibilité les plus pertinentes, compte tenu du contexte législatif des présents appels, sont énoncées à l’article 39 (motifs financiers) et à l’article 41 (manquement à la LIPR), que voici :

39. Emporte interdiction de territoire pour motifs financiers l’incapacité de l’étranger ou son absence de volonté de subvenir, tant actuellement que pour l’avenir, à ses propres besoins et à ceux des personnes à sa charge, ainsi que son défaut de convaincre l’agent que les dispositions nécessaires — autres que le recours à l’aide sociale — ont été prises pour couvrir leurs besoins et les siens.

[…]

Motifs financiers

41. S’agissant de l’étranger, emportent interdiction de territoire pour manquement à la présente loi tout fait — acte ou omission — commis directement ou indirectement en contravention avec la présente loi et, s’agissant du résident permanent, le manquement à l’obligation de résidence et aux conditions imposées.

Manquement à la loi

[10]      Le paragraphe 25(1) impose à première vue au ministre l’obligation de faire certaines choses à la demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou ne se conforme pas à la LIPR. (Il permet également au ministre de faire ces mêmes choses de sa propre initiative ou sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, mais ces éléments du paragraphe 25(1) n’entrent pas en jeu en l’espèce.)

[11]      Suivant mon interprétation du paragraphe 25(1), l’obligation du ministre consiste généralement à : 1) étudier le cas du demandeur; 2) déterminer les considérations d’ordre humanitaire relatives au demandeur (compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché) et les considérations d’intérêt public pertinentes; 3) se former une opinion quant à savoir si les considérations d’ordre humanitaire ou d’intérêt public justifient d’octroyer au demandeur le statut de résident permanent ou de lever tout ou partie des critères et obligations applicables de la LIPR.

2. Dispositions de la LIPR et du Règlement relatives aux frais

[12]      La LIPR ne précise pas les exigences procédurales applicables aux demandes présentées au titre du paragraphe 25(1). Ces exigences sont établies par règlement pris par le gouverneur en conseil en vertu du paragraphe 5(1) de la LIPR, qui est rédigé comme suit :

5. (1) Le gouverneur en conseil peut, sous réserve des autres dispositions de la présente loi, prendre les règlements d’application de la présente loi et toute autre mesure d’ordre réglementaire qu’elle prévoit.

Règlements

En vertu du paragraphe 5(2) [mod. par L.C. 2008, ch. 3, art. 2] de la LIPR, tout projet de règlement pris au titre de certaines dispositions de la LIPR doit être déposé au Parlement et renvoyé à un comité parlementaire avant que le règlement ne puisse être pris par le gouverneur en conseil. Aucun renvoi parlementaire n’était nécessaire pour ce qui est des dispositions réglementaires pertinentes quant aux questions en litige dans les présents appels.

[13]      L’article 26 de la LIPR autorise la prise de règlements pour l’application du paragraphe 25(1), qui est en cause en l’espèce. L’article 26 était rédigé comme suit à l’époque pertinente :

26. Les règlements régissent l’application des articles 18 à 25 et portent notamment sur :

a) l’entrée, la faculté de rentrer et le séjour;

b) le statut de résident permanent ou temporaire, et notamment l’acquisition du statut;

c) les cas dans lesquels il peut être tenu compte de tout ou partie des circonstances visées à l’article 24;

d) les conditions qui peuvent ou doivent être, quant aux résidents permanents et aux étrangers, imposées, modifiées ou levées, individuellement ou par catégorie;

e) les garanties à fournir au ministre pour l’exécution de la présente loi. [Non souligné dans l’original.]

Règlements

[14]      L’alinéa 26b) de la LIPR permet la prise de règlements portant sur « le statut de résident permanent », notamment « l’acquisition du statut », ce qui comprend des règlements établissant les exigences procédurales des demandes présentées au titre du paragraphe 25(1).

[15]      Les dispositions réglementaires qui sont en jeu en l’espèce sont le paragraphe 10(1) et l’article 66 du Règlement. Le paragraphe 10(1) énonce les exigences procédurales générales applicables à toutes les demandes présentées dans le cadre de la LIPR. Quant à l’article 66, il précise comment doit être faite la demande présentée au titre du paragraphe 25(1). Ces dispositions sont rédigées comme suit :

10. (1) Sous réserve des alinéas 28b) à d), toute demande au titre du présent règlement :

a) est faite par écrit sur le formulaire fourni par le ministère, le cas échéant;

b) est signée par le demandeur;

c) comporte les renseignements et documents exigés par le présent règlement et est accompagnée des autres pièces justificatives exigées par la Loi;

d) est accompagnée d’un récépissé de paiement des droits applicables prévus par le présent règlement;

e) dans le cas où le demandeur est accompagné d’un époux ou d’un conjoint de fait, indique celui d’entre eux qui agit à titre de demandeur principal et celui qui agit à titre d’époux ou de conjoint de fait accompagnant le demandeur principal.

[…]

Forme et contenu de la demande

66. La demande faite par un étranger en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi doit être faite par écrit et accompagnée d’une demande de séjour à titre de résident permanent ou, dans le cas de l’étranger qui se trouve hors du Canada, d’une demande de visa de résident permanent. [Non souligné dans l’original.]

Demande

[16]      La LIPR, dans la version qui existait en 2008, fait mention des frais aux articles 89, 148 et 150 seulement. Il n’est pas contesté dans les présents appels que c’est l’article 89 de la LIPR qui autorisait l’adoption de l’article 307 du Règlement, qui fixe les frais en cause en l’espèce. Les articles 148 et 150 de la LIPR (qui figurent à la partie 3, « Exécution ») portent sur les obligations des exploitants de véhicules et d’installations de transport qui amènent des personnes au Canada. Ces dispositions n’apportent aucun éclaircissement sur les questions en litige dans les présents appels. L’article 89 est rédigé comme suit :

89. Les règlements peuvent prévoir les frais pour les services offerts dans la mise en œuvre de la présente loi, ainsi que les cas de dispense, individuellement ou par catégorie, de paiement de ces frais.

Règlement

[17]      Aucun règlement ne prévoit les cas de dispense par le ministre ou autrement.

[18]      Il est question des frais à la partie 19 du Règlement (articles 294 à 315), laquelle compte cinq sections : section 1 — Interprétation; section 2 — Frais des demandes de visa et de permis, notamment le permis de travail et le permis d’études; section 3 — Frais des demandes de séjour au Canada à titre de résident permanent; section 4 — Droit de résidence permanente; section 5 — Frais relatifs aux autres demandes et services. Chacune de ces sections établit diverses catégories de frais et comporte son propre mécanisme qui, dans certains cas, comprend des exceptions et des remises.

[19]      Les frais en cause en l’espèce sont les frais prévus à l’article 307 du Règlement, qui se trouve à la section 5 (Frais relatifs aux autres demandes et services) et dont voici l’extrait pertinent :

307. Les frais ci‑après sont à payer pour l’examen de la demande faite aux termes de l’article 66 si aucuns frais ne sont par ailleurs à payer à l’égard du même demandeur pour l’examen d’une demande de séjour au Canada à titre de résident permanent ou d’une demande de visa de résident permanent :

a) dans le cas du demandeur principal, 550 $ […]

Frais

(La disposition renvoie à l’article 66 du Règlement cité précédemment.)

3. Les faits pertinents et l’historique du litige

[20]      Les faits concernant Mme Toussaint et ceux concernant M. Ndungu sont semblables dans la mesure où ils sont liés aux présents appels. Mme Toussaint et M. Ndungu sont des étrangers. En 2008, ils vivaient au Canada sans statut de résident permanent et sans visa les autorisant à y séjourner. N’ayant pas le droit de rester au Canada, ils étaient susceptibles d’être renvoyés. S’ils devaient quitter le Canada, ils n’auraient pas le droit d’y revenir sans obtenir soit un visa soit le statut de résident permanent.

[21]      Mme Toussaint et M. Ndungu souhaitent tous les deux devenir des résidents permanents. Ils ont chacun présenté une demande au titre du paragraphe 25(1) en 2008. Le ministre ne conteste pas qu’ils étaient admissibles à le faire et, dans le cadre des présents appels, il n’est pas nécessaire de déterminer précisément pourquoi ils y étaient admissibles.

[22]      En vertu de l’alinéa 10(1)d) du Règlement, les demandes présentées par Mme Toussaint et M. Ndungu au titre du paragraphe 25(1) devaient être accompagnées d’un récépissé du paiement des frais de 550 $ prévus à l’article 307 du Règlement. Mme Toussaint et M. Ndungu ne se sont pas conformés à cette exigence. Ils allèguent tous les deux que le paiement des frais de 550 $ constituerait une contrainte financière excessive pour eux. Lorsqu’ils ont présenté leurs demandes en vertu du paragraphe 25(1), ils ne les ont pas accompagnées d’un récépissé du paiement des frais. Ils ont plutôt présenté une preuve de leur situation de pauvreté et une demande de dispense du paiement des frais.

[23]      Dans le cadre des présents appels, j’ai présumé que les difficultés financières alléguées par Mme Toussaint et M. Ndungu sont telles que le ministre pouvait raisonnablement conclure qu’il convenait de les dispenser du paiement des frais pour des motifs d’ordre humanitaire. Je ne prétends pas que c’était, pour le ministre, la seule décision raisonnable à prendre.

[24]      Mme Toussaint et M. Ndungu ont chacun reçu une lettre les informant que leurs demandes présentées au titre du paragraphe 25(1) ne seraient pas examinées tant que les frais de 550 $ ne seraient pas payés. La lettre de Mme Toussaint est datée du 12 janvier 2009 et celle de M. Ndungu, du 10 février 2009. Les explications qui y figurent sont identiques et sont rédigées comme suit [au paragraphe 3 de [2010] 3 F.C.R. 452] :

[traduction] L’alinéa 10(1)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés exige que toutes les demandes soient accompagnées d’un récépissé de paiement des droits applicables. Votre demande de dispense de frais va à l’encontre de cette exigence réglementaire. Si vous désirez présenter une demande de résidence permanente au Canada, vous devez joindre à votre demande le paiement des frais exigés.

Ces explications correspondent à l’interprétation du paragraphe 25(1) de la LIPR et du Règlement applicable qu’a donnée le ministre devant la Cour fédérale et devant notre Cour.

[25]      Mme Toussaint et M. Ndungu ont tous les deux demandé et obtenu l’autorisation de présenter à la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre de refuser d’examiner leurs demandes fondées sur le paragraphe 25(1). La juge Snider a d’abord entendu la demande de contrôle judiciaire de Mme Toussaint, qu’elle a rejetée, et elle a certifié les questions susmentionnées. La juge Snider a par la suite entendu la demande de M. Ndungu, et a conclu de même.

[26]      Les deux demandes de contrôle judiciaire visaient à contester l’interprétation que le ministre donnait du paragraphe 25(1) de la LIPR et à soulever un certain nombre de questions constitutionnelles dans l’éventualité où l’interprétation du ministre serait jugée correcte.

[27]      En ce qui a trait à la question de l’interprétation législative, la juge Snider a reconnu que Mme Toussaint et M. Ndungu avaient proposé une interprétation littérale valide du paragraphe 25(1), mais elle a retenu l’interprétation du ministre parce qu’elle estimait, comme elle l’a expliqué aux paragraphes 23 à 32 de ses motifs dans la décision Toussaint, que cette interprétation était davantage compatible avec l’objet du régime législatif, lequel comprend le paragraphe 25(1).

[28]      La juge Snider a rejeté les arguments constitutionnels de Mme Toussaint et de M. Ndungu, concluant qu’aucun principe constitutionnel n’obligeait le gouverneur en conseil à prendre un règlement régissant la dispense des frais exigibles en vertu de la LIPR.

B. Norme de contrôle applicable

[29]      À tous les paliers, la présente affaire a été débattue à partir du principe qu’il n’y avait pas lieu de faire preuve de retenue à l’égard de la décision du ministre pour ce qui est de la question de l’interprétation législative ou des questions constitutionnelles soulevées dans ces appels. Je suis d’accord et j’ai appliqué la norme de la décision correcte.

C. Principes d’interprétation législative

[30]      Puisque la principale question en litige dans les présents appels nous impose de statuer sur l’interprétation du paragraphe 25(1) de la LIPR, les principes d’interprétation législative doivent être examinés. Aux paragraphes 16 à 20 de ses motifs dans la décision Toussaint, la juge Snider a résumé les principes applicables. Je fais miens ses propos, que je reproduis ci‑dessous :

Étant donné que la première question qui m’est posée est une question d’interprétation de la loi, il est utile de commencer par un aperçu des principes liés à de telles questions. À plusieurs reprises, la Cour suprême du Canada a donné des orientations sur la façon d’aborder les questions d’interprétation des lois. Au paragraphe 21 de l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, le juge Iacobucci, exprimant l’avis unanime de la Cour suprême, a avalisé le passage suivant de Elmer Driedger dans Construction of Statutes, 2e éd. (Toronto : Butterworths, 1983) :

[traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

Par conséquent, lorsque la Cour interprète la loi, sa tâche ne peut pas être limitée à l’analyse du sens manifeste de la disposition particulière. De plus, si d’une part le texte de loi doit « apporter une solution de droit et s’interprète[r] de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet » (article 12 de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21), il faut d’autre part accorder de l’attention à l’économie de la loi, à son objet, à l’intention du législateur, au contexte des mots en cause (arrêt Rizzo, précité, au paragraphe 23). Quel que soit le degré de clarté et de précision des termes de la disposition, il faut mener une analyse plus poussée. En fait, il est erroné de ne pas déterminer l’intention qu’avait le législateur au moment de l’adoption d’une disposition particulière (arrêt Rizzo, précité, aux paragraphes 23 et 31). Il s’ensuit que, lorsqu’il y a plusieurs interprétations divergentes, mais pas déraisonnables, le contexte entourant la loi ou le règlement devient encore plus important.

En résumé, ma tâche ne peut pas se limiter à l’interprétation individuelle des termes ou des expressions utilisés à l’article 25; plutôt, je dois examiner le contexte dans lequel les termes sont utilisés, l’objet de la LIPR et l’intention du législateur.

Lorsqu’on examine le contexte de la LIPR, la nature ou l’économie de la loi est importante. Au paragraphe 23 de l’arrêt de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436, [2006] 3 R.C.F. 655, la Cour d’appel fédérale a qualifié la LIPR de « loi cadre » :

Cela signifie que la Loi énonce les principes et politiques clés du régime législatif et que, eu égard à la complexité et à la vaste étendue du sujet, elle est relativement concise. Les politiques et principes secondaires, la mise en œuvre des politiques et principes clés, y compris les exemptions, et les détails opérationnels cruciaux sont prescrits dans des règlements, qui peuvent être modifiés assez rapidement lorsque de nouveaux problèmes et d’autres changements se présentent. Les lois cadres prévoient donc la délégation d’une partie importante de la compétence législative.

Au paragraphe 26 de l’arrêt de Guzman, la Cour d’appel a aussi déclaré qu’en cas de contradiction entre le texte explicite d’une disposition habilitante et un règlement apparemment pris en vertu de cette disposition, il se peut que le règlement ne soit pas jugé valide. Dans les autres cas, les cours font preuve d’une grande prudence lorsqu’elles examinent un règlement pris par le gouverneur (ou le lieutenant‑gouverneur) en conseil.

D. Interprétation du paragraphe 25(1)

1. Introduction

[31]      La question d’interprétation législative soulevée dans les présents appels est la suivante : le paragraphe 25(1) de la LIPR confère‑t‑il au ministre le pouvoir d’accéder à la demande d’un étranger se trouvant au Canada de lever l’obligation, prévue à l’alinéa 10(1)d) du Règlement, de payer les frais prévus à l’article 307 du Règlement à l’égard d’une demande présentée au titre du paragraphe 25(1)? À mon avis, pour les motifs exposés ci‑dessous, il faut répondre par l’affirmative à cette question. Il s’ensuit que le ministre a commis une erreur de droit lorsqu’il a refusé les demandes présentées par Mme Toussaint et par M. Ndungu au titre du paragraphe 25(1) au motif que le paragraphe 25(1) ne lui conférait pas le pouvoir de les dispenser du paiement des frais.

[32]      Par souci de commodité, le paragraphe 25(1) est reproduit ci‑dessous :

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative ou sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient. [Non souligné dans l’original.]

Séjour pour motif d’ordre humanitaire

[33]      Je résume l’argumentation du ministre. Les termes « tout ou partie des critères et obligations applicables », au paragraphe 25(1) de la LIPR, se rapportent uniquement aux motifs d’interdiction de territoire qui sont énoncés aux paragraphes 34 à 42 de la LIPR et aux diverses obligations de fournir certains renseignements et documents officiels qui sont prévues par le Règlement. Par contre, l’obligation de payer les frais de 550 $, en vertu de l’alinéa 10(1)d) du Règlement, est une condition de validité de la demande présentée au titre du paragraphe 25(1). Tant que les frais ne sont pas payés, il n’y a pas de demande présentée au titre du paragraphe 25(1) et, en conséquence, il n’y a pas de demande à examiner par le ministre. Il s’ensuit que les termes « tout ou partie des critères et obligations applicables » ne sauraient être interprétés de façon à comprendre le pouvoir de dispenser du paiement des frais.

[34]      Mme Toussaint et M. Ndungu proposent une interprétation complètement différente. Je résume leur argumentation. Le paragraphe 25(1) de la LIPR confère au ministre le pouvoir de lever, à l’égard d’un étranger se trouvant au Canada, « tout ou partie des critères et obligations applicables ». L’alinéa 10(1)d) impose à celui qui présente une demande en vertu du paragraphe 25(1) l’obligation de payer les frais prévus à l’article 307 du Règlement. En vertu du paragraphe 2(2) de la LIPR, l’obligation de payer ces frais est une obligation « de la présente loi » et, en conséquence, il s’agit d’une obligation que le ministre peut lever en vertu du paragraphe 25(1). Le paragraphe 2(2) de la LIPR est rédigé comme suit :

2. […]

 

(2) Sauf disposition contraire de la présente loi, toute mention de celle‑ci vaut également mention des règlements pris sous son régime.

Terminologie

2. Analyse du paragraphe 25(1)

[35]      Je suis d’accord avec la juge Snider (au paragraphe 21 de ses motifs dans la décision Toussaint) pour dire que l’interprétation du paragraphe 25(1) de la LIPR proposée par Mme Toussaint et M. Ndungu est compatible avec son libellé, lorsqu’il est interprété littéralement suivant le sens ordinaire et grammatical des mots. Cette conclusion est conforme aux termes généraux employés pour décrire ce que le ministre peut lever — « tout ou partie des critères et obligations applicables » [non souligné dans l’original] — et, de ce fait, au fondement général de cette dispense — des circonstances d’ordre humanitaire et l’intérêt public.

[36]      Je suis également d’accord avec la juge Snider que cela ne signifie pas nécessairement que l’interprétation littérale du paragraphe 25(1) est exacte. Si le libellé du paragraphe 25(1) peut raisonnablement prendre une autre signification, qui concorde davantage avec le contexte et l’objet du régime législatif, cette autre signification doit alors être acceptée. Par conséquent, il est nécessaire d’examiner les éléments du régime législatif liés aux demandes de résidence permanente et aux frais afférents, ainsi que la place de ces éléments dans la LIPR.

[37]      En me fondant sur les observations des parties, j’ai conclu que les facteurs contextuels suivants devaient être pris en compte pour l’interprétation du paragraphe 25(1) : a) le principe général voulant que l’immigration soit un privilège, et non un droit; b) l’objet énoncé à l’article 3 de la LIPR; c) la question de savoir si, du fait de l’article 89 de la LIPR, la dispense du paiement des frais était censée uniquement faire l’objet d’un règlement pris par le gouverneur en conseil; d) le fait que l’autonomie financière au Canada compte parmi les critères servant à évaluer une demande présentée au titre du paragraphe 25(1); e) la question de savoir si le fait d’exiger que la dispense du paiement des frais soit considérée en même temps que la demande présentée au titre du paragraphe 25(1) est absurde parce que cela serait trop compliqué. J’examinerai successivement chacun de ces facteurs

a) L’immigration considérée comme un privilège

[38]      Le ministre prétend que le paragraphe 25(1) l’oblige à examiner la demande présentée au titre de cette disposition, mais non de valider cette demande en dispensant le demandeur du paiement des frais. Cet argument, affirme‑t‑il, est compatible avec le principe fondamental du droit canadien en matière d’immigration suivant lequel l’immigration est un privilège (voir, par exemple, Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, au paragraphe 24).

[39]      À mon avis, le principe voulant que l’immigration soit un privilège signifie que celui qui présente une demande en vertu du paragraphe 25(1) n’a pas droit à une décision favorable du ministre quant à une demande de dispense. Toutefois, ce principe ne donne aucune indication sur la portée du pouvoir discrétionnaire du ministre en application du paragraphe 25(1), ou plus précisément, quant à savoir si ce pouvoir devrait être interprété étroitement, comme le ministre le soutient, ou largement, comme l’ont soutenu Mme Toussaint et M. Ndungu.

b) L’objet énoncé à l’article 3 de la LIPR

[40]      Il arrive souvent que la résolution d’un débat sur l’interprétation d’une loi exige la prise en considération de l’objet de la loi. En l’espèce, l’objet de la LIPR est énoncé à l’article 3. Le paragraphe 3(1) concerne l’immigration, le paragraphe 3(2), les réfugiés, et le paragraphe 3(3), l’interprétation et la mise en œuvre.

[41]      Le ministre invoque les alinéas 3(1)a), c) et e) à l’appui de l’interprétation qu’il fait du paragraphe 25(1). Ces dispositions sont rédigées comme suit :

3. (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :

a) de permettre au Canada de retirer de l’immigration le maximum d’avantages sociaux, culturels et économiques;

[…]

c) de favoriser le développement économique et la prospérité du Canada et de faire en sorte que toutes les régions puissent bénéficier des avantages économiques découlant de l’immigration;

[…]

e) de promouvoir l’intégration des résidents permanents au Canada, compte tenu du fait que cette intégration suppose des obligations pour les nouveaux arrivants et pour la société canadienne;

Objet en matière d’immigration

 

[42]      Le ministre fait valoir qu’interpréter le paragraphe 25(1) de manière à permettre une dispense discrétionnaire du paiement des frais serait incompatible avec les dispositions de la LIPR visant à permettre au Canada de retirer de l’immigration le maximum d’avantages économiques, à favoriser le développement économique et la prospérité du Canada et à promouvoir l’objectif d’intégration des résidents permanents au Canada. Je ne vois rien dans ces dispositions qui serait incompatible avec une disposition législative autorisant le ministre à dispenser un étranger du paiement des frais applicables à une demande faite en vertu du paragraphe 25(1). Au contraire, donner au ministre le pouvoir de faciliter un processus susceptible d’amener un étranger à obtenir le statut de résident permanent pourrait bien être davantage compatible avec cet objet. L’étranger qui se trouve au Canada et qui n’a pas le statut de résident permanent ne jouit pas du droit absolu de travailler pour assurer son autonomie. Si cette personne est en mesure de démontrer que, dans son cas, l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’accorder la résidence permanente au titre du paragraphe 25(1) serait justifié , rien ne s’oppose en principe à ce qu’on puisse faciliter sa demande au moyen d’une dispense de paiement des frais.

[43]      À la lecture du paragraphe 3(1), je ne vois rien qui vise ces frais directement ou indirectement. L’imposition de ces frais sert avant tout de mécanisme de recouvrement des coûts, et vise à améliorer l’efficacité du ministère chargé de la mise en application de la LIPR. L’efficacité administrative est sans aucun doute importante dans toutes les activités gouvernementales, mais il m’est impossible de considérer, à la lecture de l’article 3 de la LIPR, qu’il s’agit de l’un des objectifs principaux de la LIPR en matière d’immigration. À mon avis, adopter l’interprétation proposée par Mme Toussaint et M. Ndungu à l’égard du paragraphe 25(1) n’est pas susceptible de porter atteinte aux objectifs déclarés de la LIPR.

[44]      M. Ndungu fondait en partie son argumentation sur les alinéas 3(3)d) et f) de la LIPR, qui sont rédigés comme suit :

3. […]

(3) L’interprétation et la mise en œuvre de la présente loi doivent avoir pour effet :

[…]

d) d’assurer que les décisions prises en vertu de la présente loi sont conformes à la Charte canadienne des droits et libertés, notamment en ce qui touche les principes, d’une part, d’égalité et de protection contre la discrimination et, d’autre part, d’égalité du français et de l’anglais à titre de langues officielles du Canada;

[…]

f) de se conformer aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire.

Interprétation et mise en œuvre

[45]      En résumé, M. Ndungu fait valoir qu’une interprétation du paragraphe 25(1) qui aurait pour effet d’empêcher le ministre de dispenser l’étranger des frais applicables serait incompatible avec l’alinéa 3(3)d) ou f) de la LIPR, notamment lorsque l’intérêt supérieur de l’enfant est en jeu. Cela laisse présumer que les frais imposés à l’égard d’une demande de résidence permanente présentée en vertu du paragraphe 25(1) font entrer en jeu les droits du demandeur garantis par la Charte et certains accords internationaux dont le Canada est signataire (en rapport avec l’intérêt de l’enfant). La même présomption sous‑tend l’argument de M. Ndungu quant à la deuxième question certifiée et, dans ce contexte, elle a à juste titre été rejetée par la juge Snider. À mon avis, elle n’a pas plus d’importance dans le contexte de l’interprétation législative.

c) Le rôle de l’article 89 de la LIPR

[46]      Le ministre invoque l’article 89 de la LIPR à l’appui de l’interprétation qu’il fait du paragraphe 25(1). L’article 89, cité précédemment, est à nouveau reproduit ici par souci de commodité :

89. Les règlements peuvent prévoir les frais pour les services offerts dans la mise en œuvre de la présente loi, ainsi que les cas de dispense, individuellement ou par catégorie, de paiement de ces frais.

Règlement

Tel qu’il a été mentionné précédemment, le gouverneur en conseil n’a pris aucun règlement concernant le pouvoir discrétionnaire du ministre de dispenser du paiement des frais.

[47]      Le ministre soutient que l’article 89 est une indication que le législateur voulait que le ministre ne dispose d’aucun pouvoir discrétionnaire pour dispenser du paiement des frais sauf dans la mesure autorisée par un règlement pris par le gouverneur en conseil. Selon le ministre, conclure à l’existence d’un pouvoir de dispenser du paiement des frais au paragraphe 25(1) donnerait à entendre que le législateur a prévu des pouvoirs concurrents. Je ne vois aucune raison d’interpréter ainsi l’article 89. À mon avis, l’article 89 et le paragraphe 25(1) peuvent coexister, peu importe l’interprétation adoptée à l’égard du paragraphe 25(1).

[48]      Je ne vois en principe aucune raison pour laquelle le législateur n’aurait pas jugé approprié d’autoriser le ministre à accorder une dispense du paiement des frais à l’égard d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ou d’intérêt public en application du paragraphe 25(1), nécessairement au cas par cas, tout en autorisant en même temps le gouverneur en conseil à prendre des règlements régissant les cas de dispense, par le ministre ou autrement, « individuellement ou par catégorie ». La portée du pouvoir de réglementation à l’article 89 est absolue — il permet la prise de règlements prévoyant les cas de dispense à l’égard de la douzaine de frais imposés dans la partie 19 du Règlement, dont la plupart n’ont rien à voir avec le paragraphe 25(1). À mon avis, il laisse amplement de latitude pour la prise de règlements concernant la dispense du paiement des frais sans empiéter sur le pouvoir conféré au ministre en vertu du paragraphe 25(1).

d) Le critère de la stabilité et de l’indépendance financières

[49]      Le ministre allègue que la dispense des frais imposés par le paragraphe 25(1) à un demandeur qui n’est pas autonome financièrement ni en mesure de parvenir à cette autonomie serait incompatible avec les critères d’admissibilité financière de l’article 39 de la LIPR. Cette disposition qui a été citée précédemment est à nouveau reproduite ici par souci de commodité :

39. Emporte interdiction de territoire pour motifs financiers l’incapacité de l’étranger ou son absence de volonté de subvenir, tant actuellement que pour l’avenir, à ses propres besoins et à ceux des personnes à sa charge, ainsi que son défaut de convaincre l’agent que les dispositions nécessaires — autres que le recours à l’aide sociale — ont été prises pour couvrir leurs besoins et les siens.

Motifs financiers

[50]      Je rejette l’argument du ministre sur ce point. Son interprétation fait en sorte qu’il est possible, du point de vue du droit, pour une personne sans ressources financières d’obtenir le statut de résident permanent si le ministre estime que des considérations d’ordre humanitaire ou d’intérêt public le justifient. Or, du fait que la personne en question ne dispose pas des 550 $ exigés, le ministre ne peut se permettre d’ouvrir la porte à l’exercice du pouvoir que lui confère la loi d’examiner ces considérations. À mon avis, cette situation n’a aucun sens. Il serait plus conforme aux objectifs de la LIPR d’interpréter le paragraphe 25(1) d’une façon qui permettrait au ministre d’accorder la dispense du paiement de ces frais, plutôt que de l’interpréter d’une façon qui empêcherait l’application de cette mesure.

e) Les considérations administratives

[51]      Le ministre laisse entendre qu’il serait trop compliqué de devoir traiter une demande de dispense des frais (qui ferait nécessairement intervenir plusieurs des facteurs à considérer dans le cadre d’une demande de dispense d’application de l’article 39 — interdiction de territoire pour motifs financiers) dans le cas d’une demande fondée sur des faits n’ayant absolument aucun lien — par exemple, l’interdiction de territoire pour des motifs liés à la santé. Le ministre soutient que cela entraînerait des [traduction] « conséquences énormes sur les ressources », si bien qu’il est déraisonnable de conclure que le législateur souhaitait ce résultat.

[52]      Il est difficile, voire impossible, d’évaluer le bien‑fondé de l’allégation relative aux coûts accrus parce que le ministre n’a présenté aucune preuve à l’appui de celle‑ci. Toutefois, d’après les inférences que je peux faire à partir des connaissances générales courantes en matière administrative, il me semble que le traitement des demandes de dispense de frais se révélerait être plutôt simple comparativement, par exemple, à l’évaluation des demandes de dispense d’application des dispositions prévoyant l’interdiction de territoire. Il n’y a pas de raison apparente pour expliquer pourquoi le ministre ne pourrait pas examiner une demande présentée en vertu du paragraphe 25(1) sur le fond avant d’examiner une demande de dispense des frais. La question de la dispense des frais serait alors examinée seulement si la demande principale est accueillie.

[53]      Même si je présumais que l’interprétation proposée par Mme Toussaint et M. Ndungu à l’égard du paragraphe 25(1) se traduirait par une augmentation de la charge de travail du ministre (et de ses délégués), si bien que les frais d’administration liés au paragraphe 25(1) augmenteraient, je ne suis pas convaincue en définitive qu’une charge administrative accrue constitue en soi un motif valable d’adopter l’interprétation proposée par le ministre à l’égard de cette disposition, particulièrement en l’absence de toute preuve sur ce point.

[54]      Dans ses motifs, la juge Snider est préoccupée par le fait que, si le paragraphe 25(1) est interprété de la manière proposée par Mme Toussaint et M. Ndungu, le ministre serait submergé de demandes de dispense à l’égard de tous les frais imposés par le Règlement ou de certains d’entre eux. À mon avis, le dossier n’offre aucun fondement à cette préoccupation. En fait, il n’en est pas question dans les observations présentées par le ministre dans le cadre des présents appels.

3. Conclusion sur l’interprétation législative

[55]      À mon avis, rien dans le régime de la LIPR ou le contexte législatif n’oblige à conclure que l’obligation, prévue à l’alinéa 10(1)d) du Règlement, de payer des frais relativement à une demande fondée sur le paragraphe 25(1) ne fait pas partie de « tout ou partie des critères et obligations applicables ». Je conclus que, selon une interprétation correcte du paragraphe 25(1) de la LIPR, le ministre est obligé d’examiner une demande de dispense de l’obligation prévue à l’article 307 du Règlement quant au paiement des frais de traitement d’une demande présentée au titre du paragraphe 25(1). Je suis donc d’avis de répondre par l’affirmative à la première question certifiée.

E. Les questions constitutionnelles

[56]      Ma réponse à la première question certifiée est suffisante pour accueillir l’appel et rendre la deuxième question théorique. J’ai néanmoins examiné la deuxième question et les questions constitutionnelles auxquelles elle est liée parce que la juge Snider a examiné ces questions en profondeur et qu’elles ont été pleinement débattues dans le cadre des présents appels.

[57]      Comme je l’ai mentionné, je souscris aux conclusions de la juge Snider sur les questions constitutionnelles qui font l’objet de la deuxième question certifiée et que j’ai résumées ci‑dessous. Étant donné que je souscris en grande partie à son analyse, aux paragraphes 34 à 117 de ses motifs, j’estime qu’il n’est pas nécessaire de la répéter.

[58]      Article 7 de la Charte. Les droits que garantit l’article 7 de la Charte à Mme Toussaint et à M. Ndungu n’entrent pas en jeu par suite du défaut du ministre d’examiner leurs demandes de dispense des frais. Il en va ainsi pour deux raisons. Premièrement, le fait qu’ils soient renvoyés du Canada avant l’examen des motifs d’ordre humanitaire soulevés dans leurs demandes présentées en vertu du paragraphe 25(1) ne les prive pas de leur droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de leur personne. Deuxièmement, ils n’ont été privés d’aucun droit sans application des principes de justice fondamentale.

[59]      Paragraphe 15(1) de la Charte. S’il n’y avait pas dans la LIPR ou le Règlement de disposition prévoyant la dispense du paiement des frais pour une demande présentée au titre du paragraphe 25(1) par un étranger vivant dans la pauvreté au Canada, cela ne constituerait pas de la discrimination à l’endroit de Mme Toussaint ou de M. Ndungu, au sens du paragraphe 15(1), du fait de la [traduction] « pauvreté » ou du fait d’[traduction] « être bénéficiaire de l’aide sociale ». Il en va ainsi pour plusieurs raisons 

1) L’allégation relative au paragraphe 15(1) ne repose sur aucun fait. Rien n’indique que les étrangers vivant dans la pauvreté au Canada se heurtent à des difficultés excessives pouvant être attribuées à l’absence d’une disposition de dispense des frais.

2) L’absence d’une disposition prévoyant une dispense de paiement n’empêche pas d’accéder à un mécanisme permettant de faire valoir ses droits, mais seulement d’accéder à un mécanisme permettant de demander un avantage discrétionnaire et exceptionnel.

3) La [traduction] « pauvreté » ou le fait d’[traduction] « être bénéficiaire de l’aide sociale » ne constituent pas des motifs analogues pour l’application du paragraphe 15(1). La situation financière d’une personne n’est pas une caractéristique personnelle immuable. Les personnes qui sont pauvres ou qui recourent à l’aide sociale ne forment pas un groupe distinct et isolé défini par une caractéristique personnelle commune ou partagée. L’absence d’une disposition prévoyant la dispense du paiement des frais ne crée pas un désavantage par la perpétuation d’un préjudice ou l’application de stéréotypes.

[60]      Accès aux tribunaux et primauté du droit. L’absence d’une disposition prévoyant la dispense du paiement des frais ne va pas à l’encontre du droit constitutionnel d’accès aux tribunaux en common law ni à l’encontre de la primauté du droit. L’accès au ministre en application du paragraphe 25(1) de la LIPR n’est pas analogue à l’accès aux tribunaux parce que le pouvoir conféré au ministre au paragraphe 25(1) se limite à procurer un avantage discrétionnaire exceptionnel. Dans le contexte des dispositions de la LIPR relatives à l’immigration, la primauté du droit ne peut servir à créer une dispense du paiement des frais s’il n’en existe aucune dans la loi.

F. Conclusion

[61]      Je suis d’avis de faire droit aux deux appels, d’annuler les jugements de la Cour fédérale, d’accueillir les deux demandes de contrôle judiciaire et de renvoyer les deux affaires au ministre pour examen des demandes de dispense du paiement des frais exigibles à l’égard des demandes présentées par les appelants au titre du paragraphe 25(1). Je suis d’avis de répondre comme suit aux questions certifiées :

1. Selon l’interprétation correcte du paragraphe 25(1) de la LIPR, le ministre est‑il obligé d’examiner une demande de dispense de l’obligation prévue à l’alinéa 10(1)d) du Règlement, quant au paiement des frais de traitement d’une demande présentée au titre du paragraphe 25(1)?

Réponse : Oui.

2. L’omission de la gouverneure en conseil d’adopter un règlement permettant une dispense du paiement des frais pour les étrangers qui vivent dans la pauvreté et souhaitent présenter depuis le Canada une demande de résidence permanente en application du paragraphe 25(1) de la LIPR contrevient‑elle :

i) aux droits des appelants garantis à l’article 7 ou à l’article 15 de la Charte;

ii) soit à la primauté du droit, soit au droit constitutionnel d’accès aux tribunaux en common law?

Réponse : Non.

La juge Dawson, J.C.A. : Je suis d’accord.

La juge Layden-Stevenson, J.C.A. : Je suis d’accord.

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