Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-1291-03

2005 CF 431

Ford Aquitaine Industries SAS, Ford Motor Company, Ford St. Louis Assembly Division, Ford Louisville Assembly Division et Howard Ternes Packaging Inc. (demanderesses)

c.

Le navire Canmar Pride, CPS No. 5 Limited, CPS No. 3 Limited, Canmar Pride Ltd., CP Ships (UK) Ltd. et Orient Overseas Container Line Ltd. (défendeurs)

Répertorié: Ford Aquitaine Industries SAS c. Canmar Pride (Le) (C.F.)

Cour fédérale, juge Lemieux--Montréal, 26 janvier; Ottawa, 31 mars, 2005.

Droit maritime -- Transport de marchandises -- Appel de la décision du protonotaire suspendant l'action devant la Cour fédérale pour perte ou dommages relativement aux marchandises transportées -- Une clause contractuelle de l'entente de services de transport entre Ford et Orient Overseas Container Line Ltd. (OOCL) établissait que le droit applicable serait celui de l'État du Michigan -- Ford a intenté une action devant la U.S. District Court -- En défense à cette action, l'OOCL allègue que la Carriage of Goods by Sea Act des États-Unis (COGSA), en vertu de laquelle Ford avait droit à des dommages-intérêts beaucoup moins élevés que ceux octroyés par les Règles La Haye-Visby, s'applique -- Ford a introduit une action au Canada -- La demande visant le désistement de l'action aux États-Unis a été rejetée -- La requête présentée par Ford à la cour américaine qui visait à faire rejeter la demande reconventionnelle a également été rejetée au motif que Ford n'avait pas exprimé les facteurs appuyant le choix du tribunal canadien pour l'instruction de l'affaire -- Le protonotaire s'est dit d'avis que l'action intentée aux États-Unis constituait une action parallèle devant un tribunal approprié, Ford n'a pas démontré qu'elle bénéficierait au Canada d'un avantage juridique auquel elle n'aurait pas accès aux États-Unis -- Comme les questions qui sont au centre de la décision contestée du protonotaire sont cruciales pour l'issue du dossier, le pouvoir discrétionnaire du protonotaire doit être exercé de novo -- La doctrine du forum non conveniens reconnaît qu'il peut y avoir plus d'un tribunal en mesure d'assumer ou d'exercer la compétence et que le tribunal peut refuser d'exercer cette compétence au motif qu'il existe un tribunal plus approprié pour connaître de l'action ou l'instruire -- Un résumé de l'approche et des principes tirés de la jurisprudence a été énoncé -- Liste des facteurs qui peuvent être pris en considération pour décider du tribunal le plus approprié pour l'action -- La question de savoir si le refus d'exercer la compétence priverait le demandeur d'un avantage juridique n'est pas déterminante en soi -- Ford n'a pas établi qu'elle perdait l'avantage de dommages-intérêts plus élevés aux États-Unis -- La COGSA ne s'applique pas automatiquement, la U.S. District Court n'a pas statué sur l'applicabilité de la COGSA -- L'existence d'instances parallèles aux États-Unis, la volonté d'éviter des frais superflus ou des décisions incompatibles; le respect, au nom de la courtoisie, de la décision de la cour américaine en ce qui concerne la doctrine du forum non conveniens; le fait qu'un bon nombre des questions en litige en l'espèce font intervenir le droit américain sont tous des facteurs en faveur d'une suspension sur le fondement de la doctrine du forum non conveniens -- Appel rejeté.

Pratique -- Suspension d'instance -- Appel de la décision du protonotaire suspendant l'action devant la Cour fédérale pour perte ou dommages relativement aux marchandises transportées -- Actions parallèles instituées devant la U.S. District Court et la Cour fédérale -- La U.S. District Court a refusé le désistement de l'action -- Le protonotaire a statué que l'art. 50(1)a) de la Loi sur les Cours fédérales, qui confère à la Cour le pouvoir discrétionnaire de suspendre une instance dont elle est saisie, s'appliquait -- Appel rejeté -- Examen et application des principes qui devraient orienter l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'accorder une suspension ou non sur le fondement du forum non conveniens et des facteurs devant être pris en considération pour décider du tribunal le plus approprié pour l'action.

Conflit de lois -- Appel de la décision du protonotaire suspendant l'action devant la Cour fédérale pour perte ou dommages relativement aux marchandises transportées -- Actions parallèles instituées devant la U.S. District Court et la Cour fédérale -- La U.S. District Court a refusé le désistement de l'action -- Le protonotaire a appliqué les critères acceptés par la C.A.C.-B. dans Westec Aeorospace Inc. c. Raytheon Aircraft Co., et conclu que Ford n'avait pas établi qu'elle bénéficierait au Canada d'un avantage juridique -- Il ne convenait pas d'établir dans Westec, la perte d'un avantage juridique comme critère distinct -- Examen et application des principes qui devraient orienter l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'accorder une suspension ou non sur le fondement du forum non conveniens et des facteurs devant être pris en considération pour décider du tribunal le plus approprié pour l'action -- Appel rejeté.

Il s'agit de l'appel de la décision du protonotaire qui a suspendu, en vertu de l'article 50 de la Loi sur les Cours fédérales, l'action intentée par les demanderesses (Ford) contre les défendeurs pour la perte ou des dommages aux transmissions automatiques transportées sur le navire des défendeurs, le Canmar Pride de la France à Montréal avant d'être livrés par train aux usines d'assemblage de Ford aux États-Unis. Ford et la défenderesse Orient Overseas Container Line Ltd. (OOCL) avaient conclu une entente de services de transport qui désignait que la législation applicable serait la loi de l'État du Michigan et Ford a engagé une action dans cet État. L'OOCL, dans sa défense déposée dans l'action intentée aux États-Unis, prétendait que la Carriage of Goods by Sea Act des États-Unis (COGSA) s'appliquait. En vertu de la COGSA, la limite de responsabilité est beaucoup moins élevée que celle prévue par les Règles de La Haye-Visby qui sont applicables au Canada.

Ford a plus tard fait valoir une cause d'action identique au Canada et a présenté un avis visant à se désister de son action aux États-Unis. Cet avis a été rejeté par la U.S. District Court.

Ford a également présenté à la U.S. District Court une requête visant à faire rejeter la demande reconventionnelle de l'OOCL ainsi que sa demande de jugement déclaratoire au motif que le Canada était la juridiction appropriée qui devait être saisie du litige. La U.S. District Court a rejeté cette requête et a conclu que Ford n'avait pas exprimé les facteurs qui appuieraient cet argument.

Dans la décision qui fait l'objet de l'appel, le protonotaire a estimé que l'alinéa 50(1)a) de la Loi sur les Cours fédérales (qui autorise la suspension des procédures au motif que la demande est en instance devant un autre tribunal) s'appliquait en raison de l'existence de l'action intentée aux États-Unis qui se poursuivait en raison du refus de désistement par la U.S. District Court. Appliquant le critère de la C.A.C.-B. dans Westec Aerospace Inc. c. Raytheon Aircraft Co., le protonotaire s'est dit d'avis que l'action intentée aux États-Unis constituait une action parallèle devant un tribunal appropriée. De plus, Ford n'avait pas établi qu'elle bénéficierait au Canada d'un avantage juridique qu'elle ne saurait avoir dans l'action au Michigan.

Jugement: l'appel doit être rejeté.

La Cour devait exercer le pouvoir discrétionnaire du protonotaire de novo puisque la décision contestée soulevait des questions cruciales pour la détermination finale de l'affaire, c'est-à-dire les principes appropriés qui devraient orienter la décision d'accorder ou non la suspension.

La question fondamentale ne consistait pas à déterminer si la Cour avait compétence pour connaître de l'action de Ford, mais plutôt si la Cour devait refuser d'exercer cette compétence en suspendant l'action.

La doctrine du forum non conveniens est une doctrine discrétionnaire qui reconnaît qu'il peut y avoir plus d'un tribunal en mesure d'assumer ou d'exercer la compétence et qui peut refuser d'exercer cette compétence au motif qu'il existe un tribunal plus approprié pour connaître de l'action. L'approche adéquate et les principes tirés de la jurisprudence citée orientant la décision de suspendre ou non l'action sur le fondement de la doctrine du forum non conveniens sont les suivants: 1) la réalisation des fins de la justice, compte tenu de toutes les circonstances pertinentes, constitue le principe déterminant; 2) toutes les circonstances pertinentes doivent être soupesées comme il se doit dans leur contexte approprié; 3) aucun des facteurs pertinents n'est décisif; 4) le critère du forum non conveniens est qu'il doit exister un autre tribunal qui convient davantage à la poursuite de l'action et à la réalisation des fins de la justice.

Les tribunaux ont élaboré plusieurs facteurs dont ils peuvent tenir compte pour décider quel est le tribunal le plus approprié pour l'action, notamment les dispositions contractuelles qui précisent la loi applicable ou qui attribuent la compétence, le soin d'éviter la multiplicité des instances, la loi applicable et son poids comparativement aux questions de fait à trancher et la question de savoir si le refus d'exercer la compétence priverait le demandeur d'un avantage juridique légitime auquel le tribunal national donne accès.

Il ne convenait pas d'établir dans Westec, comme critère distinct, l'examen de la perte d'un avantage juridique. Ce facteur doit plutôt être pondérer avec les autres facteurs dont il est tenu compte pour décider du tribunal approprié. Il incombait aux défendeurs de prouver les motifs justifiant une suspension d'instance, mais il appartenait à Ford de faire la preuve du droit américain si elle voulait invoquer une différence quant à la façon dont le droit américain et le droit canadien traiteraient sa demande. En l'espèce, Ford n'a pas établi qu'elle perdrait l'avantage des dommages-intérêts plus élevés aux États-Unis parce que la COGSA s'appliquerait automatiquement. La preuve par affidavit démontrait clairement que la COGSA ne s'appliquait pas au transport de la France à Montréal puis, par train, à des destinations se trouvant aux États-Unis et que la COGSA ne trouvait pas application en vertu de l'entente entre l'OOCL et Ford. Aussi, la U.S. District Court n'a pas statué, sur le fond, que la COGSA, et non les Règles de La Haye-Visby, s'appliqueraient.

Trois facteurs ont fait pencher la balance en faveur de la suspension des procédures sur le fondement de la doctrine du forum non conveniens: 1) l'existence d'instances parallèles aux États-Unis et la volonté d'éviter des frais superflus ou des décisions incompatibles; 2) le respect, au nom de la courtoisie, de la décision de la U.S. District Court relativement à la doctrine du forum non conveniens; 3) le fait que bon nombre des questions en litige en l'espèce faisaient intervenir le droit américain.

lois et règlements cités

Carriage of Goods by Sea Act, 46 U.S.C. App. § 1300 (2000).

Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, art. 3135.

Convention internationale pour l'unification de certaines règles en matière de connaissement, conclue à Bruxelles, 25 août 1924, et protocole conclu à Bruxelles, 23 février 1968 et protocole supplémentaire conclu à Bruxelles, 21 décembre 1979, qui constitue l'annexe 3 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, L.C. 2001, ch. 6, art. III, règles 3, 4, art. IV, règles 2, 3, 6 (Règles de La Haye-Visby).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 50.

Loi sur la responsabilité en matière maritime, L.C. 2001, ch. 6, art. 46.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 50 (mod., idem, art. 46).

jurisprudence citée

décisions appliquées:

Magic Sportswear Corp. c. OT Africa Line Ltd., 2003 CF 1513; [2003] A.C.F. no 1933 (QL); conf. par sub. nom Magic Sportswear Corp. c. Mathilde Maersk (Le), [2005] 2 R.C.F. 236; 2004 CF 1165; Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., [2004] 2 R.C.F. 459; (2003), 30 C.P.R. (4th) 40; 315 N.R. 175; 2003 CAF 488; Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs c. Landmark Cinemas of Canada Ltd. (2004), 30 C.P.R. (4th) 257; 316 N.R. 386; 2004 CAF 57; First Canadians' Constitution Draft Committee, The United Korean Government (Canada) c. Canada (2004), 238 D.L.R. (4th) 306; 317 N.R. 352; 2004 CAF 93; Amchem Products Inc. c. Colombie-Britannique (Workers' Compensation Board), [1993] 1 R.C.S. 897; (1993), 102 D.L.R. (4th) 96; [1993] 3 W.W.R. 441; 23 B.C.A.C. 1; 77 B.C.L.R. (2d) 62; 14 C.P.C. (3d) 1; 150 N.R. 321; Holt Cargo Systems Inc. c. ABC Containerline N.V. (Syndics de), [2001] 3 R.C.S. 907; (2001), 207 D.L.R. (4th) 577; 30 C.B.R. (4th) 6; 280 N.R. 201; 2001 CSC 90; conf. (1999), 173 D.L.R. (4th) 493; 239 N.R. 114 (C.A.F.); conf. [1997] 3 C.F. 187; (1997), 146 D.L.R. (4th) 736; 46 C.B.R. (3d) 169; 127 F.T.R. 244 (1re inst.).

décisions examinées:

Intercontinental Monetary Corp. v. Performance Guarantees, Inc., 705 F.Supp. 144 (S.D.N.Y. 1989); Z.I. Pompey Industrie c. ECU-Line N.V., [2003] 1 R.C.S. 450; (2003), 224 D.L.R. (4th) 577; 30 C.P.C. (5th) 1; 2003 CSC 27; Westec Aerospace Inc. v. Raytheon Aircraft Co. (1999), 173 D.L.R. (4th) 498; 122 B.C.A.C. 18; 67 B.C.L.R. (3d) 278; 34 C.P.C. (4th) 1 (C.A.); Elbe Maru, The, [1978] 1 Lloyd's Rep. 206; Plibrico (Canada) Ltd. c. Combustion Engineering Canada Inc. (1990), 30 C.P.R. (3d) 312; 32 F.T.R. 30 (C.F. 1re inst.); Muscutt c. Courcelles (2002), 60 O.R. (3d) 20; 213 D.L.R. (4th) 577; 13 C.C.L.T. (3d) 161; 26 C.P.C. (5th) 206; 160 O.A.C. 1 (C.A.); Spar Aerospace Ltée. c. American Mobile Satellite Corp., [2002] 4 R.C.S. 205; (2002), 220 D.L.R. (4th) 54; 28 C.P.C. (5th) 201; 297 N.R. 83; 2002 CSC 78.

décisions citées:

Incremona-Salerno Marmi Affini Siciliani (I.S.M.A.S.) s.n.c. c. Castor (Le), [2003] 3 C.F. 220; (2002), 297 N.R. 151; 2002 CAF 479; Broken Hill Proprietary Co Ltd v. Hapag-Lloyd Aktiengesellschaft, [1980] 2 NSWLR 572 (S.C.); Nedlloyd Columbo, The, [1995] 2 HKC 655 (C.A.); Antares Shipping Corporation c. Le Navire «Capricorn» et autres, [1977] 2 R.C.S. 422; (1976), 65 D.L.R. (3d) 105; 7 N.R. 518; Spiliada Maritime Corp. c. Cansulex Ltd., [1987] A.C. 460 (H.L.); Abidin Daver, The, [1984] 1 All ER 470 (H.L.).

doctrine citée

Castel, J.-G. Canadian Conflict of Laws, 5th ed. Toronto: Butterworths, 2002.

APPEL de la décision du protonotaire (2004 CF 1437; [2004] A.C.F. no 1743 (QL)) qui a suspendu l'action intentée devant la Cour fédérale par les demanderesses pour la perte ou des dommages aux marchandises transportées sur le navire des défendeurs, le Canmar Pride au motif que la U.S. District Court de l'État du Michigan constituait le tribunal approprié pour l'action. Appel rejeté.

ont comparu:

Laurent G. Fortier et Matthew Liben pour les demanderesses.

David G. Colford pour la défenderesse Orient Overseas Container Line Ltd.

Darren E. G. McGuire pour les autres défendeurs.

avocats inscrits au dossier:

Stikeman Elliott S.E.N.C.R.L., s.r.l., Montréal, pour les demanderesses.

Brisset Bishop, Montréal, pour la défenderesse Orient Overseas Container Line Ltd.

Borden Ladner Gervais s.r.l., Montréal, pour les autres défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Lemieux:

CONTEXTE

[1]La Cour est saisie en l'espèce d'un appel interjeté par les demanderesses (Ford), en Cour fédérale, à l'encontre d'une décision rendue par le protonotaire Richard Morneau (le protonotaire), 2004 CF 1437 qui a suspendu en vertu de l'article 50 [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 46] de la Loi sur les Cours fédérales [L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14)], l'action intentée par les demanderesses devant la Cour le 22 juillet 2003, constituant défendeurs Orient Overseas Container Line Ltd. (OOCL), d'une part, et le navire Canmar Pride ainsi que ses propriétaires, personnes mo rales représentant les intérêts de CP Ships (U.K.) Ltd. (CP), d'autre part.

[2]Ford, dans la poursuite, prétend que les défendeurs sont responsables de la perte ou des dommages évalués à 6 000 000 $, subis en mer par plusieurs conteneurs remplis de transmissions automatiques fabriquées par la demanderesse, Ford Aquitaine Industries SAS, et chargés le 3 mars 2003 à bord du navire Canmar Pride à Le Havre, en France, qui a déchargé sa cargaison au Port de Montréal après avoir trou vé refuge et avoir été examiné au Port d'Halifax à la suite d'une traversée dans des mers houleuses au milieu de l'Atlantique. Après avoir été déchargés au Port de Montréal, les conteneurs qui étaient en bon état ont été livrés par train aux usines d'assem blage de voitures et de camions Ford aux États-Unis, leur destination finale.

[3]Avant d'intenter son action au Canada, Ford avait, le 2 juillet 2003, engagé une action devant la United States District Court for the Eastern District of Michigan, Southern Division (U.S. District Court), pour la même perte, désignant seulement OOCL comme défenderesse qui a, par la suite, mis en cause Canmar Pride et ses propriétaires dans l'instance aux États-Unis en prétendant qu'ils étaient responsables de la perte.

[4]Le dossier présenté au protonotaire Morneau révèle en outre que Ford a tenté de se désister de l'action qu'elle avait intentée aux États-Unis, mais que deux décisions rendues par la juge Denise Page Hood, de la U.S. District Court , en date du 21 juin 2004, ne l'ont pas autorisée à le faire.

FAITS ADDITIONNELS

[5]J'énonce les faits suivants pour situer dans son contexte la décision rendue par le protonotaire.

[6]Premièrement, avant de charger les conte neurs sur le Canmar Pride à Le Havre, en France, OOCL et Ford avaient conclu, en date du 7 février 2003, une entente de service intitulée Transportation Services Main Agreement (l'entente TSM) en prévision du fait que les services de OOCL seraient nécessai res pour plusieurs voyages de l'Europe vers les États-Unis afin de transporter des pièces d'automobile fabriquées dans les installations de Ford en Europe. L'entente TSM comportait deux pièces, la première étant les Ford Supplemental Ocean Transportation T erms (les Conditions supplémentaires) et l'autre, les Ford Global Terms and Conditions (les Conditions globales de Ford). L'entente TSM inclut également un connaissement standard de OOCL.

[7]Deuxièmement, trois clauses contractuelles tirées de ces documents sont dignes de mention:

a) La clause 26 des Conditions globales de Ford est une clause attributive de compétence qui porte également sur le choix de la législation applicable. Elle est ainsi conçue:

[traduction] 26. (a) Un bon de commande est régi par la loi du principal établissement de l'acheteur, sans égard à ses dispositions sur le conflit de lois, et les litiges portant sur des causes contractuelles qui découlent d'un bon de commande doivent être soumis seulement à ce ressort. Dans l e cas de Ford Motor Company, une société du Delaware, et toute filiale des États-Unis, coentreprise ou autre exploitation située aux États-Unis, l'établissement principal sera réputé être au Michigan. La Convention des Nations Unies relative aux contrats d e vente internationale de marchandises est expressément exclue.

b) La clause 25 du connaissement standard de OOCL autorise OOCL, transporteur maritime bien connu et important, à sous-traiter l'une quelconque de ses obligations prévue dans le connaissement et, en particulier, à sous-traiter le fret ainsi visé à un autre transporteur. OOCL s'est prévalue de cette disposition aux termes d'une entente sur l'espace disponible qu'elle avait conclue avec le CP, ce qui explique la raison pour laquelle le Canmar Pride a été chargé de conteneurs de Ford à Le Havre, en France, en vue du transport à Montréal, du déchargement dans cette ville, et de l'acheminement ultérieur aux usines de Ford aux États-Unis en vertu des connaissements délivrés en France par OOCL et désignant Ford Aquitaine comme expéditeur et les usines de Ford aux États-Unis comme consignataires. En outre, la clause 25(b) comporte un engagement de la part de Ford de ne poursuivre aucun sous-traitant de OOCL.

c) La clause 10 de l'entente TSM prévoyait que, sauf disposition contraire dans l'entente, la responsabilité de OOCL en ce qui touche les pertes ou les dommages aux biens de Ford est établie par le connaissement standard de OOCL qui porte que:

[traduction] Tous les transports effectués aux termes de ce connaissement [. . .] s'appliquent sous réserve de toute loi promulguée dans tout pays qui rend les Règles de La Haye ou les Règles de LaHaye-Visby d'application obligatoire et en l'absence de toute autre loi conforme aux Règles de La Haye ou à la COGSA dans le cas du transport à destination et en provenance des États-Unis d'Amérique. [Non souligné dans l'original.]

[8]La mention de la COGSA à la clause 4(2)c ) du connaissement de OOCL constitue un renvoi à la Carriage of Goods by Sea Act des États-Unis [46 U.S.C. App. § 1300 (2000)]. Son renvoi aux Règles de La Haye-Visby représente un renvoi aux Règles intégrées à la Convention internationale pour l'unification de certaines règles en matière de connaissement conclue à Bruxelles, 25 août 1924, et protocole conclu à Bruxelles, 23 février 1968 et protocole supplémentaire conclu à Bruxelles, 21 décembre 1979. Ces Règles ont force de loi au Canada en vertu de la Loi sur la responsabilité en matière maritime promulguée par le Parlement en 2001 [L.C. 2001, ch. 6].

[9]La COGSA et les Règles de La Haye-Visby traitent de la limitation de la responsabilité d'un transporteur maritime dans les cas de pertes ou de dommages. La question de savoir si les règles des États-Unis ou les Règles de La Haye-Visby sur la limitation de la responsabilité s'appliquent est cruciale pour le litige entre les parties, que ce soit devant la Cour ou devant la U.S. District Court, parce que la limite de responsabilité en vert u de la COGSA est beaucoup moindre que la limitation pécuniaire rattachée à la responsabilité aux termes des Règles de La Haye-Visby. OOCL, dans sa défense déposée dans l'action intentée aux États-Unis, prétend que la COGSA s'applique et limiterait sa resp onsabilité à 210 000 $ ou 500 $ par conteneur perdu ou endommagé. En vertu des Règles de La Haye-Visby, s'il y a lieu, Ford aurait l'occasion de percevoir des dommages-intérêts beaucoup plus élevés, de l'ordre de 4 500 000 $ US.

[10]Les deux décisions de la juge Hood se trouvaient dans le dossier présenté au protonotaire Morneau. Ford ne pouvait interjeter appel de ces décisions.

[11]Sa première décision portait sur la requête de la défenderesse OOCL visant à invalider l'avis d e Ford relatif au désistement volontaire de son action aux États-Unis. La défenderesse a eu gain de cause.

[12]La juge Hood a annulé l'avis donné par Ford en vue de se désister de son action aux États-Unis pour le seul motif que Ford ne s'ét ait pas conformée aux règles de procédure de la Cour. Elle a ordonné que l'action soit de nouveau inscrite au rôle actif de la Cour.

[13]La deuxième décision rendue par la juge Hood portait sur une requête de Ford qui visait à faire rejeter la demande reconventionnelle de OOCL ainsi que la demande de jugement déclaratoire de OOCL. L'un des arguments invoqués à l'appui de la requête de Ford était que cette société avait fait valoir une cause d'action identique au Canada et que la Cour fédérale était la juridiction appropriée qui devrait être saisie du litige. La juge Hood a rejeté la requête de Ford et a conclu que la U.S. District Court continuerait d'exercer sa compétence sur l'action de Ford aux États-Unis.

[14]La juge Hood a examiné les faits pertinents, y compris le fait que Ford a demandé et obtenu d'un club P & I [protection et indemnisation] une lettre d'entente des assureurs mutuels du Canmar Pride et de ses propriétaires qui constituait un cautionnement applicable à tout jugement sous réserve, toutefois, de l'engagement d'une action devant la Cour fédérale, à Montréal, ce qu'a fait Ford. C'est pour ce motif et, comme Ford l'a soutenu devant la juge Hood, parce que l'action intentée au Canada mettait en cause tous les défe ndeurs qui pourraient être tenus solidairement responsables, que Ford a fait valoir devant la juge Hood que l'action canadienne était davantage [traduction ] «plénière et complète», ce qui amené la juge Hood à écrire que [traduction ] «les demanderesses dema ndent que la présente Cour défère à la Cour fédérale du Canada et rejette l'instance [. . .] ce qui contribuerait à l'économie des ressources judiciaires.»

[15]Devant la juge Hood, OOCL a soutenu que les parties étaient tenues par contrat d'entamer l'action devant une cour d'état ou un tribunal fédéral où la loi du Michigan serait applicable. Les défendeurs ont également dit à la juge Hood qu'ils offraient de substituer à la garantie canadienne une garantie identique qui serait exécutoire au Michigan.

[16]Les défendeurs ont qualifié la tentative de Ford pour se désister de son action aux États-Unis et son [traduction ] «encouragement de la poursuite de l'instance canadienne de recherche du tribunal favorable». La juge Hood a écri t ce qui suit:

[traduction] La défenderesse prétend qu'il existe une limita-tion pécuniaire de responsabilité à laquelle la présente Cour adhérerait (210 000 $ ou 500 $ par colis perdu ou endom-magé). Au Canada, les demanderesses auraient l'occasion de toucher une somme d'argent beaucoup plus élevée si leur demande était accueillie en l'espèce (4 500 000 $). Par conséquent, la défenderesse fait valoir que c'est sur ce fondement et pour ce mobile que les demanderesses «se précipitent au tribu nal» pour faire rejeter la présente instance afin que la cause d'action au Canada puisse y être instruite.

[17]Enfin, la juge Hood s'est penchée sur l'état de l'action canadienne et de l'action américaine. Elle a relevé le fait qu'aucune par tie n'avait comparu dans le cadre de l'action intentée au Canada. Elle a affirmé que l'action canadienne ne progresse pas à l'heure actuelle et qu'elle ne progresserait pas tant que les défendeurs n'auront pas eu l'occasion de déposer leur requête en suspe nsion de l'action intentée au Canada.

[18]L'analyse de la juge Hood traitait de plusieurs facteurs, mais je n'ai qu'à me concentrer sur l'un des facteurs qui touche la doctrine du forum non conveniens (le tribunal qui ne convient pas) invoquée dans une affaire qui lui a été citée, soit la décision Intercontinental Monetary Corp. v. Performance Guarantees, Inc. , 705 F.Supp. 144 (S.D.N.Y. 1989), portant sur le renvoi d'un tribunal à un autre aux États-Unis.

[19]De cette décision [à la page 151], la juge Hood a cité l'extrait suivant:

[traduction] Une multitude de critères s'appliquent de façon pertinente pour prendre une telle décision, y compris le choix du tribunal par la demanderesse, la congestion relative du rôle de la Cour, la connaissance de la loi applicable de l'État qu'a le tribunal, la disponibilité et l'utilité des témoins et des autres sources de preuve, ainsi que «tous les autres problèmes pratiques qui rendent l'instruction d'une affaire facile, rapide et peu coûteuse». Il faut prendre en considération tous les facteurs pertinents et aucun d'entre eux n'est déterminant à lui seul.

Le choix du tribunal par la demanderesse est un «facteur important». Si la défenderesse a, de plus, acquiescé à la compéten ce d'un tribunal, ces deux facteurs combinés pèsent très lourd contre une ordonnance de renvoi [. . .] Il n'en demeure pas moins que pour surpasser le poids du choix du tribunal par la demanderesse et l'acquiescement de la défenderesse à la compétence, le facteur de la disponibilité des témoins devrait revêtir une importance inhabituelle pour favoriser le renvoi. [Non souligné dans l'original.]

[20]La juge Hood a conclu de la façon suivante:

[traduction] Hormis les thèses du «premier déposant» et de l'action davantage «plénière et complète» exposées précédemment, la demanderesse n'a pas exprimé de façon à convaincre la Cour les autres facteurs énoncés dans Intercontinental qui appuieraient le choix du tribunal canadien pour l'instruction de cette affaire. [Non souligné dans l'original.]

[21]Il convient de mentionner un dernier point. Le protonotaire Morneau a été saisi d'un certain nombre d'affidavits, y compris ceux qui lui ont été soumis par des avocats occupant devant la U.S. District Court et, en particulier, l'affidavit de Thomas Tisdale, l'un des avocats de OOCL. Le protonotaire a également été saisi d'un affidavit en réponse de Me James F. Sweeney, l'un des avocats de Ford. Leurs affidavits supplémentaires faisaient également partie du dossier.

[22]L'affidavit principal de Me Tisdale avait pour but d'exposer les motifs pour lesquels l'action canadienne de Ford était [traduction ] «vexatoire et devrait être soit rejetée soit suspendue».

[23]Attirant l'attention sur la clause 26 de l'entente TSM et sur la clause 25 du connaissement de OOCL qui portent sur les poursuites contre les sous-traitants, Me Tisdale prétendait que la GOGSA régissait la limitation de responsabilité en l'espèce et que da ns l'action canadienne, la société CP avait été directement poursuivie de façon non fondée.

[24]Par ailleurs, Me Sweeney a répliqué que l'action de Ford aux États-Unis constituait tout simplement une «action conservatoire» en attendant le dépôt d'une poursuite au Canada, que COGSA ne s'appliquait pas au transport parce que les ports des États-Unis n'étaient pas concernés et que OOCL avait, dans le cadre de l'action intentée aux États-Unis, mis la société CP en cause. En ce qui a trait à la li mitation de responsabilité, il a fait valoir que le connaissement de OOCL prévoyait que les Règles de La Haye-Visby étaient, en vertu des lois de la France ou du Canada, d'application obligatoire.

LA DÉCISION DU PROTONOTAIRE

[25]Le protonotaire Morneau a traité de trois grandes questions.

[26]Premièrement, il a statué que l'article 46 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, promulguée en 2001, n'a pas exclu la compétence de la Cour en vertu de l'art icle 50 de la Loi sur les Cours fédérales d'accorder une suspension pour d'autres motifs que le choix du tribunal prévu dans le contrat de transport.

[27]En ce faisant, il a invoqué la décision de la protonotaire Milczynski dans Magic Sportswear Corp. c. OT Africa Line Ltd. , 2003 CF 1513, qui a été confirmée par le juge O'Keefe dans [sub. nom Magic Sportswear Corp. c. Mathilde Maersk (Le) ], [2005] 2 R.C.F. 236 (C.F.). La protonotaire Milczynski s'est référée aux propos du juge Bastarache dans l'arrêt de la Cour suprême du Canada Z.I. Pompey Industrie c. ECU-Line N.V ., [2003] 1 R.C.S. 450, et à la décision de la Cour d'appel fédérale Incremona-Salerno Marmi Affini Siciliani (I.S.M.A.S.) s.n.c. c. Castor (Le) , [2003] 3 C.F. 220, et elle a conclu aux paragraphes 16 et 17 de la façon suivante:

Ces passages montrent clairement que l'article 46 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime annule l'effet déterminant des clauses d'élection de for en vertu desquelles une décision devrait être rendue dans un ressort autre que le Canada. Cela n'écarte pas la compétence qui est conférée à la Cour par l'article 50 de la Loi sur la Cour fédé rale, la Cour pouvant exercer son pouvoir discrétionnaire, le cas échéant, en vue d'ordonner la suspension des procédures et tenir notamment compte de la doctrine du forum non approprié.

En déterminant si la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire afin d'ordonner la suspension dans ces types de procédures, un certain nombr e de facteurs doivent entrer en ligne de compte, y compris le ressort dans lequel se trouve la preuve, l'application du droit étranger, le pays avec lequel chaque partie est liée, la question de savoir si le défendeur cherche à obtenir un avantage procédural en invoquant la clause d'élection de for et la question de savoir si le demandeur subit un préjudice s'il se voit obligé de poursuivre sa demande dans un autre ressort. [Non souligné dans l'original.]

[28]À ce stade, il convient de citer intégralement l'article 46 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime:

46. (1) Lorsqu'un contrat de transport de marchandises par eau, non assujetti aux règles de Hambourg, prévoit le renvoi de toute créance découl ant du contrat à une cour de justice ou à l'arbitrage en un lieu situé à l'étranger, le réclamant peut, à son choix, intenter une procédure judiciaire ou arbitrale au Canada devant un tribunal qui serait compétent dans le cas où le contrat aurait prévu le renvoi de la créance au Canada, si l'une ou l'autre des conditions suivantes existe:

a) le port de chargement ou de déchargement--prévu au contrat ou effectif--est situé au Canada;

b) l'autre partie a au Canada sa résidence, un établissement, une succursale ou une agence;

c) le contrat a été conclu au Canada.

(2) Malgré le paragraphe (1), les parties à un contrat visé à ce paragraphe peuvent d'un commun accord désigner, postérieurement à la créance née du contrat, le lieu où le réclamant peut intenter une procédure judiciaire ou arbitrale.

[29]Il est également utile de citer les paragraphes 37 et 38 des motifs du juge Bastarache dans Z.I. Pompey Industrie :

Entré en vigueur le 8 août 2001, le par. 46(1) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime prive la Cour fédérale, en présence de l'une ou l'autre des conditions énoncées aux al. 46(1)a ), b) ou c), du pouvoir discrétionnaire que lui confère l'art. 50 de la Loi sur la Cour fédérale de suspendre les procédures pour don ner effet à une clause d'élection de for. Le fait que le port de chargement ou de déchargement effectif est situé au Canada fait partie des conditions énoncées. Dans la présente affaire, nul ne contesterait que la Cour fédérale a compétence pour connaître de la demande des intimées si ce n'était que l'art. 46 ne s'applique pas aux procédures engagées avant son entrée en vigueur: Incremona-Salerno Marmi Affini Siciliani (I.S.M.A.S.) s.n.c. c. Castor (Le), [2002] A.C.F. no 1699 (QL), 2002 CAF 479, par. 13-24. L'article 46 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime n'est donc pas pertinent en l'espèce.

En fait, il semblerait, à la lecture du par. 46(1), que le législateur a jugé opportun, dans des circonstances bien précises, de limiter la portée des clauses d'élection de for en facilitant l'instruction au Canada des demandes se rapportant au transport maritime de marchandises et ayant un lien minimal avec notre pays. Cette mesure législative ne justifie cependant pas le revirement jurisprudentiel fondamental de la Cour d'appel en l'espèce. Au contraire, le par. 46(1) témoigne de l'intention du législateur de n'élargir la compétence de la Cour fédérale que dans des cas bien particuliers que pourra facilement identifier le protonotaire saisi d'une demande de suspension fondée sur la clause d'élection de for d'un connaissement. Le paragraphe 46(1) n'oblige aucunement le protonotaire à examiner le bien-fondé de l'instance, une démarche conforme aux objectifs généraux de certitude et d'efficacité sous- jacents à ce domaine du droit. [Non souligné dans l'original.]

[30]En ce qui concerne la deuxième question principale, soit les principes adéquats qui devraient orienter l'exercice de son pouvoir discrétionnaire d'accorder une suspension ou non, le protonotaire Morneau a cité le paragraphe 50(1) de la Loi sur les Cours fédérales qui confère à la Cour le pouvoir discrétionnaire de suspendre une instance dont elle est saisie. Je reproduis ce paragraphe:

50. (1) La Cour d'appel fédérale et la C our fédérale ont le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures dans toute affaire:

a) au motif que la demande est en instance devant un autre tribunal;

b) lorsque, pour quelque autre raison, l'intérêt de la justice l'exige. [Non souligné dans l'original.]

[31]Il était d'avis que l'alinéa 50(1)a ) s'appliquait en raison de l'existence de l'action intentée aux États-Unis qui se poursuivrait en raison des décisions de la juge Hood.

[32]Le protonotaire a cité les passages suivants de l'ouvrage intitulé Canadian Conflict of Laws , 5e édition, Toronto: Butterworths, de Jean-Gabriel Castel [aux pages 13-25 et 13-26]:

[traduction] Dans deux décisions récentes de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, l'une po rtant sur une instance parallèle engagée en Ontario et l'autre, sur une instance parallèle engagée au Kansas, soit: 472900 B.C. Ltd. v. Thrifty Canada ((1998), 168 D.L.R. (4th) 602 (C.A.C.-B.)), et Westec Aerospace Inc. v. Raytheon Aircraft Co. ((1999), 173 D.L.R. (4th) 498 (C.A.C.-B.), demande d'autorisation de pourvoi devant la C.S.C. accueillie, [1999] S.C.C.A. No. 298), l'autre tribunal a d'abord été saisi de l'affaire et les tribunaux de la Colombie-Britannique ont convenu que l'autre tribunal ne const ituait par un tribunal non approprié. Dans les deux cas, les tribunaux de la Colombie-Britannique ont accordé des suspensions, en adaptant le critère du forum non conveniens de manière à tenir compte des facteurs particuliers qui s'appliquent dans des situ ations d'instances parallèles. La cour, dans Thrifty , a élaboré le critère suivant que la cour a accepté dans Westec :

1)     Une instance parallèle est-elle en cours dans un autre ressort?

2)     Dans l'affirmative, l'autre ressort est-il approprié pour régler le différend?

3)     À supposer qu'il y ait une instance parallèle devant un autre tribunal approprié, le demandeur a-t-il établi objectivement au moyen d'une preuve convaincante qu'il existe un avantage personnel ou juridique auquel il aurait accès seu lement dans le cadre d'une action en Colombie-Britannique qui revêt une telle importance qu'il serait injuste de l'en priver?

Un appel devant la Cour suprême du Canada dans Westec a été rejeté sans motifs, après un ajournement déclenché par la révélation que la question pourrait se révéler théorique compte tenu du fait que le tribunal du Kansas avait rendu un jugement sommaire en l'instance.

[33]Au paragraphe 25 de ses motifs, le protonotaire s'est dit d'avis que l'action inte ntée aux États-Unis répondait aux deux premiers critères de Westec Aerospace Inc. v. Raytheon Aircraft Co. (1999), 173 D.L.R. (4th) 498 (C.A.C.-B.), à savoir qu'elle constituait une action parallèle devant un tribunal approprié de la U.S. District Court.

[34]Il a conclu que Ford n'a pas satisfait au troisième volet du critère de l'arrêt Westec et s'est exprimé aux paragraphes 26 et 27 de sa décision de la façon suivante:

Quant au troisième critère, je ne considère pas que Ford ait rencontré, de par la preuve soumise par elle à l'encontre des requêtes à l'étude, soit les affidavits de M. Sweeney daté du 25 mars et du 9 juin 2004, la preuve recherchée de par le troisième critère de l'arrêt Westec .

Le point majeur de Ford sous cet aspect est que la Cour dans l'action au Michigan penchera vers la loi américaine intitulée Carriage of Goods by Sea Act , 46 U.S.C. § 1300 et ss. (COGSA) qui établit des limites de responsabilité pour OOCL plus basses que si l'action procède devant notre Cour, où là, la Cour serait plutôt encline à appliquer les Règles de LaHaye telles qu'amendées par les Règles de Visby (les Règles de LaHaye-Visby).

[35]Après avoir fait référence à un extrait de la décision de la juge Hood cité au paragraphe 19 des présen ts motifs, le protonotaire Morneau a conclu aux paragraphes 29 et 30 comme suit:

Les parties devant notre Cour ont déposé de part et d'autres des affidavits de leurs procureurs américains où ces derniers contestent âprement qui de COGSA ou des Règles de LaHaye-Visby devrait gouverner la détermination de la responsabilité, si elle est retenue, des défendeurs. C'est là une question fort complexe qui sera vraisemblablement débattue dans l'action au Michigan et qui le serait également devant notre Cour si l'action présente devait ne pas être suspendue.

On peut donc conclure toutefois que ce débat fait que pour les fins du troisième critère de l'arrêt Westec, Ford n'a pas établi objectivement par une preuve convaincante qu'elle bénéficierait au Canada d'un avantage juridique qu'elle ne saurait avoir dans l'action au Michigan. [Non souligné dans l'original.]

[36]Le troisième point principal étudié par le protonotaire consistait dans l'argument présenté par CP selon lequel la clause 25 du connaissement de OOCL interdisait à Ford de constituer CP défenderesse dans l'action canadienne. Le protonotaire Morneau a souscrit à la thèse de CP, invoquant expressément l'alinéa 50(1)b ) de la Loi sur les Cours fédérales pour conclure que Ford, la société expéditrice, s'était engagée à ne poursuivre aucun des sous-traitants de OOCL, et ce aux termes de l'entente TSM et, en particulier, de la clause 25 du connaissement standard de OOCL. Le protonotaire a invoqué les tr ois affaires suivantes: Elbe Maru, The, [1978] 1 Lloyd's Rep. 206, à la page 210; Broken Hill Proprietary Co Ltd v Hapag-Lloyd Aktiengesellschaft , [1980] 2 NSWLR 572; Nedlloyd Columbo, The, [1995] 2 HKC 655 (Cour d'appel de Hong Kong).

[37]Le protonotaire Morneau a noté, mais a rejeté l'argument de Ford selon lequel il ne convenait pas de permettre à OOCL de lui opposer la clause 25 parce que OOCL avait, dans l'action intentée aux États-Unis, mis en cause le Canmar Pride et ses propriétaires qui, pour leur part, ne se sont pas opposés dans cette instance à être poursuivis par OOCL. Le protonotaire a émis l'avis que la clause 25 avait été rédigée de manière à interdire à Ford d'engager des actions, mais n'interdisait pas à OOCL de poursuivre CP . Il a ajouté, au paragraphe 40:

Au-delà de cette clause 25 qui favorise dans l'intérêt de la justice une suspension de l'action de Ford contre les propriétaires du navire, il est à considérer qu'il est également dans l'intérêt de la justice que l'action de Ford soit suspendue contre lesdits propriétaires de manière à éviter que la poursuite de Ford soit débattue à la fois au Canada et au Michigan et que des actions circulaires ne soient engendrées.

CERTAINES FACETTES DE L'ARGUMENT

[38]Aucune des parties n'a contesté ce volet de la décision du protonotaire selon lequel le paragraphe 46(1) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime ne supprimait pas le pouvoir de la Cour, prévu à l'article 50 de la Loi sur les Cours fédérales, de suspendre une instance devant elle pour des motifs autres que l'inclusion dans le contrat de transport d'une clause d'élection de for. Toutes les parties ont reconnu que la Cour pouvait accorder une suspension en vertu de l'article 50 si la Cou r concluait qu'elle n'était pas un tribunal approprié.

[39]Comme l'a exposé le juge O'Keefe dans Magic Sportswear Corp. , le paragraphe 46(1) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime n'accordait à cette Cour que la compétence simpliciter pour examiner une créance si l'une ou l'autre des conditions contenues à l'alinéa 46(1)a ), b) ou c) est remplie malgré une clause d'élection de for, mais n'éliminait pas l'application de l'article 50 de la Loi sur les Cours fédérales.

[40]Je donne mon aval aux points de vue des parties sur cette question et j'accepte le raisonnement exprimé par la protonotaire Milczynski et le juge O'Keefe dans Magic Sportswear Corp. sur ce point.

[41]En outre, Ford n'a pas contesté deva nt moi la conclusion de la protonotaire fondée sur le critère de l'arrêt Westec selon laquelle l'action intentée aux États-Unis par Ford était une action parallèle devant un tribunal approprié.

[42]Ensuite, il n'y avait pas de litige entre l es parties sur la question de savoir si la COGSA, si elle s'appliquait, comportait une limitation pécuniaire de responsabilité moindre que les Règles de La Haye-Visby.

[43]Ford a fait valoir que le protonotaire Morneau a commis une erreur en appliquant le [traduction] «critère beaucoup moins rigoureux» qui découle de l'arrêt Westec . Selon l'avocat canadien de Ford, le critère qu'il convient d'appliquer a été formulé par le juge Strayer, qui siégeait alors à la Section de première instance de la Cour fédérale, dans Plibrico (Canada) Ltd. c. Combustion Engineering Canada Inc. (1990), 30 C.P.R. (3d) 312; dans cette affaire, le juge a déclaré qu'il était bien établi dans la jurisprudence qu'une suspension ne devrait pas être accordée en vertu de l'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7), sauf s'il peut être prouvé que la partie qui demande la suspension a établi 1) que la poursuite de l'action causerait un préjudice ou une injustice, et non pas seulement des inconvénients et des frais additionnels, au défendeur, et 2) que la suspension ne serait pas injuste envers la partie opposée.

[44]Dans ce contexte, l'avocat de Ford a plaidé que le protonotaire Morneau a relevé avec exactitude le principal argument de F ord concernant la dichotomie entre la limitation de responsabilité en vertu de la COGSA et la responsabilité éventuelle aux termes des Règles de La Haye-Visby, mais que le protonotaire Morneau a omis de reconnaître qu'un préjudice substantiel lié à cette d ichotomie était inextricablement lié au pays dans lequel l'instance sera entendue et, par conséquent, Ford subira nécessairement un tel préjudice si l'action introduite en Cour fédérale était suspendue.

[45]Les représentants de Ford ont prét endu que le protonotaire a commis une erreur lorsqu'il a conclu qu'un débat sur la COGSA et les Règles de La Haye-Visby aurait lieu devant la Cour fédérale. Ford a plaidé qu'il n'y aurait pas de présentation d'arguments sur ce point parce que la Cour doit, en vertu de la loi, appliquer les Règles de La Haye-Visby dans le contexte de l'article 46 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime. Le protonotaire Morneau a statué ce qui suit [au paragraphe 33]: «[I]l est évidemment indéniable que le port de déchargement prévu au contrat et effectif, soit Montréal, est situé au Canada.»

[46]L'avocat de Ford a reconnu qu'il était possible que la U.S. District Court applique également les Règles de La Haye-Visby. Toutefois, Ford était à tout le m oins exposée à un risque sérieux que ces Règles ne soient pas appliquées si l'instance canadienne était suspendue et ce risque faisait subir à Ford un préjudice considérable auquel elle ne serait pas exposée si l'instance canadienne était autorisée à se po ursuivre.

[47]Enfin, Ford a contesté la décision du protonotaire selon laquelle la suspension de l'instance à l'encontre des propriétaires du Canmar Pride était justifiée. Ford a soutenu que le protonotaire a commis une erreur en appliquant les principes formulés dans l'affaire Elbe Maru parce que l'exception prévue dans cette décision ne s'appliquait pas dans les affaires dans lesquelles la question de l'engagement de ne pas poursuivre était tout à fait théorique, comme c'est le cas en l'espèce.

ANALYSE

a)     La norme de contrôle

[48]Le fait d'accueillir ou de rejeter une demande de suspension de l'action de Ford en Cour fédérale est une décision discrétionnaire du protonotaire qui, d'après les décisions récentes de la Cour d'appel fédérale, ne peut être modifiée que par un juge qui siège en révision et qui rend une décision de novo si la ou les questions qui sont au centre de la décision du protonotaire sont cruciales pour l'issue finale du dossier ou, sino n, qui rend une décision selon laquelle l'ordonnance du protonotaire était manifestement erronée, en ce sens que la décision du protonotaire reposait sur un principe erroné ou sur une mauvaise appréciation des faits. La jurisprudence citée est constituée d e trois arrêts récents de la Cour d'appel fédérale, soit Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc. , [2004] 2 R.C.F. 459; Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Landmark Cinemas of Canada Ltd. (2004), 30 C.P.R. (4th) 257 et First Canadians' Constitution Draft Committee, The United Korean Government (Canada) c. Canada (2004), 238 D.L.R. (4th) 306.

[49]En résumé, selon cette jurisprudence, le juge siégeant en révision devrait d'abord établir si la décision du protonotaire soulève une question qui est cruciale pour l'issue finale du dossier, car ce n'est que lorsque de telles questions ne sont pas primordiales que le juge a effectivement besoin de s'engager dans le processus qui l'amènera à décider si les ordonnances sont m anifestement erronées.

[50]À cet effet, je cite le paragraphe 19 des motifs du juge Décary dans Merck & Co., Inc. :

Afin d'éviter la confusion que nous voyons parfois découler du choix des termes employés par le juge MacGuigan, je pense qu'i l est approprié de reformuler légèrement le critère de la norme de contrôle. Je saisirai l'occasion pour renverser l'ordre des propositions initiales pour la raison pratique que le juge doit logiquement d'abord trancher la question de savoir si les questio ns sont déterminantes pour l'issue de l'affaire. Ce n'est que quand elles ne le sont pas que le juge a effectivement besoin de se demander si les ordonnances sont clairement erronées. J'énoncerais le critère comme suit: «Le juge saisi de l'appel contre l'o rdonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants: a) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, b) l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce se ns que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits.»

[51]Si nous nous attardons au contexte, la Cour d'appel fédérale, dans Merck & Co., Inc. , a statué que les modifications proposées à la défense d'Apotex soulevaient des questions cruciales pour l'issue finale du principal, à savoir pour son règlement final, parce que ces modifications ajouteraient une défense tout à fait nouvelle qui irait au coeur d'une revendi cation de brevet. Dans Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, le juge Létourneau a estimé que l'ajout de nouveaux défendeurs à une déclaration de la demanderesse et une jonction des parties soulevaient également une question déterminante pour l'issue de l'affaire. À l'opposé, le juge Décary, dans First Canadians' Constitutional Draft Committee, a statué qu'une ordonnance d'adjudication des dépens rendue par le protonotaire une fois l'affaire tranchée quant au fond n'était pas déterminante au sens du critère.

[52]Compte tenu de cette jurisprudence, je conclus que la décision du protonotaire Morneau soulève des questions cruciales pour la détermination finale de l'affaire, avec le résultat que je dois exercer le pou voir discrétionnaire du protonotaire de novo .

[53]Selon moi, les questions cruciales soumises au protonotaire étaient constituées des principes appropriés qui, compte tenu des faits qui lui ont été présentés, devaient l'orienter dans sa déci sion de suspendre l'action canadienne ou non. Malgré le fait qu'une suspension peut être levée en vertu du paragraphe 50(3) de la Loi sur les Cours fédérales, la suspension imposée a des répercussions considérables sur la question de savoir si l'action can adienne sera instruite ou non.

b)     Les principes

[54]La question fondamentale soumise à la Cour ne consiste pas à déterminer si la Cour fédérale a compétence pour connaître de l'action de Ford, mais plutôt si la Cour, appliquant les princip es voulus, devrait refuser d'exercer cette compétence en suspendant l'action à la demande de OOCL ou du CP, qui sont défendeurs dans l'action parallèle intentée par Ford aux États-Unis.

[55]Les avocats des parties requérant la suspension de l'instance devant la Cour fédérale, OOCL et CP, n'ont pas contesté la compétence de la Cour pour entendre les demandeurs ou les défendeurs en appliquant le critère du lien réel et important.

[56]Comme l'a souligné le juge Shar pe de la Cour d'appel de l'Ontario dans Muscutt v. Courcelles (2002), 60 O.R. (3d) 20, la doctrine du forum non conveniens ne porte pas sur la question de savoir si un tribunal a compétence ou devrait assumer la compétence, mais constitue plutôt une doctri ne discrétionnaire qui reconnaît qu'il peut y avoir plus d'un tribunal en mesure d'assumer ou d'exercer la compétence et qui peut refuser d'exercer cette compétence au motif qu'il existe un tribunal plus approprié pour connaître de l'action ou l'instruire. Dans Muscutt, M. le juge Sharpe statuait sur une affaire dans le cadre de laquelle l'Ontario avait assumé la compétence, laquelle n'était fondée ni sur la présence dans le ressort, ni sur l'acquiescement à la compétence.

[57]La décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Amchem Products Inc. c. Colombie- Britannique (Workers' Compensation Board), [1993] 1 R.C.S. 897, est l'arrêt-clé portant sur la doctrine du forum non conveniens . Dans cet arrêt, le juge Sopinka, au nom de l a Cour, a établi l'historique de l'évolution dans ce domaine du droit depuis que la Cour a traité pour la dernière fois de la doctrine dans Antares Shipping Corporation c. Le Navire «Capricorn» et autres, [1977] 2 R.C.S. 422. Plus particulièrement, le juge Sopinka a retracé l'évolution du droit anglais se terminant par la décision de la Chambre des lords Spiliada Maritime Corp. v. Cansulex Ltd. , [1987] A.C. 460.

[58]Dans l'arrêt Amchem , les demandeurs, essentiellement des résidents de la Colo mbie- Britannique, ont intenté une action sur la responsabilité du fait du produit dans l'État du Texas, dans le cadre de laquelle ils demandaient des dommages-intérêts des fabricants de produits de l'amiante qui étaient les défendeurs.

[59]Aucun des défendeurs n'avait de lien avec la Colombie-Britannique, car ils ne faisaient pas d'affaires dans cette province. Au Texas, les défendeurs ont contesté la compétence et le lieu du procès sans succès. Les fabricants de produits de l'amiante ont en suite intenté une action déclaratoire en Colombie-Britannique dans laquelle ils demandaient une injonction interdisant des poursuites qui empêcherait les demandeurs de poursuivre leur action au Texas. En Colombie- Britannique, devant le juge chargé des dem andes [(1989), 65 D.L.R. (4th) 567 (C.S.)], les fabricants de produits de l'amiante ont obtenu une injonction interdisant les poursuites qui a été maintenue par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique [(1990), 75 D.L.R. (4th) 1], mais infirmée par la Co ur suprême du Canada. C'est dans ce contexte que la Cour suprême du Canada a traité des principes qui sous-tendent la doctrine du forum non conveniens .

[60]Dans deux arrêts récents, la Cour suprême du Canada s'est penchée sur l'application d e la doctrine du forum non conveniens. Le premier arrêt était Holt Cargo Systems Inc. c. ABC Containerline N.V. (Syndics de) , [2001] 3 R.C.S. 907, suivi de l'arrêt Spar Aerospace Ltée c. American Mobile Satellite Corp., [2002] 4 R.C.S. 205.

[61]Dans l'arrêt Holt , la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada a refusé, en vertu de l'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale, de suspendre des instances devant elle qui avaient trait à la vente d'un navire, le N/M Brussel , qui a été saisi en vertu d'un mandat de la Cour [[1997] 3 C.F. 187]. La suspension avait été demandée par les fiduciaires nommés en vertu de la loi belge qui administrait la faillite en Belgique des propriétaires du navire à l'égard desquels la Cour supérieure du Québec a rendu plusieurs ordonnances à l'appui de la Cour commerciale de Belgique exerçant la compétence de la Belgique en matière de faillite.

[62]Dans l'arrêt Spar Aerospace , une action a été intentée par la demanderesse au Québec en vue de demander des dommages-intérêts découlant de l'exécution ou de sa violation d'un contrat lié à la construction d'un satellite. Les défenderesses, qui étaient des sociétés étrangères, ont présenté des requêtes pour exception déclinatoire contestant la com pétence des tribunaux du Québec et deux d'entre elles ont demandé le rejet de l'action en invoquant la doctrine du forum non conveniens conformément à l'article 3135 du Code civil du Québec [L.Q. 1991, ch. 64] (C.c.Q.).

[63]Je résume l'appro che adéquate et les principes tirés de la jurisprudence citée précédemment.

[64]Premièrement, la réalisation des fins de la justice, compte tenu de toutes les circonstances pertinentes, constitue le principe déterminant qui or iente la Cour pour lui permettre de décider si, en vertu de l'article 50 de la Loi sur les Cours fédérales, il convient de suspendre une action intentée devant elle quand le motif mis de l'avant pour une telle suspension est la doctrine du forum non conveniens .

[65]Deuxièmement, toutes les circonstances pertinentes doivent être soupesées comme il se doit dans leur contexte approprié. À titre d'exemple, il a été reconnu que le transport maritime justifie que l'on accorde plus de poids à certai ns facteurs qu'à d'autres.

[66]Troisièmement, aucun des facteurs pertinents pour l'établissement de l'équilibre de la justice et de l'injustice pour un demandeur ou un défendeur n'est décisif et il ne serait pas approprié de tenir quelque élément pour un facteur déterminant dans l'exercice du pouvoir de la Cour de suspendre une instance en vertu de l'article 50 de la Loi sur les Cours fédérales. À titre d'exemple, il ne serait pas approprié d'élever l'existence d'une action parallèle dans un autre ressort au rang d'un facteur déterminant. (Voir Amchem , au paragraphe 24.)

[67]Quatrièmement, le critère du forum non conveniens est qu'il doit exister un autre tribunal qui convient davantage à la poursuite de l'action et à la réalisation des fins de la justice. À la page 912, le juge Sopinka, dans l'arrêt Amchem , se dit d'avis qu'il ne faut pas encourager la recherche d'un tribunal favorable et que «[l]e choix du tribunal approprié doit encore reposer sur des facteurs conçus pour faire en sorte, si possible, que le procès soit instruit dans le ressort qui a les liens les plus étroits avec le litige et les parties, et que l'une de celles-ci ne jouisse d'un avantage juridique au détriment des autres devant un tribunal par ailleurs i napproprié.» Il a reconnu que dans certains cas, il sera possible, au mieux, de choisir un tribunal approprié et que souvent il n'existera pas de tribunal qui soit nettement plus approprié que les autres.

[68]Selon moi, le juge Binnie dans l'arrêt Holt , a circonscrit l'approche et les principes adéquats dans les paragraphes suivants de ses motifs, aux paragraphes 86, 87, 89 et 90:

Lorsqu'un tribunal canadien (en l'occurrence la Cour fédérale) est saisi d'une demande de suspension de ses procédures par déférence pour un tribunal de faillite étranger, il doit être conscient des difficultés auxquelles sont confrontés les syndics de faillite dans l'accomplissement de leur mandat public de rétablir l'ordre dans un désordre financier, et de l'intérêt de maximiser la taille de l'actif du failli. Ces objectifs peuvent être atteints en réduisant au minimum la multiplicité des procédures et les coûts qui s'y rattachent, ainsi que la possibilité que les mêmes réclamations ou les mêmes éléments d'actif fa ssent l'objet de décisions incompatibles.

Toutefois, les tribunaux doivent tenir compte de la nécessité de rendre justice aux parties qui se présentent devant eux, ainsi que de l'intérêt qu'a le public dans l'administration efficace de l'actif du failli. Il ne conviendrait pas qu'une considération soit qualifiée de déterminante par un tribunal de faillite qui exerce son pouvoir discrétionnaire de rejeter une pétition fondée sur le par. 43(7) ou de suspendre des procédures en vertu de la partie XIII de la L oi, ou encore par la Cour fédérale lorsqu'elle décide de suspendre des procédures en vertu de l'art. 50 de la Loi sur la Cour fédérale. Le pouvoir discrétionnaire ne doit pas être ainsi prédéterminé. L'utilité de la coordination internationale est certes u ne considération importante. Dans certains cas, elle peut être déterminante. Les tribunaux doivent néanmoins exercer leur pouvoir discrétionnaire de suspendre ou de ne pas suspendre les procédures engagées au pays en tenant compte de tous les faits pertine nts de l'affaire.

7.     À la lumière de ce qui précède, la Cour fédérale a-t-elle commis une erreur dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire de refuser la demande de suspension des procédures présentée par les syndics?

[. . .]

Le pouvoir de la Cour fédérale de suspendre des procédures est, comme nous l'avons vu, conféré par l'art. 50 de la Loi sur la Cour fédérale:

50. (1) La Cour a le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures dans toute affaire:

a) au motif que la demande est en instance devant un autre tribunal;

b) lorsque, pour quelque autre raison, l'intérêt de la justice l'exige.

Les principes qui doivent sous-tendre l'exercice du pouvoir discrétionnaire dans ce type d'affaire ont été établis péremptoirement dans l'arrêt Amchem , précité. Le juge Sopinka, s'exprimant au nom de la Cour, s'est demandé, à la p. 920, si «un autre tribunal serai[t] plus approprié, compte tenu des facteurs pertinents», ce à quoi il a ajouté, à la p. 921, qu'«il faut ét ablir clairement qu'un autre tribunal est plus approprié pour que soit écarté celui qu'a choisi le demandeur» (souligné dans l'original).

L'affaire Amchem était un litige purement privé où il était question d'actions en responsabilité du fait du produit l iées à une exposition à l'amiante. Les faillites internationales comportent un aspect public, car il est dans l'intérêt public de faciliter le règlement rapide des retombées d'un effondrement financier. Cela ne change rien à l'analyse prévue dans l'arrêt Amchem. Il s'agit simplement de souligner que la présente affaire comporte un aspect public important, qui était absent dans l'affaire Amchem .

[69]Je reviens brièvement sur la distinction établie par le juge Sharpe dans Muscutt , aux pages 34 et 35, entre la compétence assumée et le forum non conveniens. Il a ultérieurement résumé plusieurs facteurs élaborés par les tribunaux et que ceux-ci peuvent prendre en compte pour décider quel est le tribunal le plus approprié pour l'action:

[traduction] Il arrive très souvent que plus d'un tribunal puisse assumer la compétence et il est nécessaire de déterminer quel ressort devrait instruire le litige. Comme l'a expliqué le juge Sopinka dans l'arrêt Amchem , précité, à la p. 912 R.C.S., «Souvent, il n'y a aucun tribunal qui est nettement le plus commode ou le plus approprié pour connaître de l'action, mais plusieurs représentent plutôt un choix aussi propice.» Si plus d'un tribunal est en mesure d'assumer la compétence, le tribunal le plus approprié est déterminé au moyen de la doctrine du forum non conveniens , qui permet à un tribunal de refuser d'exercer sa compétence pour le motif qu'un autre tribunal est plus approprié pour connaître de l'action.

Les tribunaux ont dressé une liste de plusieurs facteur s qui peuvent être pris en considération pour décider du tribunal le plus approprié pour l'action, y compris les suivants:

-- la situation géographique de la majorité des parties

-- le lieu où se trouvent les témoins clés et la preuve

-- les dispositions contractuelles qui précisent la loi applicable ou qui attribuent la compétence

-- le soin d'éviter la multiplicité des instances

-- la loi applicable et son poids comparativement aux questions de fait à trancher

-- les facteurs géograph iques qui suggèrent le tribunal logique

-- la question de savoir si le refus d'exercer la compétence priverait le demandeur d'un avantage juridique légitime auquel le tribunal national donne accès.

[70]Le juge LeBel, dans l'arrêt Spar , a entériné une liste légèrement différente de facteurs pertinents lorsqu'il a cité et approuvé un arrêt de la Cour d'appel du Québec. Le juge LeBel s'est ainsi exprimé, au paragraphe 71:

S'agissant de la première exigence, de nombreuses décisions ont établi le s critères pertinents dont il faut tenir compte pour décider si les autorités d'un autre État doivent être mieux à même de trancher le litige. La juge des requêtes (au par. 18) s'est reportée aux dix critères que la Cour d'appel du Québec a énumérés récemm ent dans l'arrêt Lexus Maritime inc. c. Oppenheim Forfait GmbH , [1998] A.Q. no 2059 (QL), par. 18, dont aucun n'est déterminant en soi:

1)     le lieu de résidence des parties et des témoins ordinaires et experts;

2)     la situation des élément s de preuve;

3)     le lieu de formation et d'exécution du contrat;

4)     l'existence d'une autre action intentée à l'étranger;

5)     la situation des biens appartenant au défendeur;

6)     le droit applicable;

7)     l'avantage dont jouit la demanderesse dans le for choisi;

8)     l'intérêt de la justice;

9)     l'intérêt des deux parties;

10)     la nécessité éventuelle d'une procédure en exemplification à l'étranger.

[71]Enfin, pour ce qui est de la charge de preuve, il incombait aux défendeurs de prouver les motifs justifiant une suspension d'instance, mais il appartenait à Ford de faire la preuve du droit américain si elle voulait invoquer une différence quant à la façon dont le droit américain et le droit ca nadien traiteraient sa demande. Il s'agit d'une décision de fait (voir l'arrêt Holt , au paragraphe 50 des motifs du juge Binnie).

c)     Conclusions

[72]Pour les motifs exposés, je dois exercer de novo le pouvoir discrétionnaire du protonot aire de décider s'il convient de suspendre l'action de Ford en Cour fédérale en s'appuyant sur la doctrine du forum non conveniens , c'est-à -dire s'il convient de décliner ou de ne pas exercer cette compétence non contestée de la Cour sur l'action parce qu'il existe ailleurs un lieu plus approprié pour instruire l'action de Ford en dommages-intérêts à l'encontre des défendeurs en soupesant tous les facteurs appropriés, dont aucun n'est déterminant en soi, dans l'intérêt de tous et aux fins de la justice.

[73]La jurisprudence nous enseigne qu'une telle approche est souple et qu'il n'existe pas du tout de formule toute faite.

[74]Selon moi, il ne convenait pas d'établir dans Westec , comme critère distinct ou étape distincte, l'exam en de la perte d'un avantage juridique plutôt que la pondération de ce facteur avec les autres facteurs dont il est tenu compte pour décider du tribunal approprié pour l'instruction de l'action--le lieu ayant les liens les plus étroits avec l'action. Le jug e Sopinka l'a bien précisé dans Amchem , au paragraphe 32 de ses motifs.

[75]En outre, l'analyse suivant la doctrine du forum non conveniens ne porte pas seulement sur le point de savoir s'il y a un lieu ou un tribunal tout aussi approprié qu e le tribunal national, la Cour fédérale en l'occurrence, mais également sur la question de savoir si le tribunal étranger est davantage approprié que le tribunal national pour connaître de l'action.

[76]La preuve présentée au protonotaire e t soumise à la Cour est la preuve par affidavit que j'ai décrite. Cette preuve, selon ce que j'apprécie, ne porte pas sur bon nombre de facteurs pertinents. Les tribunaux au Canada et, semble-t-il, la U.S. District Court, ont établi le besoin qui doit être pris en compte dans l'application de la doctrine.

[77]À ce titre, je crois que le protonotaire et les avocats présents devant moi se sont trouvés quelque peu à court de facteurs qu'ils pourraient invoquer pour justifier la suspension ou l'a bsence de suspension de l'action en Cour fédérale.

[78]Peut-être est-ce en raison de ce manque de preuve relativement à nombre de facteurs pertinents que les deux avocats n'ont pas contesté la décision du protonotaire que la U.S. District Court constituait un tribunal approprié pour instruire l'action.

[79]Par conséquent, l'avocat de Ford a fait porter son argument surtout sur le troisième volet de la formule de Westec--la perte d'un avantage juridique pour Ford si l'action en Cour fédérale était suspendue--l'avantage de dommages-intérêts plus élevés par l'application des Règles de La Haye-Visby au Canada.

[80]Les avocats des défendeurs n'ont pas fait valoir, et je crois qu'il s'agit là d'une décision judicieuse de leur part, que l'action de Ford en Cour fédérale pouvait être étiquetée comme une recherche d'un tribunal étranger plus favorable. La preuve qui m'est présentée n'appuierait pas une telle conclusion.

[81]L'action de Ford en Cour fédérale a un lien réel et important avec le Canada et Ford prétendait légitimement aux avantages que procurerait la Cour fédérale si elle appliquait la loi applicable, à savoir les Règles de La Haye-Visby (voir Amchem , au paragraphe 32).

[82]Je ne suis pas persuadé que Ford a établi au moyen d'une preuve convaincante, comme elle en avait le fardeau, qu'elle perdrait l'avantage de dommages- intérêts plus élevés aux États-Unis parce que la COGSA s'appliquerait automatiquement et non les Règles de La Haye-Visby. C'est le contraire qui ressort de l'affidavit de James Sweeney. Il affirme clairement que la COGSA ne s'applique pas au transport de la France à Montréal puis, par train, à des destinations se trouvant a ux États-Unis. Il estime en outre que la COGSA ne trouve pas application en vertu de l'entente OOCL/Ford.

[83]De plus, je comprends que la juge Hood n'a pas statué, sur le fond, que la COGSA, et non les Règles de La Haye-Visby, s'appliquerai t.

[84]Il existe un certain nombre de facteurs importants qui, selon moi, justifient la suspension de l'action de Ford devant la Cour pour le motif de la doctrine du forum non conveniens. Je m'appuie sur le contexte de la présente affaire, c ar la plupart des autres facteurs pertinents soit étaient neutres soit n'ont pas été considérés comme des questions en litige. Par exemple, on n'a pas débattu la capacité de Ford de réaliser les biens des défendeurs si elle avait gain de cause. Je prends n ote de l'offre de transférer le cautionnement aux États-Unis.

[85]Selon moi, trois facteurs font pencher la balance du côté des défendeurs. Premièrement, il y a l'existence d'instances parallèles aux États-Unis et la volonté d'éviter des fra is superflus ou des décisions incompatibles si la justice peut être rendue devant la U.S. District Court, conclusion à laquelle j'arrive sans hésitation. (Voir la décision de la Chambre des lords dans Abidin Daver, The , [1984] 1 All ER 470.)

[86]Le deuxième facteur important est le facteur de la courtoisie. Dans la deuxième de ses décisions, la juge Hood s'est penchée sur la doctrine du forum non conveniens et je n'ai aucune raison de croire, et aucune n'a été évoquée devant moi, qu'elle a ap pliqué des principes différents de ceux que la Cour appliquerait. Sa décision devrait être respectée au nom de la courtoisie.

[87]Le troisième et dernier facteur qui a pesé lourd dans l'analyse avait trait aux questions en litige au regard d u droit applicable. À la lecture des affidavits, je conclus que bon nombre des questions en litige en l'espèce feront intervenir le droit américain.

[88]Ayant conclu que l'action de Ford au Canada devrait être suspendue sur le fondement de la doctrine du forum non conveniens , je n'ai pas à traiter des deux autres points soulevés dans la contestation de la décision du protonotaire.

[89]Pour tous ces motifs, l'appel est rejeté avec dépens.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.