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[2013] 3 R.C.F. 36

A-380-11

2011 CAF 294

Mohamed Zeki Mahjoub (appelant)

c.

Le ministre de l’Immigration et de la Citoyenneté, le ministre de la Sécurité publique (intimés)

Répertorié : Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour d’appel fédérale, juges Létourneau, Sharlow et Dawson, J.C.A.—Ottawa, 24 octobre 2011.

Citoyenneté et Immigration — Pratique en matière d’immigration — Appel d’un jugement interlocutoire de la Cour fédérale rendu dans une instance introduite en vertu de l’art. 77 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) — Sa Majesté cherchait à faire annuler l’appel pour défaut de compétence — L’appelant fait l’objet d’un certificat qui a été déposé à la Cour fédérale en vertu de l’art. 77 de la LIPR en vue de déterminer si ce certificat est raisonnable, mais cette instance est toujours en cours — Au cours de l’instance introduite en vertu de l’art. 77, Sa Majesté a obtenu des documents appartenant à l’avocat de l’appelant qui, selon ce qu’affirme l’appelant, sont protégés par le secret professionnel de l’avocat et par le privilège des communications échangées dans le cadre du procès — Les documents en cause ont été amalgamés avec d’autres documents appartenant à Sa Majesté — L’appelant a déposé une requête en vue d’obtenir la suspension permanente de l’instance, fondée sur une violation d’un privilège fondamental auquel il a droit en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, mais Sa Majesté a contesté la requête — La Cour fédérale a conclu que pour pouvoir déterminer la réparation appropriée, le cas échéant, il serait nécessaire de scinder les documents qui avaient été amalgamés et de les restituer aux parties pour qu’elles soient en mesure de formuler des observations sur le présumé préjudice — L’art. 79 de la LIPR interdit d’interjeter appel d’un jugement interlocutoire dans le cadre d’une instance introduite en vertu de l’art. 77 — L’appelant a fait valoir que l’ordonnance de la Cour fédérale était invalide et avait été rendue sans compétence, étant donné qu’elle violait ses droits constitutionnels fondamentaux (droit au secret professionnel de l’avocat) — Sa Majesté soutenait que l’art. 79 de la LIPR interdisait à l’appelant d’interjeter appel, et que l’appelant ne pouvait se soustraire à l’irrecevabilité à laquelle la loi assujettit l’appel du seul fait qu’il soulève un argument constitutionnel et qu’il soutient que la décision a trait à la compétence — Il est évident que l’ordonnance dont on cherchait à faire appel est une décision interlocutoire — La jurisprudence citée par l’appelant pour établir que l’irrecevabilité prévue par la loi ne devrait pas s’appliquer n’avait rien en commun avec la présente affaire — La décision dont on cherchait à faire appel n’était pas un acte judiciaire dissociable de l’instance prévue à l’art. 77, mais elle a plutôt été rendue dans le cours de la gestion de l’instance introduite en vertu de l’art. 77 — Par conséquent, cette décision ne pouvait en être dissociée — Il n’y avait rien en l’espèce qui justifierait la Cour d’appel fédérale de ne pas respecter l’irrecevabilité prévue par la loi — Le fait de mettre la décision de la Cour fédérale à l’abri du contrôle de l’appelant ne porterait pas atteinte au principe de la primauté du droit, ni ne minerait la confiance du public envers la bonne administration de la justice — Permettre au présent appel de suivre son cours se solderait par une fragmentation inacceptable d’une instance au cours de laquelle la Cour fédérale est appelée à se prononcer sur le caractère raisonnable du certificat et obligerait la Cour à rendre une décision sur la base d’un fondement factuel qui est incomplet — Appel annulé.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 8, 24.

Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 74d), 77 (mod. par L.C. 2008, ch. 3, art. 4), 79 (mod., idem), 82 (mod., idem), 82.1 (édicté, idem), 82.2 (édicté, idem), 82.3 (édicté, idem).

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 27(1)a) (mod., idem, art. 34), c) (mod., idem).

JURISPRUDENCE CITÉE

décision appliquée :

Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huntley, 2011 CAF 273, [2012] 3 R.C.F. 118.

décisions différenciées :

Subhaschandran c. Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 27, [2005] 3 R.C.F. 255; Zündel (Re), 2004 CAF 394; Charkaoui (Re), 2004 CAF 421, [2005] 2 R.C.F. 299; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391.

décisions examinées :

Zundel c. Canada, 2004 CAF 145, [2004] 3 R.C.F. 638; Zündel c. Canada (Commission des droits de la personne), [2000] 4 C.F. 255 (C.A.).

décisions citées :

Lazareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 181; Edwards c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 176; Froom c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 331.

APPEL d’un jugement interlocutoire de la Cour fédérale (Mahjoub (Re) (4 octobre 2011), DES-7-08) rendu dans une instance introduite en vertu de l’art. 77 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés par lequel l’appelant cherchait à obtenir la suspension permanente de l’instance. Appel annulé.

ONT COMPARU

Johanne Doyon pour l’appelant.

Donald A. MacIntosh, James Todd et Hillary Adams pour les intimés.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Doyon & Associés, Montréal, pour l’appelant.

Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.

  Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

[1]        La juge Sharlow, J.C.A. : Il s’agit en l’espèce de l’appel d’un jugement interlocutoire prononcé le 4 octobre 2011 [Mahjoub (Re), DES-7-08] par la Cour fédérale dans une instance introduite en vertu de l’article 77 [mod. par L.C. 2008, ch. 3, art. 4] de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Sa Majesté cherche à faire annuler l’appel pour défaut de compétence. L’appelant, M. Mahjoub, s’oppose à la requête au motif que la Cour a compétence pour statuer sur l’appel. Pour les motifs qui suivent, je suis arrivée à la conclusion que l’appel devait être annulé.

Contexte procédural

[2]        L’avis d’appel a été déposé dans la présente affaire le 13 octobre 2011. Le 18 octobre 2011, M. Mahjoub a soumis un avis de requête appuyé par un dossier de requête comprenant deux volumes. Il réclamait un sursis à l’exécution de l’ordonnance du 4 octobre 2011 en attendant que le présent appel ait été tranché. Le dépôt de ce dossier de requête n’a pas encore été accepté.

[3]        Dans l’intervalle, Sa Majesté a, vraisemblablement après avoir reçu signification de l’avis d’appel, adressé à la Cour une lettre en date du 17 octobre 2011 dans laquelle elle soutenait que l’avis d’appel ne devait pas être déposé étant donné que la Cour n’avait pas compétence pour l’examiner. M. Mahjoub a répondu par lettre datée du 17 octobre 2011, que la Cour avait compétence pour statuer sur l’appel. Par lettre datée du 18 octobre 2011, Sa Majesté a répondu à l’argument de M. Mahjoub.

[4]        Le 19 octobre 2011, j’ai ordonné la constitution d’une formation collégiale de trois juges de notre Cour qui serait chargée de trancher la question de savoir si l’appel devrait être annulé et j’ai précisé que cette décision serait rendue sur dossier, sans audience, sur le fondement des lettres susmentionnées. Le même jour, j’ai prononcé une ordonnance sursoyant à l’exécution de l’ordonnance du 4 octobre 2011 de la Cour fédérale en attendant qu’une décision soit rendue.

[5]        M. Mahjoub a répondu à ces directives en soumettant une lettre dans laquelle il s’opposait à ce que cette question soit tranchée sur dossier sans audience et dans laquelle il soulignait également que la question de son droit d’interjeter appel était également abordée dans les observations contenues dans le dossier de requête soumis le 13 octobre 2011. Sa Majesté soutient qu’aucune audience n’est nécessaire.

[6]        Je suis toujours d’avis qu’aucune audience n’est nécessaire. Je vais cependant tenir compte des observations formulées par M. Mahjoub dans son dossier de requête au sujet de la question de la compétence de la Cour pour statuer sur l’appel.

Dispositions législatives applicables

[7]        Aux termes des alinéas 27(1)a) [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 34] et c) [mod., idem] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7 [art. 1 (mod., idem, art. 14)], il peut être interjeté appel devant notre Cour d’un jugement définitif ou d’un jugement interlocutoire de la Cour fédérale.

[8]        Cependant, d’autres lois peuvent faire obstacle à ce droit d’appel. Il existe de nombreuses dispositions en ce sens dans la LIPR. Dans certains cas mettant en cause la LIPR, il ne peut être interjeté appel d’un jugement définitif de la Cour fédérale que si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle‑ci. Par exemple, la certification d’une question est exigée par l’alinéa 74d) pour pouvoir interjeter appel d’un jugement définitif consécutif au contrôle judiciaire d’une décision ou d’une ordonnance prononcée en vertu de la LIPR, par l’article 79, pour pouvoir interjeter appel d’une décision rendue par la Cour fédérale sur le caractère raisonnable du certificat déposé en vertu de l’article 77, et par l’article 82.3 [édicté par L.C. 2008, ch. 3, art. 4], pour pouvoir interjeter appel d’un jugement définitif rendu au titre de l’un des articles 82 à 82.2 [art. 82 (mod., idem), 82.1 (édicté, idem), 82.2 (édicté, idem)] dans le cadre d’une instance portant sur le contrôle de la détention.

[9]        Les dispositions de la LIPR qui interdisent d’interjeter appel d’un jugement interlocutoire revêtent une plus grande importance dans le cas qui nous occupe. En l’espèce, la disposition pertinente est l’article 79 [mod., idem], qui prévoit que ne sont pas susceptibles d’appel les décisions interlocutoires rendues dans le cadre d’une instance portant sur le caractère raisonnable d’un certificat déposé en vertu de l’article 77.

[10]      Il existe des cas dans lesquels la Cour a jugé que l’interdiction d’interjeter appel prévue par la loi ne s’appliquait pas à un appel qui relevait à première vue de sa compétence. Ainsi, dans l’affaire Subhaschandran c. Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 27, [2005] 3 R.C.F. 255, la Cour a statué sur l’appel d’une décision accordant un ajournement qui, eu égard aux circonstances factuelles particulières de l’espèce, avait été interprétée comme un refus du juge de la Cour fédérale d’exercer sa compétence et de rendre une décision. La Cour a également jugé que les dispositions d’une loi qui rendent irrecevable un appel n’empêchent pas une partie de contester une décision pour cause de crainte raisonnable de partialité de la part du juge (voir, par exemple, l’arrêt Zündel (Re), 2004 CAF 394).

[11]      Il n’en demeure pas moins que la plupart des tentatives visant à se soustraire à une interdiction d’interjeter appel prévue par la loi sont vouées à l’échec. L’exemple le plus récent est l’affaire Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huntley, 2011 CAF 273, [2012] 3 R.C.F. 118. Voici ce qu’on trouve au paragraphe 7 des motifs de la décision rendue dans cette affaire :

Nous sommes d’accord pour dire que, malgré le libellé apparemment clair de l’alinéa 74d), le législateur ne pouvait avoir l’intention de mettre à l’abri de tout examen en appel des erreurs qui, si elles échappaient à tout examen, auraient pour effet d’ébranler le principe de la primauté du droit et de miner la confiance du public envers la bonne administration de la justice. Nous estimons toutefois que les erreurs que le juge aurait commises en l’espèce n’entrent pas dans cette catégorie étroite.

[12]      On ne peut se soustraire à une interdiction d’interjeter appel prévue par la loi en se contentant d’alléguer que la décision dont on veut faire appel est fondée sur une ou sur plusieurs erreurs de droit qui sont suffisamment flagrantes pour qu’on puisse affirmer que l’appel serait certainement accueilli s’il était jugé (Lazareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 181, et Edwards c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 176).

Les faits

[13]      M. Mahjoub fait l’objet d’un certificat qui a été déposé à la Cour fédérale en vertu de l’article 77 de la LIPR. Une instance a été introduite devant le juge Blanchard en vue de répondre à la question de savoir si ce certificat est raisonnable. Cette instance est toujours en cours.

[14]      Au cours de l’instance introduite en vertu de l’article 77, Sa Majesté a obtenu des documents appartenant à l’avocat de M. Mahjoub qui renferment des renseignements qui, selon ce qu’affirme M. Mahjoub, sont protégés par le secret professionnel de l’avocat et par le privilège des communications échangées dans le cadre du procès. Les documents en cause ont été amalgamés avec d’autres documents appartenant à Sa Majesté. M. Mahjoub a saisi le juge Blanchard d’une requête en vue d’obtenir la suspension permanente de l’instance en vertu des articles 7 et 8 et du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]. Sa Majesté a contesté la requête.

[15]      Le juge Blanchard a entendu la requête le 3 octobre 2011 et a mis l’affaire en délibéré. Il semble qu’au cours de l’audience, le juge Blanchard ait conclu que pour pouvoir déterminer quelle réparation serait, le cas échéant, appropriée dans les circonstances, il serait nécessaire de scinder les documents qui avaient été amalgamés et de les restituer aux parties pour qu’elles soient en mesure de formuler des observations spécifiques sur la nature et l’ampleur du présumé préjudice. Dans ce contexte, le juge Blanchard a rendu le 4 octobre 2011 l’ordonnance faisant l’objet du présent appel. En voici le texte :

[traduction

1.   Les parties doivent se présenter devant le protonotaire Aalto à 9 h 30, le mercredi 5 octobre 2011, à la Cour fédérale, à Toronto (Ontario), en vue d’établir un protocole pour la séparation des documents qui ont été amalgamés. Le protocole en question sera établi par le protonotaire Aalto en collaboration avec les parties. Il permettra de scinder les documents de façon à limiter le préjudice que pourraient subir les parties.

2.   Chacune des parties doit désigner une ou plusieurs personnes ne faisant pas partie des avocats inscrits au dossier et en mesure d’identifier les documents appartenant à la partie en question en vue de scinder les documents qui ont été amalgamés en présence du protonotaire et sous sa surveillance conformément au protocole établi à cette fin.

3.   La ou les personnes ainsi désignée(s) par chacune des parties sera(seront) exclue(s) de l’équipe du contentieux de chacune des parties et il lui(leur) sera interdit de communiquer avec qui que ce soit au sujet de la nature ou du contenu des pièces examinées aux fins susmentionnées et elle(s) devra(devront) signer un engagement en ce sens devant la Cour.

4.   Les documents ainsi scindés devront être rendus à chacune des parties.

5.   Les parties peuvent formuler d’autres observations au sujet de la nature et de l’ampleur de tout présumé préjudice devant le juge désigné. À cette fin, M. Mahjoub peut dresser une liste des documents qui lui ont été remis et sur lesquels il se fonde pour faire la preuve de ce préjudice en s’assurant de ne révéler aucun renseignement important qui serait protégé par le secret professionnel de l’avocat ou par le privilège des communications échangées dans le cadre du procès.

6.   Le protonotaire Aalto examinera et approuvera la liste dressée par M. Mahjoub en la comparant avec les documents correspondants avant d’autoriser le dépôt de cette liste devant la Cour.

7.   Une fois les documents scindés, le protonotaire Aalto soumettra un rapport écrit au sujet du protocole suivi pour scinder les documents. En vertu de son pouvoir discrétionnaire, il peut également rendre compte de toute autre question se rapportant à la présente ordonnance.

8.   En cas de différend au sujet de l’interprétation de la présente ordonnance, il sera loisible aux parties de s’adresser à nouveau à la Cour pour obtenir des directives.

[16]      Le dossier ne permet pas de savoir si les parties ont réclamé d’autres directives en vertu de l’article 8 de l’ordonnance visée par le présent appel et je suppose qu’elles ne l’ont pas fait.

[17]      Le 13 octobre 2011, M. Mahjoub a déposé un avis d’appel de l’ordonnance du 4 octobre 2011. Il sollicite une ordonnance annulant l’ordonnance du 4 octobre 2011, enjoignant au juge Blanchard de trancher la requête en suspension permanente sur le fondement des observations déposées et reportant la séparation des documents jusqu’à ce que le juge Blanchard ait tranché la requête en suspension permanente.

[18]      De nombreux moyens d’appel sont articulés dans l’avis d’appel. Certains de ces moyens d’appel se recoupent. Certains sont difficiles à suivre, sans doute parce que l’auteur de l’avis d’appel a l’intention de les expliquer en temps et lieu en soumettant des observations plus détaillées. Je vais néanmoins tenter de les résumer.

[19]      Le premier moyen d’appel indique que l’ordonnance frappée d’appel [traduction] « n’est pas valide et a été rendue sans compétence » étant donné que, dans la mesure où elle oblige d’autres personnes que les avocats inscrits au dossier de M. Mahjoub à examiner les documents protégés de M. Mahjoub, le droit de celui‑ci de communiquer sous le sceau du secret avec son conseiller juridique a été enfreint, ce qui contrevient aux articles 7 et 8 de la Charte.

[20]      Le deuxième et le cinquième moyens d’appel tendent à contester l’efficacité, l’utilité et le fondement factuel de l’ordonnance frappée d’appel.

[21]      Le troisième et le sixième moyens d’appel semblent être fondés sur la prémisse que l’ordonnance visée par l’appel oblige nécessairement M. Mahjoub à démontrer que les présumées violations du secret lui ont causé un préjudice. M. Mahjoub affirme que la Cour devrait lui reconnaître le droit de bénéficier d’une présomption légale de préjudice de sorte qu’il incombe à Sa Majesté, en tant qu’auteure de la violation, de démontrer que cette violation n’a causé aucun préjudice.

[22]      Par son quatrième moyen d’appel, l’appelant allègue une autre violation des articles 7 et 24 de la Charte au motif qu’il est injuste d’exiger que les documents soient inspectés pour déterminer si un préjudice a été causé alors qu’on ne peut établir avec précision ce que Sa Majesté a vu et a éventuellement diffusé.

[23]      Selon son septième moyen d’appel, l’ordonnance frappée d’appel serait fondée sur une erreur de droit dans la mesure où elle méconnaît la possibilité que certains des documents que Sa Majesté a obtenus puissent être manquants.

[24]      Au risque de trop simplifier la thèse de M. Mahjoub, il me semble que son grief essentiel consiste à dire qu’alors qu’il n’a commis aucune faute, il a subi une violation d’un privilège fondamental auquel il a droit en vertu de la Constitution et qu’il est erroné en droit de le contraindre à subir une autre violation du même privilège dans sa recherche d’une réparation appropriée.

Thèses des parties

[25]      Sa Majesté a présenté une requête visant à faire annuler le présent appel au motif que celui‑ci est irrecevable en raison de l’article 79. Dans sa lettre du 17 octobre 2011, Sa Majesté explique qu’elle se fonde sur les arrêts Zundel c. Canada, 2004 CAF 145, [2004] 3 R.C.F. 638, aux paragraphes 23 à 27; Froom c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 331; et Zündel c. Canada (Commission des droits de la personne), [2000] 4 C.F. 255 (C.A.), aux paragraphes 10 à 15. La première de ces affaires portait sur des tentatives infructueuses visant à interjeter appel d’une décision compte tenu d’une irrecevabilité prévue par la LIPR. La troisième affaire portait sur le principe général suivant lequel, à défaut de circonstances exceptionnelles, les décisions rendues au cours d’une audience ne devraient pas être contestées tant que l’instance n’est pas terminée.

[26]      Dans la lettre qu’il a adressée à la Cour le 17 octobre 2011, M. Mahjoub fait valoir que la Cour a compétence pour statuer sur le présent appel parce que l’ordonnance dont il veut faire appel [traduction] « est invalide et a été rendue sans compétence étant donné qu’elle viole ses droits fondamentaux et notamment son droit au secret professionnel de l’avocat et son droit au respect de toutes les communications qu’il a échangées sous le sceau du secret avec son avocat (articles 7 et 8 de la Charte) ». Il invoque les paragraphes 17 et 18 de l’arrêt Subhaschandran précité :

D’autres décisions qui viennent appuyer mon point de vue ont été prises par notre Cour, qui a jugé que certaines questions, notamment les questions portant sur la compétence, sont susceptibles d’appel même en présence d’une suppression expresse du droit d’appel ou du droit au contrôle judiciaire de la décision principale. Dans l’arrêt Zündel (Re), 2004 CAF 394, le juge Létourneau, J.C.A. a conclu qu’un appel fondé sur une crainte raisonnable de partialité faisait exception à la clause privative qui supprimait tout appel ou contrôle judiciaire de la décision portant sur le caractère raisonnable d’un certificat de sécurité. De la même façon, dans l’arrêt Narvey c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 235 N.R. 305 (C.A.F.), le juge Noël, J.C.A. a accueilli un appel, nonobstant le paragraphe 18(3) de la Loi sur la citoyenneté [L.R.C. (1985), ch. C‑29]. Il a conclu que la partialité d’un juge, si elle est démontrée, constitue un défaut de compétence pour rendre une décision. Par conséquent, une décision rendue dans un tel cas ne tomberait pas sous le coup de l’article 18 de la Loi sur la citoyenneté.

Par conséquent, j’accueillerais l’appel, annulerais l’ordonnance et renverrais la question au juge des requêtes avec la directive de rendre une décision de façon expéditive sur la requête en sursis. Dans les circonstances, il n’y aura pas d’ordonnance quant aux dépens.

[27]      M. Mahjoub cite également le paragraphe 48 de l’arrêt Charkaoui (Re), 2004 CAF 421, [2005] 2 R.C.F. 299 :

Si l’on accepte que le juge désigné puisse, dans l’exercice des pouvoirs conférés par les articles 80 et 83 de la LIPR, rendre des décisions susceptibles d’appel, sa compétence de les rendre ne devrait donc plus être remise en question. Or, il nous semble évident qu’une décision portant sur la constitutionnalité de la LIPR porte sur la juridiction de la Cour et non pas sur le caractère raisonnable du certificat, qu’elle constitue un acte judiciaire distinct et divisible, pour reprendre les mots de la Cour cités dans l’arrêt Tobiass [Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391] et qu’elle est, en conséquence, susceptible d’appel.

[28]      La question du droit d’appel de M. Mahjoub est analysée plus à fond aux paragraphes 31 à 40 des observations formulées dans le dossier de requête soumis à l’appui de sa requête en sursis à l’exécution de l’ordonnance du juge Blanchard en attendant l’issue de l’appel. Ces observations sont ainsi libellées :

[traduction]

L’appelant dépose, en vertu du paragraphe 27(1) de la Loi sur les Cours fédérales, un avis d’appel de l’ordonnance rendue le 4 octobre 2011 par le juge Blanchard.

L’ordonnance frappée d’appel a été rendue dans le contexte du dossier de la requête présentée par l’appelant en vue d’obtenir une suspension permanente de l’instance à titre de réparation conformément au paragraphe 24(1) de la Charte et de l’article 50 de la Loi sur les Cours fédérales pour la violation des droits qui lui sont reconnus par les articles 7 et 8 de la Charte.

Ainsi qu’il est mentionné dans l’arrêt Charkaoui c. Canada, 2004 CAF 421, au paragraphe 43, le juge désigné a le pouvoir de prendre certaines décisions qui peuvent faire l’objet d’un appel.

Dans l’arrêt Charkaoui, précité, la Cour d’appel fédérale a cité l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada (la CSC) dans l’affaire Canada c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391, dans laquelle la Cour suprême a confirmé l’existence du droit d’appel.

La CSC a jugé que la décision pouvait être portée en appel parce que le pouvoir de la Cour fédérale d’ordonner une suspension ne découlait pas des pouvoirs que lui conférait la Loi sur la citoyenneté, mais qu’il lui était conféré par l’article 50 de la Loi sur les Cours fédérales. Dans l’arrêt Tobiass, précité, la CSC a confirmé l’existence du droit d’appel de la façon suivante :

Cependant, la suspension des procédures est ordonnée pour des motifs qui n’ont absolument rien à voir avec l’acquisition, la conservation ou la répudiation de la citoyenneté ni avec la réintégration dans celle‑ci. En effet, la décision d’ordonner (ou de ne pas ordonner) la suspension des procédures diffère du genre de décision que la Cour est appelée à rendre sous le régime du par. 18(1) [aux pages 414 et 415].

M. Mahjoub interjette appel dans un contexte analogue. L’ordonnance du juge Blanchard qui fait l’objet du présent appel a été rendue en réponse à la requête présentée par M. Mahjoub en vue d’obtenir la suspension permanente de l’instance en vertu de l’article 50 de la Loi sur les Cours fédérales, dans la foulée de l’arrêt Tobiass, ainsi qu’en vertu de l’article 24 de la Charte.

Comme l’ordonnance n’a absolument rien à voir avec les circonstances entourant la question du caractère raisonnable du certificat et qu’elle découle d’un excès de compétence et d’autres erreurs de compétence [renvoi par note infrapaginale à la partie des observations intitulées [traduction] « Questions sérieuses à juger » qui correspond au moyen d’appel déjà mentionné], l’ordonnance peut faire l’objet d’un appel, ainsi que la Cour l’a conclu dans les arrêts Charkaoui c. Canada, 2004 CAF 421, au paragraphe 48, et Subhaschandran 2005 CAF 27 [est omise la reproduction du paragraphe 48 de l’arrêt Charkaoui et des paragraphes 17 et 18 de l’arrêt Subhaschandran, précités.]

Eu égard aux circonstances entourant l’ordonnance frappée d’appel, il est clair que l’article 82.3 et l’alinéa 74d) de la LIPR ne limitent pas le droit d’appel de l’appelant.

D’ailleurs, la décision du juge Blanchard ne faisait pas suite à un contrôle judiciaire et elle n’a pas été rendue en vertu des articles 82 à 82.2 de la LIPR mais bien en réponse à la requête présentée par M. Mahjoub en vertu de l’article 50 de la Loi sur les Cours fédérales et du paragraphe 24(1) de la Charte.

Pour ces motifs, l’appelant affirme que l’ordonnance du 4 octobre 2011 peut être portée en appel devant la Cour d’appel fédérale.

[29]      Dans sa lettre du 18 octobre 2011, Sa Majesté formule les observations suivantes en réponse à la lettre du 17 octobre 2011 de M. Mahjoub :

[traduction

a)    Le droit d’appel n’est pas garanti par la Constitution et ce, même lorsqu’on affirme que la Charte a été violée. Le droit d’appel ne peut être conféré que par une loi. Il est loisible au législateur d’empêcher ou de restreindre l’exercice du droit d’appel et c’est ce qu’il a fait dans la LIPR. La présente affaire ne tombe pas sur le coup de l’exception très étroite reconnue dans l’arrêt Tobiass.

b) M. Mahjoub ne peut se soustraire à l’irrecevabilité à laquelle la loi assujettit l’appel d’une décision interlocutoire du seul fait qu’il soulève un argument constitutionnel et qu’il soutient que la décision a trait à la compétence. En principe, une erreur de droit ne dépouille pas le président du tribunal de sa compétence (citant l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Aziz, 2011 CAF 18). De plus, la Cour suprême du Canada a affirmé à plusieurs reprises que les tribunaux judiciaires doivent « éviter de qualifier trop rapidement un point de question de compétence, et ainsi de l’assujettir à un examen judiciaire plus étendu, lorsqu’il existe un doute à cet égard » (citant l’arrêt Syndicat canadien des employés de la fonction publique, Section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau‑Brunswick., [1979] 2 R.C.S. 227, à la page 233, cité dans l’arrêt Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, au paragraphe 36).

c)    En tout état de cause, la Cour suprême a mis en garde contre la tentation de fragmenter des instances par des procédures interlocutoires qui deviennent des instances distinctes (citant l’arrêt R. c. Mills, [1985] 1 R.C.S. 863, au paragraphe 271). En déclarant irrecevable l’appel d’une décision interlocutoire, le législateur est censé avoir voulu éviter cette fragmentation et les retards qui s’ensuivent.

d)   Enfin, l’appel de M. Mahjoub n’a aucun fondement factuel, étant donné que le juge Blanchard ne s’est toujours pas prononcé sur la question de savoir s’il y a eu en l’espèce violation du secret professionnel de l’avocat. Or, le juge Blanchard est manifestement compétent pour examiner toute question de privilège et pour exercer son pouvoir discrétionnaire de manière à concevoir des réparations appropriées pour éviter un préjudice causé par la divulgation de documents que l’on affirme être protégés.

Analyse

[30]      Il est évident que l’ordonnance dont on cherche à faire appel est une décision interlocutoire rendue au cours d’une instance visée par l’article 77 de la LIPR. En principe, l’article 79 empêche de faire appel d’une telle décision.

[31]      L’avocat de M. Mahjoub soutient que, suivant la jurisprudence de notre Cour, l’irrecevabilité prévue par la loi ne devrait pas s’appliquer en l’espèce. Toutefois, les décisions qu’il cite n’ont rien en commun avec les faits de la présente affaire. L’affaire Tobiass [Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391] et les autres affaires portant sur la Loi sur la citoyenneté [L.R.C. (1985), ch. C-29] concernaient une irrecevabilité prévue par la loi qui était libellée de façon beaucoup plus étroite que l’interdiction très large que l’on trouve à l’article 79 de la LIPR. Contrairement à l’affaire Subhaschandran, le juge de la Cour fédérale n’a pas refusé en l’espèce de rendre une décision. Il n’y a pas non plus d’allégations ou d’éléments de preuve portant sur une crainte raisonnable de partialité comme c’était le cas dans l’affaire Zündel (Re), 2004 CAF 394 [précitée]. On ne conteste pas la constitutionnalité des dispositions législatives comme dans l’affaire Charkaoui. La décision dont on cherche à faire appel n’est pas, pour paraphraser l’arrêt Charkaoui, un acte judiciaire qui est dissociable de l’instance prévue à l’article 77. Au contraire, la décision dont on cherche à interjeter appel a été rendue dans le cours de la gestion, par le juge Blanchard, de l’instance introduite en vertu de l’article 77, et cette décision ne peut en être dissociée.

[32]      À mon avis, il n’y a rien dans les circonstances de la présente espèce qui justifierait la Cour de ne pas respecter l’irrecevabilité prévue par la loi. En l’espèce, tout comme dans l’affaire Huntley, précitée, on ne peut dire que le fait de mettre la décision du juge Blanchard à l’abri du contrôle d’une juridiction d’appel porterait atteinte au principe de la primauté du droit ou minerait la confiance du public envers la bonne administration de la justice. Au contraire, permettre au présent appel de suivre son cours se solderait par une fragmentation inacceptable d’une instance au cours de laquelle la Cour fédérale est appelée à se prononcer sur le caractère raisonnable du certificat et obligerait la Cour à rendre une décision sur la base d’un fondement factuel qui est, pour le moins, incomplet.

Dispositif

[33]      Pour ces motifs, je suis d’avis d’annuler l’appel pour défaut de compétence. Bien que la requête en suspension de M. Mahjoub deviendrait théorique et ne devrait pas être tranchée, son dossier de requête devrait être déposé parce qu’il en a été fait mention lors de l’examen de la question de savoir si l’appel devrait être annulé.

Le juge Létourneau, J.C.A. : Je suis d’accord.

La juge Dawson, J.C.A. : Je suis d’accord.

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