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A-26-04

2005 CAF 36

Sa Majesté la Reine (appelante)

c.

VIH Logging Ltd. (intimée)

Répertorié: Canada c. VIH Logging Ltd. (C.A.F.)

Cour d'appel fédérale, juges Linden, Létourneau et Sharlow, J.C.A.--Vancouver, 29 et 30 novembre 2004; Ottawa, 31 janvier 2005.

Impôt sur le revenu -- Calcul du revenu -- Gains et pertes en capital -- Appel interjeté d'une décision de la C.C.I. qui avait fait droit à un appel formé contre une nouvelle cotisation de 1994 établie en vertu de l'art. 55(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (imposition de dividendes comme s'ils constituaient le produit de la disposition d'une immobilisation) -- L'unique actionnaire de VIH, ancien unique actionnaire de 401277 B.C. Ltd. (l'ancienne VIH), a échangé son action de l'ancienne VIH pour les actions de la société VIH nouvellement constituée -- L'ancienne VIH a vendu la plupart de ses actifs à VIH et lui a versé des dividendes en espèces et un dividende en actions, et VIH a vendu toutes ses actions de l'ancienne VIH à Senergy, Inc., à la faveur d'une opération sans lien de dépendance -- VIH a inclus les dividendes comme revenu dans sa déclaration de revenus, en déduisant une somme correspondante en vertu de l'art. 112(1) de la Loi -- La déduction a été acceptée, mais une nouvelle cotisation a plus tard été émise au motif que les dividendes auraient dû être considérés comme des gains en capital en application de l'art. 55(2) de la Loi -- Les règles du «revenu protégé», exposées dans l'art. 55(2) de la Loi, empêchent l'application de l'art. 55(2) aux dividendes en espèces -- L'interprétation de l'art. 55(2) selon laquelle les bénéfices de l'ancienne VIH pour la période allant du 1er mars 1992 au 23 février 1993 peuvent être inclus dans le revenu protégé de l'ancienne VIH même si cette période constitue un exercice incomplet (une période tampon) s'accorde avec le texte de l'art. 55(2) et ne lui fait pas violence -- La possibilité d'une déduction correspondant au dividende ne dépend pas du paiement de fait d'un impôt par la société qui a versé le dividende -- Une diminution de 45 570 $ du gain en capital, dans un contexte où la série d'opérations comportant les dividendes totalisait plus de 1,7 million de dollars, n'était pas une diminution sensible -- Le critère de l'objet, exposé dans l'art. 55(2), n'était donc pas rempli pour le dividende en actions -- Appel rejeté.

Interprétation des lois -- L'interprétation de l'art. 55(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, de telle sorte que cette disposition autorise l'inclusion du revenu d'une «période tampon» (revenu d'un exercice incomplet) dans le «revenu protégé» s'accorde avec le texte de l'art. 55(2) -- L'interprétation des mots «avant [. . .] le début de la série d'opérations» comme signifiant «immédiatement avant le début de la série d'opérations» plutôt qu' «à la fin de l'exercice se terminant avant le début de la série d'opérations» ne fait pas violence au texte de l'art. 55(2).

Il s'agissait d'un appel interjeté d'un jugement de la Cour canadienne de l'impôt qui avait fait droit à l'appel de l'intimée formé contre une nouvelle cotisation de 1994 établie en vertu du paragraphe 55(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, nouvelle cotisation dont l'effet était d'imposer les dividendes reçus par l'intimée comme s'ils constituaient le produit de la disposition d'une immobilisation.

Les événements qui ont conduit à la nouvelle cotisation étaient les suivants. Jusqu'au 23 février 1993, M. Kenneth Norie était propriétaire de l'unique action émise de la société 401277 B.C. Ltd. (l'ancienne VIH), une entreprise d'exploitation forestière par hélicoptère. Ce même jour, la société 441584 B.C. Ltd. (VIH) était constituée, et M. Norie a échangé son action de l'ancienne VIH pour les actions de VIH. Au cours des jours suivants, l'ancienne VIH a vendu la plupart de ses actifs à VIH et payé à VIH des dividendes en espèces et un dividende en actions (dividendes inter-sociétés). Finalement, le 2 mars 1994, VIH a vendu toutes les actions de l'ancienne VIH à Senergy, Inc., à la faveur d'une opération sans lien de dépendance. Ces opérations devaient différer la dette fiscale de l'ancienne VIH sur le revenu qu'elle avait gagné au 23 février 1993, et cela d'une manière qui conserverait entre les mains de M. Norie le contrôle des activités d'exploitation forestière par hélicoptère, sans que les opérations n'entraînent une autre dette fiscale pour M. Norie ou pour VIH.

Les dividendes reçus par VIH ont été inclus comme revenu dans la déclaration de revenus de VIH pour son exercice terminé le 31 janvier 1994, et une somme correspondante était déduite en vertu du paragraphe 112(1) de la Loi. Cette déduction a été acceptée, mais, après enquête, le ministre a conclu que les dividendes auraient dû être considérés comme des gains en capital présumés, en application du paragraphe 55(2) de la Loi.

Arrêt: l'appel doit être rejeté.

Le paragraphe 55(2) de la Loi a été promulgué afin de faire obstacle aux opérations appelées «dépouillements de gains en capital», destinées à éviter l'impôt sur les gains en capital tirés de la vente des actions d'une société. L'élément commun à tous les dépouillements de gains en capital est un dividende inter-sociétés non imposable qui est versé sur les actions avant qu'elles soient vendues. Ici, les conditions de l'application du paragraphe 55(2) étaient remplies. Il s'agissait de savoir si les règles du «revenu protégé (ou sauf)», au paragraphe 55(2), empêchaient l'application de ce paragraphe aux dividendes en espèces, et si le critère de l'objet, exposé dans le paragraphe 55(2), était rempli en ce qui concernait le dividende en actions.

Le paragraphe 55(2) requiert que soit déterminé d'une manière hypothétique le gain en capital qui aurait résulté d'une vente des actions à leur juste valeur marchande immédiatement avant le versement du dividende. Si ce gain en capital est attribuable au revenu protégé, c'est-à-dire au revenu gagné ou réalisé par une société après 1971 et avant l'opération ou l'événement ou le début de la série d'opérations ou d'événements, alors le dividende doit être considéré comme un dividende inter-sociétés non imposable. Les bénéfices de l'ancienne VIH pour la période allant du 1er mars 1992 au 23 février 1993, une période qui représentait une partie incomplète de l'exercice de l'ancienne VIH (et que l'on appelle «période tampon»), pouvaient être inclus dans le revenu protégé de l'ancienne VIH. Une interprétation du paragraphe 55(2) qui permet l'inclusion du revenu de la période tampon dans le revenu protégé s'accorde avec le texte du paragraphe 55(2), et ce n'est pas faire violence au texte de ce paragraphe que d'interpréter les mots «avant [. . .] le début de la série d'opérations» comme signifiant «immédiatement avant le début de la série d'opérations» plutôt qu' «à la fin de l'exercice se terminant avant le début de la série d'opérations». Par ailleurs, un revenu protégé n'est pas censé comprendre uniquement le revenu sur lequel l'impôt a effectivement été payé. Le paragraphe 55(2) ne demande pas si l'impôt a effectivement été payé sur le revenu postérieur à 1971, et la possibilité pour la société bénéficiaire d'un dividende inter-sociétés de se prévaloir d'une déduction correspondant au dividende ne dépend pas du paiement de fait d'un impôt par la société qui a versé le dividende. Le juge a eu raison de dire que la période pour laquelle le revenu protégé doit être déterminé se termine immédiatement avant le début de la série d'opérations qui comprend le versement du dividende.

S'agissant de savoir si le critère de l'objet, exposé dans le paragraphe 55(2), était rempli pour ce qui concernait le dividende en actions, ce critère requiert que l'un des objets du dividende en actions soit de «diminuer sensiblement» le gain en capital qui aurait résulté d'une vente de l'action de l'ancienne VIH à sa juste valeur marchande immédiatement avant le paiement du dividende en actions. Ici, si les actions avaient été vendues à leur juste valeur marchande immédiatement avant le dividende en actions, il y aurait eu un gain en capital de 45 570 $. Une diminution de 45 570 $ du gain en capital, dans un contexte où la série d'opérations comportant les dividendes totalise plus de 1,7 million de dollars, n'est pas une diminution sensible. Le critère de l'objet, exposé dans le paragraphe 55(2), n'était donc pas rempli.

lois et règlements cités

Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 3, 55(2),(3), (5)c), f), 112(1), 152(4).

Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 55(2) (édicté par S.C. 1980-81-82-83, ch. 48, art. 24).

jurisprudence citée

décision examinée:

943963 Ontario Inc. c. Canada, [1999] 4 C.T.C. 2119; (1999), 99 DTC 802 (C.C.I.).

décision citée:

Canada c. Nassau Walnut Investments Inc., [1997] 2 C.F. 279; [1998] 1 C.T.C. 33; (1996), 97 DTC 5051; 206 N.R. 386 (C.A.).

doctrine citée

Harms, Jake E. «Section 55: A Primer» dans Prairie Provinces Tax Conference Report 1992. Toronto: Association canadienne d'Études fiscales, 1992, 5:1.

Income Tax Act and Regulations, Department of Finance Technical Notes, 7th ed., compiled, edited and annotated by David M. Sherman. Toronto: Carswell, 1995.

Read, Robert J. L. «Section 55: A Review of Current Issues» dans Report of Proceedings of the Fortieth Tax Conference, 1988 Conference Report. Toronto: Association canadienne d'Études fiscales, 1989, 18:1.

Robertson, John R. «Capital Gains Strips: A Revenue Canada Perspective on the Provisions of Section 55» dans Report of Proceedings of the Thirty-Third Tax Conference, 1981 Conference Report. Toronto: Association canadienne d'Études fiscales, 1982, 81.

APPEL interjeté d'un jugement de la Cour de l'impôt ([2004] 2 C.T.C. 2149; 2004 DTC 2090; 2003 CCI 732) qui a accueilli un appel formé contre une nouvelle cotisation de 1994 imposant les dividendes reçus par l'intimée comme s'il s'agissait du produit de la disposition d'une immobilisation, et qui avait conclu que la nouvelle cotisation n'avait pas été établie en dehors du délai. Appel rejeté.

ont comparu:

Ernest Wheeler et Rosemary Fincham pour l'appelante.

E. Michael McMahon pour l'intimée.

avocats inscrits au dossier:

Le sous-procureur général du Canada pour l'appelante.

Michael McMahon Law Corporation, Vancouver, pour l'intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]La juge Sharlow, J.C.A.: Il s'agit d'un appel interjeté par la Couronne et d'un appel incident interjeté par VIH Logging Ltd. (VIH) à l'encontre du jugement de la Cour canadienne de l'impôt en date du 19 décembre 2003, qui faisait droit à un appel formé contre une nouvelle cotisation de 1994 établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1. Les motifs du jugement sont publiés sous l'intitulé VIH Logging Ltd. c. Canada, [2004] 2 C.T.C. 2149. La nouvelle cotisation, fondée sur le paragraphe 55(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, avait pour effet d'imposer des dividendes de 1 624 959 $ reçus par VIH comme s'ils constituaient le produit de la disposition d'un bien en immobilisation.

[2]VIH a présenté deux arguments parallèles devant la Cour de l'impôt. L'un d'eux était que le paragraphe 55(2) ne s'appliquait pas aux faits. Cet argument a été admis. La Couronne fait appel de l'admission de cet argument. L'autre argument était que la nouvelle cotisation avait été établie en dehors du délai fixé dans le paragraphe 152(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Cet argument n'a pas été admis. VIH fait appel du rejet de cet argument.

1. Les faits

[3]De 1991 jusqu'au 23 février 1993, M. Kenneth Norie était propriétaire de l'unique action émise de la société 401277 B.C. Ltd. J'appellerai cette société l'«ancienne VIH» parce que son nom antérieur est VIH Logging Ltd. Le prix de base rajusté de l'action de M. Norie dans l'ancienne VIH (c'est-à-dire son coût pour l'action tel qu'il est établi aux fins de l'impôt sur le revenu) était de 1 $. L'ancienne VIH exerçait des activités rentables d'exploitation forestière par hélicop-tère. À la fin de son exercice 1992, qui s'est terminé le 28 février 1992, elle avait des bénéfices non distribués d'environ 60 000 $.

[4]Durant la période allant du 1er mars 1992 au 23 février 1993, l'ancienne VIH a gagné un revenu d'environ 2,3 millions de dollars. Si l'ancienne VIH n'avait procédé à aucune opération avant la fin de son année d'imposition le 28 février 1993, elle aurait été assujettie à un impôt d'environ 900 000 $, et ses bénéfices non distribués après impôt auraient été d'environ 1,4 million de dollars. Selon une évaluation par expertise présentée au procès, évaluation que le juge a acceptée, la juste valeur marchande de l'action de l'ancienne VIH le 23 février 1993 était de 1 443 000 $.

[5]Trois opérations ont eu lieu le 23 février 1993. D'abord, le capital autorisé de l'ancienne VIH a été modifié par création de deux catégories d'actions privilégiées, afin de faciliter les opérations restantes. Puis VIH a été constituée sous la dénomination 441584 B.C. Ltd. Finalement, M. Norie a échangé son action de l'ancienne VIH pour les actions de VIH. Au soir du 23 février 1993, M. Norie était l'unique actionnaire de VIH, et VIH était l'unique actionnaire de l'ancienne VIH. Un choix prévu par la loi ultérieur a eu pour effet que M. Norie n'avait réalisé sur l'action aucun gain en capital imposable et que VIH héritait du prix de base rajusté de M. Norie pour l'action de l'ancienne VIH (1 $).

[6]Le 24 février 1993, l'ancienne VIH vendait à VIH tous les actifs formant l'entreprise d'exploitation forestière par hélicoptère, ne retenant qu'une somme suffisante pour acquitter sa dette fiscale estimative de l'époque. Le prix d'achat, 1 850 403 $, était la juste valeur marchande estimative de l'époque pour les actifs vendus, déduction faite du passif à l'exception de la dette fiscale estimative. La vente des actifs de l'entreprise a entraîné pour l'ancienne VIH un gain de 84 807 $, qui correspondait à un gain réalisé sur la vente des stocks. Il n'y avait aucun gain imposable résultant de la vente de l'achalandage de l'entreprise, parce que l'entreprise n'avait pas d'achalandage.

[7]Les 24 et 25 février 1993, l'ancienne VIH versait les dividendes suivants à VIH, conservant une somme suffisante pour acquitter sa dette fiscale estimative d'alors, soit 938 080 $:

24 février 1993 (dividende en espèces)     980 629 $

25 février 1993 (dividende en espèces)      416 800

Total des dividendes en espèces     1 397 429 $

25 février 1993 (dividende en actions)      366 079

Total des dividendes     1 763 508 $

[8]Le dividende en actions faisait passer de 1 $ à 366 080 $ le prix de base rajusté de l'action de l'ancienne VIH, mais ne modifiait pas la juste valeur marchande de l'action de l'ancienne VIH. La juste valeur marchande de l'action de l'ancienne VIH aurait été réduite comme suit avec le paiement de chacun des dividendes en espèces:

Juste valeur marchande au 23 février 1993     1 443 000 $

Dividende payé le 24 février 1993      980 629

     462 371 $

Dividende payé le 25 février 1993      416 800

Juste valeur marchande avant le dividende en actions      45 571 $

[9]Le 27 février 1993, l'ancienne VIH achetait des données sismiques pour la somme de 2 200 000 $. Le prix d'achat était payé au moyen d'un billet à ordre au montant de 938 080 $, auquel s'ajoutait l'émission d'une action privilégiée d'une valeur nominale de 1 $ et d'une valeur de rachat de 1 261 919 $ (indiquée sur le bilan de l'ancienne VIH en tant que surplus d'apport). L'acquisition des données sismiques donnait à l'ancienne VIH le droit à une déduction de 2 200 000 $ pour son année d'imposition 1993. Cela réduisait le revenu imposable de l'ancienne VIH pour cette année-là, et donc aussi sa dette fiscale pour cette année-là. Toutefois, comme la dette fiscale n'était que différée, le bilan de l'ancienne VIH continuait de faire apparaître une dette fiscale différée, estimée alors à 975 491 $.

[10]Le 2 mars 1994, VIH vendait pour la somme de 366 080 $ toutes les actions de l'ancienne VIH à Senergy, Inc., une société avec laquelle elle n'avait aucun lien de indépendance. VIH n'a pas réalisé de gain en capital sur cette vente, parce que le prix d'achat était égal au prix de base rajusté de ses actions (qui avait été augmenté de 366 079 $ par le dividende en actions du 25 février 1993).

[11]Les opérations susmentionnées, qui avaient débuté par la réorganisation du capital de l'ancienne VIH le 23 février 1993 et s'étaient terminées par la vente des actions de l'ancienne VIH à Senergy Inc. le 2 mars 1993, étaient censées différer la dette fiscale de l'ancienne VIH sur le revenu qu'elle avait gagné au 23 février 1993, et cela d'une manière qui conserverait entre les mains de M. Norie le contrôle des activités d'exploitation forestière par hélicoptère, sans que les opérations n'entraînent une autre dette fiscale pour M. Norie ou pour VIH.

[12]Lorsque la déclaration de revenus de VIH pour son exercice terminé le 31 janvier 1994 a été produite, les dividendes payés par l'ancienne VIH les 24 et 25 février 1993 étaient indiqués comme revenu, et une somme était déduite en vertu du paragraphe 112(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu. La déduction a été acceptée.

[13]La déclaration de revenus de 1994 de VIH a été suivie d'une cotisation le 14 novembre 1994. La période normale de nouvelle cotisation se terminait donc le vendredi 14 novembre 1997.

[14]Après enquête, le ministre a conclu que les dividendes totalisant 1 763 508 $ reçus par VIH durant son année d'imposition 1994 auraient dû être considérés comme des gains en capital présumés, en application du paragraphe 55(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Les redressements nécessaires pour effectuer ce changement sont reflétés dans un avis de nouvelle cotisation portant la date du 13 novembre 1997.

[15]L'avis de nouvelle cotisation n'a pas été envoyé par la poste à VIH. Il a plutôt été remis le jeudi 13 novembre 1997 à Dan Foss Couriers, qui avait pour consigne de le livrer le lendemain. Le juge a conclu que la livraison avait été tentée le vendredi 14 novembre 1997, peut-être deux fois, mais sans résultat.

[16]L'avis de nouvelle cotisation fut livré le mardi suivant, 18 novembre 1997. Il semble qu'il est demeuré sous la garde de Dan Foss Couriers depuis le jour où il avait été cueilli le jeudi 13 novembre 1997, jusqu'à sa livraison le mardi suivant. Il n'est pas établi que la Couronne ait tenté de récupérer l'envoi, encore que les modalités régissant le service de messageries eussent permis le renvoi à l'expéditeur.

2. Historique des procédures

[17]VIH a déposé un avis d'opposition, en consé-quence de quoi le ministre a conclu que le paragraphe 55(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu aurait dû être appliqué à 1 624 959 $ des dividendes, plutôt qu'à la somme intégrale de 1 763 508 $. Un avis de nouvelle cotisation apportant ce changement a été signifié à VIH le 13 juin 2001.

[18]VIH a fait appel de la nouvelle cotisation devant la Cour canadienne de l'impôt, contestant non seulement la justesse de l'application du paragraphe 55(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, mais faisant aussi valoir que la nouvelle cotisation n'avait pas été établie à l'intérieur du délai prescrit par la loi. Cet appel a conduit au jugement dont la Cour est aujourd'hui saisie.

3. Paragraphe 55(2)

A. La loi

[19]Les parties du paragraphe 55(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu qui intéressent particulièrement la présente affaire étaient ainsi formulées en 1994:

55. (2) Lorsqu'une société résidant au Canada a reçu [. . .] un dividende imposable à l'égard duquel elle a droit à une déduction en vertu du paragraphe 112(1) [. . .], comme partie d'une opération ou d'un événement ou d'une série d'opérations ou d'événements [. . .] dont l'un des objets [. . .] a été de diminuer sensiblement la partie du gain en capital qui, sans le dividende, aurait été réalisé lors d'une disposition d'une action du capital-actions à la juste valeur marchande, immédiatement avant le dividende et qu'il serait raisonnable de considérer comme étant attribuable à autre chose qu'un revenu gagné ou réalisé par une société après 1971 et avant l'opération ou l'événement ou le début de la série d'opérations ou d'événements visés à l'alinéa (3)a), malgré tout autre article de la présente loi, le montant du dividende [. . .]

a) est réputé ne pas être un dividende reçu par la société;

b) lorsqu'une société a disposé de l'action, est réputé être le produit de disposition de l'action [. . .]

[. . .]

(3) Le paragraphe (2) ne s'applique pas à un dividende reçu par une société:

a) sauf si ce dividende faisait partie d'une opération ou d'un événement ou d'une série d'opérations ou d'événements dont le résultat a été:

(i) une disposition de biens en faveur d'une personne avec qui cette société n'avait aucun lien de dépendance.

[. . .]

(5) Pour l'application du présent article:

[. . .]

c) le revenu gagné ou réalisé par une société pour une période tout au long de laquelle elle était une société privée est réputé être son revenu pour la période déterminé par ailleurs à supposer qu'aucun montant n'ait été déductible par la société en vertu de l'article 37.1 [. . .] ou de l'alinéa 20(1)gg) [. . .]

B. Examen

1) Questions ne prêtant pas à controverse qui concernent l'application du paragraphe 55(2)

[20]Le paragraphe 55(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, ch. 63] a été promulgué en 1980 [S.C. 1980-81-82-83, ch. 48, art. 24] afin de faire obstacle aux opérations appelées «dépouillements de gains en capital», destinées à éviter l'impôt sur les gains en capital tirés de la vente d'actions d'une société. L'élément commun à tous les dépouillements de gains en capital est un dividende inter-sociétés non imposable qui est versé sur les actions avant qu'elles soient vendues. Un dividende peut réduire un gain en capital en abaissant la juste valeur marchande des actions (et donc le produit de leur disposition, puisque l'on suppose que l'acheteur ne paiera pas plus que ce que valent les actions). Un dividende en actions peut aussi réduire un gain en capital en augmentant le prix de base rajusté des actions.

[21]Le paragraphe 55(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu ne s'applique pas à un dividende sauf si 1) la société qui a reçu le dividende était une société résidant au Canada, 2) la société bénéficiaire avait droit pour le dividende à une déduction en vertu du paragraphe 112(1), 3) le dividende a été reçu dans le cadre d'une série d'opérations qui ont entraîné une disposition de biens en faveur d'une personne qui n'avait aucun lien de dépendance avec le bénéficiaire du dividende, et 4) une vente de l'action à sa juste valeur marchande immédiatement avant le versement du dividende aurait entraîné un gain en capital.

[22]Il n'est pas contesté que toutes ces conditions étaient remplies. Plus précisément, VIH était une société résidant au Canada qui a reçu de l'ancienne VIH des dividendes à l'égard desquels elle avait droit à une déduction selon le paragraphe 112(1). Les dividendes ont été reçus dans le cadre d'une série d'opérations qui avaient débuté par la réorganisation du capital de l'ancienne VIH le 23 février 1993 et avaient pris fin avec la vente des actions de l'ancienne VIH à Senergy Inc., laquelle n'avait aucun lien de dépendance avec VIH.

[23]Les questions qui prêtent à controverse sont les suivantes: Les règles du «revenu protégé (ou sauf)», au paragraphe 55(2), empêchent-elles l'application du paragraphe 55(2) aux dividendes en espèces? Le critère de l'objet, exposé dans le paragraphe 55(2), est-il rempli en ce qui concerne le dividende en actions?

2) L'établissement du revenu protégé

[24]Le paragraphe 55(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu n'a pas pour objet de soumettre à l'impôt sur les gains en capital tous les dividendes payés sur des actions en prévision de leur vente. L'une des limites, exposée dans ses grandes lignes, est que le paragraphe 55(2) n'est pas destiné à empêcher le paiement de dividendes inter-sociétés non imposables sur les bénéfices réalisés par une société après 1971. La raison de cette limite est expliquée ainsi dans un document publié par le ministère des Finances parmi les documents budgétaires de 1979 se rapportant à la promulgation projetée du paragraphe 55(2) (document reproduit dans l'ouvrage de David M. Sherman, Income Tax Act and Regulations, Department of Finance Technical Notes, 7e édition, page 328):

[traduction] En règle générale, dans la plupart des ventes d'actions entre sociétés sans lien de dépendance--et, dans certains cas, avec lien de dépendance--un gain en capital doit apparaître au moins dans la mesure où le produit de la vente reflète la hausse non réalisée et non imposée, depuis 1971, de la valeur des actifs correspondants. Cette règle est généralement respectée quand les versements de dividendes non imposables sont limités aux bénéfices non distribués et imposés, postérieurs à 1971.

[25]Ces propos donnent à penser que le paragraphe 55(2) ne devrait pas s'appliquer à un dividende payé sur des «bénéfices non distribués et imposés, postérieurs à 1971». Toutefois, malgré le texte de l'explication du ministère des Finances, le paragraphe 55(2) ne parle pas directement de la source du dividende. Le paragraphe 55(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu requiert plutôt que soit déterminé d'une manière hypothétique le gain en capital qui aurait résulté d'une vente des actions à leur juste valeur marchande immédiatement avant le versement du dividende. Il faut alors analyser le gain en capital hypothétique pour déterminer sa source. S'il est attribuable à ce qu'il est convenu d'appeler le «revenu protégé» ou, pour employer les mots du paragraphe 55(2), au:

55. (2) [. . .] revenu gagné ou réalisé par une société après 1971 et avant l'opération ou l'événement ou le début de la série d'opérations ou d'événements [. . .]

le dividende est présumé avoir la même source économique et, en accord avec la politique fiscale à l'origine du paragraphe 55(2), il devrait être considéré comme un dividende inter-sociétés non imposable. Si le gain en capital hypothétique est attribuable à autre chose que le revenu protégé (il n'est pas nécessaire de dire quoi), alors le dividende est considéré comme un gain en capital.

[26]Il n'est pas contesté qu'ici la série d'opérations comprend les opérations qui ont eu lieu le 23 février 1993, à savoir le versement par l'ancienne VIH des deux dividendes en espèces et du dividende en actions, l'acquisition des données sismiques, enfin la vente des actions de l'ancienne VIH à Senergy Inc.

[27]Si, comme l'a dit le juge, le revenu protégé de l'ancienne VIH doit être déterminé pour la période se terminant le 23 février 1993, alors les deux dividendes en espèces ne tombent pas sous le coup du paragraphe 55(2). La raison de cela, c'est que, si l'action de l'ancienne VIH avait été vendue à sa juste valeur marchande de 1 443 000 $ le 23 février 1993, immédiatement avant le versement des dividendes en espèces, le gain en capital qui en aurait résulté, soit 1 442 999 $, aurait été attribuable entièrement au revenu protégé (c'est-à-dire le revenu tiré par l'ancienne VIH de ses activités d'exploitation forestière par hélicoptère jusqu'au 23 février 1993). Toutefois, on ne saurait en dire autant du dividende en actions, parce que, au 25 février 1993, date à laquelle ce dividende a été versé, le revenu gagné par l'ancienne VIH jusqu'au 23 février 1993 était presque entièrement épuisé par les dividendes en espèces.

[28]La Couronne fait valoir que le juge n'aurait pas dû inclure dans le revenu protégé de l'ancienne VIH les bénéfices de l'ancienne VIH pour la période allant du 1er mars 1992 au 23 février 1993 (j'appellerai cette période la «période tampon» parce qu'elle représente une partie incomplète de l'exercice 1993 de l'ancienne VIH, qui a pris fin le 28 février 1993). Si cet argument est valide et que le revenu gagné durant la période tampon est exclu du revenu protégé, alors les dividendes en espèces tomberont sous le coup du paragraphe 55(2). La raison de cela, c'est que le revenu protégé de l'ancienne VIH avant le 1er mars 1992 n'était que d'environ 60 000 $.

[29]La Couronne admet que cet argument ne s'accorde pas avec les lignes directrices relatives au revenu protégé, parfois appelées les «Règles de Robertson», rédigées par un fonctionnaire de Revenu Canada en 1981 et souvent consultées par les fiscalistes et les répartiteurs (John R. Robertson, «Capital Gains Strips: A Revenue Canada Perspective on the Provisions of Section 55» dans Report of Proceedings of the Thirty-Third Tax Conference, 1981 Conference Report (Toronto: Association canadienne d'Études fiscales, 1982), 81, étude expliquée davantage par Robert J. L. Read, dans «Section 55: A Review of Current Issues», dans Report of Proceedings of the Fortieth Tax Conference, 1988 Conference Report (Toronto: Association canadienne d'Études fiscales, 1989), 18:1). L'observation la plus intéressante sur les périodes tampons est celle de M. Read, qui écrivait, à la page 18:5:

[traduction] La période de détention d'une action d'une société aux fins du paragraphe 55(2) pourrait renfermer deux périodes tampons:

1) la période qui va de la date d'acquisition de l'action jusqu'à la première fin d'exercice de la société survenant après l'acquisition de l'action; et

2) la période qui va de la date de la dernière fin d'exercice postérieure à l'acquisition de l'action jusqu'à la date de l'opération ou de l'événement ou jusqu'à la date du début de la série d'opérations ou d'événements dont fait état l'alinéa 55(3)a).

Le calcul du revenu protégé disponible d'une société durant la période de détention comprendrait le revenu protégé découlant de ces périodes tampons [. . .]

[30]La Couronne fait valoir que, bien que les Règles de Robertson favorisent l'existence d'une période tampon se terminant immédiatement avant la série d'opérations qui comprend le dividende, cela ne s'accorde pas avec le texte de la loi et représente simplement un exemple de «redressement administratif» qui n'est pas contraignant. Au soutien de cet argument, la Couronne invoque un article de Jake E. Harms, qui donne à penser qu'il est sans doute techniquement incorrect de reconnaître une telle période tampon (voir «Section 55: A Primer» dans Prairie Provinces Tax Conference Report 1992 (Toronto: Association canadienne d'Études fiscales, 1992), 5:1, sous la rubrique «périodes de détention»), et les propos suivants tenus par le juge Rip, J.C.I. dans la décision 943963 Ontario Inc. c. Canada, [1999] 4 C.T.C. 2119 (C.C.I.), au paragraphe 33 [[1999] A.C.I. no 334 (QL)]:

Un revenu sauf est un «revenu pour l'année» d'une corporation (après 1971) déterminé selon les règles de l'article 3 de la Loi.

[31]Si je comprends bien l'argument de la Couronne, il ne peut y avoir aucun «revenu pour l'année» pour une période tampon parce que le «revenu pour l'année» doit être calculé selon l'article 3 de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui prévoit que le revenu doit toujours être déterminé pour une année d'imposition tout entière, non pour partie d'une année d'imposition. Cet argument présente une difficulté: l'expression «revenu pour l'année» n'est pas employée dans le paragraphe 55(2). Une autre difficulté est que l'argument semble accorder au commentaire du juge Rip une portée qu'il n'a pas. Je ne vois pas dans son commentaire une tentative d'introduire de quelque manière les mots «revenu pour l'année» dans le paragraphe 55(2) au point d'exclure la possibilité qu'un revenu protégé puisse englober un revenu pour une période tampon. Le juge Rip ne s'exprimait même pas sur un débat concernant une période tampon. (Il appert d'ailleurs de l'exposé des faits, dans l'affaire 943963 Ontario Inc., que le revenu sauf avait été calculé sur la base d'une période tampon; cet aspect de la détermination du revenu sauf n'était pas contesté.)

[32]La Couronne fait valoir que l'interprétation qu'elle préconise est appuyée par l'alinéa 55(5)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui est l'une des nombreuses règles spécifiques applicables au calcul du revenu protégé (dont aucune n'est applicable aux circonstances de la présente affaire). Par commodité, je reproduis ici l'alinéa 55(5)c):

55. (5) [. . .]

c) le revenu gagné ou réalisé par une société pour une période tout au long de laquelle elle était une société privée est réputé être son revenu pour la période déterminé par ailleurs à supposer qu'aucun montant n'ait été déductible par la société en vertu de l'article 37.1 [. . .] ou de l'alinéa 20(1)gg) [. . .].

[33]Cependant, cette disposition requiert simplement que le calcul du revenu protégé d'une société privée, pour la période qui est dictée par le paragraphe 55(2), doit être conforme au calcul du revenu selon la Loi de l'impôt sur le revenu, d'une manière qui ne tienne pas compte de deux déductions prévues par la loi. L'alinéa 55(5)c) ne dit rien sur la manière de déterminer ce qu'est la période, ni à quel moment elle se termine.

[34]Le juge a rejeté l'argument de la Couronne parce qu'une interprétation du paragraphe 55(2) qui permet l'inclusion du revenu d'une période tampon dans le revenu protégé est non seulement conforme au texte du paragraphe 55(2), mais est également plus conforme à l'objet du paragraphe 55(2) que ne l'est l'interprétation de la Couronne. Je partage l'avis du juge.

[35]L'argument principal de la Couronne est qu'un revenu protégé n'est censé comprendre que le revenu sur lequel l'impôt a effectivement été payé. L'unique preuve avancée pour l'existence de cet objet supposé du paragraphe 55(2) est l'explication de 1979 du ministère des Finances, citée plus haut, que je reproduis ici (non souligné dans l'original):

En règle générale, dans la plupart des ventes d'actions entre sociétés sans lien de dépendance--et, dans certains cas, avec lien de dépendance--un gain en capital doit apparaître au moins dans la mesure où le produit de la vente reflète la hausse non réalisée et non imposée, depuis 1971, de la valeur des actifs correspondants. Cette règle est généralement respectée quand les versements de dividendes non imposables sont limités aux bénéfices non distribués et imposés, postérieurs à 1971.

[36]En dépit de ce que disait le ministère des Finances en 1979, le paragraphe 55(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, tel qu'il a été finalement promulgué, ne demande pas si l'impôt a effectivement été payé sur le revenu postérieur à 1971. Cela n'est pas surprenant. Au contraire, cela est conforme à l'économie de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui autorise les dividendes inter-sociétés non imposables, qu'ils soient payés ou non sur un revenu à l'égard duquel l'impôt a effectivement été payé.

[37]La plupart des dividendes inter-sociétés sont non imposables» en ce sens que, bien qu'ils doivent être inclus dans le revenu de la société qui les reçoit, ils ne sont pas déductibles du revenu de la société qui les paie. La société bénéficiaire a droit à une déduction pour compenser l'inclusion du revenu de sorte qu'en réalité le revenu sous-jacent n'est pas imposé, sauf dans les mains de la société qui le gagne.

[38]Cependant, la possibilité pour la société bénéficiaire de se prévaloir d'une déduction correspon-dant au dividende ne dépend pas du paiement de fait d'un impôt par la société qui a versé le dividende. S'il en est ainsi, c'est peut-être qu'il existe de nombreuses raisons légitimes pour lesquelles une société peut avoir la capacité de verser un dividende sur ses bénéfices actuels, sans avoir aucune dette fiscale à la fin de son exercice. Cela pourrait se produire par exemple si la société subit, après avoir versé le dividende, des pertes d'entreprise imprévues. Cela pourrait aussi arriver si la société a le droit de tirer parti de certains stimulants prévus dans la Loi de l'impôt sur le revenu, comme ce fut le cas lorsque l'ancienne VIH a fait l'acquisition de données sismiques, qui lui ont donné droit à une déduction dont l'effet fut de différer sa dette fiscale de 1993. J'arrive à la conclusion que l'argument principal de la Couronne repose sur un postulat erroné. Il n'est tout simplement pas vrai que le paragraphe 55(2) vise à faire en sorte que les dividendes inter-sociétés non imposables soient limités aux bénéfices postérieurs à 1971 sur lesquels l'impôt a effectivement été payé.

[39]La Couronne affirme aussi que l'interprétation adoptée par le juge requiert l'ajout de mots au texte de loi. Je ne partage pas cet avis. Selon moi, l'inclusion du revenu de la période tampon dans le calcul du revenu protégé s'accorde avec le texte du paragraphe 55(2). La question posée par le paragraphe 55(2) est la suivante: quel revenu la société a-t-elle gagné ou réalisé après 1971 et avant le début de la série d'opérations qui comprenait le dividende? Il faut se poser cette question afin de déterminer, d'une manière hypothétique, la source de tout gain en capital qui aurait eu lieu si l'action avait été vendue à sa juste valeur marchande avant le versement du dividende. Le mot «avant» signifie «plus tôt dans le temps». S'agissant de la question posée, ce n'est pas faire violence au texte du paragraphe 55(2) que d'interpréter les mots «avant [. . . ] le début de la série d'opérations» comme signifiant «immédiatement avant le début de la série d'opérations», plutôt que «à la fin de l'exercice se terminant avant le début de la série d'opérations», comme le voudrait la Couronne.

[40]Finalement, la Couronne propose une interprétation subsidiaire, qui réduirait le revenu protégé d'une somme égale ou presque égale à la déduction de 2,2 millions de dollars résultant de l'acquisition de données sismiques en date du 27 février 1993. L'interprétation subsidiaire de la Couronne trouverait appui dans les Règles de Robertson. Encore une fois, il convient de citer l'article de M. Read, aux pages 18:5 et 18:6 (non souligné dans l'original):

[traduction] Le calcul du revenu protégé disponible d'une société durant la période de détention comprendrait le revenu protégé résultant de ces périodes tampons [. . .] Le calcul devrait être raisonnable eu égard aux circonstances et être effectué d'une manière qui s'accorde avec les méthodes de calcul employées dans d'autres périodes comprises dans la période de détention. S'il est raisonnable de penser qu'une partie ou la totalité du revenu gagné ou réalisé au cours d'une période tampon sera annulée par des pertes essuyées durant le reste de l'exercice, alors le calcul du revenu protégé disponible pour la période tampon devrait refléter les pertes anticipées, puisque ce revenu ne pourrait pas raisonnablement être considéré comme un revenu reflété dans le gain inhérent aux actions. Il pourrait être utile de prendre en compte les cycles économiques. L'attribution du revenu au prorata du nombre de jours de la période tampon est souvent, mais pas toujours, une bonne méthode de calcul.

[41]À mon avis, la Couronne se méprend sur le sens de cet extrait. M. Read parle à l'évidence d'une situation où des circonstances existent, avant le début de la série d'opérations, qui sont susceptibles d'entraîner une perte à l'intérieur du même exercice, mais pas avant que ne débute la série d'opérations. Cela ne signifie pas que le revenu protégé doit être abaissé au moyen d'une déduction qui ne se présentera que dans le cadre de la série d'opérations qui comprend le dividende, comme ici l'acquisition des données sismiques.

[42]Il convient de rappeler que le paragraphe 55(2) requiert que soit déterminée la source du gain en capital hypothétique qui aurait eu lieu si l'action avait été vendue avant le paiement du dividende et avant le début de la série d'opérations. Il est évident que le revenu gagné ou réalisé dans le cadre de la série d'opérations, et qui n'existerait pas sans la série d'opérations, doit être exclu du revenu protégé. Par le même raisonnement, les pertes ou déductions découlant de la série d'opérations doivent elles aussi être exclues du calcul du revenu protégé.

[43]Je suis donc d'avis que le juge a eu raison de dire que la période pour laquelle le revenu protégé doit être déterminé se termine immédiatement avant le début de la série d'opérations qui comprend le versement du dividende. Comme je l'expliquais aussi au paragraphe 27, il s'ensuit que les deux dividendes en espèces ne tombent pas sous le coup du paragraphe 55(2). Toutefois, le dividende en actions relèverait du paragraphe 55(2) si le critère de l'objet était rempli à l'égard du dividende en actions. C'est l'aspect que j'examinerai maintenant.

3) Le critère de l'objet

[44]Le paragraphe 55(2) s'appliquerait à un dividende en actions si l'un des objets du dividende était de «diminuer sensiblement» le gain en capital qui aurait résulté d'une vente de l'action de l'ancienne VIH à sa juste valeur marchande immédiatement avant le paiement du dividende en actions. Le juge a estimé que le critère de l'objet n'était pas rempli pour le dividende en actions et donc que le dividende ne tombait pas sous le coup du paragraphe 55(2).

[45]Le prix de base rajusté de l'action de l'ancienne VIH avant le 23 février 1993 était de 1 $. La juste valeur marchande de l'action de l'ancienne VIH le 23 février 1993, avant le paiement du premier dividende, était de 1 443 000 $. Les dividendes en espèces payés les 24 et 25 février 1993 ont réduit proportionnellement cette juste valeur marchande. Le gain en capital qui aurait été réalisé dans une vente de l'action de l'ancienne VIH à sa juste valeur marchande immédiatement avant chaque dividende est donc déterminé comme l'indique le tableau suivant:

Dividend

$980,629

$416,800

$366,079

Fair market value

the share of Old VIH

immediately before the dividend

    $1,443,000

$1,443,000 - $980,629 =    $462,371

$ 462,371 - $416,800 =    $45,571

Capital gain on a sale of

the share of Old VIH

at fair market value

immediately before the dividend

$1,443,000 - $1 =     $1,442,999

$ 462,371 - $1 =     $462,370

$ 45,571 - $1 =     $45,570

         Dividende

980 629 $

416 800 $

366 079 $

Juste valeur marchande

de l'action de l'ancienne VIH

immédiatement avant le dividende

    1 443 000 $

1 443 000 $ - 980 629 $ =    462 371 $

462 371 $ - 416 800 $ =     45 571 $

Gain en capital à la vente de

l'action de l'ancienne VIH

à sa juste valeur marchande

immédiatement avant le dividende

1 443 000 $ - $ 1 =     1 442 999 $

462 371 $ - $ 1 =     462 370 $

45 571 $ - $ 1 =     45 570 $

[46]Le résultat du dividende en actions de 366 079 $ a été de faire passer de 1 $ à 366 080 $ le prix de base rajusté de l'action de l'ancienne VIH. Lorsque l'ancienne VIH a vendu les actions à Senergy Inc. pour 366 080 $, il n'y a pas eu de gain en capital. Si les actions avaient été vendues à leur juste valeur marchande immédiatement avant le dividende en actions, il y aurait eu un gain en capital de 45 570 $. Le dividende en actions a donc entraîné une diminution de 45 570 $ du gain en capital qui aurait résulté de la vente des actions de l'ancienne VIH à leur juste valeur marchande immédiatement avant le dividende en actions. La Couronne fait valoir qu'une diminution de 100 p. 100 du gain en capital est une diminution importante et que l'objet du dividende en actions était d'effectuer cette diminution.

[47]Il n'a pas été avancé, et le juge n'a pas dit non plus, que le critère de l'objet n'était pas rempli à l'égard du dividende en actions parce que la diminution du gain en capital était accidentelle ou imprévue, plutôt qu'intentionnelle. La preuve indique le contraire. Après lecture des motifs du juge (en particulier la note 17, au paragraphe 65), je crois plutôt que, selon lui, le dividende en actions avait réduit le gain en capital hypothétique d'une somme qui, compte tenu des circonstances de cette affaire, était si modeste qu'elle ne pouvait être qualifiée d'importante.

[48]L'avocat de VIH n'a pas contesté la conclusion du juge sur l'objet du dividende en actions, mais a indiqué que VIH pourrait faire une «désignation» selon l'alinéa 55(5)f) de la Loi de l'impôt sur le revenu, désignation dont l'effet serait de limiter l'application du paragraphe 55(2) à 45 570 $ du dividende en actions. La Couronne a admis en première instance qu'une telle désignation serait possible (voir le jugement de la Cour de l'impôt, note 17, et l'arrêtCanada c. Nassau Walnut Investments Inc., [1997] 2 C.F. 279 (C.A.)). Ainsi, même si l'appel de la Couronne est accueilli sur ce point, le résultat sera une nouvelle cotisation soumettant à l'impôt un gain en capital de 45 570 $, à supposer qu'une désignation soit faite.

[49]La question de savoir si un dividende entraîne une diminution «sensible» d'un gain en capital doit être résolue d'une manière contextuelle, qui prenne en compte tous les faits et circonstances utiles. La diminution ici était d'environ 45 000 $, dans le contexte d'une série d'opérations qui faisaient intervenir des dividendes totalisant plus de 1,7 million de dollars. À mon avis, il était loisible au juge, compte tenu des circonstances de cette affaire, de dire que la diminution de 45 000 $ du gain en capital n'était pas «sensible». Il s'ensuit que le juge a eu raison de dire que le critère de l'objet, exposé dans le paragraphe 55(2), n'était pas rempli pour le dividende en actions.

4. Dispositif

[50]Pour ces motifs, je suis d'avis de rejeter l'appel. Puisque le résultat est l'annulation de la nouvelle cotisation, je suis également d'avis de rejeter l'appel incident, sans exprimer d'avis sur la justesse de la conclusion du juge, pour qui la nouvelle cotisation avait été délivrée à l'intérieur du délai prescrit par la loi. Les dépens devraient être accordés à l'intimée.

Le juge Linden, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

Le juge Létourneau, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

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