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[2018] 2 R.C.F. 573

A-468-15

2017 CAF 79

Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (appelante)

c.

Emerson Milling Inc. et Office des transports du Canada (intimés)

Répertorié : Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Emerson Milling Inc.

Cour d’appel fédérale, juges Gauthier, Stratas et Gleason, J.C.A.—Vancouver, 19 septembre 2016; Ottawa, 18 avril 2017.

Transport –– Appel de la décision de l’Office des transports du Canada de donner raison à l’intimée, Emerson Milling Inc. (intimée), en ordonnant à l’appelante de fournir à l’intimée les wagons que celle-ci avait demandés et dont elle avait encore besoin pour répondre aux besoins de ses clients –– L’intimée commandait des wagons à l’appelante pour le transport des récoltes –– En 2013–2014, il y a toutefois eu un différend, car l’appelante n’a pas livré tous les wagons demandés –– L’intimée a déposé une plainte auprès de l’Office des transports du Canada, alléguant que l’appelante n’avait pas reçu, transporté et livré « les marchandises à transporter » et avait de ce fait enfreint l’art. 113(1) de la Loi sur les transports au Canada –– Il s’agissait de savoir si l’appel soulevait une question de droit ou une question de compétence au sens de l’art. 41(1) de la Loi; et si la décision de l’Office dans la présente affaire était raisonnable –– La « question de droit » et la « question de compétence » au sens de l’art. 41(1) de la Loi ont été examinées et interprétées –– Les deux moyens d’appel de l’appelante ont été examinés pour déterminer si l’art. 41(1) de la Loi s’appliquait dans la présente affaire pour restreindre l’appel –– Les deux moyens d’appel soulevaient une question d’interprétation des lois susceptible d’appel au titre de l’art. 41(1) de la Loi –– En ce qui concerne le caractère raisonnable de la décision de l’Office, l’existence d’une jurisprudence obligatoire concernant l’art. 113(1) de la Loi a été examinée –– L’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Patchett & Sons Ltd. c. Pacific Great Eastern Railway Co. devait être suivi dans la présente affaire; il enseigne que, lorsqu’il interprète et applique l’art. 113(1) de la Loi, l’Office doit rechercher si, à la lumière des faits révélés par le dossier, la conduite des parties a été raisonnable –– Dans la présente affaire, la nature de la décision de l’Office et la nature de la Loi ont été examinées –– L’Office a appliqué le critère de l’« approche d’évaluation », et ce critère était raisonnable –– L’Office s’est appuyé sur son expérience de la réglementation, sur sa connaissance de l’industrie et sur ses connaissances générales du secteur du transport pour rechercher si l’intimée avait prouvé que sa demande de services était raisonnable –– L’Office a conclu que l’intimée avait produit des preuves suffisantes pour établir que sa demande de services était raisonnable et légitime –– En ce qui concerne les commandes de wagons non satisfaites, l’appelante pouvait justifier un certain retard dans la livraison de wagons, mais elle ne pouvait pas justifier le retard d’une durée indéterminée dans son service –– Dans la présente affaire, l’Office est arrivé à des conclusions factuelles fondées sur la preuve et sur une lecture de l’art. 113(1) de la Loi qui était compatible avec une interprétation acceptable de la disposition et avec la jurisprudence Patchett de la Cour suprême –– Appel rejeté.

Il s’agissait d’un appel d’une décision de l’Office des transports du Canada de donner raison à l’intimée, Emerson Milling Inc. (intimée), en ordonnant à l’appelante de fournir à l’intimée les wagons que celle-ci avait demandés et dont elle avait encore besoin pour répondre aux besoins de ses clients. Comme les années précédentes, l’intimée avait commandé des wagons à l’appelante pour transporter les récoltes après leur livraison à ses installations. Pour s’occuper des récoltes qui lui sont livrées, l’intimée commande normalement des wagons à l’appelante, et tout se déroule sans encombre. Il y a toutefois eu un différend en 2013–2014, car l’appelante n’a pas livré tous les wagons demandés.

L’intimée a déposé une plainte auprès de l’Office des transports du Canada, alléguant que l’appelante n’avait pas reçu, transporté et livré « les marchandises à transporter » et avait de ce fait enfreint le paragraphe 113(1) de la Loi sur les transports au Canada, qui impose certaines obligations à la compagnie de chemin de fer lorsque des « marchandises à transporter », au sens de ce paragraphe, lui sont remises. L’appelante a fait valoir que les commandes de wagons passées par l’intimée étaient déraisonnables et que, dans ces conditions, l’appelante avait agi aussi raisonnablement qu’elle avait pu eu égard à la situation difficile.

À titre d’argument préliminaire en appel, l’intimée a fait valoir que le paragraphe 41(1) faisait obstacle, en totalité ou en partie, à l’appel de l’appelante parce que l’appel de l’appelante ne soulevait aucune question de droit ou de compétence. Aux termes du paragraphe 41(1) de la Loi, tout acte — décision, arrêté, règle ou règlement — de l’Office est susceptible d’appel devant la Cour d’appel fédérale sur une question de droit ou de compétence avec l’autorisation de la Cour.

Les questions en litige étaient celles de savoir si l’appel soulevait une question de droit ou une question de compétence au sens du paragraphe 41(1) de la Loi et de savoir si la décision de l’Office dans cette affaire était raisonnable.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

La « question de droit » et la « question de compétence » au sens du paragraphe 41(1) de la Loi ont été examinées et interprétées. Pour déterminer si le paragraphe 41(1) de la Loi s’appliquait dans la présente affaire pour restreindre ou éliminer l’appel de l’appelante, il fallait définir l’objet de l’appel. L’avis d’appel de l’appelante dans lequel elle a allégué que l’Office avait commis deux erreurs a été examiné. Elle a allégué dans le premier moyen d’appel que l’Office avait appliqué un critère préliminaire et un fardeau de preuve erronés, de sorte qu’il avait en fait automatiquement assimilé à des « marchandises à transporter » visées par le paragraphe 113(1) de la Loi une commande de wagons passée par un expéditeur. Il s’agissait d’une question d’interprétation des lois et d’une question de droit qui pouvait faire l’objet d’un appel en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi. Elle a allégué dans le deuxième moyen d’appel que l’Office avait appliqué un critère juridique erroné pour rechercher si l’appelante avait manqué à ses obligations en matière de service, et cela en considérant les commandes de wagons non satisfaites au cours d’une semaine donnée comme des « marchandises à transporter » accumulées, visées par le paragraphe 113(1) de la Loi, pour les semaines, mois et années à venir. Ce deuxième moyen d’appel aussi soulevait une question d’interprétation des lois — l’Office et l’appelante avaient des opinions différentes sur la manière dont le paragraphe 113(1) devait être interprété — et soulevait une question de droit isolable susceptible d’appel au titre du paragraphe 41(1) de la Loi.

Aux fins de se prononcer sur le caractère raisonnable de la décision de l’Office, la Cour a examiné un important facteur, soit l’existence d’une jurisprudence obligatoire concernant le paragraphe 113(1) de la Loi. En l’espèce, la jurisprudence qui devait être suivie était un arrêt de la Cour suprême qui remontait à plusieurs décennies (Patchett & Sons Ltd. c. Pacific Great Eastern Railway Co.). Cet arrêt enseigne que, lorsqu’il interprète et applique le paragraphe 113(1), l’Office doit rechercher si, à la lumière des faits révélés par le dossier, la conduite des parties a été raisonnable. La nature de la décision de l’Office et la nature de la Loi ont aussi été examinées. Dans la présente affaire, l’Office a appliqué un critère que l’on appelle l’« approche d’évaluation », selon laquelle il a posé trois questions, notamment celles de savoir si la demande de services de l’expéditeur était raisonnable, si la compagnie de chemin de fer avait répondu à cette demande et, dans la négative, s’il y avait des raisons qui pourraient justifier le manquement à une obligation de services. Dans la présente affaire, l’approche d’évaluation de l’Office était raisonnable. Elle propose un critère pratique et utilisable qui rend compte à la fois de l’essence du paragraphe 113(1) de la Loi et d’une bonne partie des détails qu’il renferme, et traduit adéquatement l’enseignement de la Cour suprême professé à l’occasion de l’affaire Patchett, à savoir que « [s]ous tous leurs aspects, les engagements pris par le transporteur ne l’obligent que dans la mesure du raisonnable ».

L’appelante a attaqué la manière dont l’Office a discuté la première question dans le cadre de l’approche d’évaluation, soutenant que l’Office faisait trop confiance à l’intimée au sujet de son besoin de wagons. Pour rechercher si l’intimée avait prouvé que sa demande de services était raisonnable, l’Office s’est appuyé sur son expérience de la réglementation, sur sa connaissance de l’industrie, sur sa compréhension de la manière dont les transactions entre les expéditeurs et leurs clients sont conclues et documentées, et enfin, sur ses connaissances générales du secteur du transport. L’Office a conclu que l’intimée avait produit des preuves suffisantes pour établir que sa demande de services était raisonnable et légitime, ce qui a fait naître les obligations de l’appelante en vertu du paragraphe 113(1) de la Loi. L’argument de l’appelante à cet égard a donc été rejeté.

En ce qui concerne l’argument de l’appelante selon lequel l’Office a tiré une conclusion déraisonnable, notamment en considérant les commandes de wagons non satisfaites comme des « marchandises à transporter » accumulées par la suite, visées par le paragraphe 113(1) de la Loi, l’Office a étudié le service fourni par l’appelante durant toute la période visée par la plainte et a conclu que la proportion de wagons acheminés avec feuille de route par rapport aux wagons commandés avait diminué au fil du temps. L’appelante pouvait justifier un certain retard dans la livraison de wagons, mais elle ne pouvait pas justifier le retard d’une durée indéterminée dans son service pour ce qui s’était révélé être 40 p. 100 des marchandises de l’intimée. L’Office a donc conclu que l’appelante avait manqué à ses obligations en matière de niveau de services envers l’intimée au cours de la période visée par la plainte.

L’approche retenue par l’Office concernant le paragraphe 113(1) consistait à considérer la situation dans son ensemble, en prêtant attention à toutes les circonstances de l’affaire, et à examiner globalement si l’appelante avait rempli ses obligations selon la Loi au cours d’une certaine période. L’Office est arrivé à des conclusions factuelles fondées sur la preuve et sur une lecture du paragraphe 113(1) de la Loi qui était compatible avec une interprétation acceptable de la disposition et avec la jurisprudence Patchett de la Cour suprême.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], préambule.

Loi national sur les transports, S.C. 1966-67, ch. 69.

Loi national sur les transports, S.R.C. 1970, ch. N-17, art. 64(2) (mod. par S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10, ann. II, no 32).

Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10, art. 5, 24, 31, 41(1), 40, 43, 113–116.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Patchett & Sons Ltd. v. Pacific Great Eastern Railway Co., [1959] R.C.S. 271.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Dreyfus, 2016 CAF 232; Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121; Colombie-Britannique (Procureur général) c. Christie, 2007 CSC 21, [2007] 1 R.C.S. 873; Renvoi : Droits linguistique au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721; Colombie-Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2005 CSC 49, [2005] 2 R.C.S. 473; S.C.F.P. c. Société des Alcools du N.-B., [1979] 2 R.C.S. 227; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Office des transports), 2010 CAF 65, [2011] 3 R.C.F. 264; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Office des transports), 2008 CAF 363; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Richardson International Limited, 2015 CAF 180; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Viterra Inc., 2017 CAF 6; Northwest Airlines Inc. c. Canada (Office des transports), 2004 CAF 238; Canada (Compagnie des chemins de fer nationaux) c. Canada (Office des transports), 2016 CAF 266; JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895; Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Wilson c. Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29, [2016] 1 R.C.S. 770; Louis Dreyfrus Commodities Canada Ltd. c. CN – demande relative au niveau de services, Lettre-décision no 2014-10-3 (O.T.C.).

DÉCISIONS CITÉES :

Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. BNSF Railway Company, 2016 CAF 284; National Indian Brotherhood c. Juneau (No 2), [1971] C.F. 73 (C.A.); Pfizer Canada Inc. c. Teva Canada Limitée, 2016 CAF 218; Provincial Secretary of Prince Edward Island v. Egan, [1941] R.C.S. 396; Green v. Rutherforth (1750), 27 E.R. 1144, 1 Ves. Sen. 462; Penn v. Lord Baltimore (1750), 27 E.R. 1132, 1 Ves. Sen. 444; Attorney General v. Lord Hotham (1827), 38 E.R. 631, 3 Russ. 415; Thompson v. Sheil (1840), 3 Ir. Eq. R. 135; Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution, [1981] 1 R.C.S. 753; Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217; Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provincial de l’Île-du-Prince-Édouard; Renvoi relatif à l’Indépendance et à l’Impartialité des juges de la Cour provinciale et de l’Île-du-prince-Édouard, [1997] 3 R.C.S. 3; Crevier c. A.G. (Québec) et autres, [1981] 2 R.C.S. 220; Immeubles Port Louis Ltée c. Lafontaine (Village), [1991] 1 R.C.S. 326; Thorson c. Procureur général du Canada, [1975] 1 R.C.S. 138; Canada (Procureur général) c. Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, 2012 CSC 45, [2012] 2 R.C.S. 524; Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236; Paradis Honey Ltd. c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 89, [2016] 1 R.C.F. 446; Canada (Procureur général) c. Bri-Chem Supply Ltd., 2016 CAF 257, [2017] 3 R.C.F. 123; Canada (Procureur général) c. Slansky, 2013 CAF 199, [2015] 1 R.C.F. 81; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Procureur général), 2014 CSC 40, [2014] 2 R.C.S. 135; CKLN Radio Incorporated c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 135; Rogers Cable Communications Inc. c. Nouveau-Brunswick (Transports), 2007 CAF 168; Chrysler Canada Ltd. c. Canada (Tribunal de la concurrence), [1992] 2 R.C.S. 394; Tranchemontagne c. Ontario (Directeur du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées), 2006 CSC 14, [2006] 1 R.C.S. 513; Halifax (Regional Municipality) c. Nouvelle-Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, [2012] 1 R.C.S. 364; C.B. Powell Limited c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 61, [2011] 2 R.C.F. 332; In re Ontario Labour Relations Board, [1953] 2 R.C.S. 18; Nanaimo (Ville) c. Rascal Trucking Ltd., 2000 CSC 13, [2000] 1 R.C.S. 342; Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Office des transports), 2003 CAF 271, [2003] 4 C.F. 558; Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87; Monsanto Canada Inc. c. Ontario (Surintendant des services financiers), 2004 CSC 54, [2004] 3 R.C.S. 152; Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, [2016] 2 R.C.S. 293; Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117; Canada (Procureur général) c. Boogaard, 2015 CAF 150; Doré c. Barreau du Québec, 2012 CSC 12, [2012] 1 R.C.S. 395; Canada (Ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités) c. Farwaha, 2014 CAF 56, [2015] 2 R.C.F. 1006; Mills v. Ontario (Workplace Safety and Insurance Appeals Tribunal), 2008 ONCA 436, 237 O.A.C. 71; Canada (Procureur général) c. Commission canadienne des droits de la personne, 2013 CAF 75; Canada (Procureur général) c. Abraham, 2012 CAF 266; National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324; Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc., 2007 CSC 15, [2007] 1 R.C.S. 650.

DOCTRINE CITÉE

Daly, Paul. « Struggling Towards Coherence in Canadian Administrative Law? Recent Cases on Standard of Review and Reasonableness » (2016), 2 McGill L.J. 527.

APPEL d’une décision de l’Office des transports du Canada (EMI c. CN – demande relative au niveau de services, lettre-décision no 2015-07-10 (OTC)) de donner raison à l’intimée, Emerson Milling Inc., en ordonnant à l’appelante de fournir à l’intimée les wagons que celle-ci avait demandés et dont elle avait encore besoin pour répondre aux besoins de ses clients. Appel rejeté.

ONT COMPARU

Douglas C. Hodson, c.r., et Ryan Lepage pour l’appelante.

Forrest C. Hume, P. John Landry et Monique Evans pour l’intimée Emerson Milling Inc.

John Dodsworth pour l’intimé l’Office des transports du Canada.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

MacPherson Leslie & Tyerman LLP, Saskatoon, pour l’appelante.

DLA Piper (Canada) LLP, Vancouver, pour l’intimée Emerson Milling Inc.

Office des transports du Canada, Gatineau, pour l’intimé Office des transports du Canada.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Stratas, J.C.A. : Les producteurs livrent leurs récoltes aux installations de sociétés telles qu’Emerson Milling Inc., qui doivent quant à elles commander des wagons à la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada [CN] pour le transport subséquent de ces récoltes. Quand Emerson a des « marchandises à transporter », le CN fournit les wagons, puis « reçoit, transporte et livre ces marchandises sans délai et avec le soin et la diligence voulus » (paragraphe 113(1) de la Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10 [la Loi]). Tout se déroule normalement sans encombre : les wagons sont commandés, les wagons arrivent, les récoltes sont chargées dans les wagons et le CN les transporte.

[2]        Il y a toutefois eu un différend en 2013–2014. Comme à l’habitude, les producteurs ont livré leurs récoltes à l’installation d’Emerson et, comme les années précédentes, Emerson avait commandé périodiquement des wagons au CN pour leur transport. Le CN n’a toutefois pas livré tous les wagons demandés. La campagne agricole 2013–2014 avait été exceptionnelle. De plus, l’hiver de 2014 avait été extrêmement froid, ce qui avait entravé certaines des activités du CN.

[3]        Comme elle était en droit de le faire aux termes de la Loi, la société Emerson a déposé une plainte auprès de l’Office des transports du Canada. Elle alléguait que le CN n’avait pas reçu, transporté et livré « les marchandises à transporter » et avait de ce fait enfreint le paragraphe 113(1) de la Loi. Le CN a répondu que les commandes de wagons passées par Emerson étaient déraisonnables et que, dans ces conditions, le CN avait agi aussi raisonnablement qu’il avait pu eu égard à la situation difficile.

[4]        Dans une décision datée du 10 juillet 2015 [EMI c. CN – demande relative au niveau de services, lettre-décision no 2015-07-10 (décision de l’Office)] (affaire no 14-06408), l’Office a donné raison à Emerson. Il a ordonné au CN de fournir à Emerson les wagons que celle-ci avait demandés et dont elle avait encore besoin pour répondre aux besoins de ses clients.

[5]        Avec l’autorisation de la Cour, le CN interjette appel de la décision de l’Office. Pour les motifs exposés ci-après, je rejetterais l’appel avec dépens.

A.        Question préliminaire : l’exigence du paragraphe 41(1) de la Loi selon laquelle il doit y avoir une « question de droit » ou une « question de compétence »

[6]        Selon Emerson, le paragraphe 41(1) fait obstacle, en totalité ou en partie, à l’appel du CN parce que l’appel du CN ne soulève aucune question de droit ou de compétence.

[7]        Aux termes du paragraphe 41(1) de la Loi, « [t]out acte — décision, arrêté, règle ou règlement — de l’Office est susceptible d’appel devant la Cour d’appel fédérale sur une question de droit ou de compétence ». Cela signifie notamment que la Cour doit, avant de pouvoir instruire l’appel, conclure que l’appelant a soulevé une question « de droit » ou « de compétence ».

[8]        Nous répondons généralement à ce genre de moyen de façon préliminaire, avant d’examiner le fond de l’appel (voir, par exemple, Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Dreyfus, 2016 CAF 232, au paragraphe 18; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. BNSF Railway Company, 2016 CAF 284). Nous agissons souvent ainsi dans d’autres affaires où notre compétence d’attribution est en cause, en particulier lorsqu’une décision sur le fond risquerait d’empiéter sur le droit décisionnel dont est titulaire un autre organisme susceptible d’avoir compétence (National Indian Brotherhood c. Juneau (No2), [1971] C.F. 73 (C.A.); voir aussi, par exemple, Pfizer Canada Inc. c. Teva Canada Limitée, 2016 CAF 218). Souvent, des impératifs de légalité et des considérations pratiques militent en faveur de cette démarche, puisqu’un prononcé sur le fond de l’affaire est nul en l’absence de compétence (Provincial Secretary of Prince Edward Island v. Egan, [1941] R.C.S. 396).

[9]        Cette pratique est prudente : abstraction faite des domaines étroits de compétence inhérente ou plénière et de la mission de construire et d’appliquer la common law, il est admis depuis au moins un quart de millénaire que les cours de justice ne peuvent intervenir que dans les limites fixées par le législateur (voir, par exemple, Green v. Rutherforth (1750), 27 E.R. 1144, 1 Ves. Sen. 462, à la page 471; Penn v. Lord Baltimore (1750), 27 E.R. 1132, 1 Ves. Sen. 444, à la page 446; Attorney General v. Lord Hotham (1827), 38 E.R. 631, 3 Russ. 415; Thompson v. Sheil (1840), 3 Ir. Eq. R. 135). Il existe toutefois un principe plus ancien encore, celui de la suprématie législative, dont l’un des corollaires est que les lois lient les juges comme quiconque (Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution, [1981] 1 R.C.S. 753, aux pages 805 et 806; Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, aux paragraphes 71 et 72; Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île-du-Prince-Édouard; Renvoi relatif à l’Indépendance et à l’Impartialité des juges de la Cour provinciale et de l’Île-du-Prince-Édouard, [1997] 3 R.C.S. 3, au paragraphe 10).

[10]      Les seules exceptions concernent les limites législatives inconstitutionnelles ou les cas où le principe de la primauté du droit appelle l’intervention du juge (Crevier c. P.G. (Québec) et autres, [1981] 2 R.C.S. 220; Immeubles Port Louis Ltée c. Lafontaine (Village), [1991] 1 R.C.S. 326, à la page 360). La deuxième exception, déjà qualifiée d’ [traduction] « un des postulats fondamentaux de notre structure constitutionnelle » qui « sont à la base de notre système de gouvernement », est aujourd’hui explicitement considérée comme un principe fondateur de notre Constitution (Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, à la page 142; Colombie-Britannique (Procureur général) c. Christie, 2007 CSC 21, [2007] 1 R.C.S. 873, au paragraphe 19; préambule de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]). Il s’agit du pouvoir constitutionnel de procéder à des contrôles judiciaires, même lorsqu’on est en présence de dispositions législatives limitant ou interdisant ce contrôle (par exemple par ce que l’on appelle les clauses privatives) (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 27 et 28). La primauté du droit signifie notamment que « le droit est au-dessus des autorités gouvernementales » et « exclut, par conséquent, l’influence de l’arbitraire » (Renvoi : Droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721, à la page 748; Colombie-Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2005 CSC 49, [2005] 2 R.C.S. 473, aux paragraphes 57 et 58). Les titulaires d’un pouvoir public ne peuvent pas obéir à leurs propres règles à l’abri de tout contrôle véritablement indépendant et d’un examen digne de ce nom (Thorson c. Procureur général du Canada, [1975] 1 R.C.S. 138, à la page 145; Canada (Procureur général) c. Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, 2012 CSC 45, [2012] 2 R.C.S. 524, aux paragraphes 31 à 33, citant Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236, aux pages 250 et 251; Paradis Honey Ltd. c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 89, [2016] 1 R.C.F. 446, au paragraphe 108, et Canada (Procureur général) c. Bri-Chem Supply Ltd., 2016 CAF 257, [2017] 3 R.C.F. 123, au paragraphe 49, ces deux derniers arrêts citant l’arrêt Canada (Procureur général) c. Slansky, 2013 CAF 199, [2015] 1 R.C.F. 81, aux paragraphes 313 et 314).

[11]      Qu’est-ce qu’une « question de droit » et qu’est-ce qu’une « [question] de compétence » au sens du paragraphe 41(1) de la Loi sur les transports au Canada et des dispositions formulées de manière semblable? Pour interpréter ces expressions, nous devons tenir compte de leur sens ordinaire, de leur contexte au regard de l’ensemble de la Loi et, enfin, de l’objet du paragraphe 41(1) et de la Loi elle-même (Re Rizzo & Rizzo Shoes Ltd., [1998] 1 R.C.S. 27 et Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559).

[12]      Aux termes de la Loi sur les transports au Canada, l’Office est maintenu et investi de pouvoirs à titre d’organisme spécialisé de réglementation dans le secteur des transports. Ses décisions sont guidées par sa connaissance du mode de fonctionnement du secteur et par d’autres appréciations spécialisées et considérations de principe, telles que la Politique nationale des transports, conformément à l’article 5 de la Loi. D’ailleurs, aux termes des articles 24 et 43 de la Loi, le gouverneur en conseil peut donner des directives générales à l’Office sur toute question relevant de la compétence de celui-ci, et l’Office doit les suivre. Il ne peut être fait appel d’une décision de l’Office sur une pure question de fait (voir l’article 31 de la Loi). Toutefois, il est dans certains cas possible de faire appel au gouverneur en conseil aux termes de l’article 40 de la Loi; cette disposition prévoit une voie d’ appel contre, notamment, les décisions de l’Office qui sont fondées sur des faits et des considérations de politique (Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Procureur général), 2014 CSC 40, [2014] 2 R.C.S. 135 (l’arrêt CN 2014)).

[13]      On peut dégager de ces dispositions l’intention du législateur relative au paragraphe 41(1) : il ne peut être interjeté appel devant notre Cour des décisions fondées sur les faits et des considérations de politique. Les débats parlementaires le confirment également (arrêt CN 2014, au paragraphe 46). On peut faire appel de ces questions devant d’autres fors. Il ne peut être fait appel à notre Cour que des décisions faisant jouer des questions de droit ou des questions de compétence, sous réserve d’une autorisation, qui est accordée dans la mesure où il existe une cause défendable (CKLN Radio Incorporated c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 135; Rogers Cable Communications Inc. c. Nouveau-Brunswick (Transports), 2007 CAF 168). Compte tenu de la formulation du paragraphe 41(1), du fait qu’un refus d’autorisation d’interjeter appel tient au fond de la décision et des recours prévus par d’autres articles de la Loi à l’égard d’autres questions, il serait difficile de voir dans le paragraphe 41(1) une disposition mettant de manière problématique à l’abri de tout contrôle le pouvoir décisionnel de l’Office.

[14]      Qu’entend-on par « question de compétence »? Commençons par une petite devinette. Aujourd’hui, en droit administratif, nous sommes souvent encouragés à ne pas parler de compétence. Cette tendance est observable depuis 1979, quand le juge Dickson (plus tard juge en chef) fait une mise en garde contre le fait de qualifier trop rapidement un point de question de compétence « lorsqu’il existe un doute à cet égard » (S.C.F.P. c. Société des alcools du N.-B., [1979] 2 R.C.S. 227, à la page 233).

[15]      Voici le raisonnement. Dire qu’un décideur administratif a compétence pour faire telle ou telle chose, c’est dire qu’il a des pouvoirs qui lui ont été accordés expressément, implicitement ou nécessairement par la loi, dans certaines circonstances ou sur certains sujets (Chrysler Canada Ltd. c. Canada (Tribunal de la concurrence), [1992] 2 R.C.S. 394; Tranchemontagne c. Ontario (Directeur du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées), 2006 CSC 14, [2006] 1 R.C.S. 513, au paragraphe 16). Par exemple, la question de savoir si un organisme a le pouvoir de contraindre une personne à témoigner dépend de ce que dit sa loi constitutive et de la manière dont nous interprétons celle-ci. Il s’agit en fait d’une question de droit. Ainsi, une « question de compétence », dans une procédure en contrôle judiciaire, est en réalité une simple question d’interprétation des lois ou, autrement dit, une question de droit (Halifax (Regional Municipality) c. Nouvelle-Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, [2012] 1 R.C.S. 364; et voir la discussion fouillée dans l’arrêt C.B. Powell Limited c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 61, [2011] 2 R.C.F. 332, aux paragraphes 39 à 46).

[16]      Selon ce raisonnement, maintes questions qu’on a qualifiées de compétence et sur lesquelles il est fait appel en vertu du paragraphe 41(1) pourraient facilement être aujourd’hui qualifiées de questions de droit. Le paragraphe 41(1) évoque les questions de droit et les questions de compétence comme s’il s’agissait de deux choses différentes, mais il semblerait que les questions de compétence sont souvent une simple sous-catégorie des questions de droit.

[17]      Toutefois, si l’on y regarde de plus près, les mots « [question] de compétence », au paragraphe 41(1), ajoute quand même quelque chose aux mots « question de droit ». Un peu d’historique législatif nous éclairera à cet égard.

[18]      La Loi sur les transports au Canada est la dernière d’une série de lois remontant à la Loi national sur les transports, S.C. 1966-67, ch. 69, promulguée en 1967. Les mots « [question] de compétence », qui figurent au paragraphe 41(1) de l’actuelle Loi sur les transports au Canada, sont d’abord apparus en 1971 — comme condition préalable aux appels devant notre Cour — au paragraphe 64(2) [de l’annexe II] de la Loi national sur les transports après sa modification par S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10. À cette époque, dans l’esprit du législateur, les manquements à l’équité procédurale et autres vices fondamentaux en droit étaient visés par le mot « compétence » (voir, par exemple, In re Ontario Labour Relations Board, [1953] 2 R.C.S. 18, parfois appelé l’arrêt Toronto Newspaper Guild). Or, même par la suite, le législateur a décidé de maintenir les mots « [question] de compétence » au paragraphe 41(1) même si, comme on l’a vu, les mots « [question] de compétence » renvoient aujourd’hui essentiellement à une « question de droit » et même si les mots « question de droit » figurent déjà dans ce paragraphe. La mention expresse des « [questions] de compétence » doit signifier quelque chose, car le législateur n’est pas censé être redondant (Nanaimo (Ville) c. Rascal Trucking Ltd., 2000 CSC 13, [2000] 1 R.C.S. 342, au paragraphe 23).

[19]      Me fondant sur cet historique législatif, je conclus que les mots « [question] de compétence » au paragraphe 41(1) visent à tout le moins les questions d’équité procédurale, même si ces questions sont intimement liées aux faits. Ainsi, une partie peut interjeter appel d’une décision de l’Office en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi en alléguant qu’elle est entachée d’une iniquité procédurale.

[20]      J’examinerai maintenant le sens des mots « question de droit » figurant au paragraphe 41(1) de la Loi. Il arrive parfois que l’Office formule une pure question de droit ou une norme juridique dans sa décision, puis qu’il la résolve. Il ne fait aucun doute qu’une telle question de droit ou norme juridique peut à bon droit constituer l’objet d’un appel interjeté en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi.

[21]      La question de droit ou norme juridique est toutefois parfois étroitement imbriquée dans des questions de fait. Par exemple, l’Office pourrait avoir une opinion juridique sur la manière dont s’applique une disposition législative particulière et, plutôt que d’exprimer explicitement cette opinion, il pourrait énoncer directement sa conclusion. En réalité, la conclusion de l’Office fusionne son opinion concernant la question de droit ou norme juridique et son opinion concernant la preuve, et la manière dont la première s’applique à la seconde. Dans ce contexte, lorsque le droit et les faits sont imbriqués, une « question de droit » est-elle posée au sens du paragraphe 41(1) de la Loi?

[22]      Ces questions mélangées de fait et de droit sont mieux perçues si on a à l’esprit l’image d’un spectre. À une extrémité, se trouvent les questions dont le contenu juridique est faible et dont la réponse est tributaire de conclusions de faits ou de la manière dont l’arbitre interprète la preuve dans sa globalité. À l’autre extrémité, se trouvent les questions dont le contenu juridique est dense et dont la réponse est principalement tributaire du droit ou de normes juridiques.

[23]      La Cour suprême a examiné ce spectre, bien que dans un contexte différent, à l’occasion de l’affaire Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, aux paragraphes 28 et 36. Elle portait sur l’examen en appel de décisions hors du contexte du droit administratif et n’est pas applicable au contexte de droit administratif en cause en l’espèce. Toutefois, il s’agit d’une jurisprudence utile en l’espèce parce que la Cour suprême tentait de résoudre la même question qui nous est posée : étant donné que les questions de droit ou normes juridiques doivent être discutées différemment des questions de fait, comment discuter les questions mélangées de fait et de droit qui jalonnent un spectre?

[24]      À l’occasion de l’affaire Housen, la Cour suprême a décidé que la norme de contrôle applicable en appel en matière de questions de droit ou de normes juridiques était celle de la décision correcte et, pour les questions de fait, celle de l’erreur manifeste et dominante. Elle a en outre recherché comment il convenait de discuter les questions mélangées de fait et de droit, étant donné qu’elles s’étalent le long d’un spectre qui va d’un contenu juridique très faible à un contenu juridique très dense.

[25]      La solution retenue par la Cour suprême fut la suivante : lorsqu’une question de droit ou une question relative à un principe juridique est « isolable » de la question mélangée de fait et de droit, on est, en effet, en présence d’une « question de droit » :

En résumé, la conclusion de négligence que tire le juge de première instance suppose l’application d’une norme juridique à un ensemble de faits et constitue donc une question mixte de fait et de droit. Les questions mixtes de fait et de droit s’étalent le long d’un spectre. Lorsque, par exemple, la conclusion de négligence est entachée d’une erreur imputable à l’application d’une norme incorrecte, à l’omission de tenir compte d’un élément essentiel d’un critère juridique ou à une autre erreur de principe semblable, une telle erreur peut être qualifiée d’erreur de droit et elle est contrôlée suivant la norme de la décision correcte. Les cours d’appel doivent cependant faire preuve de prudence avant de juger que le juge de première instance a commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu à la négligence, puisqu’il est souvent difficile de départager les questions de droit et les questions de fait. Voilà pourquoi on appelle certaines questions des questions « mixtes de fait et de droit ». Si le principe juridique n’est pas facilement isolable, il s’agit alors d’une « question mixte de fait et de droit », assujettie à une norme de contrôle plus rigoureuse. Selon la règle générale énoncée dans l’arrêt [Jaegli Enterprises Ltd. c. Taylor, [1981] 2 R.C.S. 2], si la question litigieuse en appel soulève l’interprétation de l’ensemble de la preuve par le juge de première instance, cette interprétation ne doit pas être infirmée en l’absence d’erreur manifeste et dominante.

(Housen, au paragraphe 36.)

[26]      Cette même approche doit être suivie dans la présente affaire. Les questions de droit ou normes juridiques qui sont isolables doivent être considérées comme des questions de droit du type de celles que le législateur voulait voir contrôlées par notre Cour aux termes du paragraphe 41(1). À plusieurs occasions, notre Cour a statué sur des appels qui soulevaient des questions de droit ou normes juridiques isolables (en plus d’autres questions de droit ou de compétence) :

•             Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Office des transports), 2010 CAF 65, [2011] 3 R.C.F. 264 (l’arrêt CN 2010) et Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Office des transports), 2008 CAF 363 (l’arrêt CN 2008). Quels sont les éléments qui relèvent de certains mots définis par la Loi et doivent donc entrer dans le calcul du plafond de revenu prévu par la Loi? La question de droit isolable était le sens des mots figurant dans la Loi.

•             Dreyfus, précité, au paragraphe 18. Deux questions soulevées constituaient des questions de droit isolables, à savoir des questions d’interprétation des lois. L’« approche d’évaluation », méthode adoptée par l’Office pour trancher les questions relevant des articles 113 à 116, repose-t-elle sur une interprétation erronée de ces dispositions? L’Office a-t-il omis d’examiner des questions que la Loi l’obligeait à examiner?

•             Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Richardson International Limited, 2015 CAF 180. Ressort-il des faits une « ligne de chemin de fer » et d’un « raccordement » qui fait jouer les obligations d’interconnexion du transporteur? La question de droit isolable concernait le sens de ces mots.

•             Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Viterra Inc., 2017 CAF 6. Au vu des faits, les obligations du transporteur prévues par l’article 113 jouaient-elles? La méthode de rationnement du transporteur constituait-elle un contrat confidentiel visé par le paragraphe 113(4) de la Loi?

[27]      La Cour a parfois défini les mots « questions de droit » figurant au paragraphe 41(1), comme englobant les questions mélangées de fait et de droit dans la mesure où le point soulevé présente « un aspect suffisamment juridique » (Northwest Airlines Inc. c. Canada (Office des transports), 2004 CAF 238, au paragraphe 28; Canada (Compagnie des chemins de fer nationaux) c. Canada (Office des transports), 2016 CAF 266 (l’arrêt CN 2016), au paragraphe 22). Les mots « un aspect suffisamment juridique » souffrent d’une certaine ambiguïté et d’un manque de clarté : par exemple, que signifie « suffisamment »? S’agit-il d’une notion qualitative, d’une notion quantitative, ou des deux à la fois? La norme « de la question de droit isolable ou du principe juridique isolable » est plus concrète et plus claire, en particulier depuis que les juridictions d’appel examinant la norme de contrôle en appel en application de la jurisprudence Housen sont régulièrement aux prises avec ces mots et doivent les définir. Les deux affaires précitées, Northwest Airlines et CN 2016, mettaient en jeu des questions de droit ou des principes juridiques isolables appelant l’examen des appels aux termes du paragraphe 41(1) de la Loi.

[28]      Par conséquent, dans l’avenir, notre Cour doit adopter la norme « de la question de droit isolable ou du principe juridique isolable » pour rechercher si une question mélangée de fait et de droit devrait être considérée comme une « question de droit » visée par le paragraphe 41(1) de la Loi.

[29]      Vu les faits de l’espèce, le paragraphe 41(1) a-t-il pour effet de limiter ou d’exclure l’appel du CN? Pour répondre à cette question, nous devons d’abord définir l’objet de l’appel. Pour ce faire, nous interpréterons le document introductif d’instance, en l’occurrence l’avis d’appel, afin d’avoir « une appréciation réaliste » du « nature essentielle » de l’appel. Si une partie affirme qu’un « critère juridique » ou « la Loi » est en cause, cela ne suffit pas : « Forts d’outils perfectionnés pour jouer sur les mots et d’un esprit rusé, les plaideurs habiles » peuvent formuler leurs moyens de manière à leur donner l’apparence de questions de droit « alors qu’il n’en est rien ». Nous devons nous attarder au fond, et non à la forme, de la question soulevée. Voir généralement JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557, aux paragraphes 49 et 50.

[30]      Le mémoire des faits et du droit d’un appelant expose parfois d’une manière différente les moyens soulevés dans son avis d’appel. Le mémoire peut utilement donner une idée réaliste du caractère essentiel de l’appel présenté dans l’avis d’appel. Comme nous le verrons, le mémoire produit par le CN nous est effectivement utile en l’espèce.

[31]      Il est allégué dans l’avis d’appel du CN que l’Office a commis deux erreurs :

[traduction]

1.           L’Office a appliqué un critère préliminaire et un fardeau de preuve erronés, de sorte qu’il a en fait automatiquement assimilé à des « marchandises à transporter » visées par [le paragraphe 113(1) de] la Loi une commande de wagons passée par un expéditeur;

2.           L’Office a appliqué un critère juridique erroné pour rechercher si le CN avait manqué à ses obligations en matière de service, et cela en considérant les commandes de wagons non satisfaites au cours d’une semaine donnée comme des « marchandises à transporter » accumulées, visées par [le paragraphe 113(1) de] la Loi, pour les semaines, mois et années à venir.

[32]      Le CN soutient que ces erreurs sont des questions de droit qui concernent la lecture correcte des mots « marchandises à transporter » au paragraphe 113(1) de la Loi.

[33]      Le premier moyen soulevé dans l’avis d’appel est formulé comme une question mélangée de fait et de droit (comment le droit devrait-il être appliqué aux faits?), et non comme une pure question de droit. S’agissant de la seconde erreur, le CN soutient que l’Office a appliqué un critère juridique erroné, mais cette thèse pourrait aussi être interprétée comme une objection à la manière dont l’Office a qualifié les commandes non satisfaites eu égard aux faits. Dans les deux cas, Emerson soutient qu’il s’agit de points intimement liés aux faits qui sont, d’une certaine manière, insuffisamment juridiques et donc qui ne peuvent être portés en appel en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi.

[34]      Je rejette cette thèse. Selon moi, le caractère essentiel de l’appel qui ressort de ce moyen est l’erreur de droit commise par l’Office, à savoir son interprétation juridiquement erronée du paragraphe 113(1).

[35]      Nous constatons à cet égard que le paragraphe 113(1) comporte deux parties : un événement qui fait jouer l’obligation juridique du transporteur de transporter des marchandises, à savoir que l’expéditeur a « des marchandises à transporter », et l’obligation juridique du transporteur de recevoir, transporter et livrer ces marchandises sans délai et avec le soin et la diligence voulus. Les deux moyens d’appel se concentrent sur l’événement générateur : qu’entend-on par « marchandises à transporter »? En droit, que doit faire un expéditeur comme Emerson pour faire jouer l’obligation juridique du transporteur de recevoir, transporter et livrer les marchandises? Autrement dit, en droit, quel est l’événement générateur de l’obligation juridique du transporteur, et dans quelles circonstances se produit-il?

[36]      Selon le premier moyen invoqué dans l’avis d’appel, l’Office aurait « assimilé » une « commande de wagons » passée par un expéditeur, Emerson, à des « marchandises à transporter ». Autrement dit, selon le CN, l’Office a erré en décidant que, dès lors qu’Emerson dit qu’elle a des marchandises à transporter, l’événement générateur s’est produit et les obligations onéreuses du CN prévues par le paragraphe 113(1) entrant en jeu. En d’autres termes, selon le point de vue juridiquement erroné de l’Office, l’obligation juridique du CN prend naissance lorsque la société Emerson dit simplement qu’elle a un chargement à faire transporter, sans obligation aucune de démontrer qu’il y a effectivement un chargement à faire transporter. L’interprétation erronée du paragraphe 113(1) par l’Office aurait pour effet de faire reposer sur le CN trop facilement, voire presque automatiquement, l’obligation juridique importante, parfois onéreuse, de recevoir, transporter et livrer des marchandises. Le CN soutient que le paragraphe 113(1), si on l’interprète correctement, requiert bien davantage de la part d’Emerson.

[37]      En résumé, la question soulevée par le premier moyen d’appel est une question d’interprétation des lois : quel est le sens des mots « marchandises à transporter », ou, en d’autres termes, quelle preuve l’expéditeur doit-il produire pour établir qu’il y a des « marchandises à transporter »? Avec le premier moyen d’appel, est posée une question d’interprétation des lois, soit une question de droit. La résolution de la question soulevée par le premier moyen d’appel est guidée par le droit ou les normes juridiques; il ne s’agit pas d’une question où il n’y a nulle controverse entre les parties sur le droit ou les normes juridiques et où la solution est dictée par les faits.

[38]      Plusieurs conclusions tirées du mémoire du CN confirment que le premier moyen d’appel soulève une question de droit :

•             [traduction] « La Loi requiert que des marchandises fassent l’objet d’une véritable demande de transport par chemin de fer » et « un chemin de fer n’a pas l’obligation, selon la Loi, de transporter des marchandises supposées, hypothétiques ou incertaines ». Soutenir le contraire [traduction] « constitue une erreur de droit » (mémoire des faits et du droit du CN, au paragraphe 42);

•             [traduction] « Aux termes du paragraphe 113(1), le demandeur doit prouver qu’il a des “marchandises” à faire transporter […] et une simple commande de wagons ne peut être présumée constituer des “marchandises” » (mémoire des faits et du droit du CN, au paragraphe 44);

•             Selon la Loi, [traduction] « [un] chemin de fer n’est pas présumé agir en violation de ses obligations en matière de niveau de services ». Le demandeur doit au contraire d’abord [traduction] « prouver qu’il a offert des marchandises à transporter — les obligations quant au niveau de services d’un chemin de fer [en vertu du paragraphe 113(1)] ne jouent pas autrement » (mémoire des faits et du droit du CN, aux paragraphes 49 et 52). En vertu du paragraphe 113(1), les « marchandises à transporter » [traduction] « doivent être des marchandises réelles offertes pour le transport » et non simplement « des marchandises supposées ou possibles » (mémoire des faits et du droit du CN, au paragraphe 52).

•             Toute autre conclusion [traduction] « est contraire aux mots, au contexte, à l’objet et à l’esprit de la Loi sur les transports au Canada » (mémoire des faits et du droit du CN, au paragraphe 53).

•             Interpréter de cette manière le paragraphe 113(1) est contraire à la jurisprudence Patchett & Sons Ltd. v. Pacific Great Eastern Railway Co., [1959] R.C.S. 271, par laquelle la Cour suprême enseigne que les obligations du [traduction] « transporteur ferroviaire ne l’obligent que dans la mesure du raisonnable » (mémoire des faits et du droit du CN, au paragraphe 72).

•             Un point accessoire soulevé par le CN, et en fait l’envers de ce qui précède, est que l’Office a dû à tort [traduction] « admettre d’office que les commandes de wagons traduisent invariablement une demande concomitante de transport réel de marchandises » (mémoire des faits et du droit du CN, au paragraphe 65). La question de savoir si l’Office peut agir ainsi est une question de droit.

[39]      Le mémoire des faits et du droit du CN discute aussi d’une manière différente ce point d’interprétation des lois. Le CN conteste en particulier une méthode ou un test établi par l’Office et suivi dans la présente affaire. Il s’agit de l’« approche d’évaluation ».

[40]      La première étape de l’approche d’évaluation suivie par l’Office consiste à rechercher si la demande de services est raisonnable. Elle implique l’examen de plusieurs facteurs, par exemple, si la commande de wagons a été correctement communiquée, si elle était assortie d’un avis suffisant et si l’expéditeur a la capacité de recevoir, de charger et de libérer les wagons demandés (mémoire des faits et du droit du CN, au paragraphe 54).

[41]      Selon le grief du CN [traduction] « nul de ces critères ne concerne de quelque façon la question de savoir si l’expéditeur a réellement des marchandises à transporter », ce qu’exige, selon lui, le paragraphe 113(1); au lieu de cela, ces critères [traduction] « se rapportent uniquement à la forme et au moment de la communication, et à la capacité de recevoir et de libérer un placement de wagons » (mémoire des faits et du droit du CN, au paragraphe 56). Le CN conteste aussi le fait que l’Office a jugé que [traduction] « la seule obligation qui incombe à l’expéditeur pour répondre à la première étape de l’approche d’évaluation est de passer une commande », contrairement, encore une fois, au paragraphe 113(1) (mémoire du CN, au paragraphe 64). Afin que nul ne doute que le moyen du CN repose sur la bonne interprétation du paragraphe 113(1), le CN ajoute que l’approche d’évaluation de l’Office [traduction] « élimine l’obligation légale de prouver qu’il y a “des marchandises à transporter” — il suffit à l’expéditeur de présenter une commande de wagons pour qu’il soit irréfutablement réputé avoir des “marchandises” » (mémoire des faits et du droit du CN, au paragraphe 44).

[42]      Toutes ces observations figurant dans le mémoire du CN concernent l’élément essentiel du premier moyen invoqué dans l’avis d’appel. Elles confirment que nous sommes en présence d’une question d’interprétation des lois, c’est-à-dire d’une question de droit sur laquelle la Cour peut statuer en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi.

[43]      La question d’interprétation des lois soulevée par le premier moyen d’appel est très semblable à la question qui avait été soumise à la Cour à l’occasion des affaires CN 2010 et CN 2008, précitées, à savoir : quels sont les éléments qui relèvent de certains mots définis dans la Loi et doivent donc entrer dans le calcul du plafond de revenus prévu par la Loi? Eu égard à l’approche d’évaluation et à la question de savoir si cette approche est conforme à la Loi, la présente affaire est aussi très semblable à l’affaire Dreyfus. Or, toute cette jurisprudence a répondu au critère du paragraphe 41(1) de la Loi.

[44]      Tout compte fait, je suis d’avis que le premier moyen d’appel soulève une question de droit qui peut faire l’objet d’un appel devant notre Cour en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi.

[45]      Par son deuxième moyen d’appel, le CN fait grief à l’Office d’avoir [traduction] « appliqué un critère juridique erroné » à la question de savoir s’il avait manqué à ses obligations quant au niveau de service [traduction] « en considérant les commandes de wagons non satisfaites au cours d’une semaine donnée comme des “marchandises à transporter” accumulées, visées par le paragraphe 113(1) de la Loi, pour les semaines, mois et années à venir ». Ce moyen d’appel renvoie au « critère juridique » et à la « Loi », mais il nous incombe néanmoins d’interpréter le document introductif d’instance, en l’occurrence l’avis d’appel, afin d’avoir « une idée réaliste » du « caractère essentiel » de l’appel (voir le paragraphe 29 des présents motifs).

[46]      Ce moyen d’appel est mieux compris à la lumière de ce que le CN soutient dans son mémoire des faits et du droit et de ce que l’Office a décidé. Au terme d’un tel examen, nous constatons que le second moyen d’appel soulève une question d’interprétation des lois. Le CN et l’Office ont des points de vue divergents sur la manière d’analyser la jurisprudence relevant du paragraphe 113(1) en raison d’une interprétation différente de cette disposition :

•             Le point de vue du CN. Le paragraphe 113(1) oblige l’Office à vérifier de manière hebdomadaire, si le CN est fondé cette semaine-là à ne pas fournir suffisamment de wagons. Si le défaut de livraison de wagons durant une semaine donnée est justifié vu les circonstances, toute absence de livraison de wagons cette semaine-là est justifiée et ne permettra pas de conclure par la suite que le CN a manqué à ses obligations en tant que transporteur au titre du paragraphe 113(1) de la Loi. Pour reprendre les termes du second moyen de l’avis d’appel, [traduction] « les commandes de wagons non satisfaites au cours d’une semaine donnée », s’il était justifié qu’il n’y ait pas eu de livraison, ne peuvent être considérées « comme des “marchandises à transporter” visées par le paragraphe 113(1) de la Loi, pour les semaines, mois et années à venir ». Voir, de manière générale, les paragraphes 77 à 95 du mémoire des faits et du droit du CN.

•             Le point de vue de l’Office. Le paragraphe 113(1) permet à l’Office de considérer l’affaire d’une manière plus globale, comme il l’a fait dans la présente affaire, et de rechercher, à partir des données existantes si, au cours de la période entière visée par la plainte, le CN a rempli ses obligations au titre du paragraphe 113(1). L’Office n’est pas tenu de faire une analyse hebdomadaire. Voir, de manière générale, les paragraphes 65 à 68 de la décision de l’Office.

Lequel de ces deux points de vue concernant le paragraphe 113(1) doit l’emporter sur l’autre, l’approche hebdomadaire ou l’approche globale? Fondamentalement, il s’agit d’une question d’interprétation des lois, à savoir une question de droit.

[47]      Nous pouvons dégager le point de vue du CN concernant le paragraphe 113(1) — point de vue qui diffère de celui de l’Office — de son mémoire. Le CN commence par faire valoir que l’Office a reconnu que, certaines semaines, le CN était fondé à ne pas livrer tous les wagons qu’Emerson avait commandés (mémoire des faits et du droit du CN, au paragraphe 77). Selon le CN, s’il était fondé à ne pas répondre à toutes les commandes de wagons au moment où les commandes étaient passées, par définition, il se conformait à ses obligations en vertu de la Loi (mémoire des faits et du droit du CN, au paragraphe 77).

[48]      Le CN expose ce même point d’une manière différente. Il dit que, selon la Loi, l’obligation d’une compagnie de chemin de fer de transporter des marchandises prend naissance quand des marchandises à transporter lui sont présentées (mémoire des faits et du droit du CN, au paragraphe 80). Puis, une fois que lui sont présentées les marchandises à transporter, le chemin de fer les transporte, ou non. Si le chemin de fer ne livre pas les marchandises, la mission de l’Office est de déterminer si le manquement du chemin de fer était justifié à la date de la commande (mémoire des faits et du droit du CN, au paragraphe 82). Si le manquement était justifié, le chemin de fer a offert le niveau de service requis conformément au paragraphe 113(1) (mémoire des faits et du droit du CN, au paragraphe 86).

[49]      Étant donné qu’il y a eu de nombreuses semaines de récoltes où le CN a été dégagé de son obligation de livrer des wagons, [traduction] « il n’était pas loisible à l’Office de déclarer laconiquement que le CN avait manqué à son obligation de livrer des wagons » (mémoire des faits et du droit du CN, au paragraphe 94). L’Office a tiré cette conclusion [traduction] « irrégulièrement » et a commis une « erreur de droit » en « considérant les commandes non satisfaites comme des marchandises à transporter au sens de l’alinéa 113(1)a) » (mémoire des faits et du droit du CN, au paragraphe 95).

[50]      Comme on l’a vu, notre mission est d’avoir « une idée réaliste » du « caractère essentiel » de l’appel. Quand le second moyen énoncé dans l’avis d’appel est lu de concert avec le mémoire des faits et du droit du CN, il devient évident que le CN attaque la manière dont l’Office a lu et appliqué le texte législatif.

[51]      Il ne s’agit pas d’une affaire où l’Office et le CN partagent le même point de vue sur la manière dont la disposition, à savoir le paragraphe 113(1), devrait être lue, et où le CN attaque simplement la manière dont l’Office l’a appliquée aux faits. Si cela avait été le cas, on aurait été en présence d’une question mélangée de fait et de droit où les faits auraient dicté la solution.

[52]      Il s’agit au contraire d’une affaire où l’Office et le CN ont des opinions différentes sur la manière dont le paragraphe 113(1) doit être interprété. Selon moi, le deuxième moyen exposé dans l’avis d’appel soulève une question de droit isolable susceptible d’appel au titre du paragraphe 41(1) de la Loi.

[53]      Avant de terminer avec cette question, je voudrais formuler des éléments de réflexion qui seront utiles dans les affaires futures où sera en cause le paragraphe 41(1) de la Loi, éléments qui pourront être utiles à l’interprétation de dispositions similaires.

[54]      L’affaire qui nous occupe est un cas limite pour l’application du paragraphe 41(1). Comme je l’ai déjà mentionné, pour savoir si nous avons compétence malgré la présence d’une disposition restrictive comme le paragraphe 41(1), nous devons examiner le caractère essentiel de l’avis d’appel en recourant au mémoire de l’appelant et l’interpréter de manière large eu égard aux maladresses de rédaction, comme tous les actes de procédure. L’examen de la Cour et sa largesse connaissent toutefois des limites, qui sont presque atteintes en l’espèce.

[55]      Les rédacteurs d’avis d’appel sont maintenant avertis. Quand les moyens d’appel sont rédigés sous la forme de questions mélangées de fait et de droit, la Cour pourrait conclure que nulle question de droit ou de compétence n’est soulevée dans l’appel et rejeter celui-ci, notamment lorsque les questions mélangées de fait et de droit sont présentées d’une manière nettement axée sur les faits. Les rédacteurs doivent plutôt cerner avec clarté et précision les questions de droit ou de compétence, y compris les questions de droit ou principes juridiques isolables, et expliquer pourquoi la décision du tribunal d’instance inférieure donne lieu à ces questions ou principes de droit. La Cour peut tenir compte du mémoire des faits et du droit de l’appelant pour interpréter l’avis d’appel, mais l’examen de la Cour porte principalement sur le document introductif d’instance, à savoir sur l’avis d’appel, qui doit être soigneusement rédigé.

[56]      Ces observations ont des conséquences en matière de requêtes en autorisation d’interjeter appel qui sont présentées en vertu de dispositions telles que le paragraphe 41(1). Quand la Cour accorde l’autorisation d’interjeter appel, elle n’a pas tranché la question soulevée au paragraphe 41(1); en effet, lorsqu’elle accorde l’autorisation, la Cour peut avoir estimé que la question de la compétence était incertaine, mais raisonnablement défendable (Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Office des transports), 2003 CAF 271, [2003] 4 C.F. 558, au paragraphe 17). Malgré l’autorisation d’interjeter appel, la question soulevée au paragraphe 41(1) resta posée durant l’appel, et la Cour doit rejeter tout appel à l’égard duquel elle n’a pas compétence.

[57]      Cela dit, ceux qui sont d’avis que la Cour n’a pas compétence aux termes du paragraphe 41(1) doivent discuter ce point avec vigueur au stade de la demande d’autorisation d’interjeter appel et, lorsque cela est possible, la Cour doit alors trancher. Les juges doivent de plus en plus s’efforcer de conserver des ressources judiciaires limitées et adopter une culture du contentieux qui soit novatrice et efficace (Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87). Les appels ou les points litigieux en appel qui ne sont pas du ressort de notre Cour ne doivent pas pouvoir se frayer un chemin jusqu’à une audience sur le fond. À la première occasion, ils doivent plutôt être stoppés dans leur élan. Les éléments de réflexion proposés dans les présents motifs aux rédacteurs d’avis d’appel valent aussi pour les rédacteurs d’avis de requête en autorisation d’interjeter appel.

B.        Analyse du fond de l’appel

[58]      Comme je l’ai déjà signalé, le paragraphe 113(1) de la Loi sur les transports au Canada impose certaines obligations à la compagnie de chemin de fer lorsque des « marchandises à transporter », au sens de ce paragraphe, lui sont remises. Le paragraphe 113(1) est ainsi rédigé :

Acheminement du trafic

113 (1) Chaque compagnie de chemin de fer, dans le cadre de ses attributions, relativement au chemin de fer qui lui appartient ou qu’elle exploite :

a) fournit, au point d’origine de son chemin de fer et au point de raccordement avec d’autres, et à tous les points d’arrêt établis à cette fin, des installations convenables pour la réception et le chargement des marchandises à transporter par chemin de fer;

b) fournit les installations convenables pour le transport, le déchargement et la livraison des marchandises;

c) reçoit, transporte et livre ces marchandises sans délai et avec le soin et la diligence voulus;

d) fournit et utilise tous les appareils, toutes les installations et tous les moyens nécessaires à la réception, au chargement, au transport, au déchargement et à la livraison de ces marchandises;

e) fournit les autres services normalement liés à l’exploitation d’un service de transport par une compagnie de chemin de fer.

[59]      Il n’est pas controversé entre les parties que notre Cour doit examiner l’interprétation du paragraphe 113(1) de la Loi par l’Office selon la norme de la décision raisonnable. L’accord des parties sur ce point ne lie pas la Cour (Monsanto Canada Inc. c. Ontario (Surintendant des services financiers), 2004 CSC 54, [2004] 3 R.C.S. 152). Toutefois, compte tenu de la jurisprudence actuelle, je conclus, en effet, que la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer est celle de la décision raisonnable.

[60]      On présume que la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle devant s’appliquer aux interprétations que donne un décideur administratif aux dispositions de « “sa propre loi constitutive ou [d’]une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie” » (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, au paragraphe 34; Dunsmuir, précité, au paragraphe 54). Cette présomption joue même lorsque le législateur a prévu des droits d’appel sans restrictions (Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, [2016] 2 R.C.S. 293).

[61]      Le paragraphe 113(1), qui a été interprété et appliqué par l’Office dans la présente affaire, se trouve dans la loi constitutive de l’Office, et la présomption joue donc. Elle n’a pas été réfutée. Par conséquent, la manière dont l’Office a interprété et appliqué le paragraphe 113(1) sera examinée selon la norme de la décision raisonnable.

[62]      A titre confirmatif, je note que la Cour a retenu la norme de la décision raisonnable dans plusieurs affaires similaires où l’Office était saisi de questions semblables (voir les précédents mentionnés au paragraphe 26 des présents motifs).

[63]      Passons maintenant à l’examen de la décision de l’Office au regard de la norme de la décision raisonnable. D’aucuns discutent cette question en avançant une opinion sur la décision qu’aurait dû rendre sur le fond le décideur administratif, en reprenant tel quel le paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir dans leurs motifs. La conclusion à laquelle est arrivé l’Office tombe-t-elle dans l’éventail des conclusions « acceptables » et « défendables » au regard des faits et du droit? Est-elle « justifiable », « transparente » et « intelligible »? Ils parsèment ensuite leur conclusion de ces mots afin de l’appuyer. D’aucuns y voient un examen selon la norme de la décision correcte, mais déguisé.

[64]      D’autres évitent l’écueil de l’examen selon la norme de la décision correcte déguisé, mais il leur reste du chemin à faire. Ils comprennent que cet examen déguisé ne constitue pas véritablement un examen selon la norme de la décision raisonnable, mais, trop souvent, même dans les cas compliqués qui appellent un examen plus approfondi, ils se contentent d’énoncer des conclusions au lieu de démontrer véritablement pourquoi la décision administrative est ou n’est pas raisonnable.

[65]      Si un examen effectué en fonction de la norme de la décision raisonnable doit être légitime et s’il doit paraître légitime, il doit être mené de manière impartiale, totalement rigoureuse et intellectuellement honnête, conformément à la doctrine et eu égard aux « attributs de la raisonnabilité [de la décision] » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). Ainsi, la Cour a construit et suivi certaines approches permettant de déterminer si une décision est, ou non, raisonnable (voir, par exemple, Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117; Canada (Procureur général) c. Boogaard, 2015 CAF 150; et voir l’article du professeur Paul Daly intitulé « Struggling Towards Coherence in Canadian Administrative Law? Recent Cases on Standard of Review and Reasonableness » (en ligne : https ://ssrn.com/abstract=2821099) (à venir, McGill L.J. [maintenant disponible (2016), 2 McGill L.J. 527])). Ce faisant, loin d’être un électron libre en la matière, notre Cour a suivi les enseignements de la Cour suprême en restant attentive aux signaux qu’elle envoie.

[66]      Quels sont ces enseignements et signaux? A l’occasion de certaines affaires, la Cour suprême nous a dit que le pouvoir décisionnel d’un décideur administratif sur une question particulière ne donne pas lieu à « une seule solution précise », mais plutôt à un éventail d’« issues raisonnables possibles » ou permet une « marge de manœuvre », laquelle peut être passablement importante ou étroite selon les circonstances (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895, au paragraphe 38). Dans d’autres, la Cour suprême nous dit que le caractère raisonnable de la décision « constitue une norme unique qui s’adapte au contexte » et qu’il « s’apprécie dans le contexte du type particulier de processus décisionnel en cause et de l’ensemble des facteurs pertinents » (Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, au paragraphe 18; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 59; Wilson c. Énergie atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29, [2016] 1 R.C.S. 770, au paragraphe 22; etc.). En d’autres termes, certaines circonstances, considérations et facteurs présents dans telle ou telle affaire influent sur notre manière d’apprécier dans quelle mesure une décision administrative est acceptable et défendable (Catalyst, au paragraphe 18; Doré c. Barreau du Québec, 2012 CSC 12, [2012] 1 R.C.S. 395, au paragraphe 54; Halifax, précité, au paragraphe 44; voir aussi Canada (Ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités) c. Farwaha, 2014 CAF 56, [2015] 2 R.C.F. 1006, aux paragraphes 88 à 99).

[67]      Si l’on considère les choses du point de vue des cours réformatrices, quand les circonstances, considérations et facteurs diffèrent d’une affaire à l’autre, la manière dont elles s’y prennent pour mesurer le caractère acceptable et défendable d’une décision varie; en d’autres termes, le caractère raisonnable d’une décision « est tributaire du contexte » de l’affaire. Si l’on considère maintenant les choses du point de vue des décideurs administratifs, en pratique, certains semblent bénéficier dans certains contextes d’une latitude plus grande ou d’une « marge d’appréciation » plus étendue que d’autres dans d’autres contextes.

[68]      Dans certaines affaires dont elle a été saisie, la Cour a tenté de définir les circonstances, considérations et facteurs qui peuvent influer sur l’issue d’un examen effectué selon la norme de la décision raisonnable. D’autres juridictions d’appel ont à l’occasion contribué à cette recherche (voir, par exemple, Mills v. Ontario (Workplace Safety and Insurance Appeals Tribunal), 2008 ONCA 436, 237 O.A.C. 71, au paragraphe 22).

[69]      En l’espèce, quel est le contexte dont est tributaire le caractère raisonnable de la décision? Quelles circonstances, quelles considérations ou quels facteurs influent sur le contrôle effectué au regard de la norme de la décision raisonnable?

[70]      Un important facteur est l’existence d’une jurisprudence obligatoire concernant le paragraphe 113(1) de la Loi. À moins que le décideur administratif, en l’occurrence l’Office, ne soit en mesure d’écarter l’application d’une telle jurisprudence d’une manière qui paraisse raisonnable, elle restreint les options d’interprétation qui s’offrent à l’Office et influe sur notre évaluation du caractère raisonnable de la décision (Canada (Procureur général) c. Commission canadienne des droits de la personne, 2013 CAF 75, aux paragraphes 13 et 14; Canada (Procureur général) c. Abraham, 2012 CAF 266, aux paragraphes 37 à 50; Farwaha, précité, au paragraphe 95).

[71]      En l’espèce, la jurisprudence qui doit être suivie est un arrêt de la Cour suprême qui remonte à plusieurs décennies. Cet arrêt enseigne que, lorsqu’il interprète et applique le paragraphe 113(1), l’Office doit rechercher si, à la lumière des faits révélés par le dossier, la conduite des parties a été raisonnable :

[traduction] Indépendamment de la loi, il est tenu pour acquis que, lorsqu’une entreprise privée assure un service de transport public à titre d’entreprise commerciale, si elle-même n’est pas en faute, elle dispose des moyens normaux pour remplir ses obligations. Sous tous leurs aspects, les engagements pris par le transporteur ne l’obligent que dans la mesure du raisonnable […] Ces obligations constituent les éléments de base des dispositions générales de la loi. Cette réserve concernant les conditions raisonnables s’applique à l’un des aspects de la question qui fait l’objet de la présente plainte, soit la disponibilité des installations et du matériel. Par exemple, un chemin de fer n’est pas tenu d’avoir en tout temps suffisamment de wagons pour satisfaire à la demande; [tout ce qu’il doit faire, c’est fournir] un service raisonnable. Sauf en cas de disposition expresse ou d’obligation légale, ces conditions s’appliquent à toute l’activité du transporteur. Tel est le champ d’obligations dans lequel se trouve placé le transporteur qui relève de la loi.

[…] L’obligation étant celle d’agir raisonnablement, la manière dont chaque situation doit être gérée dépend de l’ensemble des circonstances. Le transporteur doit, à tous égards, prendre des mesures raisonnables pour préserver sa fonction publique; [son obligation] doit être déterminée en fonction de ce que le chemin de fer, à la lumière de sa connaissance des faits — à savoir selon la compréhension qu’il peut raisonnablement avoir de ceux-ci —, a en fait accompli ou peut en fait accomplir pour composer avec la situation et y remédier.

(Patchett, précité, aux pages 274 et 275). Pour construire une jurisprudence acceptable et défendable concernant le paragraphe 113(1) de la Loi, l’Office doit respecter les normes fixées par la jurisprudence Patchett.

[72]      Un autre contexte dont est tributaire en l’espèce l’examen effectué au regard de la norme de la décision raisonnable est la nature de la décision de l’Office et la nature de la Loi. L’Office a rendu une décision qui relève à tous égards de son savoir-faire réglementaire et de sa mission, et c’est la raison même pour laquelle le législateur lui a conféré la compétence de juger au fond les affaires comme celle qui nous occupe et nous a réservé un simple rôle d’examen.

[73]      Quand l’Office interprète le paragraphe 113(1), il puise légitimement dans son expérience en matière de réglementation, dans sa connaissance de l’industrie et dans sa compréhension du secteur des transports, en se fondant sur les normes établies par la jurisprudence Patchett, précitée. Dans la mesure où l’Office retient une interprétation défendable du paragraphe 113(1) et une méthode ou un critère défendable pour déterminer s’il y a eu ou non conduite raisonnable, et dans la mesure où le fait en prêtant dûment attention aux éléments de preuve qui lui ont été produits, la Cour doit s’abstenir de remettre en question sa décision. La question du caractère raisonnable de la conduite des parties, évaluée au regard des faits ressortant des preuves — le bien-fondé de l’affaire eu égard aux faits —, est une question qui relève de l’expertise de l’Office, et non de la nôtre. Voir, à titre d’illustration et par analogie, National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324, aux pages 1347 et 1348, et Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc., 2007 CSC 15, [2007] 1 R.C.S. 650, au paragraphe 104.

[74]      Qu’a fait l’Office en l’espèce? Premièrement, il a appliqué un critère — l’« approche d’évaluation », pour reprendre ses termes (au paragraphe 10).

[75]      Selon cette approche d’appréciation, l’Office a posé trois questions (au paragraphe 10) :

1.    La demande de services de l’expéditeur est-elle raisonnable?

2.    La compagnie de chemin de fer a-t-elle répondu à cette demande?

3.    Dans la négative, y a-t-il des raisons qui pourraient justifier le manquement à une obligation de services?

(a) S’il existe une justification raisonnable, l’Office déterminera que la compagnie de chemin de fer n’a pas manqué à ses obligations relatives au niveau de services;

(b) S’il n’existe aucune justification raisonnable, l’Office déterminera que la compagnie de chemin de fer a manqué à ses obligations en matière de niveau de services et il examine les recours possibles.

[76]      Le CN soutient que l’« approche d’évaluation » de l’Office est déraisonnable (voir le mémoire des faits et du droit du CN, aux paragraphes 22 et 25). Je rejette cette thèse.

[77]      L’approche d’évaluation retenue par l’Office est raisonnable. Elle propose un critère pratique et utilisable qui rend compte à la fois de l’essence du paragraphe 113(1) de la Loi et d’une bonne partie des détails qu’il renferme. Loin d’imposer un fardeau impossible à des transporteurs comme le CN, ce que le CN soutient, cette approche d’évaluation traduit adéquatement l’enseignement de la Cour suprême professé à l’occasion de l’affaire Patchett : [traduction] « [s]ous tous leurs aspects, les engagements pris par le transporteur ne l’obligent que dans la mesure du raisonnable » [à la page 274]. Prenons, par exemple, l’importance du caractère raisonnable dans la première question (la demande de services de l’expéditeur est-elle raisonnable?). Selon moi, la véritable préoccupation du CN ne concerne pas tant l’approche d’évaluation que la manière dont l’Office a appliqué cette approche aux preuves produites.

[78]      L’Office doit se montrer prudent lorsqu’il recourt à l’approche d’évaluation. Cette approche n’est qu’un critère ou une méthode pratique et générale utile pour l’analyse et l’application des normes énoncées au paragraphe 113(1) de la Loi. Elle ne reprend pas le libellé du paragraphe 113(1). Or, c’est le sens du libellé qui prime toujours, et non les critères ou méthodes que l’Office a construits dans sa jurisprudence. Par conséquent, si, dans une affaire donnée, une partie souhaite soutenir devant l’Office que, selon le paragraphe 113(1), l’approche d’évaluation doit être ajustée, modifiée, suivie ou appliquée différemment, l’Office doit examiner la thèse avec un esprit d’ouverture.

[79]      La première question posée dans le cadre de l’approche d’évaluation (la demande de services de l’expéditeur est-elle raisonnable?) traduit l’opinion de l’Office pour qui seules les demandes raisonnables et de bonne foi des expéditeurs pour le transport de marchandises par chemin de fer peuvent répondre à l’exigence du paragraphe 113(1) de la Loi selon laquelle il doit exister des « marchandises à transporter par chemin de fer ». Ainsi, les obligations de la compagnie ferroviaire au titre du paragraphe 113(1) ne sauraient jouer en raison de demandes farfelues ou mal fondées.

[80]      En l’espèce, l’attaque par le CN de la décision de l’Office vise la manière dont l’Office a discuté cette première question. Comme le montre l’avis d’appel, le CN soutient que l’Office faisait trop confiance à Emerson au sujet de son besoin de wagons. Autrement dit, l’Office présumait que les demandes d’Emerson répondaient à l’exigence du paragraphe 113(1) selon laquelle il doit exister des « marchandises à transporter ».

[81]      Il y a dans les motifs de l’Office des déclarations qui, sorties de leur contexte et lues isolément, pourraient appuyer l’attaque du CN. Par exemple, l’Office affirme, sans explication, qu’« en passant des commandes conformément à la politique du CN et à son système de commande, [Emerson] a adéquatement déclenché les obligations de CN en matière de niveau de services » (au paragraphe 27). Cette simple affirmation était faite dans le contexte de la conclusion de l’Office selon laquelle Emerson n’était pas tenue de prévoir et de notifier au CN l’accroissement de sa demande de services de transport qui résulterait de la récolte exceptionnelle (au paragraphe 26).

[82]      La vraie question sur laquelle repose la thèse du CN est la suivante : quel volume et quel type de preuve un expéditeur comme Emerson doit-il produirer pour faire jouer l’obligation du transporteur de « recevoir, transporter et livrer les marchandises »? Pour reprendre les mots de l’approche d’évaluation et la norme de la jurisprudence Patchett, quel volume et quel type de preuve un expéditeur doit-il présenter pour démontrer que sa demande de services était raisonnable? Cette question appelait une interprétation du paragraphe 113(1) en tenant compte de son libellé, de l’ensemble de la Loi dont il fait partie intégrante et de son objet. Cette méthode a été exposée dans des arrêts comme Re Rizzo & Rizzo Shoes et Bell ExpressVu, précités.

[83]      L’Office n’a pas explicitement suivi cette approche fondée sur le libellé, le contexte et l’objet. Pour des raisons de clarté, il aurait sans doute mieux été préférable de le faire. Les observations de l’Office concernant le paragraphe 113(1) et son analyse de la manière dont cette disposition s’applique à la présente affaire rendent néanmoins compte de ces considérations. L’Office a en effet démontré une compréhension du libellé, du contexte et de l’objet du paragraphe 113(1), et il les a correctement examinés par le prisme réglementaire approprié. Pour rechercher si Emerson avait prouvé que sa demande de services était raisonnable, l’Office s’est appuyé sur son expérience de la réglementation, sur sa connaissance de l’industrie, sur sa compréhension de la manière dont les transactions entre les expéditeurs et leurs clients sont conclues et documentées et, enfin, sur ses connaissances générales du secteur du transport. Ces questions ne sont tout simplement pas du ressort de la Cour et l’Office jouit donc d’une importante marge d’appréciation à leur égard.

[84]      Un exemple précis où l’Office s’est fondé sur ces questions est sa décision concernant la signification qu’on peut dégager du simple fait qu’un expéditeur a commandé des wagons. L’Office a fait observer que, dans le contexte de cette industrie et de ses pratiques habituelles, une commande de wagons suffit à établir le besoin de services de transport ou, selon les mots employés par l’Office, une commande montre « en général » (donc pas toujours) que des wagons sont requis pour le transport, sous réserve de preuves contraires, par exemple « des factures pour des droits de stationnement » (au paragraphe 28).

[85]      Dans ses motifs sur ce point, l’Office a pris en compte les preuves, mais pas nécessairement de la manière souhaitée par le CN, pour conclure qu’Emerson avait produit des preuves suffisantes pour établir que sa demande de services était raisonnable.

[86]      Je rejette donc la thèse du CN selon laquelle l’Office a, en réalité, simplement retenu les dires d’Emerson concernant son besoin de wagons. La simple affirmation, au paragraphe 27 des motifs de l’Office, selon laquelle « en passant des commandes conformément à la politique de CN et à son système de commande, [Emerson] a adéquatement déclenché les obligations de CN en matière de niveau de services », ne doit pas elle non plus être lue isolément.

[87]      Je me fonde sur les paragraphes 28 à 36 des motifs de l’Office :

En ce qui a trait à l’allégation de CN selon laquelle [Emerson] aurait dû fournir la preuve des engagements et des mesures concrets de livraison, l’Office considère que, pour démontrer qu’une demande de service est raisonnable, un expéditeur n’a pas à produire une documentation rigoureuse de chaque transaction qu’il fait relativement à l’acquisition ou à la production, puis à la vente ou à l’utilisation subséquente des marchandises que l’expéditeur prévoit expédier. Dans le contexte du transport du grain, la demande de wagons est directement liée à la demande de grain. Les expéditeurs de grain commandent des wagons parce qu’ils ont du grain à transporter et des clients qui achètent ce grain. En l’absence de preuve démontrant qu’un expéditeur de grain a commandé des wagons qu’il n’était pas en mesure de charger ni d’envoyer à la compagnie de chemin de fer pour le transport, par exemple des factures pour des droits de stationnement, l’Office conclura, en général, que si une compagnie céréalière commande des wagons, elle doit acheminer le grain vers le marché.

Comme il est noté précédemment, le transport est une demande dérivée, et l’objet de l’article 113 de la LTC doit être compris dans son contexte le plus vaste […]

Dans le contexte de l’industrie du grain, compte tenu de la façon dont ces produits sont commercialisés, il serait déraisonnable que l’Office exige qu’un expéditeur produise, pour chaque tonne de grain qu’il prévoit expédier, des contrats démontrant que le grain a été acheté puis revendu. Cela rendrait la disponibilité des recours en cas de manquement aux obligations en matière de niveau de services subordonnée au fait que l’expéditeur soit en rupture de contrat avec ses partenaires d’affaires.

Les contrats entre l’expéditeur et ses fournisseurs de grain et ses clients pourraient constituer des preuves convaincantes que l’expéditeur de grain avait du grain à transporter dans les wagons qu’il a commandés de la compagnie de chemin de fer. Toutefois, le fait que des contrats n’ont pas été produits pour chaque wagon commandé de la compagnie de chemin de fer ne signifie pas nécessairement que l’expéditeur n’a pas réussi à prouver que sa demande était raisonnable. D’autres éléments de preuve pourraient démontrer à la satisfaction de l’Office que l’expéditeur avait bel et bien du grain à transporter dans les wagons qu’il a commandés de la compagnie de chemin de fer.

Dans le cas présent, [Emerson] a déposé des lettres de deux de ses clients qui se plaignent de retards de livraison. [Emerson] a également fourni des copies de ses contrats de ventes à terme avec des producteurs.

De plus, la preuve au dossier indique qu’au niveau systémique, la récolte a été exceptionnelle en 2013 et que le nombre de wagons fournis ne suffisait pas pour la quantité de grain à transporter. Cette situation cadre avec la nécessité de CN de rationner les wagons, car la demande de wagons excédait le nombre de wagons qu’elle pouvait fournir.

L’Office est d’avis que cela prouve que les stocks de grain existaient et qu’il y avait une demande pour que le grain d’[Emerson] soit livré. Par conséquent, la demande de services de transport du grain d’[Emerson] était légitime.

CN n’a fourni aucune preuve qui réfute la preuve [d’Emerson]. CN a allégué qu’[Emerson] avait passé des commandes tactiques. Toutefois, CN n’a pas fourni de preuve pour démontrer qu’[Emerson] avait commandé plus de wagons que ce dont elle avait réellement besoin pour transporter l’avoine à sa disposition et la vendre à ses clients.

L’Office note que durant plus d’une semaine au cours de la période visée par la plainte, [Emerson] a commandé plus de wagons que la capacité de sa voie d’évitement ne le permet. CN laisse entendre que cela indique qu’[Emerson] a commandé plus de wagons que ce dont elle avait besoin. L’Office est d’avis que le fait qu’[Emerson] a commandé plus de wagons au cours d’une semaine que ce qui peut être livré pour un seul placement, cela ne fait que prouver qu’[Emerson] a passé des commandes nécessitant que CN desserve [Emerson] plus d’une fois au cours de la même semaine agricole. Cela ne prouve pas qu’[Emerson] a commandé plus de wagons que nécessaire compte tenu des conditions de l’offre et de la demande du marché.

[88]      Se fondant sur le dossier qui lui avait été produit, notamment sur la récolte sans précédent de 2013–2014 et sur la disponibilité du grain, l’Office a conclu (aux paragraphes 38 et 39) que, « selon la prépondérance des probabilités », « la demande de services d’[Emerson] était légitime » ou, autrement dit, qu’Emerson « aurait eu du grain à expédier si elle avait reçu les wagons qu’elle avait commandés ». Selon le paragraphe 113(1), cela faisait naître des obligations pour le CN. Encore une fois, compte tenu du dossier dont il disposait, l’Office a conclu que le CN n’avait pas rempli ses obligations (aux paragraphes 40 à 46). Suivant le raisonnement exposé dans l’arrêt Dreyfus qu’il a rendue le 3 octobre 2014 [Louis Dreyfrus Commodities Canada Ltd. c. CN – demande relative au niveau de services, Lettre-décision no 2014-10-3] (qui tient compte du fait que, comme l’écrivait la Cour suprême dans l’arrêt Patchett, les engagements du CN aux termes du paragraphe 113(1) de la Loi « ne l’obligent que dans la mesure du raisonnable », que notre Cour a considérée comme raisonnable et donc confirmée par l’arrêt Dreyfus, précité), l’Office a conclu que le CN avait manqué à ses obligations en matière de niveau de services envers Emerson au cours de la période visée par la plainte d’Emerson (aux paragraphes 47 à 75).

[89]      Je passe maintenant à la thèse du CN selon laquelle l’Office a tiré à une conclusion déraisonnable parce que, ainsi que le fait valoir le CN dans le deuxième moyen mentionné dans son avis d’appel, l’Office a considéré [traduction] « les commandes de wagons non satisfaites au cours d’une semaine donnée comme des “marchandises à transporter” accumulées, visées par le paragraphe 113(1) de la Loi, pour les semaines, mois et années à venir ».

[90]      Aux paragraphes 65 à 68 de ses motifs, l’Office a conclu que le CN avait droit à un certain retard dans la livraison de wagons à Emerson durant la période visée par la plainte, mais qu’il n’était pas totalement libéré de ses obligations de service concernant les marchandises qu’Emerson voulait faire transporter. En effet, le paragraphe 113(1) de la Loi oblige le transporteur à recevoir, transporter et livrer « sans délai » toutes les marchandises à transporter.

[91]      L’Office a étudié le service fourni par le CN durant toute la période visée par la plainte et a conclu que la proportion de wagons acheminés avec feuille de route par rapport aux wagons commandés avait diminué au fil du temps. Le CN pouvait justifier un certain retard dans la livraison de wagons, mais il ne pouvait pas justifier le retard d’une durée indéterminée dans son service pour ce qui s’était révélé être 40 p. 100 des marchandises d’Emerson. A l’appui de cette conclusion, l’Office a retenu une interprétation particulière des obligations du CN en vertu de la Loi, puis il a appliqué cette interprétation de la Loi aux faits qui lui avaient été produits (aux paragraphes 65, 66 et 68) :

Même si la demande de services de transport de grain d’un expéditeur donné, qui s’avère inattendue ou différente de ses habitudes historiques, peut justifier un certain retard dans la livraison des wagons commandés, les wagons doivent néanmoins être livrés et transportés par la compagnie de chemin de fer. L’expression « sans délai » de l’alinéa 113(1)c) de la [Loi sur les transports au Canada] doit être interprétée dans le contexte des circonstances particulières de chaque cas. Devant une demande de services inattendue, surtout si la compagnie de chemin de fer n’a pas eu suffisamment de temps pour réagir, l’alinéa 113(1)c) de la [Loi sur les transports au Canada] sera interprété comme s’il fallait fournir à une compagnie de chemin de fer un délai raisonnable pour répondre à la demande de services en question.

Toutefois, cela ne signifie pas qu’une compagnie de chemin de fer peut invoquer indéfiniment et dans tous les cas le manque de temps de réaction. En vertu de la [Loi sur les transports au Canada], les compagnies de chemin de fer doivent veiller à attribuer suffisamment de ressources de façon continue, afin de fournir des installations convenables pour le transport, le déchargement et la livraison des marchandises à transporter par chemin de fer. Le manque de temps pour planifier n’annule aucunement les obligations d’une compagnie de chemin de fer de recevoir, d’acheminer et de livrer, sans délai, les marchandises à transporter.

[…]

L’Office conclut que les facteurs ont entraîné quelques retards dans la livraison de wagons à [Emerson] au cours de la période visée par la plainte; toutefois, CN n’a pas justifié le piètre niveau de services global fournit à [Emerson] au cours de la période visée par la plainte. Plus particulièrement, comme le décrit l’étape 2 de l’AÉ ci-dessus, [Emerson] a été exposée à une situation où elle a reçu de mauvais services, de telle sorte que les services de CN envers [Emerson] se sont détériorés du début de la période visée par la plainte jusqu’au point où, pendant quatre semaines, soit à compter de la semaine [SUPPRESSION], [Emerson] n’a reçu que 49 pour cent de l’ensemble des wagons commandés jusqu’à ce moment-là. À la fin de la période visée par la plainte, CN n’avait pas livré 40 pour cent du nombre total de wagons demandés par [Emerson] au cours de la période visée par la plainte.

Se fondant sur cette interprétation de la Loi et sur les faits en question, l’Office a conclu que le « CN a manqué à ses obligations en matière de niveau de services envers [Emerson] au cours de la période visée par la plainte » (au paragraphe 70).

[92]      L’approche retenue par l’Office concernant le paragraphe 113(1) consistait à considérer la situation dans son ensemble, en prêtant attention à toutes les circonstances de l’affaire, et à examiner globalement si le CN avait rempli ses obligations selon la Loi au cours d’une certaine période, en gardant à l’esprit que, pour reprendre les termes de l’arrêt Patchett, ces obligations [traduction] « ne l’oblig[eaient] que dans la mesure du raisonnable ». Cette approche est défendable compte tenu du libellé du paragraphe 113(1) eu égard à la norme énoncée dans l’arrêt Patchett. Le libellé du paragraphe 113(1) n’appelle pas le genre d’examen hebdomadaire que le CN nous a pressés d’avaliser. Un examen global de la question de savoir si le transporteur a rempli ses obligations est sans doute des plus louables lorsque, comme en l’espèce, des wagons sont commandés et livrés chaque semaine et que des déficits surviennent périodiquement.

[93]      Globalement, l’Office est arrivé à des conclusions factuelles fondées sur la preuve et sur une lecture du paragraphe 113(1) de la Loi qui est compatible avec une interprétation acceptable de la disposition et avec la jurisprudence Patchett de la Cour suprême. Le CN n’a pas démontré que la décision de l’Office est entachée d’un vice fatal ou résulte d’une interprétation manifestement erronée pouvant ébranler le fondement de sa jurisprudence Viterra, précitée. Pour les motifs susmentionnés, la décision de l’Office dans la présente affaire appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, et elle est donc raisonnable.

C.        Dispositif proposé

[94]      Je rejetterais l’appel avec dépens.

La juge Gauthier, J.C.A. : Je suis d’accord.

La juge Gleason, J.C.A. : Je suis d’accord. 

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