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[2018] 1 R.C.F. 355

T-1032-16

2017 CF 190

Kaileshan Thanabalasingham (demandeur)

c.

Procureur général du Canada (défendeur)

Répertorié : Thanabalasingham c. Canada (Procureur général)

Cour fédérale, juge Russell—Toronto, 12 janvier; Ottawa, 15 février 2017.

Libération conditionnelle — Demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue par la Commission des libérations conditionnelles du Canada, qui a refusé la demande de suspension de casier judiciaire présentée par le demandeur en vertu de la Loi sur le casier judiciaire — Le demandeur était un citoyen tamoul sri-lankais qui, au moment de la demande, était résident permanent de la Nouvelle-Zélande — Lorsqu’il vivait au Canada, le demandeur a été condamné pour trois chefs d’accusation liés à des activités violentes, et une inculpation de parjure contre lui a été suspendue en raison de son expulsion du pays — En 2001, le demandeur a été arrêté et a fait l’objet d’une ordonnance d’expulsion du Canada, qu’il a portée en appel — Il a par la suite présenté deux fois à des intervalles différents une demande de suspension de casier judiciaire en vertu de l’art. 3 de la Loi sur le casier judiciaire, mais ses demandes ont été rejetées — Lorsqu’elle a refusé la deuxième demande de suspension de casier du demandeur, la Commission a fait remarquer que le demandeur avait adopté un mode de vie violent dans les quatre premières années de son arrivée au Canada, avait été accusé de nombreuses infractions violentes et n’avait pas démontré de bonne conduite avant son expulsion — Par conséquent, et considérant tous les renseignements figurant au dossier du demandeur, la Commission a refusé sa demande de suspension de casier judiciaire, car elle a estimé qu’une telle décision viendrait déconsidérer l’administration de la justice — Le demandeur a fait valoir, entre autres, que la Commission avait commis une erreur en droit en omettant de comprendre la portée de son pouvoir discrétionnaire — Il s’agissait de savoir si la Commission a commis une erreur en droit en interprétant son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’art. 4.1(1) de la Loi, si elle a commis une erreur en droit en omettant de tenir compte des facteurs pertinents, et si la décision de la Commission était raisonnable — Le raisonnement sous-jacent à la décision était clair en l’espèce; la décision démontrait la justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel exigées par la jurisprudence — Les art. 4.1(1)a) et b) de la Loi ont été examinés — Il semble clair que la période applicable à l’admissibilité s’écoule à compter de « l’expiration légale de la peine » et que le pouvoir discrétionnaire de la Commission lui permettant d’accorder ou de refuser une suspension de dossier à un demandeur en vertu de l’art. 4.1(1) nécessite un examen de la conduite de celui-ci au cours de « la période applicable mentionnée à l’art. 4(1) » — La Commission a adopté une démarche inégale quant à la détermination de la période applicable, soit de la date d’expiration de la peine ou de la date de la demande — Une interprétation littéraire de la Loi a entraîné une injustice grave en l’espèce — La demande de 2014 a été présentée par le demandeur au moins dix ans après l’écart de conduite (parjure avoué par le demandeur en 2004) qui a servi à justifier le refus de celle-ci — La démarche de la Commission quant à la période applicable de dix ans à l’espèce a entraîné une erreur susceptible de révision — La preuve était claire : depuis le parjure de 2001–2002 et son expulsion en 2006, le demandeur avait complètement refait sa vie de façon admirable — Sa demande de réhabilitation n’aurait pas dû être endiguée par un accent indu sur une conduite remontant à 2001-2002 — En l’espèce, la Commission a omis de tenir compte d’une preuve solide étayant la bonne conduite et la réadaptation du demandeur au cours d’une période probante de sa vie — Le résultat était entièrement déraisonnable et la décision ne se situait pas parmi les issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit — Demande accueillie.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue par la Commission des libérations conditionnelles du Canada, qui refusait une demande de suspension de casier judiciaire. Le demandeur était un citoyen tamoul sri-lankais qui, au moment de la demande, était résident permanent de la Nouvelle-Zélande. Cependant, il est décédé à la suite de blessures graves subies dans un incendie d’une maison le 20 janvier 2017. Son épouse et un de ses enfants ont péri dans le même incendie. La présente demande de contrôle judiciaire n’a maintenant qu’une portée théorique étant donné le décès tragique du demandeur. Cependant, en raison de la confusion entourant la [traduction] « période applicable » durant laquelle la Commission doit examiner la conduite du demandeur ainsi que la façon dont celle-ci doit être évaluée, il était judicieux de rendre une décision dans les circonstances. La question au centre de cette demande transcendait le dossier du demandeur et serait probablement utile pour les demandeurs et la Commission à l’avenir.

En 1991, le demandeur est arrivé au Canada après avoir fui le Sri Lanka. Durant son séjour au Canada, il a été présumément impliqué dans un gang de rue violent composé de jeunes tamouls et a été condamné pour trois chefs d’accusation liés à des activités violentes. D’autres accusations déposées contre le demandeur ont été retirées, et une inculpation de parjure a été suspendue en 2006 en raison de son expulsion du pays. En 2001, le demandeur a été arrêté au motif qu’il était membre d’un groupe criminel organisé et posait un danger pour le public. Il a fait l’objet d’une ordonnance d’expulsion du Canada, qu’il a portée en appel. À ce moment, le demandeur a été inculpé de parjure pour avoir minimisé sa participation à un gang de rue violent de jeunes tamouls. L’inculpation a été suspendue lorsque le demandeur a été expulsé en Nouvelle-Zélande, où il a obtenu protection et où il vivait à titre de résident permanent. En 2009, il s’est vu refuser une demande de suspension de casier judiciaire pour trois raisons : il n’avait pas fait preuve de bonne conduite au cours des cinq dernières années en raison de l’inculpation de parjure en 2004; il avait des amendes non payées; et il avait été expulsé au motif qu’il représentait un danger pour le public en 2006. En août 2014, le demandeur a encore une fois demandé une suspension de casier judiciaire, décrivant ses antécédents criminels ainsi que les mesures positives qu’il avait adoptées depuis sa dernière condamnation. Lorsqu’elle a refusé la deuxième demande de suspension de casier du demandeur, la Commission a fait remarquer que le demandeur avait adopté un mode de vie violent dans les quatre premières années de son arrivée au Canada, avait été accusé de nombreuses infractions violentes et n’avait pas démontré de bonne conduite avant son expulsion. Par conséquent, et considérant tous les renseignements figurant au dossier du demandeur, la Commission a refusé sa demande de suspension de casier judiciaire, car elle a estimé qu’une telle décision viendrait déconsidérer l’administration de la justice.

En ce qui concerne le paragraphe 4.1(1) de la Loi sur le casier judiciaire, le demandeur a fait valoir, entre autres, que la Commission avait commis une erreur en droit en omettant de comprendre la portée de son pouvoir discrétionnaire. En concluant que le demandeur n’a pas satisfait à l’exigence de bonne conduite, la Commission aurait dû évaluer la période pertinente, qui porte sur les dix années précédant la demande, mais elle s’est plutôt fondée sur les accusations antérieures et d’autres allégations criminelles qui ont toutes eu lieu avant 2004.

Il s’agissait de savoir si la Commission a commis une erreur en droit en interprétant son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 4.1(1) de la Loi, si elle a commis une erreur en droit en omettant de tenir compte des facteurs pertinents, et si la décision de la Commission était raisonnable.

Jugement : la demande doit être accueillie.

Bien qu’il ne s’agissait pas d’une décision exhaustive, il y avait une justification et une ligne de pensée quant aux conclusions de la Commission. La Commission a informé le demandeur de ses préoccupations et lui a donné la possibilité d’y répondre. Le demandeur a répondu de façon exhaustive et complète. Le raisonnement sous-jacent à la décision était clair : en dépit des développements positifs dans la vie du demandeur depuis sa dernière condamnation en 1998, le demandeur avait des antécédents criminels importants au Canada, qui ont mené à son expulsion en 2006, et plus particulièrement, il n’avait pas eu de bonne conduite avant son expulsion (inculpation de parjure). La décision n’a pas à être exhaustive ou à s’attarder de façon détaillée à chaque point soulevé par le demandeur, tant qu’elle est suffisamment claire pour permettre à un demandeur et à la Cour de comprendre le raisonnement ainsi que la preuve à l’origine de celui-ci. Par conséquent, la décision démontrait la justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel exigées par la jurisprudence. Il s’agissait ensuite de déterminer si la décision se situait parmi les issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Si la Commission continuait à appliquer la Loi ainsi au demandeur, celui-ci pourrait ne jamais obtenir de pardon et cela irait à l’encontre de l’intention et de l’objet visé par la Loi. Ce problème provenait d’une application littéraire des dispositions réglementaires.

Les alinéas 4.1(1)a) et b) de la Loi ont été examinés, en particulier pour déterminer la période applicable pour l’examen. À première vue, ces dispositions exigent que la Commission examine le dossier du demandeur afin de déterminer la bonne conduite de celui-ci ainsi que de s’assurer qu’il n’a pas été condamné pour une infraction commise au titre d’une loi du Parlement « pendant la période applicable mentionnée au paragraphe 4(1) ». Le paragraphe 4(1) mentionne que « la période consécutive à l’expiration légale de la peine, notamment une peine d’emprisonnement, une période de probation ou le paiement d’une amende » doit s’être écoulée. Il semble donc clair que la période applicable à l’admissibilité s’écoule à compter de « l’expiration légale de la peine » et que le pouvoir discrétionnaire de la Commission lui permettant d’accorder ou de refuser une suspension de dossier à un demandeur en vertu du paragraphe 4.1(1) nécessite un examen de la conduite de celui-ci au cours de « la période applicable mentionnée au paragraphe 4(1) ».

En l’espèce, le demandeur a été condamné pour des infractions criminelles de 1996 à 1998; sa dernière peine est expirée en 1998. Par conséquent, en vertu de la Loi, il devenait admissible à une suspension de casier en 2008. L’inculpation de parjure à l’encontre du demandeur a été déposée en 2006, bien que celle-ci ait été suspendue au moment de l’expulsion du demandeur en mars 2006. Le fait que cette inculpation ait été suspendue ne la rend pas impertinente, en soi, lorsqu’il s’agit d’examiner la bonne conduite du demandeur au cours de « la période applicable ». Cependant ces dispositions constituent une période statique, ce qui a pour effet de discréditer toute bonne conduite éventuelle du demandeur. En outre, celui-ci aurait pu démontrer une réadaptation complète au cours d’une longue période de temps, sans qu’elle ne se trouve à l’intérieur de « la période applicable mentionnée au paragraphe 4(1) ». La Commission elle-même a reconnu ce problème et elle a adopté une démarche inégale quant à la détermination de la période applicable, soit de la date d’expiration de la peine ou de la date de la demande. Une interprétation littéraire de la Loi va immanquablement, dans certains cas, entraîner une injustice grave ou contrecarrer l’objet visé par le législateur et c’est ce qui s’est produit dans l’espèce. La Commission a fondé sa décision sur un parjure commis en 2001 et en 2002, lequel a été volontairement révélé par le demandeur en 2004. En l’occurrence, la demande de 2014 a été présentée au moins dix ans après l’écart de conduite qui a servi à justifier le refus de celle-ci.

La démarche de la Commission quant à la période applicable de dix ans à l’espèce a entraîné une erreur susceptible de révision et créé une injustice. La Commission aurait dû tenir compte de l’objet visé par la loi et s’apercevoir que sa démarche statique signifiait que le demandeur pourrait ne jamais être en mesure d’obtenir sa réhabilitation. La preuve était claire : depuis le parjure de 2001–2002 et son expulsion en 2006, le demandeur avait complètement refait sa vie de façon admirable. Sa demande de réhabilitation n’aurait pas dû être endiguée par un accent indu sur une conduite remontant à 2001–2002. La Commission, dans l’espèce, ne s’est pas harmonisée à ses propres pratiques, et à la jurisprudence de la Cour sur cette question, et a omis de tenir compte d’une preuve solide étayant la bonne conduite et la réadaptation du demandeur au cours d’une période probante de sa vie. Le résultat était entièrement déraisonnable et la décision ne se situait pas parmi les issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Loi sur le casier judiciaire, L.R.C. (1985), ch. C-47, art. 2.1, 2.2(1), 3(1), 4, 4.1.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 36.

Règlement sur le casier judiciaire, DORS/2000-303, art. 1.1.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Spring c. Canada (Procureur général), 2016 CF 87; Conille c. Canada (Procureur général), 2003 CFPI 613; Gary Mark c. Canada (Procureur général), T-351-15, la juge McDonald, jugement en date du 24 novembre 2015 (C.F.) (non publié); Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708.

DÉCISIONS CITÉES :

Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895; Saini c. Canada (Procureur général), 2014 CF 375.

DEMANDE de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue par la Commission des libérations conditionnelles du Canada, qui refusait une demande de suspension de casier judiciaire. Demande accueillie.

ONT COMPARU

Barbara Jackman et Razmeen Joya pour le demandeur.

Derek Edwards pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Jackman, Nazami & Associates, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

Le juge Russell :

I.          INTRODUCTION

[1]        La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 (Loi) d’une décision rendue par la Commission des libérations conditionnelles du Canada (Commission) et datée du 26 mai 2016 (décision), qui refusait une demande de suspension de casier judiciaire.

II.          FAITS

[2]        Le demandeur était un citoyen tamoul sri-lankais qui, au moment de la demande, était résident permanent de la Nouvelle-Zélande. Cependant, il est décédé à la suite de blessures graves subies dans un incendie d’une maison le 20 janvier 2017. Son épouse et son fils de 5 ans ont péri dans le même incendie, laissant sa fille de 12 ans orpheline.

[3]        En 1991, le demandeur est arrivé au Canada après avoir fui le Sri Lanka. Durant son séjour au Canada, il a été présumément impliqué dans un gang de rue violent composé de jeunes tamouls. Bien que ce ne soit pas une allégation formelle, le demandeur a été condamné pour trois chefs d’accusation liés à des activités violentes : possession d’une arme en 1996, omission de se conformer à un engagement en 1997 et complot en vue d’une agression en 1998. D’autres accusations déposées contre le demandeur ont été retirées, et une inculpation de parjure a été suspendue en 2006 en raison de son expulsion du pays.

[4]        En 2001, le demandeur a été arrêté au motif qu’il était membre d’un groupe criminel organisé et posait un danger pour le public. Le demandeur a fait l’objet d’une ordonnance d’expulsion du Canada, qu’il a portée en appel. À ce moment, le demandeur a été inculpé de parjure pour avoir minimisé sa participation à un gang de rue violent de jeunes tamouls. L’inculpation a été suspendue lorsque le demandeur a été expulsé en mars 2006. Cependant, quelques mois après son arrivée en Nouvelle-Zélande, il a demandé, puis obtenu protection dans ce pays, et y résidait depuis lors.

[5]        En 2009, le demandeur s’est vu refuser une demande de suspension de casier judiciaire pour trois raisons : il n’avait pas fait preuve de bonne conduite au cours des cinq dernières années en raison de l’inculpation de parjure en 2004; il avait des amendes non payées au montant de 168 75 $; et il avait été expulsé au motif qu’il représentait un danger pour le public en 2006.

[6]        En août 2014, le demandeur a encore une fois demandé une suspension de casier judiciaire. Dans sa demande, il a décrit ses antécédents criminels ainsi que les mesures positives qu’il a adoptées depuis sa dernière condamnation. Il a également expliqué les raisons pour lesquelles la suspension de son casier judiciaire lui offrirait un bénéfice mesurable et soutiendrait sa réadaptation. Notamment, le demandeur était interdit de territoire au Canada en raison de son casier judiciaire; il était nécessaire que celui-ci soit suspendu afin qu’il puisse, en compagnie de sa famille, retourner au Canada pour être avec sa famille élargie, certains membres de celle-ci ne pouvant pas aller les visiter en Nouvelle-Zélande.

[7]        En juillet 2015, la Commission a rendu une décision préliminaire refusant la demande de suspension de casier judiciaire du demandeur, indiquant qu’il subsistait des préoccupations quant à l’inculpation de parjure suspendue de 2006. Au surplus, la Commission a affirmé que le demandeur n’avait pas fait preuve de bonne conduite depuis sa dernière condamnation et qu’une telle suspension de casier viendrait déconsidérer l’administration de la justice en raison de l’implication de celui-ci dans une gang de rue.

[8]        Le demandeur a eu l’occasion de répondre aux préoccupations de la Commission; ce qu’il a fait par lettre datée du 11 avril 2016. Dans sa lettre, le demandeur a donné le contexte de sa participation dans des activités criminelles, notamment les difficultés que doivent affronter les jeunes tamouls fuyant la guerre et la persécution. Il s’est également défendu contre les affirmations de la Commission voulant que ses condamnations fussent liées à des infractions à caractère violent et qu’il eût été membre de haut rang du gang.

III.         DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[9]        Dans sa décision rendue le 26 mai 2016, la Commission a refusé la demande de suspension de casier du demandeur.

[10]      Le demandeur demandait une suspension de casier en lien avec trois condamnations : possession d’une arme en 1996, omission de se conformer à un engagement en 1997, et complot en vue d’une agression en 1998. En plus de ces condamnations, la Commission a également examiné le reste du casier du demandeur, lequel comprend des chefs d’accusation retirés en 1995 : tentative de meurtre; agression armée; possession d’une arme; tentative d’entrave à la justice; menaces; et omission de se conformer à un engagement. Il y avait également des chefs d’accusation retirés pour agression armée et agression entraînant des lésions corporelles, tous deux en 1996, et une inculpation de parjure suspendue en 2006.

[11]      Par la suite, la Commission a examiné les critères à remplir pour accorder une suspension de casier judiciaire. Notamment, la Commission doit être convaincue que le demandeur satisfait aux exigences légales, que le demandeur a fait preuve de bonne conduite, qu’une telle suspension de casier judiciaire offrirait un bénéfice mesurable au demandeur et appuierait sa réadaptation soutenue dans la société. La Commission doit également tenir compte de la nature, de la gravité et de la durée des infractions; et déterminer si une telle suspension de casier viendrait déconsidérer l’administration de la justice.

[12]      La Commission a ensuite fait écho à sa décision de juillet 2015 dans laquelle elle proposait de refuser la demande. À cette époque, il y avait des préoccupations entourant l’inculpation pour parjure suspendue ainsi qu’à savoir si le demandeur avait été sincère devant la Section d’appel de l’immigration. L’inculpation avait été suspendue en raison de l’expulsion du demandeur du Canada. De plus, la Commission était préoccupée par des rapports policiers faibles et convaincants suggérant que le demandeur avait été impliqué dans un gang de rue violent. Considérant ces éléments, la Commission n’était pas convaincue que le demandeur avait satisfait au critère de la bonne conduite depuis sa dernière condamnation ou que l’ordonnance de suspension de casier judiciaire ne viendrait pas déconsidérer l’administration de la justice.

[13]      Le demandeur a pu présenter des représentations écrites en réponse aux préoccupations de la Commission. Ces représentations comprenaient une lettre du demandeur ainsi que des documents supplémentaires, qui ont tous été examinés par la Commission.

[14]      Dans sa décision, la Commission a indiqué avoir tenu compte des documents supplémentaires soumis par le demandeur, soit : une copie de l’inculpation de parjure, une copie d’un jugement de la Cour suprême, des publications concernant les gangs tamouls et les migrants; une lettre du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et une lettre d’un député néo-zélandais responsable de l’immigration.

[15]      Dans sa lettre à la Commission, le demandeur a souligné les difficultés qu’il a dû affronter à son arrivée au Canada après avoir fui la guerre et la persécution au Sri Lanka en 1991, y compris le fait de vivre dans la région de Toronto où sévissaient racisme et discrimination à l’endroit des Tamouls. Le demandeur soutient que ces conditions l’ont mené à prendre de mauvaises décisions entraînant les condamnations visées par cette demande. Cependant, depuis qu’il a quitté cet environnement, le demandeur soutient que sa vie a changé. Il est marié et père de deux enfants, a obtenu un baccalauréat en génie, a occupé un emploi à temps plein avec plusieurs sociétés et a fait du bénévolat auprès du Refugee Council of New Zealand. Ces réalisations étaient démontrées par des lettres faisant l’éloge de son intégrité, de sa fiabilité, de sa générosité et de son travail acharné.

[16]      Le demandeur a également contesté l’allégation voulant qu’il était un membre de haut rang d’un gang de rue; chose qui n’a jamais été démontrée par un tribunal. Il estimait que la décision de lui refuser une suspension de casier judiciaire découlait de son refus d’admettre cette allégation. Dans la décision, la Commission reconnaît les prétentions du demandeur; néanmoins, elle estime qu’il y a eu suffisamment de preuves pour appuyer les accusations graves, dont trois chefs d’accusation pour tentative de meurtre; d’agression armée, de possession d’arme, et de menace. Au surplus, la Commission a souligné que le demandeur avait été expulsé du pays en vertu de l’article 36 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 au motif de criminalité grave. Par ailleurs, le demandeur a admis avoir rendu un faux témoignage lors de ses audiences devant la Section d’appel de l’immigration, ce qui a entraîné l’inculpation de parjure suspendue.

[17]      La Commission a également reconnu l’affirmation du demandeur selon laquelle il était injuste et contraire à l’objet visé par la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] d’être puni, car les autorités canadiennes ont choisi de suspendre l’inculpation de parjure qui expirait le 10 août 2007, et le demandeur avait maintenu un casier vierge et avait accompli maintes réalisations positives depuis lors.

[18]      Malgré ces facteurs positifs, la Commission remarque que le demandeur avait adopté un mode de vie violent dans les quatre premières années de son arrivée au Canada et avait subséquemment été accusé de nombreuses infractions violentes. La Commission a également indiqué que son séjour au Canada n’a pas mené à de réalisations positives et qu’il avait été expulsé au motif de criminalité grave. De plus, il n’avait pas démontré de bonne conduite avant son expulsion, ce qui a entraîné l’inculpation de parjure. Par conséquent, et considérant tous les renseignements figurant au dossier du demandeur, la Commission a refusé sa demande de suspension de casier judiciaire, car elle a estimé qu’une telle décision viendrait déconsidérer l’administration de la justice.

IV.        POINTS EN LITIGE

[19]      Le demandeur soumet les questions suivantes en lien avec sa demande :

a)         La Commission a-t-elle commis une erreur en droit en interprétant son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 4.1(1) de la Loi sur le casier judiciaire, L.R.C. (1985), ch. C-47 (LCJ)?

b)         La Commission a-t-elle commis une erreur en droit en omettant de tenir compte des facteurs pertinents?

c)         La décision de la Commission était-elle raisonnable?

V.        NORME DE CONTRÔLE

[20]      La Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir) a tranché en disant qu’il n’était pas toujours nécessaire d’analyser la norme de contrôle. La cour de révision peut adopter une norme de contrôle déjà établie de façon satisfaisante par la jurisprudence antérieure quant à une question particulière. Si cette recherche n’est pas fructueuse, ou dans l’absence de précédents pertinents et conformes aux nouveaux développements dans les principes de common law relatifs au contrôle judiciaire, la cour de révision devra tenir compte des quatre facteurs formant une analyse de la norme de contrôle : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, au paragraphe 48.

[21]      La jurisprudence établit que le contrôle judiciaire d’une décision d’un tribunal administratif interprétant sa propre loi constitutive fait l’objet d’une présomption quant à la norme de décision raisonnable, voir Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, au paragraphe 30; McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895, au paragraphe 21. La Cour a appliqué la norme de décision raisonnable tant à l’interprétation par la Commission de l’article 4.1 de la LCJ et à sa décision de refuser la suspension de casier judiciaire : voir Spring c. Canada (Procureur général), 2016 CF 87 (Spring), aux paragraphes 28 et 29.

[22]      Les autres questions soulevées par le demandeur doivent également être contrôlées en regard de la norme de décision raisonnable.

[23]      L’analyse d’une décision au regard du critère de décision raisonnable portera sur « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47 et Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 47, au paragraphe 59. En d’autres termes, la Cour devrait seulement intervenir si la décision était déraisonnable au sens qu’elle ne figure pas parmi les « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.        DISPOSITIONS LÉGALES

[24]      Les dispositions suivantes de la LCJ sont pertinentes à la procédure :

Attributions

2.1 La Commission a toute compétence et latitude pour ordonner, refuser ou révoquer la suspension du casier.

Instruction

2.2 (1) L’examen des demandes de suspension du casier ainsi que des dossiers en vue d’une révocation de suspension du casier visée à l’article 7 est mené par un membre de la Commission.

[…]

Demandes de suspension du casier

3 (1) Sous réserve de l’article 4, toute personne condamnée pour une infraction à une loi fédérale peut présenter une demande de suspension du casier à la Commission à l’égard de cette infraction et un délinquant canadien — au sens de la Loi sur le transfèrement international des délinquants — transféré au Canada par application de cette loi peut présenter une demande de suspension du casier à la Commission à l’égard de l’infraction dont il a été déclaré coupable.

[…]

Restrictions relatives aux demandes de suspension du casier

4 (1) Nul n’est admissible à présenter une demande de suspension du casier avant que la période consécutive à l’expiration légale de la peine, notamment une peine d’emprisonnement, une période de probation ou le paiement d’une amende, énoncée ci-après ne soit écoulée :

a) dix ans pour l’infraction qui a fait l’objet d’une poursuite par voie de mise en accusation ou qui est une infraction d’ordre militaire en cas de condamnation à une amende de plus de cinq mille dollars, à une peine de détention de plus de six mois, à la destitution du service de Sa Majesté, à l’emprisonnement de plus de six mois ou à une peine plus lourde que l’emprisonnement pour moins de deux ans selon l’échelle des peines établie au paragraphe 139(1) de la Loi sur la défense nationale;

b) cinq ans pour l’infraction qui est punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire ou qui est une infraction d’ordre militaire autre que celle visée à l’alinéa a).

Personnes inadmissibles

(2) Sous réserve du paragraphe (3), n’est pas admissible à présenter une demande de suspension du casier la personne qui a été condamnée :

a) soit pour une infraction visée à l’annexe 1;

b) soit pour plus de trois infractions dont chacune a fait l’objet d’une poursuite par voie de mise en accusation, ou, s’agissant d’infractions d’ordre militaire passibles d’emprisonnement à perpétuité, s’il lui a été infligé pour chacune une peine d’emprisonnement de deux ans ou plus.

Exception

(3) La personne qui a été condamnée pour une infraction visée à l’annexe 1 peut présenter une demande de suspension du casier si la Commission est convaincue :

a) qu’elle n’était pas en situation d’autorité ou de confiance vis-à-vis de la victime de l’infraction et que la victime n’était pas en situation de dépendance vis-à-vis d’elle;

b) qu’elle n’a pas usé de violence, d’intimidation ou de contrainte envers la victime, ni tenté ou menacé de le faire;

c) qu’elle était de moins de cinq ans l’aînée de la victime.

Fardeau : exception

(4) Cette personne a le fardeau de convaincre la Commission de l’existence des conditions visées au paragraphe (3).

Modification de l’annexe 1

(5) Le gouverneur en conseil peut, par décret, modifier l’annexe 1 pour y ajouter ou en retrancher une infraction.

[…]

Suspension du casier

4.1 (1) La Commission peut ordonner que le casier judiciaire du demandeur soit suspendu à l’égard d’une infraction lorsqu’elle est convaincue :

a) que le demandeur s’est bien conduit pendant la période applicable mentionnée au paragraphe 4(1) et qu’aucune condamnation, au titre d’une loi du Parlement, n’est intervenue pendant cette période;

b) dans le cas d’une infraction visée à l’alinéa 4(1)a), que le fait d’ordonner à ce moment la suspension du casier apporterait au demandeur un bénéfice mesurable, soutiendrait sa réadaptation en tant que citoyen respectueux des lois au sein de la société et ne serait pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

Fardeau du demandeur

(2) Dans le cas d’une infraction visée à l’alinéa 4(1)a), le demandeur a le fardeau de convaincre la Commission que la suspension du casier lui apporterait un bénéfice mesurable et soutiendrait sa réadaptation en tant que citoyen respectueux des lois au sein de la société.

Critères

(3) Afin de déterminer si le fait d’ordonner la suspension du casier serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice, la Commission peut tenir compte des critères suivants :

a) la nature et la gravité de l’infraction ainsi que la durée de sa perpétration;

b) les circonstances entourant la perpétration de l’infraction;

c) les renseignements concernant les antécédents criminels du demandeur et, dans le cas d’une infraction d’ordre militaire, concernant ses antécédents à l’égard d’infractions d’ordre militaire qui sont pertinents au regard de la demande;

d) tout critère prévu par règlement.

[25]      Les dispositions suivantes du Règlement sur le casier judiciaire, DORS/2000-303 (Règlement) sont pertinentes à l’espèce :

Octroi d’une réhabilitation

1.1 Pour l’application de l’alinéa 4.1(3)d) de la Loi, la Commission, afin de déterminer si le fait d’octroyer la réhabilitation à un demandeur serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice, peut tenir compte de ce qui suit :

a) la perpétration de l’infraction constitue une menace à la sûreté ou à la sécurité du Canada;

b) l’infraction constitue une infraction contre l’application de la loi et l’administration de la justice prévue à la partie IV du Code criminel qui a fait l’objet d’une poursuite par voie de mise en accusation;

c) l’infraction constitue des sévices graves à la personne au sens de l’article 752 du Code criminel;

d) la perpétration de l’infraction est motivée par des préjugés ou de la haine fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la langue, la couleur, la religion, le sexe, l’âge, la déficience mentale ou physique, l’orientation sexuelle ou tout autre facteur;

e) l’infraction est une infraction d’ordre militaire :

(i) qui est prévue aux articles 73 à 82 de la Loi sur la défense nationale et pour laquelle le demandeur a été condamné à l’emprisonnement à perpétuité,

(ii) qui est prévue à l’article 130 de la Loi sur la défense nationale et qui est également une infraction visée à l’un des alinéas a) à d) et f) à h) du présent article;

f) la perpétration de l’infraction a causé un préjudice physique ou psychologique grave à une autre personne;

g) l’infraction constitue une opération frauduleuse en matière de contrats et de commerce prévue à la partie X du Code Criminel et l’un des faits ci-après s’y applique :

(i) la fraude commise a une valeur supérieure à un million de dollars,

(ii) l’infraction a nui — ou pouvait nuire — à la stabilité de l’économie canadienne, du système financier canadien ou des marchés financiers au Canada ou à la confiance des investisseurs dans un marché financier au Canada,

(iii) l’infraction a causé des dommages à un nombre élevé de victimes,

(iv) le demandeur a indûment tiré parti de la réputation dont il jouissait dans la collectivité;

h) la perpétration de l’infraction a donné lieu à l’abus ou à l’agression d’un enfant, d’une personne vulnérable ou à l’utilisation de cruauté;

i) le demandeur a un casier judiciaire à l’étranger pour une infraction qui aurait pu faire l’objet d’une poursuite par voie de mise en accusation si elle avait été perpétrée au Canada;

j) le casier judiciaire du demandeur démontre un cycle d’activités criminelles répétées selon les paragraphes 462.37(2.04) et (2.05) du Code criminel ou la perpétration d’infractions d’une gravité croissante.

VII.       ARGUMENTS

A.        Demandeur

1)         Paragraphe 4.1(1) de la LCJ

[26]      Le demandeur estime que la Commission a commis une erreur en droit en omettant de comprendre la portée de son pouvoir discrétionnaire. En concluant que le demandeur n’a pas satisfait à l’exigence de bonne conduite, la Commission aurait dû évaluer la période pertinente, qui porte sur les dix années précédant la demande. La Commission s’est plutôt fondée sur les accusations antérieures relatives à sa participation élevée dans un gang de rue, activités qui ont toutes eu lieu avant 2004. Le demandeur souligne que sa dernière condamnation a eu lieu en 1998, l’inculpation de parjure était liée à des incidents qui ont eu lieu de 2001 à 2002; le retrait des accusations s’est produit en 1997 et en 1998; ainsi que la présumée implication dans des activités liées à un gang de rue qui se sont produites avant 2004.

[27]      Le demandeur soutient également que la Commission n’a pas tenu compte de la nature, de la gravité et de la durée des offenses et des circonstances entourant la commission des infractions. La Commission a plutôt tenu compte des accusations présumées qui n’ont pas entraîné de condamnation, comme l’implication présumée du demandeur dans un gang. L’omission d’évaluer les infractions réelles ainsi que les circonstances entourant leur commission démontrent un manque de pondération dans l’analyse nécessaire à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. En outre, au lieu de pondérer tous les facteurs, la Commission s’est concentrée sur les accusations retirées et les allégations présumées. Le demandeur soutient qu’il s’agit d’une application erronée de la LCJ et d’une erreur de droit. Au surplus, la Commission n’a pas indiqué les rapports sur lesquels elle s’est fondée ainsi que les motifs justifiant l’utilisation de ceux-ci. Cette situation est particulièrement flagrante, car il n’y a aucune condamnation inscrite au dossier ou preuve de conduite criminelle en lien avec les accusations retirées et les allégations non démontrées.

2)         Omission d’examiner des facteurs pertinents

[28]      Le demandeur soutient que l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire nécessite que tous les facteurs pertinents soient examinés afin de parvenir à une décision raisonnable et juste. La Commission s’est concentrée sur les allégations et les chefs d’accusation retirés, ce qui indique qu’elle a pondéré certains facteurs indûment et n’a pas tenu compte de tous les facteurs pertinents. Au surplus, le demandeur affirme que la Commission a apprécié la preuve de façon inégale. En outre, elle a admis des rapports policiers et d’autres documents sans tenir compte des éléments de preuves présentés par le demandeur et a refusé certains de ceux-ci sans motifs.

3)         Décision raisonnable

[29]      Dans la décision Spring, précitée, aux paragraphes 41 et 42, cette Cour a statué que les motifs quant au refus de suspendre le casier judiciaire du demandeur étaient inadéquats. En l’occurrence, le demandeur ne pouvait que spéculer sur la nature des questions de crédibilité soulevée par la Commission ainsi que sur les mesures qui pouvaient être prises pour atténuer ces préoccupations. Finalement, l’absence de motifs est venue attaquer la validité de ceux-ci ainsi que de la décision. Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur de la même façon quant à la demande de suspension de dossier du demandeur. La Commission a présenté plusieurs facteurs quant au demandeur, dont beaucoup étaient défavorables, et a évalué la conduite du demandeur durant la période des années 1990 à 2006, mais pas les condamnations en cause ou les circonstances entourant la commission de ces infractions. La Commission n’a pas analysé en quoi une telle suspension viendrait déconsidérer l’administration de la justice.

B.        Défendeur

1)         Paragraphe 4.1(1) de la LCJ

[30]      Le défendeur soutient que la Commission n’a pas commis d’erreur en tenant compte de l’inculpation de parjure suspendue en raison de l’expulsion du demandeur en 2006. Aucun mandat législatif ne suggère que la Commission est limitée dans son examen aux dix années précédant la date d’une demande de suspension de dossier.

[31]      L’article 4 de la LCJ établit l’admissibilité à présenter une demande de suspension de casier judiciaire dix ans après la dernière condamnation visée par la demande. En l’espèce, la dernière peine criminelle du demandeur remontait à 1998, le rendant admissible à soumettre une demande de suspension de casier en 2008. L’article 4.1 de la LCJ dispose que la Commission doit tenir compte de la conduite du demandeur au cours de cette période.

[32]      Le défendeur reconnaît que la Commission n’a pas toujours été uniforme quant à la période d’examen, laquelle aurait dû être appliquée à partir de la date de la demande ou de la date de l’expiration de la peine. Dans la décision Conille c. Canada (Procureur général), 2003 CFPI 613 (Conille), aux paragraphes 15 à 19, la Cour a déterminé que la Commission pouvait tenir compte de la conduite du demandeur à partir de la date d’expiration de la dernière peine jusqu’à la date de la demande. Dans d’autres cas, la Commission a effectué un examen des années précédant la demande. Cependant, la Cour a statué que la Commission doit effectuer une analyse pondérée de tous les renseignements pour la période choisie. Voir Gary Mark c. Canada (Procureur général), dossier T-351-15, le juge McDonald, jugement en date du 24 novembre 2015 (C.F.) (inédit) (Gary Mark).

[33]      L’inculpation de parjure, déposée en 2006, doit être examinée par la Commission dans son examen de la conduite du demandeur, car elle figure dans la période de dix ans suivant la fin de la dernière peine et précédant la date de la demande. De plus, la Commission détient un pouvoir discrétionnaire lui permettant d’examiner d’autres sources de renseignements en raison d’un relâche des règles de preuve, voir Saini c. Canada (Procureur général), 2014 CF 375, aux paragraphes 50 et 51. Dans son examen, la Commission a déterminé que l’inculpation ne permettait pas de conclure à une bonne conduite de la part du demandeur depuis l’expiration de sa peine. Au surplus, la Commission a examiné plusieurs autres sources de renseignements avant de rendre sa décision, notamment le dossier de la Couronne relativement à l’inculpation de parjure et les lettres du procureur de la Couronne pour les services policiers de Halton et de Peel.

[34]      Par conséquent, le défendeur soutient que la conclusion négative quant à la bonne conduite du demandeur figurait parmi les issues possibles, car il y avait des renseignements convaincants et dignes de foi selon lesquels le demandeur s’est parjuré et a été impliqué dans un gang de rue.

2)         Examen des facteurs pertinents

[35]      Dans la décision Spring, précitée, au paragraphe 33, la Cour a énoncé les facteurs à évaluer dans une décision relative à la suspension d’un dossier, à savoir s’ils aggravent ou atténuent le dossier, et a tranché que la pondération à leur accorder était laissée à la discrétion de la Commission. Dans la décision visée, la Commission a indiqué avoir considérablement examiné les représentations du demandeur, mais les avoir rejetées en raison du long passé criminel du demandeur ainsi que de l’ordonnance d’expulsion et de la conduite ayant mené à l’inculpation de parjure. La Commission est autorisée à pondérer les différents facteurs et à tirer des conclusions. À la lumière des circonstances, il n’était pas déraisonnable que la Commission arrive à la conclusion qu’une suspension de dossier viendrait déconsidérer l’administration de la justice.

[36]      Le défendeur soutient également qu’il était raisonnable que la Commission tienne compte de tous les antécédents du demandeur. Au surplus, l’ordonnance de suspension de casier judiciaire est une décision hautement discrétionnaire réservée à la Commission.

3)         Décision raisonnable

[37]      La Commission n’est pas tenue de s’attarder sur chaque question ou d’évaluer en profondeur tous les arguments ou les questions qui lui sont soumis, « cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision » : voir Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Newfoundland and Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708 (Nurses), au paragraphe 16. Le défendeur soutient que la décision contient des motifs permettant à la cour de révision de comprendre pourquoi elle a rendu cette décision et de déterminer si elle se situe parmi les issues acceptables au regard des faits et du droit.

[38]      Le défendeur affirme que la décision de refuser la suspension du casier judiciaire est raisonnable.

VIII.      DISCUSSION

[39]      La présente demande de contrôle judiciaire n’a maintenant qu’une portée théorique étant donné le décès tragique du demandeur le 20 janvier 2017. Néanmoins, en se fondant sur les principes fixés dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, le procureur du demandeur a demandé à la Cour de rendre une décision en raison de la confusion entourant la [traduction] « période applicable » durant laquelle la Commission doit examiner la conduite du demandeur ainsi que la façon dont celle-ci doit être évaluée. Le défendeur est d’accord à ce que la Cour rende une décision dans les circonstances et je crois également qu’il est judicieux de statuer sur la question au centre de cette demande, car elle transcende le dossier du demandeur et sera probablement utile pour les demandeurs et la Commission à l’avenir.

[40]      Il ne s’agit pas d’une décision exhaustive, néanmoins, il y a une justification et une ligne de pensée quant aux conclusions de la Commission.

[41]      La Commission indique clairement le cadre dans lequel la décision doit être prise :

[traduction] Lorsqu’elle évalue la possibilité d’accorder votre demande de suspension de casier judiciaire, la Commission doit être convaincue que vous avez satisfait les critères énoncés dans la législation : c’est-à-dire que vous avez fait preuve de bonne conduite, soit un comportement constant et démontrant la capacité de mener une vie dans le respect des lois; que la suspension de casier viendrait vous apporter un bénéfice mesurable, et que cette ordonnance viendrait soutenir votre réadaptation dans la société à titre de citoyen respectueux de la loi. La Commission doit également tenir compte de la nature, de la gravité et de la durée des infractions et être convaincue que l’ordonnance de suspension de votre casier judiciaire, relativement aux infractions visées par la présente, ne viendra pas déconsidérer l’administration de la justice.

[42]      La Commission a informé le demandeur de ses préoccupations et lui a donné la possibilité d’y répondre. Le demandeur a répondu de façon exhaustive et complète.

[43]      La Commission a ensuite traité des points saillants soulevés par le demandeur dans sa réponse, notamment les liens effectués par le demandeur entre le racisme et la discrimination à l’endroit des Tamouls à Toronto dans les années 1990 l’ayant mené à entreprendre des activités criminelles ainsi qu’à prendre de mauvaises décisions. La Commission remarque également les progrès subséquents du demandeur; son mariage, ses enfants, son baccalauréat, son emploi ainsi que son travail de bénévolat auprès du Refugee Council of New Zealand.

[44]      La Commission répond ensuite aux préoccupations soulevées par le demandeur quant à la qualité de la preuve utilisée pour caractériser sa participation à un gang de rue :

[traduction] Dans votre lettre, vous contestez également la référence à votre rôle à titre de membre de [sic] haut rang d’un gang et soutenez que cette affirmation n’est fondée ni sur des preuves ni sur une condamnation. Vous affirmez que ceci n’a jamais été démontré par un tribunal de droit et que vous êtes pénalisés pour n’avoir admis ces allégations. En outre, vous soutenez que la décision de refuser la suspension d’un casier judiciaire ne devrait pas être fondée sur des allégations n’ayant pas mené à une condamnation. La Commission a bien pris connaissance de votre position, néanmoins, elle considère que la police détenait suffisamment de preuves pour déposer des accusations à caractère très violent, comme tentative de meurtre (3 fois), agression armée, possession d’arme et menaces. La Commission remarque également que vous avez été expulsé en vertu de l’article 36 au motif de criminalité grave. L’inculpation de parjure a été suspendue en raison de votre expulsion du pays. Vous avez admis dans vos représentations écrites ne pas avoir été pleinement sincère devant la Section de l’immigration dans vos témoignages en 2001 et en 2002. Néanmoins, vous vous êtes dûment présenté devant les autorités en 2005 comme demandé et vous vous êtes rendu disponible pour subir les conséquences légales, quelles qu’elles soient.

[45]      La Commission mentionne ensuite le temps qui s’est écoulé depuis l’inculpation de parjure en 2006 ainsi que le bon dossier du demandeur et ses réalisations positives depuis cette époque. Cependant, la Commission a également pondéré ces facteurs en regard des facteurs négatifs provenant des antécédents du demandeur :

[traduction] La Commission a soigneusement soupesé vos représentations avant de rendre sa décision. Néanmoins, la Commission remarque également que vous avez adopté un mode de vie violent et que de nombreuses accusations à caractère violent ont été déposées à votre encontre, et ce, dans les quatre premières années de votre arrivée au Canada. La Commission peut utiliser tous les renseignements issus de source officielle pour déterminer votre conduite, ce qu’elle a fait. Votre séjour au Canada n’a pas eu de résultats positifs, puis vous avez été expulsé du pays en vertu de l’article 36 au motif de criminalité grave. Quant à votre expulsion, votre dossier a été entendu en appel à la Cour fédérale ainsi qu’à la Cour d’appel fédérale et a été rejeté par les deux instances, tout comme votre demande de sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion en janvier 2006.

[46]      Le raisonnement sous-jacent à la décision est clair : en dépit des développements positifs dans la vie du demandeur depuis sa dernière condamnation en 1998, le demandeur a des antécédents criminels importants au Canada, qui ont mené à son expulsion en 2006. Plus particulièrement :

[traduction] Vous n’avez pas eu de bonne conduite avant votre expulsion et avez admis ne pas avoir été parfaitement honnêtement devant la Section de l’immigration, ce qui a entraîné une inculpation de parjure, qui a été suspendue en 2006 en raison de votre expulsion.

[47]      La décision n’a pas à être exhaustive ou à s’attarder de façon détaillée à chaque point soulevé par le demandeur, tant qu’elle est suffisamment claire pour permettre à un demandeur et à la Cour de comprendre le raisonnement ainsi que la preuve à l’origine de celui-ci. Consulter l’arrêt Nurses, cité précédemment, au paragraphe 16.

[48]      Alors, à mon sens, cette décision démontre « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » exigées par le paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, précité.

[49]      Je dois donc déterminer si la question « [se situe parmi les] issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit », pour citer à nouveau l’arrêt Dunsmuir.

[50]      Le seul écart de conduite depuis la dernière condamnation du demandeur en 1998 et celle de l’inculpation de parjure, qui a été admise et divulguée par le demandeur lui-même. C’est d’ailleurs l’un des facteurs qui a empêché le demandeur d’obtenir un pardon en 2009 lorsqu’il a fait sa première demande. C’est pour cette raison que le demandeur a laissé le temps s’écouler avant de faire une deuxième demande en 2014. Si la LCJ était appliquée de la façon dont la Commission l’a fait dans l’espèce, alors la même inculpation de parjure serait soulevée à l’avenir, nonobstant l’écoulement du temps. En d’autres termes, si la Commission continue à appliquer la loi ainsi au demandeur, celui-ci pourrait ne jamais obtenir de pardon. Cela va à l’encontre de l’intention et de l’objet visé par la LCJ. Ce problème provient d’une application littéraire des dispositions réglementaires.

A.        Période de temps pertinente

[51]      Le demandeur soutient que, en vertu de la LCJ, la bonne conduite doit être évaluée relativement à une période de temps pertinente.

[52]      Plus particulièrement, il affirme que la Commission a traité l’inculpation de parjure comme une indication de mauvaise conduite au cours de la période visée. Le demandeur a soumis une deuxième demande de suspension de casier judiciaire en août 2014 et soutient que la période de dix ans pertinente à l’examen de la Commission devrait s’étendre de celle-ci à août 2004 ou qu’il faut suivre une autre démarche pour établir la période applicable aux fins de la LCJ et conformément à l’intention du législateur. Il affirme que son dernier écart de conduite remonte aux fausses déclarations effectuées à la Section d’appel de l’immigration en 2001 ou en début 2002, qu’il n’a pas rectifiées avant avril 2004. Ceci écarte l’inculpation de parjure de la période de dix ans devant être examinée. Le demandeur estime que la Commission a commis une erreur susceptible de révision en incluant l’inculpation de parjure à la période d’examen.

[53]      Le défendeur reconnaît que la Commission a suivi une démarche incohérente quant à la période d’examen à savoir si celle-ci s’étant de la date de la demande de suspension de dossier ou de la date d’expiration de la sentence. Cependant, en l’espèce, l’inculpation de parjure à l’encontre du demandeur a été déposée en 2006, ce qui signifie, selon le défendeur, que celle-ci s’est produite dix ans après l’expiration de la dernière peine, mais également dix ans avant la présente demande.

[54]      Les alinéas 4.1(1)a) et b) de la LCJ disposent ce qui suit :

Suspension du casier

4.1 (1) La Commission peut ordonner que le casier judiciaire du demandeur soit suspendu à l’égard d’une infraction lorsqu’elle est convaincue :

a) que le demandeur s’est bien conduit pendant la période applicable mentionnée au paragraphe 4(1) et qu’aucune condamnation, au titre d’une loi du Parlement, n’est intervenue pendant cette période;

b) dans le cas d’une infraction visée à l’alinéa 4(1)a), que le fait d’ordonner à ce moment la suspension du casier apporterait au demandeur un bénéfice mesurable, soutiendrait sa réadaptation en tant que citoyen respectueux des lois au sein de la société et ne serait pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

[55]      La période applicable pour l’examen est définie aux alinéas 4(1)a) et b) de la LCJ que voici :

Restrictions relatives aux demandes de suspension du casier

4 (1) Nul n’est admissible à présenter une demande de suspension du casier avant que la période consécutive à l’expiration légale de la peine, notamment une peine d’emprisonnement, une période de probation ou le paiement d’une amende, énoncée ci-après ne soit écoulée :

a) dix ans pour l’infraction qui a fait l’objet d’une poursuite par voie de mise en accusation ou qui est une infraction d’ordre militaire en cas de condamnation à une amende de plus de cinq mille dollars, à une peine de détention de plus de six mois, à la destitution du service de Sa Majesté, à l’emprisonnement de plus de six mois ou à une peine plus lourde que l’emprisonnement pour moins de deux ans selon l’échelle des peines établie au paragraphe 139(1) de la Loi sur la défense nationale;

b) cinq ans pour l’infraction qui est punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire ou qui est une infraction d’ordre militaire autre que celle visée à l’alinéa a).

[56]      À première vue, il me semble que ces dispositions exigent que la Commission examine le dossier du demandeur afin de déterminer la bonne conduite de celui-ci ainsi que de s’assurer qu’il n’a pas été condamné pour une infraction commise au titre d’une loi du Parlement « pendant la période applicable mentionnée au paragraphe 4(1) ». Le paragraphe 4(1) mentionne que « la période consécutive à l’expiration légale de la peine, notamment une peine d’emprisonnement, une période de probation ou le paiement d’une amende » doit s’être écoulée. Il semble donc clair, à la lecture de la LCJ, que la période applicable à l’admissibilité s’écoule à compter de « l’expiration légale de la peine » et que le pouvoir discrétionnaire de la Commission lui permettant d’accorder ou de refuser une suspension de dossier à un demandeur en vertu du paragraphe 4.1(1) nécessite un examen de la conduite de celui-ci au cours de « la période applicable mentionnée au paragraphe 4(1) ».

[57]      En l’espèce, le demandeur a été condamné pour des infractions criminelles de 1996 à 1998; sa dernière peine est expirée en 1998. Ceci signifie qu’en vertu de la LCJ, il devenait admissible à une suspension de casier en 2008. La période applicable pour l’examen de la Commission s’étendrait donc de 1998 à 2008, si on devait appliquer ces dispositions littéralement.

[58]      L’inculpation de parjure à l’encontre du demandeur a été déposée en 2006, bien que celle-ci ait été suspendue au moment de l’expulsion du demandeur en mars 2006.

[59]      Cependant, que cette inculpation ait été suspendue ne la rend pas impertinente, en soi, lorsqu’il s’agit d’examiner la bonne conduite du demandeur au cours de « la période applicable ». La dernière condamnation du demandeur, pour complot en vue d’une agression, est expirée en 1998. Par conséquent, lorsque le demandeur a soumis sa demande de suspension de casier en 2014, la période applicable, en regard des dispositions citées, s’étendait de 1998 à 2008. Le nœud se situe autour de l’inculpation de parjure qui a été déposée en 2006, ce qui se trouve à l’intérieur de la période applicable, bien que l’écart de conduite eût eu lieu lors du témoignage du demandeur devant la Section d’appel de l’immigration en 2001 et 2002. En outre, la Commission a traité l’inculpation de parjure en 2006 comme étant un écart de conduite étant survenu durant la période applicable, mais la conduite à l’origine de l’inculpation s’est produite en 2001 et en 2002.

[60]      Le demandeur n’a eu aucune peine en lien avec celle-ci, car l’inculpation a été suspendue au moment de son expulsion en 2006. Par conséquent, l’inculpation de parjure n’est pas pertinente à l’évaluation de l’admissibilité en vertu du paragraphe 4(1) de la LCJ. Elle est seulement pertinente afin de déterminer si le demandeur a eu « une bonne conduite » au cours de la « période applicable ». La « période applicable » à l’espèce, si l’on fait une lecture littéraire de la LCJ, s’étend de 1998 à 2008; l’écart de conduite visé par l’inculpation de parjure a eu lieu en 2001 et en 2002, soit à l’intérieur de la période applicable.

[61]      Cependant, ces dispositions constituent une période statique ce qui a pour effet de discréditer toute bonne conduite éventuelle du demandeur. En outre, celui-ci aurait pu démontrer une réadaptation complète au cours d’une longue période de temps, sans qu’elle ne se trouve à l’intérieur de « la période applicable mentionnée au paragraphe 4(1) ».

[62]      La Commission elle-même semble avoir reconnu ce problème et, comme le reconnaît le défendeur, elle a adopté une démarche inégale quant à la détermination de la période applicable, soit de la date d’expiration de la peine ou de la date de la demande. En outre, dans la décision Conille, précitée, la Cour a statué que la Commission pouvait tenir compte de la conduite durant la période s’écoulant de l’expiration de la peine à la date de la demande.

[63]      Une interprétation littéraire de la LCJ va immanquablement, dans certains cas, entraîner une injustice grave ou contrecarrer l’objet visé par le législateur. À mon sens, c’est ce qui s’est produit dans l’espèce. La Commission a fondé sa décision sur un parjure commis en 2001 et en 2002, lequel a été volontairement révélé par le demandeur en 2004. En l’occurrence, la demande de 2014 a été présentée au moins dix ans après l’écart de conduite qui a servi à justifier le refus de celle-ci. Afin d’éviter cette injustice, le demandeur avance que la Commission aurait dû examiner les dix années précédant la date de la demande, ou l’ensemble de la période de 2001 à la date de la demande pour rendre sa décision. Il me semble que la Cour et la Commission ont par le passé reconnu les injustices et les absurdités qui pouvaient découler d’une application littéraire de la LCJ et ont cherché des moyens d’éviter de telles situations.

[64]      Je remarque que le juge McDonald a rencontré la même difficulté dans la décision Gary Mark, précitée, et l’a abordée comme suit :

[traduction] Il existe de la jurisprudence quant à la question de la période applicable décrite dans la Loi comme une période de cinq ans, par rapport à la période de dix ans qui tient lieu de référence. La jurisprudence est encore pertinente à l’analyse de l’espèce. Dans Conille c Canada (Procureur général), 2003 CFPI 613, la Cour a déterminé que la Commission pouvait tenir compte de la conduite du demandeur à partir de la date d’expiration de la dernière peine jusqu’à la date de la demande. En l’espèce, le demandeur demande un pardon en 1999 pour une infraction commise en 1988. Le demandeur estime que la Commission a commis une erreur en limitant son analyse à la période de cinq ans suivant sa condamnation et omettant de tenir compte de sa conduite dans son ensemble depuis celle-ci. La Cour a déterminé que la période de cinq ans suivant l’expiration de la peine d’un demandeur « constitue une période importante dont doit tenir compte la Commission » (paragraphe 17). La Cour a déterminé que la Commission n’avait pas effectué une analyse « statique et figée » en se limitant à la période de cinq ans, mais qu’elle avait tenu compte de la conduite du demandeur au-delà de cette période (paragraphe 19).

Dans deux autres cas, Foster, précité, et Yussuf c Canada (Procureur général), 2004 CF 907, la Commission avait déterminé que la période applicable se calculait de la date de la demande. Dans Foster, précité, la Cour a statué que la Commission avait examiné les diverses accusations qui avaient été portées contre le demandeur au fil du temps, mais s’étaient surtout attardées à celles portées dans les cinq années précédant sa demande (paragraphe 8). Le demandeur dans Yussuf a présenté sa demande en mai 2000. Sa dernière condamnation remontait à mai 1993. La Commission nationale des libérations conditionnelles avait refusé sa demande en raison d’accusations déposées contre le demandeur en 2001. La Cour a statué que la Commission nationale des libérations conditionnelles était tenue, dans sa décision de refuser une demande de réhabilitation, examiner les éléments de preuve pertinents à la période applicable qui, selon l’analyse de la Cour, s’étendait sur les cinq années précédant la date de la demande (paragraphe 17 et 18).

Cette situation s’apparente au contrôle judiciaire de la décision Saini, précité, alors que la Commission nationale des libérations conditionnelles a examiné la période précédant la demande pour déterminer la bonne conduite du demandeur. Le demandeur a présenté une nouvelle demande de suspension de casier en août 2012. Sa dernière condamnation remonte à 1995, la peine était une amende qui a été réglée. La Commission a refusé sa demande au motif qu’il n’avait pas fait preuve de bonne conduite en raison d’une accusation déposée à son encontre en 2009.

Il est évident, à la lecture des décisions citées précédemment, que la Commission nationale des libérations conditionnelles n’a pas suivi une démarche constante dans la détermination de la période applicable à examiner. Différentes démarches ont été suivies dans différentes décisions. Néanmoins, la Commission nationale des libérations conditionnelles doit effectuer une analyse pondérée de tous les renseignements pour la période choisie.

En l’espèce, la décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles est fondée entièrement sur des accusations remontant à la période de 1999 à 2002. Contraire à Conille, la Commission nationale des libérations conditionnelles n’a pas tenu compte de la conduite de M. Mark au-delà de la période de 1999 à 2002, nonobstant la date de début de la période applicable de 10 ans. La décision est entièrement dépourvue d’une analyse des années où M. Mark n’a ni été accusé ni condamné relativement à une infraction à une loi fédérale. Il n’est pas clair que celles-ci ont même été considérées par la Commission nationale des libérations conditionnelles. Il ne semble pas non plus que la Commission nationale des libérations conditionnelles eût tenu compte des preuves importantes étayant les changements positifs dans la vie de M. Mark, qui témoignent tous de sa bonne conduite et de sa réadaptation. Il s’agit de preuves pertinentes de « bonne conduite » et d’un « comportement constant et démontrant une capacité de mener une vie dans le respect des lois ». La Commission aurait dû tenir compte de ces éléments de preuve. Voir : Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, au paragraphe 17.

J’estime que la Commission a commis une erreur en se concentrant uniquement sur la période de temps s’étirant de 1999 à 2002 alors que la loi fait clairement référence à l’examen d’une période de dix ans. Par conséquent, je conclus que la démarche de la Commission était déraisonnable et la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[65]      À mon sens, la démarche de la Commission quant à la période applicable de dix ans à l’espèce a entraîné une erreur susceptible de révision et créé une injustice. La Commission aurait dû tenir compte de l’objet visé par la loi et s’apercevoir que sa démarche statique signifiait que le demandeur pourrait ne jamais être en mesure d’obtenir sa réhabilitation. La preuve est claire : depuis le parjure de 2001–     2002 et son expulsion en 2006, le demandeur a complètement refait sa vie de façon admirable. Sa demande de réhabilitation ne devrait pas être endiguée par un accent indu sur une conduite remontant à 2001–2002. La Commission a su, dans d’autres cas, trouver des moyens pour éviter ce type de résultats soit en comptant la période à partir du moment de la demande ou en examinant l’ensemble de la période depuis la dernière condamnation à la date de la demande et la Cour a appuyé cette démarche plus souple et adaptée à l’intention du législateur. Tant la Commission et la Cour ont reconnu qu’une démarche rigide et statique pouvait causer des injustices graves et contrevenir à l’objet visé par la LCJ. La Commission, dans l’espèce, ne s’est pas harmonisée à ses propres pratiques, et à la jurisprudence de la Cour sur cette question, et a omis de tenir compte d’une preuve solide étayant la bonne conduite et la réadaptation du demandeur au cours d’une période probante de sa vie. Le résultat est entièrement déraisonnable et la décision ne se situe pas parmi les issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[66]      Le demandeur a soulevé d’autres questions, mais il n’est pas nécessaire d’y répondre étant donné les conclusions précédentes. La décision est annulée, mais étant donné le décès tragique du demandeur, il est inutile de la soumettre à un réexamen.

JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.         La demande est accueillie. La décision est annulée.

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