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[2018] 1 R.C.F. 386

T-1159-16

2017 CF 604

Jimmy Bilodeau-Massé (demandeur)

c.

Procureur général du Canada (défendeur)

Répertorié : Bilodeau-Massé c. Canada (Procureur général)

Cour fédérale, juge Martineau—Montréal, 27 mars; Ottawa, 19 juin 2017.

Compétence de la Cour fédérale — Contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Commission des libérations conditionnelles de maintenir la suspension de l’ordonnance de surveillance de longue durée (OSLD) du demandeur et de recommander le dépôt d’une nouvelle dénonciation conformément à l’art. 753.3 du Code criminel — La Commission a jugé qu’aucun programme de surveillance ne pouvait adéquatement protéger la société contre le risque de récidive du demandeur et que, selon toute apparence, les conditions de la surveillance n’avaient pas été observées — Le demandeur est un délinquant à contrôler soumis à une OSLD — En plus de sa décision, la Commission, dans l’exercice de la discrétion qui lui est conférée par l’art. 140(2) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC), a déterminé que la tenue d’une audience orale n’était pas justifiée dans ce dossier — Le demandeur présente diverses limites cognitives et est sous l’autorité légale du Service correctionnel du Canada (Service) — Lorsque le dossier du demandeur a été référé à la Commission, la procureure du demandeur a entre autres sollicité la tenue d’une audience post-suspension en personne — L’art. 140(1) de la LSCMLC prévoit que la tenue d’une audience est obligatoire dans les cas mentionnés aux art. a) à e) — Par contre, selon l’art. 140(2) de la LSCMLC, une audience est laissée à la discrétion de la Commission dans les autres cas, ce qui inclut la tenue d’une audience post-suspension suivant la suspension d’une OSLD — Il s’agissait de savoir si la Cour fédérale avait compétence pour statuer sur la validité des art. 140(1) et (2) de la LSCMLC et le cas échéant, s’il était opportun de rendre un jugement déclaratoire dans le présent dossier — La Cour fédérale a compétence pour rendre un jugement déclaratoire concernant la validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel, des art. 140(1) et (2) de la LSCMLC, ainsi que sur la portée des obligations incombant à la Commission en vertu des principes de justice fondamentale et/ou du droit administratif — Les trois volets du critère établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt ITO-Int’l Terminal Operators c. Miida Electronics étaient remplis en l’espèce — Dès lors que le critère est respecté, la Cour fédérale a compétence pour rendre des jugements déclaratoires en matière constitutionnelle tels que des déclarations d’invalidité — La Cour fédérale est également une « cour supérieure » aux fins de l’exercice de la compétence prévue à l’art. 18 de la Loi sur les Cours fédérales — Bien qu’elle ne soit pas une « cour supérieure » au sens de l’art. 96 de la Loi constitutionnelle de 1867, la Cour fédérale est néanmoins assimilable à une cour supérieure lorsqu’elle exerce en vertu de l’art. 18 de la Loi sur les Cours fédérales un pouvoir général de surveillance à l’égard des offices fédéraux — La Cour fédérale a donc compétence pour prononcer une déclaration formelle d’invalidité dans un dossier dans lequel la question constitutionnelle est validement soulevée, ce qui était le cas en l’espèce — En l’espèce, il était opportun que la Cour fédérale exerce son pouvoir discrétionnaire pour rendre un jugement déclaratoire concernant la validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel, des art. 140(1) et (2) de la LSCMLC, ainsi que sur la portée des obligations incombant à la Commission en vertu des principes de justice fondamentale et/ou du droit administratif — Cette Cour peut prononcer un jugement déclaratoire dans la mesure où elle a compétence sur l’objet du litige, où la question dont elle est saisi est une question réelle et non pas simplement théorique, et où la personne qui la soulève a véritablement intérêt à la soulever — Tous ces critères étaient rencontrés dans le présent dossier — Il suffisait de déclarer que la Commission doit, à tous égards, se conformer aux principes de justice fondamentale et tenir une audience en personne dans les cas particuliers — Par conséquent, le demandeur avait droit au jugement déclaratoire demandé — Demande accueillie en partie.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et sécurité — La Commission des libérations conditionnelles a entre autres décidé de maintenir la suspension de l’ordonnance de surveillance de longue durée (OSLD) visant le demandeur — La Commission, dans l’exercice de la discrétion qui lui est conférée par l’art. 140(2) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC), a déterminé que la tenue d’une audience orale n’était pas justifiée dans ce dossier — Le demandeur a fait valoir, entre autres, que l’absence de garantie d’une audience post-suspension viole l’art. 7 de la Charte — Une question constitutionnelle concernant l’étendue des obligations incombant à la Commission des libérations conditionnelles du Canada en vertu de la justice naturelle a été soulevée en l’espèce — Il s’agissait de savoir si les art. 140(1) et (2) de la LSCMLC violent l’art. 7 de la Charte — Le droit à la liberté du demandeur était engagé par l’application des mécanismes prévus à l’art. 135.1 de la LSCMLC — Il y avait donc lieu de déterminer si le caractère discrétionnaire du pouvoir accordé par l’art. 140(2) de la LSCMLC de tenir une audience va à l’encontre des principes de justice fondamentale — La portée de l’obligation d’agir équitablement a un contenu variable — S’agissant de l’art. 135.1 de la LSCMLC, l’absence d’un droit d’appel militait donc en faveur d’un processus décisionnel s’effectuant dans un plus grand respect des principes d’équité procédurale — Les principes de justice fondamentale requièrent que la procédure soit équitable — L’art. 7 de la Charte n’exige pas automatiquement et systématiquement la tenue d’une audience orale, et ce, même si les droits garantis par cette disposition sont en jeu — Dans la mesure où l’art. 140(2) de la LSCMLC n’empêche pas légalement la tenue d’une audience, lorsque cela peut s’avérer nécessaire dans les circonstances particulières du cas sous étude, l’existence d’un tel pouvoir discrétionnaire est neutre et n’est pas incompatible avec les principes de justice fondamentale qui sont garantis par l’art. 7 de la Charte.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Commission des libérations conditionnelles de maintenir la suspension de l’ordonnance de surveillance de longue durée (OSLD) du demandeur et de recommander le dépôt d’une nouvelle dénonciation conformément à l’article 753.3 du Code criminel. La Commission a jugé qu’aucun programme de surveillance ne pouvait adéquatement protéger la société contre le risque de récidive du demandeur et que, selon toute apparence, les conditions de la surveillance n’avaient pas été observées. Le litige portait sur l’étendue des obligations incombant à la Commission des libérations conditionnelles du Canada en vertu de la justice naturelle, de la loi et/ou de la Charte canadienne des droits et libertés lorsque, à la suite de la suspension d’une OSLD, elle décide en vertu du paragraphe 135.1(6) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC), de maintenir la suspension de l’OSLD et/ou de recommander le dépôt d’une dénonciation imputant au délinquant l’infraction visée à l’article 753.3 du Code criminel. En plus de contester la décision de la Commission des libérations conditionnelles, le demandeur a demandé un jugement déclaratoire.

Le demandeur est un délinquant à contrôler soumis à une OSLD jusqu’à son expiration. En plus de sa décision, la Commission, dans l’exercice de la discrétion qui lui est conférée par le paragraphe 140(2) de la LSCMLC, a déterminé que la tenue d’une audience orale n’était pas justifiée dans ce dossier. Le demandeur présente diverses limites cognitives et a l’âge mental d’un jeune enfant, en plus d’être inapte à assurer la protection de sa personne, à exercer ses droits civils et à administrer ses biens. Le dossier du demandeur a fait état d’une criminalité persistante depuis l’ouverture de sa fiche criminelle. Le demandeur est sous l’autorité légale du Service correctionnel du Canada (Service). La Commission a imposé au demandeur des conditions de surveillance, mais suite à divers bris de ces conditions, la surveillance en communauté du demandeur a été suspendue par le Service à plusieurs reprises. Lorsque le dossier du demandeur a été référé à la Commission, la procureure du demandeur a fait parvenir à la Commission des représentations écrites tout en sollicitant la tenue d’une audience post-suspension en personne. Néanmoins, la Commission a maintenu la suspension de l’OSLD et de nouvelles accusations criminelles pour bris des conditions imposées par l’OSLD ont été portées contre le demandeur, auxquelles il a plaidé coupable.

Le paragraphe 140(1) de la LSCMLC prévoit que la tenue d’une audience est obligatoire dans les cas mentionnés aux alinéas a) à e) du paragraphe (1). Par contre, selon le paragraphe 140(2) de la LSCMLC, une audience est laissée à la discrétion de la Commission dans les autres cas — ce qui inclut la tenue d’une audience post-suspension suivant la suspension d’une OSLD.

Le demandeur a fait valoir, entre autres, que l’absence de garantie d’une audience post-suspension viole l’article 7 de la Charte, que les principes de justice fondamentale exigent que le délinquant puisse, dans tous les cas, être rencontré en personne par la Commission dans le cadre d’une audience post-suspension et que la Commission a contrevenu aux principes d’équité procédurale, ou a autrement rendu une décision déraisonnable en refusant de tenir une audience post-suspension.

Il s’agissait principalement de savoir si la Cour fédérale avait compétence pour statuer sur la validité des paragraphes 140(1) et (2) de la LSCMLC et le cas échéant, s’il était opportun de rendre un jugement déclaratoire dans le présent dossier, et si les paragraphes 140(1) et (2) de la LSCMLC violent l’article 7 de la Charte.

Jugement : la demande doit être accueillie en partie.

La Cour fédérale a compétence pour rendre un jugement déclaratoire concernant la validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel, des paragraphes 140(1) et (2) de la LSCMLC, ainsi que sur la portée des obligations incombant à la Commission en vertu des principes de justice fondamentale et/ou du droit administratif. Les trois volets du critère établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt ITO-Int’l Terminal Operators c. Miida Electronics étaient remplis en l’espèce : 1) une loi attribue compétence à la Cour fédérale; 2) le droit fédéral constitue le fondement de l’attribution de sa compétence et est essentiel à la solution du différend; et 3) la loi fédérale est constitutionnellement valide. Dès lors que le critère est respecté, la Cour fédérale a compétence pour rendre des jugements déclaratoires en matière constitutionnelle tels que des déclarations d’invalidité. S’agissant des articles 18 et 28 de la Loi sur les Cours fédérales, pour véritablement exercer leur rôle de supervision et de contrôle de la légalité des décisions rendues par tout office fédéral, les Cours fédérales doivent forcément être en mesure de déclarer inopérante et/ou inconstitutionnelle toute disposition incompatible avec la Constitution, la loi suprême du Canada. La Cour fédérale est également une « cour supérieure » aux fins de l’exercice de la compétence prévue à l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales. Bien qu’elle ne soit pas une « cour supérieure » au sens de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867, la Cour fédérale est néanmoins assimilable à une cour supérieure lorsqu’elle exerce en vertu de l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales un pouvoir général de surveillance à l’égard des offices fédéraux. Il en est de même lorsqu’elle est saisie d’une action en vertu de l’article 17 de la Loi sur les Cours fédérales. La Cour fédérale a donc compétence pour prononcer une déclaration formelle d’invalidité dans un dossier dans lequel la question constitutionnelle est validement soulevée, ce qui était le cas en l’espèce. Par ailleurs, en édictant l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales, le Parlement a établi le cadre juridique statutaire suivant lequel, pour la meilleure administration des lois fédérales et de ses textes d’application, une question constitutionnelle peut être validement débattue devant la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale (ou même un office fédéral), et partant — devant la Cour suprême elle-même, lorsqu’un pourvoi a été autorisé. En conséquence, l’intention du Parlement du Canada était clairement de permettre aux Cours fédérales de rendre des jugements déclaratoires contraignants en matière constitutionnelle. Autrement, l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales n’aurait plus aucune utilité pratique.

En l’espèce, il était opportun que la Cour fédérale exerce son pouvoir discrétionnaire de rendre un jugement déclaratoire concernant la validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel, des paragraphes 140(1) et (2) de la LSCMLC, ainsi que sur la portée des obligations incombant à la Commission en vertu des principes de justice fondamentale et/ou du droit administratif. Nulle cour ne peut prétendre être mieux placée que l’autre pour statuer sur la question de validité constitutionnelle d’une disposition de la LSCMLC. Selon la jurisprudence, cette Cour peut prononcer un jugement déclaratoire dans la mesure où elle a compétence sur l’objet du litige, où la question dont elle est saisi est une question réelle et non pas simplement théorique, et où la personne qui la soulève a véritablement intérêt à la soulever. Tous ces critères étaient rencontrés dans le présent dossier. Premièrement, la légalité des actions du Service ou des décisions de la Commission pouvait être examinée par la Cour fédérale, en première instance, en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. Deuxièmement, la question constitutionnelle soulevée par le demandeur était inédite, n’était pas débattue devant un autre tribunal et n’était pas théorique. Troisièmement, s’agissant d’un délinquant visé par une OSLD, le demandeur avait un intérêt réel à faire déterminer la constitutionnalité des paragraphes 140(1) et (2) de la LSCMLC lorsque la Commission procède à un examen post-suspension en vertu de l’article 135.1 de la LSCMLC.

L’effet contraignant d’une déclaration d’invalidité ou d’inopérabilité constitutionnelle a été examiné. Le procureur général du Canada a été validement constitué à titre de défendeur dans la présente demande de contrôle judiciaire et de jugement déclaratoire. En l’espèce, le gouvernement du Canada sera lié par le jugement de la présente Cour, une fois que celui-ci sera final et que les mécanismes d’appel auront été épuisés. Par conséquent, tout jugement déclaratoire dans ce dossier pourrait avoir un effet utile. Considérant donc que la présente Cour avait compétence en la matière, il était contraire aux meilleurs intérêts de la justice que d’inviter le demandeur à s’adresser à ce point-là à la Cour supérieure du Québec pour faire trancher la question constitutionnelle dont était légalement saisie la Cour fédérale.

Le mérite des arguments des parties concernant la question constitutionnelle liée aux paragraphes 140(1) et (2) de la LSCMLC a également été examiné. L’article 7 de la Charte garantit à chacun le « droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne », et précise qu’il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’« en conformité avec les principes de justice fondamentale ». Le droit à la liberté du demandeur était engagé par l’application des mécanismes prévus à l’article 135.1 de la LSCMLC. Il y avait donc lieu de déterminer si le caractère discrétionnaire du pouvoir accordé par le paragraphe 140(2) de la LSCMLC de tenir une audience va à l’encontre des principes de justice fondamentale. La portée de l’obligation d’agir équitablement a un contenu variable. S’agissant de l’article 135.1 de la LSCMC, bien que la Commission ne fasse que rendre une recommandation qui ne lie en rien le défendeur, il n’en demeure pas moins que les délinquants ne peuvent faire appel des décisions de la Commission à la section d’appel. L’absence d’un droit d’appel militait donc en faveur d’un processus décisionnel s’effectuant dans un plus grand respect des principes d’équité procédurale. Avant de refuser de rencontrer en personne le délinquant dans une audience post-suspension, la Commission doit d’abord s’assurer que le caractère sûr et convaincant des renseignements au dossier lui permet de rendre une décision éclairée. Les principes de justice fondamentale n’exigent pas qu’un individu bénéficie de la procédure la plus favorable, mais requièrent que la procédure soit équitable. L’article 7 de la Charte n’exige pas automatiquement et systématiquement la tenue d’une audience orale, et ce, même si les droits garantis par cette disposition sont en jeu. Dans la mesure où le paragraphe 140(2) de la LSCMLC n’empêche pas légalement la tenue d’une audience, lorsque cela peut s’avérer nécessaire dans les circonstances particulières du cas sous étude, l’existence d’un tel pouvoir discrétionnaire est neutre et n’est pas incompatible avec les principes de justice fondamentale qui sont garantis par l’article 7 de la Charte.

En conclusion, bien que la liberté résiduaire d’un délinquant à contrôler soit restreinte à la suite de la suspension d’une OSLD, l’article 7 de la Charte n’oblige pas la Commission à tenir une audience post-suspension dans tous les cas où le dossier lui est référé par le Service. Les paragraphes 140(1) et (2) de la LSCMLC n’empêchent pas la Commission de tenir une audience post-suspension dans le cas où elle est appelée à exercer les pouvoirs prévus à l’article 135.1 de la LSCMLC. La discrétion conférée par le paragraphe 140(2) peut être appliquée d’une manière qui respecte les droits garantis par la Charte, notamment lorsqu’une question de crédibilité est déterminante dans le dossier. Il suffisait de déclarer que la Commission doit, à tous égards, se conformer aux principes de justice fondamentale et tenir une audience en personne dans les cas particuliers. Par conséquent, le demandeur avait droit au jugement déclaratoire demandé.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Acte de la Cour Suprême et de l’Échiquier, S.C. 1875, ch. 11, art. 1, 15, 58, 60, 61.

Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) [S.R.C.1970, appendice II, no 5].

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 7, 9, 23, 24(1), 32.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 753.1, 753.2(3), 753.3.

Code de procédure civile, RLRQ, ch. C-25.01, art. 76, 77.

Court of Chancery (England) Act, 1850 (R.-U.), 13 & 14 Vict., ch. 35.

Court of Chancery Procedure Act, 1852 (R.-U.), 15 & 16 Vict., ch. 86.

Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appendice III, art. 2e).

Décret fixant au 1er décembre 2012 la date d’entrée en vigueur des articles 526 à 528 de la loi, TR/2012-88.

Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfant, DORS/97-175.

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6.

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 91(27), 92(14), 96–101, 99, 129, 135.

Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 52.

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 231.4.

Loi des aliments et drogues, S.R.C. 1970, ch. F-27.

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 35(1) « juridiction supérieure ou cour supérieure ».

Loi renforçant la citoyenneté canadienne, L.C. 2014, ch. 22.

Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, art. 10(1),(3),(4).

Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. (1985), ch. T-2, art. 19.2.

Loi sur la Cour de l’Échiquier, S.R.C. 1952, ch. 98, art. 29c).

Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10, art. 18.

Loi sur la Cour suprême, L.R.C. (1985), ch. S-26, art. 3, 6, 45.

Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5.

Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. (1985), ch. O-9.

Loi sur le divorce, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 3, art. 26.1(2).

Loi sur le ministère de la Justice, L.R.C. (1985), ch. J-2, art. 2(2), 4, 4.1(1), 5(1)d).

Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, art. 100, 101a), 124(3), 129, 130, 131, 134.1(4), 134.2(1), 135(7), 135.1, 140.

Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable, L.C. 1992, ch. 19, art. 527.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2 « réparation », 4, 5.3, 5.4, 17, 18, 18.1, 23, 26, 27, 28, 44, 50, 57.

Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5.

Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620, art. 161(1), 164(1),(2).

Règles de la Cour suprême du Canada, DORS/2002-156, règle 33.

Statut de Westminster de 1931, (R.-U.), 22 Geo. V, ch. 4 [L.R.C. (1985), appendice II, no 27].

Supreme Court of Judicature Act, 1873 (R.-U.), 36 & 37 Vict., ch. 66, art. 3, 4.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Canada (Premier ministre) c. Khadr, 2010 CSC 3, [2010] 1 R.C.S. 44; ITO-Int’l Terminal Operators c. Miida Electronics, [1986] 1 R.C.S. 752; Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13, [2012] 1 R.C.S. 433.

DÉCISIONS DIFFÉRENCIÉES :

Windsor (City) c. Canadian Transit Co., 2016 CSC 54, [2016] 2 R.C.S. 617, inf. par 2015 CAF 88, [2016] 1 R.C.F. 265; Canada (Procureur général) c. Way, 2015 QCCA 1576 (CanLII), confirmant sub nom. Way c. Commission des libérations conditionnelles du Canada), 2014 QCCS 4193.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Gallone c. Canada (Procureur général), 2015 CF 608, [2015] A.C.F. no 598 (QL); Laferrière c. Canada (Procureur général), 2015 CF 612, [2015] A.C.F. no 578 (QL); R. c. Gamble, [1988] 2 R.C.S. 595; Jones et Maheux c. Gamache, [1969] R.C.S. 119; « B » c. Ministère de la Main-d’œuvre et de l’Immigration, [1975] C.F. 602 (1re inst.); Dyson v. Attorney-General, [1911] 1 K.B. 410 (C.A.); Thorson c. Procureur Général du Canada, [1975] 1 R.C.S. 138; Canada (Procureur général) c. Law Society of British Columbia, [1982] 2 R.C.S. 307; Strickland c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 37, [2015] 2 R.C.S. 713; Northern Telecom c. Travailleurs en communication, [1983] 1 R.C.S. 733; R. c. Henry, 2005 CSC 76, [2005] 3 R.C.S. 609; Brasseries Labatt du Canada Ltée c. Procureur général du Canada, [1980] 1 R.C.S. 914; Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203; Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513; Renvoi relatif à la Loi sur la Cour suprême, art. 5 et 6, 2014 CSC 21, [2014] 1 R.C.S. 433; R. c. Lloyd, 2016 CSC 13, [2016] 1 R.C.S. 130; Board v. Board, [1919] A.C. 956 (P.C.); Roberts c. Canada, [1989] 1 R.C.S. 322; Edwards, Henrietta Muir v. Attorney-General for Canada, [1930] A.C. 124 (P.C.); Attorney-General for Ontario v. Attorney-General for Canada, [1947] 1 D.L.R. 801, 1947 CanLII 301 (P.C.); Nouvelle-Écosse ((Workers’ Compensation Board) c. Martin; Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Laseur, 2003 CSC 54, [2003] 2 R.C.S. 504; Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant, [1997] 1 R.C.S. 241; R. c. Miller, [1985] 2 R.C.S. 613; May c. Établissement Ferndale, 2005 CSC 82, [2005] 3 R.C.S. 809; Wolf c. La Reine, [1975] R.C.S. 107; R. v. Pete, 1998 CanLII 6016, 104 B.C.A.C. 319; Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3; Association des parents de l’école Rose-des-vents c. Colombie-Britannique (Éducation), 2015 CSC 21, [2015] 2 R.C.S. 139; Mooring c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 R.C.S. 75.

DÉCISIONS CITÉES :

Blacksmith c. Canada (Procureur général), 2017 CF 605; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342; Mines Alerte Canada c. Canada (Pêches et Océans), 2010 CSC 2, [2010] 1 R.C.S. 6; Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 1 R.C.S. 177; Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1986] 3 C.F. 388 (C.A.); Hassouna c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 473, [2017] 4 R.C.F. 555; Operation Dismantle c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441; Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821; Felipa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 89, [2011] 1 R.C.F. 365, inf. par 2011 CAF 272, [2012] 1 R.C.F. 3; Liebmann c. Canada (Ministre de la Défense nationale), [1994] 2 C.F. 3 (1re inst.); Del Zotto c. Canada, [1997] 3 C.F. 40 (C.A.), inf. pour d’autres motifs [1999] 1 R.C.S. 3; Canada (Procureur général) c. McArthur, 2010 CSC 63, [2010] 3 R.C.S. 626; Conseil canadien des relations du travail c. Paul L’Anglais Inc. et autre, [1983] 1 R.C.S. 147; Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc., 2010 CSC 62, [2010] 3 R.C.S. 585; Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673; Three Rivers Boatman Limited c. Conseil Canadien des Relations Ouvrières et al., [1969] R.C.S. 607; Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217; Séminaire de Chicoutimi c. La Cité de Chicoutimi, [1973] R.C.S. 681, 1972 CanLII 153; R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295; Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College, [1990] 3 R.C.S. 570; Commonwealth of Puerto Rico c. Hernandez, [1975] 1 R.C.S. 228; Guindon c. Canada, 2015 CSC 41, [2015] 3 R.C.S. 3; Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561; Canada (Vérificateur général) c. Canada (Ministre de l’énergie, des mines et des ressources), [1989] 2 R.C.S. 49; Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3; Reza c. Canada, [1994] 2 R.C.S. 394; Établissement de Mission c. Khela, 2014 SCC 24, [2014] 1 R.C.S. 502; Laferrière c. Centre correctionnel communautaire Marcel-Caron, 2010 QCCS 1677 (CanLII); Laferrière c. Commission des libérations conditionnelles du Canada, 2013 QCCS 4228 (CanLII); Laferrière c Commission des libérations conditionnelles du Canada, 2013 QCCA 1081 (CanLII); Fording Coal Ltd. v. Vancouver Port Authority, 2006 BCCA 204, 53 B.C.L.R. (4th) 278; Morguard Investments Ltd. c. De Savoye, [1990] 3 R.C.S. 1077; Toronto Auer Light Co. v. Colling (1899), 31 O.R. 18, [1899] O.J. no 65 (QL) (Ch.D.); Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 R.C.S. 331; Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101; SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573; Krieger c. Law Society of Alberta, 2002 CSC 65, [2002] 3 R.C.S. 372; Cosgrove c. Conseil canadien de la magistrature, 2007 CAF 103, [2007] 4 R.C.F. 714, autorisation d’appel à la C.S.C. refusée [2007] 3 R.C.S. x; Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350; R. v. Gatza, 2016 ABPC 37 (CanLII); R. v. Bourdon, 2012 ONCA 256 (CanLII), 110 O.R. (3d) 168; Regina v. Cadeddu; Regina v. Nunery (1982), 40 O.R. (2d) 128, 146 D.L.R. (3d) 629 (H.C.J.); Illes v. Kent Institution, 2001 BCSC 1465, 160 C.C.C. (3d) 307; R. v. Swan (1983), 150 D.L.R. (3d) 626, 35 C.R. (3d) 135 (C.S. C.-B.); Conroy and The Queen (Re) (1983), 42 O.R. (2d) 342, 5 C.C.C. (3d) 501 (H.C.J.); R. v. Lowe (1983), 149 D.L.R. (3d) 732, 5 C.C.C. (3d) 535 (C.S.C.-B.); Mitchell c. R., [1976] 2 R.C.S. 570; Huynh c. Canada, [1996] 2 C.F. 976 (C.A.); Ruby c. Canada (Solliciteur général), 2002 CSC 75, [2002] 4 R.C.S. 3; R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3; Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), 2000 CSC 69, [2000] 2 R.C.S. 1120.

DOCTRINE CITÉE

Canada. Commission des libérations conditionnelles du Canada. Manuel des politiques décisionnelles à l’intention des commissaires, 2e éd., 2017.

Canada. Service correctionnel du Canada. Directive du commissaire no 715-2, « Processus décisionnel postlibératoire », 1er juin 2016.

Lange, Donald J. The Doctrine of Res Judicata in Canada, 4e éd. Markham, Ont. : LexisNexis, 2015.

Lemieux, Denis. « La nature et la portée du contrôle judiciaire » dans Collection de droit 2016-2017, École du Barreau du Québec, vol. 7, Droit public et administratif, Cowansville : Éditions Yvon Blais, 2016.

Sarna, Lazar. The Law of Declaratory Judgments, 4e éd. Toronto : Thomson Carswell, 2016.

DEMANDE de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Commission des libérations conditionnelles de maintenir la suspension de l’ordonnance de surveillance de longue durée du demandeur et de recommander le dépôt d’une nouvelle dénonciation conformément à l’article 753.3 du Code criminel. Demande accueillie en partie.

ONT COMPARU

Nadia Golmier pour le demandeur.

Marc Ribeiro et Virginie Harvey pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Surprenant Magloé Golmier avocats, Montréal, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Voici les motifs du jugement et le jugement rendus en français par

Le juge Martineau :

I.          Introduction

[1]        En vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], la Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit. En l’espèce, la Cour fédérale a-t-elle compétence pour statuer sur la validité des paragraphes 140(1) et (2) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (LSCMLC), et le cas échéant, est-il opportun de rendre aujourd’hui un jugement déclaratoire dans le présent dossier?

[2]        Le litige porte sur l’étendue des obligations incombant à la Commission des libérations conditionnelles du Canada (Commission) en vertu de la justice naturelle, de la loi et/ou de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (Charte), lorsque, à la suite de la suspension d’une ordonnance de surveillance de longue durée (OSLD), elle décide en vertu du paragraphe 135.1(6) de la LSCMLC de maintenir la suspension de l’OSLD et/ou de recommander le dépôt d’une dénonciation imputant au délinquant l’infraction visée à l’article 753.3 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.

[3]        Le paragraphe 140(1) de la LSCMLC prévoit que la tenue d’une audience est obligatoire dans les cas mentionnés aux alinéas a) à e) du paragraphe (1). Par contre, selon le paragraphe 140(2) de la LSCMLC, une audience est laissée à la discrétion de la Commission dans les autres cas — ce qui inclut la tenue d’une audience post-suspension suivant la suspension d’une OSLD (article 135.1 de la LSCMLC).

[4]        Ces dispositions sont reproduites ci-dessous :

Audiences obligatoires

140 (1) La Commission tient une audience, dans la langue officielle du Canada que choisit le délinquant, dans les cas suivants, sauf si le délinquant a renoncé par écrit à son droit à une audience ou refuse d’être présent :

a) le premier examen du cas qui suit la demande de semi-liberté présentée en vertu du paragraphe 122(1), sauf dans le cas d’une peine d’emprisonnement de moins de deux ans;

b) l’examen prévu au paragraphe 123(1) et chaque réexamen prévu en vertu des paragraphes 123(5), (5.01) et (5.1);

c) les examens ou réexamens prévus à l’article 129 et aux paragraphes 130(1) et 131(1) et (1.1);

d) les examens qui suivent l’annulation de la libération conditionnelle;

e) les autres examens prévus par règlement.

Audiences discrétionnaires

(2) La Commission peut décider de tenir une audience dans les autres cas non visés au paragraphe (1).

[5]        Le demandeur, M. Jimmy Bilodeau-Massé, est un délinquant à contrôler soumis à une OSLD. En l’espèce, la Commission a maintenu la suspension de l’OSLD et a recommandé le dépôt d’une dénonciation imputant au demandeur l’infraction visée à l’article 753.3 du Code criminel, tandis que dans l’exercice de la discrétion qui lui est conférée par le paragraphe 140(2) de la LSCMLC, elle a déterminé que la tenue d’une audience orale n’était pas justifiée dans ce dossier; d’où la présente demande de contrôle judiciaire et de jugement déclaratoire.

[6]        Le procureur général du Canada est partie au dossier à titre de défendeur. Conformément à l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, un avis de question constitutionnelle a été dûment signifié au défendeur, ainsi qu’à tous les procureurs généraux des provinces — mais ces derniers ont choisi de ne pas participer au débat. Il n’est pas contesté que le paragraphe 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867 confère compétence exclusive au Parlement du Canada en matière de procédure et de droit criminel (sauf la constitution des tribunaux de juridiction criminelle), que les dispositions de la LSCMLC et du Code criminel relatives à la surveillance en communauté des délinquants à contrôler relèvent de la compétence fédérale, et que la légalité de toute décision rendue par la Commission peut être examinée par la Cour fédérale en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales.

[7]        La présente Cour a entendu les représentations au mérite des parties concurremment à la demande de contrôle judiciaire et de jugement déclaratoire d’un autre délinquant à contrôler visant une décision similaire de la Commission où les mêmes questions de droit administratif et de droit constitutionnel sont soulevées en l’espèce (voir Blacksmith c. Canada (Procureur général), 2017 CF 605).

[8]        À l’audience, la procureure des deux demandeurs a indiqué que ces derniers abandonnaient toute prétention au niveau de la violation de l’article 9 de la Charte, qui prescrit que « [c]hacun a droit à la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires ». Il n’empêche, plaide la procureure des demandeurs, l’absence de garantie d’une audience post-suspension viole l’article 7 de la Charte (question constitutionnelle). D’une part, la suspension de l’OSLD et la réincarcération qui en découle affectent la liberté résiduelle du délinquant. D’autre part, les principes de justice fondamentale exigent que le délinquant puisse, dans tous les cas, être rencontré en personne par la Commission dans le cadre d’une audience post-suspension. Celle-ci doit être tenue avant l’expiration du délai statutaire de 90 jours prévu à l’article 135.1 de la LSCMLC, à moins que le délinquant ne renonce par écrit à ce droit ou refuse de se présenter à l’audience. De surcroît, les deux demandeurs soumettent que la Commission a, de toute façon, contrevenu aux principes d’équité procédurale, ou a autrement rendu une décision déraisonnable en refusant de tenir une audience post-suspension, ce qui justifie l’intervention de la Cour.

[9]        Bien que la Cour fédérale ait compétence pour statuer sur la question constitutionnelle et prononcer une déclaration formelle d’invalidité, le défendeur soutient la constitutionnalité des paragraphes 140(1) et (2) de la LSCMLC. La Commission a agi sous l’autorité de la loi. La discrétion qu’accorde à la Commission au paragraphe 140(2) de la LSCMLC de tenir une audience ne va pas à l’encontre de l’article 7 de la Charte : la liberté du délinquant n’est pas engagée, tandis que le pouvoir discrétionnaire de tenir une audience post-suspension n’est pas incompatible avec les principes de justice fondamentale. La Cour doit favoriser une interprétation législative qui s’harmonise avec ces principes. Une audience n’est pas nécessairement requise dans tous les cas. Puisque le pouvoir de tenir une audience post-suspension n’est pas supprimé, les paragraphes 140(1) et (2) de la LSCMLC ne portent pas atteinte à l’article 7 de la Charte. Subsidiairement, toute atteinte est justifiable en vertu de l’article premier. De toute façon, il n’y a eu aucune violation à un principe d’équité procédurale, et la décision contestée de la Commission est à tous égards raisonnable.

[10]      C’est la norme de la décision correcte qui s’applique à l’examen de la question constitutionnelle, à la détermination de la portée juridique des règles de justice naturelle ou d’équité procédurale, de même qu’à la question de savoir — eu égard aux faits particuliers de l’affaire — si la Commission a violé un principe d’équité procédurale en maintenant la suspension de l’OSLD et en recommandant le dépôt d’une dénonciation imputant au délinquant l’infraction visée à l’article 753.3 du Code criminel, le tout sans avoir tenu une audience. D’un autre côté, c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique à l’examen des conclusions tirées sur le dossier par la Commission (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339 (Khosa); Gallone c. Canada (Procureur général), 2015 CF 608, [2015] A.C.F. no 598 (QL) (Gallone), au paragraphe 7; Laferrière c. Canada (Procureur général), 2015 CF 612, [2015] A.C.F. no 578 (QL) (Laferrière CF)).

[11]      À la lumière des faits particuliers au dossier et des dispositions législatives fédérales applicables, et ayant considéré l’ensemble des représentations des parties — ainsi que la jurisprudence pertinente, je suis satisfait que la Cour fédérale a compétence pour statuer sur la question constitutionnelle. Il est également opportun d’émettre un jugement déclaratoire concernant la constitutionnalité des paragraphes 140(1) et (2) de la LSCMLC et clarifiant la portée des obligations incombant à la Commission en vertu des principes de justice fondamentale. L’effet immédiat du jugement déclaratoire qui suit les présents motifs sera de lier les parties au dossier et l’office fédéral contre qui il est rendu.

II.          Toile de fond

[12]      Le demandeur est célibataire et sans enfant. Il est aujourd’hui âgé de 24 ans. Il présente diverses limites cognitives et a l’âge mental d’un enfant à l’étape de l’école primaire. Il souffre d’un trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité, de troubles de conduite, d’un trouble de personnalité limite et d’un possible trouble du spectre de l’autisme. Il est inapte, partiellement et de façon permanente, à assurer la protection de sa personne, à exercer ses droits civils et à administrer ses biens. De fait, depuis 2015, le demandeur est soumis au régime de protection du Curateur public du Québec.

[13]      Le dossier du demandeur fait état d’une criminalité persistante depuis l’ouverture de sa fiche criminelle en 2008 et révèle une problématique violente teintée d’un caractère fort, immature et explosif. Mais, en dépit de sa déficience intellectuelle, le demandeur ne souffre d’aucune pathologie psychiatrique pouvant expliquer son comportement violent. Le problème, semble-t-il, c’est que lorsque le demandeur s’ennuie ou fait face à une situation qu’il estime injuste, il a tendance à enfreindre les règlements ou adopter des comportements perturbateurs. Son potentiel de réinsertion sociale est faible, de même que ses niveaux de responsabilisation et de motivation. Cela dit, la médication joue un rôle important au niveau de la gestion du risque que le demandeur représente pour lui-même et pour la société.

[14]      Le 23 janvier 2012, le demandeur a été accusé de s’être livré à des voies de fait armées et des voies de fait avec lésions à l’égard de deux membres du personnel de l’Institut universitaire en santé mentale de Québec. De fait, le 22 janvier 2012, il a notamment assené deux coups de barre de fer à la tête d’une infirmière qui était assise au poste. Il a aussi été accusé d’avoir, le lendemain de cet incident, proféré des menaces de mort à l’endroit d’un autre membre du personnel, et également de ne pas s’être conformé à un engagement, soit d’avoir une bonne conduite. Le demandeur a plaidé coupable à ces accusations criminelles.

[15]      Le 25 février 2013, la Cour du Québec a requis une évaluation psychiatrique dans un cadre présentenciel, ainsi qu’une expertise sur les délinquants dangereux ou à contrôler. Le demandeur a été considéré comme responsable de ses actes. Le 17 juillet 2013, la Cour du Québec a imposé une peine d’emprisonnement de neuf mois, s’ajoutant à la détention préventive déjà purgée par le demandeur. À cette occasion, le demandeur a été déclaré délinquant à contrôler.

[16]      Le demandeur est sous l’autorité légale du Service correctionnel du Canada (Service) et fait l’objet d’une OSLD qui expirera en 2019. En particulier, la Commission a imposé au demandeur des conditions de surveillance qu’elle juge raisonnables et nécessaires pour protéger la société et favoriser la réinsertion du demandeur. L’OSLD, qui a été amendée à quelques reprises, prévoit notamment que le demandeur doit séjourner au Centre correctionnel communautaire (CCC) Martineau — un centre spécialisé pour les délinquants souffrant de problèmes de santé mentale —, qu’il doit suivre un programme de traitement en lien avec les facteurs de risque et qu’il doit prendre des médicaments conformément aux prescriptions d’un praticien de la santé. De fait, le séjour du demandeur dans la communauté a débuté le 16 avril 2014.

[17]      La surveillance en communauté du demandeur a été suspendue par le Service à plusieurs reprises suite à divers bris de ces conditions. À chaque fois, le demandeur a été réincarcéré au Centre régional de santé mentale du pénitencier Archambault.

[18]      Bien que des entrevues post-suspension aient eu lieu avec des représentants du Service, et qu’à trois occasions, le dossier du demandeur ait été référé à la Commission, celle-ci n’a rencontré ce dernier en personne qu’à une seule reprise. C’était en août 2015. À cette occasion — il s’agissait de la sixième suspension — la Commission a recommandé le dépôt d’une dénonciation en vertu de l’article 753.3 du Code criminel. Des accusations pour non-respect des conditions de l’OSLD ont effectivement été portées en septembre 2015. Lors de la comparution du demandeur, son avocate a demandé une nouvelle évaluation. Il a été déclaré apte à comparaître. En octobre 2015, la cause a été reportée et il a été remis en liberté sous promesse de comparaître; il a réintégré le CCC Martineau, le 19 octobre 2015, en assignation à résidence.

[19]      Le 31 octobre 2015, l’OSLD du demandeur a été suspendue pour une septième fois. Le demandeur avait alors volé les cartes d’identité médicale de deux autres délinquants et avait eu un comportement menaçant ou intimidant — gestes qu’il a dit regretter par la suite. Le dossier a été référé à la Commission qui a accepté de tempérer. Le 13 janvier 2016, la Commission a rendu, sur dossier, une décision annulant la suspension de l’OSLD — tout en avisant formellement le demandeur qu’elle était insatisfaite de son comportement et qu’elle s’attendait à une tolérance zéro de la part des surveillants quant à tout nouvel écart de conduite. Compte tenu des regrets exprimés, la Commission n’a pas recommandé que d’autres accusations en vertu de l’article 753.3 du Code criminel soient portées contre le demandeur.

[20]      Le 30 mars 2016, la surveillance du demandeur a été suspendue par le Service pour une huitième fois. Le demandeur avait alors menacé un résident de l’unité et il avait tenté d’en étrangler un autre. Il avait ensuite pris la fuite de l’unité. Il a été retrouvé plusieurs heures plus tard. Lors de sa fuite, le demandeur avait frappé sur un véhicule et l’avait endommagé.

[21]      Le 14 avril 2016, le demandeur a été confronté aux faits qu’on lui reprochait lors d’une entrevue post-suspension menée par un représentant autorisé du Service. Le Service a maintenu la suspension et a référé le dossier à la Commission.

[22]      Le 22 avril 2016, le Service a préparé une « Évaluation en vue d’une décision » (Évaluation), comportant une recommandation de dénonciation imputant au demandeur l’infraction à l’article 753.3 du Code criminel. L’Évaluation — qui doit être lue conjointement avec la dernière mise à jour du plan correctionnel et du profil criminel du demandeur — a été communiquée au demandeur à la fin de mai 2016.

[23]      Le 5 juin 2016, la procureure du demandeur a fait parvenir à la Commission des représentations écrites — tout en sollicitant la tenue d’une audience post-suspension en personne — au motif que le demandeur « présente des capacités intellectuelles limitées et que sa situation soulève des questions sérieuses concernant la médication et les soins appropriés à sa condition ». La procureure a également produit l’expertise réalisée par le Dr Pierre Gagné, Directeur de la clinique médico-légale de l’Université de Sherbrooke, indiquant que la médicamentation du demandeur ne serait pas appropriée à sa situation — ce qui nuit par conséquent à sa capacité de respecter les conditions imposées dans le cadre de son OSLD.

[24]      En particulier, la demande d’audience post-suspension reposait sur deux arguments :

a)         Le paragraphe 140(2) de la LSCMLC — qui rend discrétionnaire la tenue d’une audience post-suspension dans les cas des délinquants visés par une OSLD — viole les articles 7 et 9 de la Charte (l’argument de Charte); et

b)         L’audience dans le cas du demandeur est d’autant plus requise afin de respecter l’équité procédurale puisque ce dernier présente des capacités intellectuelles limitées et que sa situation soulève des questions sérieuses concernant la médication et les soins appropriés à sa condition (l’argument de droit administratif).

[25]      La Commission a jugé que l’information en sa possession était « sûre et pertinente » et lui permettait de prendre une « décision éclairée ». S’agissant des arguments de Charte et de droit administratif, la Commission n’en dit point mot dans sa décision du 7 juin 2016, sinon qu’elle « a pris connaissance de l’ensemble des représentations de [la procureure du demandeur] », mais finalement, elle ne partage pas son opinion, car « [e]lle estime que la tenue d’une audience n’est pas justifiée ». La Commission note que les spécialistes s’entendent pour dire que le demandeur, malgré sa déficience intellectuelle, ne souffre d’aucune maladie psychiatrique et est responsable de ses actes. Examinant le comportement du demandeur à l’aune du bien-être public et de la protection de la société, la Commission maintient la suspension de l’OSLD et recommande le dépôt d’une nouvelle dénonciation conformément à l’article 753.3 du Code criminel — étant d’avis qu’aucun programme de surveillance ne peut adéquatement protéger la société contre le risque de récidive du demandeur et que, selon toute apparence, les conditions de la surveillance n’ont pas été observées.

[26]      C’est cette dernière décision qui fait l’objet de la présente attaque judiciaire.

[27]      Le 21 juin 2016, de nouvelles accusations criminelles pour bris des conditions imposées par l’OSLD ont été portées contre le demandeur.

[28]      Le 10 novembre 2016, le demandeur a plaidé coupable à ces accusations et a été condamné à un emprisonnement concurrent de 18 mois.

III.         Caractère théorique de certaines questions soulevées ou de certains remèdes recherchés par le demandeur

[29]      Rappelons qu’en vertu du paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales, sous réserve de l’article 28, la Cour fédérale a compétence exclusive, en première instance, pour : a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral; b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l’alinéa a), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d’obtenir réparation de la part d’un office fédéral. De plus, les paragraphes 18.1(3) et (4) de la Loi sur les Cours fédérales autorisent la Cour à déclarer nul ou illégal, ou annuler toute décision de l’office fédéral, et le cas échéant, à lui renvoyer le dossier pour jugement, conformément aux instructions qu’elle estime appropriées — de sorte que la Cour pourra ordonner qu’une audience ait lieu dans les cas de non-respect d’un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale, ou encore de non-respect de la loi notamment.

[30]      D’un autre côté, suivant les principes bien établis en matière de brefs de prérogative et autres remèdes discrétionnaires, une cour de justice peut refuser d’entendre une demande ou de statuer sur une question qui est devenue théorique (Borowski c. Canada (Procureur Général), [1989] 1 R.C.S. 342). Et, même lorsqu’un acte illégal a été commis et qu’il continue d’exister un litige entre les parties, la réparation appropriée est laissée à la discrétion du tribunal. Par exemple, la Cour fédérale peut émettre une déclaration en lieu et place de tout autre remède judiciaire (Mines Alerte Canada c. Canada (Pêches et Océans), 2010 CSC 2, [2010] 1 R.C.S. 6 (Mines Alerte Canada), au paragraphe 43; Canada (Premier ministre) c. Khadr, 2010 CSC 3, [2010] 1 R.C.S. 44, aux paragraphes 2 et 46–47).

[31]      Lors de l’audience devant cette Cour, la procureure du demandeur a été confrontée à la question de savoir si la présente demande en contrôle judiciaire était devenue théorique — en totalité ou en partie — suite au dépôt d’accusations imputant au demandeur des infractions à l’article 753.3 du Code criminel et à la condamnation subséquente de son client. Les actions contestables qui ont donné lieu aux suspensions de l’OSLD — incluant celle du printemps 2016 qui est à l’origine de la décision contestée aujourd’hui — ne sont pas véritablement en cause.

[32]      Mais voilà, plaide la procureure du demandeur, son client continue néanmoins d’être assujetti à une OSLD, de sorte que la situation problématique dénoncée dans la présente demande de contrôle judiciaire et en jugement déclaratoire risque de se répéter plus d’une fois encore (pour preuve, il n’y a qu’à voir le nombre de suspensions de l’OSLD dans ce dossier). De plus, d’autres délinquants sont dans une situation similaire, ce qui est notamment le cas du demandeur Blacksmith dans l’autre dossier entendu conjointement (Blacksmith c. Canada (Procureur général), 2017 CF 605 [précitée]). Les suspensions d’une OSLD sont fréquentes et le délai statutaire d’examen de 90 jours est très court. Aussi, les demandeurs en font une question de droit incontournable : puisque des questions de crédibilité sont souvent en jeu devant la Commission, les principes de justice fondamentale que protège l’article 7 de la Charte exigent la tenue d’une audience orale post-suspension dans le cas de la suspension de l’OSLD. Ce n’est pas une élucubration : les arguments de Charte et/ou de droit administratif sont sérieux et justifient que cette cour en prenne acte et y apporte une réponse satisfaisante.

[33]      De son côté, le procureur du défendeur ne remet pas en cause cette rhétorique du retour obligé du délinquant à la case départ si la question litigieuse soulevée par les demandeurs n’est pas clarifiée entretemps par la présente Cour.

[34]      Je suis d’accord avec les procureurs.

[35]      L’annulation de la décision rendue le 7 juin 2016 et le renvoi du dossier du demandeur pour redétermination à la Commission ne pourraient plus avoir aucun effet pratique ou juridique sur ce qui a déjà été accompli — le fait demeure que des accusations criminelles ont été portées et que le demandeur a été reconnu coupable d’avoir commis l’infraction mentionnée à l’article 753.3 du Code criminel. Toutefois, la Cour peut encore faire œuvre utile en tranchant là même où le bât blesse : le délinquant a-t-il automatiquement droit à une audience orale comme dans les cas mentionnés au paragraphe 140(1) de la LSCMLC?

[36]      Les arguments de Charte et/ou de droit administratif ont été longuement débattus à l’audience, de sorte qu’il paraît opportun, à première vue, de rendre un jugement déclaratoire pour clarifier la question litigieuse. En effet, le plus souvent qu’autrement — lorsqu’il ne servirait aucune fin utile d’annuler une décision ou d’ordonner la reprise d’un processus administratif — dans l’exercice de la discrétion judiciaire, le jugement déclaratoire constitue un remède alternatif valable pour prévenir la répétition de pratiques administratives systémiques contrevenant à la loi (Mines Alerte Canada, aux paragraphes 50 à 52), voire à la Charte ou à la Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appendice III (Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177 (Singh), aux paragraphes 76–79, 81–85 et 124–125 [pages 221–224 et 239–240); Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1986] 3 C.F. 388 (C.A.), aux paragraphes 8–9 [pages 394–395]). Pour un exemple récent d’un jugement déclaratoire d’application générale de la Cour fédérale visant l’ensemble d’un groupe de personnes ayant contesté la constitutionnalité et/ou la validité de certaines dispositions de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, telle que modifiée par la Loi renforçant la citoyenneté canadienne, L.C. 2014, ch. 22, voir : Hassouna c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 473, [2017] 4 R.C.F. 555. Ainsi, en plus d’interdire au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration d’appliquer les paragraphes 10(3) et (4) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29 telle que modifiée, contre les demandeurs — car ces paragraphes sont incompatibles avec la Déclaration canadienne des droits — la Cour a déclaré que les paragraphes 10(1), (3) et (4) sont inopérants, parce qu’ils violent l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits d’une manière qui ne peut être évitée par interprétation. Ce faisant, la Cour a suspendu l’exécution du jugement pour une période de 60 jours, ou pour toute autre période que la Cour pourra autoriser à la demande de l’une des parties.

[37]      Mais il s’avère que le jugement déclaratoire d’inconstitutionnalité est également un redressement discrétionnaire (Operation Dismantle c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441 (Operation Dismantle), à la page 481, citant Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821 (Solosky)), et qui peut constituer une « forme efficace et souple de règlement des véritables litiges » (R. c. Gamble, [1988] 2 R.C.S. 595 (Gamble), à la page 649). Ainsi, un tribunal peut donc, à juste titre, prononcer un jugement déclaratoire dans la mesure où il a compétence sur l’objet du litige, où la question dont il est saisi est une question réelle et non pas simplement théorique, et où la personne qui la soulève a véritablement intérêt à la soulever (Canada (Premier ministre) c. Khadr, 2010 CSC 3 (Khadr) [précité], au paragraphe 46). La présente Cour doit d’abord s’assurer qu’elle a compétence en la matière, et dans l’affirmative, être satisfaite que son jugement déclaratoire pourra avoir un effet utile au niveau de l’application de la LSCMLC lorsqu’un dossier est référé par le Service à la Commission à la suite de la suspension d’une OSLD.

IV.        Compétence de la Cour fédérale pour rendre un jugement déclaratoire en matière constitutionnelle et administrative

[38]      En premier lieu, je suis satisfait que la présente Cour a compétence pour rendre un jugement déclaratoire concernant la validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel, des paragraphes 140(1) et (2) de la LSCMLC, ainsi que sur la portée des obligations incombant à la Commission en vertu des principes de justice fondamentale et/ou du droit administratif.

A.        Dispositions attributives de compétence

[39]      La Cour fédérale — qui a succédé à la Cour de l’Échiquier créée en 1875 — a été maintenue en 1970 à titre « de tribunal additionnel de droit, d’equity et d’amirauté du Canada, propre à améliorer l’application du droit canadien » (article 4 de la Loi sur les Cours fédérales). Ayant le statut de « cour supérieure d’archives ayant compétence en matière civile et pénale » (article 4 de la Loi sur les Cours fédérales), la Cour fédérale peut rendre un jugement déclaratoire contre un office fédéral (paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales) ou contre la Couronne — incluant un fonctionnaire, préposé ou mandataire de la Couronne pour des faits — actes ou omissions — survenus dans le cadre de ses fonctions (article 17 de la Loi sur les Cours fédérales). Mais pour mieux comprendre la genèse de la compétence de la Cour fédérale, il est opportun de faire un rappel historique, sans pour autant reprendre tout ce qui a pu être dit à ce sujet dans les décisions antérieures (par exemple Felipa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 89, [2011] 1 R.C.F. 365 (Felipa CF), infirmé par 2011 CAF 272, [2012] 1 R.C.F. 3, mais pour des motifs n’ayant pas trait à l’analyse historique de la compétence de la Cour).

[40]      En 1875, la loi qui a créé la Cour de l’Échiquier lui accordait une juridiction concurrente en première instance au sujet de « toute matière qui pourrait, en Angleterre, faire le sujet d’une poursuite ou action devant la Cour de l’Échiquier en sa juridiction du revenu, contre la couronne », alors que la procédure était en principe « réglée par la pratique et la procédure de la Cour de l’Échiquier de Sa Majesté à Westminster » (voir les articles 58 et 61 de l’Acte de la Cour suprême et de l’Échiquier, S.C. 1875, ch. 11). Or, à la même époque, en Angleterre, la Cour de l’Échiquier était une haute cour (Supreme Court of Judicature Act, 1873 (R.-U.), 36 & 37 Vict., ch. 66, articles 3, 4). Bien qu’à l’origine, la compétence de la Cour de l’Échiquier se limitait aux actions contre le gouvernement fédéral en matière de revenu, au fil des années, celle-ci s’est graduellement étendue aux actions contre la Couronne, sans compter les questions d’amirauté, les poursuites opposant des citoyens au sujet de la propriété industrielle (intellectuelle aujourd’hui), ainsi que les affaires d’impôt, de citoyenneté et de chemins de fer.

[41]      Aussi, bien avant que la Cour fédérale ne soit investie en 1970 de la compétence statutaire pour réviser la légalité des décisions rendues par un office fédéral (article 18 de la Loi sur les Cours fédérales), outre la procédure de pétition de droit, il était notamment possible d’obtenir de la Cour de l’Échiquier à titre de réparation additionnelle contre la Couronne un jugement déclaratoire, en intentant une action ordinaire contre le procureur général du Canada. Par exemple, dans l’arrêt Jones et Maheux c. Gamache, [1969] R.C.S. 119 (Jones et Maheux), la Cour suprême du Canada a statué que la Cour de l’Échiquier avait compétence pour prononcer une déclaration de nullité des Règlements généraux de la circonscription de pilotage de Québec établissant des classes de pilotes — l’autorité de pilotage pour la circonscription de Québec étant le ministre des Transports. Dans son action, le demandeur disait subir, dans l’exercice de sa profession, des restrictions importantes et préjudiciables comme conséquence directe des règlements invalides qui lui étaient appliqués. En dernière analyse, la Cour suprême a rejeté sans frais l’action contre les défendeurs individuels, mais du même coup, elle a accueilli l’action du demandeur contre le ministre des Transports à titre de « fonctionnaire de la Couronne pour une chose faite ou omise dans l’accomplissement de ses devoirs comme tel » (alinéa 29c) de la Loi sur la Cour de l’Échiquier, S.R.C. 1952, ch. 98).

[42]      Le résultat auquel en arrive la Cour suprême en 1968 dans l’affaire Jones et Maheux n’a rien de surprenant et s’inscrit dans une longue tradition jurisprudentielle. Au départ, le jugement déclaratoire était un remède discrétionnaire pouvant être accordé en Angleterre par les cours d’equity, et ce, bien avant l’adoption en 1850 du Court of Chancery (England) Act, 1850 (R.-U.), 13 & 14 Vict., ch. 35 et en 1852 du Court of Chancery Procedure Act, 1852 (R.-U.), 15 & 16 Vict., c. 86, ainsi qu’aux clarifications apportées en 1883 par le comité des règles institué en vertu du Supreme Court of Judicature Act, 1873 (R.-U.), 36 & 37 Vict., ch. 66, au pouvoir déclaratoire de la Haute Cour de justice (High Court of Justice). La Cour de l’Échiquier d’Angleterre possédait également la compétence en equity pour émettre des jugements déclaratoires contre la Couronne (Lazar Sarna, The Law of Declaratory Judgments, 4e éd. Toronto : Thomson Carswell, 2016 (Sarna), aux pages 9–10 et 24–25).

[43]      Cela dit, il ne faudrait pas confondre la compétence déclaratoire des cours d’equity avec celle qu’exerçaient par ailleurs les cours supérieures en matière de brefs de prérogative. Cette distinction importante a été mise en évidence en 1975 par le juge Addy, qui explique dans l’affaire « B » c. Ministère de la Main-d’œuvre et de l’Immigration), [1975] C.F. 602 (1re inst.), aux pages 607–608 :

En common law, les brefs de prohibition, de certiorari et de mandamus relevant de la prérogative (c.-à-d. l’ancien bref de prérogative de mandamus par opposition au mandamus de l’equity, destiné à faire respecter un droit conféré par la law ou par opposition au mandement ou injonction de l’equity) étaient accordés exclusivement par les cours de common law : banc du Roi ou de la Reine, et constituaient un mécanisme par lequel les corps inférieurs, y compris ceux qui sont institués par la Couronne étaient soumis au contrôle juridictionnel des cours supérieures. Il n’était pas possible d’introduire par voie d’action ordinaire la procédure entraînant l’émission de ces brefs de prérogative pour la simple raison que les cours et organes judiciaires, susceptibles d’être soumis à une telle procédure, ne pouvaient être poursuivis en justice; seules pouvaient l’être les personnes physiques et les corporations. La procédure aux fins de bref de prérogative devait être entamée par demande spéciale à la cour, par voie de requête. (Voir Rich c. Melancthon Board of Health ((1912) 26 O.L.R. 48) et Hollinger Bus Lines Limited c. Ontario Labour Relations Board ([1952] O.R. 366, à la page 379).)

Par contre, l’injonction, le jugement déclaratoire, l’injonction péremptoire ou le mandement d’equity étaient des sanctions propres à l’equity et la procédure pouvait être introduite à la Cour du chancelier par voie d’une plainte en equity. À l’origine, la Cour de l’Échiquier d’Angleterre possédait aussi la compétence en equity pour émettre des jugements déclaratoires contre la Couronne.

La différence réelle entre ces redressements s’est estompée dans une certaine mesure à la fusion des cours d’equity et de common law et, au cours des récentes années, elle a eu tendance à disparaître parce que, devant la plupart des tribunaux, tous ces redressements, quelle qu’ait pu être leur origine, s’obtiennent de la même façon, c’est-à-dire par voie d’ordonnance directe de la cour. En outre, alors que la procédure visant les redressements de prérogative de common law, pour les raisons mentionnées ci-dessus, pouvait s’introduire uniquement par requête spéciale à la cour, actuellement, devant certaines cours comme la Cour fédérale du Canada (voir Règle 603), la procédure peut maintenant être introduite par voie de déclaration.

Mais ni le fait que la même juridiction peut accorder toutes les sanctions ci-dessus mentionnées, ni le fait que la demande de redressement peut être introduite au moyen d’un même genre de procédure, ni le fait que la façon d’obtenir tous ces redressements est identique (par ordonnance de la cour), ne modifient ni ne changent en rien leur nature intrinsèque ou leur but, et la règle demeure que, si l’on peut obtenir un bref de prohibition ou de certiorari, on ne pourra obtenir ni injonction ni aucun autre redressement d’equity comme l’exécution en nature, l’injonction péremptoire ou le mandamus d’equity; la réciproque est également vraie. (Voir Hollinger Bus (précité) et Howe Sound Company c. International Union of Mine, Mill and Smelter Workers (Canada), Local 663 ([1962] R.C.S. 318).) [Je souligne.]

[44]      D’autre part, l’action déclaratoire s’est avérée particulièrement utile dans les cas où la validité d’une procédure ou la légalité d’une action entreprise par la Couronne était remise en question par un sujet ou un administré. Cette méthode a été confirmée dans l’affaire Dyson v. Attorney-General, [1911] 1 K.B. 410 (C.A.) (Dyson), où la Cour d’appel d’Angleterre a déclaré qu’un avis fiscal envoyé à la partie demanderesse (et à huit millions d’autres personnes) n’était pas autorisé par la loi. Dans cette affaire, la partie défenderesse était le procureur général, et non Sa Majesté, parce que depuis des siècles devant la Cour de la Chancellerie britannique (Court of Chancery), et particulièrement devant une cour d’equity, c’est le procureur général qui défendait les intérêts de la Couronne (Jones et Maheux, aux pages 129–131, citant Dyson). Comme on pouvait s’y attendre, l’action déclaratoire contre la Couronne est devenue monnaie courante au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande (Liebmann c. Canada (Ministre de la Défense nationale), [1994] 2 C.F. 3 (1re inst.)). En 1970, en transférant la compétence de surveillance à l’égard des offices fédéraux, le Parlement a pris soin de préciser à l’article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10, qu’en plus des brefs de prérogative mentionnées dans la Division de première instance, la Cour fédérale pouvait rendre un jugement déclaratoire. Les pouvoirs déclaratoires d’une cour d’equity et d’une cour supérieure étaient maintenant concentrés dans le même tribunal fédéral.

[45]      Au passage, sous réserve des questions d’intérêt pour agir ou du caractère théorique de la question, la Cour suprême du Canada avait déjà reconnu avant le rapatriement de la Constitution, dans l’arrêt Thorson c. Procureur Général du Canada, [1975] 1 R.C.S. 138, aux pages 157–159, le droit des contribuables d’invoquer l’intervention d’une cour d’equity pour contester la constitutionnalité d’une loi impliquant la dépense de deniers publics, lorsqu’aucun autre moyen de contestation n’était disponible. Et, cela s’est perpétué avec l’avènement de la Charte. Par exemple, suite à l’institution d’une action déclaratoire devant la division de première instance, la Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel d’un contribuable, débouté en première instance, qui attaquait la constitutionnalité de l’article 231.4 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, et des citations à comparaître décernées par les autorités fiscales sous le régime de cette dernière disposition. Ce faisant, la Cour d’appel fédérale a déclaré ceux-ci inopérants en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 (Del Zotto c. Canada, [1997] 3 C.F. 40 (C.A.), infirmé pour d’autres motifs, [1999] 1 R.C.S. 3).

[46]      Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Law Society of British Columbia, [1982] 2 R.C.S. 307 (Jabour), s’agissant de l’action en jugement déclaratoire, la Cour suprême note que « [c]ette forme d’action revêt une importance d’autant plus grande dans un régime fédéral où elle s’est révélée un moyen efficace de contester la constitutionnalité de lois » (page 323) (je souligne). Se gardant bien d’affirmer que la Cour fédérale n’aurait pas compétence en vertu de l’article 17 de la Loi sur les Cours fédérales pour faire une déclaration de type « Dyson » (page 326), la Cour suprême a adopté une approche pragmatique : la compétence qu’on retrouve à l’article 17 n’a pas pour effet de supprimer « [l]a compétence des cours supérieures, et en fait d’autres cours provinciales », pour examiner la constitutionnalité de lois fédérales » (page 327) (je souligne).

[47]      Dans l’affaire Canadian Transit Company c. Windsor (Ville), 2015 CAF 88, [2016] 1 R.C.F. 265 (Windsor CAF), le juge Stratas explique aux paragraphes 56 à 58 comment la Cour de l’Échiquier a pu, depuis sa création en 1875, à l’instar des autres tribunaux canadiens, contrôler la validité des lois dans le cadre de diverses procédures entreprises contre la Couronne :

En 1875, la Cour de l’Échiquier du Canada fut créée. Comme toutes les cours de justice, elle devait agir conformément à la loi et interpréter et appliquer la loi. Au moment de la naissance de la Cour de l’Échiquier, une des lois en vigueur était la Colonial Laws Validity Act, 1865 (R.-U.), 28 & 29 Vict. ch. 63. Aux termes de l’article 2 de cette loi, tous les tribunaux canadiens, y compris la Cour de l’Échiquier, devaient déclarer [traduction] « nulle et inopérante » toute loi fédérale ou provinciale incompatible avec celles du Parlement du Royaume-Uni, y compris l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]] (voir également la discussion que l’on trouve dans le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721, page 746). La Cour de l’Échiquier a reconnu ce pouvoir et a conclu que, le cas échéant, elle pouvait refuser d’appliquer une loi qui entrait en conflit avec une loi du Parlement du Royaume-Uni (voir, par ex., Algoma Central Railway Co. c. Canada (1901), 7 R.C. de l’É. 239, aux pages 254 et 255, inf. pour d’autres motifs par (1902), 32 R.C.S. 277, conf. par [1903] A.C. 478 (P.C.)). Même avant que la Cour de l’Échiquier ne voit le jour, d’autres juridictions canadiennes exerçaient régulièrement le pouvoir de déclarer une loi invalide ou inopérante (voir, par. ex., The Queen v. Chandler (1868), 2 Cart. 421 (C.S.N.-B.); Pope v. Griffith (1872), 2 Cart. 291 (B.R. Qué); Ex p. Dansereau (1875), 2 Cart. 165 (B.R. Qué), à la page 190; L’Union St. Jacques v. Belisle (1872), 1 Cart. 72 (B.R. Qué), inf. par (1874), L.R. 6 (P.C.)). Ainsi, dès le début, tous les tribunaux canadiens, y compris la Cour de l’Échiquier, pouvaient contrôler la validité des lois en fonction de celles du Parlement du Royaume-Uni, et notamment de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, et décider si elles étaient invalides ou inopérantes.

Entre 1875 et 1982, les doctrines de la prépondérance et de l’exclusivité des compétences ont été construites par la jurisprudence relative aux articles 91 et 92 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867. Par exemple, dès 1895, la doctrine de la prépondérance a été qualifiée de [traduction] « nécessairement implicite dans notre loi constitutionnelle » et considérée comme devant être suivie selon la Colonial Laws Validity Act, 1865 (Huson v. Township of South Norwich (1895), 24 R.C.S. 145, page 149). Ces doctrines constitutionnelles ont été intégrées aux règles de droit que tous les tribunaux canadiens, y compris la Cour de l’Échiquier, étaient tenus d’appliquer.

C’est ce que la Cour de l’Échiquier a fait. À l’occasion d’une affaire, elle a jugé qu’une loi provinciale sur les droits relatifs à l’eau, la Water Clauses Consolidation Act, 1897, R.S.B.C., ch. 190, ne pouvait s’appliquer à des terres appartenant à la Couronne fédérale relevant de la compétence exclusive fédérale prévue au paragraphe 91(1A) de la Loi constitutionnelle de 1867 (Burrard Power Co. Limited et al. v. The King (1909), 12 R.C. de l’É. 295, conf. par [1910] 43 R.C.S. 27, conf. par [1911] A.C. 87 (P.C.)). Dans une autre affaire, elle a conclu qu’une loi fédérale, la Loi d’établissement de soldats, 1919, S.C. 1919, ch. 71, relevait de la compétence du Parlement fédéral et qu’en cas de conflit avec une loi provinciale, c’est elle qui avait préséance (The King v. Powers, [1923] R.C. de l’É. 131, aux pages 133 et 134).

[48]      Dans le présent dossier, le lien entre la Cour fédérale et la question constitutionnelle qui se pose est évidemment la procédure en contrôle judiciaire introduite en vertu de l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales contre la décision de la Commission qui, à son tour, découle de procédures valides en suspension de l’OSLD manifestement commencées par le Service sous l’égide de la LSCMLC. Dépouillée de tout artifice, voilà ce qui permet à la présente Cour de s’engager dans la résolution du litige, bien réel, qui oppose aujourd’hui les parties. Et, au risque de me répéter, la compétence de la Cour fédérale pour rendre un jugement déclaratoire contre la Couronne dans le cadre d’une action (paragraphe 17(1) et définition de « réparation » à l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales), ou contre tout office fédéral dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire (article 18 de la Loi sur les Cours fédérales), semble incontestable, à moins que cette compétence soit autrement attribuée à la Cour d’appel fédérale (paragraphes 28(1) et (3) de la Loi sur les Cours fédérales).

[49]      À ce chapitre, en ce qui concerne le contrôle judiciaire d’une décision de la Commission effectué sur la base de moyens de droit administratif, la compétence de la Cour fédérale est exclusive en première instance (Strickland c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 37, [2015] 2 R.C.S. 713 (Strickland), aux paragraphes 63–64, citant Canada (Procureur général) c. McArthur, 2010 CSC 63, [2010] 3 R.C.S. 626, aux paragraphes 2 et 17; et Conseil canadien des relations du travail c. Paul L’Anglais Inc. et autre, [1983] 1 R.C.S. 147 (Paul L’Anglais), aux pages 153–154 et 162). Partant, rien n’empêche légalement la Cour fédérale de statuer sur toute question constitutionnelle pouvant accessoirement se soulever dans le présent dossier. En effet, c’est une cause déjà entendue : il n’est pas question aujourd’hui d’accorder à la Cour fédérale la compétence exclusive pour administrer les « lois du Canada » lorsque la validité ou l’applicabilité d’une loi du Parlement du Canada est contestée par une partie intéressée. Il doit plutôt s’agir d’une compétence concurrente dans un tel cas.

[50]      Aussi, la Cour suprême précisait-elle dans l’arrêt Northern Telecom c. Travailleurs en communication, [1983] 1 R.C.S. 733 (Northern Telecom), à la page 741 :

Il est essentiel, dans un régime fédéral comme celui que crée la Loi constitutionnelle, que les tribunaux soient, dans la société, l’autorité qui contrôle les bornes de la souveraineté propre des deux gouvernements pléniers et celle qui surveille les organismes à l’intérieur de ces sphères pour vérifier que leurs activités demeurent dans les limites de la loi. Ces deux rôles appartiennent, cela va de soi, aux tribunaux selon leurs compétences respectives. [Je souligne.]

[51]      On l’a déjà décidé en dernier ressort : malgré l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales, les cours supérieures provinciales, exercent une compétence concurrente à la Cour fédérale lorsqu’un demandeur, qui a intenté une action en dommages contre la Couronne, doit attaquer une loi fédérale ou une ordonnance d’un office fédéral pour établir sa cause d’action, et qu’il leur est par ailleurs nécessaire de statuer sur cette allégation pour rendre une décision sur la demande de réparation contre la Couronne (Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc., 2010 CSC 62, [2010] 3 R.C.S. 585, aux paragraphes 6, 67, 75 et 80). D’autre part, l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales ne retire pas aux cours supérieures provinciales le pouvoir d’octroyer, pour des motifs directement liés au partage des compétences, des réparations traditionnelles relevant du droit administratif (Paul L’Anglais, aux pages 152–153).

[52]      On aurait pu s’arrêter là. Sauf que les questions de compétence sont incontournables. Pour éviter tout effet ping-pong, il est dans l’intérêt de la justice que la juridiction et les pouvoirs que possède la Cour fédérale soient clairs pour tous les joueurs, l’arbitre final étant la Cour suprême.

B.        L’obiter dictum de la Cour suprême dans l’affaire Windsor

[53]      Bien que « [l]a thèse voulant que chaque énoncé d’un jugement de la Cour [suprême du Canada] soit traité comme s’il s’agissait d’un texte de loi n’est pas étayée par la jurisprudence et va à l’encontre du principe fondamental de l’évolution de la common law au gré des situations qui surviennent » (R. c. Henry, 2005 CSC 76, [2005] 3 R.C.S. 609 [au paragraphe 57]), la présente Cour a néanmoins soulevé d’office la question de la compétence de la Cour fédérale pour rendre un jugement déclaratoire en matière constitutionnelle. Aussi, la présente Cour s’est-elle enquise de la position respective des parties au dossier quant à la portée juridique, s’il en est, que peuvent avoir les commentaires généraux de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Windsor (City) c. Canadian Transit Co., 2016 CSC 54, [2016] 2 R.C.S. 617 (Windsor CSC), lesquels font suite à ce que la Cour d’appel fédérale a écrit à ce sujet dans son jugement et dont nous avons déjà fait état plus haut.

[54]      L’issue du litige dans l’affaire Windsor reposait sur l’application d’un règlement municipal à une entreprise exploitant un ouvrage fédéral. En particulier, il s’agissait de déterminer si les trois volets du critère établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt ITO-Int’l Terminal Operators c. Miida Electronics, [1986] 1 R.C.S. 752 (ITO), étaient remplis : 1) une loi attribue compétence à la Cour fédérale; 2) le droit fédéral constitue le fondement de l’attribution de sa compétence et est essentiel à la solution du différend; et 3) la loi fédérale est constitutionnellement valide. La société Canadian Transit Company (Canadian Transit), créée en vertu d’une loi spéciale du Parlement, recherchait en vertu de l’alinéa 23c) de la Loi sur les Cours fédérales un jugement déclaratoire contre la ville de Windsor (Windsor). Windsor avait émis plus de 100 ordonnances de réparation concernant 114 domiciles acquis entre 2004 et 2013 dans le cadre du projet d’agrandissement du pont Ambassador. Canadian Transit avait alors refusé d’obtempérer, soutenant que les installations du pont sont des ouvrages fédéraux pour lesquels la réglementation municipale n’a aucune application. Dès lors, Canadian Transit désirait obtenir une déclaration de la Cour à l’effet que le pont devait être considéré comme une « entreprise fédérale », et qu’à ce titre, cet ouvrage ne pouvait être assujetti aux règlements municipaux. Windsor a répliqué en introduisant une requête en radiation de la demande de jugement déclaratoire au motif que le Comité des normes des biens-fonds était déjà saisi des arrêtés de réparation, alors que la Cour supérieure de justice de l’Ontario était saisie de divers appels des deux parties relativement aux ordonnances de démolition. Le procureur général du Canada n’était pas au dossier. Il ne s’agissait pas d’un cas où les intérêts de la Couronne ou la décision d’un office fédéral était en cause.

[55]      La Cour suprême a décidé à la majorité que la Cour fédérale n’avait manifestement pas compétence pour entendre la demande de jugement déclaratoire. Ainsi, le juge de première instance n’avait pas commis d’erreur en radiant l’avis de demande, et la Cour d’appel fédérale n’aurait pas dû intervenir (Windsor CSC, au paragraphe 72). De leur côté, les juges Moldaver et Brown, qui étaient dissidents, étaient satisfaits que l’alinéa 23c) de la Loi sur les Cours fédérales établissait le fondement de l’attribution législative de compétence requise, et que le droit fédéral était essentiel à la solution du litige. Toutefois, les deux juges dissidents auraient retourné l’affaire à la Cour fédérale afin qu’elle décide s’il était opportun de suspendre l’instance en vertu de l’article 50 de la Loi sur les Cours fédérales pour que l’affaire soit jugée devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario (Windsor CSC, aux paragraphes 73 et 119, citant Strickland, aux paragraphes 37–38). De son côté, la juge Abella, qui était également dissidente, concluait que, même si la Cour fédérale possède une compétence concurrente à celle de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, elle ne devrait pas l’exercer (Windsor CSC, aux paragraphes 122–131).

[56]      Si d’ores et déjà la Cour fédérale peut statuer en première instance sur la constitutionnalité d’une règle de droit dans une instance où elle a compétence aux termes d’une loi fédérale (article 26 de la Loi sur les Cours fédérales) — et que la Cour d’appel fédérale peut faire de même dans le cadre d’un appel d’un jugement de la Cour fédérale (article 27 de la Loi sur les Cours fédérales) — la Cour suprême, au passage, semble néanmoins se questionner au sujet de l’existence du pouvoir plénier des Cours fédérales d’émettre une déclaration formelle d’invalidité comme le recherche aujourd’hui le demandeur dans sa demande de contrôle judiciaire et son avis de question constitutionnelle.

[57]      Ainsi, on peut lire aux paragraphes 70 et 71 des motifs de la juge Karakatsanis dans l’arrêt Windsor CSC :

Puisque le critère de l’arrêt ITO [ITO-Int’l Terminal Operators c. Miida Electronics, [1986] 1 R.C.S. 752 (ITO)] n’est pas respecté, il n’est pas nécessaire d’examiner la conclusion de la Cour d’appel fédérale selon laquelle la Cour fédérale possède le pouvoir de déclarer, à titre de réparation, qu’une règle de droit est inconstitutionnelle, inapplicable ou inopérante. Je ne veux pas aborder cette question, sauf pour dire ce qui suit. Il existe une distinction importante entre le pouvoir de tirer, quant à la constitutionnalité d’une règle de droit, une conclusion qui ne lie que les parties à l’instance et celui de prononcer à cet égard une déclaration formelle qui s’applique de façon générale et retire de manière effective une disposition législative du corpus législatif (voir, p. ex., R. c. Lloyd, 2016 CSC 13, [2016] 1 R.C.S. 130, par. 15; Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College, [1990] 3 R.C.S. 570, p. 592; R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, p. 316).

Il est évident que, dans les cas où il est satisfait au critère ITO, la Cour fédérale a le pouvoir de statuer sur la constitutionnalité d’une règle de droit et de déclarer inopérante, dans une instance donnée, une règle de droit qu’elle juge inconstitutionnelle. Il semble qu’en l’espèce, la Cour d’appel fédérale ait conclu que la Cour fédérale possède également le pouvoir de prononcer des déclarations formelles, généralement contraignantes, en matière constitutionnelle. Mon silence sur ce point ne devrait pas être interprété comme une approbation tacite de l’analyse ou de la conclusion de la Cour d’appel fédérale. [Je souligne.]

[58]      Ces commentaires généraux se retrouvent à la toute fin des motifs de la juge Karakatsanis — un peu comme un point d’orgue. Mais ici, le « silence » de la Cour suprême ne « devrait pas être interprété comme une approbation tacite de l’analyse ou de la conclusion de la Cour d’appel fédérale ». La Cour suprême envoie donc un message aux Cour fédérales et à tous les lecteurs de l’arrêt Windsor CSC, sans toutefois que, formellement, ne soient infirmés ou approuvés les commentaires exprimés aux paragraphes 47 à 70 de l’opinion du juge Stratas dans l’arrêt Windsor CAF. C’est un silence obligé — mieux, une parenthèse — qui incite à la réflexion, et ouvre le débat concernant le pouvoir de la Cour fédérale de déclarer, à titre de réparation, qu’une règle de droit est inconstitutionnelle, inapplicable ou inopérante. L’enjeu est de taille, il va sans dire.

[59]      Car, la doxa — celle dont la valeur de précédent semble contestée aujourd’hui — c’est l’affirmation solennelle de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Windsor CAF, au paragraphe 64 : « la capacité [des Cours fédérales] de recourir à l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 lorsque le critère consacré par la jurisprudence ITO—Int’l Terminal Operators est respecté ne fait nul doute » (je souligne). Mais la Cour d’appel fédérale n’est pas la seule à proclamer le Credo. Comme pour faire nombre, les parties et les plaideurs n’ont pas vraiment contesté la capacité de la Cour fédérale (les Cours fédérales depuis 2003) de prononcer des jugements déclaratoires d’invalidité depuis l’entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle de 1982.

[60]      Pour utiliser une métaphore, la présente Cour fait maintenant face à un véritable dilemme shakespearien. Être ou ne pas être une cour supérieure : telle est la question. Dans sa dimension existentielle, cette problématique déteint à terme sur le moi social et la compétence de ce tribunal fédéral unique en son genre au Canada. C’est une question au demeurant incontournable. Ne pas reconnaître aujourd’hui la capacité de recourir à l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 — lorsque le critère ITO est respecté — est susceptible d’occasionner des inconvénients majeurs du côté des justiciables qui s’adressent à la Cour fédérale pour obtenir réparation, et de sérieux problèmes de pilotage judiciaire en amont et en aval — considérant qu’en cas d’erreur matérielle, une cour d’appel peut non seulement rendre le jugement qui aurait dû être rendu par le juge de première instance mais lui retourner l’affaire pour redétermination si la preuve au dossier est insuffisante ou doit être complétée. Or, n’oublions pas que dans tous les dossiers de Charte, la question de la justification de l’atteinte au droit protégé, selon le test de l’article premier, requiert très souvent une démonstration factuelle du côté des procureurs généraux.

[61]      Le problème, comme l’explique le procureur général du Canada dans ses représentations additionnelles, c’est que la Cour suprême est elle-même une cour créée en vertu de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867. Rappelons qu’en 1875, la Cour suprême a été constituée et établie « dans et pour la Puissance du Canada, [comme] une cour de droit commun et d’équité » et laquelle « aura, possédera et exercera une juridiction d’appel, au civil et au criminel, dans et par tout le Canada » (articles 1 et 15 de l’Acte de la Cour suprême et de l’Échiquier). Celle-ci a été maintenue comme « [t]ribunal de droit et d’equity », et ce, « à titre de cour générale d’appel pour l’ensemble du pays et de tribunal additionnel propre à améliorer l’application du droit canadien » (article 3 de la Loi sur la Cour suprême, L.R.C. (1985), ch. S-26) Aussi, les pouvoirs en appel de la Cour suprême sont circonscrits par la loi fédérale dans la mesure où elle doit se « substituer à la juridiction inférieure pour le prononcé du jugement » (article 45 de la Loi sur la Cour suprême). En d’autres termes, sa propre compétence dépend de celle de la cour dont il est fait appel.

[62]      Or, comme le souligne le procureur général du Canada, plusieurs contestations constitutionnelles de lois fédérales, initiées devant la Cour fédérale et qui n’étaient assorties d’aucune demande autre que déclaratoire, ont fait l’objet d’un appel jusqu’en Cour suprême du Canada. Il est révélateur de constater que la Cour suprême s’est alors prononcée sur la constitutionnalité des dispositions en tenant pour acquis qu’elle avait la compétence voulue. Notamment dans l’arrêt Brasseries Labatt du Canada Ltée c. Procureur général du Canada, [1980] 1 R.C.S. 914, la Cour suprême a prononcé un jugement déclarant inconstitutionnelles des dispositions de la Loi des aliments et drogues, S.R.C. 1970, ch. F-27, au regard du partage des compétences. Dans l’arrêt Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203, la Cour suprême a prononcé un jugement déclarant inconstitutionnelle une disposition de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, au regard de la Charte. La déclaration d’inconstitutionnalité fut suspendue pour une certaine période alors que la Cour suprême ne laissait pas de doute que la déclaration s’appliquerait à l’égard de tous à l’expiration de la période de suspension (voir aux pages 226–227 [paragraphes 23–24] pour la majorité; aux pages 284–285 [paragraphes 118–121] pour la minorité). Dans l’arrêt Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513, la majorité de la Cour suprême a prononcé un jugement déclarant constitutionnelle au regard de la Charte une disposition de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. (1985), ch. O-9. La minorité — quatre juges quand même — aurait déclaré la disposition invalide tout en suspendant l’inconstitutionnalité pendant une certaine période suivant laquelle la déclaration aurait pris effet à l’égard de tous (pages 623–624 [paragraphes 226-228]).

[63]      Dans l’arrêt Windsor CSC, parce que le test de l’arrêt ITO n’était pas rempli, la Cour suprême a conclu que l’article 23 de la Loi sur les Cours fédérales ne permettait pas à la Cour fédérale d’accorder une réparation. Aussi, d’une façon pragmatique, les parties soumettent que, dans le présent dossier, les trois volets du test de l’arrêt ITO sont remplis et que la Cour fédérale a donc le pouvoir plénier de prononcer une déclaration d’invalidité en vertu du l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 :

a)         Premièrement, les articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales prévoient la procédure en contrôle judiciaire, et notamment qu’un jugement déclaratoire peut être accordé comme réparation contre l’office fédéral et/ou le procureur général du Canada. Le pouvoir de surveillance et de contrôle de la présente Cour en matière de révision judiciaire s’étend donc à la Commission, laquelle est responsable de réviser toute demande de suspension d’OSLD pour les délinquants à contrôler.

b)         Deuxièmement, la LSCMLC est une législation valide fédérale qui prévoit l’ensemble des pouvoirs de la Commission en lien avec les délinquants à contrôler (articles 99.1 à 135.1 de la LSCMLC), ainsi que les obligations en matière d’équité procédurale (article 100 et paragraphe 101(a) de la LSCMLC). À ce chapitre, le droit fédéral joue, dans les faits, un rôle essentiel dans le présent litige — ce qui engage la compétence de la Cour fédérale en matière de révision de la légalité des décisions de la Commission.

c)         Troisièmement, même si la Constitution ne fait pas partie des « lois du Canada » visées à l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, il n’empêche, la question constitutionnelle soulevée dans le présent dossier a un lien direct avec l’application d’une loi fédérale pour laquelle la Cour fédérale a compétence. En conséquence, la Cour fédérale a compétence en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales pour statuer sur la constitutionnalité des paragraphes 140(1) et (2) de la LSCMLC dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire et prononcer un jugement déclaratoire d’invalidité, le cas échéant.

[64]      Je suis d’accord avec le raisonnement général des parties, lequel m’apparaît difficilement contestable d’un point de vue statutaire et constitutionnel.

[65]      Dans les faits, je suis satisfait que tous les critères du test d’ITO sont remplis. J’ajouterais que la constitutionnalité de l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales, qui attribue une compétence générale de surveillance de la Cour fédérale en première instance des offices fédéraux, n’est pas contestée dans le présent dossier. Le demandeur ne soulève, non plus, aucune question constitutionnelle relative au partage des compétences législatives ou ayant trait à l’application des doctrines constitutionnelles de l’exclusivité des compétences et de la prépondérance fédérale, ce qui posait problème dans l’affaire Windsor. Du reste, la compétence déclaratoire de la Cour fédérale en matière constitutionnelle est, bien entendu, concurrente avec celle des autres cours supérieures provinciales (Jabour).

[66]      Il y a donc lieu d’accorder une portée limitée à l’obiter que l’on retrouve aux paragraphes 70 et 71 de l’arrêt Windsor CSC. Cela étant dit, dans le cas où il subsisterait quand même un doute concernant la capacité statutaire ou constitutionnelle de la Cour fédérale de déclarer, à titre de réparation, qu’une règle de droit est inconstitutionnelle, inapplicable ou inopérante, il m’apparaît nécessaire de démontrer dans le présent jugement, pourquoi la Cour fédérale peut effectivement prononcer une déclaration formelle d’invalidité, même si elle n’est pas une « cour supérieure » au sens de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867. Il ne s’agit pas de faire la part belle au hasard historique ou aux spéculations d’ordre philosophique ou politique, mais de donner crédit à la raison juridique et à l’intention du Parlement, et que seule une lecture éclairée et prospective de la Constitution et de ses principes directeurs peut magnifier.

C.        La Cour fédérale est une « cour supérieure » aux fins de l’exercice de la compétence prévue à l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales

[67]      Pour les fins des présentes et pour ne pas alourdir mon propos, lorsque je me réfère à la Cour fédérale, ceci inclut également, selon le contexte, la Cour d’appel fédérale. Il y a une raison pratique évidente derrière la création de la Cour de l’Échiquier en 1875, et celle en 1970, de la Cour fédérale qui jouit d’une juridiction élargie. C’est pour la meilleure administration des « lois du Canada ». Le droit fédéral ne connaît pas de frontières et peut s’appliquer indistinctement partout sur le territoire canadien. À ce chapitre, non seulement la Cour fédérale est-elle la seule cour de première instance qui possède au Canada une juridiction nationale, mais ses jugements peuvent être exécutées partout sur le territoire. D’ailleurs, cela se reflète dans la mission de la Cour fédérale, qui est de rendre la justice et d’aider les parties à régler leurs différends juridiques partout au Canada, dans l’une ou l’autre des langues officielles, d’une manière qui respecte la primauté du droit et est indépendante, impartiale, équitable, accessible, efficiente et adaptée à la situation.

[68]      L’accès à la justice — un pilier essentiel de la primauté du droit — est actuellement le plus grand défi auquel sont confrontés les tribunaux du Canada. Cette réalité est bien expliquée par les juges Moldaver et Brown, dissidents dans l’arrêt Windsor CSC, aux paragraphes 77 à 79 :

L’historique de la Cour fédérale révèle que le Parlement avait l’intention de lui conférer une compétence étendue. La Cour de l’Échiquier du Canada, qui a été créée en 1875, possédait au départ une compétence limitée : elle pouvait entendre certaines demandes présentées contre la Couronne et, par la suite, des demandes relatives aux brevets, aux droits d’auteur, aux terres publiques et aux dettes des compagnies de chemin de fer (Acte de la Cour Suprême et de l’Échiquier, S.C. 1875, c. 11; Loi sur la Cour de l’Échiquier, S.R.C. 1970, c. E-11, art. 17 à 30). Au cours du XXe siècle, toutefois, il est devenu évident que la Cour de l’Échiquier ne pouvait pas traiter de nombreuses questions qui débordaient les frontières provinciales, et que les litiges relatifs à ces questions d’envergure nationale portés devant les cours supérieures provinciales tendaient à entraîner la confusion, l’incohérence et des coûts élevés.

Ces problèmes ont incité le Parlement, en 1970, à remplacer la Cour de l’Échiquier par la Cour fédérale, et à élargir la compétence de cette dernière (Loi sur la Cour fédérale, S.C. 1970-71-72, c. 1). Selon le ministre de la Justice, la Cour fédérale fut créée pour atteindre deux objectifs : premièrement, faire en sorte que les particuliers puissent « recourir à une cour nationale exerçant une [compétence] nationale, pour faire valoir une réclamation concernant des questions qui comportent souvent des éléments nationaux »; deuxièmement, permettre aux « plaideurs, qui demeurent parfois dans des régions fort éloignées l’une de l’autre, [de trouver] là un forum commun et commode pour faire valoir leurs droits légitimes » (Débats de la Chambre des communes, vol. V, 2e sess., 28e lég., 25 mars 1970, p. 5473).

Une interprétation large de la compétence de la Cour fédérale favorise davantage la réalisation de ces objectifs. Nous reconnaissons que la compétence de la Cour fédérale comporte des restrictions. Une interprétation large de l’attribution législative de compétence à la Cour fédérale ne peut aller au-delà des limites constitutionnelles du Parlement et empiéter sur les domaines de compétence des provinces. [Je souligne.]

[69]      Bref, la justice n’est pas en concurrence avec elle-même : l’accès à la justice doit primer dans tous les cas, ce qui favorise une interprétation large de la compétence dont est investie la présente Cour en vertu de la Loi sur les Cours fédérales. En ce sens, la Cour fédérale fait partie de la solution, et on aurait tort de vouloir l’associer au problème de la multiplication des juridictions. En instituant une cour de première instance nationale, le Parlement pouvait très bien laisser aux cours mentionnées à l’article 129 de la Loi constitutionnelle de 1867, ainsi qu’aux autres cours provinciales créées en vertu du paragraphe 92(14) de la Loi constitutionnelle de 1867, le soin d’exercer leur juridiction traditionnelle en matière civile et criminelle — tout en rectifiant le tir si cela s’avérait nécessaire au fil du temps, dans le cas de l’application des « lois du Canada ». Mais ce qui caractérise la Cour fédérale, ce n’est pas seulement son caractère de cour nationale (première instance et appel). Sa composition assure également une pérennité nationale (article 5.3 de la Loi sur les Cours fédérales) et le maintien du bijuridisme canadien (common law et droit civil). Or, à l’instar de l’article 6 de la Loi sur la Cour suprême, l’article 5.4 de la Loi sur les Cours fédérales assure une représentation effective du Québec, avec un nombre minimum et important de juges (au moins cinq juges de la Cour d’appel fédérale et dix juges de la Cour fédérale) qui doivent avoir été juges de la Cour d’appel ou de la Cour supérieure du Québec ou membres du barreau de la province de Québec. C’est une démonstration législative éloquente du souhait du Parlement de créer un tribunal pan canadien qui soit particulièrement bien adapté à la réalité canadienne et à sa dualité juridique.

[70]      Dans le Renvoi relatif à la Loi sur la Cour suprême, art. 5 et 6, 2014 CSC 21, [2014] 1 R.C.S. 433 (Renvoi sur la Cour suprême), la Cour suprême rappelle que l’article 6 de la Loi sur la Cour suprême « exprime le compromis historique qui a mené à la création de la Cour suprême » (paragraphe 48), tandis que son objectif « est de garantir que non seulement des juristes civilistes expérimentés siègent à la Cour, mais également que les traditions juridiques et les valeurs sociales distinctes du Québec y soient représentées, pour renforcer la confiance des Québécois envers la Cour en tant qu’arbitre ultime de leurs droits » (paragraphe 49). Incidemment, la Cour suprême note à ce chapitre que l’article 5.4 de la Loi sur les Cours fédérales, « fait écho à bien des égards à l’art. 6 de la Loi sur la Cour suprême en exigeant qu’un nombre minimum de juges de chacune de ces cours proviennent des institutions québécoises. Les juges originaires du Québec jouent un rôle vital au sein des cours fédérales » (paragraphe 60) (je souligne).

[71]      Lorsqu’on tient compte du rôle, de la mission et des « pouvoirs implicites dont [la Cour fédérale] et ses prédécesseurs disposent depuis près de 150 ans pour se prononcer sur la constitutionnalité et l’applicabilité des lois qui leur sont soumises » (Windsor CAF, au paragraphe 73), on comprend mieux la conclusion de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Windsor CAF. Comme le déclare sans ambages le juge Stratas au paragraphe 47, « dès lors que le critère consacré par l’arrêt ITO—International Terminal Operators est respecté, la Cour fédérale a compétence pour rendre des jugements déclaratoires en matière constitutionnelle tels que des déclarations d’invalidité ». S’agissant des articles 18 et 28 de la Loi sur les Cours fédérales, pour véritablement exercer leur rôle de supervision et de contrôle de la légalité des décisions rendues par tout office fédéral, les Cours fédérales doivent forcément être en mesure de déclarer inopérant et/ou inconstitutionnelle toute disposition incompatible avec la Constitution, la loi suprême du Canada.

[72]      Il n’y a pas lieu d’interpréter restrictivement l’attribution de compétence prévue dans la Loi sur les Cours fédérales, sous prétexte que cette Cour est une cour statutaire plutôt qu’une cour avec une compétence inhérente (Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626 (Canadian Liberty Net), aux paragraphes 24 et suivants). La primauté historique des « cours supérieures » alimente la synecdoque associée au concept flou et immanent dans la sphère judiciaire de « compétence inhérente ». Mais voilà, ce n’est pas tout, car il existe beaucoup d’autres tribunaux de droit commun (fédéraux et provinciaux) exerçant en première instance ou en appel une juridiction concurrente en matière civile et criminelle. De plus, je ne crois pas qu’on puisse juridiquement assimiler les Cours fédérales (Cour d’appel fédérale et Cour fédérale) aux cours provinciales de juridiction inférieure ou aux tribunaux administratifs fédéraux ou provinciaux spécialisés, et dont le seul pouvoir de réparation se limite à refuser d’appliquer une règle de droit incompatible avec la Constitution au nom du principe de la primauté du droit (R. c. Lloyd, 2016 CSC 13, [2016] 1 R.C.S. 130 (Lloyd), aux paragraphes 15–16).

[73]      D’une part, il y a la « conception étroite » [telle qu’on la nomme dans l’arrêt Canadian Liberty Net, au paragraphe 26] exposée par la juge Wilson dans l’arrêt Roberts [Roberts c. Canada, [1989] 1 R.C.S. 322, à la page 331], voulant — tel que l’avait antérieurement formulé Bora Laskin (devenu plus tard juge en chef du Canada) — que « [traduction] […] [l]’omnicompétence des cours supérieures des provinces tire son origine d’une décision du Conseil privé [Board v. Board, [1919] A.C. 956 (P.C.) (Board)] qui semble reconnaître aux cours supérieures une compétence inhérente selon laquelle (pour reprendre ses termes) “si le droit existe, il faut présumer qu’il existe un tribunal pour en assurer l’exercice, car si aucun autre mode d’en assurer l’exercice n’est prescrit, cela en soi suffit pour conférer compétence aux cours royales de justice” » (cité dans l’arrêt Canadian Liberty Net, au paragraphe 29 [le soulignement qui se retrouvait dans l’original a été enlevé]).

[74]      D’autre part, et c’est celle que je retiens aujourd’hui, il y a la conception plus moderne — au demeurant compatible avec le caractère évolutif de la Constitution — voulant que « l’objet de la théorie de la compétence inhérente […] est tout simplement d’éviter qu’un droit ne puisse être exercé faute d’une cour supérieure où il peut être reconnu » (je souligne). En l’espèce, la Cour suprême dans l’arrêt Canadian Liberty Net [au paragraphe 32], après avoir distingué l’affaire Board, a clairement opté pour une interprétation dynamique et pragmatique de la compétence législative de la Cour fédérale. Il faut lire les articles 96 à 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, relatifs à la judicature, comme un tout cohérent. Il est intéressant de souligner que la garantie d’inamovibilité des juges des « cours supérieures », inscrite à l’article 99 de la Loi constitutionnelle de 1867, ne se limite pas aux juges des cours supérieures provinciales nommés par le gouverneur général en vertu de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867, mais inclut également les juges de la Cour suprême du Canada, de la Cour d’appel fédérale, de la Cour fédérale et de la Cour canadienne de l’impôt (Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673, au paragraphe 29 [pages 695–696]). De plus, selon le paragraphe 35(1) de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, les expressions « juridiction supérieure ou cour supérieure » visent notamment ces quatre dernières cours créées en vertu de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[75]      Le Canada était encore une colonie avant la Confédération. Il y avait un élément d’imprévisibilité en 1867 lorsque le Parlement du Royaume-Uni a adopté l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (devenue en 1982 la Loi constitutionnelle de 1867). Malgré le désir des provinces du Canada (Ontario et Québec), de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick de contracter une Union Fédérale pour ne former qu’une seule et même Puissance (Dominion) sous la couronne du Royaume-Uni de la Grande Bretagne et d’Irlande, avec une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni, il reste que cette dernière n’a été rapatriée qu’en 1982. De fait, la souveraineté du Canada et des autres Dominions a seulement été consacrée juridiquement par le Statut de Westminster de 1931, (R.-U.), 22 Geo. V, ch. 4 [L.R.C. (1985), appendice II, no 27]. Le Canada a beaucoup changé en 150 ans. En d’autres termes, si les réalités changent, les tribunaux aussi. C’est à l’image même du Canada, des provinces et des territoires. La Cour suprême et la Cour de l’Échiquier étaient du même cru — 1875 —, de la même mouture, et d’ailleurs, pendant quelques années, les deux cours ont pu se partager les mêmes juges (voir l’article 60 de l’Acte de la Cour suprême et de l’Échiquier).

[76]      D’ailleurs, bien que l’article 129 de la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit explicitement le maintien des tribunaux en existence dans les provinces d’Ontario, de Québec, de la Nouvelle-Écosse, et du Nouveau-Brunswick à l’époque de l’union, rien n’empêche que ceux-ci puissent être révoqués, abolis ou modifiés ultérieurement par les autorités compétentes. La Constitution est [traduction] « un arbre susceptible de croître et de se développer à l’intérieur de ses limites naturelles » et elle devrait être interprétée en conséquence (Edwards, Henrietta Muir v. Attorney-General for Canada, [1930] A.C. 124 (P.C.), à la page 136). C’est ce qui explique l’interprétation large qui a été retenue en 1947 par le Comité judiciaire du Conseil privé de la Reine (pour le Royaume-Uni), lorsqu’il a confirmé le pouvoir du Parlement du Canada de mettre fin aux appels à Londres (incluant tout appel direct permis par une loi provinciale). Suite à l’entrée en vigueur des dispositions du Statut de Westminster de 1931, il n’y avait aucun obstacle juridique, vu la compétence du Parlement en vertu de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, à ce que la Cour suprême devienne le tribunal ayant compétence exclusive pour décider en dernier ressort de tout appel en matière civile et criminelle (Attorney-General for Ontario v. Attorney-General for Canada, [1947] 1 D.L.R. 801 (P.C.) (Abolition of Privy Council Appeals Reference)).

[77]      D’autre part, il n’est pas contesté en l’espèce qu’une cour supérieure est une cour qui a un pouvoir de surveillance sur les cours et les autres tribunaux d’instance inférieure. Une cour supérieure a également compétence absolue pour trancher toute question qui découle de sa compétence en première instance et ses décisions ne sont susceptibles que de révision en appel. En d’autres termes, une cour supérieure n’est subordonnée à aucune autre cour supérieure (Felipa CF, aux paragraphes 59–62, non infirmée sur ce point par la Cour d’appel [fédérale]). Non sans surprise, bien avant le rapatriement de 1982, la Cour suprême avait également déjà reconnu que le Parlement avait toute autorité pour transférer à un tribunal de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, la compétence de surveillance à l’égard des organismes fédéraux ayant jusqu’alors pu être exercée par la Cour du Banc du Roi, puis par la Cour supérieure au Québec comme tribunaux de droit commun (Three Rivers Boatman Limited c. Conseil Canadien des Relations Ouvrières et al., [1969] R.C.S. 607, à la page 616). La compétence inhérente des cours supérieures provinciales n’a donc de sens aujourd’hui que parce qu’elle se superpose avec d’autres compétences judiciaires d’origine législative — fédérale ou provinciale —, et qu’elle s’exerce de manière résiduaire si une compétence n’est pas autrement exercée par un autre tribunal de la fédération canadienne. Bref, toutes les cours canadiennes actuelles sont la résultante d’une évolution statutaire. C’est justement cette évolution qui les rend aptes à rendre une meilleure justice.

[78]      En conséquence, comme le souligne la Cour suprême dans l’arrêt Canadian Liberty Net, « [d]ans un système fédéral, la théorie de la compétence inhérente ne justifie pas d’interpréter restrictivement les lois fédérales conférant compétence à la Cour fédérale » (au paragraphe 35). Ainsi, s’agissant de la compétence administrative générale de la Cour fédérale sur les tribunaux administratifs fédéraux, « [c]ela signifie que, lorsqu’il s’agit d’une question relevant clairement de son rôle de surveillance d’un organisme administratif, ce qui inclut la prise de mesures provisoires visant à régir des différends dont l’issue finale est laissée au décideur administratif concerné, la Cour fédérale peut être considérée comme ayant plénitude de compétence » (Canadian Liberty Net, au paragraphe 36) (je souligne). Si l’article 44 de la Loi sur les Cours fédérales confère compétence à la Cour fédérale d’accorder une injonction dans le cadre de l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, à plus forte raison, est-il permis de soutenir que dans le cadre d’une action contre la Couronne ou d’une demande de contrôle judiciaire, la compétence inhérente ou résiduelle des cours supérieures provinciales en matière constitutionnelle ou d’habeas corpus n’affecte d’aucune manière la « plénitude de compétence » qu’exerce la Cour fédérale en vertu des articles 17 et 18 de la Loi sur les Cours fédérales.

[79]      En l’espèce, les Cours fédérales exercent un rôle vital et de premier plan dans la fédération canadienne. Or, le fédéralisme et le constitutionnalisme sont deux principes constitutionnels fondamentaux (Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, au paragraphe 32). Ils vont de pairs et sont complémentaires, au même titre que les autres principes constitutionnels non écrits de la Constitution (démocratie, primauté du droit et respect des minorités). De deux choses l’une : ou bien la théorie de la compétence inhérente des cours supérieures provinciales a pour effet de nier compétence à la Cour fédérale « sur un domaine à l’égard duquel elle est par ailleurs explicitement investie de vastes pouvoirs de surveillance » (Canadian Liberty Net, au paragraphe 25); ou bien « c’est le texte de la Loi qui détermine complètement l’étendue de la compétence de la cour » (Canadian Liberty Net, au paragraphe 26, citant Roberts c. Canada, [1989] 1 R.C.S. 322 (Roberts), à la page 331). Or, en matière de contrôle judiciaire, la Cour fédérale exercice un rôle essentiellement interventionniste de l’activité étatique fédérale sous toutes ses formes, tandis qu’elle doit veiller au maintien de la primauté du droit, ce qui l’autorise bien entendu à prononcer des déclarations formelles d’invalidité.

[80]      Comme le souligne d’ailleurs la Cour suprême dans le Renvoi sur la Cour suprême, au paragraphe 89 : « La nécessité de l’existence d’un arbitre judiciaire impartial et dont les décisions font autorité est le corollaire [du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982]. Les tribunaux sont devenus les “gardiens de la constitution” (Hunter, p. 155, le juge Dickson) ». Au Canada, les tribunaux judiciaires — dont l’indépendance est constitutionnellement protégée — exercent une compétence de surveillance qui est essentielle au maintien du caractère démocratique de nos institutions et du respect de la primauté du droit. Les tribunaux inférieurs doivent se soumettre à leur autorité — ce qui inclut bien entendu les offices fédéraux. Or, comme l’a souligné la Cour suprême dans l’arrêt Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin; Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Laseur, 2003 CSC 54, [2003] 2 R.C.S. 504 (Martin), la Constitution est la loi suprême du Canada et la question de la constitutionnalité est inhérente à tout texte législatif en raison du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Il découle, de ce principe, que les Canadiens doivent, en pratique, pouvoir faire valoir les droits et libertés que leur garantit la Constitution devant le tribunal le plus accessible, sans devoir engager des procédures judiciaires parallèles. Ainsi, le pouvoir de trancher une question de droit s’entend du pouvoir de la trancher en n’appliquant que des règles de droit valides. Donc, en principe, une disposition législative incompatible avec la Charte est invalide dès son adoption, et l’obtention d’un jugement déclaratoire à cet effet n’est qu’un moyen parmi d’autres de protéger ceux et celles qui en souffrent préjudice (voir Martin, aux paragraphes 28 et 35). Au même titre que les autres cours supérieures du pays, la Cour fédérale exerce dans sa sphère de compétence, un rôle de supervision plénier essentiel et vital dans la fédération canadienne.

[81]      Mais il est encore vrai aujourd’hui qu’un juge d’une cour provinciale inférieure (Séminaire de Chicoutimi c. La Cité de Chicoutimi, [1973] R.C.S. 681); R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295) ou un conseil arbitral exerçant des pouvoirs en vertu d’une loi provinciale (Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College, [1990] 3 R.C.S. 570), ne sont pas habilités à faire une déclaration formelle d’invalidité. C’est normal, car ce type de tribunal n’exerce aucune fonction générale de supervision de l’activité étatique. Toutefois, il en va autrement lorsqu’un jugement déclaratoire est rendu par « une cour supérieure ayant une compétence inhérente ou d’un tribunal qui en est légalement investi » (Lloyd, au paragraphe 15).

[82]      S’agissant de la compétence particulière dévolue par la Loi sur les Cours fédérales, le professeur Lemieux le souligne bien : « La Cour fédérale peut être qualifiée de cour supérieure. Cependant, à la différence des cours supérieures des provinces, cette cour supérieure est d’origine législative » (Denis Lemieux, « La nature et la portée du contrôle judiciaire », dans Collection de droit 2016-2017, École du Barreau du Québec, vol. 7, Droit public et administratif, Cowansville : Éditions Yvon Blais, 2016, à la page 208). Je partage également l’avis du procureur général du Canada à l’effet que l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 ne constitue pas un obstacle constitutionnel, puisque l’article 101 de la même loi contient les termes : [traduction] « nonobstant toute disposition contraire énoncée dans la présente loi » (Abolition of Privy Council Appeals Reference, au paragraphe 19 [page 813]). Car, raisonner autrement aurait pour effet d’annihiler du paysage canadien une institution fédérale jouant un rôle judiciaire de premier plan dans la fédération canadienne. D’ailleurs, à moins d’un révisionnisme constitutionnel tardif, comme la Cour suprême l’a déclaré elle-même en 1984 : « [c]onclure le contraire aurait comme conséquence, pour paraphraser l’arrêt Jabour, précité, de placer une cour fédérale établie “pour la meilleure administration des lois du Canada” dans la situation de devoir administrer et appliquer de telles lois sans le pouvoir, et encore moins l’obligation, de vérifier par elle-même si la loi soumise à la Cour appartient validement aux “lois du Canada” » (Northern Telecom, à la page 744).

[83]      En conclusion, bien qu’elle ne soit pas une « cour supérieure » au sens de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867, la Cour fédérale est néanmoins assimilable à une cour supérieure lorsqu’elle exerce en vertu de l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales un pouvoir général de surveillance à l’égard des offices fédéraux (Commonwealth of Puerto Rico c. Hernandez, [1975] 1 R.C.S. 228, aux pages 232–233). Il en est de même lorsqu’elle est saisie d’une action en vertu de l’article 17 de la Loi sur les Cours fédérales. La Cour fédérale a donc compétence pour prononcer une déclaration formelle d’invalidité dans un dossier dans lequel la question constitutionnelle est validement soulevée, ce qui est le cas en l’espèce.

D.        L’intention du Parlement exprimée à l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales est de permettre aux Cours fédérales de rendre des jugements déclaratoires contraignantes en matière constitutionnelle

[84]      Au Canada, il n’existe pas une autorité judiciaire unique ou spécialisée (provinciale ou fédérale) qui serait responsable d’examiner la légalité des lois et des règlements à l’exclusion de tout tribunal compétent en matière civile ou criminelle. Or, en édictant l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales, le Parlement a établi le cadre juridique statutaire suivant lequel, pour la meilleure administration des lois fédérales et de ses textes d’application, une question constitutionnelle peut être validement débattue devant la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale (ou même un office fédéral), et partant — devant la Cour suprême elle-même, lorsqu’un pourvoi a été autorisé. On peut également imaginer que la référence explicite dans le paragraphe 57(1) de la Loi sur les Cours fédérales aux lois provinciales ou à leurs textes d’application vise ces cas particuliers où leur application est susceptible d’entrer en conflit avec une loi fédérale ou l’un des textes d’application (Windsor CAF, aux paragraphes 53–54).

[85]      La signification d’un avis de question constitutionnelle au procureur général du Canada et à ceux des provinces est obligatoire (paragraphe 57(1) de la Loi sur les Cours fédérales). Non seulement le procureur général a le droit de présenter une preuve et des observations à l’égard de la question constitutionnelle en litige, mais une fois qu’il présente des observations, il est à toutes fins que de droit réputé partie à l’instance aux fins d’un appel portant sur la question constitutionnelle (paragraphes 57(4) et (5) de la Loi sur les Cours fédérales). L’article 19.2 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. (1985), ch. T-2, établit des prescriptions similaires. L’exigence d’un avis de question constitutionnelle se retrouve également dans plusieurs législations provinciales — bien que l’obligation de signification de l’avis, dans le cas où une disposition fédérale est en cause, soit limitée au procureur général du Canada et au procureur général de la province en question (par exemple, au Québec, voir les nouveaux articles 76 et 77 du Code de procédure civile du Québec, RLRQ, ch. C-25.01 (CPC), anciennement l’article 95).

[86]      L’avis statutaire de question constitutionnelle donne licence aux cours de justice — dont les juges bénéficient d’une garantie d’indépendance (par opposition aux tribunaux administratifs) — de prononcer l’invalidité d’une loi ou d’un règlement incompatible avec la Constitution. Comme le rappelle la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant, [1997] 1 R.C.S. 241, au paragraphe 48 :

[…] Dans notre démocratie constitutionnelle, ce sont les représentants élus du peuple qui adoptent les lois. Bien que les tribunaux aient reçu le pouvoir de déclarer invalides les lois qui contreviennent à la Charte et qui ne sont pas sauvegardées en vertu de l’article premier, c’est un pouvoir qui ne doit être exercé qu’après que le gouvernement a vraiment eu l’occasion d’en soutenir la validité. Annuler par défaut une disposition législative adoptée par le Parlement ou une législature causerait une injustice grave non seulement aux représentants élus qui l’ont adoptée mais également au peuple. En outre, devant la Cour suprême du Canada, qui a la responsabilité ultime de déterminer si une loi contestée est inconstitutionnelle, il est important que, pour rendre cette décision, nous disposions d’un dossier qui résulte d’un examen en profondeur des questions constitutionnelles soulevées devant les cours ou le tribunal dont les jugements sont portés en appel. [Je souligne.]

[87]      Au demeurant, la Cour suprême du Canada possède un pouvoir discrétionnaire bien établi — quoique de portée limitée et devant être exercé avec modération — qui lui permet d’examiner une question constitutionnelle au fond lorsque l’avis statutaire requis est donné au stade du pourvoi, même si la question n’a pas été régulièrement soulevée devant les juridictions inférieures (Guindon c. Canada, 2015 CSC 41, [2015] 3 R.C.S. 3). D’ailleurs, depuis le 1er janvier 2017, la nouvelle règle 33 des Règles de la Cour suprême du Canada, DORS/2002-156, prévoit que dans le cas où l’appel soulève une question quant à la validité ou l’applicabilité constitutionnelle d’une loi, d’un règlement ou d’une règle de common law ou une question quant au caractère inopérant d’une loi ou d’un règlement, un avis de question constitutionnelle est requis en l’espèce.

[88]      En conséquence, l’intention du Parlement du Canada est clairement de permettre aux Cours fédérales de rendre des jugements déclaratoires contraignants en matière constitutionnelle. Autrement, l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales n’aurait plus aucune utilité pratique et l’avis de question constitutionnelle exigé par le législateur pour permettre au procureur général de soutenir la validité de la disposition attaquée et de soumettre des preuves serait superfétatoire.

V.        Discrétion de la Cour fédérale pour rendre un jugement déclaratoire en matière constitutionnelle et administrative

[89]      En second lieu, je suis satisfait en l’espèce que la présente Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de rendre un jugement déclaratoire concernant la validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel, des paragraphes 140(1) et (2) de la LSCMLC, ainsi que sur la portée des obligations incombant à la Commission en vertu des principes de justice fondamentale et/ou du droit administratif.

A.        Principes généraux

[90]      La question de savoir si la présente Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire d’accorder réparation — incluant un jugement déclaratoire — dépendra notamment de son appréciation des rôles respectifs des cours de justice et des organismes administratifs, des circonstances de chaque cas et de l’existence d’une solution de rechange adéquate (Strickland, aux paragraphes 37–45; Khosa, aux paragraphes 36–40; Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561, à la page 575; et Solosky, aux pages 830–831; Canada (Vérificateur général) c. Canada (Ministre de l’Énergie, des Mines et des Ressources), [1989] 2 R.C.S. 49, aux pages 90, 92–93 et 96; et Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3, aux pages 77–80).

[91]      Or, il est essentiel, dans un régime fédéral comme celui que crée la Loi constitutionnelle de 1867, que les tribunaux soient, dans la société, l’autorité qui contrôle les bornes de la souveraineté propre des deux gouvernements pléniers et celle qui surveille les organismes à l’intérieur de ces sphères pour vérifier que leurs activités demeurent dans les limites de la loi. Ces deux rôles appartiennent, cela va de soi, aux tribunaux selon leurs compétences respectives (Northern Telecom, au paragraphe 12 [pages 741–742]). Du reste, personne ne met en doute le fait que l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales n’a pas retiré au cours supérieures provinciales le pouvoir d’octroyer les réparations traditionnelles relevant du droit administratif à l’encontre des offices fédéraux pour des motifs liés au partage des compétences (Strickland, au paragraphe 64; Paul L’Anglais, aux pages 152–163), ni le pouvoir résiduaire qu’elles possèdent en matière d’habeas corpus.

[92]      Il est intéressant de noter qu’en 1875, la Cour suprême elle-même avait « une juridiction concurrente avec les cours ou juges des différences provinces pour l’émission de brefs d’habeas corpus ad subjiciendum, pour s’enquérir des causes d’incarcération, dans toute cause criminelle sous l’opération d’un acte du Parlement du Canada, ou dans tout cas de demande d’extradition » (article 51 de l’Acte de la Cour suprême et de l’Échiquier). Mais puisque le Parlement en 1970 a omis de mentionner l’habeas corpus au paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales — même s’il a prévu explicitement au paragraphe 18(2), qu’un bref d’habeas corpus peut être émis à l’égard d’un membre des Forces canadiennes en poste à l’étranger — on peut néanmoins se demander si la présente Cour devrait aujourd’hui refuser de trancher la question constitutionnelle compte tenu de l’expertise particulière que les cours supérieures provinciales peuvent posséder en matière d’habeas corpus (Strickland, au paragraphe 40; Reza c. Canada, [1994] 2 R.C.S. 394).

[93]      La Cour suprême du Canada a déjà signalé, dans l’arrêt R. c. Miller, [1985] 2 R.C.S. 613 (Miller), à la page 624, que le Parlement avait l’intention de laisser aux cours supérieures provinciales « la compétence en matière d’habeas corpus pour vérifier la validité d’une détention imposée par les autorités fédérales ». Compte tenu de cette intention du législateur et de l’importance du certiorari auxiliaire pour l’efficacité de l’habeas corpus, elle a conclu que les cours supérieures provinciales avaient compétence pour délivrer un certiorari auxiliaire d’un habeas corpus en vue d’apprécier la validité d’une incarcération. Dans l’arrêt May c. Établissement Ferndale, 2005 CSC 82, [2005] 3 R.C.S. 809 (May), la Cour a réaffirmé ce principe, ce qu’elle a fait une fois de plus tout récemment dans l’arrêt Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502 (Khela).

[94]      Puisque le caractère raisonnable de la décision de détenir une personne devrait être considéré comme un élément de sa légalité, la cour supérieure provinciale peut examiner le caractère raisonnable d’une détention dans le cadre d’une demande d’habeas corpus — même si, dans les faits, mais non dans la forme, elle examine sous l’angle du droit administratif la légalité de la conduite et des ordonnances de l’office fédéral (Khela, au paragraphe 65). De plus, lorsque le délinquant a choisi de s’adresser par voie de demande pour l’émission d’un bref d’habeas corpus, il pourra accessoirement demander à une cour supérieure provinciale de statuer du même coup sur la constitutionnalité des dispositions législatives en cause (Cunningham c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 143 (Cunningham)). Suivant la même logique, la Cour fédérale pourra en faire de même lorsque le délinquant aura choisi de demander la révision judiciaire d’une action du Service ou d’une décision finale de la Commission. Une conclusion s’impose derechef : nulle cour ne peut prétendre être mieux placée que l’autre pour statuer sur la question de validité constitutionnelle d’une disposition de la LSCMLC.

B.        Le choix du recours approprié appartient au délinquant

[95]      En raison de leur vulnérabilité et des réalités de l’emprisonnement, les délinquants doivent pouvoir choisir le tribunal auquel ils veulent s’adresser et le recours dont ils veulent se prévaloir parmi ceux qui leur sont offerts, malgré les craintes de conflits de compétence (May, aux paragraphes 66–67; Khela, au paragraphe 44). Ainsi que la Cour suprême du Canada l’a très succinctement énoncé dans l’arrêt May, « [l]e choix [du recours] appartient au demandeur » (au paragraphe 44).

[96]      Sous réserve de l’application possible de la doctrine de la préclusion (issue estoppel), rien ne s’oppose en principe à ce qu’un délinquant visé par une OSLD s’adresse, de manière concurrente, à une cour supérieure provinciale et à la Cour fédérale, tantôt pour requérir l’émission d’un bref d’habeas corpus pour faire examiner la légalité de sa détention à la suite de la modification d’une OSLD (Laferrière c. Centre correctionnel communautaire Marcel-Caron, 2010 QCCS 1677 (CanLII); Laferrière c. Commission des libérations conditionnelles du Canada, 2013 QCCS 4228 (CanLII); Laferrière c Commission des libérations conditionnelles du Canada, 2013 QCCA 1081 (CanLII)), tantôt par le biais d’une demande de contrôle judiciaire en Cour fédérale pour contester le mérite d’une décision de la Commission restreignant sa liberté résiduelle à la suite d’un nouvel examen des conditions de l’OSLD (Laferrière CF). Évidemment, la même souplesse vaut également pour les cas de suspension par le Service d’une OSLD et d’examen post-suspension par la Commission en vertu de l’article 135.1 de la LSCMLC.

[97]      Préférant ne pas demander l’émission d’un bref d’habeas corpus à la Cour supérieure du Québec durant la période où il était réincarcéré dans un pénitencier à la suite de la suspension de l’OSLD, le demandeur s’est donc adressé à la Cour fédérale pour requérir l’annulation de la décision finale de la Commission, ainsi qu’un jugement déclaratoire d’invalidité.

[98]      En l’espèce, le demandeur critique les délais de la procédure actuelle d’examen post-suspension d’une OSLD et qui font que le délinquant ne peut, en pratique, obtenir l’annulation d’une décision suspendant une OSLD lorsque le dossier lui est référé par le Service. En effet, le Service a 30 jours à partir de la suspension de l’OSLD pour présenter son évaluation à la Commission et en communiquer le contenu au délinquant par le biais de la Déclaration sur les garanties procédurales (paragraphe 135.1(5) de la LSCMLC). Conformément au Manuel des politiques décisionnelles à l’intention des commissaires (Manuel), la Commission ne peut effectuer d’examen du dossier, avant l’expiration d’un délai de 15 jours depuis la date de la signature de la Déclaration sur les garanties procédurales, afin de permettre au délinquant ou son assistant de présenter des observations écrites. Toujours selon le Manuel, la Commission doit examiner le dossier du délinquant le plus tôt possible, et dans les 60 jours qui suivent la réincarcération. Or, bien que le paragraphe 135.1(2) de la LSCMLC limite la réincarcération d’un délinquant à un maximum de 90 jours, la procureure du demandeur soumet que le délai statutaire est presque toujours atteint par le truchement des procédures applicables, et ce, dans la mesure où le dossier se rend au stade de l’examen devant la Commission. Toutefois, pendant cette période de 90 jours, le demandeur est soumis à une ordonnance restreignant sa liberté résiduaire, et ce, sans qu’il ait la garantie d’être entendu en personne — la Commission disposant du pouvoir discrétionnaire de tenir ou non une audience en personne.

[99]      Le défendeur ne conteste pas vraiment les délais en cause, ni le fait qu’il peut s’avérer difficile en pratique d’obtenir un jugement final — dans un délai de 90 jours suivant la suspension de l’OSLD. À cause de ces très courts délais, il est pratiquement impossible pour le demandeur de s’adresser à la Cour supérieure du Québec pour obtenir l’émission d’un bref d’habeas corpus, d’autant plus que cette dernière n’aura pas le temps et ne sera pas mieux placée que la Cour fédérale pour rendre un jugement déclaratoire d’inconstitutionnalité. En pratique, le délinquant à contrôler qui a été réincarcéré retournera dans la collectivité après 90 jours, à moins qu’il ait été accusé au criminel et qu’un juge provincial n’ait entretemps ordonné sa détention préventive ou ait refusé de le libérer sous caution. Le fait que le délinquant soit en détention préventive, à la suite du dépôt d’une accusation criminelle lui imputant l’infraction visée à l’article 753.3 du Code criminel, est toutefois un élément extrinsèque à la décision rendue par la Commission en vertu de l’article 135.1 de la LSCMLC. En effet, le procureur général n’est pas lié par une recommandation de la Commission.

C.        Les conditions pour avoir un débat complet et décider des questions de droit administratif et constitutionnel sont remplies dans le présent dossier

[100]   Selon la jurisprudence, cette Cour peut prononcer un jugement déclaratoire dans la mesure où elle a compétence sur l’objet du litige, où la question dont elle est saisie est une question réelle et non pas simplement théorique, et où la personne qui la soulève a véritablement intérêt à la soulever (Khadr, au paragraphe 46). Tous ces critères sont rencontrés dans le présent dossier.

[101]   Premièrement, la légalité des actions du Service ou des décisions de la Commission peut être examinée par la présente Cour, en première instance, en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales — ce qui inclut bien entendu la question de savoir si les dispositions législatives ou réglementaires habilitantes en vertu desquelles ils posent une action ou prennent une décision sont conformes à la Constitution.

[102]   Deuxièmement, la question constitutionnelle que soulève le demandeur est inédite et n’est actuellement pas débattue devant un autre tribunal. C’est une question qui n’est pas théorique, alors que la constitutionnalité de la disposition législative — le paragraphe 140(2) de la LSCMLC — continue de poser problème entre les parties.

[103]   Troisièmement, s’agissant d’un délinquant visé par une OSLD, le demandeur a un intérêt réel à faire déterminer aujourd’hui la constitutionnalité des paragraphes 140(1) et (2) de la LSCMLC lorsque la Commission procède à un examen post-suspension en vertu de l’article 135.1 de la LSCMLC. De plus, le jugement déclaratoire recherché en l’espèce par le demandeur aura un effet pratique immédiat et sera applicable sur-le-champ, puisque la Commission devra s’y conformer. En l’espèce, la position prise par la Commission est bien défendue par le procureur général du Canada qui est partie à l’instance.

D.        Effet contraignant d’une déclaration d’invalidité ou d’inopérabilité constitutionnelle

[104]   Je le dis en à côté, mais lorsqu’on y regarde de plus près, l’obiter dictum que l’on retrouve aux paragraphes 70 et 71 de l’arrêt Windsor CSC semble également questionner le caractère contraignant, tant à un niveau horizontal qu’interjuridictionnel d’un jugement déclaratoire, quel qu’il soit. Si cela vaut pour des parties impliquées dans un litige de droit privé, où les intérêts sont nécessairement limités, on peut se poser néanmoins la question lorsqu’il s’agit d’un litige de droit public où le défendeur est l’État lui-même représenté par le procureur général. Il y a l’autorité du précédent (stare decisis), mais il y a également l’autorité de la chose jugée (res judicata) entre les deux parties. Considérant que la présente Cour a compétence en la matière et pour les autres raisons indiquées plus haut, je suis d’avis qu’il n’y a pas lieu d’user de ma discrétion et de déférer la question à la Cour Supérieure du Québec.

[105]   Le questionnement dans l’arrêt Windsor CSC fait d’ailleurs écho à certains commentaires dans l’arrêt Strickland, décidé un an plus tôt. Dans l’arrêt Strickland, les appelants avaient présenté une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale en vue d’obtenir un jugement déclarant que les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfant, DORS/97-175, étaient illégales, car elles n’étaient pas autorisées par le paragraphe 26.1(2) de la Loi sur le divorce, L.R.C. (1985) (2e suppl), ch. 3. Dans l’exercice de sa discrétion, la juge de première instance avait refusé d’examiner la question au mérite : les cours supérieures provinciales étaient mieux placées que la Cour fédérale pour décider, à l’occasion d’un litige de droit familial, si les directives fédérales étaient contraires à la Loi sur le divorce. En dernière analyse, la Cour suprême a rejeté la thèse des appelants voulant que le recours subsidiaire consistant à s’adresser aux cours supérieures provinciales était inefficace et donnerait lieu à de multiples instances.

[106]   Mais au-delà d’un certain nombre de considération pratiques qui ne sont pas pertinentes dans le présent dossier, le juge Cromwell note au paragraphe 53 :

La thèse des appelants néglige le fait qu’aucune cour supérieure provinciale ne serait liée par une décision de la Cour fédérale sur cette question. Ainsi, peu importe la décision que pourrait rendre la Cour fédérale, la question devrait être soumise à nouveau aux cours supérieures avant que cette décision puisse avoir quelque effet pratique ou elle pourrait aussi aboutir à notre Cour. Même si la décision suivant laquelle les Lignes directrices sont illégales était contraignante, il y aurait inévitablement prolifération des instances. Il appartiendrait aux cours provinciales de décider de l’incidence que l’illégalité des Lignes directrices aurait sur certaines ordonnances alimentaires et elles ne pourraient le faire que dans le contexte d’une multitude d’affaires individuelles. [Je souligne.]

[107]   Cohérence argumentaire oblige, si l’on inverse les rôles et que la même question constitutionnelle est décidée par une cour supérieure provinciale : dans quelle mesure une déclaration d’invalidité émanant d’une cour supérieure (ou d’une cour d’appel provinciale) peut-elle légalement lier les autres cours provinciales et statutaires, incluant la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale? Poser la question, c’est y répondre. La réponse c’est « non » si l’on envisage la question du point de vue de la doctrine du stare decisis. Mais ceci ne veut pas dire pour autant que le caractère persuasif du jugement d’une autre juridiction sera écarté suivant les règles de la courtoisie judiciaire (Donald J. Lange, The Doctrine of Res Judicata in Canada, 4e éd. (Markham, Ont. : LexisNexis, 2015) (Lange), aux pages 499–500, référant à l’arrêt Fording Coal Ltd. v. Vancouver Port Authority, 2006 BCCA 204, 53 B.C.L.R. (4th) 278, aux paragraphes 14–17, citant Morguard Investments Ltd. c. De Savoye, [1990] 3 R.C.S. 1077; Toronto Auer Light Co. v. Colling (1899), 31 O.R. 18 (Ch.D.)).

[108]   Si l’on envisage maintenant l’autorité du précédent dans sa verticalité, dans un état unitaire, chacun connaît son rang — comme dans une chaîne de commandement. Car, à tout prendre, si la doctrine du stare decisis confère un certain caractère de certitude juridique — tout en permettant l’évolution ordonnée et progressive du droit (Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 R.C.S. 331, au paragraphe 44, citant Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101, au paragraphe 42) —, celle-ci s’applique plus difficilement dans la fédération canadienne à cause des limites de la compétence juridictionnelle ou territoriale des tribunaux canadiens. C’est pourquoi il faut une cour suprême. Mais d’un point de vue horizontal comme le soulignait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Wolf c. La Reine, [1975] 2 R.C.S. 107, à la page 109 : « Une cour d’appel provinciale n’est pas obligée, ni en droit ni en pratique, de suivre une décision de la cour d’appel d’une autre province, sauf si elle est persuadée qu’elle doit le faire d’après sa valeur intrinsèque ou pour d’autres raisons indépendantes » (je souligne). Ces commentaires ont été repris après l’entrée en vigueur de la Charte en 1982 par la Cour d’appel de Colombie-Britannique dans une affaire criminelle où l’accusé fondait son appel sur la déclaration d’invalidité d’une disposition du Code criminel rendue par la Cour d’appel de l’Ontario (R. v. Pete, 1998 CanLII 6016, 104 B.C.A.C. 319, au paragraphe 5). De la même façon, on peut dire que la Cour fédérale ou la Cour fédérale d’appel ne sont pas liées par la déclaration d’invalidité des cours d’appel provinciales, sauf si elle est persuadée qu’elle doit le faire d’après sa valeur intrinsèque ou pour d’autres raisons indépendantes.

[109]   En fin de compte, pour ce qui est de l’évolution du droit canadien (common law ou droit civil), le mot final n’appartient ni aux cours supérieures (provinciales ou statutaires), ni aux cours d’appel intermédiaires (provinciales ou statutaires), mais à la Cour suprême du Canada. À ce chapitre, comme le souligne la Cour suprême dans le Renvoi sur la Cour suprême, au paragraphe 85 : « Grâce à l’expertise de ses juges issus des deux traditions juridiques du Canada, la Cour a veillé à ce que la common law et le droit civil évoluent côte à côte, tout en conservant leur caractère distinctif. La Cour est ainsi devenue essentielle au fonctionnement des systèmes juridiques dans chaque province et, plus généralement, au développement d’un système juridique canadien cohérent et unifié ». Mais comme la Cour suprême l’explique elle-même, dans la dernière partie du 20e siècle, le rôle de la Cour a encore évolué suite à l’abolition en 1975 des appels de plein de droit en matière civile (paragraphe 86).

[110]   Mais situons nous dans le présent encore une fois. On ne parle pas ici de l’évolution de la common law ou du droit civil. D’un point de vue strictement pratique, ce qui est primordial dans un dossier de nature administrative et constitutionnelle comme celui d’aujourd’hui, c’est que le jugement déclaratoire d’invalidité que recherche une partie puisse lier le procureur général du Canada, et ce, une fois que le jugement de la Cour fédérale sera devenu final et que tous les mécanismes d’appel auront été épuisés. En particulier, le présent demandeur reproche un manquement à la Charte. Or, comme l’édicte l’article 32 de la Charte, celle-ci s’applique aux gouvernements et aux législatures : « Son objet est d’offrir un moyen de protection contre le pouvoir coercitif de l’État ainsi qu’un mécanisme d’examen aux personnes qui s’estiment injustement accablées ou lésées par les actes du gouvernement » (Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3 [à la page 90]). D’autre part, en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte, en cas de violation à l’article 7 de la Charte, la Cour fédérale a également compétence pour ordonner les réparations convenables à l’occasion de l’examen de la légalité de toute décision du gouvernement ou d’un office fédéral (Singh, aux paragraphes 75–78 [pages 221–222]; Operation Dismantle, aux paragraphes 28 et 69 [pages 450 et 474]; SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573, au paragraphe 34 [pages 598–599]).

[111]   Aussi, revenons à la notion de lis inter partes, qui est essentielle à l’application de la chose jugée (res judicata), voire à la préclusion (issue estoppel) ou à l’abus de procédure, car les litiges doivent avoir une fin un jour. Le procureur général du Canada est partie au présent dossier. Selon le paragraphe 2(2) de la Loi sur le ministère de la Justice, L.R.C. (1985), ch. J-2, le ministre de la Justice est d’office procureur général de Sa Majesté au Canada, en ce qu’il occupe sa charge à titre amovible et assure la direction et la gestion du ministère. De surcroît, l’article 4 prévoit que le ministre de la Justice est le conseiller juridique officiel du gouverneur général et le jurisconsulte du Conseil privé de Sa Majesté pour le Canada, notamment en veillant au respect de la loi dans l’administration des affaires publiques et donne son avis sur les mesures législatives. D’ailleurs, selon le paragraphe 4.1(1), le ministre de la Justice est chargé de vérifier si les projets de loi et de textes règlementaires sont incompatibles avec les fins et dispositions de la Charte. Enfin, l’alinéa 5(1)d) dicte que le procureur général du Canada est chargé des intérêts de la Couronne et des ministères dans tout litige où ils sont parties et portant sur des matières de compétence fédérale. Il n’y a vraiment rien de nouveau dans cette expression législative. En effet, le procureur général du Canada et les procureurs généraux des provinces, collectivement, sont les descendants du procureur général d’Angleterre (article 135 de la Loi constitutionnelle de 1867). Or, un aspect important du rôle constitutionnel traditionnel du procureur général d’Angleterre consiste à protéger l’intérêt public dans l’administration de la justice. Cependant, au Canada, les fonctions du procureur général vont au-delà de la gestion des poursuites. Contrairement à la situation en Angleterre, le procureur général est également ministre de la Justice et est généralement responsable de la rédaction des lois déposées par le gouvernement de l’heure (Krieger c. Law Society of Alberta, 2002 CSC 65, [2002] 3 R.C.S. 372, aux paragraphes 24–27; Cosgrove c. Conseil canadien de la magistrature, 2007 CAF 103, [2007] 4 R.C.F. 714, aux paragraphes 34–36 — [demande d’autorisation d’] appel à la Cour suprême rejeté [2007] 3 R.C.S. x). C’est un autre aspect notable de l’évolution constitutionnelle des institutions canadiennes.

[112]   On peut le dire sans se tromper. Dans les dossiers constitutionnels, les déclarations d’inopérabilité prononcées en vertu de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 par une cour de justice n’ont pas un effet anodin (Sarna, aux pages 151–153). Il va de soi que la question de la suspension ou non de telle déclaration — pour ne pas créer un vacuum législatif — est une considération d’intérêt public qui pourra être considérée par le juge de première instance après avoir entendu les représentations des parties, incluant bien entendu celles du procureur général. À terme, après qu’un jugement déclaratoire aura été ou non prononcé en première instance, une partie pourra faire appel devant une cour d’appel intermédiaire, et la question constitutionnelle pourra être tranchée en dernier ressort par la Cour suprême.

[113]   De la même manière, si la cour de justice estime, dans l’exercice du pouvoir de réparation prévu au paragraphe 24(1) de la Charte — qu’une déclaration, plutôt qu’une réparation concrète particulière, est convenable et juste eu égard aux circonstances, il ne faudrait pas penser que pareille déclaration judiciaire n’aura aucun effet utile d’un point de vue pratique. Dans l’arrêt Association des parents de l’école Rose-des-vents c. Colombie-Britannique (Éducation), 2015 CSC 21, [2015] 2 R.C.S. 139, la Cour suprême rappelle que des jugements déclaratoires sont souvent rendus dans le contexte de l’article 23 de la Charte, soit la disposition relative à l’instruction dans la langue de la minorité qui garantit aux titulaires de droits linguistiques minoritaires le droit de faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, en français ou en anglais.

[114]   Au paragraphe 65, la juge Karakatsanis note à ce sujet :

Cela dit, la tradition au Canada veut que les représentants de l’État prennent au sérieux les jugements déclaratoires fondés sur la Charte : voir, p. ex., P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada (5e éd. suppl.), p. 40-37. Comme l’a fait remarquer la Cour dans l’arrêt Doucet-Boudreau, « [e]n choisissant ce type de réparation, on tient pour acquis que le gouvernement en question se conformera rapidement et entièrement au jugement rendu » (par. 62). C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles les tribunaux choisissent souvent de rendre des jugements déclaratoires dans le contexte de l’art. 23 (M. Doucet, « L’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés » (2013), 62 S.C.L.R. (2d) 421, p. 462-463). [Je souligne.]

[115]   Au risque de me répéter, le procureur général du Canada a été validement constitué à titre de défendeur dans la présente demande de contrôle judiciaire et de jugement déclaratoire — laquelle fait état d’une prétendue incompatibilité des paragraphes 140(1) et (2) de la LSCMLC au droit constitutionnel garanti à l’article 7 de la Charte. En l’espèce, le gouvernement du Canada sera lié par le jugement de la présente Cour, une fois que celui-ci sera final et que les mécanismes d’appel auront été épuisés. Je suis donc satisfait que tout jugement déclaratoire dans ce dossier pourra avoir un effet utile. Si une partie est insatisfaite, elle pourra toujours faire appel devant la Cour d’appel fédérale, voire devant la Cour suprême.

[116]   En conséquence, il serait contraire aux meilleurs intérêts de la justice que d’inviter le demandeur à s’adresser à ce point-ci à la Cour supérieure du Québec pour faire trancher la question constitutionnelle dont est aujourd’hui légalement saisie la Cour fédérale. Considérant les frais déjà engagés par les parties et que la présente Cour est tout aussi bien placée pour trancher la question au niveau de la LSCMLC, il ne s’agit pas d’un dossier où la Cour devrait utiliser sa discrétion pour suspendre la présente instance en vertu de l’article 50 de la Loi sur les Cours fédérales.

VI.        Mérite des arguments des parties concernant la question constitutionnelle

[117]   Il s’agit maintenant de déterminer si les paragraphes 140(1) et (2) de la LSCMLC violent l’article 7 de la Charte, qui garantit à chacun le « droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne », et qui précise qu’il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’« en conformité avec les principes de justice fondamentale ».

A.        Problématique

[118]   Dans une large mesure, l’argument de la Charte et l’argument de droit administratif du demandeur se rejoignent, sans se confondre cependant. D’une part, si les dispositions législatives en cause sont incompatibles avec l’article 7 et ne peuvent être justifiées en vertu de l’article premier de la Charte, la Cour peut rendre un jugement déclaratoire, en vertu de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982. D’autre part, si la discrétion législative de tenir une audience n’est pas en soi contraire à l’article 7 de la Charte, et que c’est plutôt son exercice par la Commission qui est problématique, la Cour peut prescrire la réparation qu’elle estime convenable et juste, en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte, ce qui peut inclure une déclaration comme le permet l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales.

[119]   De manière générale, le demandeur a le fardeau de prouver deux éléments : premièrement, qu’il a subi ou qu’il pourrait subir une atteinte à son droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; et, deuxièmement, que cette atteinte ne respecte pas ou ne respecterait pas les principes de justice fondamentale. Si le demandeur réussit à faire cette preuve, le gouvernement a le fardeau de justifier l’atteinte en application de l’article premier, selon lequel les droits garantis par la Charte ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites raisonnables dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique (Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350, au paragraphe 12).

B.        Position des parties

[120]   Au risque de me répéter, résumons succinctement la thèse des deux parties. Le demandeur soumet que le paragraphe 140(2) de la LSCMLC, qui accorde discrétion à la Commission de tenir une audience, doit être déclaré invalide ou inopérant dans le cas des délinquants à contrôler soumis à une OSLD. Le défendeur rétorque que ce n’est pas l’existence de la discrétion prévue au paragraphe 140(2) de la LSCMLC qui pose problème, mais plutôt l’obligation de la Commission, découlant des principes de justice fondamentale, d’exercer ce pouvoir de manière compatible à l’article 7 de la Charte.

[121]   Tel qu’indiqué précédemment, l’issue du litige repose sur la discrétion de tenir ou non une audience en vertu du paragraphe 140(2) de la LSCMLC. L’argument constitutionnel a été formellement soulevé par le demandeur devant la Commission, mais celle-ci a préféré ne pas en traiter dans la décision contestée. Rappelons ici qu’en plus des jugements rendus par la Cour supérieure du Québec et la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Way, 2015 QCCA 1576 (CanLII) (Way CA), confirmant [sub nom. Way c. Commission des libérations conditionnelles du Canada] 2014 QCCS 4193 (Way CS), la procureure du demandeur avait invoqué dans ses représentations écrites du 5 juin 2016, à l’appui de sa demande d’audience devant la Commission, divers arrêts de la Cour suprême du Canada et des cours supérieures ou d’appel provinciales (Gamble [précité]; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 (Baker), aux paragraphes 21–28; R. v. Gatza, 2016 ABPC 37 (CanLII) (Gatza); R. v. Bourdon, 2012 ONCA 256 (CanLII), 110 O.R. (3d) 168 (Bourdon); Regina v. Cadeddu; Regina v. Nunery (1982), 40 O.R. (2d) 128 (H.C.J.) (Cadeddu); Illes v. Kent Institution, 2001 BCSC 1465, 160 C.C.C. (3d) 307; R. v. Swan (1983), 35 C.R. (3d) 135 (B.C.S.C.) (Swan)), ainsi qu’une décision récente de la Cour fédérale (Gallone) venant confirmer, en pareil cas, le droit à une audience orale. Aucune de ces décisions n’a été considérée par la Commission dans la décision sous étude.

[122]   S’appuyant sur la jurisprudence citée plus haut et reprenant à son compte le raisonnement de la Cour supérieure et de la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Way, le demandeur soumet que la même conclusion d’invalidité ou d’inopérabilité des paragraphes 140(1) et (2) de la LSCMLC s’impose dans le cas des délinquants à contrôler dont l’OSLD a été suspendue par le Service et dont le dossier a été référé à la Commission en vertu de l’article 135.1 de la LSCMLC. Une audience doit être obligatoirement tenue, à moins que le délinquant renonce à ce droit par écrit ou fasse défaut de se présenter à l’audience.

[123]   Le défendeur répond à ces arguments en précisant que la déclaration d’invalidité prononcée dans l’arrêt Way ne s’applique pas en l’espèce, tandis que le raisonnement de la Cour supérieure et de la Cour d’appel du Québec n’appuie pas les prétentions du demandeur. Le défendeur souligne que la tenue d’une audience post-suspension en personne n’a jamais été accordée automatiquement par la loi au délinquant dont l’OSLD est suspendue en vertu de l’article 135.1 de la LSCMLC. De plus, il existe des différences majeures entre la suspension d’une OSLD, d’une part, et la suspension, l’annulation, la cessation ou la révocation de la libération conditionnelle ou d’office par la Commission, d’autre part.

[124]   Le demandeur réplique que la lecture restrictive que fait le défendeur des paragraphes 140(1) et (2) de la LSCMLC va à l’encontre du droit fondamental d’être entendu, et soumet que, dans tous les cas de suspension d’une OSLD, la liberté résiduaire du délinquant à contrôler est effectivement restreinte. De plus, tout ce qui a été dit dans la jurisprudence au sujet de l’importance pour le détenu de pouvoir présenter à la Commission sa propre version des faits rend très suspecte toute forme d’audience ex parte (Swan; Cadeddu; Conroy and The Queen (Re) (1983), 42 O.R. (2d) 342 (H.C.J.); R. v. Lowe (1983), 149 D.L.R. (3d) 732 (C.S.C.-B.).

C.        Cadre juridique régissant les ordonnances de surveillance de longue durée

[125]   Nous l’avons déjà expliqué. Les actions que peut poser le Service ou les décisions que peut rendre la Commission en matière de surveillance d’un délinquant à contrôler relèvent de la compétence du Parlement du Canada. Les règles applicables se retrouvent soit au Code criminel, soit dans la LSCMLC. En voici un aperçu général.

[126]   En premier lieu, l’article 753.1 du Code criminel permet à un juge, lors de l’imposition d’une peine, de déclarer une personne « délinquant à contrôler » (délinquant). Le délinquant sera alors soumis à une OSLD ne pouvant excéder 10 ans suite à l’expiration de sa peine d’emprisonnement. Car, faut-il le rappeler, la mise en liberté sous condition vise à contribuer au maintien d’une société juste, paisible et sûre en favorisant, par la prise de décisions appropriées quant au moment et aux conditions de leur mise en liberté, la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants en tant que citoyens respectueux des lois (article 100 de la LSCMLC).

[127]   D’un autre côté, il incombe à la Commission de fixer les conditions particulières de l’OSLD. Les conditions imposées par la Commission sont valables pendant la période qu’elle fixe (paragraphe 134.1(3) de la LSCMLC). Cela dit, les conditions générales prévues par le paragraphe 161(1) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 (Règlement), s’appliquent, avec les adaptations nécessaires, au délinquant surveillé aux termes d’une OSLD (paragraphe 134.1(1) de la LSCMLC).

[128]   Les conditions d’une OSLD peuvent être modifiées ou annulées par la Commission au cours de la période de surveillance (paragraphe 134.1(4) de la LSCMLC). De surcroît, le délinquant soumis à une surveillance de longue durée peut — tout comme un membre de la Commission ou, avec l’approbation de celle-ci, son surveillant de liberté conditionnelle — demander à la cour supérieure de juridiction criminelle de réduire la période de surveillance ou d’y mettre fin pour le motif qu’il ne présente plus un risque élevé de récidive et, de ce fait, n’est plus une menace pour la collectivité, le fardeau de la preuve incombant au demandeur (paragraphe 753.2(3) du Code criminel).

[129]   Aux fins d’assurer le respect par le délinquant des conditions de l’OSLD, des mécanismes administratifs et criminels viennent encadrer, voire limiter, la liberté résiduelle du délinquant surveillé aux termes d’une OSLD.

[130]   Premièrement, le paragraphe 134.2(1) de la LSCMLC prévoit que le délinquant qui est surveillé aux termes d’une OSLD doit observer les consignes que lui donne son surveillant de liberté conditionnelle, un membre de la Commission ou la personne que le président ou le commissaire désigne nommément ou par indication de son poste en vue de prévenir la violation des conditions imposées ou de protéger la société. Or, le paragraphe 753.3(1) du Code criminel prévoit que le délinquant qui, sans excuse raisonnable, omet ou refuse de se conformer à la surveillance de longue durée à laquelle il est soumis est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de 10 ans.

[131]   Deuxièmement, en cas d’inobservation d’une condition découlant de l’OSLD, la surveillance d’un délinquant dans la communauté peut faire l’objet d’une suspension par le Service et le délinquant peut être réincarcéré dans un pénitencier pour une période maximale de 90 jours (paragraphes 135.1(1) à (4) de la LSCMLC). En pareil cas, la Directive du Service correctionnel du Canada concernant le processus décisionnel post libératoire (Directive) prévoit que le Service procède à une évaluation du dossier. L’OSLD ne sera suspendue que lorsque le risque que présente le délinquant est considéré comme impossible à gérer dans la collectivité. Le cas échéant, un mandat de suspension de la mise en liberté sera émis. S’en suivra entrevue post-suspension afin d’informer le délinquant des motifs de la suspension et de lui donner l’opportunité d’expliquer sa conduite.

[132]   Troisièmement, si le Service n’annule pas la suspension, le dossier du délinquant pourra être renvoyé pour examen devant la Commission (paragraphe 135.1(5) de la LSCMLC). Lorsque l’agent du Service juge que la suspension doit être maintenue, il transmet à la Commission une « Évaluation en vue d’une décision » dont les éléments non confidentiels sont communiqués au délinquant. Ce dernier peut faire des représentations écrites et demander d’être rencontré en personne par la Commission. Toutefois, tel qu’il sera expliqué plus loin, la tenue d’une audience est discrétionnaire dans un tel cas (paragraphes 140(1) et (2) de la LSCMLC).

[133]   Une fois saisie du dossier, la Commission examine le cas et, avant l’expiration de la période maximale de 90 jours, elle peut : 1) soit annuler la suspension si elle est d’avis, compte tenu de la conduite du délinquant durant la période de surveillance, que le risque de récidive avant l’expiration de cette période n’est pas élevé; 2) soit recommander le dépôt d’une dénonciation imputant au délinquant l’infraction visée à l’article 753.3 du Code criminel, si elle est d’avis qu’aucun programme de surveillance ne peut adéquatement protéger la société contre le risque de récidive et que, selon toute apparence, les conditions de la surveillance n’ont pas été observées (paragraphe 135.1(6) de la LSCMLC).

[134]   Dans le cas où la Commission recommande de prendre une poursuite criminelle, la recommandation est acheminée par le Service au procureur général du lieu où l’inobservation des conditions de surveillance a été constatée — en d’autres termes, à la Couronne provinciale (paragraphe 135.1(7) de la LSCMLC). La présomption d’innocence s’applique à cette étape (alinéa 11d) de la Charte), alors que l’inculpé a le droit de ne pas être privé sans juste cause d’une liberté assortie d’un cautionnement raisonnable (alinéa 11e) de la Charte). Le délinquant pourra donc demander d’être libéré sous condition dans l’attente de son procès s’il ne représente pas un risque.

[135]   Si le délinquant est trouvé coupable de l’infraction visée à l’article 753.3 du Code criminel, il incombera au juge de déterminer, parmi toutes les sanctions possibles, celle qui est proportionnelle à la fois à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant. La violation d’une OSLD n’est pas régie par un code ou système distinct de détermination de la peine. Le temps passé en détention préventive après la mise en accusation du délinquant sera pris en compte, mais pas nécessairement le temps s’étant écoulé durant la période de suspension de l’OSLD (maximum de 90 jours).

D.        Audience devant la Commission : obligatoire ou discrétionnaire?

[136]   C’est l’article 140 de la LSCMLC qui précise dans quel cas une audience devant la Commission est obligatoire ou discrétionnaire. Le texte de l’article 140 a été reproduit plus haut (paragraphe 4).

[137]   Le paragraphe 140(1) de la LSCMLC prévoit que la tenue d’une audience est obligatoire dans les cas mentionnés aux alinéas a) à e) du paragraphe (1). Par contre, selon le paragraphe 140(2) de la LSCMLC, une audience est laissée à la discrétion de la Commission dans les autres cas — ce qui inclut la tenue d’une audience post-suspension suivant la suspension d’une OSLD (article 135.1 de la LSCMLC).

[138]   Les cas spécifiques où une audience est obligatoire sont recensés par la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Way CA, aux paragraphes 41 à 48. Aussi, je me permets d’en reprendre l’énumération, tout en ignorant les notes en bas de page du jugement Way CA.

[139]   En vertu de l’alinéa [140(1)]a), la Commission doit tenir une audience à l’occasion du premier examen du cas qui suit la demande de semi-liberté des intéressés. Dans le cas d’une peine d’emprisonnement de moins de deux ans, la Commission n’a pas l’obligation de tenir une audience.

[140]   Selon l’alinéa [140(1)]b), la Commission doit tenir une audience lorsqu’elle examine le dossier de délinquants qui purgent une peine d’emprisonnement de deux ans ou plus et qui ne relèvent pas d’une commission provinciale pour décider s’il y a lieu d’accorder la libération conditionnelle totale. Elle doit également tenir une audience dans le cas d’un réexamen à la suite du refus d’une libération conditionnelle totale ou du refus d’une semi-liberté ou lorsqu’il n’y a pas eu d’examen en raison de l’avis d’un délinquant qu’il ne souhaite pas bénéficier de la libération conditionnelle totale. Ce réexamen se tient dans les deux ans de la décision. La Commission tient aussi une audience lors d’un réexamen en cas d’annulation ou de cessation de la libération conditionnelle. Ce réexamen se tient également dans les deux ans de la date d’annulation ou de cessation.

[141]   En vertu de l’alinéa [140(1)]c), la Commission doit tenir une audience lorsqu’elle examine ou réexamine le dossier d’un délinquant « dont la peine d’emprisonnement d’au moins deux ans comprend une peine infligée pour une infraction visée à l’annexe I ou II ou mentionnée à l’une ou l’autre de celles-ci et qui est punissable en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale ». Les articles 129, 130 et 131 de la LSCMLC sont dans la section « Maintien en incarcération au cours de la période prévue pour la libération d’office ».

[142]   En vertu de l’alinéa [140(1)]d), la Commission doit tenir une audience dans « les examens qui suivent l’annulation de la libération conditionnelle ». Rappelons qu’en 2012, l’alinéa 140(1)d) de la LSCMLC a été modifié par l’article 527 de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable, L.C. 2012, ch. 19 (amendements de 2012). Ces modifications législatives sont entrées en vigueur le 1er décembre 2012 (voir TR/2012-88). Auparavant, l’alinéa 140(1)d) de la LSCMLC prévoyait que la Commission devait tenir une audience pour tous les examens suivants : « la suspension, l’annulation, la cessation ou la révocation de la libération conditionnelle ou d’office ».

[143]   En vertu de l’alinéa [140(1)]e) et du Règlement, la Commission doit tenir une audience lorsqu’un délinquant demande une permission de sortir sans surveillance, alors que la Commission ne lui a jamais accordé de première sortie sans surveillance ou de première mise en semi-liberté et que le délinquant purge, dans un pénitencier, une peine d’emprisonnement à perpétuité infligée comme peine minimale ou à la suite de commutation d’une peine de mort ou une peine d’emprisonnement d’une durée indéterminée (paragraphe 164(1) du Règlement). La Commission doit également tenir une audience dans le cas d’un délinquant qui demande une permission de sortir sous surveillance pour certaines raisons précises, alors que la Commission ne lui a pas agréé une première sortie sous surveillance et que le délinquant purge une peine d’emprisonnement à perpétuité infligée comme peine minimale ou à la suite de commutation d’une peine de mort (paragraphe 164(2) du Règlement).

[144]   Enfin, ni la loi ni le règlement ne définissent les termes « annulation », « cessation » ou « révocation ». On peut penser qu’il y a annulation lorsque l’autorisation de mise en liberté du délinquant est retirée avant que celle-ci ne débute (par exemple, le paragraphe 124(3) de la LSCMLC). La cessation et la révocation ont lieu après la mise en liberté. La cessation a lieu lorsque « le risque pour la société dépend de facteurs qui ne sont pas imputables au délinquant » (paragraphe 135(7) de la LSCMLC), tandis qu’il y a révocation dans le cas contraire.

E.        Déclaration d’invalidité prononcée dans l’affaire Way

[145]   Le 26 août 2014, la Cour supérieure du Québec a accueilli la requête en habeas corpus avec mandamus auxiliaire et jugement déclaratoire auxiliaire présentée par deux délinquants dont la semi-liberté ou la libération conditionnelle totale avaient été révoquées par la Commission sans que ceux-ci n’aient été convoqués à une audience orale (Way CS).

[146]   De l’avis de la Cour supérieure, les amendements de 2012 écartent de manière significative une longue tradition où l’on a reconnu et protégé le droit du délinquant de se faire entendre avant qu’une décision importante soit prise quant à sa remise en liberté ou non. De fait, la Cour supérieure conclut que les modifications législatives de 2012 ont entrainé une privation de la liberté résiduelle des deux délinquants, contrairement aux principes de justice fondamentale. Dans ces circonstances, la détention des deux délinquants était illégale. En conséquence, l’article 527 de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable et le nouvel alinéa 140(1)d) de la LSCMLC ont été déclarées inopérants au motif que ces dispositions portent atteinte à l’article 7 de la Charte et ne peuvent être sauvegardées en vertu de l’article premier.

[147]   Le 1er octobre 2015, le jugement Way CS a été confirmé par la Cour d’appel du Québec (Way CA). La Cour d’appel note que « [d]ans le cadre de la mise en œuvre de libérations conditionnelles, chaque décision a un impact important sur la vie du détenu », alors qu’« [u]ne révocation peut occasionner certaines conséquences graves, notamment une période d’emprisonnement plus longue ainsi que la perte d’un emploi » : Way [C.A.], au paragraphe 64, citant un commentaire du juge Laskin, dissident, dans l’arrêt Mitchell c. R., [1976] 2 R.C.S. 570 (Mitchell), à la page 584 et que la Cour suprême a confirmé dans l’arrêt Singh aux pages 209–210.

[148]   Or, bien qu’il faut faire preuve de souplesse à l’occasion d’une analyse relative à l’équité procédurale en matière de libérations conditionnelles (Mooring c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 R.C.S. 75 (Mooring), aux paragraphes 25–26), la Cour d’appel du Québec note par ailleurs, au paragraphe 72 :

[…] il est difficile de ne pas constater que l’amendement mis de l’avant par l’article 527 de la [Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable] crée une situation arbitraire. Hormis les économies d’argent recherchées par le Parlement, il n’y a aucun fondement rationnel à ce qu’une procédure différente soit appliquée à des décisions qui ont un impact similaire sur différents détenus. Il est de plus injuste de permettre une audience à un détenu qui voit sa semi-liberté annulée, alors qu’elle n’a pas pris vie, et laisser la [Commission] décider de ce bénéfice, sans contrainte, alors que la semi-liberté d’un détenu est suspendue ou révoquée après qu’il se sera mérité un tel bénéfice.

[149]   Au final, la Cour d’appel du Québec conclut qu’il n’y a aucune erreur d’analyse dans le raisonnement de la Cour supérieure, que ce soit au niveau de l’atteinte à l’article 7 de la Charte, ou de sa justification en vertu de l’article premier.

[150]   Le 21 avril 2016, la Cour suprême a accordé l’autorisation [[2016] 1 R.C.S. xvi] d’en appeler du jugement Way CA. Le 16 juin 2016, elle a formulé deux questions constitutionnelles touchant à la violation de l’article 7 de la Charte et à la justification de toute atteinte en vertu de l’article premier. Toutefois, le 7 septembre 2016, le procureur général du Canada s’est désisté de son appel et le dossier a été fermé.

[151]   Le 27 mars 2017, lors de l’audition de la présente demande de contrôle judiciaire et de jugement déclaratoire, le procureur du défendeur a indiqué que, dans l’ensemble du territoire du Canada, la Commission se conforme dorénavant au jugement déclaratoire d’invalidité dans la décision Way CS, et ce, bien que les dispositions déclarées inopérantes par la Cour supérieure du Québec (article 527 de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable et alinéa 140(1)d) de la LSCMLC) n’aient pas été formellement abrogées par le Parlement. En pratique, la Commission tient donc automatiquement une audience dans tous les cas de suspension, d’annulation, de cessation ou révocation de la libération conditionnelle ou d’office d’un délinquant. Mais ce n’est pas le cas dans les dossiers qui lui sont référés par le Service à la suite de la suspension d’une OSLD : la tenue d’une audience post-suspension se décide au cas par cas.

[152]   La présente Cour n’est pas liée par des jugements provinciaux. Il n’empêche, celle-ci a examiné le caractère persuasif des jugements ayant été rendus au Québec dans l’affaire Way pour voir si le même raisonnement pouvait s’appliquer à la suspension d’une OSLD. Bien que les modifications de 2012 à l’article 140 de la LSCMLC aient été déclarées inconstitutionnelles, à mon humble avis, il existe des raisons sérieuses pour distinguer l’affaire Way du présent dossier.

[153]   Premièrement, dans le cas des délinquants à contrôler, la surveillance en communauté découle de la sentence ayant été rendue par une cour de juridiction criminelle et non d’une décision de la Commission. Cette dernière ne peut d’aucune manière modifier de son propre chef la sentence rendue.

[154]   Deuxièmement, si la liberté conditionnelle est, entre autre, octroyée au délinquant pour sa bonne conduite lors de sa détention, l’OSLD est, quant à elle, une conséquence du comportement du délinquant dépendamment de la gravité de ses crimes ou encore de la répétition de ceux-ci (article 753.1 du Code criminel). Aussi, la procédure instaurée suite à la violation d’une condition prévue à l’OSLD illustre l’objectif premier qui est de protéger la société du danger que peut représenter le délinquant s’il demeure dans la communauté. En effet, la suspension de l’OSLD est effectuée au départ par le Service qui a obtenu un mandat de réincarcération. Après avoir rencontré en personne le délinquant, le Service prend la décision de maintenir la suspension ou de l’annuler. Si le Service maintient la suspension, le dossier est alors référé à la Commission. La décision de la Commission doit être rendue à l’intérieur du délai statutaire de 90 jours, au-delà duquel la suspension de l’OSLD ne peut se poursuivre et le délinquant doit être libéré (à moins bien entendu que le délinquant ait été accusé entretemps et que le procureur général se soit opposé à sa libération).

[155]   Troisièmement, la preuve matérielle au dossier de la présente Cour — laquelle semble absente ou ne pas avoir considérée dans l’affaire Way — ne me permet pas de conclure que des questions importantes de crédibilité soient toujours en cause ou déterminantes dans la décision que prend la Commission en vertu de l’article 135.1 de la LSCMLC. Ainsi, selon le paragraphe 9.1 du Manuel, lorsque les commissaires doivent déterminer s’il y a lieu d’annuler la suspension ou de recommander le dépôt d’une dénonciation en vertu du paragraphe 135.1(6) de la LSCMLC, ils évaluent toutes les informations pertinentes, dont celles-ci :

a.         les progrès accomplis par le délinquant dans la réalisation des objectifs de son plan correctionnel, notamment les efforts qu’il a déployés pour atténuer les facteurs de risque et ses besoins;

b.         les informations indiquant que le délinquant a eu un comportement pouvant présenter un risque élevé pour la collectivité en ne respectant pas une ou plusieurs conditions (y compris durant le temps où il a été illégalement en liberté et depuis sa réincarcération);

c.         les informations, sûres et convaincantes montrant que les conditions ont été violées;

d.         la question de savoir si le délinquant a compris toute la portée de la condition, ou si une raison justifiant le non-respect de la condition peut être invoquée;

e.         tout document dans lequel sont rapportés la consommation de drogues, les résultats positifs d’analyses d’urine ou tout défaut ou refus de fournir un échantillon;

f.          l’historique et les circonstances des manquements, des suspensions ou des révocations qui se sont produits durant la présente ou une précédente période de liberté sous condition ou de surveillance de longue durée, et de toute autre intervention qui visait à contrôler le risque.

[156]   Quatrièmement, s’agissant de la recommandation de porter une accusation en vertu de l’article 753.3 du Code criminel, celle-ci ne lie pas le procureur général. Mais plus important encore, le délinquant jouit de la présomption d’innocence. Il sera entendu en audience orale par un juge et il pourra faire valoir tous les moyens de défense pour faire rejeter cette accusation.

[157]   Cinquièmement, les amendements de 2012 n’ont en rien changé à la situation des délinquants à contrôler. Le caractère non logique de ces modifications était un facteur déterminant dans Way pour questionner le traitement différent de délinquants jouissant d’une libération conditionnelle. En l’espèce, les audiences post-suspension ont toujours été à la discrétion de la Commission lorsqu’un dossier lui est référé à la suite de la suspension d’une OSLD.

[158]   Aussi, bien que la présente Cour ait considéré les conclusions et le raisonnement de la Cour supérieure du Québec et de la Cour d’appel dans [l’affaire] Way, elle doit parvenir à ses propres conclusions concernant la constitutionnalité de la discrétion que confère le paragraphe 140(2) de la LSCMLC dans le cas d’un examen post-suspension visant un délinquant à contrôler dont l’OSLD a été suspendue par le Service.

F.         Atteinte à la liberté résiduaire du délinquant

[159]   Reprenons donc l’exercice depuis le début. Dans un premier temps, le demandeur prétend que la suspension par le Service d’une OSLD, et la réincarcération dans un pénitencier qui en découle, représentent toutes deux des restrictions importantes à la liberté résiduelle dont jouit le délinquant qui fait l’objet d’une surveillance en communauté (Gallone, au paragraphe 17; R. c. Gamble, [1988] 2 R.C.S. 595 [précité]; Illes v. Kent Institution, 2001 BCSC 1465 [précité]). Selon le demandeur, dans le contexte d’une OSLD, le droit à la liberté résiduelle est plus important que celui dont jouit le délinquant en semi-liberté ou en liberté conditionnelle totale. En effet, le délinquant en surveillance dans la communauté a terminé de purger sa peine contrairement au délinquant jouissant d’une libération conditionnelle. Le demandeur rappelle d’ailleurs l’importance du principe de réinsertion sociale qui supporte le système de surveillance longue durée.

[160]   Je suis généralement d’accord avec le demandeur. Dans le cas de la suspension d’une OSLD, il y a effectivement une restriction à la liberté résiduaire du délinquant durant une période pouvant aller jusqu’à 90 jours. Le défendeur répond que la réincarcération du délinquant à contrôler est expressément autorisée par l’article 135.1 de la LSCMLC. Or, le pouvoir discrétionnaire de la Commission de tenir une audience, prévu au paragraphe 140(2) de la LSCMLC, ne restreint d’aucune manière la liberté résiduaire du délinquant. De toute façon, il faut que la privation à la liberté d’un individu soit suffisamment grave pour justifier la protection de la Charte (Cunningham c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 143 [précité], à la page 151). En l’espèce, toute privation de liberté du délinquant au-delà de la période statutaire de 90 jours n’est pas attribuable à la recommandation de la Commission, du moins d’une façon assez significative pour y voir une atteinte à l’article 7 de la Charte (Huynh c. Canada, [1996] 2 C.F. 976 (C.A.)).

[161]   L’argumentation du défendeur n’est pas convaincante. Je n’ai pas à décider si la restriction à la liberté résiduaire du délinquant à contrôler est plus sévère ou moins importante que celle découlant de la suspension d’une libération conditionnelle. Ainsi que l’a noté la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13, [2012] 1 R.C.S. 433, l’OSLD représente une forme de mise en liberté sous condition régie par la LSCMLC et a donc pour objet de contribuer au maintien d’une société juste, paisible et sûre, favorisant la réadaptation et la réinsertion des délinquants à contrôler (au paragraphe 47). À ce chapitre, la Cour note au paragraphe 48 :

L’examen simultané du Code criminel, de la LSCMLSC et de la jurisprudence permet d’identifier deux objectifs particuliers de la surveillance de longue durée, comme forme de libération conditionnelle : (1) la protection du public contre le risque de récidive et (2) la réadaptation et la réinsertion sociale du délinquant. Le second objectif peut être décrit à juste titre comme l’objectif ultime d’une OSLD, comme l’indique l’art. 100 de la LSCMLSC, bien qu’il soit inextricablement lié au premier. [Je souligne.]

[162]   Les mécanismes de la LSCMLC relatifs à la surveillance en communauté du délinquant à contrôler forment un tout. On ne peut artificiellement segmenter chacune des étapes menant à la privation de la liberté résiduelle du délinquant. La suspension de l’OLSD, la réincarcération, voir à la mise en accusation subséquente du délinquant, doivent être globalement considérées du point de vue de leurs effets pratiques sur le délinquant. Au niveau de la première étape de l’examen requis par l’article 7 de la Charte, la question n’est pas de savoir si l’existence d’une discrétion de tenir ou non une audition est contraire aux principes de justice fondamentale, mais de déterminer si le droit à la liberté de l’individu est engagé. C’est le cas en l’espèce, lorsqu’on considère l’application préjudicielle des mécanismes législatifs en cause. Un jour le délinquant est en liberté surveillée dans la communauté; le jour suivant, à la suite d’allégations de violation de l’OSLD, un mandat est émis par le Service, et le délinquant est réincarcéré dans un pénitencier pour une période pouvant aller jusqu’à 90 jours.

[163]   En l’occurrence, même si la Commission ne peut ultimement que faire une recommandation de poursuite au procureur général en vertu de l’alinéa 135.1(6)c) de la LSCMLC, il n’en demeure pas moins qu’elle est appelée à décider, en premier lieu, si la suspension de l’OSLD par le Service est justifiée. Le demandeur ne dit pas ici que sa réincarcération est en soi illégale, mais que le délinquant a droit à une audience orale pour expliquer sa conduite. Si la Commission décide de ne pas suspendre l’OSLD, et ce, avant la fin du délai de 90 jours, le délinquant sera effectivement remis en liberté. Or, l’alinéa 135.1(6)a) de la LSCMLC l’autorise à annuler la suspension si elle est d’avis compte tenu de la conduite du délinquant durant la période de surveillance, que le risque de récidive avant l’expiration de cette période n’est pas élevé. La Commission peut également modifier les conditions d’une OSLD. Aussi, je ne suis pas convaincu que la réincarcération maximale de 90 jours prévue à l’article 135.1 de la Loi devrait être séparée de l’application du paragraphe 140(2) de la Loi concernant la tenue d’une audience.

[164]   Ayant déterminé que le droit à la liberté du délinquant est engagé par l’application des mécanismes prévus à l’article 135.1 de la LSCMLC, il y a maintenant lieu de déterminer si le caractère discrétionnaire du pouvoir accordé par le paragraphe 140(2) de la LSCMLC de tenir une audience va à l’encontre des principes de justice fondamentale, mais dans un premier temps, il faut définir quels sont les principes de justice fondamentale qui sont susceptibles de s’appliquer au cas sous étude.

G.        Contenu variable de l’obligation d’agir de façon équitable

[165]   Les deux parties sont d’accord pour dire que la Commission doit respecter les principes de justice fondamentale. Toutefois, elles prennent des positions divergentes sur la question de savoir si ceux-ci exigent une audience orale devant la Commission dans tous les cas de suspension d’une OSLD lorsque le dossier lui est référé par le Service.

[166]   La grille d’analyse proposée par la Cour suprême dans l’arrêt Baker pour établir la portée de l’obligation d’agir de façon équitable est bien connue et ne fait pas l’objet de contestation. Le premier facteur est la nature de la décision recherchée, soit la mesure dans laquelle le processus administratif se rapproche d’un processus judiciaire dans le processus prévu, la fonction du décideur et la démarche à suivre pour parvenir à la décision (Baker, au paragraphe 23). Le deuxième facteur est celui de la nature du régime législatif, soit le rôle que joue la décision particulière au sein du régime législatif, incluant, par exemple, les procédures d’appel ou les possibilités de présenter d’autres demandes (Baker, au paragraphe 24). Le troisième facteur est celui de l’importance de la décision pour les personnes visées, soit l’impact sur la vie des personnes et l’étendue des répercussions de la décision (Baker, au paragraphe 25). Le quatrième facteur est celui des attentes légitimes quant à la procédure à suivre ou au résultat (Baker, au paragraphe 26). Le cinquième facteur est celui des choix de procédures que l’organisme fait lui-même, en considérant l’expertise de l’organisme et ce que la loi prévoit quant à la possibilité du décideur de choisir ses propres procédures (Baker, au paragraphe 27).

[167]   Dans deux instances récentes, Gallone et Laferrière CF, la Cour fédérale a apporté une contribution significative au niveau de l’élaboration du droit administratif et du contenu des règles d’équité procédurale applicables. Lorsqu’un délinquant qui fait l’objet d’une OSLD présente des problèmes cognitifs (psychiatriques), ou lorsque le caractère sûr et convaincant des renseignements examinés par la Commission ne peut être évalué au moyen d’une simple étude du dossier, une audience orale devrait généralement être tenue.

[168]   Commençons par l’affaire Gallone. Examinant de manière minutieuse chacun des cinq facteurs mentionnés dans l’arrêt Baker à la lumière du régime en cause et de l’impact de la décision de la Commission sur la liberté résiduelle de la délinquante dont l’OSLD avait été suspendue, la juge Tremblay-Lamer note aux paragraphes 16, 17 et 19 :

Dans le cas présent, il est vrai que la CLCC n’agit pas de façon judiciaire ou quasi judiciaire (Mooring c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 RCS 75 aux paras 25-26) et que le paragraphe 140(2) de la Loi donne à la CLCC la discrétion de tenir une audience ou non. Cependant, les protections procédurales sont plus importantes puisqu’il n’y a aucune procédure d’appel pour les personnes soumises à une ordonnance de surveillance de longue durée et que la décision a un caractère final (articles 99.1 et 147 de la Loi).

Le critère le plus significatif en l’espèce est l’importance de la décision pour la personne visée. La Cour suprême dans Baker, affirmait « [p]lus la décision est importante pour la vie des personnes visées et plus ses répercussions sont grandes pour ces personnes, plus les protections procédurales requises seront rigoureuses » (au para 25). En l’espèce, non seulement la demanderesse a-t-elle été incarcérée suite à la suspension d’une OSLD, mais la CLCC a également recommandé le dépôt d’une accusation en vertu de l’article 753.3 du Code criminel. La suspension de la surveillance de longue durée et l’incarcération qui en découle représentent une restriction à la liberté résiduelle de la demanderesse. Cette décision a une incidence significative sur la nature de l’obligation d’équité procédurale due à la demanderesse par la CLCC. Elle représente un facteur important dont doit tenir compte la CLCC dans sa décision d’entendre viva voce un individu.

[…]

De plus, lorsque l’évaluation des capacités physiques ou mentales peut avoir une incidence sur le type de conditions à imposer, une audience serait appropriée. Ici, l’équipe en soin de santé mentale en communauté du Service correctionnel, ainsi que l’intervenante responsable, ont soulevé des préoccupations quant aux capacités cognitives et aux limites intellectuelles de la demanderesse. Rencontrer la demanderesse aurait certainement permis d’évaluer le bien-fondé des préoccupations des intervenants, en plus d’entendre les explications de la demanderesse quant aux événements ayant mené à la suspension, une décision qui restreignait de façon significative sa liberté résiduelle.

[169]   En appliquant le cadre d’analyse aux faits particuliers de l’affaire, la juge Tremblay-Lamer a conclu qu’une audition orale s’avérait nécessaire. On peut ainsi lire aux paragraphes 20 à 22 :

Bien sûr, la nature de l’obligation d’équité procédurale est souple et varie selon les circonstances. Une audience ne sera pas requise dans tous les cas. Cependant, les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker ne doivent pas demeurer dans l’abstrait. Ils doivent être étudiés dans chaque cas afin de garantir que les décisions administratives prises sont adaptées au type de décision et au contexte institutionnel.

En l’espèce, l’obligation d’équité procédurale était particulièrement onéreuse puisque, comme le souligne la demanderesse, elle a des limitations hautement restrictives lors de ses réincarcérations (dans un pénitencier à sécurité maximale, en isolation 23 heures par jour, avec rien dans sa cellule sauf ses propres vêtements).

En résumé, je suis d’avis que dans les circonstances de l’affaire, notamment le questionnement quant aux capacités de la demanderesse, les recommandations de l’équipe de gestion de cas et du surveillant de libération conditionnelle que la suspension soit annulée, et l’impact important sur la demanderesse de la décision, non seulement de ne pas annuler la suspension, mais de recommander une dénonciation criminelle, la CLCC devait tenir une audience en personne. Les soumissions de la procureure de la demanderesse et de son équipe de gestion de cas démontraient que la demanderesse pourrait souffrir d’un problème psychiatrique ou psychologique, ce qui pouvait évidemment avoir un effet sur la décision de la CLCC et les conditions à imposer. Dans de telles circonstances, la CLCC n’avait pas les renseignements sûrs, certains et suffisants pour procéder sur dossier.

[170]   La présente Cour a également pris connaissance d’une seconde décision rendue sur le même sujet par la juge Tremblay-Lamer : Laferrière CF. Dans cette dernière affaire, le délinquant contestait la légalité d’une décision de la Commission modifiant les conditions auxquelles le demandeur était assujetti dans le cadre d’une OSLD. Cette décision avait été rendue sur dossier malgré la demande d’audience. Après évaluation du dossier, la Commission a accepté la recommandation du surveillant de libération conditionnelle que deux des conditions soient enlevées, soit l’obligation de suivre un traitement psychiatrique et l’interdiction de pénétrer dans un périmètre de 500 mètres du domicile de sa conjointe ou de l’endroit où elle se trouve. Toutefois, la Commission a maintenu les autres conditions en vigueur.

[171]   Distinguant cette dernière situation de l’affaire Gallone, la juge Tremblay-Lamer a décidé que les observations écrites étaient un substitut adéquat à une audition orale. De plus, il n’y avait aucune obligation pour la Commission de tenir une audience à des intervalles réguliers. Ainsi, on peut lire aux paragraphes 10 et 11 de Laferrière CF :

[…] Conformément aux critères de l’arrêt Baker, il ne s’agit pas d’une situation où la CLCC devait tenir une audience pour respecter l’équité procédurale. Il s’agissait d’un examen des conditions de libération conditionnelle du demandeur dont le résultat n’a pas des répercussions aussi grandes qu’une ordonnance de maintien en incarcération ou d’un examen d’une suspension de la libération conditionnelle (voir Arlène Gallone c Le procureur général du Canada, 2015 CF 608). Comme le soulignait la Cour suprême dans Baker, « [p]lus la décision est importante pour la vie des personnes visées et plus ses répercussions sont grandes pour ces personnes, plus les protections procédurales requises seront rigoureuses » (au para 25). Dans le présent dossier, les observations écrites étaient un substitut adéquat à une audition puisqu’aucun motif particulier ni aucune question importante de crédibilité n’était soulevé par le demandeur, lesquels auraient pu entraîner un éclairage différent sur la décision de la CLCC.

De plus, le demandeur n’avait aucune attente légitime que la CLCC tienne une audience et, comme il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire, il n’y a aucune obligation pour la CLCC de tenir une audience à des intervalles réguliers. Également, l’absence de motifs du refus de tenir une audience ne fait pas échec à la décision dans les circonstances particulières du présent cas puisque le demandeur n’avait soulevé aucun motif précis pourquoi une audience aurait dû être tenue, et la CLCC disposait de toute l’information nécessaire au dossier. Conformément aux affaires Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 et Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, la Cour peut considérer que la CLCC aurait pu donner comme motif de refus le fait que rien ne justifiait la tenue d’une audience en l’espèce. Conséquemment, la CLCC n’a pas manqué à l’équité procédurale en ne tenant pas d’audience.

[172]   Comme on peut le voir, la portée de l’obligation d’agir équitablement a un contenu variable. S’agissant de l’article 135.1 de la LSCMC, bien que la Commission ne fasse que rendre une recommandation qui ne lie en rien le procureur général, il n’en demeure pas moins que les délinquants ne peuvent faire appel des décisions de la Commission à la section d’appel. L’absence d’un droit d’appel milite donc en faveur d’un processus décisionnel s’effectuant dans un plus grand respect des principes d’équité procédurale. Conséquemment, la tenue d’une audience peut ou non être nécessaire, tout dépendant des circonstances particulières du dossier. Vu les éclaircissements juridiques apportés par la Cour en 2015 dans les jugements Gallone et Laferrière CF, je suis satisfait qu’avant de refuser de rencontrer en personne le délinquant dans une audience post-suspension, la Commission doit d’abord s’assurer que le caractère sûr et convaincant des renseignements au dossier lui permet de rendre une décision éclairée. La question est de savoir si une audience orale devrait être convoquée dans tous les cas, ou si, dépendant des faits particuliers du dossier, des représentations écrites seraient suffisantes.

H.        La discrétion prévue au paragraphe 140(2) de la LSCMLC n’est pas en soi incompatible avec l’équité procédurale

[173]   Dans l’arrêt Mooring, la Cour suprême a confirmé que dans l’évaluation du risque pour la société, la Commission doit néanmoins examiner tous les renseignements qui sont sûrs et disponibles. La Cour suprême a conclu que la Commission n’exerce pas un rôle quasi judiciaire. Loin de trancher un débat précis entre deux parties opposées, la Commission exerce davantage des fonctions d’enquête. Elle n’est d’ailleurs pas tenue d’appliquer les règles de preuve classiques, n’entend aucun « témoignage » viva voce et n’a pas le pouvoir d’assigner des témoins. La Commission agit également sur la foi des renseignements fournis par les délinquants et par le Service. De plus, la présomption d’innocence ne s’applique pas devant la Commission (Mooring, aux paragraphes 25–26). La recommandation de la Commission, sans lier le procureur général, peut indirectement entraîner la prolongation de l’incarcération étant donné que le procureur général peut déposer des accusations criminelles et s’opposer à ce que le délinquant ne soit relâché. D’ailleurs, la peine imposée pour une accusation sous le paragraphe 753.3(1) du Code criminel ne tient pas compte des trois mois passés en détention sous le coup de la suspension de l’OSLD (Gatza, au paragraphe 46; Bourdon, au paragraphe 17).

[174]   Cela dit, l’article 140 de la LSCMLC n’accorde pas automatiquement un droit à l’audience orale dans les cas de suspension d’OSLD et n’en a jamais accordé un antérieurement. Il n’empêche que, administrativement parlant, la discrétion de la Commission n’est pas absolue. De fait, son exercice est encadré par le Manuel. Celui-ci fournit des consignes que les commissaires ne peuvent pas feindre d’ignorer lorsqu’une demande d’audience orale est faite par un délinquant. Ainsi, dans les cas où la LSCMLC ou les politiques n’exigent pas la tenue d’une audience, les commissaires peuvent, en tout état de cause, décider d’effectuer un examen par voie d’audience, en vertu du paragraphe 140(2) de la LSCMLC, s’ils estiment, dans les circonstances particulières du cas, qu’il faut tenir une audience pour clarifier des aspects pertinents du cas. Les raisons de la tenue d’une audience discrétionnaire sont consignées dans les motifs de la décision de la Commission. Dans les cas où le délinquant ou une personne agissant en son nom a demandé un examen par voie d’audience, les raisons pour lesquelles on a accepté ou refusé de tenir une audience sont également consignées (Manuel, chapitre 11.1, article 6). Au passage, on peut dire que la fourniture de motifs est propre à assurer la transparence et l’intelligibilité de la décision de la Commission.

[175]   De plus, le Manuel fournit un certain nombre d’exemples concrets où une audience en personne peut s’avérer nécessaire. Cela peut comprendre, notamment, les situations où le caractère sûr et convaincant des renseignements examinés ne peut être évalué au moyen d’une étude du dossier, que le dossier comprend des renseignements incomplets ou discordants qui sont pertinents à l’examen du cas ou qui pourraient être clarifiés ou encore lorsque les renseignements au dossier indiquent que le délinquant présente des problèmes (cognitifs, de santé mentale, physiques ou autres) qui l’empêchent de communiquer efficacement par l’écrit (Manuel, chapitre 11.1, article 6). Bien que le Manuel n’ait pas un caractère obligatoire, les exemples que l’on retrouve dans le Manuel créent une expectative légitime chez le délinquant qu’il sera rencontré en personne par la Commission dans ce genre de cas — ce qui inclut bien entendu les cas où la crédibilité du délinquant est soulevée.

[176]   Les principes de justice fondamentale n’exigent pas qu’un individu bénéficie de la procédure la plus favorable, mais requièrent que la procédure soit équitable (Ruby c. Canada (Solliciteur général), 2002 CSC 75, [2002] 4 R.C.S. 3, au paragraphe 46, référant à R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309, à la page 362). Contrairement à ce que prétend le demandeur, l’article 7 de la Charte n’exige pas automatiquement et systématiquement la tenue d’une audience orale, et ce, même si les droits garantis par cette disposition sont en jeu (Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3, aux paragraphes 121–122). Aussi, je suis satisfait que les mécanismes administratifs actuels comportent des garanties véritables au niveau du respect des principes d’équité procédurale.

[177]   Dans la mesure où le paragraphe 140(2) de la LSCMLC n’empêche pas légalement la tenue d’une audience, lorsque cela peut s’avérer nécessaire dans les circonstances particulières du cas sous étude, l’existence d’un tel pouvoir discrétionnaire est neutre et n’est pas incompatible avec les principes de justice fondamentale qui sont garantis par l’article 7 de la Charte.

VII.       Conclusion

[178]   En conclusion, bien que la liberté résiduaire d’un délinquant à contrôler soit restreinte à la suite de la suspension d’une OSLD, l’article 7 de la Charte n’oblige pas la Commission à tenir une audience post-suspension dans tous les cas où le dossier lui est référé par le Service. Les paragraphes 140(1) et (2) de la LSCMLC n’empêchent pas la Commission de tenir une audience post-suspension dans le cas où elle est appelée à exercer les pouvoirs prévus à l’article 135.1 de la LSCMLC. La discrétion conférée par le paragraphe 140(2) peut être appliquée d’une manière qui respecte les droits garantis par la Charte, notamment lorsqu’une question de crédibilité est déterminante dans le dossier. Dans la mesure où la source du problème que dénonce le demandeur ne réside pas dans la loi elle-même, mais dans le refus de la Commission d’exercer sa discrétion de manière compatible avec les principes de justice fondamentale, il ne convient pas de déclarer les dispositions de la loi invalides (Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), 2000 CSC 69, [2000] 2 R.C.S. 1120, aux paragraphes 77, 130–139). Il suffit de déclarer que la Commission doit, à tous égards, se conformer aux principes de justice fondamentale et tenir une audience en personne dans les cas qui ont été discutés plus tôt.

[179]   Pour ces motifs, le demandeur a droit au jugement déclaratoire qui est mentionné au prochain paragraphe.

[180]   S’agissant de l’exercice de la compétence prévue à l’article 135.1 de la LSCMLC, la liberté résiduelle du délinquant à contrôler est restreinte par la suspension d’une OSLD. La Commission doit agir avec équité avant de maintenir la suspension de l’OSLD et de recommander qu’une accusation imputant l’infraction à l’article 753.3 du Code criminel soit portée par le procureur général. Les principes de justice fondamentale obligent la Commission, avant de refuser de rencontrer en personne le délinquant dans une audience post-suspension, à s’assurer que le caractère sûr et convaincant des renseignements au dossier lui permet de rendre une décision éclairée. Lorsque le dossier contient des renseignements incomplets ou discordants qui sont pertinents à l’examen du cas ou qui pourraient être clarifiés par le délinquant, une audience post-suspension doit être tenue. C’est également le cas lorsque le délinquant présente des problèmes (cognitifs, de santé mentale, physiques ou autres) qui l’empêchent de communiquer efficacement par écrit ou encore lorsqu’une question de crédibilité est déterminante dans le dossier. Tout refus de tenir une audience orale doit être motivé par écrit. En conséquence, la discrétion législative de tenir une audience post-suspension ne viole pas l’article 7 de la Charte. Les paragraphes 140(1) et (2) de la LSCMLC ne sont pas invalides ou inopérants constitutionnellement dans le cas des délinquants à contrôler dont le dossier est référé à la Commission à la suite de la suspension d’une OSLD.

[181]   La Cour refuse autrement les autres réparations ou déclarations recherchées par la demanderesse. Le tout sans frais.

Jugement au dossier T-1159-16

Statuant sur le mérite de la présente demande de contrôle judiciaire et de jugement déclaratoire;

LA COUR ADJUGE ET DÉCLARE :

S’agissant de l’exercice de la compétence prévue à l’article 135.1 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (LSCMLC), la liberté résiduelle du délinquant à contrôler est restreinte par la suspension d’une ordonnance de surveillance de longue durée (OSLD). La Commission des libérations conditionnelles du Canada doit agir avec équité avant de maintenir la suspension de l’OSLD et de recommander qu’une accusation imputant l’infraction à l’article 753.3 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46 soit portée par le procureur général. Les principes de justice fondamentale obligent la Commission, avant de refuser de rencontrer en personne le délinquant dans une audience post-suspension, à s’assurer que le caractère sûr et convaincant des renseignements au dossier lui permet de rendre une décision éclairée. Lorsque le dossier contient des renseignements incomplets ou discordants qui sont pertinents à l’examen du cas ou qui pourraient être clarifiés par le délinquant, une audience post-suspension doit être tenue. C’est également le cas lorsque le délinquant présente des problèmes (cognitifs, de santé mentale, physiques ou autres) qui l’empêchent de communiquer efficacement par écrit ou encore lorsqu’une question de crédibilité est déterminante dans le dossier. Tout refus de tenir une audience orale doit être motivé par écrit. La discrétion législative de tenir une audience post-suspension ne viole pas l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. En conséquence, les paragraphes 140(1) et (2) de la LSCMLC ne sont pas invalides ou inopérants constitutionnellement dans le cas des délinquants à contrôler dont le dossier est référé à la Commission à la suite de la suspension d’une OSLD.

La Cour refuse autrement les autres réparations ou déclarations recherchées par le demandeur;

Le tout sans frais.

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