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[1995] 3 C.F. 113

A-79-94

Seaboard Lumber Sales Company Ltd. (appelante)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée)

Répertorié : Canada c. Seaboard Lumber Sales Co. (C.A.)

Cour d’appel, juges Marceau, Stone et Linden, J.C.A.—Vancouver, 26 mai; Ottawa, 16 juin 1995.

Interprétation des lois — L’art. 4 de la Loi sur le droit à l’exportation de produits de bois d’œuvre assujettit à un droit les produits de bois d’œuvre exportés aux États-UnisInclusion ou non de Porto RicoLa Loi met en œuvre un mémorandum d’entente par lequel le Canada a convenu d’appliquer des mesures visant à protéger l’industrie du bois d’œuvre américaineLa Loi ne définit pas le termeÉtats-UnisLe juge de première instance a commis une erreur en utilisant une preuve secondaire (différentes définitions énoncées dans des lois douanières, commerciales et fiscales) pour conclure à une ambiguïté latente justifiant le recours à une preuve de première importance (le Mémorandum)Les tribunaux peuvent, dès le départ, se servir de documents internationaux pertinents pour interpréter une loi de mise en œuvreL’ambiguïté n’est pas une condition préalable à l’examen de facteurs liés au contexteIl existe une présomption selon laquelle une loi de mise en œuvre est censée correspondre aux obligations prises en vertu de la convention internationale en causeLe Mémorandum renvoie au Tariff Schedules of the United States (1986) où le termeÉtats-Unisest défini comme englobant Porto Rico.

Commerce extérieur — L’art. 4 de la Loi sur le droit à l’exportation de produits de bois d’œuvre assujettit à un droit les produits de bois d’œuvre exportés aux États-Unis — La Loi ne définit pas le terme « États-Unis » — La méthode d’interprétation des lois fiscales fondée sur le contexte comporte l’examen des mots, du contexte, de l’objet de la loi et de la preuve extrinsèque de l’intention du législateur — Le juge de première instance a eu raison d’inclure Porto Rico, mais sa méthode d’interprétation a été critiquée.

Il s’agissait d’un appel de la décision de première instance statuant que le terme « États-Unis » figurant dans le paragraphe 4(1) de la Loi sur le droit à l’exportation de produits de bois d’œuvre inclut Porto Rico. Le paragraphe 4(1) assujettit à un droit les produits de bois d’œuvre énumérés à la Partie II de l’annexe qui sont exportés aux États-Unis. Le paragraphe 2(3) dispose que le Mémorandum d’entente peut servir à l’interprétation de l’annexe. La Loi ne définit pas expressément le terme « États-Unis. Le juge de première instance a statué que différentes lois et conventions douanières, commerciales et fiscales définissaient ce terme de différentes façons et qu’il en résultait une « ambiguïté latente » dans la Loi qui justifiait le recours au Mémorandum d’entente.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

Le terme « États-Unis » figurant dans la Loi inclut Porto Rico.

La méthode d’interprétation des lois fiscales fondée sur le contexte comporte l’examen de quatre éléments : les mots eux-mêmes, leur contexte immédiat, l’objet de la loi qui ressort de la législation et la preuve extrinsèque de l’intention du législateur dans la mesure où elle est admissible.

L’approche adoptée par le juge de première instance revient à mettre la charrue avant les bœufs, car une preuve de seconde importance fondée sur le contexte (différentes lois et conventions douanières, commerciales et fiscales) devient la justification du recours à une preuve de première importance (le Mémorandum). Les tribunaux se servent, dès l’ouverture de l’enquête, de documents internationaux pertinents aux fins d’interpréter une loi de mise en œuvre et ce, même si la loi ne comporte à première vue aucune ambiguïté. L’ambiguïté peut apparaître à la suite de l’examen de divers facteurs liés au contexte; elle ne devrait pas être considérée comme une condition préalable nécessaire à l’examen de ces facteurs. Cette approche traduit la présomption selon laquelle une loi de mise en œuvre est censée correspondre aux obligations prises en vertu de la convention ou du mémorandum international en cause.

La Loi met en œuvre une entente—le Mémorandum—prévoyant que certaines mesures seront adoptées par le Canada pour protéger l’industrie américaine du bois d’œuvre. Le Mémorandum définit le terme « États-Unis » comme « le territoire douanier des États-Unis d’Amérique et les zones franches situées sur le territoire des États-Unis d’Amérique ». On tient pour acquis que la Loi inclut cette définition comme si elle y était énoncée. La Loi ne précise pas ce qu’il faut entendre par « le territoire douanier des États-Unis d’Amérique ». Il peut alors être justifié de consulter les « différentes lois et conventions douanières, commerciales et fiscales ». Le Mémorandum renvoie à l’annexe A des « Tariff Schedules of the United States (1986) », où le terme « États-Unis » est défini comme incluant Porto Rico. Par conséquent, on peut avec raison considérer que la définition d’« États-Unis » contenue dans le Mémorandum inclut Porto Rico. Cette définition élargie reflète la prépondérance de la preuve, incluant les lois douanières et commerciales, qui est seulement d’importance secondaire. Enfin, si la définition d’« États-Unis » n’incluait pas Porto Rico, le but de la Loi pourrait être contourné par l’expédition de bois d’œuvre dans les États américains en passant par Porto Rico.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, 30 octobre 1947, [1948] R.T. Can. no 31.

Consolidated Omnibus Budget Reconciliation Act of 1985, Pub. L. No. 99-272, 100 Stat. 82 (1986).

Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre-échange Canada-États-Unis, L.C. 1988, ch. 65, art. 2(1).

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 35(1) « États-Unis ».

Loi sur le droit à l’exportation de produits de bois d’œuvre, L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 12, art. 2(3), 4(1).

Loi sur les douanes, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 1, art. 2(1) (mod. par L.C. 1988, ch. 65, art. 66).

Tarif des douanes, L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 41, art. 2.1 (édicté par L.C. 1988, ch. 65, art. 82; 1993, ch. 44, art. 110).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536; (1984), 10 D.L.R. (4th) 1; [1984] CTC 294; 84 DTC 6305; 53 N.R. 241; Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre-Dame de Bon-Secours, [1994] 3 R.C.S. 3; (1994), 171 N.R. 225; Lor-Wes Contracting Ltd. c. La Reine, [1986] 1 C.F. 346 [1985] CTC 79; (1985), 85 DTC 5310; 60 N.R. 321 (C.A.); British Columbia Telephone Co. c. Canada, [1992] 1 C.T.C. 26; (1992), 92 DTC 6129; 1 G.T.C. 6039; 139 N.R. 211 (C.A.F.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Old HW-GW Ltd. c. Canada, [1993] 1 C.T.C. 363; (1993), 93 DTC 5199 (C.A.F.); infirmant [1991] 1 C.T.C. 460; (1991), 91 DTC 5327 (C.F. 1re inst.).

DÉCISIONS CITÉES :

Balzac v. People of Porto Rico, 258 U.S. 298 (1922); Downes v. Bidwell, 182 U.S. 244 (1901); Neuss Hesslein & Co. v. Edwards, 24 F.2d 989 (S.D.N.Y. 1928); R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686; (1995), 178 N.R. 161; National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324; (1990), 74 D.L.R. (4th) 449; 45 Admin. L.R. 161; 114 N.R. 81.

DOCTRINE

Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce. Instruments de base et documents divers, 16e suppl. Genève, 1969.

Digest of International Law, vol. 14. Prepared by Marjorie M. Whiteman. U.S.G.P.O., 1970.

Sullivan, Ruth. Driedger on the Construction of Statutes, 3rd ed. Toronto : Butterworths, 1994.

APPEL du jugement de première instance ([1994] 2 C.F. 647 (1994), 74 F.T.R. 231 (1re inst.)) qui a statué que le terme « États-Unis » utilisé dans le paragraphe 4(1) de la Loi sur le droit à l’exportation de produits de bois d’œuvre inclut Porto Rico. Appel rejeté.

AVOCATS :

Werner Heinrich et David Graham pour l’appelante.

John Edmond pour l’intimée.

PROCUREURS :

Koffman Birnie & Kalef, Vancouver, pour l’appelante.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Linden, J.C.A. : La seule question en litige en l’espèce est de savoir si le terme « États-Unis » au paragraphe 4(1) de la Loi sur le droit à l’exportation de produits de bois d’œuvre[1] (la Loi) englobe le Commonwealth de Porto Rico.

La principale disposition de la Loi applicable dans le présent appel est la suivante :

4. (1) Les produits de bois d’œuvre figurant à la partie II de l’annexe et exportés aux États-Unis après le 7 janvier 1987 sont assujettis à un droit calculé conformément à la présente loi.

Il convient également de citer le paragraphe 2(3) de la Loi :

2. …

(3) Peut servir à l’interprétation de l’annexe le Mémorandum d’entente concernant le commerce de certains produits de bois d’œuvre résineux, signé par les gouvernements du Canada et des États-Unis le 30 décembre 1986.

Le problème en l’espèce découle du fait que la Loi, contrairement à certaines autres lois semblables, ne définit pas expressément le terme « États-Unis ». Ce terme est, sans raison, parfois défini clairement dans la Loi et parfois, non. La Loi d’interprétation du Canada se révèle peu utile puisqu’elle définit simplement les « États-Unis » comme étant « [l]es États-Unis d’Amérique »[2]. Les décisions dans lesquelles les tribunaux américains ont statué que la Constitution des États-Unis ne s’applique pas à Porto Rico ne sont pas non plus d’une grande utilité[3]. Il ne reste donc plus à la Cour qu’à deviner la signification du terme du mieux qu’elle peut.

Le juge du procès [[1994] 2 C.F. 647 a décidé que, lorsqu’on tient compte du contexte de la Loi, le terme « États-Unis » employé au paragraphe 4(1) doit englober Porto Rico. Pour en arriver à cette conclusion—à laquelle je souscris—, le juge s’est fondé sur le fait que différentes lois et conventions douanières, commerciales et fiscales définissent ce terme de différentes façons. En conséquence, selon lui, la Loi contient une « ambiguïté latente » quant à la portée du terme. Il est donc justifié, toujours selon le juge, de recourir au Mémorandum d’entente, c’est-à-dire la convention internationale sur laquelle la Loi est fondée et dont il est expressément question au paragraphe 2(3), pour résoudre cette ambiguïté. Le juge de première instance a conclu de la manière suivante [aux pages 660 et 661] :

Bien qu’il eût été préférable que le législateur fédéral définisse les « États-Unis » dans la Loi, compte tenu de la présomption de compatibilité entre les accords internationaux et les lois destinées à les mettre en œuvre, il est incontestable que le législateur voulait que le terme « États-Unis » contenu dans la Loi ait la même portée que celle qu’il avait dans la définition du Mémorandum.

En conséquence, l’appel est accueilli, et la Cour conclut que Porto Rico fait partie des « États-Unis », au sens du paragraphe 4(1) de la Loi.

Je partage essentiellement l’opinion du juge du procès, mais il y a lieu d’apporter des précisions et d’expliquer davantage de quelle façon « Porto Rico » a été incorporé dans la définition d’« États-Unis » de la Loi.

La méthode actuelle d’interprétation des lois fiscales a été préconisée dans l’affaire Stubart Investments Ltd. c. La Reine[4]. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a adopté une méthode fondée sur le contexte, au détriment de la règle traditionnelle d’interprétation stricte qui était utilisée jusque-là. L’arrêt Stubart a été appliqué dans d’autres affaires par la suite, notamment par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre-Dame de Bon-Secours, où le juge Gonthier, qui a privilégié une « approche téléologique », déclarait ce qui suit :

Il ne fait plus de doute … que l’interprétation des lois fiscales devrait être soumise aux règles ordinaires d’interprétation. Driedger, à la p. 87 de son volume Construction of Statutes (2e éd. 1983), en résume adéquatement les principes fondamentaux : [traduction] «  … il faut interpréter les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur ».[5]

Les principes énoncés dans l’arrêt Stubart ont été appliqués par notre Cour dans le cadre de ce que le juge MacGuigan, J.C.A. a appelé le principe de l’examen des « termes dans leur contexte global » dans l’affaire Lor-Wes Contracting Ltd. c. La Reine[6]. Dans une affaire subséquente, British Columbia Telephone Co. c. Canada, le juge MacGuigan, J.C.A. a émis l’avis que cette méthode pouvait comporter l’examen de quatre éléments :

[ … ] les mots eux-mêmes, leur contexte immédiat, l’objet de la loi qui ressort de la législation et la preuve extrinsèque de l’intention du législateur dans la mesure où elle est admissible. Ces éléments ne concordent pas toujours et le tribunal doit les apprécier en tenant compte les uns des autres pour en arriver à une interprétation correcte. Cette tâche sera parfois très simple lorsque, comme c’était le cas dans l’arrêt Canadian Marconi, le sens ordinaire des mots est évident et qu’on ne doit pas tenir compte d’autre chose. Dans d’autres cas, comme en l’espèce, il s’agit d’un processus plus complexe. À mon avis, il n’existe aucune règle simple qui puisse faire disparaître efficacement ce problème ou solutionner une difficulté d’ordre intellectuel pour la Cour. La question du poids qu’il faut accorder aux mots doit être envisagée de front et il faut y répondre honnêtement[7].

La méthode fondée sur le contexte ne permet pas aux tribunaux de modifier la loi[8] : elle n’est qu’une façon judicieuse, plus sophistiquée de déterminer la signification d’une disposition législative.

Comme le juge MacGuigan, J.C.A. l’a indiqué, un des facteurs importants dont on tient compte actuellement dans le domaine de l’interprétation législative est le but pour lequel la loi a été rédigée. En l’espèce, le juge du procès et le Tribunal ont tous deux statué que la Loi avait pour but de mettre en œuvre un mémorandum d’entente signé par le Canada et les États-Unis le 30 décembre 1986. Cette entente visait à protéger l’industrie du bois d’œuvre américaine contre les exportations canadiennes par l’imposition de droits d’exportation aux produits canadiens. Les clauses pertinentes du Mémorandum étaient ainsi libellées :

[traduction] 1. Les gouvernements du Canada et des États-Unis d’Amérique concluent le présent mémorandum dans le but de résoudre les différends concernant les conditions relatives au commerce des produits de bois d’œuvre.

4 a) Le gouvernement du Canada percevra un droit d’exportation sur les exportations de certains produits de bois d’œuvre faites à compter du 8 janvier 1987, directement ou indirectement, par le Canada aux États-Unis d’Amérique.

e) Le gouvernement du Canada prendra toutes les mesures raisonnables pour empêcher que le paiement du droit d’exportation établi conformément au présent mémorandum soit évité.

Il est significatif que la Loi incorpore les principaux éléments du Mémorandum. Par exemple, la Loi et le Mémorandum précisent que le Canada percevra un droit d’exportation sur certains produits de bois d’œuvre exportés directement ou indirectement aux États-Unis. Ces produits sont énumérés dans les annexes de la Loi et du Mémorandum. En outre, comme l’annexe de la Loi est moins détaillée que celle du Mémorandum, le paragraphe 2(3) de la Loi permet le recours à l’annexe du Mémorandum pour aider à résoudre toute question d’interprétation éventuelle. Par conséquent, un lien étroit existe entre la Loi et le Mémorandum.

Pour ce qui est du paragraphe 2(3), l’avocat de l’appelante soutenait que, comme seul le recours à l’annexe est expressément permis, tout autre recours au Mémorandum, en particulier pour aider à interpréter le terme « États-Unis », est interdit. Je ne peux souscrire à cet argument. Le paragraphe 2(3) permet le recours au Mémorandum pour la raison évidente que son annexe est plus détaillée que celle contenue dans la Loi. Mais on ne doit pas interpréter le recours permis à l’annexe comme interdisant toute utilisation de la preuve la plus importante relative au but et à l’objet de la Loi. Le recours au Mémorandum pour interpréter la Loi est conforme au bon sens puisque la Loi est destinée à mettre en œuvre le Mémorandum. En fait, le recours au Mémorandum est essentiel en raison de l’interdépendance existant entre celui-ci et la Loi.

Les « États-Unis » sont définis de la façon suivante dans le Mémorandum :

2b) ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE—Le territoire douanier des États-Unis d’Amérique et les zones franches situées sur le territoire des États-Unis d’Amérique.

Il appert du rapprochement de la Loi et du Mémorandum que le terme « États-Unis » englobe le « territoire douanier des États-Unis », tel que décrit dans le Mémorandum.

Le juge du procès en est arrivé à une conclusion semblable en suivant un raisonnement quelque peu différent. Il a statué que le terme « États-Unis », tel qu’utilisé dans la Loi, est ambigu parce qu’il est défini de différentes façons dans diverses lois douanières et commerciales. Selon lui, vu cette ambiguïté latente, le recours au Mémorandum était justifié. En toute déférence, cette approche revient à mettre la charrue avant les bœufs, car une preuve de seconde importance fondée sur le contexte (différentes lois et conventions douanières, commerciales et fiscales) devient la justification du recours à une preuve de première importance (le Mémorandum).

Il est maintenant reconnu que les tribunaux peuvent, dès l’ouverture de l’enquête, se servir de documents internationaux pertinents aux fins d’interpréter une loi de mise en œuvre, et ce, même si la loi ne comporte à première vue aucune ambiguïté[9]. L’ambiguïté peut apparaître à la suite de l’examen de divers facteurs liés au contexte; elle ne devrait pas être considérée comme une condition préalable nécessaire à l’examen de ces facteurs. Cette approche traduit la présomption selon laquelle une loi de mise en œuvre est censée correspondre aux obligations prises en vertu de la convention ou du mémorandum international en cause[10]. En outre, comme le juge MacGuigan, J.C.A. l’a affirmé, il n’existe aucune règle simple capable de résoudre tous les problèmes complexes qui peuvent surgir.

En l’espèce, le but de la Loi est clair. La Loi vise à mettre en œuvre une entente—le Mémorandum—prévoyant que certaines mesures seront adoptées par le Canada pour protéger l’industrie américaine du bois d’œuvre. Comme il a été mentionné précédemment, le Mémorandum définit le terme « États-Unis » comme « le territoire douanier des États-Unis d’Amérique et les zones franches situées sur le territoire des États-Unis d’Amérique ». Compte tenu de ce contexte, on peut, avec raison, considérer que la Loi inclut cette définition comme si elle y était énoncée.

Cependant, le Mémorandum lui-même ne précise pas ce qu’il faut entendre par « le territoire douanier des États-Unis d’Amérique ». On doit donc se reporter à d’autres sources pour connaître le sens de cette expression. Il peut être justifié de consulter, à cet égard, les « différentes lois et conventions douanières, commerciales et fiscales » auxquelles le juge du procès fait référence au début de son analyse. Le Mémorandum donne certaines indications utiles sur les lois et autres documents qui peuvent être consultés. Ainsi, en classifiant les divers produits de bois d’œuvre, il renvoie à l’annexe A des « Tariff Schedules of the United States (1986) ». Comme l’avocat de l’intimée l’a souligné, la loi américaine relative aux douanes en vigueur le 30 décembre 1986, date à laquelle le Mémorandum a été signé, est le texte législatif révisé intitulé Tariff Schedules of the United States. La note 2 de ce texte disposait ce qui suit :

[traduction] 2. Territoire douanier des États-Unis—L’expression « territoire douanier des États-Unis », employée dans les annexes, englobe seulement les États, le District de Columbia et Porto Rico.

Cette définition est un élément important dont il faut tenir compte pour résoudre la question dont la Cour est saisie. Parce que le Mémorandum renvoie aux Tariff Schedules, qui précisent que les États-Unis englobent Porto Rico, on peut avec raison considérer que la définition d’« États-Unis » contenue dans le Mémorandum inclut Porto Rico. Cette définition large d’« États-Unis » est fondée sur la preuve qui concerne le plus directement le présent problème d’interprétation, soit le Mémorandum et les Tariff Schedules.

En outre, cette définition élargie reflète la prépondérance de la preuve qui, dans la présente analyse, est seulement d’importance secondaire. Cette preuve comprend les lois douanières et commerciales. Ainsi, par exemple, les États-Unis sont responsables, en droit international, des relations internationales de Porto Rico, et les traités ratifiés par les États-Unis s’appliquent automatiquement à tous les territoires dont les relations internationales relèvent des États-Unis[11]. De plus, l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce [30 octobre 1947, [1948] R.T. Can. no 31] définit les « États-Unis d’Amérique » de façon à englober Porto Rico[12]. En outre, la définition d’« États-Unis » incluant Porto Rico a été adoptée par le Congrès américain le 7 avril 1986 en vertu de la Public Law 99-272 [Consolidated Omnibus Budget Reconciliation Act by 1985], aux fins de l’imposition de droits relatifs à certains services concernant les douanes[13]. Finalement, les lois canadiennes relatives aux douanes et au commerce, même si elles ne s’appliquent pas directement en l’espèce, définissent les « États-Unis » de façon à inclure Porto Rico[14].

L’avocat de l’appelante a fait valoir que ces lois canadiennes ne pouvaient servir de preuve en l’espèce parce qu’elles avaient été adoptées après l’adoption de la Loi. Je n’accepte pas cet argument. Cette preuve, même si elle peut ne pas être déterminante, ajoute au contexte qui doit être analysé pour qu’on puisse en arriver à l’interprétation appropriée.

On pourrait considérer également que, si la définition d’« États-Unis » n’incluait pas Porto Rico, le but principal de la Loi pourrait être contourné. Les exportateurs canadiens pourraient envoyer leur bois d’œuvre aux 50 États américains en passant par Porto Rico. Ils éviteraient ainsi de payer les droits prévus par la Loi. Les parties au Mémorandum ne peuvent avoir voulu un tel résultat. Le Mémorandum prévoit clairement à l’alinéa 4e) que « [l]e gouvernement du Canada prendra toutes les mesures raisonnables pour empêcher que le paiement du droit d’exportation établi conformément au présent mémorandum soit évité ». (Il est possible, cependant, qu’une telle évasion ne soit pas permise parce que le Mémorandum et la Loi s’appliquent aux exportations faites directement ou indirectement aux États-Unis.)

Finalement, l’avocat de l’appelante invoque la décision Old HW-GW Ltd. c. Canada[15]. Dans cette affaire, la Cour a fait état dans les termes suivants de la décision rendue par le Tribunal en faveur de l’appelante en l’espèce, sans toutefois l’approuver ou la désapprouver :

Dans une affaire parallèle, le Tribunal canadien du commerce extérieur a, dans sa décision Seaboard Lumber Sales Co. v. M.N.R. (1992), 5 T.C.T. 1378, statué que les mots « exportés aux États-Unis » figurant [dans la Loi] … ne comprenaient pas Porto Rico, et il a souligné que des textes de loi connexes définissent explicitement les « États-Unis » comme comprenant Porto Rico[16].

On peut voir que, dans l’affaire Old HW-GW, les États-Unis étaient définis explicitement, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Je souscris à l’opinion du juge du procès, qui a statué que ce renvoi à la décision du Tribunal dans l’affaire Old HW-GW ne signifie pas que la Cour a adopté le principe voulant que le Parlement n’entende élargir le sens ordinaire du terme « États-Unis » que s’il le fait expressément.

À mon avis, toutes ces considérations concernant le libellé, le contexte et l’objet mènent à la conclusion que le terme « États-Unis », tel qu’utilisé dans la Loi, englobe le Commonwealth de Porto Rico.

En conséquence, l’appel sera rejeté avec dépens.

Le juge Marceau, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

Le juge Stone, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.



[1] L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 12, après modifications. La Loi a été abrogée le 5 mars 1992.

[2] L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 35(1).

[3] Balzac v. People of Porto Rico, 258 U.S. 298 (1922). Voir également Downes v. Bidwell, 182 U.S. 244 (1901); Neuss Hesslein & Co. v. Edwards, 24 F.2d 989 (S.D.N.Y. 1928).

[4] [1984] 1 R.C.S. 536.

[5] [1994] 3 R.C.S. 3, à la p. 17.

[6] [1986] 1 C.F. 346(C.A.), à la p. 352.

[7] [1992] 1 C.T.C. 26 (C.A.F.), à la p. 31.

[8] R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686, par le juge en chef Lamer, à la p. 701.

[9] National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324, à la p. 1371 (le juge Gonthier).

[10] Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 1994, 3e édition, à la p. 397.

[11] Digest of International Law, vol. 14, U.S.G.P.O., 1970, à la p. 49.

[12] Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, Instruments de base et documents divers, 16e suppl. (1969), à la p. 6.

[13] Voir Title XIII—Revenue, Trade, and Related Programs, Subtitle A—Trade and Customs Provisions, Part 3—Customs Fees, et les définitions qu’elle renferme.

[14] Voir l’art. 2(1) [mod. par L.C. 1988, ch. 65, art. 66] de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 1, sanctionné le 13 février 1986; l’art. 2.1 [édicté par L.C. 1988, ch. 65, art. 82; 1993, ch. 44, art. 110] du Tarif des douanes, L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 41, sanctionné le 17 décembre 1987; et l’art. 2(1) de la Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre-échange Canada-États-Unis, L.C. 1988, ch. 65, sanctionné le 30 décembre 1988.

[15] [1993] 1 C.T.C. 363 (C.A.F.); infirmant [1991] 1 C.T.C. 460 (C.F. 1re inst.).

[16] Ibid., à la p. 369.

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