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[1995] 3 C.F. 461

T-1764-94

La bande indienne de St. Mary’s et le conseil de la bande indienne de St. Mary’s (requérants)

c.

Le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (intimé)

et

Le procureur général de la Colombie-Britannique (intervenant)

T-1771-94

La bande indienne de Columbia Lake et le conseil de la bande indienne de Columbia Lake (requérants)

c.

Le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (intimé)

et

Le procureur général de la Colombie-Britannique (intervenant)

T-1773-94

La bande indienne de Lower Kootenay et le conseil de la bande indienne de Lower Kootenay (requérants)

c.

Le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (intimé)

et

Le procureur général de la Colombie-Britannique (intervenant)

T-1769-94

La bande indienne de Tobacco Plains et le conseil de la bande indienne de Tobacco Plains (requérants)

c.

Le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (intimé)

et

Le procureur général de la Colombie-Britannique (intervenant)

Répertorié : Bande indienne de St. Mary’s c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord Canadien) (1re inst.)

Section de première instance, juge Reed—Vancouver, 6 et 7 juillet; Ottawa, 17 août 1995.

Peuples autochtones — Le chef et le conseil de bande ont pris des règlements administratifs pour réglementer les casinos sur leur réserve — L’art. 81(1)m) de la Loi sur les Indiens n’a ni pour objet, ni pour effet de transférer le pouvoir législatif de contrôler les casinos aux chefs ou aux bandes indiennes — Les conseils de bandes n’ont pas le pouvoir d’exploiter ou de réglementer les casinos à moins d’avoir obtenu un permis de la province — Pour exercer le pouvoir d’annulation que lui confère l’art. 82(2) de la Loi sur les Indiens, le ministre peut tenir compte de préoccupations qui dépassent les intérêts directs de la bande indienne — Le conseil de bande n’avait pas compétence pour prendre le règlement administratif en cause.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de l’arrêté ministériel, pris en vertu du paragraphe 82(2) de la Loi sur les Indiens, annulant un règlement administratif pris par le conseil d’une bande indienne. Le chef et le conseil d’une bande indienne ont pris un règlement administratif, en vertu de l’alinéa 81(1)m) de la Loi sur les Indiens, qui contenait un code réglementant les casinos sur la réserve. Le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien a annulé ce règlement administratif au motif qu’il ne relevait pas de la compétence du conseil de la bande indienne. La question à trancher était celle de savoir si l’alinéa 81(1)m) de la Loi sur les Indiens autorise les bandes indiennes à prendre de tels règlements administratifs.

Jugement : la demande doit être rejetée.

À l’origine, les conseils de bande ont été investis d’un pouvoir limité relativement à la participation à des jeux le dimanche, sous réserve de l’approbation du gouverneur en conseil ou du surintendant général. À cette époque, le législateur n’avait pas l’intention de transférer la compétence de contrôler les casinos aux chefs ou aux conseils de bandes indiennes, car l’exploitation de tous les casinos et de la plupart des autres formes de jeux était interdite par le Code criminel. Le pouvoir de réglementer l’exploitation des salles de billard, salles de danse et autres endroits d’amusement sur les réserves relevait et continue de relever du gouvernement fédéral. En 1951, une révision importante de la Loi concernant les Indiens a été faite, de sorte que le pouvoir de contrôler les jeux d’ordre public n’est plus limité au dimanche et que les règlements administratifs pris par un conseil de bande entrent en vigueur automatiquement, à moins d’être annulés par le ministre. Des modifications subséquentes au Code criminel ont maintenu l’interdiction des jeux de hasard sauf en vertu d’un permis délivré par une province.

Compte tenu de l’historique de la loi, il n’était manifestement pas de l’intention du législateur de conférer aux conseils de bandes indiennes le pouvoir d’exploiter des casinos ou d’en réglementer l’exploitation par dérogation au Code criminel. Si le législateur avait eu l’intention de conférer cette compétence aux conseils de bandes indiennes, il aurait retenu un libellé plus clair à cet égard. Même si l’alinéa 81(1)m) pouvait être interprété comme attribuant aux conseils de bandes le pouvoir de contrôler l’exploitation de casinos, les dispositions de la Partie VII du Code criminel ont préséance et interdisent toute réglementation dérogatoire.

Le pouvoir d’annulation conféré au ministre par le paragraphe 82(2) lui permet d’agir en accord avec des préoccupations gouvernementales qui dépassent les intérêts directs de la bande indienne dont le règlement administratif est en cause. Par conséquent, il ne serait pas irrégulier que le facteur déterminant de la décision du gouvernement fédéral d’exercer son pouvoir d’annulation soit l’entente conclue entre les gouvernements fédéral et provinciaux afin de conférer à ces derniers compétence exclusive sur les casinos.

Malgré son caractère législatif, l’exercice du pouvoir d’annulation conféré par le paragraphe 82(2) n’est pas à l’abri de tout contrôle ni de son annulation en cas d’erreur de compétence. L’exercice de formes subordonnées de pouvoir législatif, tels les arrêtés ministériels, peut être révisé non seulement afin de déterminer s’il est conforme à la Constitution, mais également s’il est autorisé par les dispositions habilitantes.

L’alinéa 81(1)m) ne confère pas aux conseils de bandes indiennes le pouvoir d’exploiter des casinos sur leurs réserves ou d’en réglementer l’exploitation, à moins qu’un permis leur ait été délivré par la province.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Code criminel, S.R.C. 1927, ch. 36, art. 226 (mod. par S.C. 1938, ch. 44, art. 12), 227 (mod. par S.C. 1943-44, ch. 23, art. 7), 228, 229 (mod. par S.C. 1947, ch. 55, art. 4), 230, 231, 232, 233, 234, 235 (mod. par S.C. 1938, ch. 44, art. 13), 236 (mod. par S.C. 1934, ch. 47, art. 7; 1943-44, ch. 23, art. 8).

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, partie VII.

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5].

Loi de 1968-69 modifiant le droit pénal, S.C. 1968-69, ch. 38, art. 13.

Loi des Indiens, S.R.C. 1927, ch. 98, art. 95, 101 (mod. par S.C. 1930, ch. 25, art. 9), 185 (mod., idem, art. 17).

Loi modifiant le Code criminel (loteries), L.R.C. (1985), (1er suppl.), ch. 52, art. 3.

Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, art. 73, 81 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 15), 82, 88.

Loi sur les Indiens, S.C. 1951, ch. 29, art. 80, 81(2).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Twinn et autre c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1987] 3 C.N.L.R. 118; (1987), 6 F.T.R. 41 (C.F. 1re inst.); Nicholson c. Haldimand- Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; (1978), 88 D.L.R. (3d) 671; 78 CLLC 14,181; 23 N.R. 410.

DÉCISION EXAMINÉE :

R. v. Jimmy, [1987] 5 W.W.R. 755; (1987), 15 B.C.L.R. (2d) 145; [1987] 3 C.N.L.R. 77 (C.A.C.-B.).

DÉCISIONS CITÉES :

Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735; (1980), 115 D.L.R. (3d) 1; 33 N.R. 304; Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2; (1982), 137 D.L.R. (3d) 558; 44 N.R. 354; Association canadienne des importateurs réglementés c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 247 (1994), 17 Admin. L.R. (2d) 121 (C.A.).

DOCTRINE

Débats de la Chambre des communes, 4e sess., 16e Lég., 31 mars 1930.

DEMANDE de contrôle judiciaire de l’arrêté ministériel pris en vertu du paragraphe 82(1) de la Loi sur les Indiens pour annuler un règlement administratif pris par un conseil de bande indienne afin de réglementer l’établissement de casinos sur sa réserve. Demande rejetée.

AVOCATS :

John L. Finlay et Fiona C. M. Anderson pour les requérants.

John R. Haig, c.r., pour l’intimé.

George Copley pour l’intervenant.

PROCUREURS :

Arvay Finlay et Cooper & Associates, Vancouver, pour les requérants.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Le procureur général de la Colombie- Britannique pour l’intervenant.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Reed : La principale question en litige est celle de savoir si l’alinéa 81(1)m) de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, modifié par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, article 15, permet aux bandes indiennes de prendre des règlements administratifs aux fins de réglementer l’établissement de casinos sur leurs réserves.

Les requérants désignés dans les quatre requêtes énumérées dans l’intitulé de la cause ont pris des règlements administratifs à cette fin. Bien que certains éléments distinguent les requérants les uns des autres, ils ne sont pas pertinents aux fins de l’instance. Les parties ont convenu que, peu importe la décision qui sera rendue relativement à la bande indienne de St. Mary’s (T-1764-94), elle s’appliquera également aux autres requérants.

Le 12 mai 1994, le chef et le conseil de la bande indienne de St. Mary’s ont pris un règlement administratif en vertu des alinéas 81(1)c), m), g) et r) [mod., idem] de la Loi sur les Indiens. Le 10 juin 1994, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien a annulé ce règlement administratif en vertu du pouvoir que lui confère l’article 82 de la Loi.

Le ministre a précisé le motif de l’annulation du règlement administratif dans une lettre signée le 17 juin 1994 par Charles A. Webb, directeur, Administration des bandes, Ministère des Affaires indiennes. Il s’appuie dans une large mesure, sinon exclusivement, sur l’opinion portant que le conseil de bande n’avait pas compétence pour prendre ce règlement administratif. Celui-ci contient un code complet très élaboré aux fins de réglementer les casinos. Il ne fait aucun doute qu’il a été pris après une analyse approfondie et qu’il se fonde sur un plan mûrement réfléchi. Il est aussi très clair que les possibilités de développement économique de la réserve de St. Mary’s sont limitées et que l’établissement d’un casino sur la réserve engendrerait des revenus substantiels pour la bande.

Bien que le règlement administratif s’appuie sur de nombreux alinéas du paragraphe 81(1) de la Loi sur les Indiens, c’est l’alinéa 81(1)m) qui est plus particulièrement pertinent :

81. (1) Le conseil d’une bande peut prendre des règlements administratifs, non incompatibles avec la présente loi ou avec un règlement pris par le gouverneur en conseil ou par le ministre, pour l’une ou l’ensemble des fins suivantes :

m) la réglementation ou l’interdiction de jeux, sports, courses et concours athlétiques d’ordre public et autres amusements du même genre;

Historique législatif

L’alinéa 81(1)m) tire son origine d’une modification apportée en 1930 aux articles 101 et 185 de la Loi des Indiens [S.R.C. 1927, ch. 98][1]. Le pouvoir conféré par cette modification était limité. Il visait uniquement la participation à des jeux le dimanche. De plus, les règles et règlements que pouvaient prendre le chef ou les chefs d’une bande devaient être ratifiés par le gouverneur en conseil[2] et les statuts, règles et règlements pris par un conseil de bande devaient être approuvés et sanctionnés par le surintendant général (c’est-à-dire le ministre responsable des Affaires indiennes)[3]. Les textes pertinents disposent :

101. Le chef ou les chefs d’une bande en conseil peuvent également et sauf les mêmes ratifications, établir des règles et règlements concernant

j) Le contrôle ou l’interdiction de toute participation ou présence à des jeux publics, sports, courses, luttes d’athlétisme ou autres amusements du même genre le dimanche.

185. …

2. Le conseil peut aussi établir des statuts, règles et règlements, approuvés et sanctionnés par le surintendant général, régissant tous les sujets et objets suivants, ou l’un quelconque d’entre eux, savoir :

jj) Le contrôle ou l’interdiction de toute participation ou présence à des jeux publics, sports, courses, luttes d’athlétisme ou autres amusements du même genre le dimanche.

À l’époque, le surintendant général était déjà investi, depuis au moins 1927, du pouvoir de réglementer l’exploitation des salles de billard, salles de danse et autres endroits d’amusement sur les réserves[4]. Ce pouvoir a été maintenu et existe toujours en vertu du paragraphe 73(1) de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, bien qu’il soit maintenant dévolu au gouverneur en conseil. Le paragraphe 73(1) se lit comme suit :

73. (1) Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements concernant :

e) le fonctionnement, la surveillance et le contrôle des salles de billard, des salles de danse et autres endroits d’amusement dans les réserves;

Il ressort clairement des débats de la Chambre des communes que le pouvoir conféré par les modifications apportées en 1930, soit les alinéas 101j) et 185(2)jj), visaient ce qu’on pourrait appeler les sports de spectateurs et plus particulièrement le comportement du public à l’occasion de ces jeux : la consommation de boissons alcooliques et les « collectes »[5]. Je suppose que ce terme s’entend de la perception de droits d’entrée le dimanche. À cette époque, le législateur n’avait certes pas l’intention de transférer la compétence de contrôler les casinos aux chefs ou aux conseils de bandes indiennes. L’exploitation de tous les casinos et de la plupart des autres formes de jeux était interdite par la partie V du Code criminel[6].

En 1951, on a procédé à une révision importante de la Loi sur les Indiens[7]. Les articles 101 et 185 ont été abrogés et remplacés par l’article 80 (maintenant 81). Depuis, le pouvoir de contrôler les jeux d’ordre public n’est plus limité au dimanche et la nécessité d’obtenir l’approbation du gouverneur en conseil (ou du ministre des Affaires indiennes) a été remplacée par un mécanisme par lequel les règlements administratifs pris par un conseil de bande entrent en vigueur automatiquement, à moins d’être annulés par le ministre. Le paragraphe 81(2) (maintenant 82(2)) dispose :

81. …

(2) Un statut administratif établi selon l’article quatre-vingt entre en vigueur quarante jours après qu’un exemplaire en a été envoyé au Ministre, à moins que le Ministre ne le désavoue au cours de cette période; mais le Ministre peut déclarer le statut en vigueur à tout moment avant l’expiration de cette période.

L’exploitation de casinos et de pratiquement tous les types de maisons de jeu est demeurée interdite par le Code criminel[8]. En 1967-1968, des modifications ont été apportées au Code [Loi de 1968-69 modifiant le droit pénal] pour permettre l’exploitation de loteries et de jeux de hasard et la délivrance de permis à cet égard par les gouvernements fédéral et provinciaux[9]. En 1985, ces dispositions ont été modifiées à nouveau pour soustraire ce champ d’activités de la compétence du gouvernement fédéral et le laisser aux gouvernements provinciaux [Loi modifiant le Code criminel (lotteries)][10]. C’est dans ce contexte qu’il faut évaluer la portée de l’alinéa 81(1)m).

L’interprétation de la Loi

L’avocat des requérants soutient que le législateur a conféré aux conseils des bandes indiennes le pouvoir énoncé dans la disposition qui constitue maintenant l’article 81 dans l’intention de mettre à leur disposition une mesure d’autonomie gouvernementale. Son objet était de créer un domaine sur lequel les bandes exerceraient un contrôle par préséance sur toute autre loi provinciale ou fédérale autrement pertinente. Il soutient que les dispositions édictées par une bande dans un domaine à l’égard duquel elle est compétente peuvent s’appliquer par dérogation à une disposition législative fédérale ou provinciale par ailleurs applicable : voir R. v. Jimmy, [1987] 5 W.W.R. 755 (C.A.C.-B.). Quoi qu’il en soit, le pouvoir conféré par l’article 81 aura préséance sur la législation provinciale par application de l’article 88 de la Loi sur les Indiens.

L’argument portant que l’exercice d’un pouvoir conféré par l’article 81 peut avoir préséance sur une loi fédérale par ailleurs applicable se fonde également sur les dispositions introductives de l’article 81. Celles-ci limitent le pouvoir du conseil de bande dans la mesure où son exercice est incompatible avec la Loi sur les Indiens ou avec un règlement pris par le gouverneur en conseil ou le ministre des Affaires indiennes en application de cette Loi. De nombreuses lois comprennent une disposition type qui confère un pouvoir de législation déléguée sous réserve de « toute autre loi ». Ce n’est pas le libellé qui a été retenu dans le cas de l’article 80 (maintenant 81) au moment où il a été édicté. Par conséquent, l’avocat fait valoir que le pouvoir conféré par l’article 81 est expressément limité par la Loi sur les Indiens ou par les dispositions édictées en vertu de celle-ci, mais qu’il n’est pas limité par les lois fédérales en général. Le renvoi exprès à la Loi sur les Indiens et aux dispositions édictées sous son régime exclut implicitement tout autre texte législatif ou réglementaire fédéral.

Je n’estime pas nécessaire de décider si, en règle générale, les règlements administratifs d’un conseil de bande s’appliquent par dérogation aux lois fédérales ou provinciales. Il me suffit de préciser que, selon moi, l’intention du législateur lorsqu’il a édicté l’alinéa 80m) (maintenant 81(1)m)), n’était pas de conférer aux conseils de bandes indiennes le pouvoir d’exploiter des casinos ou d’en réglementer l’exploitation par dérogation à ce qui constitue maintenant la partie VII du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46].

Premièrement, le pouvoir qui a été attribué en ce qui a trait aux jeux en cause est un pouvoir de contrôle et d’interdiction. On présuppose donc que ces jeux peuvent avoir cours librement en l’absence de pareil contrôle ou interdiction. Ce n’était pas le cas des casinos en 1930, ni en 1951. Ce n’est pas le cas maintenant non plus, sauf en ce qui a trait aux permis délivrés par une province. Deuxièmement, si le législateur avait eu l’intention de conférer compétence aux conseils de bandes indiennes pour exploiter des casinos sur leurs réserves ou pour en réglementer l’exploitation, je pense qu’il aurait retenu un libellé plus clair à cet égard que celui de l’alinéa 80m).

Par ailleurs, lorsqu’on se trouve en présence d’une disposition législative d’ordre général et d’une autre disposition plus spécifique, la technique reconnue d’interprétation législative veut qu’on interprète la disposition plus spécifique comme une exception à la disposition générale. L’avocat des requérants fait valoir que le pouvoir conféré aux conseils de bandes indiennes est plus spécifique que le Code criminel parce que son application est limitée sur le plan géographique—elle se limite uniquement aux réserves indiennes. L’avocat de l’intervenant plaide que les dispositions du Code criminel sont plus spécifiques parce qu’elles traitent uniquement d’un type de jeux—les jeux de hasard. L’alinéa 81(1)m) vise tous les types de jeux et de concours athlétiques d’ordre public et les autres amusements du même genre. Je suis convaincue qu’en l’espèce la dichotomie entre la disposition spécifique et la disposition générale doit être analysée en fonction de leur objet, et non de l’étendue de leur application sur le plan géographique. En examinant ensemble l’alinéa 81(1)m) de la Loi sur les Indiens et la partie VII du Code criminel—j’interprète la disposition spécifique comme une exception à la disposition générale. Par conséquent, même si l’alinéa 81(1)m) pouvait être interprété comme attribuant aux conseils de bandes le pouvoir de contrôler ou d’interdire l’exploitation de casinos, les dispositions de la partie VII du Code criminel ont préséance et interdisent toute réglementation dérogatoire.

L’annulation par le ministre

Bien que cela ne soit pas absolument nécessaire, j’exposerai certains des arguments qui ont été formulés relativement à l’annulation des règlements administratifs en cause par le ministre.

L’avocat des requérants a soutenu qu’en exerçant ce pouvoir, le ministre doit, en sa qualité de fiduciaire de la bande, tenir compte uniquement du bien-être de la bande. Il a fait valoir que le ministre doit par conséquent prendre en considération tant les avantages économiques que la bande pourrait tirer du règlement administratif que les conséquences négatives qui pourraient en découler. Il a affirmé qu’il serait irrégulier que le ministre annule le règlement administratif parce que, par exemple, une entente fédérale-provinciale a été conclue en 1985, par laquelle le gouvernement fédéral a consenti à laisser aux provinces le pouvoir d’exploiter et de réglementer les casinos.

J’interprète le pouvoir d’annulation du ministre énoncé au paragraphe 82(2) comme lui permettant d’agir en accord avec des préoccupations gouvernementales qui dépassent les intérêts directs de la bande indienne dont le règlement administratif est en cause. Je souscris au raisonnement énoncé par le juge Strayer [tel était alors son titre] dans Twinn et autre c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1987] 3 C.N.L.R. 118 (C.F. 1re inst.), à la page 122 :

Assurément, l’objectif visé en autorisant le ministre à annuler des statuts administratifs est, en partie, de lui permettre de tenir compte d’intérêts plus vastes, dépassant ceux de la bande elle-même …

Bien que le juge Strayer ait été saisi d’une annulation qui a été décrite comme servant les intérêts de tous les Indiens en général, ses remarques me semblent assez larges pour comprendre les décisions prises par le ministre pour des motifs d’ordre social, politique ou financier qui ne touchent pas directement les Indiens[11]. Par conséquent, même si la décision du ministre reposait sur l’entente conclue en 1985 entre les gouvernements fédéral et provinciaux afin de conférer à ces derniers compétence exclusive sur les casinos, je ne pourrais conclure qu’il a exercé son pouvoir d’annulation de façon irrégulière.

Je ne suis toutefois pas persuadée que le fait de reconnaître le caractère législatif du pouvoir d’annulation du ministre le mette à l’abri de tout examen, comme le prétend l’avocat. On a porté à mon attention les décisions Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2 et Assoc. canadienne des importateurs réglementés c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 247(C.A.). Je ne vois pas comment le fait de qualifier le pouvoir d’annulation de pouvoirs législatifs créerait l’immunité à laquelle les requérants prétendent. L’activité législative d’une législature est nécessairement soumise à l’examen et aux remarques des personnes qu’elle touche avant l’adoption d’une loi. Cette garantie prend la forme du processus public de la première, de la deuxième et de la troisième lecture à la Chambre des communes et au Sénat et, dans le cas de la législation provinciale, d’un processus comparable devant les assemblées législatives provinciales. La législation déléguée (les règlements), adoptée par décret, est soumise à un examen public. Les personnes touchées ont l’occasion de faire valoir leurs observations avant que les dispositions en cause soient promulguées. Les exigences relatives à la pré-publication garantissent pareil examen. Pourquoi, dans ce cas, une forme encore plus subordonnée de législation déléguée, adoptée par exemple par arrêté ministériel, serait-elle à l’abri d’un tel processus préalable et de toute possibilité d’examen uniquement parce qu’on la qualifie de « législative »?

Non seulement l’activité législative est-elle, en règle générale, assujettie à un examen par les personnes qu’elle touche avant que des dispositions législatives ou réglementaires soient édictées, mais encore celles-ci sont-elles susceptibles d’annulation si elles excèdent la compétence de l’autorité pertinente. Ainsi, les lois peuvent faire l’objet d’un examen visant à déterminer si elles entrent en conflit avec la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] et si elles relèvent de la compétence législative du Parlement ou des législatures provinciales, selon le cas, par application de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]]. La législation déléguée (les règlements) peut être révisée non seulement afin de déterminer si elle est conforme à la Constitution, mais également si elle est autorisée par les dispositions habilitantes. Si elle excède leur portée, elle sera déclarée ultra vires. Je ne vois pas pourquoi une forme encore plus subordonnée de pouvoir législatif (qui s’exerce, par exemple, par voie d’arrêté ministériel) devrait, simplement parce qu’on le qualifie de « législatif », être protégé par une immunité plus grande que l’exercice du pouvoir législatif proprement dit. Pareille attitude serait incompatible avec l’arrêt Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311, qui a mis fin à la catégorisation des actes de l’administration aux fins du contrôle judiciaire. Je ne suis pas convaincue que l’exercice du pouvoir d’annulation du ministre est protégé par l’immunité à laquelle prétendent les requérants.

Conclusion

Ayant conclu que l’alinéa 81(1)m) ne confère pas aux conseils de bandes indiennes le pouvoir d’exploiter des casinos sur leurs réserves ou d’en réglementer l’exploitation, à moins qu’un permis leur ait été délivré par la province, je n’estime pas nécessaire de m’appuyer sur les arguments relatifs à la nature du pouvoir d’annulation du ministre.

Pour les motifs exposés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.



[1] Loi modifiant la Loi des Indiens, S.C. 1930, ch. 25, art. 9 et 17.

[2] S.C. 1930, ch. 25, art. 9 modifiant S.R.C. 1927, ch. 98, art. 101.

[3] S.C. 1930, ch. 25, art. 17 modifiant S.R.C. 1927, ch. 98, art. 185.

[4] S.R.C. 1927, ch. 98, art. 95.

[5] Débats de la Chambre des communes, 31 mars 1930, aux p. 1087 et suiv.

[6] S.R.C. 1927, ch. 36, art. 226 à 236; des exemptions existaient à l’égard de certaines formes de jeux pour l’exploitation d’une concession d’une foire agricole et l’organisation de rafles aux bazars d’église.

[7] S.C. 1951, ch. 29.

[8] S.R.C. 1927, ch. 36, art. 226 (mod. par S.C. 1938, ch. 44, art. 12), 227 (mod. par S.C. 1943-44, ch. 23, art. 7), 228, 229 (mod. par S.C. 1947, ch. 55, art. 4), 230, 231, 232, 233, 234, 235 (mod. par S.C. 1938, ch. 44, art. 13), 236 (mod. par S.C. 1934, ch. 47, art. 7; 1943-44, ch. 23, art. 8).

[9] S.C. 1968-69, ch. 38, art. 13.

[10] L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 52, art. 3.

[11] Le juge Strayer mentionne les commentaires formulés dans l’arrêt Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735, aux p. 753, 755 et 756.

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