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[1995] 3 C.F. 507

T-2022-93

Angelo Del Zotto (demandeur)

c.

Sa Majesté la Reine du chef du Canada, John Edward Thompson et D. Reilly Watson (défendeurs)

T-992-93

Herbert B. Noble (requérant)

c.

Ministre du Revenu national, John Edward Thompson et D. Reilly Watson (intimés)

Répertorié : Del Zotto c. M.R.N. (1re inst.)

Section de première instance, juge McKeown—Toronto, 14 juin; Ottawa, 3 août 1995.

Impôt sur le revenu — Pratique — Demande de levée de la suspension de l’ordonnance nommant un président d’enquête en vertu de l’art. 231.4 de la Loi de l’impôt sur le revenu et d’annulation de l’ordonnance interdisant la tenue de l’enquête tant qu’un jugement définitif ne sera pas rendu dans l’action visant à obtenir un jugement déclarant l’art. 231.4 inconstitutionnel — Dans l’arrêt British Columbia Securities Commission c. Branch, la C.S.C. a statué qu’il y a lieu de soustraire l’intéressé à l’obligation de témoigner si l’objet de l’investigation est la tenue d’une enquête criminelle plutôt que la poursuite d’un objet public légitime — Le demandeur invoque le Manuel des opérations de l’impôt, qui prévoit qu’une enquête peut être menée pour découvrir ce que les témoins dont le témoignage est essentiel à la cause du Ministère dans d’éventuelles poursuites diront en cour, pour prétendre que le but de l’enquête est de recueillir des éléments de preuve en vue d’intenter des poursuites au criminel contre lui — La preuve n’est pas suffisante pour déterminer quel est l’objet de l’enquête — Le Manuel et l’arrêt Branch ne constituent pas un changement de situation important qui justifierait la levée de la suspension.

Il s’agit d’une demande présentée par la Couronne en vue d’obtenir (1) la levée de la suspension de l’ordonnance nommant un président d’enquête chargé de faire enquête sur les affaires financières de M. Del Zotto; (2) l’annulation de l’ordonnance interdisant la tenue de l’enquête tant qu’un jugement définitif ne sera pas rendu en ce qui concerne l’action intentée par M. Del Zotto en vue d’obtenir un jugement déclarant inconstitutionnel l’article 231.4 de la Loi de l’impôt sur le revenu. À la suite de la nomination du président d’enquête, un subpoena a été délivré et signifié à M. Noble pour le forcer à témoigner et à produire des documents à l’enquête. M. Noble a présenté une demande visant à obtenir l’annulation du subpoena au motif que l’article 231.4 et les tentatives faites pour le contraindre à témoigner étaient inconstitutionnels. Les mêmes questions constitutionnelles ont été soulevées dans l’action intentée par le demandeur. Aucune accusation n’a été portée.

Pour affirmer que les investigations n’étaient qu’une enquête criminelle destinée à recueillir des éléments de preuve dans le but de les incriminer, MM. Del Zotto et Noble invoquent les lettres adressées par l’avocat du ministre à leur avocat, le Manuel des opérations de l’impôt et le fait que l’investigation a été menée par la Section des enquêtes spéciales, une section qui a pour mission de faire enquête sur les personnes soupçonnées d’infractions criminelles à la Loi de l’impôt sur le revenu. Le Manuel des opérations de l’impôt prévoit qu’une enquête peut être tenue pour découvrir ce que les témoins dont le témoignage est essentiel à la cause du Ministère dans d’éventuelles poursuites diront en cour et pour découvrir des faits qu’on ne peut autrement obtenir des témoins sympathiques au fraudeur fiscal. Les défendeurs/intimés soutiennent que la question de l’objet de l’enquête a déjà été examinée lorsque, dans la même affaire, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’enquête avait un caractère purement administratif.

Après le prononcé des ordonnances contestées et de l’arrêt de la Cour d’appel, la Cour suprême du Canada a statué, dans l’arrêt British Columbia Securities Commission c. Branch, [1995] 2 R.C.S. 3, que, pour décider s’il y a lieu de soustraire l’intéressé à l’obligation de témoigner, le tribunal doit déterminer si l’objet principal qui est visé en essayant de recueillir des témoignages est d’obtenir des éléments de preuve incriminants contre la personne qui est forcée de témoigner, ou plutôt s’il s’agit d’un objet public légitime.

Les questions en litige sont les suivantes : (1) Quel était le véritable objet de l’enquête? (2) Quel est le critère applicable à la levée de la suspension dans les deux instances? (3) L’ordonnance de suspension et l’ordonnance de ne pas faire sont-elles toujours justifiées, compte tenu de l’arrêt Branch?

Jugement : la demande doit être rejetée.

(1) La question de l’objet de l’enquête se pose toujours. La Cour n’est pas dans une position qui lui permette de conclure que le Manuel des opérations de l’impôt démontre que l’objet de l’enquête est la tenue d’une enquête criminelle, compte tenu du peu d’éléments de preuve qui lui a été soumis et du fait que les parties n’ont même pas commencé leurs interrogatoires préalables. Pour pouvoir trancher des questions constitutionnelles, le tribunal doit avoir en main un dossier factuel complet.

(2) Le critère applicable en ce qui concerne la levée d’une suspension est celui de savoir s’il s’est produit un changement de situation important. (3) La Cour n’est pas convaincue qu’il s’est produit un changement de situation important compte tenu du Manuel des opérations de l’impôt. La Cour suprême du Canada a constamment déclaré que la Loi de l’impôt sur le revenu est essentiellement une mesure de réglementation, mais dans les affaires citées, la Cour suprême du Canada n’avait pas en main le Manuel des opérations de l’impôt. Rien ne permet de savoir dans quelle mesure le Manuel régit les enquêtes. Si c’est le document qui les régit, le fait qu’un tribunal a déclaré qu’une loi était valide au motif qu’il s’agit essentiellement d’une mesure de réglementation ne donne pas au Ministère le droit de ne tenir aucun compte d’un de ses aspects réglementaires et de se concentrer uniquement sur l’introduction d’actions pénales sans avoir à poursuivre un objectif économique. La Cour se dit incapable de déterminer, en raison de l’existence du Manuel des opérations de l’impôt, si l’on avait un autre objectif que celui de poursuivre le fraudeur fiscal.

L’article 231.4 de la Loi de l’impôt sur le revenu serait conforme à la Charte si les incidences du Manuel des opérations de l’impôt sur l’application de l’article 231.4 ne soulevaient pas de questions. Lorsqu’elle instruira l’action du demandeur, la Cour aura en main un dossier complet qui lui permettra de rendre cette décision. L’arrêt Branch ne constitue pas un changement de situation suffisamment important pour justifier la levée de la suspension.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 8.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 128, 231.3, 231.4.

Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C-34 (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 19, art. 19), art. 79 (mod., idem, art. 45).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.2 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5), 50(3).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663.

Securities Act, S.B.C. 1985, ch. 83, art. 128(1).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Union Carbide Corporation et autre c. W.R. Grace & Co. et autre (1983), 77 C.P.R. (2d) 274 (C.F. 1re inst.); MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357; [1989] 6 W.W.R. 351; (1989), 61 Man. R. (2d) 270; British Columbia Securities Commission c. Branch, [1995] 2 R.C.S. 3.

DISTINCTION FAITE AVEC :

Del Zotto (A.) c. Canada, [1993] 2 C.T.C. 342 (C.F. 1re inst.); (1993), 93 DTC 5455 (C.A.F.), autorisation de pourvoi devant la C.S.C. refusée à [1994] 1 R.C.S. vi; Guay v. Lafleur, [1965] R.C.S. 12.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Canadian Tire Corp. Ltd. c. Pit Row Services Ltd. (1987), 19 C.P.R. (3d) 230; 13 F.T.R. 145 (C.F. 1re inst.); R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627; (1990), 76 C.R. (3d) 283; 106 N.R. 385; R. c. S. (R.J.), [1995] 1 R.C.S. 451; (1995), 121 D.L.R. (4th) 589; 177 N.R. 81; 78 O.A.C. 161; Samson c. Canada, [1995] 3 C.F. 306(C.A.).

DÉCISIONS CITÉES :

Del Zotto c. Ministre du Revenu national et autres (1995), 90 F.T.R. 200 (C.F. 1re inst.); Noble c. Ministre du Revenu national et autres (1995), 90 F.T.R. 203 (C.F. 1re inst.).

DEMANDE de levée de la suspension d’une ordonnance nommant un président d’enquête chargé de faire enquête sur les affaires financières de M. Del Zotto et d’annulation de l’ordonnance interdisant la tenue de l’enquête tant qu’un jugement définitif ne sera pas rendu en ce qui concerne l’action intentée par M. Del Zotto en vue d’obtenir un jugement déclarant inconstitutionnel l’article 231.4 de la Loi de l’impôt sur le revenu ((1993), 71 F.T.R. 1 (C.F. 1re inst.)). La demande est rejetée.

AVOCATS :

Edward Greenspan, c.r. et David Stratas pour le requérant, Angelo Del Zotto.

Alan D. Gold et David W. Stratas pour le requérant Herbert B. Noble.

Ivan S. Bloom, c.r., John Vaissi-Nagy et Gordon S. Campbell pour les intimés, le ministre du Revenu national et John E. Thompson.

Graham Pinos, c.r. pour le défendeur D. Reilly Watson.

PROCUREURS :

Osler, Hoskin & Harcourt, Toronto et Greenspan, Rosenberg& Buhr, Toronto, pour le requérant Angelo Del Zotto.

Osler, Hoskin & Harcourt, Toronto et Gold & Fuerst pour le requérant Herbert B. Noble.

Le sous-procureur général du Canada, pour les intimés, le ministre du Revenu national et John E. Thompson.

Graham Pinos, c.r., Toronto, pour le défendeur D. Reilly Watson.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge McKeown : Les défendeurs/intimés, Sa Majesté la Reine du chef du Canada, le ministre du Revenu national et John Edward Thompson, sollicitent des ordonnances levant la suspension que j’ai accordée le 26 novembre 1993 [(1993), 71 F.T.R. 1 (C.F. 1re inst.)] et annulant les ordonnances de ne pas faire. La question en litige dans la présente affaire est celle de savoir si les suspensions et les ordonnances de ne pas faire sont toujours justifiées en droit, compte tenu de l’arrêt que la Cour suprême du Canada a rendu le 13 avril 1995 dans l’affaire British Columbia Securities Commission c. Branch [[1995] 2 R.C.S. 3]. Pour trancher cette question, il me faut déterminer quel est le critère applicable en ce qui concerne la levée de la suspension dans les deux instances. Ma compétence pour lever la suspension n’est pas en cause : le paragraphe 50(3) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, modifiée, confère en effet à la Cour le pouvoir de lever la suspension à son appréciation. Il est donc possible de lever la suspension tant dans l’affaire Del Zotto que dans l’affaire Noble. En ce qui concerne l’affaire Noble, on trouve un autre fondement juridictionnel à l’article 18.2 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale, qui confère certains pouvoirs à la Cour en matière d’annulation d’ordonnances de ne pas faire.

LES FAITS

Les trois défendeurs/intimés qui ont introduit la présente requête affirment que les faits ne sont pas contestés. Cette affirmation est toutefois vigoureusement contestée tant par Del Zotto que par Noble. J’exposerai les faits tels que les trois défendeurs/ intimés les ont relatés.

En vertu d’une autorisation datée du 9 octobre 1992, le sous-ministre du Revenu national pour l’impôt, Pierre Gravelle, a autorisé [traduction] « Me John Edward Thompson, c.r., avec l’aide de l’avocat de son choix, à ouvrir une enquête sur les affaires financières de … Angelo Del Zotto pour les années d’imposition 1979 à 1985 inclusivement ».

Par lettre datée du 25 novembre 1992, le sous-ministre du Revenu national pour l’impôt, Pierre Gravelle, a, fort de l’autorisation susmentionnée, présenté une demande fondée sur le paragraphe 231.4(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148 [maintenant L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1] (la Loi), en vue d’obtenir une ordonnance nommant un président d’enquête.

Aux termes d’une ordonnance signée le 2 décembre 1992, le juge en chef Couture de la Cour canadienne de l’impôt a nommé D. Reilly Watson président d’enquête.

Dans le but de forcer Herbert B. Noble à témoigner et à produire des documents dans le cadre de l’enquête, le président d’enquête a délivré un subpoena daté du 21 avril 1993. Le subpoena en question a été signifié à Herbert B. Noble le 26 avril 1993.

Le président d’enquête n’a pas délivré de subpoena visant à contraindre Angelo Del Zotto à témoigner ou à produire des documents à l’enquête.

L’investigation qui a donné lieu à l’enquête n’a pas permis d’obtenir des motifs suffisants pour obtenir un mandat de perquisition. Aucune accusation n’a été portée par suite de l’investigation en question.

Le 5 mai 1993, un avis de requête introductive d’instance a été déposé au nom de Herbert B. Noble, qui sollicitait, [traduction] « une ordonnance … annulant … le subpoena susmentionné » qui lui avait été signifié, au motif que :

[traduction] L’article 231.4 de la Loi de l’impôt sur le revenu … , qui est la disposition législative invoquée à l’appui de la délivrance de l’assignation en question, est contraire aux articles 7 et 8 de la Charte … et, en conséquence, il n’a aucun effet et aucune valeur, étant donné qu’il autorise des fouilles, des perquisitions et des saisies abusives et qu’il prétend autoriser l’État à forcer des citoyens à produire des éléments de preuve qui risquent de les incriminer;

En tout état de cause, même si l’article 231.4 de la Loi de l’impôt sur le revenu n’est pas en soi et en son entier inconstitutionnel, son effet est inconstitutionnel, compte tenu des circonstances particulières relatives aux tentatives faites par l’État pour contraindre … [Herbert B. Noble] à témoigner à … l’enquête.

L’action intentée par Angelo Del Zotto soulève les mêmes questions constitutionnelles que celle que soulève la contestation globale de la constitutionnalité de l’article 231.4 de la Loi de l’impôt sur le revenu qui est faite dans l’avis de requête introductive d’instance susmentionné.

Le 26 novembre 1993, j’ai prononcé l’ordonnance suivante dans les affaires Noble et Del Zotto :

[traduction] 1. La Cour … suspend jusqu’à l’expiration du délai de 30 jours suivant le jugement définitif qui sera rendu [dans les affaires Noble et Del Zotto] l’exécution de l’ordonnance datée du 2 décembre 1992 par laquelle la Cour canadienne de l’impôt a prétendu, en vertu du paragraphe 231.4(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, nommer D. Reilly Watson président d’enquête relativement à la tenue d’une enquête sur les affaires financières [de Angelo Del Zotto];

2. Interdit à D. Reilly Watson d’agir à titre de président d’enquête et Interdit à John Edward Thompson de mener l’enquête avant l’expiration du délai de 30 jours suivant le jugement définitif qui sera rendu [dans les affaires Noble et Del Zotto].

Le 13 avril 1995, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l’affaire British Columbia Securities Commission c. Branch, précitée.

Noble et Del Zotto affirment que les faits sont vivement contestés, étant donné que la véritable question à trancher en l’espèce est celle de savoir quel est l’objet de l’enquête menée au sujet des affaires financières d’Angelo Del Zotto. Je reproduis intégralement le document par lequel Watson a été nommé pour mener l’enquête :

[traduction] ORDONNANCE

ATTENDU QUE Pierre Gravelle, un fonctionnaire occupant le poste de sous-ministre de Revenu Canada — Impôt, a autorisé en vertu du paragraphe 231.4(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu la tenue d’une enquête sur les affaires d’Angelo Del Zotto, domicilié dans la province d’Ontario;

ET ATTENDU QUE Pierre Gravelle a demandé en vertu du paragraphe 231.4(2) à notre Cour de nommer une personne chargée de présider l’enquête;

LA COUR NOMME, en vertu du paragraphe 231.4(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, D. Reilly Watson président d’enquête;

La présente nomination demeure valide jusqu’à la fin de l’enquête.

Signé à Ottawa, Canada,

le 2 décembre 1992.

Bien qu’au paragraphe 231.4(1), on emploie les mots « application et l’exécution », l’avocat de Noble et Del Zotto affirme qu’il n’y a aucun doute que l’objet de l’enquête est pénal ainsi qu’il ressort de certaines des lettres adressées par Me Bloom, l’avocat du ministre, à l’avocat de Noble et Del Zotto. Il ajoute que tout doute que l’on pourrait avoir à ce sujet est dissipé lorsqu’on lit le Manuel des opérations de l’impôt. Dans une lettre datée du 8 décembre 1993 qu’il adresse à Me Stratas du cabinet Osler, Hoskin & Harcourt, et dans laquelle il se désigne comme avocat principal à la Section des poursuites criminelles du Bureau régional de Toronto du ministère de la Justice du Canada, Me Bloom déclare, en ce qui concerne la question des dépens, que [traduction] « dans tous les cas, les parties devraient supporter leurs propres dépens, bien qu’il faille tenir compte des principes régissant l’adjudication des dépens en matière criminelle ». Cette déclaration faisait suite à un débat concernant les dépens afférents à la suspension que j’avais accordée. Me Bloom m’a écrit le 17 février 1994 pour dire qu’il attendait la décision du protonotaire [Del Zotto c. Ministre du Revenu national et autres (1995), 90 F.T.R. 200 (C.F. 1re inst.); Noble c. Ministre du Revenu national et autres (1995), 90 F.T.R. 203 (C.F. 1re inst.)] relativement à la jonction des affaires Del Zotto et Noble et à leur instruction commune. Il a conclu en déclarant :

[traduction] Dans ce cas, j’estime que les observations qui vous seront faites devraient être formulées dans le cadre d’une audience publique. Les instances en question concernent une enquête criminelle; toute décision concernant la plaidoirie et l’enquête préalable porterait gravement atteinte aux droits des parties. Pour ces motifs, je suis d’avis, ainsi que j’en ai déjà fait part à Me Stratas, que si ces questions doivent être abordées, elles doivent l’être dans le cadre d’une audience publique.

Dans ses observations, Me Bloom précise qu’il emploie le mot « criminel » au sens de disposition répressive pénale par opposition à une disposition civile, mais il n’y a rien dans les éléments de preuve qui ont été portés à ma connaissance qui confirme cette affirmation, sauf la jurisprudence récente.

Il y a d’autres éléments de preuve au sujet de la véritable nature de l’enquête. En juin 1986, l’investigation faite au sujet de la situation de Del Zotto avait été confiée à des personnes qui travaillaient à la Section des enquêtes spéciales de Revenu Canada. Cette section a pour mission de faire enquête sur les personnes soupçonnées d’infractions criminelles à la Loi de l’impôt sur le revenu. En juin 1987, des fonctionnaires de la Section des enquêtes spéciales ont confirmé que le demandeur, Del Zotto, faisait l’objet d’une enquête criminelle de la part de leur section. Dans sa déclaration, le demandeur affirme que les enquêteurs ont envisagé—et envisagent toujours—d’intenter contre lui des poursuites au criminel par suite desquelles il risque d’être incarcéré. Le demandeur ajoute que les investigations en question ne sont qu’une enquête criminelle visant à recueillir des éléments de preuve en vue de le poursuivre au criminel. Les défendeurs n’ont pas expressément nié ce fait dans l’action Del Zotto. Le déroulement de l’investigation a été enregistré sur magnétoscope dans le but de consigner la preuve afin de l’utiliser dans des poursuites ultérieures, selon l’affidavit de M. Meredith qui a été déposé à l’appui de la requête en suspension qui m’a été présentée.

J’en viens maintenant au Manuel des opérations de l’impôt qui a été soumis à Me Greenspan dans une lettre datée du 21 avril 1995 en tant que copie des pièces versées au dossier Del Zotto par Sa Majesté la Reine. Voici les extraits pertinents du document en question :

11(12)0 ENQUÊTES EN VERTU

DE L’ARTICLE 231.4 DE LA LOI

DE L’IMPÔT SUR LE REVENU

11(12)1.1 Quand l’emploi en est justifié

(1) Une enquête peut être menée comme moyen de renforcer notre cause dans l’un ou l’autre des deux domaines de l’enquête.

(2) En premier lieu, les témoins dont le témoignage est essentiel à notre cause dans des poursuites prévues sont interrogés sous serment afin de découvrir ce qu’ils diront en cour …

(3) En deuxième lieu, les genres suivants de témoins peuvent être interrogés sous serment afin de découvrir des faits qu’il est impossible d’obtenir autrement :

(B) Les témoins—qui ont peut-être des rapports amicaux avec le fraudeur de l’impôt—qui ne révéleront pas ce qu’ils savent au cours d’une entrevue, mais qui laissent voir ou admettent qu’ils diraient la vérité s’ils étaient assermentés. [C’est moi qui souligne.]

11(12)1.2 Moment opportun

(1) Une enquête n’est pas ouverte habituellement avant que les méthodes classiques d’enquête n’aient été épuisées.

(2) De façon générale, avant qu’un témoin ne soit interrogé lors d’une enquête, l’enquêteur doit connaître les faits et être capable de déterminer si le témoin dit la vérité.

11(12)1.(10) Conclusion

(2) Dans le cas d’une enquête, il n’y a pas de clôture irrévocable; en pratique, ses travaux sont simplement ajournés indéfiniment.

L’avocat des trois défendeurs/intimés adopte le point de vue selon lequel cette question de l’objet de l’enquête a déjà été examinée. En effet, dans l’arrêt Del Zotto (A.) c. Canada, [1993] 2 C.T.C. 342, aux pages 343 et 344, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’enquête en question était une procédure purement administrative. La Cour a cité les propos que le juge Abbott avait exprimés au nom de la majorité dans l’arrêt Guay v. Lafleur, [1965] R.C.S. 12, aux pages 16 et 17 :

[traduction] Le pouvoir, conféré au Ministre par le par. 126(4), de permettre une enquête en son nom n’est qu’un des nombreux pouvoirs d’enquête accordés au Ministre par la Loi. Ces pouvoirs lui sont accordés pour lui permettre de recueillir des données susceptibles et l’aider à remplir le devoir qui lui est imposé d’établir et de percevoir les impôts payables en vertu de la Loi. Le droit du contribuable n’est en cause que lorsqu’une cotisation est établie. Alors, il peut se prévaloir de tous les recours mentionnés dans la Loi.

La Cour poursuit en disant, à la page 344 :

Les modifications apportées par la loi de 1972 sont celles qui sont présentement reflétées aux paragraphes (2), (4), (5) et (6) de l’article 231.4. Elles prévoient notamment la nomination d’un président d’enquête qui est distinct de la personne autorisée à mener l’enquête, la limitation des pouvoirs de ce fonctionnaire d’infliger une peine pour outrage au tribunal, et elles accordent le droit aux témoins et aux personnes dont les affaires font l’objet d’une enquête d’être représentés par un avocat, droit qui avait été refusé dans l’arrêt Guay v. Lafleur, précité. Ces dispositions ne changent pas par ailleurs la nature de l’enquête qui reste, comme l’a dit la Cour suprême, « de nature purement administrative et … ne peut trancher ni décider quoi que ce soit ».

L’arrêt Del Zotto était fondé sur l’arrêt Guay v. Lafleur, précité, qui avait été rendu avant la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]. Qui plus est, la cause avait été plaidée sans que l’on fasse une contestation fondée sur la Charte et ce, malgré le fait que le tribunal a effectivement souligné que l’article 231.4 « réclamait » une contestation fondée sur la Charte. Il n’y a donc pas eu de débat sur la question de savoir si l’enquête en question était une enquête pénale ou une enquête civile. La Cour suprême du Canada a confirmé l’arrêt de la Cour d’appel fédérale en refusant la permission de former un pourvoi, mais uniquement après avoir accordé une suspension d’instance jusqu’à la date du refus d’autoriser le pourvoi [[1994] 1 R.C.S. vi]. La Cour d’appel fédérale n’avait pas le Manuel des opérations de l’impôt à sa disposition lorsqu’elle a déclaré, à la page 344 :

Enfin, puisqu’il n’est pas question que la nomination restreigne les droits ou les obligations du requérant, la question de l’obligation administrative d’équité ne se pose pas.

Je constate que le document qui se trouve dans le Manuel des opérations de l’impôt a été créé en 1987. Rien ne nous permet de savoir pour le moment s’il a été créé avant que l’arrêt Guay v. Lafleur, précité, ne soit prononcé ou dans quelle mesure il régit les enquêtes. Il est possible que la preuve qui sera présentée au procès démontre que la Loi renferme des objectifs administratifs que le ministère cherche à atteindre.

RÈGLES DE DROIT APPLICABLES

Il y a plusieurs critères différents suggérés pour modifier l’ordonnance de suspension de l’instance. J’estime toutefois que je puis retenir, pour les besoins de la présente affaire, le critère le moins exigeant proposé par les trois défendeurs/intimés. Les défendeurs/intimés soutiennent en effet que la Cour devrait exercer sa compétence de manière à lever la suspension ou à annuler l’ordonnance de suspension lorsqu’il se produit un changement de situation important (voir le jugement Union Carbide Corporation et autre c. W.R. Grace & Co. et autre (1983), 77 C.P.R. (2d) 274 (C.F. 1re inst.), à la page 276). Dans le jugement Union Carbide, précité, la Cour a refusé d’annuler la suspension qui avait déjà été accordée au motif que le fait qui était à l’origine de l’octroi de la suspension existait toujours. Dans cette affaire, on plaidait que les tribunaux devraient beaucoup hésiter à intervenir dans les enquêtes criminelles pour accorder une réparation de la nature d’une injonction aux personnes qui faisaient l’objet de telles enquêtes. J’ai retenu cet argument, qui avait été invoqué dans le cadre de la demande initiale de suspension, lorsque j’ai commencé mon jugement en déclarant, à la page 2 :

Les tribunaux ont été particulièrement peu disposés à intervenir dans une enquête criminelle en accordant une injonction à une personne visée par une telle enquête.

La question de l’objet de l’enquête se pose toujours en l’espèce. Del Zotto et Noble ont toujours affirmé qu’il s’agit d’une enquête criminelle et l’on peut constater, à la lecture de quelques-unes des lettres rédigées par le ministère public, que la Couronne souscrit à cette thèse. Je ne vois pas pourquoi je devrais lever la suspension et annuler les ordonnances de ne pas faire alors que les parties ne s’entendent même pas sur les faits de l’affaire. Je ne suis pas dans une position qui me permette de conclure que le Manuel des opérations de l’impôt démontre de façon indubitable que, comme le prétendent le requérant/demandeur, l’objet de l’enquête est de nature exclusivement criminelle. Cependant, à cette étape-ci de l’instance, il y a suffisamment de doutes quant à la question de savoir si l’objet de l’enquête est criminel, ou s’il est de caractère administratif ou s’il concerne l’application de la Loi, lesquels objets ont été jugés valides par la Cour suprême du Canada et la Cour d’appel fédérale. À mon avis, il peut y avoir des cas exceptionnels dans lesquels un ministère du gouvernement recourt à des dispositions législatives par ailleurs valides à des fins autres que celles qu’approuvent les tribunaux. Il m’est impossible, compte tenu du dossier qui m’a été soumis, de dire s’il s’agit de l’un de ces rares cas. Ceci étant dit, il m’est impossible de conclure qu’il s’est produit en l’espèce un changement de situation important. Par ailleurs, le juge Hugessen, J.C.A. a affirmé, dans l’arrêt Samson c. Canada, [1995] 3 C.F. 306 qu’il est très important d’analyser l’objet de l’enquête parce que c’est ce qu’exige l’arrêt Branch, précité. Il a déclaré, à la page 329 :

Finalement, l’analyse de l’objet de l’enquête et de son cadre législatif et réglementaire qui est exigée par l’arrêt Branch, supra, manque complètement. Cette analyse aurait révélé que l’objet prédominant de l’enquête était de poursuivre des objectifs économiques et commerciaux de grande importance pour le public et non pas d’incriminer les intimés.

Un tribunal devra décider si l’objet de l’enquête en question concerne l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu et, uniquement de façon accessoire, l’incrimination de Del Zotto ou si son objet prédominant est d’incriminer Del Zotto et non de poursuivre des objectifs économiques et commerciaux importants.

De plus, la Cour suprême du Canada a souligné que, pour pouvoir trancher des questions constitutionnelles, les tribunaux doivent avoir en main un dossier factuel complet. Les Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663] précisent également que l’on ne peut obtenir une déclaration d’inconstitutionnalité de la part de la Cour fédérale qu’en introduisant une action dans le cadre de laquelle on tient des interrogatoires préalables et l’on accorde la possibilité de contre-interroger les témoins au procès. En l’espèce, je ne dispose que de très peu d’éléments de preuve et les parties n’ont même pas commencé l’interrogatoire préalable. Dans l’arrêt MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357, le juge Cory a déclaré, à la page 361 :

Les affaires relatives à la Charte porteront fréquemment sur des concepts et des principes d’une importance fondamentale pour la société canadienne. Par exemple, les tribunaux seront appelés à examiner des questions relatives à la liberté de religion, à la liberté d’expression et au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne. Les décisions sur ces questions doivent être soigneusement pesées car elles auront des incidences profondes sur la vie des Canadiens et de tous les résidents du Canada. Compte tenu de l’importance et des répercussions que ces décisions peuvent avoir à l’avenir, les tribunaux sont tout à fait en droit de s’attendre et même d’exiger que l’on prépare et présente soigneusement un fondement factuel dans la plupart des affaires relatives à la Charte. Les faits pertinents présentés peuvent toucher une grande variété de domaines et traiter d’aspects scientifiques, sociaux, économiques et politiques. Il est souvent très utile pour les tribunaux de connaître l’opinion d’experts sur les répercussions futures de la loi contestée et le résultat des décisions possibles la concernant.

Les décisions relatives à la Charte ne doivent pas être rendues dans un vide factuel. Essayer de le faire banaliserait la Charte et produirait inévitablement des opinions mal motivées. La présentation des faits n’est pas, comme l’a dit l’intimé, une simple formalité; au contraire, elle est essentielle à un bon examen des questions relatives à la Charte.

Je ne suis pas convaincu qu’il s’est produit un changement de situation important compte tenu du Manuel des opérations de l’impôt. Bien que je n’aie pas à déterminer si l’objet de l’enquête est criminel, je dois être persuadé qu’une question se pose toujours à cet égard. Je n’ai pas à recourir au critère qu’a utilisé le juge en chef adjoint Jerome pour lever une suspension dans le jugement Canadian Tire Corp. Ltd. c. Pit Row Services Ltd. (1987), 19 C.P.R. (3d) 230 (C.F. 1re inst.), dans lequel il a statué [à la page 231] que le réexamen d’un recours en injonction interlocutoire constitue le « genre de décision le plus extraordinaire dans n’importe quelle question décidée par la cour ». Pour obtenir cette réparation, il faut « de la documentation à l’appui qui doit également être de nature extraordinaire ». Étant donné que j’ai conclu que les trois intimés ne satisfont pas aux exigences du critère le moins rigoureux qui a été formulé dans le jugement Union Carbide, précité, il n’est pas nécessaire que je décide quel est le critère approprié en l’espèce.

Je suis conscient du fait que le demandeur, Del Zotto, a entrepris une lutte difficile. La Cour suprême du Canada a constamment déclaré que la Loi de l’impôt sur le revenu est essentiellement une mesure de réglementation. Ainsi, dans l’arrêt R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627, le juge Wilson a déclaré, à la page 641, au sujet du paragraphe relatif aux saisies, aux fouilles et aux perquisitions :

Le paragraphe 231(3) ne constitue pas du droit criminel ou quasi criminel. La Loi de l’impôt sur le revenu est essentiellement une mesure de réglementation puisqu’elle régit la façon dont l’impôt sur le revenu est calculé et perçu. Notre Cour a souligné dans l’arrêt R. c. Grimwood, [1987] 2 R.C.S. 755, à la p. 756, que « l’objet des par. 231(3) et 238(2), considérés simultanément, n’est pas de sanctionner une conduite criminelle mais d’imposer le respect de la Loi ».

Toutefois, dans les affaires citées par l’avocat, ni la Cour suprême du Canada ni la Cour d’appel fédérale n’avait en main le Manuel des opérations de l’impôt. Ainsi que je l’ai déjà déclaré, j’ignore dans quelle mesure le Manuel des opérations de l’impôt régit les pratiques du Ministère dans le domaine des enquêtes menées en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu. Si c’est ce document qui les régit, il ne me semble pas que, du simple fait qu’un tribunal a déclaré que la loi était valide au motif qu’il s’agit essentiellement d’une mesure de réglementation, le Ministère a le droit de ne tenir aucun compte d’un aspect réglementaire et de se concentrer uniquement sur l’introduction d’actions pénales sans devoir être tenu de poursuivre un objectif économique. Dans son habile plaidoyer, l’avocat du ministre m’a souligné que, dans l’affaire Samson c. Canada, précitée, l’enquête portait sur une investigation relative à la fixation des tarifs des notaires de la région de Sherbrooke. Toutefois, ainsi que le juge Hugessen, J.C.A. l’a souligné, l’infraction prévue par la Loi sur la concurrence [L.R.C. (1985), ch. C-34 (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 19, art. 19)] ne porte pas sur la fixation des tarifs en soi, mais sur une entente abusive qui comporte des aspects économiques. En outre, en plus de pouvoir procéder en vertu d’un article pénal de la loi sur la concurrence, on peut procéder par voie d’injonction. Qui plus est, le même ensemble de faits pourrait ouvrir droit à une poursuite au civil en vertu de l’article 79 [mod., idem, art. 45] de la Loi sur la concurrence, l’article relatif à l’« Abus de position dominante ». Le juge Hugessen, J.C.A. a conclu en disant [à la page 328] :

J’en conclus que l’enquête à laquelle les intimés ont été assignés à témoigner sera tenue pour répondre à des objectifs légitimes, publics et importants et n’a pas pour but simplement d’incriminer les intimés. Donc, cette enquête répond aux critères établis par la Cour suprême dans l’affaire Branch, supra, et par conséquent les ordonnances d’assignation ne violent pas les principes de la justice fondamentale.

En l’espèce, il m’est impossible de déterminer, en raison de l’existence du Manuel des opérations de l’impôt, si l’on a un autre objectif que celui de poursuivre le fraudeur fiscal.

On ne doit pas oublier non plus que l’article 231.4 s’ajoute aux pouvoirs que possède le ministre en vertu de l’article 231.3 de la Loi de l’impôt sur le revenu. L’article 231.3 dispose :

231.3 (1) Sur requête ex parte du ministre, le juge peut décerner un mandat écrit qui autorise toute personne qui y est nommée à pénétrer dans tout bâtiment, contenant ou endroit et y perquisitionner pour y chercher des documents ou choses qui peuvent constituer des éléments de preuve de la perpétration d’une infraction à la présente loi, à saisir ces documents ou choses et, dès que matériellement possible, soit à les apporter au juge ou, en cas d’incapacité de celui-ci, à un autre juge du même tribunal, soit à lui en faire rapport, pour que le juge en dispose conformément au présent article.

(2) La requête visée au paragraphe (1) doit être appuyée par une dénonciation sous serment qui expose les faits au soutien de la requête.

(3) Le juge saisi de la requête décerne le mandat mentionné au paragraphe (1) s’il est convaincu qu’il existe des motifs raisonnables de croire ce qui suit :

a) une infraction prévue par la présente loi a été commise;

b) il est vraisemblable de trouver des documents ou choses qui peuvent constituer des éléments de preuve de la perpétration de l’infraction;

c) le bâtiment, contenant ou endroit précisé dans la requête contient vraisemblablement de tels documents ou choses.

(4) Un mandat décerné en vertu du paragraphe (1) doit indiquer l’infraction pour laquelle il est décerné, dans quel bâtiment, contenant ou endroit perquisitionner ainsi que la personne à qui l’infraction est imputée. Il doit donner suffisamment de précisions sur les documents ou choses à chercher et à saisir.

(5) Quiconque exécute un mandat décerné en vertu du paragraphe (1) peut saisir, outre les documents ou choses mentionnés à ce paragraphe, tous autres documents ou choses qu’il croit, pour des motifs raisonnables, constituer des éléments de preuve de la perpétration d’une infraction à la présente loi. Il doit, dès que matériellement possible, soit apporter ces documents ou choses au juge qui a décerné le mandat ou, en cas d’incapacité de celui-ci, à un autre juge du même tribunal, soit lui en faire rapport, pour que le juge en dispose conformément au présent article.

(6) Sous réserve du paragraphe (7), lorsque des documents ou choses saisis en vertu du paragraphe (1) ou (5) sont apportés à un juge ou qu’il en est fait rapport à un juge, ce juge ordonne que le ministre les retienne sauf si celui-ci y renonce. Le ministre qui retient des documents ou choses doit en prendre raisonnablement soin pour s’assurer de leur conservation jusqu’à la fin de toute enquête sur l’infraction en rapport avec laquelle les documents ou choses ont été saisis ou jusqu’à ce que leur production soit exigée dans le cadre d’une procédure criminelle.

(7) Le juge à qui des documents ou choses saisis en vertu du paragraphe (1) ou (5) sont apportés ou à qui il en est fait rapport peut, d’office ou sur requête sommaire d’une personne ayant un droit sur ces documents ou choses avec avis au sous-procureur général du Canada trois jours francs avant qu’il y soit procédé, ordonner que ces documents ou choses soient restitués au saisi ou à la personne qui y a légalement droit par ailleurs, s’il est convaincu que ces documents ou choses :

a) soit ne seront pas nécessaires à une enquête ou à une procédure criminelle;

b) soit n’ont pas été saisis conformément au mandat ou au présent article.

(8) Le saisi qui a le droit, à tout moment raisonnable et aux conditions raisonnables que peut imposer le ministre, d’examiner les documents ou choses saisis conformément au présent article et d’obtenir reproduction des documents aux frais du ministre en une seule copie.

J’ai reproduit les vues du juge Wilson en ce qui concerne l’article 231.3 [alors paragraphe 231(3)] de la Loi de l’impôt sur le revenu, lesquelles démontrent les raisons pour lesquelles le fisc possède déjà des pouvoirs d’enquête extraordinaires en vertu de l’article 231.3 et pour lesquelles, en conséquence, l’article 231.4 doit être examiné très attentivement à la lumière du Manuel des opérations de l’impôt. Dans l’arrêt McKinlay Transport, précité, le juge Wilson déclare, aux pages 648 et 649 :

Au début de mon analyse, j’ai souligné que la Loi de l’impôt sur le revenu se fondait sur le principe de l’auto-déclaration et de l’auto-cotisation. La Loi aurait pu prévoir que chaque contribuable doit remettre tous ses documents au Ministre et à ses fonctionnaires pour qu’ils puissent faire les calculs nécessaires pour déterminer le revenu imposable de chacun. La Loi n’exige pas cela, sûrement parce qu’un tel système serait extrêmement coûteux et peu commode. Cependant, un régime d’auto-déclaration a ses désavantages, dont le principal est que son succès dépend de l’honnêteté et de l’intégrité du contribuable dans la préparation de sa déclaration. Bien qu’il ne fasse pas de doute que la plupart des contribuables respectent le régime et s’y conforment, c’est un fait que certaines personnes tentent d’en tirer profit et d’échapper en partie au fisc.

Conséquemment, le ministre du Revenu national doit disposer, dans la surveillance de ce régime de réglementation, de larges pouvoirs de vérification des déclarations des contribuables et d’examen de tous les documents qui peuvent être utiles pour préparer ces déclarations. Le Ministre doit être capable d’exercer ces pouvoirs, qu’il ait ou non des motifs raisonnables de croire qu’un certain contribuable a violé la Loi. Il est souvent impossible de dire, à première vue, si une déclaration a été préparée de façon irrégulière. Les contrôles ponctuels ou un système de vérification au hasard peuvent constituer le seul moyen de préserver l’intégrité du régime fiscal. Si tel est le cas, et je crois qu’il en est ainsi, il est évident que les critères de l’arrêt Hunter ne conviennent pas pour déterminer le caractère raisonnable d’une saisie effectuée en vertu du par. 231(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu. La nature réglementaire du texte législatif et son intention générale ne s’y prêtent pas. La nécessité d’un contrôle au hasard est incompatible avec l’exigence, énoncée dans l’arrêt Hunter, que la personne qui demande l’autorisation ait des motifs raisonnables et probables, établis sous serment, de croire qu’une infraction a été commise.

Je tiens à souligner qu’aux termes de l’article 231.4, le ministre doit avoir « des motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction prévue par la présente loi ou par le Règlement a été commise ou sera probablement commise ».

Le juge Wilson a ensuite limité les dispositions relatives aux fouilles et aux perquisitions au domaine commercial et a, à la page 649, soupesé l’intérêt qu’a l’État à contrôler le respect de la loi en fonction du droit des citoyens à la protection de leur vie privée :

Il ne faut pas conclure que toutes les formes de perquisitions et de saisies effectuées sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu sont valides. L’intérêt qu’a l’État à contrôler le respect de la Loi doit être soupesé en fonction du droit des particuliers à la protection de leur vie privée. Plus grande est l’atteinte aux droits à la vie privée des particuliers, plus il est probable que des garanties semblables à celles que l’on trouve dans l’arrêt Hunter seront nécessaires. Ainsi, le fait pour des agents du fisc de pénétrer dans la propriété d’un particulier pour y faire une perquisition et une saisie constitue une immixtion beaucoup plus grande que la simple demande de production de documents. La raison en est que même s’il est possible que le contribuable s’attende peu à ce que son droit à la protection de sa vie privée soit respecté relativement à ses documents commerciaux utiles pour établir son assujettissement à l’impôt, il n’en attache pas moins d’importance au respect de l’inviolabilité de son domicile.

Le juge La Forest a abondé dans le sens du juge Wilson pour des motifs différents, mais a déclaré, à la page 650 :

… nous sommes saisis d’une loi qui, bien qu’assortie de sanctions pénales dont l’emprisonnement, est essentiellement de nature administrative.

La question de l’emprisonnement est très importante, car dans le mémoire qu’elle a déposé dans l’affaire Branch, la Commission des valeurs mobilières de la Colombie-Britannique a déclaré :

[traduction] En l’espèce, au terme de l’enquête qu’elle mène au sujet de la conduite des appelants, la Commission peut notamment retirer aux appelants leur droit de négocier des valeurs mobilières et celui de faire partie d’un conseil d’administration. Ces décisions, qui sont prises dans l’intérêt du public, constituent des mesures correctives, et elle ne comportent pas de « véritables conséquences pénales ».

Il est possible que le pouvoir d’assigner des témoins puisse être exercé au cours d’une enquête portant sur une conduite qui constitue une violation à l’article 128 de la Loi ou du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46]. Toutefois, l’objet principal du pouvoir d’assigner des témoins qui est prévu à l’article 128 n’est pas de recueillir des témoignages dans le but d’intenter une poursuite quasi-criminelle ou criminelle. Son objet essentiel est de recueillir des témoignages qui aideront la Commission à déterminer si elle doit prononcer des ordonnances de caractère réglementaire. Ni les enquêteurs de la Commission, ni la Commission elle-même n’ont le pouvoir d’imposer des « conséquences pénales » aux appelants ou à quiconque.

Je répète que les éléments de preuve qui ont été portés à ma connaissance ne me permettent pas de déterminer quel est l’objet principal qui est poursuivi dans l’affaire qui m’est soumise.

J’examinerai maintenant en détail l’arrêt British Columbia Securities Commission c. Branch, précité. Les juges Sopinka et Iacobucci ont prononcé le jugement majoritaire. Dans cette affaire, la Commission des valeurs mobilières de la Colombie-Britannique avait ouvert une enquête sur les activités d’une société dont les vérificateurs avaient, dans leur rapport, mentionné l’existence de dépenses discutables. Les appelants, deux des dirigeants de la compagnie, se sont vu signifier des assignations à comparaître pour subir un interrogatoire sous serment. On les enjoignait également de produire tous les renseignements et dossiers qui étaient en leur possession et qui concernaient la société. En réponse, ils ont demandé au tribunal de rendre un jugement déclarant que le paragraphe 128(1) [de la Securities Act, S.B.C. 1985, ch. 83] violait les articles 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés. Dans l’arrêt R. c. S. (R.J.), [[1995] 1 R.C.S. 451] il a été jugé que les tribunaux peuvent, dans certaines circonstances, dispenser quelqu’un de témoigner. La question cruciale est celle de savoir si l’objet principal qui est visé en essayant de recueillir les témoignages en question est d’obtenir des témoignages incriminants contre la personne qui est forcée de témoigner, ou plutôt s’il s’agit d’un objet public légitime. En l’espèce, Del Zotto n’a pas reçu de subpoena. Cet état de fait soulèverait d’autres questions. L’arrêt British Columbia Securities Commission c. Branch, précité, en résout un bon nombre. Toutefois, un élément plus important en ce qui concerne la question qui m’est soumise est la conclusion que la Cour suprême du Canada a tirée au sujet de l’article 8, à savoir que le paragraphe 128(1) de la Securities Act ne viole pas l’article 8 de la Charte.

Selon la Cour suprême du Canada, la Loi est essentiellement un régime de réglementation destiné à protéger le public, y compris les investisseurs, et à décourager les formes préjudiciables de comportement commercial. Les juges Sopinka et Iacobucci ont déclaré, aux pages 27 et 28 :

Une enquête de ce genre contraint légitimement une personne à témoigner puisque la Loi vise la réalisation d’un objectif d’une grande importance pour le public, à savoir, recueillir des témoignages pour réglementer le secteur des valeurs mobilières. Pareilles enquêtes aboutissent souvent à des procédures de nature essentiellement civile. L’enquête est du genre autorisé par notre droit puisqu’elle a une utilité sociale évidente. L’enquête a ainsi pour objet prédominant de recueillir le témoignage pertinent aux fins des présentes procédures et non dans le but d’incriminer Branch et Levitt. Plus précisément, il n’y a rien, à ce stade, dans le dossier qui porte à croire que les assignations en l’espèce ont pour objet d’obtenir des éléments de preuve incriminants contre Branch et Levitt.

Il n’en est pas ainsi dans le cas qui nous occupe, dans lequel le Manuel des opérations de l’impôt a été porté à notre connaissance. À la page 38, les juges Sopinka et Iacobucci déclarent :

Il est évident que dans de nombreux cas, un régime de réglementation sera nécessaire pour réprimer les intérêts des particuliers. Il arrive sûrement que la motivation et l’objectif de quelqu’un ne bénéficient pas à l’ensemble de la société.

Les juges poursuivent, à la page 38, en disant :

Par exemple, il y a des secteurs d’activités qui sont bien entendu réglementés. Les personnes qui effectuent des opérations sur valeurs mobilières comprennent que ce secteur est fortement réglementé, et ce, pour de bonnes raisons. C’est un secteur crucial de notre économie qui est en jeu.

Aux pages 39 et 40, les juge Sopinka et Iacobucci déclarent :

En conséquence, la Securities Act est essentiellement un régime de réglementation économique destiné à décourager les formes préjudiciables de comportement commercial. Les dispositions adoptées par la législature sont des sanctions pragmatiques destinées à inciter au respect de la Loi.

Ils ont poursuivi en soulignant que la disposition qui permet de procéder à des fouilles, à des saisies et à des perquisitions en vertu de la Securities Act « est l’une des méthodes les moins envahissantes auxquelles on puisse recourir pour obtenir une preuve documentaire ». Il n’y a pas d’intrusion chez le contribuable ou dans un établissement commercial et on demande seulement la production de documents. Les juges ont ajouté, à la page 41 :

… la Securities Act sert une fin sociale importante et l’utilité sociale d’une telle loi justifie l’atteinte minimale dont peuvent être victimes les appelants. La loi en question est donc raisonnable.

À mon avis, l’article 231.4 de la Loi de l’impôt sur le revenu serait jugé conforme à la Charte si les incidences du Manuel des opérations de l’impôt sur l’application de l’article 231.4 ne soulevaient pas de questions. À mon avis, l’action introduite par Del Zotto permettra à la Cour d’avoir en main un dossier complet avant de rendre la présente décision. Je ne suis cependant pas persuadé que le prononcé de l’arrêt British Columbia Securities Commission c. Branch, précité, constitue un changement de situation suffisamment important pour justifier la levée de la suspension à ce moment-ci. La suspension conservera son plein effet et l’instruction de l’action se poursuivra de manière accélérée. La demande de levée de la suspension est rejetée.

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