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T-588-00

2005 CF 995

Early Recovered Resources Inc. (demanderesse)

c.

Sa Majesté la Reine du chef de la province de la Colombie-Britannique, Jim Doyle, ministre des Forêts, Coast Forest Products Association et Independent Timber Marketing Association (défendeurs)

Répertorié : Early Recovered Resources Inc. c. Colombie-Britannique (C.F.)

Cour fédérale, juge Russell--Vancouver, 24 février; Ottawa, 18 juillet 2005.

Droit constitutionnel -- Partage des pouvoirs -- La demanderesse contestait la constitutionnalité d'une loi de la Colombie-Britannique concernant la récupération de billots non marqués flottants à la dérive dans des eaux navigables -- La provenance et la propriété des billots ne pouvaient être déterminées -- Le régime provincial de récupération et de sauvetage des billots est contenu à la partie 9 de la Forest Act et de son règlement d'application, le Log Salvage Regulation for the Vancouver Log Salvage District -- La constitution-nalité de la loi provinciale est jugée à la lumière de l'analyse de son caractère véritable -- Les dispositions contestées ne se rapportent pas essentiellement à la navigation et aux bâtiments et navires, matières relevant de la compétence fédérale en vertu de l'art. 91(1) de la Loi constitutionnelle de 1867 -- Elles font partie intégrante d'un régime provincial intégré de gestion des ressources -- Le principe de l'exclusivité des compétences ne joue que si les dispositions contestées touchent un aspect essentiel de la compétence fédérale -- Les dispositions contestées font partie d'un régime législatif provincial valide et sont suffisamment intégrées à ce régime pour qu'on puisse conclure qu'elles relèvent de la compétence de la province en vertu de l'art. 92(5), (10), (13) et (16) de la Loi constitutionnelle de 1867 -- Les effets sur des domaines de compétence fédérale ne sont qu'accessoires.

Droit maritime -- Sauvetage -- La demanderesse a récupéré 65 billots flottants dans le fleuve Fraser dans la zone de récupération de billots de Vancouver; sur ces 65 billots, 17 ne portaient aucune marque de bois visible -- Constitutionnalité, applicabilité et effet de la partie 9 de la Forest Act de la Colombie-Britannique et de son règlement d'application, le Log Salvage Regulation for the Vancouver Log Salvage District -- Application des principes du caractère véritable et de l'exclusivité des compétences -- Les dispositions contestées ne portent pas essentiellement sur la navigation et les bâtiments et navires (qui relèvent de la compétence fédérale) -- Elles font partie intégrante d'un régime provincial intégré de gestion des ressources -- La récupération de billots constitue une activité de nature privée ou locale au sens de l'art. 92(10) de la Loi constitutionnelle de 1867.

Droit maritime -- Créanciers et débiteurs -- La demanderesse réclamait une indemnité pour 17 billots non marqués conformément à la Convention internationale de 1989 sur l'assistance incorporée au droit interne canadien par le biais de la Loi sur la marine marchande -- La provenance et la propriété des billots ne pouvaient être déterminées -- Les billots ne sont pas « identifiables » au sens du Log Salvage Regulation for the Vancouver Log Salvage District parce que les indices de la propriété étaient absents -- En vertu du Règlement, le sort du produit de la disposition est différent selon que le billot est identifiable ou non -- La province a un privilège sur les billots non identifiables pour garantir le paiement des droits de coupe -- Le Log Salvage Regulation reconnaît à d'autres personnes que la province une certaine propriété résiduelle dans les billots non marqués -- On ne sait pas avec certitude si la province avait un droit de propriété suffisant sur les billots non marqués pour ouvrir droit à une réclamation fondée sur l'art. 13 de la Convention.

Interprétation des lois -- La Convention internationale de 1989 sur l'assistance a été incorporée au droit interne canadien par la Loi sur la marine marchande -- Y a-t-il empiétement sur l'exercice valide de la compétence provinciale sur la propriété et les droits civils et l'administration et la vente de bois? -- L'art. premier de la Convention définit le mot « bien » comme tout bien qui n'est pas attaché de façon permanente et intentionnelle au littoral et comprend le fret en risque -- Il s'agissait de savoir si les 17 billots non marqués trouvés flottant à la dérive dans le fleuve Fraser et dont on ne peut identifier ni la provenance ni le propriétaire peuvent être considérés comme des « biens » au sens de la Convention -- La province a une sorte de privilège sur les billots non marqués récupérés dans les eaux intérieures et contiguës de la Colombie-Britannique jusqu'à ce que les frais prescrits par règlement aient été acquittés -- Il incombe à la province de faire la preuve de l'inconstitutionnalité de la Convention au motif que celle-ci excède la compétence législative du Parlement -- Il n'y a aucune raison pour laquelle les billots ne répondraient pas à la définition élargie que la Convention donne du mot « bien » et ce, même si on ne sait pas avec certitude en l'espèce qui a le droit d'être payé en conformité avec la Convention -- Dans la mesure où elles visent à réglementer la récupération, la vente et la distribution des billots non marqués, la Loi sur la marine marchande et la Convention ne constituent pas des mesures législatives valides parce qu'elles empiètent sur la compétence provinciale.

Il s'agit d'une action en jugement déclaratoire dans laquelle la Cour est appelée à examiner et à juger la constitutionnalité, l'applicabilité et l'effet de la partie 9 de la Forest Act de la Colombie-Britannique, et de son règlement d'application, le Log Salvage Regulation for the Vancouver Log Salvage District. Entre le 13 et le 19 janvier 1999, Mme Shirley Weishuhn, copropriétaire et employée de la compagnie demanderesse, a récupéré 65 billots flottants dans le fleuve Fraser dans la zone de récupération de billots de Vancouver. Sur ces 65 billots, 17 qui ne portaient aucune marque de bois visible ont été mis à part. La provenance et la propriété des billots ne pouvaient être déterminées. Certains des 48 billots restants portaient des marques de bois identifiables. Mme Weishuhn a, avec l'aide d'un bâtiment de mer, remorqué les 17 billots non marqués au poste de réception du fleuve Fraser de la Gulf Log Salvage Co-Operative Association. La demanderesse a exigé d'être indemnisée pour les 17 billots non marqués conformément à la Convention internationale de 1989 sur l'assistance (la Convention), incorporée au droit interne canadien par le biais de l'article 449.1 de la Loi sur la marine marchande. Le ministre des Forêts a refusé la demande de la demanderesse au motif que le Log Salvage Regulation s'appliquait et qu'eu égard aux circonstances de l'espèce, la Convention ne s'appliquait pas. Suivant la demanderesse, la partie 9 de la Forest Act est inconstitutionnelle parce que la législature de la Colombie-Britannique n'avait pas compétence pour l'adopter en raison de la compétence exclusive sur la navigation et les bâtiments ou navires que le gouvernement fédéral tient du paragraphe 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867 et de l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982. À titre subsidiaire, la demanderesse a affirmé que si la partie 9 de la Forest Act n'excède pas la compétence de la province, elle est inopérante dans la mesure où elle est incompatible avec la Loi sur la marine marchande du Canada et la Convention. Les défendeurs ont répliqué que la partie 9 de la Forest Act est constitutionnelle parce qu'elle porte sur des questions qui relèvent de la compétence exclusive de l'assemblée législative de la Colombie- Britannique et qu'elle est essentiellement un texte législatif qui tombe sous le coup des paragraphes 92(5), (10), (13) et (16) de la Loi constitutionnelle de 1867. Le débat tourne donc essentiellement autour de la contestation, par la demanderesse, de la constitutionnalité du régime établi par la province à la partie 9 de la Forest Act et dans le Log Salvage Regulation relativement à la récupération de billots dans le district de récupération de billots de Vancouver.

Jugement : l'action est rejetée.

La demanderesse a fait allusion au critère traditionnel du « caractère véritable » que la Cour suprême du Canada a énoncé dans l'arrêt Bande Kitkatla c. Colombie-Britannique (Ministre des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme et de la Culture) en matière de contrôle de la constitutionnalité. Pour renforcer ses conclusions sur le caractère véritable, la demanderesse a invoqué « le principe de l'exclusivité des compétences [. . .] qui empêche la province de réglementer le sauvetage maritime de billots ». Elle a prétendu que « les règles de droit générales en matière de sauvetage maritime relèvent essentiellement de la compétence fédérale sur la navigation et les bâtiments ou navires et les règles de droit régissant le sauvetage maritime sont à ce point développées pour que la province ne puisse plus faire valoir sa compétence dans ce domaine ». La demanderesse est confortée dans sa thèse par l'ordonnance du juge Hugessen qui a rejeté la requête présentée par la province en vue d'obtenir un jugement sommaire dans la présente affaire. Le juge Hugessen a adopté le point de vue que le régime provincial ne s'appliquait pas aux faits de la présente espèce et que l'affaire devait être instruite en tant que demande de rémunération de sauvetage relevant de la compétence fédérale. Mais la méthode qu'il convient d'adopter pour examiner les dispositions contestées du régime provincial est celle que la Cour d'appel fédérale a proposée en discutant de l'analyse du caractère véritable suggérée par la Cour suprême. L'analyse que la demanderesse a faite du caractère véritable est passablement superficielle et la demanderesse a tenté de compenser ces lacunes en cherchant à appeler l'attention de la Cour sur la démarche suivie par le juge Hugessen en présentant et en développant le principe de l'exclusivité des compétences et en insistant sur ce dernier. Le principe de l'exclusivité des compétences ne joue que si les dispositions contestées touchent un aspect essentiel de la compétence du gouvernement fédéral. La thèse de la demanderesse était que la partie 9 de la Forest Act et le Log Salvage Regulation touchent au contenu essentiel du pouvoir fédéral sur la navigation et les bâtiments ou navires, faisant ainsi intervenir le principe de l'exclusivité des compétences.

Avant d'examiner si les faits de la présente affaire font intervenir le principe de l'exclusivité des compétences, il fallait d'abord se prononcer sur le caractère véritable des dispositions contestées. La Forest Act et le Log Salvage Regulation s'inscrivent dans le cadre d'un régime complet de gestion des ressources forestières en Colombie-Britannique. La partie 9 de la Forest Act est un cadre régissant cette partie de la ressource forestière de la province qui est devenue du bois flottant et qu'il faut récupérer pour pouvoir en réaliser la valeur. Elle n'a rien à voir avec la navigation ou les bâtiments ou navires. Le lien avec la navigation et les bâtiments et navires est ténu et il ne modifie pas l'objet et l'effet évidents de la partie 9. Le fait que des billots se retrouvent dans l'eau ne signifie pas pour autant qu'ils cessent de faire partie des ressources forestières et le simple fait qu'ils soient récupérés dans des eaux navigables ne signifie pas que les dispositions contestées doivent être rattachées à la navigation et aux bâtiments et navires. Ni la demanderesse ni d'autres récupérateurs n'exploitaient d'entreprise de récupération de billots pour empêcher des dangers pour la navigation. Leur intérêt est économique. Les dispositions contestées ne portent pas atteinte à l'intérêt du gouvernement fédéral sur la navigation et les bâtiments ou navires ou à la capacité du gouvernement fédéral de s'occuper des billots flottants en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables. En vertu des dispositions fédérales applicables, les billots qui constituent un danger pour la navigation et les bâtiments ou navires sont enlevés. Ces dispositions ne portent pas sur les droits de propriété ou sur les intérêts économiques afférents aux billots ou sur les aspects touchant à la gestion des ressources forestières des billots flottants. Le régime fédéral et le système provincial sont appliqués parallèlement. Les dispositions du Log Salvage Regulation ne visent pas essentiellement la navigation et les bâtiments et navires. Leur effet pratique est de diminuer le gaspillage et les pertes dans l'industrie forestière, de protéger les droits de la province sur le bois de la Couronne par le paiement de droits de coupe et de favoriser la protection des droits de propriété des propriétaires des billots. La partie 9 de la Forest Act et le Log Salvage Regulation sont des textes législatifs provinciaux valides que la province avait la compétence d'adopter et certains de leurs aspects peuvent être rattachés à la propriété et aux droits civils (paragraphe 92(13)), à l'administration et à la vente des bois (paragraphe 92(5)), aux travaux et entreprises d'une nature locale (paragraphe 92(10)) ou à des matières d'une nature purement locale ou privée dans la province (paragraphe 92(16)).

Les faits ne permettaient pas de savoir avec certitude si la demanderesse pouvait établir son droit à une rémunération en vertu de la Convention relativement à l'un quelconque des 17 billots non marqués. La demanderesse fondait son droit à une rémunération sur les articles 12 et 13 du chapitre III de la Convention qui énumèrent les conditions ouvrant droit à une rémunération et les critères permettant de fixer cette rémunération. Les billots ont été récupérés par Mme Weishuhn individuellement et il n'était pas possible d'attribuer la propriété ou un titre de propriété d'un billot déterminé à un membre précis des défenderesses Coast Forest Products Association et Independent Timber Marketing Association. La demanderesse n'a soumis à la Cour aucune décision concluante qui montrerait l'intention des rédacteurs de la Convention d'inclure un privilège de ce genre qui rendrait la province responsable du paiement de l'indemnité de sauvetage conformément à la Convention. Partout dans ses observations écrites, la demanderesse a avancé diverses assertions pour tenter d'attribuer à la province un titre de propriété sur les billots non marqués. Le Log Salvage Regulation porte uniquement sur les droits de propriété sur les « billots identifiables », au sens du paragraphe 1(1) de ce règlement. Les billots n'étaient pas des « billots identifiables » au sens du Log Salvage Regulation parce que les indices de la propriété étaient absents. Le sort du produit de la disposition est différent selon que le billot est identifiable ou non. Les droits de propriété sur les billots non identifiables récupérés dans le fleuve Fraser sont loin d'être clairs et la Cour ne disposait d'aucun précédent déclarant carrément qu'aux termes de la Convention, la province possède sur les 17 billots non marqués un droit de propriété qui serait suffisant pour se voir attribuer la responsabilité de payer ou d'indemniser la demanderesse conformément à l'article 13 de la Convention. La province avait un privilège sur les billots non identifiables pour garantir le paiement des droits de coupe. Le Log Salvage Regulation semble reconnaître à d'autres personnes que la province une certaine propriété résiduelle dans les billots non marqués. On ne savait pas avec certitude si la province avait un droit de propriété suffisant sur les 17 billots non marqués pour ouvrir droit à une réclamation fondée sur l'article 13 de la Convention.

La question de savoir si les 17 billots non marqués en cause en l'espèce répondent ou non à la définition de « biens » pouvant faire l'objet d'une « opération d'assistance » au sens de la Convention soulèvait la question du rapport entre les dispositions fédérales sur le sauvetage et le régime provincial et celle de savoir si les dispositions fédérales doivent être interprétées de façon atténuée ou restrictive parce qu'elles empiètent sur l'exercice valide de la compétence provinciale. Pour décider s'il y a lieu de recourir à une interprétation restrictive, on a examiné les définitions contenues dans la Convention pour vérifier si les billots en litige dans le cas qui nous occupe pouvaient être assimilés à des « biens » au sens de la Convention. L'alinéa c) de l'article premier de la Convention définit le mot « bien » comme tout bien qui n'est pas attaché de façon permanente et intentionnelle au littoral et comprend le fret en risque. Il n'y avait aucun élément de preuve appuyant la thèse que l'un ou l'autre des 17 billots non marqués provenait d'un navire et ce, même en assimilant une estacade à un navire. La question était donc celle de savoir si les 17 billots non marqués que Mme Weishuhn a trouvés flottant à la dérive dans le fleuve Fraser et dont on ne pouvait identifier ni la provenance ni le propriétaire pouvaient être considérés comme des « biens » au sens de l'alinéa c) de l'article premier de la Convention. Il ressortait de la loi et la preuve présentée en l'espèce que la province est en mesure de faire valoir une sorte de privilège sur les billots non marqués récupérés dans les eaux intérieures et contiguës de la Colombie-Britannique jusqu'à ce que les frais prescrits par le règlement aient été acquittés. L'article 13 de la Convention, qui énumère les critères d'évaluation de la rémunération, permet de penser que le sauvetage, selon la définition que la Convention en donne, se rattache à des droits de propriété identifiables. Il n'y a aucune raison de conclure que les 17 billots non marqués qui font l'objet du présent différend ne peuvent constituer des « biens » au sens de la définition élargie de la Convention. Il incombait à la province de faire la preuve de l'inconstitutionnalité de la Convention au motif que celle-ci excède la compétence législative du Parlement. La Cour ne saurait affirmer que la définition que la Convention donne du mot « bien » ne s'applique pas aux billots ou même aux billots non marqués. Dans la mesure où elles ont pour objet de réglementer la récupération, la vente et la distribution du produit de la vente de billots flottants non marqués récupérés dans la zone de récupération de billots de Vancouver, la Loi sur la marine marchande et la Convention ne constituent pas des textes de loi valides portant sur la navigation et les bâtiments et navires et le législateur fédéral n'avait donc pas compétence pour les adopter, puisqu'elles empiètent sur le contenu essentiel irréductible de la compétence législative que les paragraphes 92(5), (10), (13) et (16) de la Loi constitutionnelle de 1867 confèrent à la province. La partie 9 de la Forest Act et le Log Salvage Regulation relèvent de la compétence de la province de la Colombie-Britannique.

lois et règlements cités

Convention internationale de 1989 sur l'assistance, qui constitue l'annexe V de la Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985), ch. S-9, édicté par L.C. 1993, ch. 36, ann., art. 1 « bien », « opération d'assistance », « navire », 8, 12, 13.

Forest Act, R.S.B.C. 1996, ch. 157, art. 122, 123, 124, 125, 126, 130 (mod. par S.B.C. 1999, ch. 34, art. 12; 2003, ch. 56, art. 12).

Forest and Range Practices Act, S.B.C. 2002, ch. 69.

Forest Planning and Practices Regulation, B.C. Reg. 14/2004.

Forest Practices Code of British Columbia Act, R.S.B.C. 1996, ch. 159.

Heritage Conservation Act, R.S.B.C. 1996, ch. 187.

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 91(10), 92(5),(10),(13),(16).

Loi constitutionnelle de l982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 52.

Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985), ch. S-9, art. 422(1) (mod. par L.C. 1996, ch. 31, art. 96), 449.1 (édicté par L.C. 1993, ch. 36, art. 1).

Loi sur la protection des eaux navigables, L.R.C. (1985), ch. N-22.

Log Salvage Regulation for the Vancouver Log Salvage District, B.C. Reg. 220/81, art. 1(1) « indentifiable log », 3, 4 (mod. par B.C. Reg. 109/93, art. 2), 5 (mod. par B.C. Reg. 299/81, art. 3; 109/93, art. 3), 6 (mod. par B.C. Reg. 299/81, art. 4), 7 (mod. par B.C. Reg. 109/93, art. 4), 8, 9 (mod. par B.C. Reg. 299/81, art. 5; 109/93, art. 5), 10 (mod. par B.C. Reg. 299/81, art. 6; 109/93, art. 6, 7), 11 (mod. par B.C. Reg. 299/81, art. 7), 12, 13 (mod., idem, art. 8), 14, 15 (mod. par B.C. Reg. 109/93, art. 8), 16, 17 (mod., idem, art. 9), 18 (mod., idem), 19 (mod. par B.C. Reg. 299/81, art. 11), 20 (mod. par B.C. Reg. 109/93, art. 10), 21.

Scaling Regulation, B.C. Reg. 446/94.

Timber Marking and Transportation Regulation, B.C. Reg. 253/97.

Workers Compensation Act, R.S.B.C. 1996, ch. 492, art. 10(1).

jurisprudence citée

décisions appliquées :

Bande Kitkatla c. Colombie-Britannique (Ministre des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme et de la Culture), [2002] 2 R.C.S. 146; (2000), 210 D.L.R. (4th) 577; [2002] 6 W.W.R. 1; 165 B.C.A.C. 1; 1 B.C.L.R. (4th) 1; [2002] 2 C.N.L.R. 143; 286 N.R. 131; 2002 CSC 31; Early Recovered Resources Inc. c. Gulf Log Salvage, [2002] 4 C.F. 626; (2002), 216 F.T.R. 317; 2002 CFPI 184; conf. par [2003] 3 C.F. 447; (2003), 300 N.R. 130; 2003 CAF 35; Laboucane v. Brooks (2003), 229 D.L.R. (4th) 747; [2003] 9 W.W.R. 710; 17 B.C.L.R. (4th) 21; 2003 BCSC 1247.

décision différenciée :

Five Steel Barges (1890), 15 P.D. 142.

décisions citées :

Early Recovered Resources c. Gulf Log Salvage Co-operative Assn., 2003 CFPI 549; [2003] A.C.F. no 716 (QL); ITO--International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752; (1986), 28 D.L.R. (4th) 641; 34 B.L.R. 251; 68 N.R. 241; Whitbread c. Walley, [1990] 3 R.C.S. 1273; (1990), 77 D.L.R. (4th) 25; [1991] 2 W.W.R. 195; 52 B.C.L.R. (2d) 187; 120 N.R. 109; Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437; (1998), 40 O.R. (3d) 639; 166 D.L.R. (4th) 193; 232 N.R. 201; 115 O.A.C. 1; R. v. Kupchanko (2002), 209 D.L.R. (4th) 658; [2002] 2 W.W.R. 637; 164 B.C.A.C. 41; 97 B.C.L.R. (3d) 219; 42 C.E.L.R. (N.S.) 184; 2002 BCCA 63; Paul c. Colombie-Britannique (Forest Appeals Commission), [2003] 2 R.C.S. 585; (2003), 213 D.L.R. (4th) 449; [2003] 11 W.W.R. 1; 187 B.C.A.C. 1; 18 B.C.L.R. (4th) 207; 5 Admin. L.R. (4th) 161; 3 C.E.L.R. (3d) 161; [2003] 4 C.N.L.R. 25; 310 N.R. 122; 2003 CSC 55.

doctrine citée

Kennedy and Rose, The Law of Salvage, 6th ed. London : Sweet & Maxwell, 2002.

Kerr, M. « The International Convention of Salvage 1989--How it Came to Be » (1990), 39 I.C.L.Q. 530.

ACTION visant à obtenir un jugement déclarant que la partie 9 de la Forest Act de la Colombie-Britannique et le Log Salvage Regulation for the Vancouver Log Salvage District sont inconstitutionnels parce qu'ils excèdent la compétence de législature de la Colombie-Britannique en raison de la compétence fédérale exclusive conférée au gouvernement fédéral sur la navigation et les bâtiments ou navires par le paragraphe 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867, et qu'ils sont inopérants dans la mesure où ils sont incompatibles avec la Loi sur la marine marchande du Canada et la Convention internationale de 1989 sur l'assistance. Action rejetée.

ont comparu :

Margot Venton et A. Devon Page pour la demanderesse.

Nancy Brown, Nerys Poole et Elizabeth Rowbotham pour les défendeurs Sa Majesté la Reine du chef de la province de la Colombie- Britannique et le ministre des Forêts.

David F. McEwen pour les défenderesses Coast Forest Products Association et Independent Timber Marketing Association.

avocats inscrits au dossier :

Sierra Legal Defence Fund, Vancouver, pour la demanderesse.

Le procureur général de la Colombie-Britannique pour les défendeurs Sa Majesté la Reine du chef de la province de la Colombie-Britannique et le ministre des Forêts.

McEwen, Schmitt & Co., Vancouver, pour les défenderesses Coast Forest Products Association et Independent Timber Marketing Association.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

Le juge Russell :

GENÈSE DE L'INSTANCE

[1]La présente instance concerne la compétence constitutionnelle touchant la réglementation de la récupération de billots non marqués dans le fleuve Fraser en Colombie-Britannique. La provenance et la propriété des billots ne peuvent être déterminées en l'espèce.

[2]La demanderesse a conçu et présenté la présente affaire comme une cause type qui appelle la Cour à examiner et à juger la constitutionnalité, l'applicabilité ou l'effet de la partie 9 [art. 122 à 126] de la Forest Act, R.S.B.C. 1996, ch. 157 (Forest Act), et de son règlement d'application, le Log Salvage Regulation for the Vancouver Log Salvage District, B.C. Reg. 220/81, modifié (Log Salvage Regulation).

[3]La demanderesse soutient essentiellement que la partie 9 de la Forest Act est inconstitutionnelle parce que la législature de la Colombie-Britannique n'avait pas compétence pour l'adopter en raison de la compétence exclusive sur la navigation et les bâtiments ou navires que le législateur fédéral tient du paragraphe 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]] et de l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]].

[4]À titre subsidiaire, la demanderesse affirme que si la partie 9 de la Forest Act n'excède pas la compétence de la province, elle est inopérante dans la mesure où elle est incompatible avec la Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985), ch. S-9 (la Loi sur la marine marchande) et la Convention internationale de 1989 sur l'assistance [qui constitue l'annexe V de la Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985), ch. S-9, édicté par L.C. 1993, ch. 36, ann.] (la Convention) qui a été incorporée en droit interne canadien par le biais de l'article 449.1 [édicté par L.C. 1993, ch. 36, art. 1] de la Loi sur la marine marchande et qui est entrée en vigueur au Canada le 14 juillet 1996.

[5]Sa Majesté la Reine du chef de la Colombie- Britannique et le ministre des Forêts Jim Doyle (la province) soutiennent que la partie 9 de la Forest Act est constitutionnelle parce qu'elle porte sur des questions qui relèvent de la compétence exclusive de l'assemblée législative de la Colombie-Britannique. La province adopte le point de vue selon lequel la partie 9 de la Forest Act est essentiellement un texte législatif qui tombe sous le coup des dispositions suivantes de la Loi constitutionnelle de 1867 :

a)     Paragraphe 92(5) - L'administration et la vente des terres publiques appartenant à la province, et des bois et forêts qui s'y trouvent;

b)     Paragraphe 92(10) - Les travaux et entreprises d'une nature locale;

c)     Paragraphe 92(13) - La propriété et les droits civils dans la province;

d)     Paragraphe 92(16) - Généralement toutes les matières d'une nature purement locale ou privée dans la province.

[6]À titre subsidiaire, la province affirme que, dans la mesure où elles visent à réglementer la récupération et la vente de billots et la distribution du produit de la vente des billots récupérés en Colombie-Britannique, la Loi sur la marine marchande et la Convention ne constituent pas des mesures législatives valides portant sur la navigation et les bâtiments ou navires, de sorte que le législateur fédéral n'avait pas compétence pour les adopter.

[7]La Coast Forest Products Association, anciennement la Forest and Lumber Association (Coast), et l'Independent Timber Marketing Association (Timber Marketing) adhèrent à la thèse de la province. Coast est une association provinciale à but non lucratif qui compte parmi ses membres toutes les grandes--et bon nombre des petites--entreprises forestières qui exercent leurs activités le long des côtes de la Colombie-Britannique. Timber Marketing est également une association provinciale composée de courtiers en bois et de certaines des petites sociétés forestières qui exercent leurs activités dans les zones côtières de la Colombie-Britannique.

[8]Coast and Timber Marketing ont été constituées codéfenderesses dans le présent litige en vertu de l'ordonnance prononcée par le protonotaire Hargrave le 2 mai 2003 [2003 CFPI 549].

[9]Les avis de question constitutionnelle appropriés ont été dûment signifiés. Justice Canada a adopté le point de vue que l'affaire est « privée et provinciale » et le procureur général du Canada a refusé d'intervenir. D'autres fonctionnaires et ministères fédéraux (Transports et Sauvetage et Épaves) semblent aussi considérer que les questions en litige relèvent exclusivement de la compétence provinciale.

RAPPEL DES FAITS

[10]Afin de constituer un dossier contextuel et factuel en vue de contester la constitutionnalité des dispositions en question, la demanderesse a procédé à une opération type de récupération de billots pour laquelle elle a produit des notes détaillées et pris des photographies.

[11]Entre le 13 et le 19 janvier 1999, Mme Shirley Weishuhn, copropriétaire et employée de la compagnie demanderesse, a récupéré 65 billots flottants dans le fleuve Fraser dans la zone de récupération de billots de Vancouver.

[12]Au moment des faits, Mme Weishuhn était titulaire d'un permis de récupération de billots en cours de validité qui l'autorisait à récupérer des billots dans la zone de récupération de billots de Vancouver. Ce permis lui avait été délivré en vertu du Log Salvage Regulation pris en application de la Forest Act.

[13]Les 65 billots ont tous été récupérés à l'aide d'un bâtiment de mer appelé Starter II, qui est immatriculé sous le numéro 13K73797.

[14]Pour récupérer les billots, Mme Weishuhn a manoeuvré le Starter II en l'approchant de quelques mètres de chaque billot et, tout en demeurant à bord du bateau, en empoignant chaque billot manuellement ou à l'aide d'une hache ou d'une gaffe.

[15]Après avoir stabilisé le billot dans l'eau, elle se servait d'une hache pour enfoncer un clameau à crochet à numéro unique dans chaque billot. Un « clameau à crochet » est un dispositif spécialisé dont on se sert pour la récupération des billots. Le « clameau » est une pièce en métal recourbée que l'on enfonce dans le bois. Chaque clameau comporte à l'autre extrémité un anneau d'ancrage dans lequel on passe la chaîne rattachée au mât du Starter II. Les billots pouvaient ainsi être remorqués derrière le bateau.

[16]À l'aide d'un marteau d'identification pour la récupération de billots, Mme Weishuhn a ensuite appliqué ensuite une marque sur les billots et elle a attaché les billots au Starter II en vue de leur remorquage.

[17]Au fur et à mesure qu'elle les récupérait, Mme Weishuhn confirmait à divers lieux du fleuve Fraser l'identité des billots grâce aux clameaux à crochets à numéro individuel qu'elle y fixait.

[18]Le 20 janvier 1999, Mme Weishuhn a remorqué avec le Starter II les 65 billots jusqu'à sa propriété du 10487, River Road, à Delta, en Colombie-Britannique.

[19]Sur les 65 billots, 17 qui ne portaient aucune marque de bois visible ont été mis à part. Certains des 48 billots restants portaient des marques de bois identifiables. Les 17 billots sans marques de bois visibles sont les billots qui sont en litige dans la présente action.

[20]Les 17 billots non marqués comportaient tous des extrémités coupées, ce qui indiquait qu'il ne s'agissait pas de débris ligneux naturels.

[21]Le 1er février 1999, la demanderesse a informé le ministère des Forêts qu'elle retenait les 17 billots non marqués.

[22]Le 10 février 1999, la province lui a répondu par lettre.

[23]Les 10 et 11 février 1999, Mme Weishuhn a, avec l'aide du Starter II, remorqué les 17 billots non marqués au poste de réception du fleuve Fraser de la Gulf Log Salvage Co-Operative Association (Gulf Log).

[24]Gulf Log a accepté 14 des 17 billots. Deux de ces billots étaient des « canards » et Mme Weishuhn a reçu l'ordre d'un des employés de Gulf Log de livrer ces deux billots à West Coast Cellufibre, qui acceptait les canards. Le troisième billot refusé était de l'aulne. Comme les billots d'aulne ne sont pas acceptés par Gulf Log au poste de réception, le petit billot d'aulne a été mis dans un sac de débris pour qu'on en dispose ensuite.

[25]Les 14 billots qui ont été acceptés ont été mesurés par un mesureur de billes employé par Gulf Log. Les deux canards livrés à West Coast Cellufibre ont été cubés à cet endroit.

[26]Le 16 août 1999, la demanderesse a exigé que le ministre des Forêts l'indemnise pour les 17 billots non marqués conformément aux modalités de la Convention.

[27]Le 15 octobre 1999, le ministre des Forêts a, par l'intermédiaire de son représentant, le directeur du Revenu au ministère des Forêts, refusé la demande de la demanderesse au motif que le Log Salvage Regulation s'appliquait et qu'eu égard aux circonstances de l'espèce, la Convention ne s'appliquait pas.

[28]Gulf Log s'est occupé de seize des 17 billots non marqués. Elle a vendu les 14 billots livrés au poste de réception. Pour ce qui est des deux canards livrés à West Coast Cellufibre, la facture relative à leur vente a été établie par Gulf Log.

[29]Le ministère des Forêts de la Colombie- Britannique a facturé des droits de coupe sur les 16 billots à Gulf Log, qui les lui a payés au ministère des Forêts.

[30]Les 48 autres billots ont été transportés par remorquage jusqu'à Gulf Log par M. Earl Weishuhn pour le compte de la demanderesse. Gulf Log a payé pour ces 48 billots l'indemnité prévue par le régime provincial et la demanderesse a accepté ce paiement.

[31]La demanderesse a fixé à 639,62 $ la valeur des 17 billots non marqués en se fondant sur l'annexe de la liste interne de prix de vente moyen sur trois mois des billots que la province a établie pour le calcul des droits de coupe. Ce tableau concerne la vente de billots « verts » (non récupérés). L'offre d'indemnité que Gulf Log a faite à la demanderesse (et que la demanderesse a refusée) était basée sur le calcul de valeur marchande des billots récupérés. Gulf Log a établi à 271,90 $ la valeur marchande des 16 billots non marqués (autre que le bois d'aulne).

[32]La demanderesse explique qu'en suivant la procédure qui vient d'être décrite, Mme Weishuhn a récupéré des biens valables qui risquaient d'être perdus ou endommagés. Ces biens avaient été perdus dans un cours d'eau navigable au cours de leur transport et/ou de leur entreposage sur le fleuve Fraser. Mme Weishuhn a offert de rendre ces biens à la province qui, selon ce que croyait la demanderesse, possédait le meilleur titre de propriété sur les billots en question et, ce faisant, Mme Weishuhn a fourni un avantage en restituant des biens valables, en supprimant un danger pour la navigation et en éliminant un risque environnemental pour d'importants marais déjà menacés de l'estuaire du fleuve Fraser.

THÈSE DES PARTIES

[33]Selon la demanderesse, l'opération de récupération des billots à laquelle Mme Weishuhn a procédé visait à dissiper les ambiguïtés juridiques entourant un système de récupération des billots qui avait eu des incidences négatives sur la profession et le gagne-pain que Mme Weishuhn a choisis, sur l'exploitation de son entreprise familiale et sur la communauté très unie de récupérateurs de billots du fleuve Fraser avec laquelle elle entretenait des liens étroits.

[34]Pour dissiper ces ambiguïtés et pour supprimer les conséquences négatives du système actuel de récupération de billots sur le fleuve Fraser, la demanderesse a formulé ses conclusions de diverses manières au cours de la présente instance. À la clôture du procès, voici l'ordonnance qu'elle a réclamée :

a) Un jugement déclarant que la partie 9 de la Forest Act et le Log Salvage Regulation sont inconstitutionnels et qu'ils excèdent la compétence de la province étant donné qu'ils réglementent une matière qui relève de la compétence fédérale fondamentale (en l'occurrence, la navigation et les bâtiments ou navires);

b) À titre subsidiaire, un jugement déclarant que la partie 9 de la Forest Act et le Log Salvage Regulation sont inopérants dans la mesure où ils sont incompatibles avec la Loi sur la marine marchande et la Convention;

c) Un jugement déclarant que la Loi sur la marine marchande et la Convention s'appliquent au sauvetage maritime de billots;

d) Un jugement déclarant que la demanderesse a le droit de recevoir une indemnité pour les 17 billots non marqués qu'elle a récupérés, conformément au paragraphe 1 de l'article 13 de la Convention, incorporée par la partie V de la Loi sur la marine marchande, y compris notamment l'indemnité prévue à l'alinéa b) du paragraphe 1 de l'article 13 de la Convention.

[35]La province affirme--avec l'appui de Coast et de Timber Marketing--que la partie 9 de la Forest Act et son règlement d'application, le Log Salvage Regulation, relèvent de la compétence de la législature provinciale car il s'agit essentiellement de questions se rapportant aux ressources forestières, aux droits des sociétés forestières en ce qui concerne la récolte de bois, à la réglementation de la propriété et de la vente du bois de la Couronne, à la disposition du produit de la vente de bois de la Couronne et à la réglementation de la récupération du bois qui pourrait autrement être perdu.

[36]Alors que la demanderesse affirme que les activités de récupération de billots en question tombent carrément sous le coup du pouvoir de réglementation du gouvernement fédéral sur la navigation et les bâtiments ou navires aux termes du paragraphe 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867, la province affirme que, même si la partie 9 de la Forest Act et le Log Salvage Regulation ont effectivement des incidences sur la navigation et les bâtiments ou navires, ces incidences sont limitées et ne constituent qu'un aspect accessoire et secondaire d'un régime de réglementation provincial valide.

[37]En fait, la province--là encore, avec l'appui des autres défendeurs--soumet sa propre question constitutionnelle qu'elle souhaite faire trancher dans le cadre du présent procès :

[traduction] À titre subsidiaire, dans la mesure où elles prétendent réglementer la récupération et la vente de billots et la distribution du produit de la vente de billots récupérés en Colombie-Britannique, la Loi sur la marine marchande du Canada et la Convention internationale de 1989 sur l'assistance ne constituent pas des mesures législatives valides portant sur la navigation et les bâtiments ou navires et le législateur fédéral n'avait pas compétence pour les adopter.

[38]En raison de la nature du présent litige, la province a précisé qu'elle ne réclamait pas de dépens.

[39]Les avis de questions constitutionnelles appropriés ont été dûment signifiés.

CONTESTATION DU RÉGIME PROVINCIAL

[40]Le débat tourne essentiellement autour de la contestation, par la demanderesse, de la constitution-nalité du régime établi par la province à la partie 9 de la Forest Act et dans le Log Salvage Regulation relativement à la récupération de billots dans le district de récupération de billots de Vancouver.

[41]La Forest Act et le Log Salvage Regulation s'inscrivent dans le cadre d'un régime complet de gestion des ressources forestières en Colombie- Britannique. Ce régime comprend aussi la Forest and Range Practices Act, S.B.C. 2002, ch. 69, le Forest Practices Code of British Columbia Act, R.S.B.C. 1996, ch. 159, le Scaling Regulation, B.C. Reg. 446/94, le Timber Marking and Transportation Regulation, B.C. Reg. 253/97, et le Forest Planning and Practices Regulation, B.C. Reg. 14/2004.

[42]La demanderesse conteste la constitutionnalité de la partie 9 de la Forest Act et du Log Salvage Regulation d'une façon quelque peu indirecte. Elle tire argument du concept de « sauvetage maritime » pour affirmer que la province a tenté de légiférer sur un sujet qui relève essentiellement du droit maritime canadien et, partant, de la compétence fédérale sur la navigation et les bâtiments ou navires.

[43]Il est vrai que la demanderesse fait allusion au critère traditionnel du « caractère véritable » que la Cour suprême du Canada a énoncé dans l'arrêt Bande Kitkatla c. Colombie-Britannique (Ministre des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme et de la Culture), [2002] 2 R.C.S. 146 en matière de contrôle de la constitutionnalité, mais dans son analyse du caractère véritable des dispositions contestées, la demanderesse se borne à affirmer que celles-ci [traduction] « empiètent effectivement sur la navigation et les bâtiments ou navires, étant donné qu'elles visent à réglementer la restitution ou la récupération de biens perdus au cours de leur transport par eau ». Pour ce qui est de la partie 9 de la Forest Act, la demanderesse se contente de dire que « ces dispositions s'appliquent uniquement au sauvetage maritime de billots » (mots soulignés par la demanderesse) et que « tout ce qui se produit dans un contexte maritime relève prima facie de la compétence fédérale ».

[44]La demanderesse aborde ensuite les assertions de la province suivant lesquelles les dispositions contestées réglementent les droits de propriété et le commerce de billots récupérés.

[45]Pour ce qui est de la réglementation des droits de propriété, la demanderesse adopte une approche plutôt littérale en faisant valoir que les dispositions contestées « ne créent pas un nouveau droit de propriété sur le bois récupéré » et qu'elles « ne précisent pas qui est proprié-taire des billots non marqués ».

[46]En ce qui concerne le commerce de billots, la demanderesse soutient que les dispositions contestées ne réglementent pas la question parce qu'elles ne précisent pas comment le titulaire du permis provincial, Gulf Log, devrait vendre les billots [traduction] « sauf pour exiger que ces billots soient vendus au meilleur prix » et que, bien qu'ils reçoivent des droits de récupération, ceux qui font de la récupération « n'achètent ni ne vendent les billots ».

[47]Ayant conclu que les dispositions contestées empiètent sur le pouvoir du gouvernement fédéral sur la navigation et les bâtiments ou navires parce qu'elles « visent à réglementer la restitution ou la récupération de biens perdus au cours de leur transport par eau », la demanderesse aborde ensuite, conformément à l'arrêt Kitkatla, la question de savoir si ces dispositions font néanmoins partie d'un régime législatif provincial valide.

[48]La thèse de la demanderesse est que, bien que, de façon générale, la Forest Act n'empiète pas sur la compétence fédérale, [traduction] « on ne peut sauver une disposition inconstitutionnelle en l'insérant dans une loi par ailleurs valide ».

[49]La demanderesse soutient essentiellement, en ce qui concerne le régime édicté par la Forest Act, que les dispositions de la partie 9 et du Log Salvage Regulation [traduction] « ne sont pas suffisamment intégrées à ce régime ou essentiels à ce régime pour en faire des mesures législatives valides portant sur la propriété et les droits civils, les protégeant ainsi d'un tel empiétement ».

[50]Cette situation tient au fait que [traduction] « ces dispositions concernent le sauvetage maritime et ne visent donc que les billots récupérés sous la laisse des hautes eaux. Elles ne s'appliquent pas à la récupération du bois en général. »

[51]La demanderesse fait valoir que, contrairement aux dispositions de la Forest Act qui portent sur le « sauvetage terrestre », [traduction] « le sauvetage maritime de billots n'a rien à voir avec la récolte du bois. Il se rapporte à la récupération et à l'entreposage du bois perdu au cours du transport par eau ». La demanderesse explique donc que « le fait d'empêcher la province de réglementer le sauvetage maritime de billots ne porte nullement atteinte à sa capacité de réglementer la récolte de bois » et les dispositions contestées « peuvent être entièrement dissociées du reste du régime législatif contenu dans la Forest Act. »

[52]Pour renforcer ses conclusions sur le caractère véritable, la demanderesse invoque [traduction] « le principe de l'exclusivité des compétences [. . .] qui empêche totalement la province de réglementer le sauvetage maritime de billots ». La thèse de la demande-esse est que « les règles de droit générales en matière de sauvetage maritime relèvent essentiellement de la compétence fédérale sur la navigation et les bâtiments ou navires. Par ailleurs, les règles de droit régissant le sauvetage maritime sont à ce point développées pour que la province ne puisse plus faire valoir sa compétence dans ce domaine. Comme elle répond à la définition élargie du sauvetage maritime, la récupération de billots relève également de la compétence exclusive essentielle du Parlement sur les bâtiments ou navires et la navigation. »

[53]La demanderesse invoque les arrêts ITO-- International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752 et Whitbread c. Walley, [1990] 3 R.C.S. 1273 à l'appui de son argument que [traduction] « la compétence maritime est, pour des raisons d'ordre constitutionnel, historique et pratique, extrêmement large ». Elle cite également l'arrêt Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437, pour démontrer que « chaque chef de compétence fédérale possède un contenu essentiel que les provinces ne sont pas autorisées à réglementer indirectement par le truchement de lois de portée générale valides » et que le contenu essentiel du droit maritime devrait être évalué en fonction des « dimensions nationales et internationales du droit maritime ainsi que de l'exigence corrélative d'uniformité dans les principes de droit maritime ».

[54]La demanderesse en conclut que [traduction] « le principe qui se dégage de l'arrêt Ordon est qu'il est relativement rare qu'une loi provinciale d'application générale vise une matière qui est par ailleurs régie par le droit maritime canadien ».

[55]Pour revenir à la question de l'exclusivité des compétences dans le contexte de la compétence fédérale en droit maritime, la demanderesse cite l'arrêt récent de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique R. v. Kupchanko (2000), 209 D.L.R. (4th) 658. Elle reprend les propos suivants du juge Esson, J.C.A., au paragraphe 35 : [traduction] « le champ d'application de toute loi provinciale dans le contexte maritime s'est considérablement rétréci ».

[56]Sur le fondement de ces précédents, la demanderesse exhorte la Cour à tirer les conclusions suivantes en l'espèce :

a) Le contenu essentiel de la compétence maritime exclusive du fédéral est particulièrement vaste;

b) Le sauvetage maritime constitue un aspect vital ou essentiel de la compétence maritime fédérale;

c) L'existence d'une convention internationale dûment ratifiée sur l'assistance en mer qui contient des règles de sauvetage uniformes démontre que le sauvetage maritime, y compris le sauvetage maritime de billots (qui répond à la définition élargie du mot « bien » dans la Convention), fait partie du contenu essentiel irréductible de la compétence fédérale sur le droit maritime;

d) Le paragraphe 422(1) [mod. par L.C. 1996, ch. 31, art. 96] de la Loi sur la marine marchande souligne le caractère fédéral du sauvetage en prévoyant que le ministre fédéral des Transports « exerce la surintendance générale de tout ce qui se rapporte au sauvetage » sur toute l'étendue du Canada;

e) Le sauvetage ne donne ouverture à une action en justice que devant les tribunaux siégeant en amirauté;

f) Le sauvetage maritime de billots, qui a nécessairement lieu dans des eaux navigables et qui implique des manoeuvres visant à supprimer les dangers pour la navigation, ne peut être qualifié que d'activité maritime;

g) La Forest Act et le Log Salvage Regulation empiètent sur des aspects vitaux du contenu essentiel de la compétence fédérale maritime sur le sauvetage maritime;

h) Les estacades sont créées expressément pour la navigation et elles constituent des bâtiments au sens de la Loi sur la marine marchande et de la Convention de sorte que, dans le cas qui nous occupe, les billots qui, selon la preuve prépondérante, constituaient la cargaison d'un bâtiment (en l'occurrence une estacade), répondent à la définition traditionnelle du « sauvetage » et relèvent donc de la compétence exclusive du Parlement.

[57]Pour ce qui est de l'argument de la demanderesse sur l'inconstitutionnalité de la partie 9 de la Forest Act et du Log Salvage Regulation dans son ensemble, il est évident que la thèse de la demanderesse repose effectivement sur le principe de l'exclusivité des compétences. Son analyse du caractère véritable est plutôt superficielle et revient à une affirmation générale que les dispositions contestées empiètent sur le pouvoir fédéral en matière de navigation et de bâtiments et navires parce qu'elles [traduction] « visent à régle-menter la restitution ou la récupération de biens perdus au cours de leur transport par eau » et qu'elles « ne sont pas suffisamment intégrées à ce régime ou essentielles à ce régime pour constituer des mesures législatives valides portant sur la propriété et les droits civils, et pour échapper à la qualification d'empiétement ».

[58]Le principal argument que fait valoir la demanderesse pour contester les dispositions en question se résume essentiellement à ce qui suit : la récupération de billots constitue du sauvetage maritime; le sauvetage maritime est un élément essentiel de la compétence maritime fédérale sur la navigation et les bâtiments ou navires; la compétence fédérale maritime est très large et il n'y a pas de place, sur le plan constitutionnel, pour un régime provincial qui porterait sur la récupération de billots dans les eaux navigables.

[59]La demanderesse est confortée dans sa thèse par l'ordonnance en date du 15 février 2002 par laquelle le juge Hugessen a rejeté la requête présentée par la province en vue d'obtenir un jugement sommaire dans la présente affaire. Dans les motifs du jugement du 20 février 2002 qui ont suivi l'ordonnance par laquelle il a débouté la province de sa requête, le juge Hugessen tient les propos suivants au sujet du bien-fondé de la cause tel qu'il la percevait alors [Early Recovered Resources Inc. c. Gulf Log Salvage, [2002] 4 C.F. 626 (1re inst.)], aux paragraphes 7 à 9 :

Il faut souligner que la province n'a pas empiété de quelque façon que ce soit sur la législation fédérale de manière à ce que l'application de celle-ci écarte nécessairement l'application de la législation provinciale. J'estime que cette admission de la part de la province est entièrement justifiée puisque les arrêts récents ont indiqué très clairement que le pouvoir fédéral dans le domaine du droit maritime, de la navigation et des expéditions par eau était effectivement très large, et je fais référence aux arrêts bien connus qui m'ont été cités abondamment en plaidoirie, soit les arrêts ITO-- International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752; Whitbread c. Walley, [1990] 3 R.C.S. 1273; Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3; Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437 et autres.

On a tenté de me convaincre que les travaux préparatoires à la Convention de 1989 ne démontraient pas que les billots et les estacades étaient visés par les rédacteurs et on a fait référence à un article du lord juge Kerr à cet égard : M. Kerr, « The International Convention on Salvage 1989--How it Came to Be » (1990), 39 I.C.L.Q. 530. Je suis d'avis que l'omission de mention expresse des billots et des estacades a très peu de conséquences. Les termes utilisés par les rédacteurs n'auraient pas pu être plus larges, et le fait que, dans leurs travaux préliminaires, les rédacteurs aient envisagé expressément des objets comme des bouées et de l'équipement de pêche m'indique clairement qu'ils n'ont pas eu l'intention de prévoir des restrictions et qu'ils n'en ont exprimé aucune. Je ne peux tout simplement pas accepter qu'il y ait eu une intention implicite d'exclure les objets comme les billots et les estacades. Il se peut que la raison pour laquelle ceux-ci n'ont pas été mentionnés réside dans le fait que ce pays et, peut-être, les États-Unis sont en réalité les seules nations parmi les principales nations maritimes où une partie importante des expéditions commerciales par eau a lieu sous forme de billots et d'estacades. Cela peut aussi expliquer la conception adoptée au début par la Cour de l'amirauté de l'Angleterre, pays où, naturellement, le commerce de billots flottants n'a jamais eu l'importance qu'il a revêtu pendant de nombreuses années sur les deux côtes du Canada.

Je conclus donc que, dans son état actuel, la demande de rémunération de sauvetage relève apparemment de la compétence de la Cour en matière de sauvetage. Cela ne signifie évidemment pas que la demande est bien fondée ou qu'elle sera accueillie en temps opportun. Cela signifie plutôt qu'elle peut se rendre à procès et que, peu importe si on considère la réglementation provinciale comme invalide, inopérante ou simplement inapplicable, celle-ci ne joue aucun rôle dans la détermination de l'action en dommages-intérêts de la demanderesse. Bien entendu, cela signifie également que la requête doit être rejetée. [Non souligné dans l'original.]

[60]Le juge Hugessen a par conséquent adopté le point de vue que le régime provincial ne s'appliquait pas aux faits de la présente espèce et que l'affaire devait être instruite en tant que demande de rémunération de sauvetage relevant de la compétence fédérale.

[61]En dépit des assertions de la demanderesse et du fait qu'elle s'est fondée sur l'ordonnance du juge Hugessen, cette ordonnance a été portée en appel [[2003] 3 C.F. 447] et, tout en rejetant l'appel interjeté par la province et en souscrivant à l'opinion du juge Hugessen suivant laquelle l'affaire devait être instruite, la Cour d'appel fédérale a proposé des balises fort utiles sur la façon dont cette question devait être traitée au procès. Sous la plume du juge Pelletier, J.C.A., la Cour a formulé les conclusions et observations suivantes, aux paragraphes 1 à 8 :

Il s'agit d'un appel interjeté par Sa Majesté la Reine du chef de la province de la Colombie-Britannique (la province) à l'encontre du rejet de sa requête en jugement sommaire. La demanderesse (intimée dans l'appel) a intenté une action sollicitant un jugement déclarant invalide la partie IX [articles 122 à 126] de la Forest Act, R.S.B.C., 1996, ch. 157, portant sur la récupération maritime des billots, et son règlement d'application (Log Salvage Regulation for the Vancouver Billot Salvage District, B.C. Reg. 220/81), au motif qu'ils constituent une législation liée au sauvetage, soit une matière relevant de la compétence exclusive du gouvernement fédéral. La province a cherché à abréger le litige en présentant une requête en jugement sommaire, faisant valoir la validité constitutionnelle de sa législation. Sa requête a toutefois été rejetée pour des motifs qui, bien que n'étant pas une déclaration d'invalidité comme telle, ne laissaient aucun doute sur la conclusion du juge des requêtes selon laquelle la législation provinciale était ultra vires. Cette décision est publiée à [2002] 4 C.F. 626 (1re inst.).

L'activité en cause est la récupération de billots laissés dans les eaux côtières et les rivières à la suite d'opérations forestières. La province a adopté un régime qui prévoit la délivrance de permis à ceux qui se livrent à la récupération des billots, l'établissement d'un organisme qui reçoit et vend les billots ainsi que la distribution du produit de la vente des billots récupérés à ceux qui les ont récupérés et à ceux qui revendiquent un intérêt dans ces billots. La législation utilise comme terme « récupération de billots » (log salvage), mais selon moi, l'objectif de la législation aurait été atteint aussi aisément si le mot « recovery » avait été utilisé au lieu du mot « salvage ». Ceci étant dit, je n'attache aucune importance à l'utilisation du mot « salvage » dans la législation.

L'intimée croit que les sommes payées à ceux qui récupèrent les billots dans le cadre du régime provincial sont trop faibles et elle cherche, par un jugement déclarant invalide la législation provinciale, à s'assujettir au régime plus généreux envisagé par la Convention internationale de 1989 sur l'assistance [. . .], de laquelle le Canada est signataire et qui a été intégrée dans la Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985) ch. S-9 (la Loi sur la marine marchande). Si elle a gain de cause, la responsabilité d'une activité que la province réglemente depuis longtemps se retrouvera entre les mains du gouvernement du Canada, lequel manifeste peu d'intérêt à assumer cette charge, puisqu'il n'a pas comparu en la présente instance afin de faire valoir la compétence qui, selon ce que prétend la demanderesse, lui revient.

L'article 449.1 [. . .] de la Loi sur la marine marchande prescrit que la Convention internationale de 1989 sur l'assistance (la Convention) a force de loi au Canada. La Convention [à l'article premier] définit « opération d'assistance » comme « tout acte ou activité entrepris pour assister un navire ou tout autre bien en danger dans des eaux navigables ou dans n'importe quelles autres eaux ». « Bien » est défini comme « tout bien qui n'est pas attaché de façon permanente et intentionnelle au littoral et comprend le fret en risque ». « Assistance » n'est pas définie dans la Loi sur la marine marchande de sorte que la définition de la Convention s'applique dans le cadre du présent litige.

Le juge des requêtes a conclu qu'une fois qu'il est décidé que l'objet de la partie IX de la Forest Act et de son règlement d'application est visé par la définition d'assistance au sens de la Convention, la province ne peut pas, d'aucune façon, faire valoir sa compétence à l'égard de cet objet. Il a conclu, sur la foi du libellé de la Convention et de son intégration dans le droit interne, que « le législateur a clairement légiféré de manière à ce que la notion de sauvetage maritime du droit du sauvetage vise les "biens" comme les billots et les estacades ». Il a fait remarquer que lorsque les rédacteurs de la Convention ont fait en sorte qu'elle s'applique aux [traduction] « biens de toutes sortes », ils n'avaient pas l'intention d'imposer des restrictions quant à la nature des biens.

Le sauvetage n'est pas en soi une compétence énumérée à l'article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Victoria, ch. 3. (R.-U.) [. . .], de sorte que le fait que l'objet de la législation soit visé par la définition de sauvetage n'est pas concluant quant à la compétence constitutionnelle. Le sauvetage est un objet de compétence fédérale, parce qu'il entre dans l'une des rubriques énumérées, à savoir les bâtiments ou navires. La définition d'assistance dans la Convention ne peut pas modifier la répartition des compétences dans le cadre de la Constitution. Par conséquent, la question n'est pas de savoir si le régime provincial de récupération des billots est visé par la définition élargie de sauvetage, mais plutôt de savoir si ce régime est suffisamment lié aux bâtiments ou navires pour que la définition élargie de sauvetage s'y applique. En d'autres mots, la récupération de billots n'est pas un aspect des notions de bâtiments ou de navires (et soumise à la compétence du gouvernement fédéral) du seul fait qu'elle soit visée par la définition de sauvetage. Si le régime provincial relève de la compétence du gouvernement fédéral, c'est parce qu'il est nécessairement accessoire aux bâtiments ou aux navires et qu'il est donc à juste titre qualifié de sauvetage.

Pour trancher la question de la validité de la législation provinciale, il faut se servir de l'analyse du caractère véritable, qui a été établie dans l'arrêt Bande Kitkatla c. Colombie-Britannique (Ministre des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme et de la Culture), [2002] 2 R.C.S. 146, au paragraphe 58 :

1.     Les dispositions contestées empiètent-elles sur une compétence fédérale et dans quelle mesure?

2.     Si les dispositions contestées empiètent sur une compétence fédérale, font-elles néanmoins partie d'un régime législatif provincial valide?

3.     Si les dispositions contestées font partie d'un régime provincial valide, y sont-elles suffisamment intégrées?

La province a établi sa position en relation avec le lien existant entre la récupération de billots et l'exploitation forestière et la foresterie. Pour décider dans le sens souhaité par la province, il faudrait toutefois que j'en arrive à la conclusion qu'il n'existe pas un lien suffisant entre la récupération de billots et les bâtiments ou navires pour justifier une compétence fédérale. Le dossier dont je dispose ne me permet pas de rendre une telle décision. Bien qu'il s'agisse d'une demande en jugement sommaire où chaque partie se doit de [traduction] « présenter [sa] cause sous son meilleur jour » (voir Feoso Oil Ltd. c. Sarla (Le), [1995] 3 C.F. 68 (C.A)), une cour ne doit pas se prononcer sur la validité constitutionnelle d'une législation à moins de disposer d'un dossier factuel adéquat. [Non souligné dans l'original.]

[62]À mon avis, c'est au paragraphe 6 de son jugement que l'on trouve les paroles cruciales du juge Pelletier, J.C.A. au sujet du raisonnement suivi par la demanderesse en l'espèce :

Par conséquent, la question n'est pas de savoir si le régime provincial de récupération des billots est visé par la définition élargie de sauvetage, mais plutôt de savoir si ce régime est suffisamment lié aux bâtiments ou navires pour que la définition élargie de sauvetage s'y applique. En d'autres mots, la récupération de billots n'est pas un aspect des notions de bâtiments ou de navires (et soumise à la compétence du gouvernement fédéral) du seul fait qu'elle soit visée par la définition de sauvetage. Si le régime provincial relève de la compétence du gouvernement fédéral, c'est parce qu'il est nécessairement accessoire aux bâtiments ou aux navires et qu'il est donc à juste titre qualifié de sauvetage.

[63]Selon ce que je comprends de l'argument avancé par la demanderesse pour contester la constitutionnalité de la partie 9 de la Forest Act et du Log Salvage Regulation, ce raisonnement s'apparente beaucoup à celui qui, selon la Cour d'appel fédérale, ne doit pas être suivi sur cette question et il reprend pour l'essentiel le raisonnement du juge Hugessen que la Cour d'appel fédérale semble rejeter dans son arrêt.

[64]À mon avis, la méthode qu'il convient d'adopter pour examiner les dispositions contestées du régime provincial est celle que la Cour d'appel fédérale propose au paragraphe 7 de ses motifs précités. Et bien que la demanderesse fasse bel et bien allusion à cette méthode dans son argumentation, je suis d'avis que son analyse du caractère véritable est passablement superficielle et que la demanderesse tente de compenser ces lacunes en cherchant à appeler l'attention de la Cour sur la démarche suivie par le juge Hugessen en présentant et en développant le principe de l'exclusivité des compétences et en insistant sur ce dernier.

[65]Toutefois, suivant ma conception du rôle du principe de l'exclusivité des compétences, celui-ci ne joue que si les dispositions contestées touchent un aspect essentiel de la compétence du gouvernement fédéral. Je songe ici aux propos du juge LeBel dans l'arrêt Kitkatla, dans lequel la Cour suprême du Canada a conclu que les dispositions contestées de la Heritage Conservation Act, R.S.B.C. 1996, ch. 187 étaient essentiellement des dispositions portant sur la propriété et les droits civils qui n'empiétaient pas sur la compétence du gouvernement fédéral sur les Indiens [au paragraphe 77] :

Vu cette conclusion, il est inutile d'examiner le principe de l'exclusivité des compétences. Il ne s'appliquerait que si la législation provinciale touchait à l'essentiel du pouvoir fédéral. (Voir Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437, par. 81; Delgamuukw, précité, par. 177-178, le juge en chef Lamer.)

[66]En l'espèce, la thèse de la demanderesse est que la partie 9 de la Forest Act et le Log Salvage Regulation touchent effectivement au contenu essentiel du pouvoir fédéral sur la navigation et les bâtiments ou navires, faisant ainsi intervenir le principe de l'exclusivité des compétences. Les assertions formulées par la demanderesse à cet égard reposent toutefois davantage sur une conception élargie du sens du mot « sauvetage » et de ses rapports avec la compétence du gouvernement fédéral sur le droit maritime que sur une analyse approfondie du caractère véritable des dispositions contestées du régime provincial.

[67]Avant de déterminer si les faits de la présente affaire font intervenir le principe de l'exclusivité des compétences, la Cour doit d'abord se prononcer sur le caractère véritable des dispositions contestées.

CARACTÈRE VÉRITABLE

        Principes directeurs

[68]Bien que les articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 répartissent entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux les « matières » relevant de la compétence législative exclusive de l'un ou de l'autre, il n'est pas toujours possible de classer aussi nettement des dispositions législatives en fonction des divers sujets énumérés dans la Constitution. Même sans intrusion intentionnelle, il est impossible pour l'un ou l'autre ordre de gouvernement, compte tenu des difficultés pratiques de gouverner un État fédéral, de respecter rigoureusement les catégories énumérées dans la Constitution. Les tribunaux ont toutefois dû, avec le temps, élaborer une série de principes permettant de contrôler la constitutionnalité des lois ou des règlements.

[69]J'estime, aux fins de la présente affaire, que les principes régissant le contrôle de la constitutionnalité de la partie 9 de la Forest Act et du Log Salvage Regulation sont bien connus et je ne vois pas l'utilité de proposer une autre façon de les formuler. Ces principes ont été réitérés dans de nombreuses décisions; je m'en tiendrai à une décision qui offre selon moi un condensé exhaustif et pertinent de ces principes qui me sera utile pour trancher les faits portés à ma connaissance. Voici ce que dit le juge Burnyeat de la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans le jugement récent Laboucane v. Brooks (2003), 229 D.L.R. (4th) 747, aux paragraphes 17 à 30, où ce juge était appelé à se prononcer sur la constitutionnalité du paragraphe 10(1) de la Workers Compensation Act, R.S.B.C. 1996, ch. 492 :

[traduction]

En ce qui concerne la constitutionnalité du paragraphe 10(1) de la Loi, rappelons que les lois sont présumées constitutionnelles, de sorte que c'est à celui qui conteste la validité d'une loi qu'il incombe d'en démontrer l'inconstitutionnalité : Nova Scotia (Board of Censors) c. McNeil, [1978] 2 R.C.S. 662 [. . .] et Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu, [2000] 1 R.C.S. 783 [. . .] C'est donc à M. Laboucane qu'il incombe d'établir que le paragraphe 10(1) de la Loi est constitutionnellement inapplicable eu égard aux circonstances de l'espèce.

Je suis convaincu que, lorsque la constitutionnalité d'un texte de loi est contestée, la première étape de l'analyse consiste à déterminer le « caractère véritable » de ce texte. Après avoir déterminé l'essence ou le caractère véritable de la loi en cause, la seconde étape consiste à déterminer si l'on peut en rattacher l'objet essentiel à l'un des chefs de compétence du législateur qui l'a édictée : Ward c. Canada (Procureur général), [2002] 1 R.C.S. 569 [. . .]; Bande Kitkatla c. Colombie-Britannique (Ministre des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme et de la Culture), [2002] 2 R.C.S. 146 [. . .], et R. c. Eurosport Auto Co. (2003), 225 D.L.R. (4th) 277 (C.A.C.-B.).

Dans l'affaire Ward, la Cour était appelée à décider si des accusations portées en vertu du Règlement sur les mammifères marins [. . .], qui interdisait la vente, l'échange ou le troc de blanchons et de jeunes à dos bleu, relevaient du pouvoir du gouvernement fédéral de légiférer sur les pêches ou le droit criminel ou si cette interdiction relevait du pouvoir du gouvernement provincial de légiférer sur des questions se rapportant à la propriété et aux droits civils. La Cour a adopté l'analyse du caractère véritable dans son examen de la loi. Le juge en chef a dit ce qui suit, au nom de la Cour :

[16] L'analyse du caractère véritable comporte deux questions : premièrement, quel est le caractère essentiel de la loi? Deuxièmement, ce caractère se rapporte-t-il à l'un des chefs de compétence attribués au législateur en question par la Loi constitutionnelle de 1867?

Le juge en chef explique ensuite la méthode à adopter pour appliquer le critère du caractère véritable :

[17] La première étape de l'analyse du caractère véritable consiste à déterminer le caractère véritable ou essentiel de la loi. Quelle est le sens véritable ou la caractéristique dominante de la mesure législative attaquée? Pour répondre à cette question, il faut examiner l'objet et l'effet juridique du règlement ou de la loi en cause [. . .] L'objet désigne ce que le législateur a voulu accomplir. Il est pertinent pour déterminer si, en l'espèce, le Parlement réglementait les pêcheries ou s'il s'aventurait dans le domaine de compétence provinciale de la propriété et des droits civils. L'effet juridique désigne la façon dont la loi influe sur des droits et des obligations, et il est également utile pour comprendre le sens premier de la loi.

Dans l'affaire Kitkatla, la Cour était saisie de la question de savoir si certaines dispositions de la Heritage Conservation Act [. . .] de la province relevaient de la compétence de la province sur la propriété et les droits civils ou de celle du gouvernement fédéral sur les Indiens et les terres réservées aux Indiens. La bande indienne soutenait que la Heritage Conservation Act devait être invalidée, dans la mesure où elle permettait la modification et la destruction d'objets culturels autochtones. Sous la plume du juge LeBel, la Cour a déclaré :

[52] Toute analyse du partage des compétences commence par la caractérisation de la loi contestée afin de déterminer le chef de compétence dont elle relève. C'est ce qu'on appelle communément l'analyse « du caractère véritable » [. . .] En caractérisant la disposition contestée, on peut déterminer si le législateur était habilité par la Constitution à l'adopter.

[53] L'analyse du caractère véritable porte à la fois (1) sur l'objet de la législation et (2) sur ses effets. Premièrement, pour déterminer l'objet de la législation, la Cour peut examiner tant la preuve intrinsèque, telles les dispositions énonçant les objectifs généraux, que la preuve extrinsèque, tels le Hansard ou les comptes rendus des comités parlementaires.

[54] Deuxièmement, dans son analyse de l'effet de la législation, la Cour peut examiner à la fois son effet juridique et son effet pratique. Autrement dit, elle examine tout d'abord les effets directs des dispositions de la loi elle-même, puis les effets « secondaires » de son application [. . .]

Le juge LeBel explique qu'il convient d'examiner tout d'abord les dispositions contestées plutôt que le caractère véritable de l'ensemble de la loi dans laquelle les dispositions contestées se trouvent. À cet égard, le juge LeBel cite et approuve les propos suivants tenus par le juge Dickson (devenu par la suite juge en chef) dans l'arrêt Procureur général du Canada c. Canadian National Transportation Ltd., [1983] 2 R.C.S. 206, à la p. 270 [. . .] (cités par le juge en chef Dickson dans l'arrêt General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing, [1989] 1 R.C.S. 641, à la page 665, [. . .]) :

La bonne méthode, lorsque l'on doute que la disposition contestée ait la même caractérisation constitutionnelle que la loi dont elle fait partie, est de prendre pour point de départ ladite disposition plutôt que de commencer par démontrer la validité de la loi dans son ensemble. Je ne crois pas toutefois que cela signifie qu'il faille interpréter isolément la disposition en cause. Si l'argument de validité constitutionnelle se fonde sur la prétention que la disposition contestée fait partie d'un système de réglementation, il semblerait alors nécessaire de l'interpréter dans son contexte. Si, en fait, elle peut être considérée comme faisant partie d'un tel système, il faudra alors examiner la constitutionnalité de ce système dans son ensemble.

Il importe de signaler que, dans l'arrêt Kitkatla, la Cour a estimé qu'il n'y avait pas eu empiétement sur un chef de compétence fédéral, que les dispositions contestées de la Heritage Conservation Act étaient, de par leur caractère véritable, des dispositions qui relevaient de la compétence législative de la province sur la propriété et les droits civils. Le juge LeBel a ajouté ce qui suit, pour le compte de la Cour :

[77] Vu cette conclusion, il est inutile d'examiner le principe de l'exclusivité des compétences. Il ne s'appliquerait que si la législation provinciale touchait à l'essentiel du pouvoir fédéral. (Voir Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437, par. 81; Delgamuukw, précité, par. 177-178, le juge en chef Lamer.)

Le juge LeBel cite et approuve le critère à trois volets énoncé par le juge Dickson dans l'arrêt General Motors of Canada, précité, aux p. 666 et 667 :

La première étape devrait consister à se demander si et dans quelle mesure il est possible de dire que la disposition contestée empiète sur les pouvoirs de la province. Si on ne peut affirmer que la disposition empiète sur ceux-ci, c'est-à-dire si, de par son caractère véritable, elle relève du droit fédéral, et que la loi à laquelle elle se rattache est constitutionnelle (ou si la disposition peut être séparée de la loi ou si elle se rattache à une partie de la loi qui peut être séparée et valide du point de vue constitutionnel), il n'est alors plus nécessaire de poursuivre l'analyse.    

Si, par contre, la disposition contestée ne relève pas, de par son caractère véritable, des pouvoirs que la Constitution confère à la législature qui l'a adoptée, la cour doit se demander si elle fait néanmoins partie d'un régime législatif valide. Dans l'affirmative, il y a lieu, à la troisième étape, de confirmer la validité de la disposition contestée si cette disposition est suffisamment intégrée au régime législatif valide [. . . ]

En conséquence, dans deux des arrêts les plus récents rendus sur la question, la Cour suprême affirme que toute analyse du partage des compétences commence par l'analyse du caractère véritable de la loi contestée afin de déterminer le chef de compétence dont elle relève. La Cour d'appel a également adopté cette méthode d'analyse dans un arrêt récent.

Dans l'affaire Eurosport, la Cour était appelée à examiner la question de savoir si l'alinéa 42.1(2)b) de la Insurance (Motor Vehicle) Act, R.S.B.C. 1996, ch. 231, qui permettait d'accuser une personne de fausses déclarations à l'I.C.B.C. en vue d'obtenir le paiement de biens ou de services, avait été édicté en vue d'atteindre un objectif provincial valide ou s'il constituait, de par son caractère véritable, du droit criminel. Le juge Braidwood a déclaré ce qui suit, au nom de la Cour :

[traduction] La méthode d'analyse acceptée en matière de partage de pouvoirs comporte deux étapes :

1.     L'identification de l'« objet » ou du « caractère véritable » de la loi;

2.     Le rattachement de l'« objet » de la loi à un des chefs de compétence prévus par la Loi constitutionnelle de 1867 [. . .]

Si l'objet essentiel de la loi entre dans une des catégories de sujets attribués à la Législature par l'article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867, la loi sera valide malgré le fait qu'elle peut avoir des effets accessoires ou secondaires dans des domaines de compétence fédérale : General Motors of Canada c. City National Leasing, [1989] 1 R.C.S. 641 [. . .]; Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu, précité, Air Canada c. Colombie-Britannique, [1989] 1 R.C.S. 1161 [. . .]; Première nation de Westbank c. B.C. Hydro and Power Authority, [1999] 3 R.C.S. 134 [. . .], et Eurosport, précité. Dans l'arrêt Eurosport, la Cour a dit ce qui suit, sous la plume du juge Braidwood :

[18] [traduction] Il est évident que lorsque l'« objet » ou le caractère véritable d'un texte de loi ou d'une partie de celui-ci entre dans une catégorie de sujets attribués exclusivement aux législatures provinciales par l'article 92 de la Constitution, tout effet secondaire que cette loi peut avoir sur la compétence fédérale n'affecte en rien sa validité.

Dans un régime fédéral, il est certain que, dans la poursuite d'objectifs réguliers, la mesure législative de chaque palier de gouvernement aura parfois des répercussions sur le domaine de compétence d'un autre palier du gouvernement; il faut s'attendre à ce qu'il y ait chevauchement de mesures législatives et il faut s'y adapter dans un État fédéral.[General Motors of Canada c. City National Leasing, [1989] 1 R.C.S. 641 [. . .], [à la p. 669 R.C.S.].]

[19] Il se peut qu'une loi provinciale ait des incidences sur des domaines de compétence fédérale exclusive si les incidences en question constituent un aspect accessoire d'un régime par ailleurs valide :

La détermination du chef de compétence duquel relève une loi particulière n'est pas une science exacte. Dans un système fédéral, chaque ordre de gouvernement peut s'attendre à ce que sa compétence soit touchée dans une certaine mesure par l'autre. Comme le juge en chef Dickson le dit dans General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing, [1989] 1 R.C.S. 641, à la p. 669, « il faut s'attendre à ce qu'il y ait chevauchement de mesures législatives et il faut s'y adapter dans un État fédéral ». Les lois se rapportant principalement à la compétence d'un ordre de gouvernement peuvent déborder, ou avoir des « effets secondaires », sur les champs de compétence de l'autre ordre de gouvernement. C'est une question d'équilibre et de fédéralisme : aucun ordre de gouvernement n'est isolé de l'autre, ni ne peut usurper ses fonctions [. . .]

Pour déterminer les effets secondaires ou accessoires qu'une loi peut avoir sur des domaines de compétence fédérale, la Cour a, dans l'arrêt Kitkatla, adopté et reformulé le critère à trois volets qui avait été énoncé pour la première fois par le juge en chef Dickson dans l'arrêt General Motors of Canada, précité :

1. Les dispositions contestées empiètent-elles sur une compétence fédérale et dans quelle mesure?

2. Si les dispositions contestées empiètent sur une compétence fédérale, font-elles néanmoins partie d'un régime législatif provincial valide?

3. Si les dispositions contestées font partie d'un régime législatif provincial valide, y sont-elles suffisamment intégrées?

La demanderesse fait valoir que l'analyse appropriée consiste à présumer la constitutionnalité du paragraphe 10(1) et d'appliquer ensuite le critère de l'exclusivité des compétences énoncé dans l'arrêt Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437 [. . .] Je suis convaincu que cette méthode d'analyse va à l'encontre de bon nombre des arrêts de la Cour suprême du Canada et de la méthode retenue dans l'arrêt Eurosport. Je suis convaincu que l'analyse proposée dans les arrêts Ward, Kitkatla et Eurosport est celle qui convient. Si l'objet essentiel d'une disposition n'empiète pas sur les pouvoirs d'un autre ordre de gouvernement, il n'est pas nécessaire de tenir compte du principe de l'exclusivité des compétences.

En ce qui concerne l'arrêt Succession Ordon, il importe de signaler que les arrêts Ward et Kitkatla, précités, ont été rendus après l'arrêt Succession Ordon et que, dans l'arrêt Kitkatla, le juge LeBel précise bien qu'il faut d'abord analyser le caractère véritable de la loi. Il convient par ailleurs de rappeler que : a) dans l'affaire Succession Ordon, les parties avaient reconnu que les pourvois portaient sur les « règles de droit maritime relatives à la négligence », une matière relevant de la compétence exclusive du gouvernement fédéral (à la p. 505); et b) la question formulée par la Cour était celle de savoir « si les dispositions d'une loi provinciale peuvent être appliquées pour trancher les questions juridiques se greffant accessoirement à une action pour négligence relevant par ailleurs intégralement du droit maritime fédéral, et de quelle façon » (à la p. 452).

En conséquence, la première question à laquelle il faut répondre est celle de l'objet essentiel ou caractère véritable du paragraphe 10(1) de la Loi. Si son objet essentiel n'empiète pas sur le pouvoir du gouvernement fédéral en matière de bâtiments et navires et de navigation, il ne sera pas nécessaire d'examiner le principe de l'exclusivité des compétences. S'il n'y a pas empiétement, la loi provinciale est constitutionnelle. S'il y a un certain empiétement sur les bâtiments ou navires et la navigation, la question suivante à se poser est celle de savoir si les dispositions contestées font quand même partie d'un régime législatif provincial valide et si les dispositions contestées sont suffisamment intégrées à ce régime.

[70]Gardant cette jurisprudence présente à l'esprit, je passe maintenant aux faits particuliers de la présente affaire.

Les dispositions contestées

[71]La partie 9 de la Forest Act est composée de cinq articles qui portent sur les questions suivantes :

a) L'article 122 autorise le ministre à désigner une région de la Colombie-Britannique comme zone de récupération de billots;

b) L'article 123 prévoit la délivrance d'un permis de poste de réception à une personne qui accepte la livraison de billots récupérés dans une zone de récupération de billots. Le titulaire d'un permis de poste de réception doit :

i) aménager dans la zone de récupération de billots des installations de réception, d'entreposage et de tri des billots récupérés;

ii) disposer des billots récupérés de la manière prescrite;

iii) verser à la province les droits de permis prescrits;

iv) comptabiliser, détenir, débourser et affecter les recettes tirées de la vente de billots récupérés de la manière prescrite;

v) sous réserve du règlement, verser aux titulaires de permis de récupération de billots une indemnité selon le montant prescrit pour les billots livrés au poste de réception ou au lieu précisé par le titulaire de permis;

c) L'article 124 prévoit la délivrance de permis de récupération de billots aux récupérateurs de billots possédant les aptitudes requises;

d) L'article 125 prévoit que la disposition et la livraison des billots provenant d'une zone de récupération de billots doivent se faire conformément au règlement;

e) L'article 126 prévoit une interdiction restreinte de procéder à de la récupération de billots dans certaines zones en cas de réception d'un avis portant que des billots ont été perdus dans une zone côtière. Pendant la période d'interdiction, seul le propriétaire des billots ou son mandataire peuvent récupérer les billots dans la région visée par l'interdiction.

[72]La partie 9 est manifestement un cadre régissant cette partie de la ressource forestière de la province qui est devenue du bois flottant et qu'il faut récupérer pour pouvoir en réaliser la valeur. La partie 9 se trouve dans la Forest Act, une loi qui porte de façon générale sur de multiples aspects de la gestion et de la récolte du bois en Colombie-Britannique. La partie 9 constitue un aspect essentiel de l'économie générale de la loi parce qu'en raison des particularités de la topographie de la Colombie-Britannique, il est inévitable qu'entre la récolte et la vente, certains billots soient perdus et que d'autres deviennent du bois flottant. Si l'on veut tenir compte des intérêts économiques de la province à l'égard de ces billots, il faut trouver une façon de gérer, de récupérer et de vendre les billots qui sont à la dérive dans le fleuve Fraser.

[73]À mon avis, la partie 9 de la Forest Act n'a rien à voir avec la navigation ou les bâtiments ou navires. Au cours du procès, la demanderesse a suggéré diverses façons de la rattacher à la navigation et aux bâtiments et navires, mais ce lien est très ténu et il ne modifie pas, selon moi, l'objet et l'effet évidents de la partie 9 ou de la partie 9 lorsqu'on l'interprète en fonction du contexte de la Forest Act dans son ensemble.

[74]On peut dire, par exemple, que la navigation et les bâtiments ou navires se rattachent à l'eau et que la partie 9 porte sur la récupération et la vente de billots qui sont à la dérive dans l'eau. Mais le fait que des billots se retrouvent dans l'eau ne signifie pas pour autant qu'ils cessent de faire partie des ressources forestières ou que la province devrait perdre le droit de continuer à gérer ces ressources de la manière prévue à la partie 9. Le simple fait que des billots soient récupérés dans des eaux navigables ne signifie pas que les dispositions contestées doivent être rattachées à la navigation et aux bâtiments et navires.

[75]La demanderesse table aussi beaucoup sur le fait que les billots qui sont à la dérive dans les eaux navigables constituent un danger pour la navigation. Il n'y a aucun doute que les billots et les canards à la dérive constituent un danger pour la navigation et que le fait de les retirer de l'eau supprime ce danger. Mais la partie 9 de la Forest Act n'a pas pour objet ou pour effet de parer aux dangers pour la navigation. La partie 9 porte sur la récupération des billots qui se trouvent dans l'eau en vue de réaliser leur valeur économique. Il ressort à l'évidence de la preuve présentée au procès que ni la demanderesse ni d'autres récupérateurs n'exploitaient d'entreprise de récupération de billots pour empêcher des dangers pour la navigation. Leur intérêt est économique. Le fait que récupérer un billot qui se trouve dans l'eau et de le livrer à un poste de réception peut également avoir accessoirement pour effet de supprimer un danger pour la navigation ne signifie pas que l'objet essentiel de la partie 9 de la Forest Act concerne la navigation ou les bâtiments ou navires. Les dispositions contestées ne portent pas atteinte à l'intérêt du gouvernement fédéral sur la navigation et les bâtiments ou navires ou à la capacité du gouvernement fédéral de s'occuper des billots flottants en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables, L.R.C. (1985), ch. N-22. Il ressort de la preuve administrée au procès qu'il existe un cadre fédéral qui vise les questions de sécurité dans la navigation et qui relève du Conseil des ports nationaux [maintenant Société canadienne des ports] et d'autres ministères fédéraux. En vertu des dispositions fédérales applicables, les billots qui constituent un danger pour la navigation et les bâtiments ou navires sont enlevés. Ces dispositions ne portent pas sur les droits de propriété ou sur les intérêts économiques afférents aux billots ou sur les aspects touchant à la gestion des ressources forestières des billots flottants. Le régime fédéral et le système provincial sont appliqués parallèlement et, suivant la preuve, cette situation n'a suscité aucun problème pratique, hormis les préoccupations économiques des récupérateurs et les répercussions discutables sur l'environnement.

[76]L'argument principal de la demanderesse est toutefois que la partie 9 de la Forest Act vise la récupération de billots dans les eaux navigables, que la récupération de billots constitue du sauvetage maritime et que le sauvetage maritime est un sujet qui relève de la compétence fédérale en tant que matière intéressant la navigation et les bâtiments ou navires. Mais c'est l'argument au sujet duquel la Cour d'appel fédérale a formulé l'avertissement suivant lorsqu'elle s'est penchée sur la question du jugement sommaire [au paragraphe 6] : « le fait que l'objet de la législation soit visé par la définition de sauvetage n'est pas concluant quant à la compétence constitutionnelle ». Ainsi que la Cour d'appel fédérale l'a souligné, la question est de savoir si les dispositions contestées « sont suffisamment liées aux bâtiments ou navires ». Or, « la récupération de billots n'est pas un aspect des notions de bâtiments ou de navires (et soumise à la compétence du gouvernement fédéral) du seul fait qu'elle soit visée par la définition de sauvetage. En d'autres termes, la définition élargie du mot « assistance » que l'on trouve dans la Convention ne saurait dicter l'interprétation constitutionnelle.

[77]S'agissant du sauvetage, la définition des termes « biens » et « cargaison » comporte un aspect technique sur lequel je reviendrai plus loin lorsque j'examinerai les incidences de la Loi sur la marine marchande et de la Convention, mais aux fins de l'analyse du caractère véritable de la partie 9 de la Forest Act, le fait que le bois flottant puisse être assimilé à un « bien » au sens de la Convention ne signifie pas pour autant que la partie 9 de la Forest Act a pour objet ou pour effet de viser les bâtiments et navires ou la navigation. La partie 9 a selon moi pour objet et pour effet de viser la récupération et la vente de bois flottant dans le cadre du régime général adopté par la province pour gérer ses ressources forestières et pour en réaliser la valeur économique. Si l'on peut dire qu'à une étape ou à l'autre du processus, ce bois répond à la définition élargie du « sauvetage », l'objet ou l'effet de la partie 9 de la Forest Act ou du régime provincial dont elle fait partie ne sont pas modifiés pour autant.

[78]Le Log Salvage Regulation complète le régime prévu à la partie 9 de la Forest Act. Il traite de ce qui suit :

a)     L'article 3 porte sur les conditions à remplir pour obtenir une licence de récupérateur de billots;

b)     L'article 4 [mod. par B.C. Reg. 109/93, art. 2] porte sur les conditions à remplir pour avoir droit à un permis de récupération de billots;

c)     L'article 5 [mod. par B.C. Reg. 299/81, art. 3; 109/93, art. 3] traite de la livraison de billots identifiables et de la rémunération et des droits de propriété y afférents. L'article 1 définit l'expression « billot identifiable » comme suit : [traduction] Billot récupéré qui, selon le cas : « a) porte une marque de bois ou un signe d'identification maritime ou b) [. . .] [est] récupéré d'une estacade, d'une section, d'un assemblage ou d'un regroupement qui remplit l'une ou l'autre des conditions suivantes : i) il comporte au moins un billot portant une marque de bois ou un signe d'identification maritime, ou ii) il porte une étiquette de propriétaire ».

d)     L'article 6 [mod. par B.C. Reg. 299/81, art. 4] traite de la façon d'identifier le « propriétaire » d'un billot identifiable.

e)     L'article 7 [mod. par B.C. Reg. 109/93, art. 4] précise qui peut disposer des billots récupérés et en accepter la livraison dans une zone de récupération de billots;

f)     L'article 8 porte sur le cubage des billots récupérés;

g)     L'article 9 [mod. par B.C. Reg. 299/81, art. 5; 109/93, art. 5] traite des obligations imposées au titulaire de licence en ce qui concerne le maintien d'un poste de réception à Howe Sound et la tenue de registres au sujet des billots livrés au poste de réception ou à une usine autorisée;

h)     L'article 10 [mod. par B.C. Reg. 299/81, art. 6; 109/93, art. 6, 7] porte sur le calcul des versements à effectuer aux titulaires de permis de billots marchands;

i)     L'article 11 [mod. par B.C. Reg. 299/81, art. 7] porte sur la façon de disposer du produit de la vente des billots identifiables récupérés;

j)     L'article 12 traite de la façon dont les titulaires de permis doivent conserver et produire leurs permis et fournir une preuve d'identité;

k)     L'article 13 [mod., idem, art. 8] concerne les délais que doivent respecter les titulaires de permis en ce qui concerne la livraison du bois marchand au poste de réception ou l'envoi d'un avis au titulaire de licence en ce qui concerne la récupération d'une estacade;

l)     L'article 14 prévoit certaines interdictions en ce qui concerne les lieux de récupération des billots;

m)     L'article 15 [mod. par B.C. Reg. 109/93, art. 8] prévoit des restrictions quant au nombre de bateaux de sauvetage, de ravitailleurs et de véhicules terrestres qu'un titulaire de permis peut utiliser lorsqu'il effectue des opérations de récupération de billots et il précise comment le numéro de permis doit être affiché et prévoit des restrictions quant à l'utilisation d'assistants;

n)     L'article 16 porte sur la remise et l'utilisation de marteaux d'identification pour la récupération de billots;

o)     L'article 17 [mod., idem, art. 9] traite du cubage avant le retrait de l'eau des billots récupérés ou leur livraison par voie terrestre;

p)     L'article 18 [mod., idem] précise les moments où les opérations de récupération de billots peuvent être effectuées;

q)     L'article 19 [mod. par B.C. Reg. 299/81, art. 11] porte sur la saisie de billots par le directeur régional, un agent forestier autorisé ou un agent de la paix en cas de certaines contraventions au règlement ou à la Forest Act;

r)     L'article 20 [mod. par B.C. Reg. 109/93, art. 10] fixe le montant des droits de licences et de permis;

s)     L'article 21 crée une infraction pour quiconque contrevient au Log Salvage Regulation.

[79]Encore une fois, qu'on les considère isolément ou conjointement, ces dispositions ne visent pas essentiellement, selon moi, la navigation et les bâtiments et navires. Elles portent sur des questions de délivrance de licences, d'identification, de propriété, de conditions à remplir pour obtenir un permis, de vente et de livraison et de rémunération relativement aux personnes intéressées par la récupération de billots sous le régime de la partie 9 de la Forest Act. Les seules dispositions qui semblent avoir un lien quelconque avec des opérations nautiques sont les restrictions que l'on trouve aux articles 15 et 18, qui limitent le nombre de bateaux qui peuvent être employés, le recours à des assistants et les heures d'activité. À mon avis, ces restrictions sont des mesures de sécurité accessoires qui sont associées à l'objectif de gestion des ressources forestières visé par la Forest Act et le Log Salvage Regulation et elles n'empiètent pas de manière significative sur le pouvoir du gouvernement fédéral sur la navigation et les bâtiments et navires.

[80]La demanderesse affirme que la partie 9 de la Forest Act et le Log Salvage Regulation empiètent effectivement sur le pouvoir fédéral sur la navigation et les bâtiments et navires pour deux raisons :

a) Ils [traduction] « visent à réglementer la restitution ou la récupération de biens perdus au cours de leur transport par eau »;

b) À première vue, et comme l'indique le titre de la partie 9 de la Forest Act, [traduction] « ces dispositions s'appliquent uniquement au sauvetage maritime de billots » et « tout ce qui se produit dans un contexte maritime relève prima facie de la compétence fédérale ».

[81]Certes, il est vrai que les dispositions contestées abordent certains aspects de la récupération du bois dans les eaux navigables et qu'elles concernent la restitution et la récupération de biens, c'est-à-dire de billots à la dérive dans le fleuve Fraser. Mais les dispositions contestées visent manifestement à réglementer la façon dont les propriétaires de billots, les titulaires de licences ou de permis de récupération et la province devraient gérer cet aspect des ressources forestières et participer à la réalisation de leur valeur économique du bois qui, pour une raison ou pour une autre, se retrouve à la dérive dans la zone de récupération de Vancouver. L'objet et l'effet des dispositions en question ne se rapportent pas à la navigation ou aux bâtiments ou navires, même lorsqu'on les examine isolément. Il convient toutefois de signaler aussi que la partie 9 de la Forest Act et le Log Salvage Regulation font partie intégrante d'un régime provincial intégré de gestion des ressources et le fait qu'ils portent sur la récupération de biens perdus dans l'eau ou que les billots en question peuvent répondre ou non à une définition élargie des mots « récupération » et « biens » ne change rien à mon avis au caractère essentiel et à l'effet de la loi et du règlement qui établissent et encadrent la gestion de ce régime. Tout lien qui pourrait exister avec la navigation et les bâtiments et navires est tout au plus ténu et accessoire. Sous le régime provincial, les billots et le bois en grume sont récupérés sur terre, sur les rives du fleuve Fraser et dans les diverses structures et installations longeant le fleuve, de même que dans le chenal navigable. Suivant la demanderesse, on peut dissocier la partie 9 de la Forest Act et le Log Salvage Regulation du reste du régime provincial. J'estime toutefois que cela n'est possible ni sur le plan légal ni sur le plan pratique. Le régime traite dans son ensemble de la récupération, à divers endroits, de billots et de bois en grume en vue d'en réaliser la valeur économique. Les dispositions contestées font partie intégrante de tout le régime. Leur effet pratique est de diminuer le gaspillage et les pertes dans l'industrie forestière, de protéger les droits de la province sur le bois de la Couronne par le paiement de droits de coupe et de favoriser la protection des droits de propriété des propriétaires des billots.

[82]Même si l'on pouvait dire qu'elles empiètent d'une certaine façon sur le pouvoir du gouvernement fédéral sur la navigation et les bâtiments et navires--ce qui à mon avis n'est pas le cas--les dispositions contestées feraient quand même partie d'un régime législatif provincial valide et elles sont suffisamment intégrées à ce régime pour qu'on puisse conclure qu'elles relèvent de la compétence de la province. Tout effet sur des matières relevant de la compétence fédérale est purement accessoire (voir l'arrêt Paul c. Colombie-Britannique (Forest Appeals Commission), [2003] 2 R.C.S. 585, au paragraphe 14). Il ressort de la preuve présentée au procès que le procureur général du Canada est du même avis. À deux reprises (le 12 janvier 2001 et le 22 février 2005), le ministère fédéral de la Justice a confirmé qu'il n'interviendrait pas dans le présent procès parce qu'il considère qu'il s'agit d'une question « privée et provinciale ». Je peux comprendre cette position, si l'on songe que la Loi sur la protection des eaux navigables traite adéquatement de la question de la compétence fédérale sur la navigation et les bâtiments et navires pour ce qui est du bois flottant.

[83]Cette conclusion est étayée par le témoignage des divers témoins qui ont été entendus au procès. Ainsi, Mme Weishuhn, qui a comparu pour le compte de la demanderesse, a affirmé que le Log Salvage Regulation n'avait aucune incidence sur la façon dont elle exerce ses activités de récupération de billots dans l'eau.

[84]Suivant la preuve présentée au procès, la récupération de billots dans le fleuve Fraser en conformité avec le régime provincial constitue une activité unique à la région côtière de la Colombie- Britannique et il s'agit d'un sujet de nature purement privée ou locale au sens du paragraphe 92(10) de la Loi constitutionnelle de 1867. Même Mme Weishuhn, qui comparaissait pour le compte de la demanderesse, a affirmé qu'à sa connaissance, nulle part ailleurs au Canada les activités de récupération de billots ne sont effectuées comme en Colombie-Britannique.

[85]Je conclus donc que la partie 9 de la Forest Act et le Log Salvage Regulation sont des textes législatifs provinciaux valides que la province avait la compétence d'adopter et que certains de leurs aspects peuvent être rattachés à la propriété et aux droits civils (paragraphe 92(13)), à l'administration et à la vente des bois (paragraphe 92(5)), aux travaux et entreprises d'une nature locale (paragraphe 92(10)) ou à des matières d'une nature purement locale ou privée dans la province (paragraphe 92(16)).

[86]Certaines des raisons qui ont motivé le présent litige ont été révélées au procès et sont parfaitement compréhensibles. Ainsi, suivant la preuve, les récupérateurs de billots du fleuve Fraser estiment que le système provincial ne comporte pas de mesures incitatives économiques suffisantes pour encourager la récupération des billots qui sont à la dérive dans la zone de récupération de Vancouver. Cette situation a suscité à son tour des préoccupations d'ordre écologique. On craint en effet que les billots ne causent un préjudice aux marais de l'estuaire (bien que les éléments de preuve présentés par la demanderesse sur la question environnementale n'aient pas été concluants et aient été plutôt ambigus). C'est toutefois à la province qu'il appartient de répondre à ces préoccupations, qui ne permettent d'ailleurs pas de déclarer inconstitutionnels la partie 9 de la Forest Act ou le Log Salvage Regulation.

[87]À mon avis, ces conclusions répondent efficacement aux questions soulevées par la demanderesse ainsi qu'à sa demande de réparation. Il nous reste toutefois à examiner la question de la validité et de l'applicabilité de la Loi sur la marine marchande et de la Convention. La demanderesse fait reposer en grande partie sa thèse sur les définitions élargies des termes « bien » et « opération d'assistance » dans la Convention, et la province demande à la Cour d'examiner si la Loi sur la marine marchande et la Convention excèdent la compétence du législateur fédéral dans la mesure où elles visent à réglementer la récupération et la vente de billots en Colombie- Britannique et la distribution du produit de leur vente.

LA LOI SUR LA MARINE MARCHANDE ET LA CONVENTION

Questions restantes

[88]Le Canada a adopté la Convention en 1993. L'article 449.1 de la Loi sur la marine marchande dispose que la Convention « a force de loi au Canada à compter de la date du dépôt par le Canada d'un instrument de ratification auprès du Secrétaire général de l'Organisation maritime internationale. »

[89]Il n'y a pas de désaccord entre les parties au sujet de la capacité du Canada de signer la Convention ou de l'incorporer dans son droit interne par le biais de la Loi sur la marine marchande. Le différend réside dans la question de savoir si la Loi sur la marine marchande et la Convention visent ou non les activités de récupération de billots effectuées par la demanderesse en l'espèce et l'intérêt de la province en ce qui concerne la gestion de ses ressources forestières et la réalisation de leur valeur économique.

[90]La thèse de la province et des autres défendeurs est qu'abstraction faite du lien superficiel qui existe entre la récupération de billots et le sauvetage de cargaisons et de navires dont il est question dans la Convention, ces deux activités sont complètement distinctes et le sauvetage maritime de billots n'est pas une question liée à la navigation et aux bâtiments et navires. Ils affirment aussi que les activités exercées par Mme Weishuhn lorsqu'elle a récupéré les 17 billots non marqués en litige en l'espèce ne répondent pas à la définition du sauvetage que l'on trouve dans la Convention et qu'elles ne lui donnent pas le droit d'être payée.

[91]Saisi de la requête en jugement sommaire de la province, le juge Hugessen s'est fermement dissocié de la thèse de la province sur l'inapplicabilité de la Loi sur la marine marchande et de la Convention aux faits de l'espèce. On trouve les raisons du désaccord du juge Hugessen au paragraphe 59 des présents motifs.

[92]Le juge Hugessen [au paragraphe 5] s'est dit d'avis que « le législateur a clairement légiféré de manière à ce que la notion de sauvetage maritime du droit du sauvetage vise les "biens" comme les billots et les estacades ». Le juge Hugessen n'a évidemment pas conclu que la demanderesse avait droit à quelque paiement que ce soit pour les billots sous le régime de la Convention : « Je conclus donc que, dans son état actuel, la demande de rémunération de sauvetage relève apparemment de la compétence de la Cour en matière de sauvetage. Cela ne signifie évidemment pas que la demande est bien fondée ou qu'elle sera accueillie en temps opportun » [au paragraphe 9].

[93]Les assertions du juge Hugessen au sujet de l'applicabilité de la Convention au cas qui nous occupe étaient fondées sur son observation que la province « n'a pas empiété de quelque façon que ce soit sur la législation fédérale de manière à ce que l'application de celle-ci écarte nécessairement l'application de la législation provinciale » [au paragraphe 7].

[94]Ces conclusions du juge Hugessen reposaient sur sa perception du dossier, qu'il considérait comme une affaire de sauvetage maritime au sens de la Convention, de sorte que la législation provinciale ne s'appliquait pas et qu'il suffisait pour la demanderesse de démontrer qu'elle avait le droit d'être payée en vertu de la Convention.

[95]Ainsi qu'il est souligné au paragraphe 61 des présents motifs, la Cour d'appel fédérale [au paragraphe 6] en a conclu autrement : « La définition d'assistance dans la Convention ne peut pas modifier la répartition des compétences dans le cadre de la Constitution. Par conséquent, la question n'est pas de savoir si le régime provincial de récupération des billots est visé par la définition élargie de sauvetage, mais plutôt de savoir si ce régime est suffisamment lié aux bâtiments ou navires pour que la définition élargie de sauvetage s'y applique. En d'autres mots, la récupération de billots n'est pas un aspect des notions de bâtiments ou de navires (et soumise à la compétence du gouvernement fédéral) du seul fait qu'elle soit visée par la définition de sauvetage. » Il semble donc que la Cour d'appel fédérale ait présumé ou qu'elle ait conclu implicitement que les activités de récupération de billots effectuées en l'espèce n'avaient rien à voir avec la « navigation », par opposi-tion aux « bâtiments et navires » et qu'il fallait encore établir l'existence d'un lien avec les « bâtiments et navires ».

[96]Jusqu'ici, dans mes motifs, j'ai essayé de suivre les directives de la Cour d'appel fédérale, et j'en suis arrivé à la conclusion que la province avait compétence pour édicter le régime provincial contenu à la partie 9 de la Forest Act et au Log Salvage Regulation et que ce régime s'appliquait donc aux 17 billots non marqués récupérés par la demanderesse en l'espèce.

[97]Cela ne revient pas à conclure que les 17 billots non marqués que la demanderesse a récupérés en l'espèce ne répondent pas à la définition élargie de « biens » que l'on trouve dans la Convention. À mon avis, il n'est pas nécessaire de tirer cette conclusion pour trancher la principale question en litige en l'espèce, en l'occurrence la constitutionnalité de la partie 9 de la Forest Act et du Log Salvage Regulation.

[98]Toutefois, la question de savoir si les 17 billots non marqués en cause en l'espèce répondent ou non à la définition de « biens » pouvant faire l'objet d'une « opération d'assistance » au sens de la Convention soulève à son tour la question du rapport entre les dispositions fédérales sur le sauvetage et le régime provincial et celle de savoir si les dispositions fédérales doivent être interprétées de façon atténuée ou restrictive parce qu'elles empiètent sur l'exercice valide que la province a fait de sa compétence ainsi que je l'ai déjà conclu. La province a directement soulevé cette question devant la Cour. Si les 17 billots non marqués ne répondent pas aux définitions de « biens » et d'« opérations d'assistance » de la Convention, il me semble alors qu'il n'y a, au vu des faits de l'espèce, aucun conflit et qu'il n'est pas nécessaire de recourir à une interprétation restrictive. Ainsi, pour déterminer s'il y a lieu de recourir à une interprétation restrictive, il est nécessaire d'examiner jusqu'à un certain point les définitions contenues dans la Convention pour vérifier si les billots en litige dans le cas qui nous occupe peuvent logiquement être assimilés à des « biens » au sens de la Convention.

Les définitions de la Convention

[99]On trouve les définitions clés suivantes à l'article premier du chapitre premier de la Convention :

a) « Opération d'assistance » signifie tout acte ou activité entrepris pour assister un navire ou tout autre bien en danger dans des eaux navigables ou dans n'importe quelles autres eaux.

b) « Navire » signifie tout bâtiment de mer, bateau ou engin, ou toute structure capable de naviguer.

c) « Bien » signifie tout bien qui n'est pas attaché de façon permanente et intentionnelle au littoral et comprend le fret en risque.

[100]Un des arguments que la demanderesse tire des faits de l'espèce est le fait que les billots qui s'échappent des estacades formées sur le fleuve Fraser peuvent être considérés comme faisant partie de la cargaison d'un navire. Évidemment, si tel était le cas, il s'ensuivrait peut-être que les billots pourraient être considérés comme des biens sauvés au sens traditionnel du mot.

[101]La demanderesse soutient qu'une estacade est un navire parce qu'elle est conçue pour le transport et le confinement de biens sur l'eau et qu'elle est capable de naviguer.

[102]Qu'une estacade puisse ou non être considérée comme un navire au sens de la Convention n'aide pas, selon moi, la cause de la demanderesse. Mme Weishuhn était de toute évidence incapable de préciser l'origine des 17 billots non marqués en question. Ils provenaient peut-être d'une estacade ou d'un navire, au sens traditionnel du terme, mais il se peut également qu'ils proviennent d'une autre source (par ex., d'une source terrestre) qui ne répondrait de toute évidence pas à la définition de navire au sens notamment de la Convention.

[103]La Cour ne dispose donc d'aucun élément de preuve qui appuie la thèse que l'un ou l'autre des 17 billots non marqués provenait d'un navire et ce, même en assimilant une estacade à un navire. Dans ces conditions, la question qui se pose est celle de savoir si les billots peuvent être considérés comme des « biens » au sens de l'alinéa c) de l'article premier de la Convention.

[104]Dans les motifs qu'il a exposés pour rejeter la requête en jugement sommaire de la province, le juge Hugessen s'est clairement dit d'avis que les billots répondaient effectivement à la définition élargie du mot « bien » que l'on trouve dans la Convention. Tout comme dans le procès que j'ai présidé, la province s'est opposée devant le juge Hugessen à toute définition élargie des « biens récupérés » qui engloberait les billots en question, et elle a cité des décisions anglaises classiques à l'appui de sa thèse. Voici comment le juge Hugessen a tranché les arguments de la province, aux paragraphes 5 et 6 :

La défenderesse m'a cité trois arrêts anglais des dix-huitième et dix-neuvième siècles, soit Nicholson v. Chapman (1793), 2 H. Bl. 254, à la page 257; 126 E.R. 536, à la page 537; Raft of Timber (1844), 2 W. Rob. 251; 166 E.R. 749; et Gas Float Whitton No. 2 (The), [1896] P. 42 (C.A.), conf. par sub nom. Wells v. Gas Float Whitton No. 2 (Owners of). The Gas Float Whitton No. 2, [1897] A.C. 337 (H.L.). Il a été conclu dans ces arrêts que les radeaux et les estacades ne pouvaient pas faire l'objet d'une demande de rémunération de sauvetage, laquelle visait uniquement les navires et leur cargaison selon la Cour de l'amirauté de l'Angleterre. Je suis d'avis que si ces arrêts ont déjà fait partie du droit canadien, ils en sont maintenant écartés sans équivoque par la Convention, et le législateur a clairement légiféré de manière à ce que la notion de sauvetage maritime du droit du sauvetage vise les « biens » comme les billots et les estacades. On n'a pas prétendu que cette législation constituait un excès de compétence.

La demanderesse a affirmé, avec preuves à l'appui, que les billots qu'elle a récupérés étaient en danger. À ce stade-ci, cette affirmation suffit pour permettre à l'affaire d'être jugée par la Cour. Il se peut évidemment que les billots en cause en l'espèce auraient pu faire l'objet d'une demande de rémunération de sauvetage au sens traditionnel du terme. Ces billots ont apparemment été trouvés en train de flotter dans le canal de navigation du fleuve et ne portaient aucun signe d'identification. Ils doivent donc avoir fait partie de la cargaison d'un chaland de billots, ce qui les auraient naturellement assujettis à la conception traditionnelle du sauvetage, bien qu'il me faille concéder qu'à toutes fins pratiques, il est plus probable qu'ils aient échappé à l'estacade ou qu'ils soient arrivés sur la rivière en flottant librement. Il n'y a pas lieu que je me prononce sur cette question (quoique je souligne que cela met en évidence la nature artificielle de la distinction traditionnelle entre la cargaison et les autres biens récupérés).

[105]Coast et Timber Marketing appuient l'argument de la province suivant lequel la récupération de billots n'était traditionnellement pas considérée comme du sauvetage et ils rappellent que [traduction] « entre 1858 et 1993, nul n'a jamais prétendu au Royaume-Uni ou au Canada que la récupération de billots constituait du sauvetage au sens où ce terme est employé en droit maritime ».

[106]C'est en 1993 que le Canada a adopté la Convention et sa définition élargie du mot « bien ». Coast et Timber Marketing affirment toutefois que, si on l'applique littéralement, la définition « tout bien qui n'est pas attaché de façon permanente et intentionnelle au littoral », engloberait par exemple une voiture qui se retrouve dans un lac ou une rivière ou encore une montre échappée dans un ruisseau. La question ne se poserait peut-être pas dans un État unitaire, mais elle se pose dans un régime fédéral où l'on pourrait concevoir qu'une définition générale du mot « bien » pourrait faire en sorte que la Convention soit soustraite à la compétence législative.

[107]Bien que le juge Hugessen ait écarté certaines des réserves exprimées par le lord juge Kerr dans son article sur la Convention [« The International Convention on Salvage 1989--How it Came to Be » (1990), 39 I.C.LQ. 530] : pour adopter une conception large de la définition du mot « biens » qui comprendrait les « billots et les estacades », comme le dossier intégral de la présente affaire le démontre, le problème n'est pas réglé pour autant.

[108]Comme le lord juge Kerr l'a fait remarquer dans l'article susmentionné, les termes et les définitions de la Convention ont fait l'objet, pendant sa rédaction, de négociations dans le cadre desquelles les parties ont proposé de nombreuses modifications, dont certaines portaient sur des conceptions controversées de la notion de « biens ». La Convention comporte par conséquent des ambiguïtés qui se prêtent inévitablement à des différends -- comme ceux dont je suis saisi en l'espèce -- au sujet de sa portée et de son application.

[109]Il n'appartient pas à la Cour, dans le cadre de la présente action, de chercher à approfondir le sens et la portée du mot « bien » tel qu'il est défini dans la Convention. La Cour s'intéresse spécifiquement à 17 billots non marqués dont on ne peut déterminer la provenance ou le propriétaire.

[110]La question à laquelle la Cour doit répondre est celle de savoir si les 17 billots non marqués que Mme Weishuhn a trouvés flottant à la dérive dans le fleuve Fraser et dont on ne peut identifier ni la provenance ni le propriétaire peuvent être considérés comme des « biens » au sens de la Convention.

[111]Comme on peut le comprendre, je ne dispose d'aucun élément de preuve tendant à démontrer que les rédacteurs de la Convention et/ou les parties qui y ont adhéré se sont interrogés sur le statut des billots non marqués. La situation doit varier considérablement d'un pays à l'autre. Ainsi que le juge Hugessen le souligne, le « commerce de billots flottants » revêt une importance particulière au Canada. C'est la raison pour laquelle il favorisait une définition large du mot « bien » dans la Convention.

[112]Au Royaume-Uni et au Canada, le concept traditionnel de sauvetage en droit repose sur le montant payé par le « propriétaire » du navire ou de la cargaison pour les services rendus pour récupérer ce navire ou cette cargaison. C'est la raison pour laquelle il n'y a pas de difficulté conceptuelle à inclure dans la définition traditionnelle du sauvetage les billots et les estacades qui proviennent d'un navire. Mais le problème qui se pose en l'espèce est le fait qu'on ne sait pas si cette définition peut englober aussi les billots flottants dont on ne peut identifier ni la provenance ni la propriétaire.

[113]La demanderesse est très consciente de ce problème et elle affirme énergiquement que la province a un droit de propriété sur les 17 billots non marqués en question dans la présente affaire et qu'elle peut s'en servir pour justifier une demande de récupération en vertu des règles de droit traditionnelles du sauvetage et pour réclamer une rémunération de sauvetage. La qualification juridique n'est pas tout à fait claire, mais il ressort de la loi et la preuve présentée en l'espèce que la province est en mesure de faire valoir une sorte de privilège sur les billots non marqués récupérés dans les eaux intérieures et contiguës de la Colombie- Britannique jusqu'à ce que les frais prescrits par le règlement aient été acquittés.

[114]La Convention elle-même parle de « propriété » sans toutefois préciser quel degré de propriété est suffisant. Ainsi, l'article 8 énumère les obligations auxquelles l'assistant est tenu envers « le propriétaire du navire ou des autres biens en danger », ce qui confirme qu'il est nécessaire de pouvoir identifier le propriétaire, que les biens en cause soient ou non de la cargaison. Le paragraphe 2 de l'article 8 prévoit des obligations réciproques pour « [l]e capitaine et le propriétaire du navire ou le propriétaire des autres biens en danger ». L'article 13, qui énumère les critères d'évaluation de la rémunération, précise, à son paragraphe 2 que « [l]e paiement d'une rémunération fixée conformément au paragraphe 1 doit être effectué par toutes les parties intéressées au navire et aux autres biens sauvés en proportion de leur valeur respective », ce qui permet de penser que le sauvetage, selon la définition que la Convention en donne, se rattache à des droits de propriété identifiables. Il ressort également de l'article 19 que les « autres biens » visés par la Convention sont des biens dont il faut aussi pouvoir identifier le propriétaire.

Article 19

Défense d'effectuer des opérations d'assistance

Des services rendus malgré la défense expresse et raisonnable du propriétaire ou du capitaine du navire ou du propriétaire de tout autre bien en danger qui n'est pas et n'a pas été à bord du navire ne donne pas droit à paiement en vertu de la présente Convention.

[115]J'en conclus que le sauvetage prévu par la Convention vise notamment tout bien « qui n'est pas et n'a pas été à bord du navire », mais que ce bien doit quand même être identifié par son propriétaire. Mais la province possède-t-elle un titre de propriété suffisant? Et, si la province se voit attribuer un titre de propriété suffisant pour donner ouverture à une réclamation pour sauvetage en vertu de la Convention, il semble que rien n'empêcherait la province de formuler une défense expresse et raisonnable en ce qui concerne les billots flottants dans la zone de récupération de billots de Vancouver. Il se peut même, évidemment, que la Forest Act et le Log Salvage Regulation soient eux-mêmes une défense expresse et raisonnable.

[116]Sur cette question, le juge Hugessen a estimé qu'il ne pouvait y avoir eu d'intention implicite de soustraire les objets comme les billots et les estacades de la définition du mot « bien » dans la Convention. Cette conclusion semblerait s'accorder avec l'opinion des auteurs de Kennedy and Rose, The Law of Salvage, 6e éd. Londres, Sweet & Maxwell, 2002, qui expliquent, au paragraphe 164 de leur ouvrage, que la définition du mot « bien » dans la Convention se veut exhaustive et que [traduction] « il suffit qu'un sujet pouvant se rattacher au sauvetage relève du principe général [. . .] et il n'est pas nécessaire qu'il corresponde parfaitement à une catégorie déjà définie ». La Cour d'appel fédérale n'a rien trouvé à redire à la conclusion du juge Hugessen suivant laquelle les rédacteurs de la Convention n'avaient pas l'intention d'imposer de restriction quant à la nature des biens. La Cour s'est contentée de souligner que la question constitutionnelle était liée aux « bâtiments et navires » et non à un concept élargi du sauvetage que le législateur fédéral aurait retenu en incorporant dans le droit interne canadien la définition que la Convention donne du mot « bien ». Je ne vois donc aucune raison de conclure que les 17 billots non marqués qui font l'objet du présent différend ne peuvent constituer des « biens » au sens de la définition élargie de la Convention. Il peut certes être difficile d'identifier leur « propriétaire » en vue du paiement mais, en théorie du moins, ils répondent à la définition du mot « bien » que l'on trouve dans la Convention.

Droit à une rémunération

[117]Pour des motifs se rapportant à la question du droit de propriété, les faits dont je dispose ne permettent pas de savoir avec certitude si la demanderesse peut établir son droit à une rémunération en vertu de la Convention relativement à l'un quelconque des 17 billots non marqués en question.

[118]La demanderesse fonde son droit à une rémunération sur les articles 12 et 13 du chapitre III de la Convention, dont voici le libellé :

Article 12

Conditions ouvrant droit à une rémunération

1 Les opérations d'assistance qui ont eu un résultat utile donnent droit à une rémunération.

2 Sauf disposition contraire, aucun paiement n'est dû en vertu de la présente Convention si les opérations d'assistance n'ont pas eu de résultat utile.

3 Les dispositions du présent chapitre s'appliquent même si le navire assisté et le navire assistant appartiennent au même propriétaire.

Article 13

Critères d'évaluation de la rémunération

1 La rémunération est fixée en vue d'encourager les opérations d'assistance compte tenu des critères suivants, sans égard à l'ordre dans lequel ils sont présentés ci-dessous :

a) la valeur du navire et des autres biens sauvés;

b) l'habileté et les efforts des assistants pour prévenir ou limiter les dommages à l'environnement;

c) l'étendue du succès obtenu par l'assistant;

d) la nature et l'importance du danger;

e) l'habileté et les efforts des assistants pour sauver le navire, les autres biens et les vies humaines;

f) le temps passé, les dépenses effectuées et les pertes subies par les assistants;

g) le risque de responsabilité et les autres risques courus par les assistants ou leur matériel;

h) la promptitude des services rendus;

i) la disponibilité et l'usage de navires ou d'autres matériels destinés aux opérations d'assistance;

j) l'état de préparation ainsi que l'efficacité et la valeur du matériel de l'assistant.

2 Le paiement d'une rémunération fixée conformément au paragraphe 1 doit être effectué par toutes les parties intéressées au navire et aux autres biens sauvés en proportion de leur valeur respective. Toutefois, un État Partie peut prévoir, dans sa législation nationale, que le paiement d'une rémunération doit être effectué par l'une des parties intéressées, étant entendu que cette partie a un droit de recours contre les autres parties pour leur part respective. Aucune disposition du présent article ne porte préjudice à l'exercice de tout droit de défense.

3 Les rémunérations, à l'exclusion de tous intérêts et frais juridiques récupérables qui peuvent être dus à cet égard, ne dépassent pas la valeur du navire et des autres biens sauvés.

[119]Au soutien de sa demande de jugement déclaratoire lui reconnaissant le droit à une rémunération en vertu du paragraphe 1 de l'article 13 de la Convention, la demanderesse affirme que la province est propriétaire des billots et que c'est donc elle qui est responsable de ce paiement.

[120]L'obligation de verser une rémunération à un assistant conformément à la Convention est définie au paragraphe 2 de l'article 13 qui dispose : « Le paiement d'une rémunération fixée conformément au paragraphe 1 doit être effectué par toutes les parties intéressées au navire et aux autres biens sauvés en proportion de leur valeur respective. »

[121]En l'espèce, il n'y a pas de navire, de sorte qu'avant qu'un paiement puisse être fait, il faut identifier « les parties intéressées » aux billots en question. La preuve soumise à la Cour n'est pas concluante en ce qui a trait aux parties intéressées en l'espèce. Ainsi, on a laissé entendre que la propriété des billots est dévolue à un ou à plusieurs membres de Coast et/ou de Timber Marketing, mais que les billots ont été récupérés par Mme Weishuhn individuellement et qu'il n'est pas possible d'attribuer la propriété ou un titre de propriété d'un billot déterminé à un membre précis de Coast ou de Timber Marketing.

[122]Pour surmonter ce problème, la demanderesse affirme que la province possède un titre de propriété suffisant sur les billots en question pour la rendre responsable du paiement de la rémunération prévue au paragraphe 1 de l'article 13 de la Convention. Mais le paragraphe 2 de l'article 13 suggère une sorte de paiement proportionnel calculé en fonction des titres de propriété en cause.

[123]Un facteur quelque peu révélateur dans le présent litige est le fait que Mme Weishuhn a récupéré en tout, pour le compte de la demanderesse, 65 billots flottants dans le fleuve Fraser entre le 13 et le 19 janvier 1999. Sur ces 65 billots, 17 qui ne portaient aucune marque de bois visible ont été retenus. Certains des 48 autres billots portaient des marques de bois identifiables, de sorte qu'on pouvait en retracer le propriétaire. Pourtant, la demanderesse a livré la totalité de ces 48 billots à Gulf Log, qui dirige le poste de réception prévu par le système provincial, et la demanderesse a accepté le paiement que Gulf Log lui a fait conformément au système provincial. Pourquoi devrait-il donc exister un système fédéral distinct pour les billots non marqués?

[124]La demanderesse affirme qu'elle a réclamé une rémunération de sauvetage à la province pour les 17 billots non marqués [traduction] « au motif que la Couronne se prétend propriétaire des billots non marqués sous la laisse des hautes eaux dans les limites de la zone de récupération de billots de Vancouver ». La demanderesse ajoute :

[traduction] Shirley Weishuhn a sauvé des biens de valeur qui risquaient d'être endommagés ou perdus. Ces biens avaient été perdus dans les eaux navigables au cours de leur transport sur le fleuve ou de leur entreposage avant ou après leur transport. Mme Weishuhn a offert de rendre ces biens à la personne qui ferait valoir le meilleur titre de propriété sur les billots en question. Ce faisant, elle a fourni un avantage en restituant des biens valables, en supprimant un danger pour la navigation et en éliminant un risque environnemental pour d'importants marais déjà menacés de l'estuaire du fleuve Fraser. [Non souligné dans l'original.]

[125]La demanderesse invoque l'arrêt Five Steel Barges (1890), 15 P.D. 142 à l'appui de son argument au sujet du titre de propriété de la province sur les 17 billots, mais je trouve peu d'éléments utiles ou analogues entre cette affaire (dans laquelle il semble que les défendeurs avaient eu la possession des chalands et un intérêt en equity total sur les chalands en question) et la présente espèce, dans laquelle le droit que possède la province en vertu de la Forest Act, R.S.B.C. 1996, ch. 157, semble n'être rien de plus qu'un privilège sur le paiement des droits de coupe [art. 130 (mod. par S.B.C. 1999, ch. 34, art. 12; 2003, ch. 56, art. 12)] :

[traduction]

130 (1)     L'argent qui doit être payé au gouvernement dans les circonstances énumérées au paragraphe (1.1)

a)     est dû et exigible à la date précisée dans le relevé ou l'avis signifié à la personne tenue de le payer;

b)     porte intérêt au taux prescrit et, dans le cas de l'argent dû en vertu de l'article 108, cet intérêt court à compter de la date fixée par le directeur régional comme date à laquelle les droits de coupe ou les redevances auraient été exigibles si le bois visé à l'article 108 avait été cubé correctement en conformité avec la partie 6;

c)     peut être recouvré en justice en tant que créance du gouvernement;

d)     constitue, en faveur du gouvernement :

(i)     un privilège sur du bois d'oeuvre, du bois de sciage, du bois de placage, du contreplaqué, de la pâte, du papier journal, des produits forestiers spéciaux et des déchets de bois appartenant au débiteur de l'argent;

(ii)    un privilège sur les biens personnels ou sur les intérêts sur ceux-ci, autres que les biens personnels énumérés à l'alinéa (i) et qui appartiennent au débiteur de l'argent.

(1.1)     Les circonstances mentionnées au paragraphe (1) sont celles dans lesquelles de l'argent doit être payé :

a)     aux termes de la présente loi, de l'ancienne loi, de la Range Act, de la Forest and Range Practices Act et de tout règlement pris en application de ces lois;

b)     aux termes d'un accord conclu en vertu de la présente loi, de l'ancienne loi ou de la Range Act;

c)     aux termes d'un permis délivré en application de la Forest and Range Practices Act ou de tout règlement pris en application de cette loi;

d)     pour des biens, des services ou les deux fournis par le Ministère.

(2)     Le privilège prévu au sous-alinéa (1)d)(i) a priorité sur toute autre créance et le privilège prévu au sous-alinéa (1)d)(ii) a priorité sur toutes les créances autres que celles qui sont garanties par des privilèges, charges et sûretés enregistrés sur les biens personnels avant que l'argent ne devienne dû et exigible.

(3)     Le privilège constitué conformément au paragraphe (1) n'est pas perdu ou compromis du seul fait que :

a)     des procédures en vue de recouvrer l'argent sont entamées ou non;

b)     un paiement partiel de l'argent dû est offert ou est accepté;

c)     le privilège n'est pas enregistré.

(4)     En cas de défaut de paiement de la totalité ou d'une partie de l'argent dû et exigible, le ministre peut établir et déposer auprès du tribunal compétent un certificat indiquant :

a)    le solde impayé, y compris les intérêts;

b)     le nom du débiteur.

(5)     Le certificat déposé conformément au paragraphe (4) a la même valeur qu'une ordonnance du tribunal pour le recouvrement d'une créance d'un montant correspondant à celui qui est précisé dans le certificat contre la personne qui y est nommée et toute procédure peut être engagée comme s'il s'agissait d'une ordonnance du tribunal.

[126]La demanderesse n'a soumis à la Cour aucune décision concluante qui montrerait l'intention des rédacteurs de la Convention d'inclure un privilège de ce genre qui rendrait la province responsable du paiement de l'indemnité de sauvetage conformément à la Convention. Et, évidemment, le fait d'invoquer ce privilège pour fonder un droit de propriété en vertu de la Convention pose un problème sur le plan théorique car, du point de vue de la demanderesse, ce privilège n'existe, pour ce qui est du moins des paiements prévus par le Log Salvage Regulation, que si la partie 9 de la Forest Act est considérée comme une loi provinciale valide. Et c'est la raison pour laquelle la demanderesse tente d'attribuer à la province un titre de propriété qui ne provient pas des dispositions contestées de la loi ou de son règlement d'application.

[127]Partout dans ses observations écrites, la demanderesse avance diverses assertions pour tenter d'attribuer à la province un titre de propriété sur les billots non marqués :

[traduction]

a.     72.     Le règlement ne précise pas qui est propriétaire des billots non marqués. Ce droit de propriété provient de la revendication, par la Couronne, d'un droit de propriété prima facie sur tous les billots non marqués. Cette assertion se justifie par le titre sous-jacent de la Couronne sur le bois sur pied et non par la partie 9 de la Forest Act ou son règlement d'application.

b.     144.     Dans son exposé introductif, la province revendique la propriété des billots non marqués du fleuve Fraser.

c.     Paragraphe 13(2) - Titre de propriété de la province

179.     La demanderesse affirme que la condition à remplir pour que s'appliquent les règles d'equity régissant le sauvetage est la réception d'un avantage en contrepartie de la restitution des biens. La demanderesse affirme que la province revendique un droit de propriété et un avantage pour des « billots flottants » qui sont à la dérive sur le fleuve Fraser et qui « ne sont pas identifiables » et qu'elle a un titre de propriété sur ces billots.

180.     Dans son exposé introductif, la Couronne admet qu'elle revendique la propriété de tous les billots non marqués trouvés dans l'eau. Selon M. Walders, les droits de propriété sur le bois sur pied se trouvant sur des terres domaniales sont dévolus à la Couronne. La Couronne transmet son droit de propriété une fois que les droits de coupe ont été acquittés. La Couronne revendique la propriété au motif qu'on ne sait pas avec certitude si des droits de coupe ont été payés en ce qui concerne le bois récupéré qui n'est pas identifiable. La revendication de propriété de la Couronne ne dépend pas des dispositions provinciales sur le sauvetage maritime du bois.

181.     La demanderesse n'est pas d'accord avec les défenderesses CFPA et ITMA pour dire que l'intérêt de la Couronne se limite à 0,70 le mètre cube. Ainsi que M. Walders l'a expliqué, la Couronne pourrait réclamer tout montant de droits de coupe qu'elle désire pour un billot, mais elle a choisi en principe de demander 0,7 le mètre cube.

182.     La demanderesse affirme que la revendication de propriété de la province est suffisante pour répondre aux conditions de propriété de la Convention.

[128]En revanche, la province affirme que [traduction] « il n'y a pas suffisamment d'éléments de preuve pour pouvoir conclure que la province défenderesse est propriétaire des 17 billots non marqués ».

[129]Au paragraphe 5 de sa défense, la province affirme que le droit de propriété sur le bois de coupe comme les billots en litige en l'espèce est déterminé en conformité avec les dispositions du Log Salvage Regulation.

[130]La Cour a du mal à accepter cette affirmation. Suivant mon interprétation du Log Salvage Regulation --et notamment de ses articles 5 et 6--, ce règlement porte uniquement sur les droits de propriété sur les « billots identifiables », que le Log Salvage Regulation définit [au paragraphe 1(1)] comme suit :

[traduction]

Billot récupéré qui, selon le cas :

a)     porte une marque de bois ou un signe d'identification maritime;

b)     est récupéré d'une estacade, d'une section, d'un assemblage ou d'un regroupement qui remplit l'une ou l'autre des conditions suivantes :

i)    il compte au moins un billot portant une marque de bois ou un signe d'identification maritime

ii)     il porte une étiquette de propriétaire.

[131]Autrement dit, en l'espèce, les billots ne sont pas des « billots identifiables » au sens du Log Salvage Regulation parce les indices de la propriété sont totalement absents. Comme la province le signale ailleurs dans sa plaidoirie, il n'y a aucun élément de preuve clair sur la provenance de ces billots et [traduction] « [l]es billots ne sont pas identifiables ».

[132]Le Log Salvage Regulation prévoit toutefois un système de récupération et de vente des billots non identifiables. Les dispositions clés se trouvent à l'article 11, qui porte sur le produit de la disposition des billots identifiables et des billots non identifiables.

[133]Le sort du produit de la disposition est différent selon que le billot est identifiable ou non :

[traduction]

11(1) Le titulaire de la licence conserve l'argent qu'il reçoit de la disposition de billots identifiables récupérés au cours d'une période comptable, après déduction des sommes suivantes :

a)     l'argent payé ou payable au cours de la période comptable par le titulaire de la licence au titulaire de permis relativement aux billots récupérés,

b)     les frais engagés au cours de la période comptable par le titulaire de la licence pour le cubage et pour les droits versés à la Couronne pour les billots récupérés, et

[. . .]

en fiducie au profit des anciens propriétaires des billots identifiables récupérés dont le titulaire de la licence a disposé au cours de la période comptable.

(2) Dans les 120 jours suivant toute période comptable, le titulaire de la licence paie, sur l'argent détenu en fiducie pour la période comptable de chacun des anciens propriétaires des billots identifiables récupérés dont le titulaire de la licence a disposé au cours de la période comptable, une somme égale au montant d'argent que le titulaire de la licence est tenu de conserver en fiducie relativement à la période comptable multipliée par le quotient obtenu en divisant :

a)     le volume de billots identifiables récupérés de l'ancien propriétaire dont le titulaire de la licence a disposé au cours de la période comptable

b)     par la quantité totale de billots récupérés identifiables dont le titulaire de la licence a disposé au cours de la période comptable.

(3) Le titulaire de la licence garde en réserve l'argent qu'il reçoit au cours d'une période comptable de la disposition des billots non identifiables récupérés, après déduction des sommes suivantes :

a)     l'argent payé ou payable au cours de la période comptable par le titulaire de la licence au titulaire de permis relativement aux billots récupérés;

b)     les frais engagés par le titulaire de la licence pour le cubage et les droits versés à la Couronne pour les billots récupérés;

c)     des frais raisonnables pour les coûts généraux et les autres dépenses d'exploitation courantes engagées par le titulaire de la licence pour les billots récupérés,

devant servir

d)     à lui procurer un fonds de roulement pour le fonctionnement de ses installations et des capitaux pour l'expansion de ses installations;

e)     au remplacement de ses immobilisations;

f)     sous la direction générale du sous-ministre des Forêts, au financement ou à l'aide au financement de programmes de récupération et de disposition de canards et de bois non marchand et pour l'élimination des débris de bois,

toutefois, si l'argent ainsi détenu par le titulaire de la licence excède celui qui est prévu par les présentes dispositions, le titulaire de la licence conserve cet argent en fiducie et le verse selon les mêmes modalités et dans les mêmes proportions aux mêmes personnes que l'argent qu'il a reçu au cours de cette période comptable relativement à la disposition des billots identifiables récupérés.

[134]Ce qui est révélateur, à mes yeux, pour ce qui est du paragraphe 11(3), c'est le fait que l'excédent ne sera pas versé à la province, mais qu'il est conservé en fiducie pour les propriétaires de billots identifiables récupérés et qu'il leur est versé de la manière prescrite. On peut en conclure que le Log Salvage Regulation reconnaît à tout le moins un droit résiduel à d'autres personnes que la province. En constituant en faveur des propriétaires de billots identifiables une fiducie portant sur le produit de la vente, le paragraphe 11(3) reconnaît que tout excédent provenant de la disposition de billots non identifiables n'est pas dévolu à la province.

[135]Je crois que les seules conclusions qu'on puisse tirer sur cette question sont que les droits de propriété sur les billots non identifiables récupérés dans le fleuve Fraser sont loin d'être clairs et que la Cour ne dispose d'aucun précédent déclarant carrément qu'aux termes de la Convention, la province possède sur les 17 billots non marqués un droit de propriété qui serait suffisant pour se voir attribuer la responsabilité de payer ou d'indemniser la demanderesse conformément à l'article 13 de la Convention en supposant que la Convention s'applique en l'espèce.

[136]Dans une lettre datée du 12 août 1996 écrite par M. Bill Howard, directeur du Revenu au ministère des Forêts de la Colombie-Britannique, en réponse à une lettre de M. Ben Parfitt, qui avait demandé des éclaircissements au sujet de la propriété des billots récupérés, M. Howard dit ce qui suit :

[traduction]

Je vous écris en réponse à votre lettre récente dans laquelle vous demandiez des éclaircissements au sujet de la propriété des billots récupérés.

Compte tenu des avis juridiques que j'ai reçus et de mon interprétation du Log Salvage Regulation pour la zone de récupération des billots de Vancouver, je vous informe de ce qui suit :

En ce qui concerne les billots flottants se trouvant à l'intérieur ou à l'extérieur de la zone et qui portent une marque de bois ou un signe d'identification maritime, en principe, le titulaire d'un signe d'identification maritime ou, s'il n'y a pas de signe, le titulaire de la marque de bois sur les billots est présumé être propriétaire des billots. Si une autre personne peut démontrer son droit de propriété en prouvant, par exemple, qu'elle a acheté les billots, elle est propriétaire des billots.

Sachez que, dans la zone, on peut considérer comme un billot identifiable un billot qui ne porte pas une marque de bois ou un signe d'identification maritime, si le billot est récupéré d'une estacade, d'une section, d'un assemblage ou d'un regroupement qui compte au moins un billot portant une marque de bois, un signe d'identification maritime ou une étiquette de propriétaire.

Pour les billots flottants ou échoués non identifiables se trouvant sur des terres domaniales dans la zone de Vancouver, la propriété des billots est réputée être dévolue à la Couronne. Les récupérateurs de billots n'ont aucun droit de propriété. Le règlement prévoit un délai de 30 jours durant lequel les récupérateurs de billots ont la possession légale des billots jusqu'à leur livraison à un poste de réception.

[137]Cette lettre a été soumise au procès à M. Bruce Walders par l'avocat de la demanderesse. M. Walders est l'inspecteur du sauvetage maritime et de l'exportation des billots pour la province. L'échange suivant a eu lieu au sujet de la question du droit de propriété :

[traduction]

Q.     Voici une lettre [parlant de l'onglet 77, pièce 2c)] dans laquelle, si j'ai bien compris, Bill Howard répond à une question de M. Parfitt au sujet de la propriété des billots, des billots flottants se trouvant dans la zone de récupération de billots de Vancouver. Êtes-vous d'accord pour dire qu'il s'agit là de la position actuelle du gouvernement provincial, en l'occurrence que la Couronne est propriétaire des billots flottants librement dans le fleuve Fraser?

R.     Ce que je crois comprendre de cette position, c'est que dans le cas des billots qui ne portent aucune marque visible et dont on ne peut identifier le propriétaire, comme la Couronne a des droits sur ce bois sous forme de droit de coupe, elle estime que le bois appartient à la Couronne, à moins que quelqu'un arrive à démontrer un degré de propriété supérieur, jusqu'à ce que le bois ait été cubé et que les sommes payables à la Couronne aient été payées.

[138]Dans ses observations écrites, la province expose ainsi sa thèse sur la question :

[traduction]

234.     Il est indubitable que la Couronne a un intérêt en equity sur les billots en cas de non-paiement des droits de coupe. Le repérage et le marquage des billots en vue de s'assurer du paiement des droits de coupe constituent des éléments essentiels du régime prévu par la Forestry Act [sic] pour assurer des revenus à la Couronne pour ses ressources forestières.

235.     Le fait que la Couronne revendique un intérêt en equity alors que les billots ne comportent aucune marque visible ne permet pas de trancher la question de savoir si la Couronne est ou non propriétaire pour l'application de la Convention de 1989.

[139]Je crois que la demanderesse a raison de dire que, dans le passé, la province a adopté le point de vue, pour citer M. Howard, que [traduction] « [p]our les billots flottants ou échoués non identifiables se trouvant sur des terres domaniales dans la zone de Vancouver, la propriété des billots est réputée être dévolue à la Couronne ». Mais cette assertion ne fait pas nécessairement autorité et il semble qu'elle a été faite dans un contexte dans lequel la province voulait bien faire comprendre que les « récupérateurs de billots n'ont aucun droit de propriété ». M. Walters explique que la province [traduction] « a des droits sur ce bois sous forme de droit de coupe » de sorte que la province estime que « le bois appartient à la Couronne, à moins que quelqu'un arrive à démontrer un degré de propriété supérieur ». Il ne dit rien de la question de savoir si les droits que possède en l'espèce la province sur les 17 billots non marqués suffisent pour lui donner le droit de toucher une indemnité de la Couronne en vertu de la Convention.

[140]Coast et Timber Marketing affirment que la province [traduction] « peut faire valoir des droits sur les billots non marqués récupérés dans les eaux intérieures et contiguës de la Colombie-Britannique jusqu'à ce que les frais prescrits par l'article 11 du Règlement aient été acquittés » :

[traduction] Nos clients sont propriétaires de la presque totalité des billots entreposés qui proviennent du fleuve Fraser [. . .] Il résulte du Règlement que, bien que le droit de propriété sur un quelconque billot non marqué ne puisse être démontré, la propriété résiduelle de ce billot appartient aux (membres de) la CFPA et de la ITMA conformément à l'article 11 du Règlement.

[141]Compte tenu des éléments de preuve présentés à la Cour sur cette question, j'en arrive aux conclusions suivantes :

a) La province a un privilège sur les billots non identifiables pour garantir le paiement des droits de coupe, et elle exerce ce privilège tant que le cubage des billots n'a pas eu lieu et que les sommes payables à la Couronne n'ont pas été payées;

b) Le Log Salvage Regulation semble reconnaître à d'autres personnes que la province une certaine propriété résiduelle dans les billots non marqués;

c) La preuve et la jurisprudence soumises à la Cour par la demanderesse ne permettent pas de savoir avec certitude si la province a un droit de propriété suffisant sur les 17 billots non marqués pour ouvrir droit à une réclamation fondée sur l'article 13 de la Convention.

[142]Je suis disposé à présumer que les 17 billots non marqués en question constituent des biens valables qui étaient en danger dans des eaux navigables.

Interprétation atténuée

[143]La province ne conteste pas la capacité du Canada de signer la Convention et de l'incorporer dans son droit interne par le biais de la Loi sur la marine marchande. Toutefois, dans la mesure où elle affirme que la Convention est inconstitutionnelle parce qu'elle excède la compétence législative du Parlement, c'est à la province qu'il incombe de faire la preuve de la constitutionnalité.

[144]La province explique qu'au-delà d'un lien superficiel entre la récupération de billots et le sauvetage de cargaison et de navires prévu par la Convention, ces deux domaines sont totalement distincts et que le sauvetage maritime de billots dans la zone de récupération de billots de Vancouver n'est pas une question qui a trait à la navigation et aux bâtiments et navires.

[145]La province reconnaît donc que la Convention, qui a été incorporée au droit interne canadien par la Loi sur la marine marchande, se rapporte essentiellement à la navigation et aux bâtiments et navires, du moins en ce qui concerne le sauvetage maritime général. La question qui se pose est celle de savoir, en supposant que l'on interprète la Convention comme englobant le sauvetage maritime de billots dans la zone de récupération de billots de Vancouver, si les dispositions relatives à la récupération de billots empiètent sur le contenu essentiel irréductible de la compétence législative de la province.

[146]Il ne faut pas perdre de vue que les conclusions tirées par la Cour en l'espèce se rapportaient aux faits précis suivant lesquels les billots en question sont des billots non marqués et que les opérations de récupération en question sont effectuées exclusivement dans la zone de récupération de billots de Vancouver. Rien ne permet de penser que les billots constituent une cargaison au sens traditionnel, et les droits de propriété ne peuvent être déterminés avec précision. Toutefois, à l'instar du juge Hugessen, je ne vois aucune raison pour laquelle les billots (et même les billots non marqués) et les estacades ne répondraient pas à la définition élargie que la Convention donne du mot « bien » et ce, même si on ne sait pas avec certitude en l'espèce qui a le droit d'être payé en vertu de la Convention.

[147]La province demande à la Cour de donner une interprétation atténuée de la Convention de manière à ce que celle-ci ne s'applique qu'au « sauvetage maritime » au sens où l'a expliqué le capitaine Rose dans son témoignage, et non à la récupération de billots. Pour les motifs qu'elle a exposés, il est impossible à la Cour de dire que la définition que la Convention donne du mot « bien » ne s'applique pas aux billots ou même aux billots non marqués. Il s'ensuit que, pour rester cohérente avec sa conclusion que la partie 9 de la Forest Act et le Log Salvage Regulation relèvent de la compétence de la province, la Cour doit conclure que, dans la mesure où elles ont pour objet de réglementer la récupération, la vente et la distribution du produit de la vente de billots flottants non marqués récupérés dans la zone de récupération de billots de Vancouver, la Loi sur la marine marchande et la Convention ne constituent pas des textes de loi valides portant sur la navigation et les bâtiments et navires et que le législateur fédéral n'avait donc pas compétence pour les adopter, puisqu'elles empiètent sur le contenu essentiel irréductible de la compétence législative que les paragraphes 92(5), 92(10), 92(13) et 92(16) de la Loi constitutionnelle de 1867 confèrent à la province.

DISPOSITIF

[148]Pour les motifs que j'ai exposés, je suis d'avis qu'il y a lieu de refuser de prononcer le jugement déclaratoire sollicité par la demanderesse au motif que la partie 9 de la Forest Act et le Log Salvage Regulation sont des textes législatifs provinciaux valides qui relèvent de la compétence de la province de la Colombie-Britannique et que certains de leurs aspects peuvent être rattachés à la propriété et aux droits civils (paragraphe 92(13)), à l'administration et à la vente du bois (paragraphe 92(5)), aux travaux et entreprises d'une nature locale (paragraphe 92(10)) et à des matières d'une nature purement locale ou privée dans la province (paragraphe 92(16)).

[149]La Cour estime par ailleurs que, dans la mesure où elles ont pour objet de réglementer la récupération, la vente et la distribution du produit de la vente de billots flottants non marqués récupérés dans la zone de récupération de billots de Vancouver, la Loi sur la marine marchande et la Convention ne constituent pas des textes de loi valides portant sur la navigation et les bâtiments et navires et que le législateur fédéral n'avait donc pas compétence pour les adopter.

[150]Les défendeurs (autres que la province) et la demanderesse sont libres de s'adresser à la Cour au sujet des dépens pour le cas où ils n'arriveraient pas à s'entendre sur cette question.

[151]Je tiens à remercier et à féliciter tous les avocats pour la façon don't ils ont organisé et présenté le présent litige au procès.                

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