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T‑588‑04

2006 CF 213

Marcel Luke Hertlein Balfour (demandeur)

c.

Le chef et le conseil de la Nation des Cris de Norway House et Ron Evans, Eric Apetagon, Eliza Clarke, Fred Muskego, Mike Muswagon et Langford Saunders (défendeurs)

Répertorié : Balfour c. Nation des Cris de Norway House (C.F.)

Cour fédérale, juge Blais—Winnipeg, 13 décembre 2005 et 17 janvier 2006; Ottawa, 16 février 2006.

Peuples autochtones — Administration des bandes — Le demandeur, un conseiller élu de la Nation des Cris de Norway House, a présenté une demande de bref de quo warranto après que le conseil de bande eut déposé, à l’instigation d’un sous‑groupe de conseillers, une résolution à la Cour du Banc de la Reine du Manitoba comme preuve d’une décision officielle du conseil même si celui‑ci ne l’avait pas encore ratifiée — Demande accueillie en partie — Bien qu’il ne convienne pas de décerner le bref de quo warranto, le sous‑groupe de conseillers n’était pas autorisé à prendre des décisions en secret et à les faire ratifier à des réunions ultérieures du conseil de bande — Résolution annulée —  De même, le demandeur tentait d’obtenir le contrôle judiciaire d’autres mesures prises par le chef et le sous‑groupe de conseillers, notamment le retrait de ses portefeuilles, pour avoir critiqué le chef et le conseil de bande et la réduction de ses honoraires après l’introduction de la demande de bref de quo warranto —  Ces mesures allaient à l’encontre de l’équité procédurale —  Les décisions visant le demandeur ont été annulées.

Compétence de la Cour fédérale — Contrôle judiciaire des mesures prises par le chef et le sous‑groupe de conseillers de la Nation des Cris de Norway House (NCNH) —  La demande n’allait pas à l’encontre de la règle 302 des Règles des Cours fédérales —  Le conseil de bande indienne est un « office fédéral » au sens de l’art. 18 de la Loi sur les Cours fédérales —  La Cour est la tribune appropriée devant laquelle les décisions de la NCNH peuvent être contestées.

Droit administratif — Contrôle judiciaire — Recours — Quo warranto — Le demandeur a présenté une demande de bref de quo warranto contre le  chef et les conseillers de la Nation des Cris de Norway House (NCNH) au motif qu’ils n’ont pas assisté à trois réunions consécutives du conseil dûment convoquées — Ils n’y ont pas assisté parce que les réunions ont été annulées — Ces réunions n’étaient pas dûment constituées — Il ne convenait pas de décerner un bref de quo warranto.

Droit administratif — Contrôle judiciaire — Motifs —  Contrôle judiciaire de décisions prises par des défendeurs particuliers qui prétendaient agir pour le compte du conseil de bande de la Nation des Cris de Norway House, un défendeur —  La résolution du conseil de bande visant l’introduction d’une action a été décidée à l’avance par le sous‑groupe de conseillers et elle était donc nulle parce que le conseil de bande n’a pas eu la possibilité de la débattre, d’en discuter et d’en prendre connaissance — La réduction des honoraires de conseiller du demandeur et le retrait de ses portefeuilles allaient à l’encontre de l’équité procédurale puisque ces mesures ont été prises de mauvaise foi, les conseillers ne lui ayant pas donné la possibilité d’y répondre et ne lui ayant pas fourni de motifs valables justifiant cette décision.

Il s’agissait d’une demande, entre autres, de bref de quo warranto déposée par le demandeur, un conseiller élu de la Nation des Cris de Norway House (NCNH), après que trois membres du conseil de bande eurent  formé un sous‑groupe qui fonctionnait séparément du reste du conseil de bande et qui ne suivait pas les règles énoncées dans le NHCN Policy and Procedural Guidelines Manual (Manuel des lignes directrices sur la politique et les procédures de la NCNH) (les lignes directrices). Ce sous‑groupe a signé une résolution (N.H./2003‑04 no 128) enjoignant à son avocat d’intenter une action pour fausse déclaration et a fait en sorte que le conseil de bande de la NCNH présente cette résolution à la Cour du Banc de la Reine du Manitoba bien que le conseil de bande ne l’eût pas encore ratifiée à une réunion extraordinaire dûment convoquée du conseil.

Après l’introduction de la présente demande, les honoraires de  conseiller du demandeur ont été retenus, puis ramenés de 60 000 $ à quelque 5 000 $ par année. Le demandeur s’est fait dire en toutes lettres que cette réductions aurait pu être annulée s’il avait simplement voulu respecter les désirs du chef plutôt que de critiquer ouvertement les mesures du conseil de bande.

Le demandeur tentait aussi d’obtenir le contrôle judiciaire d’autres mesures et décisions prises par la totalité ou une partie des défendeurs, dont le retrait de ses portefeuilles et la réduction de ses honoraires parce qu’il aurait cherché à discréditer les efforts déployés par le chef et le conseil de bande. En outre, un contrat d’une durée de quatre ans que certains conseillers défendeurs et le chef ont accordé à un conseiller défait pour tenter de contourner les résultats d’une élection constitue un autre exemple de situations où les défendeurs n’ont pas respecté le concept de la démocratie représentative.

Jugement : la demande est accueillie en partie.

L’avis de demande du demandeur et la réparation sollicitée n’allaient pas à l’encontre de la règle 302 des Règles des Cours fédérales puisqu’un protonotaire avait déjà ordonné que l’affaire se poursuive, bien que le contrôle judiciaire ait été demandé à l’encontre de plus d’une décision du conseil de bande de la NCNH. Pour ce qui est de la compétence de la Cour en l’espèce, un conseil de bande indienne constitue un « office fédéral » au sens de l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales. Ainsi, il convenait de contester les décisions de la NCNH devant la Cour fédérale et non pas devant le ministre.

Il est possible de demander un bref de quo warranto lorsque le poste d’un représentant élu est libéré et que le représentant continue à exercer ses fonctions contrairement à la loi. L’alinéa 9.1e) de la loi sur les procédures électorales de la NCNH est libellé de la façon suivante : « [l]e poste de chef ou de conseiller est libéré lorsque la personne qui l’occupe : est absente à trois (3) réunions consécutives du conseil sans que son absence ait été excusée ». En l’espèce, seulement 16 des 56 réunions fixées de façon officielle ont effectivement été tenues de la manière prescrite par les lignes directrices. Cependant, cela ne signifie pas que les conseillers avaient libéré leur poste. Pour qu’une réunion soit dûment constituée, elle doit effectivement être tenue en présence d’un quorum des membres du conseil. Les conseillers ne pouvaient pas libérer leur poste en n’assistant pas à des réunions qui n’ont pas eu lieu parce qu’il ne s’agissait pas de réunions dûment constituées. Il ne convenait pas de décerner un bref de quo warranto. Cependant, il existait des vices de procédure importants quant à la façon dont les réunions du conseil de bande ont été annulées.

Il est permis qu’un sous‑groupe de conseillers se rencontre en dehors du contexte formel des réunions du conseil pour discuter de questions concernant la bande. Il n’est pas permis que le sous‑groupe de conseillers de la bande prenne des décisions en secret et fasse subséquemment ratifier ces décisions à des réunions ultérieures du conseil sans tenir compte des lignes directrices de celui‑ci ou des dispositions de la Loi sur les Indiens. Les résolutions ne peuvent être le produit de décisions prises à l’avance. Elles doivent être débattues et adoptées conformément aux lignes directrices de la bande ainsi qu’aux principes de la démocratie. Le processus de ratification des résolutions du conseil de la bande était foncièrement partial. La résolution N.H./2003‑04 no 128 n’aurait pas dû être présentée à la Cour du Banc de la Reine comme preuve d’une décision officielle du conseil de bande défendeur. Elle était effectivement une question décidée à l’avance puisque les conseillers n’ont pas eu la possibilité de débattre la résolution, d’en discuter ou d’en prendre connaissance. La résolution était nulle et a conséquemment été annulée.

L’imposition unilatérale de limites aux responsabilités du demandeur en tant que conseiller, la réduction de ses honoraires par le chef défendeur, et la ratification subséquente de ces mesures par le conseil de bande lors d’une réunion convoquée quatre mois plus tard, l’omission d’aviser le demandeur et de lui fournir des motifs valables justifiant ces sanctions disciplinaires ou la possibilité de répondre à ces mesures allaient à l’encontre de l’équité procédurale. Cela s’appliquait aussi à l’inobservation des procédures du conseil de bande visant la réduction des honoraires du demandeur. Les défendeurs ont agi de mauvaise foi. Les décisions prises à l’égard du demandeur ont donc été annulées.

lois et règlements cités

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26), 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27).

Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I‑5, art. 2(3)b), 74, 75, 76, 77 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 14), 78, 79.

Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d’Indiens, C.R.C., ch. 950.

Règlement sur les élections au sein des bandes d’Indiens, C.R.C., ch. 952, art. 12 (mod. par DORS/85‑409, art. 4(F)).

Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, règles 1 (mod. par DORS/2004‑283, art. 2), 302.

jurisprudence citée

décisions examinées :

Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217; Nation Crie de Long Lake c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] A.C.F. no 1020 (1re inst.) (QL); Assu v. Chickite, [1999] 1 C.N.L.R. 14 (C.S.C.‑B.); Truehope Nutritional Support Ltd. c. Canada (Procureur général), 2004 CF 658; Première nation Salt River no 195 (Conseil) c. Première nation Salt River no 195, 2003 CAF 385; Charles c. Conseil de bande de Semiahmoo, [1998] A.C.F. no 45 (1re inst.) (QL); Louie v. Derrickson, [1993] B.C.J. no 1338 (C.S.) (QL); Assoc. des résidents du Vieux St‑Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170; Therrien (Re), [2001] 2 R.C.S. 3; 2001 CSC 35; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Première nation Anishinabe de Roseau River c. Première nation Anishinabe de Roseau River (Conseil), 2003 CFPI 168.

décisions citées :

Rider v. Ear (1979), 103 D.L.R. (3d) 168; [1979] 6 W.W.R. 226; [1979] 4 C.N.L.R. 119 (C.S. (1re inst.) Alb.); Gabriel c. Canatonquin, [1978] 1 C.F. 124 (1re inst.); Kamloops Indian Band v. Gottfriedson (1980), 21 B.C.L.R. 326; [1982] 1 C.N.L.R. 60 (C.S.); Pelletier c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1545; Ross c. Mohawk de Kanesatake, 2003 CFPI 531.

DEMANDE d’obtention d’un bref de quo warranto et de contrôle judiciaire d’autres mesures et décisions prises par le conseil de bande, le chef et certains conseillers particuliers de la Nation des Cris de Norway House. Demande accueillie en partie.

ont comparu :

Jacqueline Esmonde pour le demandeur.

J.R. Norman Boudreau pour les défenderesses chef et le conseil de la Nation des Cris de Norway House, Ron Evans, Eliza Clarke, Fred Muskego, Mike Muswagon, Langford Saunders.

Donald R. Knight, c.r., pour le défendeur Eric Apetagon.

avocats inscrits au dossier :

Roach, Schwartz & Associates, Toronto, pour le demandeur.

Booth, Dennehy LLP, Winnipeg, pour les défende-resses chef et le conseil de la Nation des Cris de Norway House, Ron Evans, Eliza Clarke, Fred Muskego, Mike Muswagon, Langford Saunders.

D. R. Knight Law Office, Winnipeg, pour le défendeur Eric Apetagon.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

[1]Le juge Blais : Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur l’article 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7 [art. 1 (mod., idem, art. 14)] (la Loi), à l’égard de la conduite continue et de la situation créée par le comportement de quelques‑uns ou de l’ensemble des défendeurs particuliers qui prétendent agir pour le compte du conseil de bande de la Nation des Cris de Norway House (NCNH), également défendeur.

LES FAITS PERTINENTS

[2]Le demandeur est un conseiller élu du conseil de bande de la NCNH, tandis que les défendeurs sont le chef et le conseil de celle‑ci de même que ses conseillers élus.

[3]Le 23 janvier 1998, le ministre des Affaires indiennes et du Nord Canada (le ministre) a publié un décret afin d’exclure la NCNH de la portée des dispositions de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I‑5 (Loi sur les Indiens), qui concernent les élections. Par conséquent, la NCNH est devenue une bande indienne agissant selon ses coutumes et le Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d’Indiens [C.R.C., ch. 950], pris en application de la Loi sur les Indiens, a cessé de s’appliquer aux réunions du conseil de ladite nation. Pour remplacer le règlement en question, le chef et le conseil de la NCNH ont adopté le NHCN Policy and Procedural Guidelines Manual (Manuel des lignes directrices sur la politique et les procédures de la NCNH) (les lignes directrices). Le code électoral de la Norway House, également appelé Election Procedures Act (Loi sur les procédures électorales), fait partie des lignes directrices en question.

[4]Le 14 mars 2002, après une élection du conseil de bande, les quatre défendeurs réélus, soit Muskego, Muswagon, Clarke et le chef Evans, ont rencontré les trois conseillers défaits lors d’une réunion extraordinaire du conseil tenue entre le jour de l’élection et la réunion fixée au 22 mars 2002. Au cours de cette rencontre, le groupe de personnes susmentionnées ont prétendu, au nom du conseil de bande de la NCNH, offrir un poste de quatre ans à un conseiller défait. Ces personnes ont également ratifié 53 résolutions du conseil de bande de la NCNH (RCB), qui traduisaient apparemment des décisions antérieures du conseil.

[5]Le « quorum du conseil » est un sous‑groupe des membres du conseil de bande qui fonctionne séparément du reste de celui‑ci. Il ne suit pas les règles énoncées dans les lignes directrices pour la tenue des réunions régulières du conseil et il n’y a pas lieu de confondre ce sous‑groupe de conseillers avec ce qui constitue le quorum des conseillers de la bande à une réunion convoquée du conseil qui est assujettie aux lignes directrices et à l’alinéa 2(3)b) de la Loi sur les Indiens.

[6]Le ou vers le 17 mars 2004, trois membres du sous‑groupe des conseillers de la NCNH ont signé une résolution enjoignant à leur avocat d’intenter une action pour fausse déclaration contre Don Godwin et de solliciter une injonction contre lui. Le 22 mars 2004, le conseil de bande de la NCNH a présenté à la Cour du Banc de la Reine à Thompson, au Manitoba, la résolution susmentionnée, soit la formule N.H./2003‑04 no 128, comme preuve de la décision officielle du conseil de bande défendeur. Cependant, cette résolution rédigée par le sous‑groupe n’a jamais été ratifiée par le conseil de bande avant d’être présentée à la Cour. Elle a finalement été ratifiée lors d’une réunion extraordinaire dûment convoquée que le conseil a tenue le 1er avril 2004.

[7]Le 22 mars 2004, le demandeur a déposé un avis de demande de bref de quo warranto. Le lendemain, le 23 mars 2004, il a été expulsé de l’immeuble du chef et conseil de bande de la NCNH, où se trouve son bureau de conseiller.

[8]Le demandeur touche des honoraires de conseiller de 60 000 $ par année. Après l’introduction de la présente demande de contrôle judiciaire, deux des paiements d’honoraires du demandeur ont été retenus et ses paiements d’honoraires subséquents ont été réduits à environ 189 $ toutes les deux semaines, soit un total annuel de 5 000 $.

QUESTIONS EN LITIGE

1. La Cour fédérale a‑t‑elle compétence dans la présente affaire?

2. Le chef et les conseillers élus ont‑ils tous quitté leurs postes?

3. L’existence du sous‑groupe de conseillers de la bande devrait‑elle être autorisée?

4. La résolution du conseil de bande en date du 17 mars 2004 devrait‑elle être annulée?

5. Les honoraires du demandeur devraient‑ils être modifiés?

ANALYSE

[9]Avant d’entreprendre mon analyse, j’aimerais souligner deux événements précis qui se sont produits au sujet de la présente affaire. Le 14 mars 2002, après une élection du conseil de bande, les défendeurs réélus Muskego, Muswagon, Clarke et Evans ont rencontré les trois conseillers défaits lors d’une réunion extraordinaire du conseil au cours de laquelle ils ont censément, au nom du conseil de bande de la NCNH, accordé un emploi de quatre ans à un conseiller défait. Il est bien évident que ces membres n’ont pas respecté le résultat de l’élection et ont tenté de redonner à un candidat défait le poste qu’il occupait avant l’élection en lui attribuant un contrat pour la durée du mandat d’un conseiller élu de la bande, soit une période de quatre ans. Selon mon analyse de la preuve, c’est là un des nombreux exemples de situations où les membres du conseil de bande de la NCNH n’ont pas respecté le concept de la démocratie représentative dans le cadre de leurs activités. Lorsqu’un conseil de bande ne respecte pas les résultats d’une élection ou tente de contourner ces résultats, la démocratie est en péril.

[10]Le second événement que j’aimerais mentionner concerne la tentative de chantage à l’endroit du demandeur. Le demandeur était souvent en désaccord avec les autres membres du conseil de bande au sujet de certaines questions de la NCNH. Il a donc rédigé des lettres dans lesquelles il a critiqué les procédures et les décisions du conseil de bande. Dans une lettre du 23 juillet 2003, le chef Evans a informé le demandeur qu’il retirait unilatéralement les portefeuilles et réduisait les honoraires de celui‑ci (voir le volume II du dossier du demandeur, à la page 27 et à l’onglet 18). Tel qu’il est mentionné dans le compte rendu d’une réunion régulière du conseil en date du 2 décembre 2003, le défendeur Muswagon a reconnu que les honoraires du demandeur ont été réduits au motif qu’il aurait cherché à discréditer les efforts déployés par le chef et le conseil de bande. Au cours de cette réunion, une motion visant à ratifier la décision du chef Evans de réduire les honoraires du demandeur parce qu’il ne s’était pas conformé aux souhaits du conseil a été adoptée. Le demandeur s’est fait dire en toutes lettres que cette décision aurait pu être annulée s’il avait simplement voulu respecter les désirs du chef plutôt que de critiquer ouvertement les mesures du conseil de bande (voir le compte rendu de la réunion du conseil de bande de la NCNH à la page 15, onglet M du dossier du demandeur, volume III). C’est là un indice clair du trafic d’influence et du chantage dont le demandeur a fait l’objet. Ce genre de comportement est déplorable et n’a pas sa place dans une institution démocratique, ce que le conseil de bande de la NCNH est censé être.

[11]Dans l’arrêt Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, au paragraphe 67, la Cour suprême du Canada a formulé les remarques suivantes au sujet de la démocratie :

Cependant, la démocratie au vrai sens du terme ne peut exister sans le principe de la primauté du droit. C’est la loi qui crée le cadre dans lequel la « volonté souveraine » doit être déterminée et mise en œuvre. Pour être légitimes, les institutions démocratiques doivent reposer en définitive sur des fondations juridiques. Cela signifie qu’elles doivent permettre la participation du peuple et la responsabilité devant le peuple par l’intermédiaire d’institutions publiques créées en vertu de la Constitution.

[12]Dans Nation Crie de Long Lake c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] A.C.F. no 1020 (1re inst.) (QL), le juge Rothstein a souligné, au paragraphe 31, que les conseils de bande doivent fonctionner en conformité avec la primauté du droit :

À l’occasion, ces conflits peuvent devenir des conflits personnels entre des individus ou des groupes d’individus appartenant à des conseils. Toutefois, les conseils doivent fonctionner en conformité avec la primauté du droit, peu importe que ce soit une loi écrite, le droit coutumier, la Loi sur les Indiens ou d’autres règles de droit qui s’appliquent. Les membres du Conseil et les membres de la Bande ne peuvent créer leurs propres règles de droit. Autrement, l’anarchie régnerait. Le peuple donne aux membres du Conseil le pouvoir de prendre des décisions en son nom et les membres du Conseil doivent s’acquitter de leurs responsabilités en tenant compte du peuple qui l’a élu pour protéger et représenter ses intérêts. La règle fondamentale veut que les conseils de Bande fonctionnent en conformité avec la primauté du droit.

[13]Dans Assu v. Chickite, [1999] 1 C.N.L.R. 14, le juge Romilly, de la Cour suprême de la Colombie‑ Britannique, a commenté l’origine et l’étendue des pouvoirs d’un conseil de bande qui sont définis dans la loi. Voici comment il s’est exprimé au paragraphe 30 :

[traduction] La Loi confère expressément un certain nombre de pouvoirs aux conseils de bande. Les tribunaux ont reconnu en toutes lettres qu’à titre d’organisme élu autonome, le conseil a le droit de prendre les décisions qu’il juge à propos sur les questions qui relèvent de sa compétence, pourvu que les décisions soient éclairées et prises à l’issue d’un vote majoritaire  à  une  réunion  dûment  convoqué [. . .]  Il  est désormais généralement reconnu que le conseil de bande possède non seulement l’ensemble de ces pouvoirs explicites, mais également tous les pouvoirs supplémentaires nécessaires à l’exécution de ses responsabilités qui découlent de la Loi, notamment celui d’exercer ou de contester des recours au nom de la bande [. . .] Il semblerait donc que la bande soit liée par les décisions de son conseil élu, à moins que celui‑ci n’agisse de mauvaise foi.

[14]Le juge Romilly a reconnu que les décisions du conseil de bande étaient exécutoires lorsqu’elles découlaient des pouvoirs conférés par la Loi et qu’elles étaient prises de bonne foi à l’issue d’un vote majoritaire à une réunion dûment convoquée. La conformité avec la primauté du droit sous‑entend le respect des concepts de la démocratie et de l’équité procédurale en ce qui a trait aux décisions que les conseils de bande prennent dans l’intérêt de ceux qui les ont élus pour les protéger.

1. La Cour fédérale a‑t‑elle compétence dans la présente affaire?

[15]Dans la présente affaire, à première vue, l’avis de demande modifié du demandeur et la réparation sollicitée semblent aller à l’encontre de la règle 302 des Règles des Cours fédérales [DORS/98-106, règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)]. En effet, le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de plusieurs décisions du conseil de bande de la NCNH. Voici le texte de la règle 302 :

302. Sauf ordonnance contraire de la Cour, la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée.

[16]Dans Truehope Nutritional Support Ltd. c. Canada (Procureur général), 2004 CF 658, le juge Campbell commente l’objet de la règle 302 et des exceptions dont elle fait l’objet et s’exprime comme suit aux paragraphes 5 à 7 :

La règle 302 exprime la politique dont l’objectif est d’assurer une méthode rapide et ciblée pour contester une seule décision ou ordonnance (Badger c. La Nation crie de Sturgeon Lake, [2002] A.C.F. 130 (C.F. 1re inst.), par. 13).

Les actes ou décisions continus peuvent faire l’objet d’un contrôle en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale sans contrevenir à la règle 1602(4) [qui est maintenant la règle 302]; toutefois, les actes en question ne doivent pas porter sur deux situations de fait différentes, deux mesures de redressement recherchées, et deux organismes décideurs différents (Mahmood c. Canada (1998), 154 F.T.R. 102 (C.F. 1re inst.); réexamen refusé [1998] A.C.F. no 1836). [. . .]

Dans la décision Puccini c. Canada, [1993] 3 C.F. 557, 65 F.T.R. 127 (C.F. 1re inst.), [. . .] la Cour a statué que le paragraphe 18.1(2) de la Loi et la règle 1602(4) envisageaient une décision ou une ordonnance précise à l’égard desquelles le contrôle judiciaire était recherché. Toutefois, ils pouvaient également englober une situation, ou porter sur une situation continue, dans le cadre desquelles un certain nombre de décisions sont prises.

[17]Dans la présente affaire, le demandeur invoque l’exception énoncée à la règle 302 afin de solliciter le contrôle judiciaire de plusieurs décisions du conseil de bande de la NCNH, c’est‑à‑dire qu’il conteste ces décisions parce qu’elles représentent une « situation continue » qui ne devrait pas être tolérée.

[18]La règle 302 peut également être respectée lorsque la Cour permet une exception par ordonnance. Le 26 octobre 2004, la protonotaire Tabib a examiné le dossier de requête du demandeur et a souligné le consentement des défendeurs à l’avis de demande modifié. Elle a ordonné que l’affaire se poursuive malgré le fait que le contrôle judiciaire était demandé à l’égard de plusieurs décisions du conseil de bande de la NCNH. En conséquence, j’estime que la règle 302 est respectée en l’espèce et qu’il n’est pas nécessaire d’analyser la question de savoir si le recours du demandeur est justifié au motif qu’il concerne l’exception d’une « situation continue ».

[19]Les défendeurs soutiennent que la Cour n’a pas compétence en l’espèce. À cet égard, ils font valoir que le demandeur ne peut solliciter de contrôle judiciaire et que la demande de jugement déclaratoire de la nature d’un bref de quo warranto n’est pas justifiée. Étant donné que la présente affaire a été soumise à la procédure de gestion des instances et que les défendeurs ont consenti à l’avis de demande dont la protonotaire Tabib était saisie, je suis réticent à examiner la question de la compétence. Les défendeurs ont eu tout le loisir de plaider cette question auparavant et ne l’ont pas fait, ce qui suscite des doutes dans mon esprit. Cela étant dit, je poursuis mon analyse.

[20]Il appert de la jurisprudence qu’un conseil de bande indienne constitue un « office fédéral » au sens de l’article 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26] de la Loi (Rider v. Ear (1979), 103 D.L.R. (3d) 168 (C.S. (1re inst.) Alb.), et Gabriel c. Canatonquin, [1978] 1 C.F. 124 (1re inst.)). Sur cette base, la Cour d’appel fédérale a confirmé, dans Première nation Salt River no 195 (Conseil) c. Première nation Salt River no 195, 2003 CAF 385, au paragraphe 18, que la Cour fédérale a compétence pour décerner un bref de quo warranto ou pour rendre un jugement déclaratoire contre un conseil de bande indienne et les membres de celui‑ci :

Suivant l’alinéa 18(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale, la Cour fédérale a compétence pour décerner un bref de quo warranto ou pour rendre un jugement déclaratoire. Je ne vois pas pourquoi un jugement déclaratoire, lequel s’apparente à un quo warranto, ne peut être rendu. La Cour d’appel fédérale semble approuver ce processus dans l’arrêt Bande indienne de Lake Babine et al. c. Williams et al. (1996), 194 N.R. 44 (C.A.F.), où le juge Robertson s’exprime dans les termes suivants aux paragraphes 3 et 4 :

Il convient de souligner dès le départ que les appelants ne contestent pas la compétence de la Cour en ce qui a trait à l’examen des questions soulevées en l’espèce. Les intimés demandent un jugement déclaratoire et une injonction, ce qui, dans les circonstances, équivaut essentiellement à une demande de bref de quo warranto. Un recours de cette nature permet de contester le droit d’une personne d’exercer une charge donnée [. . .]

La compétence de la Cour est donc indéniable, le conseil de bande étant « un office fédéral » au sens des articles 2 et 18 de la Loi [. . .]. Par conséquent, la Cour d’appel fédérale a compétence pour statuer sur la question, mais elle ne peut le faire que dans le contexte d’une demande fondée sur l’article 18, et non dans le cadre d’une action introduite au moyen d’une déclaration.

[21]Au paragraphe 20 de ce même arrêt, la Cour d’appel fédérale formule les commentaires suivants au sujet de l’applicabilité du bref de quo warranto :

Bien que le contrôle judiciaire concerne généralement une décision prise par un office fédéral, il arrive qu’une réparation soit accordée en l’absence d’une telle décision. La demande de bref de prohibition en est un exemple évident. Le bref de quo warranto ou le jugement déclaratoire qui s’apparente à un quo warranto dans le cas où la contestation vise le droit du titulaire d’une charge publique d’exercer cette charge directement en est un autre.

[22]Les défendeurs soulignent qu’avant d’engager la présente demande, le demandeur a fait parvenir au ministre des Affaires indiennes et du Nord Canada une pétition demandant l’annulation immédiate de la Loi sur les procédures électorales de la NCNH et le rétablissement de celle‑ci en vertu des articles 74 à 79 [l’article 77, modifié par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 14] de la Loi sur les Indiens afin d’assurer une bonne administration de la bande. Le ministre a refusé cette demande, soulignant qu’il n’était pas [traduction] « disposé à exercer le pouvoir prévu au paragraphe 74(1) de la Loi sur les Indiens, lequel exercice représente une mesure extrême » (voir le dossier des défendeurs, à la page 127, affidavit de Fred Muskego).

[23]Les défendeurs font valoir que le demandeur aurait dû engager une demande de contrôle judiciaire à l’égard de la décision du ministre plutôt que de solliciter un jugement déclaratoire de la nature d’un bref de quo warranto devant la Cour fédérale. Ils justifient cette réponse en citant la décision Charles c. Conseil de bande de Semiahmoo, [1998] A.C.F. no 45 (1re inst.) (QL), où le juge Rouleau a conclu que l’instance était prématurée parce que les recours en appel n’avaient pas été épuisés. Dans cette dernière affaire, les 11 membres de la bande indienne de Semiahmoo avaient utilisé les procédures d’appel énoncées à l’article 12 [mod. par DORS/85-409, art. 4(F)] du Règlement sur les élections au sein des bandes d’Indiens [C.R.C., ch. 952] pour déposer un appel, au motif que l’élection n’avait pas été loyale et qu’elle s’était déroulée de façon illégale. Cependant, le ministre a rejeté l’appel des demandeurs et décidé que les résultats de l’élection demeureraient inchangés. Par conséquent, les membres de la bande auraient dû interjeter appel de la décision du ministre.

[24]Je ne suis pas d’accord avec les arguments des défendeurs. À mon avis, c’est la pétition présentée au ministre qui constitue la conduite prématurée et non la présente demande de contrôle judiciaire et de bref de quo warranto. Tel qu’il est mentionné plus haut, le conseil de bande de la NCNH est un office fédéral visé à l’article 18 de la Loi. Si le demandeur avait voulu contester les décisions prises par cet office, il aurait dû s’adresser d’abord à la Cour fédérale plutôt que de demander l’aide du ministre au moyen d’une pétition.

[25]Les défendeurs ajoutent que le demandeur avait approché un représentant du ministre au sujet de préoccupations semblables relevées dans la présente affaire. Le demandeur avait sollicité l’utilisation des mécanismes de réparation énoncés dans l’Entente de financement Canada-Premières nations (EFCPN) qu’ont signée le ministère des Affaires indiennes et du Nord du Canada (AINC) et la NCNH afin de régler les différends. Ces différends concernaient l’omission de la part du conseil de la NCNH de suivre ses propres procédures de régie interne ainsi que les questions entourant le salaire et le budget de dépenses du demandeur (voir le courriel que M. Martin Egan (représentant du ministre) a envoyé à Marcel Luke Hertlein Balfour le 25 novembre 2003, à la page 316 du dossier des défendeurs, volume III).

[26]Le représentant du ministre a refusé la demande d’aide du demandeur. C’est pourquoi les défendeurs sont d’avis que le demandeur aurait dû engager une demande de contrôle judiciaire à l’égard de la décision du représentant du ministre plutôt que de solliciter un jugement déclaratoire de la nature d’un bref de quo warranto.

[27]Je ne suis pas d’accord avec la position exprimée ci‑dessus. Encore une fois, le conseil de bande de la NCNH constitue un office fédéral. Pour contester les décisions du conseil de bande au motif que celui‑ci ne respectait pas ses procédures de régie interne, le demandeur devait, non pas demander l’aide du ministre, mais plutôt présenter une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale.

[28]Je conclus que la Cour a compétence en l’espèce et que la demande de contrôle judiciaire présentée devant elle relativement à la conduite et aux décisions du conseil de bande de la NCNH est la procédure qui convient. Cependant, la question de savoir si la délivrance d’un bref de quo warranto est justifiée ou non se pose toujours. C’est à cette question que je m’attarde maintenant.

2. Le chef et les conseillers élus ont‑ils tous quitté leurs postes?

[29]Le demandeur sollicite un jugement déclaratoire portant que le chef élu et tous les conseillers ont quitté leurs postes, parce qu’ils étaient absents à trois réunions régulières consécutives dûment constituées du conseil de bande sans que leur absence ait été excusée.

[30]Il est possible de demander un bref de quo warranto à la Cour fédérale lorsque le poste d’un représentant élu est libéré et que le représentant continue à exercer ses fonctions contrairement à la loi. La question à trancher en l’espèce est de savoir si le bref de quo warranto est la mesure qui convient, eu égard aux circonstances de la présente affaire.

[31]Le fondement juridique de l’administration de la NCNH se trouve dans la Loi sur les Indiens, même si la bande a substitué sa propre procédure électorale, régie par les lignes directrices de la NCNH, à celle de ladite Loi. À l’instar du Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d’Indiens (règlement fédéral), les lignes directrices précisent les dates et heures des réunions régulières de celui‑ci, les exigences relatives à la convocation aux réunions extraordinaires du conseil, la procédure à suivre pour l’examen des questions à l’ordre du jour et la conduite pendant les réunions. Voici les dispositions pertinentes des lignes directrices :

[traduction]

11.1 Fréquence des réunions. Les réunions régulières du chef et du conseil ont lieu les premier et troisième mardis de chaque mois et débutent à 9 h. Tous les gestionnaires et administrateurs doivent assister à ces réunions régulières du chef et du conseil.

[. . .]

11.4 Réunions extraordinaires du conseil. Le chef peut convoquer des réunions extraordinaires du conseil en remettant à chaque membre de celui‑ci un avis de vingt‑quatre (24) heures et un ordre du jour précis au sujet de la réunion. Le chef peut convoquer des réunions extraordinaires de lui‑même ou à la demande d’une majorité des membres du conseil. [Non souligné dans l’original.]

[32]Le demandeur fait valoir qu’entre le 5 mars 2002 et le 2 novembre 2004, environ 56 réunions fixées de façon officielle devaient avoir lieu, conformément à l’article 11.1 des lignes directrices de la NCNH. Cependant, seulement 16 de ces réunions ont effective-ment été tenues de la manière prescrite par les lignes directrices. Par conséquent, le demandeur affirme que chacun des conseillers a libéré son poste, parce qu’il était absent à trois réunions régulières consécutives dûment constituées du conseil de bande sans que son absence ait été excusée. L’alinéa 9.1e) de la Loi sur les procédures électorales de la NCNH énonce les critères relatifs à un poste libéré :

[traduction]

9.1 Le poste de chef ou de conseiller est libéré lorsque la personne qui l’occupe :

[. . .]

e) est absente à trois (3) réunions consécutives dûment constituées du conseil sans que son absence ait été excusée par un quorum des membres de celui‑ci. [Non souligné dans l’original.]

[33]Selon le raisonnement du demandeur, chaque membre du conseil de bande qui était absent à trois réunions fixées consécutives a quitté son poste. Les défendeurs reprochent au demandeur d’utiliser de façon interchangeable les concepts de la réunion dûment constituée et de la réunion dûment fixée. Je conviens avec les défendeurs que le demandeur a tort de croire que le simple fait qu’une réunion soit fixée signifie qu’elle est dûment constituée.

[34]La question fondamentale qui se pose au sujet d’un poste libéré est de savoir en quoi consiste une réunion dûment constituée. Cette expression n’est nullement définie dans la Loi sur les Indiens ou dans les lignes directrices de la NCNH. Dans la décision Assu, le juge Romilly reconnaît, au paragraphe 37, que le concept de la réunion dûment convoquée est un peu flou :

[traduction] Il est difficile de savoir en quoi consiste une réunion dûment convoquée, puisque cette expression n’est définie ni dans la Loi sur les Indiens, ni dans le Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d’Indiens (le règlement). Cependant, le règlement comporte quelques dispositions pertinentes, dont la plus importante est celle qui exige la tenue d’une réunion à laquelle assiste un quorum des membres du conseil. Lorsque le conseil compte au moins neuf membres, l’article 6 du règlement prévoit que le quorum se compose de cinq membres : Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d’Indiens, C.R.C. 1978, ch. 950.

[35]Le juge Romilly convient que, pour qu’une réunion soit dûment convoquée, elle doit effectivement être tenue en présence d’un quorum des membres du conseil. À l’alinéa 9.1e) de la Loi sur les procédures électorales de la NCNH, l’expression « duly constituted » (dûment constituée) est utilisée plutôt que « duly convened » (dûment convoquée). Cependant, j’estime que ces deux expressions sont interchangeables dans la présente affaire. Je comprends que l’article 11.1 des lignes directrices de la NCNH exige que les réunions du conseil de bande aient lieu les premier et troisième mardis de chaque mois. Cependant, lorsqu’une réunion n’a pas lieu ou qu’elle est tenue sans qu’un quorum des membres du conseil soit présent, j’estime qu’elle ne peut être considérée comme une réunion dûment constituée au sens de l’alinéa 9.1e). En conséquence, contrairement à ce que le demandeur soutient, je ne crois pas que tous les conseillers ont quitté leur poste parce qu’ils étaient absents à trois réunions consécutives dûment constituées.

[36]Bien que je ne partage pas l’avis du demandeur, l’argument qu’il invoque soulève des questions importantes concernant l’annulation de réunions dûment fixées. Dans la présente affaire, le chef de la bande a systématiquement annulé des réunions de cette nature. Comme je l’explique ci‑dessous, je crois que cette façon d’agir constitue une usurpation de pouvoir.

[37]Dans la décision Assu, le juge Romilly a refusé d’admettre que le chef de bande a le pouvoir de fixer les réunions du conseil à une date donnée. Voici comment il s’exprime au paragraphe 41 :

[traduction] De plus, je suis d’avis que le chef n’a pas le pouvoir d’obliger le conseil à se conformer à son « avis » selon lequel les réunions de celui‑ci auraient lieu le vendredi.

[38]Compte tenu de ce qui précède, il m’apparaît possible de faire un parallèle entre le refus de permettre au chef de fixer aléatoirement une réunion et d’annuler tout aussi aléatoirement une réunion fixée. Dans un cas comme dans l’autre, il pourrait s’agir d’une usurpation de pouvoir de la part du chef.

[39]L’existence de similitudes entre l’administration d’un conseil de bande et celle d’une municipalité a été confirmée dans la jurisprudence. Les dates des réunions d’une municipalité, comme celles du conseil de bande en l’espèce, sont établies conformément à des règles.

[40]Dans le cas des municipalités, les réunions régulières peuvent être annulées lorsque le président de la réunion ou le secrétaire constate, à l’ouverture de la réunion, qu’il n’y a pas quorum. Cette façon de procéder devrait être la norme en ce qui concerne l’annulation des réunions du conseil de bande. Ces réunions ne devraient pas être annulées par suite d’une décision du chef ou d’une résolution que le quorum du conseil a préparée avant la tenue de la réunion fixée. Bien entendu, il peut y avoir des exceptions à l’occasion pour des raisons valables; cependant, l’annulation systématique des deux tiers des réunions régulières est inacceptable. Entre le 5 mars 2002 et le 2 novembre 2004, environ 56 réunions fixées de manière officielle devaient être convoquées et tenues par les conseillers et le chef. Cependant, seulement 16 de ces réunions ont été dûment constituées. Cette situation va à l’encontre de l’esprit et du texte des règles. De plus, en raison de l’annulation systématique des réunions, il devient très difficile pour les membres de la bande de participer au processus.

[41]Si le chef était habilité à annuler les réunions et à en fixer de nouvelles à son gré, il pourrait manipuler les dates desdites réunions à sa convenance. Ainsi, il pourrait y avoir des cas où les conseillers qui appuient la position du chef seront absents d’une réunion au cours de laquelle un vote sera tenu au sujet d’une question précise, de sorte que seules les personnes qui s’opposent à lui seront présentes. Lorsque le chef le sait à l’avance et annule la réunion, il manipule le système pour favoriser son programme. Ce scénario va à l’encontre du concept de la démocratie et de l’obligation fiduciaire du chef envers les membres de la bande ainsi que de la promotion de leurs intérêts.

[42]Le texte de l’article 11.1 des lignes directrices de la NCNH semble clair en ce qui a trait à la fréquence des réunions et aux personnes qui doivent y assister. L’article 11.4 de ces mêmes lignes directrices, qui énonce la procédure relative à la tenue de réunions extraordinaires du conseil, est tout aussi clair. Dans la présente affaire, les procédures énoncées aux articles 11.1 et 11.4 n’ont pas été suivies. Le conseil de bande de la NCNH a laissé au chef et à ses trois collaborateurs le soin de déterminer le moment auquel les réunions seraient convoquées. Un examen de la preuve montre qu’à l’évidence, les réunions sont convoquées lorsque le chef et ses trois collaborateurs sont disponibles. Cette stratégie vise à garantir l’application d’un programme politique précis. Lorsqu’il est évident que les conseillers dissidents seront supérieurs en nombre à ceux qui sont favorables à la position du chef à une réunion régulière, il arrive souvent que celle‑ci soit annulée. De plus, les réunions sont parfois tenues à Winnipeg, soit à plusieurs heures de route de l’endroit où elles devraient habituellement être tenues. Cette conduite va à l’encontre de l’esprit et du texte des lignes directrices de la NCNH.

[43]Par ailleurs, il semblerait que les réunions extraordinaires, dont la fréquence est précisée à l’article 11.4 des lignes directrices de la NCNH, soient plus nombreuses que les réunions ordinaires, ce qui est contraire en soi à l’esprit des règles. En effet, les réunions extraordinaires ne sauraient être la norme. Qui plus est, toutes les réunions devraient être publiques et les membres ordinaires de la bande devraient être mis au courant des règles et de la fréquence des réunions. En cas d’annulation d’une réunion, un avis devrait être donné de façon que les membres de la bande soient informés de la date à laquelle la nouvelle réunion aura lieu.

[44]Compte tenu de l’analyse qui précède, je suis d’avis que les conseillers de la bande n’ont pas quitté leurs postes et qu’il ne convient pas de décerner un bref de quo warranto, eu égard aux circonstances de la présente affaire. Cependant, j’estime qu’il existe des vices de procédure importants quant à la façon dont les réunions du conseil de bande sont annulées.

3. L’existence du sous‑groupe de conseillers de la bande devrait‑elle être autorisée?

[45]Le demandeur conteste la création d’un sous‑groupe et soutient que, lorsque des décisions sont prises par le plus petit groupe de conseillers, les règles concernant le quorum, les avis, la consignation des décisions et la préparation des comptes rendus ne sont pas respectées.

[46]Pour leur part, les défendeurs font valoir que la tenue, par un petit groupe de conseillers, de réunions sporadiques sans avis, compte rendu ou registre des décisions constitue une « coutume de la bande ». Ils ajoutent que toutes les décisions prises par le sous‑groupe sont ratifiées en bonne et due forme conformément aux lignes directrices ainsi qu’à l’alinéa 2(3)b) de la Loi sur les Indiens lors d’une réunion subséquente dûment convoquée par le conseil de bande.

[47]Le demandeur ne croit pas que la création d’un sous‑groupe qui ne serait pas tenu de suivre les lignes directrices de la NCNH puisse être justifiée par une « coutume de la bande ». À son avis, les représentants élus de la bande n’ont pas rempli les obligations qui leur incombaient à titre de fiduciaires et de représentants. De plus, selon lui, les défendeurs n’ont présenté aucune preuve montrant que la coutume de la bande NCNH a été modifiée d’une façon qui justifie l’abandon de l’exigence relative à la remise des convocations aux réunions ou à la consignation des délibérations. Aussi aucune preuve illustrant que les conseillers de la bande devaient être exclus de la participation aux décisions de la NCNH n’a été présentée. Enfin, même si la coutume a changé, cette modification ne serait pas autorisée, selon le demandeur, parce qu’elle va à l’encontre des exigences impératives de l’alinéa 2(3)b) de la Loi sur les Indiens, qui est ainsi libellé :

2. [. . .]

b) un pouvoir conféré au conseil d’une bande est censé ne pas être exercé à moins de l’être en vertu du consentement donné par une majorité des conseillers de la bande présents à une réunion du conseil dûment convoquée.

[48]Dans la décision Assu, le juge Romilly a reconnu que les membres élus du conseil de bande ont le droit de se rencontrer en dehors du contexte d’une réunion dudit conseil. Voici comment il s’exprime à ce sujet, au paragraphe 62 :

[traduction] De plus, à titre de membres d’un organisme élu prenant des décisions purement législatives, rien n’empêche les conseillers défendeurs de tenir des réunions entre eux pour discuter de questions concernant la bande. Les tribunaux ont reconnu qu’il est inévitable que les membres élus d’un gouvernement discutent à l’avance de questions sur lesquelles des décisions devront être prises : L’Association des résidents du Vieux St‑Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville) (1990), 75 D.L.R. (4th) 385 (C.S.C.), aux pages 404 et 409.

[49]Compte tenu de ce qui précède, j’estime qu’il est permis qu’un sous‑groupe de membres d’un conseil de bande se rencontrent en dehors du contexte formel des réunions dudit conseil pour discuter de questions concernant la bande. Cependant, il importe d’établir une distinction entre ce type de réunions et celles qui ont été tenues en l’espèce. En effet, il n’est pas permis que le sous‑groupe de conseillers de la bande prenne des décisions en secret et fasse subséquemment ratifier ces décisions à des réunions ultérieures du conseil sans tenir compte des lignes directrices de celui‑ci ou des dispositions de la Loi sur les Indiens.

[50]Dans Louie v. Derrickson, [1993] B.C.J. no 1338 (C.S.), le juge Blair cite, au paragraphe 87, les remarques que le juge Rae a formulées dans Kamloops Indian Band v. Gottfriedson (1980), 21 B.C.L.R. 326 (C.S.), au sujet de la nécessité de respecter les exigences du paragraphe 2(3) de la Loi sur les Indiens lorsqu’un conseil de bande exerce ses pouvoirs :

[traduction] Dans Leonard c. Gottfriedson, le juge Rae a formulé les remarques suivantes au sujet d’une résolution adoptée par le conseil de bande de la bande indienne de Kamloops (à la page 337) :

La Loi [sur les Indiens] vise manifestement à protéger et à avantager les bandes indiennes et les membres de celles‑ci auxquels elle s’applique.

C’est en fonction de cet objet qu’elle doit être lue, interprétée et appliquée. Tout comme la municipalité doit exercer ses pouvoirs conformément à sa loi habilitante afin de protéger les intérêts de ses résidents, le conseil de bande doit, selon le même principe, exercer les pouvoirs dont il est investi en vertu de la Loi sur les Indiens en se conformant strictement à cette Loi, au profit des Indiens et par souci de protection pour eux.

Pour conclure que le critère de la conformité énoncé par le juge Rae a été respecté, je dois être convaincu que les pouvoirs du conseil de bande en ce qui a trait à la détermination et au paiement de l’indemnité de départ ont été exercés conformément au paragraphe 2(3) de la Loi sur les Indiens.

[51]Le conseil de bande doit exercer ses pouvoirs non seulement conformément au paragraphe 2(3) de la Loi sur les Indiens, mais également de façon à protéger les membres de la bande et à préserver leurs intérêts. Le juge Blair poursuit en disant que le non‑respect des critères du paragraphe 2(3) de la Loi sur les Indiens équivaut à un manquement à une obligation fiduciaire à l’endroit des membres du conseil de bande (aux paragraphes 88 et 91 de la décision) :

[traduction] La preuve sur laquelle je pourrais me fonder pour conclure que cette obligation a été remplie est bien mince. Il n’y a aucun compte rendu ou registre d’une réunion du conseil de bande qui me permettrait de conclure qu’une réunion avait été dûment convoquée conformément aux exigences de la Loi. Il n’y a aucune résolution du conseil de bande qui pourrait m’inciter à conclure qu’une majorité des conseillers de la bande ont consenti à l’indemnité de départ et au paiement [. . .]

[. . .]

En résumé, le défendeur n’a pas compris les obligations fiduciaires qui lui incombaient comme chef de bande au moment de traiter avec le conseil de celle‑ci à titre d’occupant. Soit il n’était pas conscient de ses obligations, soit il a affiché une attitude cavalière à l’endroit de celles‑ci. Dans un cas comme dans l’autre, le résultat est le même : il a manqué aux obligations fiduciaires qui lui incombaient en raison du poste qu’il occupait et ce manquement lui a permis de bénéficier d’un montant de 112 500 $.

[52]Même lorsque les résolutions du conseil de bande sont adoptées par la majorité des conseillers et que les délibérations des réunions du conseil sont consignées par écrit, il peut y avoir encore contravention au paragraphe 2(3) de la Loi sur les Indiens.

[53]Dans l’arrêt Assoc. des résidents du Vieux St‑Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170, la Cour suprême du Canada a énoncé le critère à appliquer pour prouver que les décisions du conseil municipal avaient été prises à l’avance et n’étaient donc pas favorables aux intérêts des résidents. Dans la décision Assu, le juge Romilly applique le même critère pour démontrer que les décisions du conseil de bande sont prises à l’avance et ne favorisent donc pas les intérêts des membres de la bande. Dans l’arrêt Vieux St‑Boniface, la Cour suprême du Canada s’exprime comme suit au sujet du critère susmentionné [à la page 1197] :

À mon avis, le critère qui se concilie avec les fonctions d’un conseiller municipal et qui permet à ce dernier de remplir ses fonctions politiques et législatives est celui qui exige que les tenants de l’un ou l’autre point de vue soient entendus par des conseillers qu’il est possible de convaincre. Le législateur n’a pu vouloir qu’une audition se tienne devant un organisme qui a déjà pris une décision irrévocable. La partie qui allègue la partialité entraînant l’inhabilité doit établir que l’affaire a en fait été préjugée, de sorte qu’il ne servirait à rien de présenter des arguments contredisant le point de vue adopté. Les déclarations de conseillers individuels, bien qu’elles puissent fort bien créer une apparence de partialité, ne satisfont au critère que si la cour conclut qu’elles sont l’expression d’une opinion finale et irrévocable sur la question. Il importe de se rappeler à ce propos que ni le fait d’appuyer une mesure devant un comité ni le fait de voter en faveur de cette mesure ne constituera, en l’absence d’une indication du caractère définitif de la position prise, une preuve de partialité entraînant l’inhabilité. La conclusion contraire rendrait inhabiles la majorité des conseillers à l’égard de toutes les questions qui sont décidées dans le cadre d’assemblées publiques au cours desquelles les opposants à une mesure ont le droit de se faire entendre.

[54]Les défendeurs font valoir qu’ils peuvent ratifier leurs résolutions plus tard à une réunion dûment convoquée. Cependant, j’estime que, dans la présente affaire, le résultat de la ratification était déterminé à l’avance dans bien des cas. En effet, les résolutions rédigées au cours de réunions secrètes qui ne respectaient pas les lignes directrices de la NCNH représentaient souvent des positions qui ne pouvaient être modifiées. De plus, la teneur desdites résolutions n’a nullement été communiquée aux membres de la bande ni débattue en bonne et due forme au cours de réunions dûment convoquées et les opposants n’ont pas eu la possibilité de se faire entendre.

[55]J’insiste pour dire que le processus de ratification que les défendeurs mentionnent est un mythe. Les résolutions ne peuvent être adoptées au cours de réunions secrètes, puis ratifiées subséquemment à une réunion dûment convoquée sans être examinées. La résolution elle‑même doit être adoptée au cours d’une réunion dûment convoquée. Elle ne peut avoir été prise lors d’une réunion secrète, puis simplement approuvée plus tard sans discussion au cours d’une réunion dûment convoquée. Les résolutions ne peuvent être le produit de décisions prises à l’avance. Elles doivent être débattues et adoptées conformément aux règles et lignes directrices de la bande ainsi qu’aux principes de la démocratie. Dans la présente affaire, de nombreux exemples illustrent le caractère foncièrement partial du processus de ratification des résolutions du conseil de bande. Je décris maintenant l’un de ces exemples.

4. La résolution du conseil de bande en date du 17 mars 2004 devrait‑elle être annulée?

[56]Le pouvoir de la Cour fédérale de déclarer nulle une résolution d’un conseil de bande est énoncé comme suit au paragraphe 18.1(3) de la Loi :

18.1 [. . .]

(3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

[57]Le ou vers le 17 mars 2004, trois membres du sous‑groupe des conseillers de la NCNH ont signé une résolution enjoignant à leur avocat d’intenter une action pour fausse déclaration contre Don Godwin et de solliciter une injonction contre lui. Le 22 mars 2004, le conseil de bande de la NCNH a présenté à la Cour du Banc de la Reine à Thompson, au Manitoba, la résolution susmentionnée, soit la formule N.H./2003‑04 no 128, comme preuve d’une décision officielle du conseil de bande défendeur. Cependant, cette résolution rédigée par le sous‑groupe n’a jamais été ratifiée par le conseil de bande avant d’être présentée à la Cour. Elle a finalement été ratifiée lors d’une réunion extraordinaire dûment convoquée que le conseil a tenue le 1er avril 2004, après que l’injonction eut été prononcée.

[58]Le demandeur demande à la Cour fédérale de rendre un jugement déclaratoire portant que la résolution du 17 mars 2004 est nulle et n’est pas exécutoire. Il justifie cette demande en disant que la résolution en question ne découle pas d’une réunion dûment convoquée du conseil de bande de la NCNH.

[59]Je suis d’avis que la résolution n’aurait pas dû être présentée devant la Cour du Banc de la Reine à Thompson (Manitoba) comme preuve d’une décision officielle du conseil de bande défendeur, parce qu’elle n’avait pas encore été adoptée par celui‑ci. De plus, la résolution présentée en vue de son adoption le 1er avril 2004 était effectivement une question décidée à l’avance. Les conseillers n’ont pas eu la possibilité de débattre la résolution ou d’en discuter. Qui plus est, aucune copie de la résolution, acceptée en secret par trois membres du conseil seulement, n’a été remise aux conseillers pour qu’ils en prennent connaissance. Il est évident que la question avait été décidée à l’avance. En conséquence, je suis d’avis que la résolution qui a apparemment été adoptée le 1er avril 2004 est nulle.

[60]J’estime également que l’utilisation de formulai-res de résolution pour l’adoption des « ébauches » de résolutions par le sous‑groupe de conseillers lors de leur réunion secrète est trompeuse, parce qu’elle incite à croire que les résolutions ont été adoptées à une réunion dûment convoquée, ce qui n’était pas le cas.

[61]En fait, la seule résolution valable, à mon avis, est celle qui a été adoptée à la réunion dûment convoquée et qui est attestée par le représentant officiel du conseil de bande. Dans la présente affaire, il n’appert nullement de la façon dont la résolution a été rédigée et déposée qu’il s’agit d’une « ébauche de résolution » devant être adoptée à une réunion subséquente du conseil.

[62]Si la résolution susmentionnée avait été reconnue comme une ébauche de résolution, le conseil n’aurait pu, dans le cadre de sa requête en injonction, la déposer devant la Cour avant le 1er avril 2004.

[63]Il s’agit donc là d’un exemple clair de situation où non seulement les membres de la bande ont été manipulés, mais où un juge a été saisi d’une requête en injonction présentée par un conseil qui n’était pas encore autorisé à solliciter cette réparation. Ce n’est là que l’un des nombreux exemples de mesures non autorisées que le conseil de bande a prises.

[64]Les défendeurs ne peuvent gagner sur les deux tableaux, c’est‑à‑dire prétendre d’une part, que le processus est transparent et que les « ébauches » de résolution adoptées par le sous‑groupe de conseillers seront débattues, voire modifiées avant d’être ratifiées et, d’autre part, que l’« ébauche » de résolution est valable dès que le sous‑groupe l’adopte.

5. Les honoraires du demandeur devraient‑ils être modifiés?

[65]Tel qu’il est mentionné plus haut, la NCNH est liée par les décisions de son conseil élu, à moins que celui‑ci n’ait agi de mauvaise foi (voir Assu, au paragraphe 30). Une conduite de mauvaise foi irait à l’encontre du devoir d’équité procédurale dont le conseil de bande de la NCNH est redevable envers ses membres. Tel qu’il est démontré ci‑dessous, il est indéniable que les défendeurs ont agi de mauvaise foi à maintes reprises.

[66]Le demandeur soutient que ses frais et honoraires ont été injustement abaissés ou retenus. Le demandeur était souvent en désaccord avec d’autres membres du conseil de bande au sujet de questions concernant la NCNH. Il a également rédigé des lettres dans lesquelles il a critiqué les procédures et décisions du conseil. Les défendeurs admettent que les honoraires du demandeur ont été diminués au motif que celui‑ci aurait agi de façon à discréditer les efforts déployés par le chef et le conseil de bande. Le chef Evans a abaissé unilatéralement les honoraires du demandeur de 60 000 $ à 5 000 $ et lui a également interdit d’utiliser son allocation de déplacement, qui s’élevait à 24 000 $. Dans une lettre du 23 juillet 2003, le demandeur a été informé que ses tâches et responsabilités lui étaient retirées et que son salaire était réduit. Bien qu’elle ait été immédiatement mise en œuvre, cette mesure prise contre le demandeur n’a été formellement adoptée que le 2 décembre 2003, à une réunion dûment convoquée du conseil. Le chef Evans a usurpé ses pouvoirs en dépouillant unilatérale-ment le demandeur de ses responsabilités et en lui retirant ses honoraires. De plus, le chef Evans a tenté d’officialiser son usurpation de pouvoir en faisant entériner ses mesures lors d’une réunion dûment convoquée quatre mois après le début de la mise en œuvre desdites mesures. Le demandeur n’a reçu aucun avis des sanctions disciplinaires prises contre lui en ce qui concerne la réduction de son salaire et de ses fonctions ni n’a eu la possibilité de répondre à ces mesures. De plus, dès qu’il a engagé la présente demande de contrôle judiciaire devant la Cour, il a été expulsé de l’immeuble du conseil et son ordinateur a été saisi.

[67]Dans l’arrêt Therrien (Re), [2001] 2 R.C.S. 3, la Cour suprême du Canada a commenté les éléments fondamentaux associés à l’équité procédurale, c’est‑à‑dire le droit d’être entendu et le droit à une audition impartiale. Au paragraphe 82, la Cour s’est exprimée comme suit :

L’obligation d’agir équitablement comporte essentiellement deux volets, soit le droit d’être entendu (règle audi alteram partem) et le droit à une audition impartiale (règle nemo judex in sua causa). La nature et la portée de cette obligation peuvent varier en fonction du contexte particulier et des différentes réalités auxquelles l’organisme administratif est confronté ainsi que de la nature des litiges qu’il est appelé à trancher : Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, p. 895‑896, propos cités avec approbation dans l’arrêt 2747‑3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d’alcool), [1996] 3 R.C.S. 919, par. 22, et Ruffo, précité, par. 88.

[68]Au paragraphe 82, la Cour suprême énonce les facteurs que la juge L’Heureux‑Dubé a décrits, dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, comme des facteurs pertinents pour déterminer l’étendue de l’obligation d’équité procédurale dans un contexte donné :

Ainsi, dans l’arrêt Baker, précité, par. 23‑28, le juge L’Heureux‑Dubé rappelait précisément que la jurisprudence reconnaît plusieurs facteurs pour déterminer les exigences de l’équité procédurale dans un contexte donné. Sans en dresser une liste exhaustive, elle mentionne : (1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir; (2) la nature du régime législatif et les termes de la loi en vertu de laquelle l’organisme en question agit; (3) l’importance de la décision pour les personnes visées; (4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; et (5) le respect des choix de procédure que l’organisme administratif a lui‑même faits, particulièrement quand la loi lui en confie le soin. C’est dans cet esprit que j’examinerai maintenant les allégations de violation des règles de l’équité procédurale soulevées par l’appelant en l’espèce.

[69]De par sa nature, la décision de la bande entraîne la réduction du salaire ainsi que des fonctions et responsabilités du demandeur comme conseiller de la bande. À mon avis, les mesures prises contre le demandeur sont semblables à un congédiement. En fait, le chef Evans aurait certainement congédié le demandeur si celui‑ci avait été employé. Étant donné que le demandeur est un membre élu du conseil de bande et n’est donc pas officiellement un employé, le chef Evans a fait tout ce qu’il pouvait pour limiter les fonctions, responsabilités et honoraires du demandeur, allant même jusqu’à confisquer l’ordinateur que celui‑ci utilisait dans l’exercice de ses attributions comme conseiller. Le chef Evans a agi sans le moindre respect à l’endroit du statut du demandeur comme pair et membre élu à la table du conseil. Dans Première nation Anishinabe de Roseau River c. Première nation Anishinabe de Roseau River (Conseil), 2003 CFPI 168; le juge Kelen a commenté comme suit, au paragraphe 42, la question de l’équité procédurale dans le contexte de la préservation de l’emploi d’une personne :

On considère que le devoir d’équité n’intervient pas dans les décisions de nature générale prises par des organes législatifs et fondées sur des considérations d’intérêt public. En revanche, une décision administrative qui vise une personne en particulier et qui touche « les droits, privilèges ou biens » de cette personne fera intervenir le devoir d’équité; voir l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 20. Le contenu du devoir d’équité peut également varier en fonction des conséquences de la décision sur l’intéressé. La Cour suprême a jugé que, lorsque le droit d’une personne de garder son emploi est en jeu, « une justice de haute qualité est exigée », voir l’arrêt Kane c. Université de la Colombie‑Britannique, [1980] R.C.S. 1105, à la page 1113.

[70]Pour une analyse approfondie de la jurisprudence concernant le devoir d’équité procédurale en ce qui concerne l’obligation d’informer un employé de la sanction disciplinaire prise contre lui, voir la décision que le juge Simon Noël a rendue dans Pelletier c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1545, aux paragraphes 64 et 66.

[71]Les mesures que le conseil de bande a prises ont de graves conséquences pour le demandeur. De plus, les motifs que le conseil de bande a invoqués au soutien de ces mesures sont dénués de tout fondement. Le défendeur Muswagon a reconnu que les honoraires du demandeur ont été réduits au motif qu’il aurait agi de façon à discréditer les efforts déployés par le chef et le conseil de bande. Le demandeur a été informé en toutes lettres que cette décision aurait pu être annulée s’il avait simplement accepté de se conformer aux souhaits du chef plutôt que de critiquer ouvertement les mesures du conseil de bande (voir le compte rendu de la réunion du conseil de bande de la NCNH à la page 15, onglet M du dossier du demandeur, volume III). C’est là un indice clair du trafic d’influence et du chantage dont le demandeur a été la cible. Il est évident que les défendeurs ont agi de mauvaise foi et qu’ils n’ont justifié leur conduite par aucun motif valable. Ils ont contrevenu à leurs devoirs d’équité procédurale en omettant de fournir un avis et des motifs valables au soutien de la réduction des honoraires et responsabilités du demandeur. De plus, même si aucun motif valable ne lui a été fourni, le demandeur aurait dû avoir la possibilité de répondre aux mesures prises contre lui. En ne lui offrant pas cette possibilité, les défendeurs ont contrevenu à un devoir d’équité procédurale.

[72]L’omission de remettre au demandeur un avis de la décision, de lui fournir des motifs valables au soutien de celle‑ci et de lui permettre de se faire entendre n’est pas le seul manquement à l’équité procédurale en l’espèce. Le demandeur soutient que les lignes directri-ces de la NCNH énoncent une procédure claire et équitable à suivre pour réduire les honoraires d’un conseiller. Les articles 10.1 à 10.11 des lignes directrices prévoient ce qui suit à ce sujet :

[traduction]

10.1 Si un conseiller n’exerce pas ses fonctions ou se conduit d’une façon allant à l’encontre des dispositions qui précèdent, un quorum du conseil peut, à une réunion dûment constituée, envisager la suspension du conseiller.

10.2 Lorsqu’une suspension est envisagée, un quorum du conseil remet au conseiller ce qui suit :

10.2.1 Un avis écrit du fait que la question de la suspension du conseiller sera examinée à la prochaine réunion dûment constituée.

10.2.2 Un énoncé détaillé des raisons pour lesquelles la suspension est envisagée.

10.3 Les avis écrits susmentionnés sont remis dix (10) jours francs avant la prochaine réunion dûment constituée du conseil.

10.4 La suspension proposée du conseiller est la première question à l’ordre du jour de la prochaine réunion dûment constituée du conseil.

10.5 Après avoir entendu du membre du conseil désigné à cette fin les allégations susceptibles d’entraîner la suspension, le conseiller a pleinement la possibilité de répondre à ces allégations.

10.6 Après la présentation de la réponse du conseiller aux allégations, une discussion a lieu et un vote est tenu. Le conseiller dont la suspension est envisagée n’est pas admissible à voter.

10.7 Si le conseiller concerné n’est pas présent à la réunion malgré le fait qu’il a reçu l’avis mentionné aux articles 10.2.1 et 10.3, le vote est tenu en son absence.

10.8 Pour qu’un vote soit tenu et qu’une suspension soit confirmée, le chef et tous les autres conseillers doivent être présents à la réunion en question du conseil; le chef et au moins quatre conseillers doivent voter en faveur de la suspension.

10.9 La suspension est en vigueur pendant une période allant d’un à trente (30) jours.

10.10 La suspension est imposée avec ou sans solde, selon la décision du conseil et la gravité de la violation.

10.11 Toute décision de suspendre un conseiller conformément aux présentes dispositions est assujettie à la ratification à une assemblée générale de la nation crie à laquelle la question de la suspension est inscrite à l’ordre du jour. La décision de suspendre le conseiller est ratifiée lorsqu’une majorité des membres présents à l’assemblée générale de la nation crie votent en faveur de cette mesure.

[73]Selon les articles 10.1 à 10.11 des lignes directrices de la NCNH, le conseiller doit d’abord être suspendu de ses fonctions avant que la suspension des honoraires puisse être envisagée. Cependant, dans la présente affaire, il semble que le conseil de bande n’a pas suivi sa propre procédure pour réduire les honoraires du conseiller de la bande. En effet, le conseiller n’a pas été suspendu avant que ses honoraires soient réduits. À mon avis, le demandeur pouvait s’attendre, à tout le moins, à ce que la politique de la bande concernant la suspension soit suivie. En ignorant leurs propres règles internes d’une façon qui donne à penser à un manque de bonne foi, les défendeurs ont contrevenu à un devoir d’équité procédurale (voir Ross c. Mohawk de Kanesatake, 2003 CFPI 531, au paragraphe 95).

[74]Le défendeur Eric Apetagon a décidé de se faire représenter par un avocat, Don Knight, à compter du 10 août 2005.

[75]L’avocat de M. Apetagon n’a fourni aucune observation écrite, mais il a commenté l’attitude de son client aux réunions du conseil. Le défendeur Apetagon a prouvé que, la plupart du temps, il appuyait le demandeur, mais que l’avis des autres l’emportait régulièrement. Selon son avocat, il se trouve ni plus ni moins coincé entre l’arbre et l’écorce. En effet, il a appuyé la position des défendeurs selon laquelle les membres n’avaient pas quitté leurs postes, mais il s’est abstenu de voter au sujet de la résolution N.H./2003‑04 no 128 du 17 mars 2004, qui concerne le mandat relatif à la requête en injonction. En ce qui a trait à la résolution adoptée le 2 décembre 2003 en vue de ratifier la décision unilatérale que le chef avait prise le 23 juillet 2003, la preuve ne permet pas de dire s’il a voté contre cette résolution ou s’il s’est abstenu de voter. Néanmoins, il semble que le défendeur Apetagon n’a pas affiché la même attitude empreinte de mauvaise foi envers le demandeur et qu’il l’a souvent appuyé.

[76]Les membres de la bande ne sont nullement tenus de s’accorder leur soutien mutuel et ils peuvent discuter et voter comme bon leur semble. Néanmoins, lorsqu’ils votent de mauvaise foi, comme l’a fait le conseiller Muswagon lorsqu’il a proposé, le 2 décembre 2004, la résolution visant à ratifier la décision du chef Evans au motif que le demandeur devrait être puni parce qu’il ne voulait pas se conformer à la position de la majorité, ils ne respectent pas les règles et principes de la démocratie.

[77]Je conclus que le défendeur Apetagon n’a pas agi de mauvaise foi et ne devrait pas être tenu de payer les dépens de la présente affaire.

JUGEMENT

LA COUR :

· ACCUEILLE en partie la présente demande de contrôle judiciaire;

· DÉCLARE que la Cour fédérale a compétence en l’espèce;

· DÉCLARE que le chef et les conseillers n’ont pas quitté leurs postes;

· ORDONNE que la résolution du conseil de bande numéro N.H./2003‑04 no 128, du 17 mars 2004, soit annulée et inopérante;

· ORDONNE que la décision du conseil de bande de la NCNH de retenir tout ou partie des honoraires et de l’allocation de dépenses du demandeur découlant du statut et des attributions de celui‑ci comme conseiller élu de la NCNH et équivalant à ceux qui sont versés aux autres conseillers élus de la NCNH conformément aux règlements et politiques applicables soit annulée et que la résolution et la lettre concernant cette décision soient inopérantes;

· DÉCLARE que le demandeur est rétabli dans ses fonctions antérieures et a droit à tous les honoraires et à l’allocation de dépenses découlant de son statut et de ses attributions comme conseiller élu de la NCNH et équivalant à ceux qui sont versés aux autres conseillers élus de la NCNH conformément aux règlements et politiques applicables;

· ORDONNE ÉGALEMENT que, compte tenu de l’annulation, par le présent jugement, de la décision du conseil de la NCNH de priver le demandeur de ses fonctions, responsabilités, honoraires et dépens, tous les montants qui ont été retenus depuis que la décision a été rendue lui soient payés immédiatement, malgré tout appel;

· Le demandeur doit déposer et signifier des observations écrites au sujet des dépens au plus tard le 28 février 2006. Les défendeurs devront déposer et signifier leurs observations écrites en réponse au plus tard le 13 mars 2006 et le demandeur devra déposer et signifier sa réplique, s’il y a lieu, au plus tard le 20 mars 2006.

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