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A‑628‑04

2006 CAF 61

Gérard Thériault (appelant)

c.

L’officier compétent de la division C de la gendarmerie royale du Canada et le procureur général du Canada (intimés)

Répertorié : Thériault c. Gendarmerie royale du Canada (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juges Létourneau, Nadon et Pelletier J.C.A.—Montréal, 9 janvier; Ottawa, 10 février 2006.

GRC — Appel de la décision de la Cour fédérale que la prescription prévue à l’art. 43(8) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada quant à la convocation d’une audience disciplinaire ne s’applique pas parce que les enquêtes internes de la GRC n’étaient pas complétées et que tous les faits n’étaient pas connus — Le juge a confondu la prescription et l’exercice du droit de poursuite — Examen du but et des objectifs de la prescription — Examen du degré de connaissance qui est exigé par l’art. 43(8) — Appréciation objective de la connaissance d’une personne habilitée à intenter une poursuite — La connaissance dont fait état l’art. 43(8) est une connaissance institutionnelle et non personnalisée — Appel accueilli.

Interprétation des lois — L’art. 43(8) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada stipule que l’officier compétent ne peut convoquer une audience relativement à une contravention au code de déontologie censément commise par un membre plus d’une année après que la contravention et l’identité de ce membre ont été portées à sa connaissance — Signification des termes « connaissance de l’officier compétent », application aux faits de la cause — L’interprétation doit tenir compte de l’objectif recherché et du contexte dans lequel s’inscrit la disposition — La prescription de l’art. 43(8) sert un double objectif — Une interprétation qui fait en sorte que la connaissance se rattache au poste ou à la fonction d’officier compétent plutôt qu’au titulaire permet de concilier ces deux objectifs — Il ne faut pas insérer des conditions — La connaissance de la contravention et de l’identité de son auteur sont exigées pour que le délai de prescription commence.

Il s’agissait d’un appel interjeté à l’encontre du rejet par la Cour fédérale d’une demande de contrôle judiciaire du rejet par le commissaire de la GRC d’un appel interjeté à l’encontre de la décision du Comité d’arbitrage d’ordonner le congédiement de l’appelant s’il ne démissionnait pas dans les 14 jours. L’appelant était membre de la GRC depuis 1981. Le 18 mars 1999, le surintendant principal Sugrue fut informé que l’appelant était gérant d’un bar/restaurant contrôlé et fréquenté par des motards criminalisés. À titre intermittent, de mai à octobre 1999, le surintendant Sugrue a été nommé de façon intérimaire commandant de la division « C » en remplacement du commandant en titre, le commissaire‑adjoint Lange. Le commandant en titre, M. Lange, est la personne qui, en tant qu’officier compétent au terme de l’article 43 de la Loi, a décidé de convoquer une audience disciplinaire contre l’appelant le 23 octobre 2000. Il a indiqué qu’il avait été mis au courant verbalement des allégations contre l’appelant le 8 novembre 1999.

Le paragraphe 43(8) de la Loi sur la Gendarmerie Royale du Canada prévoit que l’officier compétent ne peut convoquer une audience relativement à une contravention au code de déontologie censément commise par un membre plus d’une année après que la contravention et l’identité de ce membre ont été portées à sa connaissance. L’appelant s’est objecté dès le départ à la poursuite disciplinaire intentée contre lui en invoquant la prescription.

Dans le cas présent, la question en litige revenait à définir ce que signifient les termes « connaissance de l’officier compétent » que l’on retrouve au paragraphe 43(8) de la Loi et à appliquer cette définition aux faits de l’espèce.

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

La norme de la décision correcte s’appliquait à la définition de ces termes par l’autorité administrative, et celle de la raisonnabilité à son application aux faits de la cause.

Les normes déontologiques, imposées à des professionnels ou à des policiers investis de pouvoirs spéciaux pour faire respecter les lois, sont édictées à la fois pour assurer la protection du public et promouvoir la confiance de ce dernier dans les organismes professionnels ou publics. Elles visent également, dans les corps policiers, à y maintenir la discipline et l’intégrité, deux éléments essentiels pour s’assurer du respect et de la collaboration du public qui sont indispensables à la poursuite des objectifs de mise en œuvre des lois. L’introduction d’un mécanisme de prescription dans un système de poursuite disciplinaire a pour but d’y apporter une certaine équité dans le traitement des contrevenants et de leur permettre de présenter une défense pleine et entière que peuvent compromettre l’écoulement du temps ou les retards indus à procéder. Dans le cas qui nous occupe, le législateur a prévu que la prescription ne courait que du jour où l’officier compétent avait connaissance des deux éléments essentiels à la poursuite d’une contravention, soit son existence et l’identité de son auteur. En édictant le délai de prescription du paragraphe 43(8), le législateur visait à en déterminer un point de départ qui concilie la nécessité de protéger le public et la crédibilité de l’institution et celle d’octroyer un traitement équitable aux membres qui la composent et s’y dévouent.

Sur la question de la connaissance et du degré de connaissance requis par le paragraphe 43(8) de la Loi pour actionner le mécanisme de la prescription, l’officier compétent acquiert la connaissance d’une contravention et de l’identité de son auteur lorsqu’il possède suffisamment d’informations crédibles et convaincantes quant aux éléments constitutifs de la contravention alléguée et quant à l’identité de son auteur pour raisonnablement croire que cette contravention a été commise et que la personne à qui on l’impute en est l’auteur. De là, à l’intérieur du délai de prescription, une enquête de vérification et de confirmation des informations crédibles et convaincantes reçues et maintenant connues quant à la contravention et à son auteur peut se faire, si le besoin s’en fait sentir. Il n’est donc pas nécessaire, pour qu’il y ait une connaissance de ces faits aux fins de la prescription, qu’une preuve hors de tout doute raisonnable de ceux‑ci ait été colligée ou que leur existence ait été confirmée par une enquête de vérification ou de certification.

La norme d’appréciation de la connaissance d’une personne habilitée à intenter une poursuite est, pour les fins d’une prescription dont le point de départ est la connaissance qu’elle a de la contravention, une norme objective. Il n’appartient pas à la personne ainsi habilitée, en l’occurrence l’officier compétent, de déterminer le moment où il acquiert une connaissance suffisante pour déclencher la prescription. Cette détermination appartient au tribunal devant qui il est allégué que les poursuites sont prescrites (le Comité d’arbitrage). La norme objective d’appréciation retenue par les tribunaux réfère à un critère de « raisonnabilité » pour qualifier la croyance que l’officier compétent doit avoir qu’une contravention a été commise et que la personne à qui on l’impute en est l’auteur. Confrontée à la même information dont dispose l’officier compétent, une personne raisonnable ne pourrait qu’en arriver à la même conclusion.

Le Comité d’arbitrage a conclu que le surintendant Sugrue à titre d’officier responsable des enquêtes criminelles (OREC) connaissait la contravention reprochée et l’identité de son auteur, mais que lorsqu’il agissait comme officier compétent, il n’avait pas cette connaissance en cette capacité. C’est à bon droit que le Comité externe a rejeté cette interprétation en affirmant que si un membre a connaissance d’une allégation à l’effet qu’un autre membre a contrevenu au Code de déontologie, cette connaissance le suit lorsqu’il assume le commandement de la division, même s’il n’assume ses fonctions que de façon intérimaire. Le Comité externe a toutefois commis une erreur lorsqu’il a conclu qu’il aurait probablement été mal venu de la part du surintendant Sugrue d’intenter des procédures disciplinaires contre l’appelant. Peut‑être était il souhaitable pour les fins de gestion interne que les poursuites soient intentées par l’officier compétent en titre, mais la protection de l’intérêt public et de l’intégrité de l’institution n’exigeait pas moins qu’ils se parlent et qu’ils coordonnent leurs efforts puisque le mécanisme de la prescription fut actionné par la connaissance que l’officier compétent intérimaire Sugrue avait de la contravention et de son auteur. La connaissance dont fait état le paragraphe 43(8) est une connaissance qui se rattache au poste ou à la fonction et non à son titulaire. Il s’agit d’une connaissance institutionnelle et non personnalisée ou ad personam. Les objectifs recherchés par le législateur en édictant la norme de prescription du paragraphe 43(8) ne sauraient être contournés en permettant qu’un officier compétent fasse abstraction ou se départisse de la connaissance qu’il a et qu’un autre, qui finalement intente les poursuites, puisse invoquer une connaissance tardive ou une absence de connaissance alors qu’objectivement les conditions du paragraphe 43(8) étaient satisfaites : un officier compétent assumant les pleins pouvoirs de la fonction connaissait les éléments constitutifs de la contravention et l’identité de son auteur. Tant le Comité d’arbitrage que le Comité externe ont conclu que le surintendant Sugrue avait la connaissance requise par le paragraphe 43(8) de la Loi avant qu’il n’assume les fonctions d’officier compétent en mai 1999. Le dépôt des plaintes disciplinaires le 23 octobre 2000 se situait en dehors du délai de prescription et on ne pouvait pas convoquer une audience du Comité d’arbitrage.

En concluant que la connaissance dont il est fait mention au paragraphe 43(8) de la Loi ne pouvait exister tant que les enquêtes internes de la GRC n’étaient pas complétées et que tous les faits n’étaient pas connus pour pouvoir exercer le droit de poursuite, le juge de la Cour fédérale a confondu la prescription et l’exercice du droit de poursuite. Pour démarrer la prescription, il n’est pas nécessaire d’avoir en main toute la preuve ou l’information qui est requise pour exercer le droit de poursuite. La position prise par le juge a eu pour effet de proroger le délai de prescription au‑delà de ce qui est envisagé par le paragraphe 43(8).

lois et règlements cités

Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 32, art. 38(4) (mod. par L.C. 2001, ch. 9, art. 583).

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21, art. 23(5).

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R‑10, art. 43 (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 16), partie IV (mod., idem).

Loi sur les banques, L.C. 1991, ch. 46, art. 987(1) (édicté par L.C. 2001, ch. 9, art. 183).

Loi sur les engrais, L.R.C. (1985), ch. F‑10, art. 10.1 (édicté par L.C. 1997, ch. 6, art. 50).

Loi sur les prêts destinés aux améliorations agricoles et à la commercialisation selon la formule coopérative, L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 25, art. 17(4).

Loi sur les valeurs mobilières, L.R.O. 1990, ch. S.5.

jurisprudence citée

décisions appliquées :

R. v. Fingold (1999), 45 B.L.R. (2d) 261; 89 O.T.C. 249 (Div. gén. Ont.); Ontario (Securities Commission) v. International Containers Inc., [1989] O.J. no 1007 (H.C.J.) (QL); Romashenko v. Real Estate Council of British Columbia (2000), 77 B.C.L.R. (3d) 237; 143 B.C.A.C. 132; 2000 BCCA 400.

décision examinée :

Blencoe c. Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307; 2000 CSC 44.

décisions citées :

Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226; 2003 CSC 19; Béchard c. Roy, [1975] C.A. 509 (Qc); R. v. Sentes (2003), 175 Man. R. (2d) 84 (C. P.).

doctrine citée

Brown, J. M. and John M. Evans. Judicial Review of Administrative Action in Canada, looseleaf. Toronto : Canvasback, 1998.

Cournoyer, Guy et Patrick de Niverville. La procédure disciplinaire du Barreau du Québec, Collection de Droit : Éthique, déontologie et pratique professionnelle, Vol. 1 Cowansville : Éditions Yvon Blais Inc., 2005‑2006.

Goulet, Mario. Le droit disciplinaire des corporations professionnelles, Cowansville (Qué.) : Éditions Yvon Blais, 1993.

Petit Larousse illustré. Paris : Larousse, 1997.

Petit Robert 1 : Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. Paris : Le Robert, 1992.

Poirier, Sylvie. La discipline professionnelle au Québec : principes législatifs, jurisprudentiels et aspects pratiques. Cowansville (Qué.) : Éditions Yvon Blais, 1998.

APPEL interjeté à l’encontre du rejet par la Cour fédérale d’une demande de contrôle judiciaire du rejet par le commissaire de la GRC d’un appel interjeté à l’encontre de la décision du Comité d’arbitrage d’ordonner le congédiement de l’appelant s’il ne démissionnait pas dans les 14 jours (Thériault c. Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2004 CF 1506). Appel accueilli.

ont comparu :

James R. K. Duggan pour l’appelant.

Raymond Piché et Paul Deschênes pour les intimés.

avocats inscrits au dossier :

James R. K. Duggan, Montréal, pour l’appelant.

Le sous‑procureur général du Canada pour les intimés.

Voici les motifs du jugement rendus en français par

[1]Le juge Létourneau, J.C.A. : Les procédures disciplinaires intentées contre l’appelant en tant que membre de la Gendarmerie Royale du Canada (GRC) étaient‑elles prescrites en vertu du paragraphe 43(8) [mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 16] de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R‑10 (Loi)? Ce paragraphe stipule : « [l]’officier compétent ne peut convoquer une audience en vertu du présent article relativement à une contravention au code de déontologie censément commise par un membre plus d’une année après que la contravention et l’identité de ce membre ont été portées à sa connaissance  » [soulignement ajouté]. Il convient de noter que la connaissance dont il est ici question est celle de l’officier compétent et non celle des personnes qui sont chargées de faire enquête et rapport sur les allégations de manquements à la déontologie. En d’autres termes, la connaissance par des tiers, même si ce sont des subalternes de l’officier compétent, ne permet pas de faire démarrer la période de prescription.

[2]La question est importante, nous dit‑on, parce que c’est la première fois qu’elle est portée devant notre juridiction d’appel et que la position prise par la Cour fédérale déroge à la pratique qui avait cours précédemment au sein des comités d’arbitrage quant au degré et aux éléments de connaissance requis pour satisfaire aux conditions du paragraphe 43(8). Je reviendrai sur cette question. Auparavant, un bref rappel de l’historique des procédures s’impose.

BREF RAPPEL HISTORIQUE DES PROCÉDURES

[3]L’appelant s’est objecté dès le départ à la poursuite disciplinaire intentée contre lui sous deux allégations de contravention à la déontologie, soit d’avoir agi comme gérant dans un bar/restaurant fréquenté par des motards criminalisés et d’avoir tenté à cet endroit de faciliter une transaction de stupéfiants. Son objection fondée sur la prescription n’a pas été retenue par le Comité d’arbitrage qui a ordonné son congédiement s’il ne démissionnait pas dans un délai de 14 jours. Son appel au commissaire de la GRC (commissaire) fut rejeté par ce dernier sur recommandation du Comité externe d’examen de la GRC (Comité externe). De là, l’appelant a intenté, mais sans succès, une demande de contrôle judiciaire en Cour fédérale [2004 CF 1506] à l’encontre de la décision du commissaire. C’est du rejet de cette demande de contrôle judiciaire dont il y a maintenant appel.

LES FAITS À L’ORIGINE DU LITIGE

[4]L’appelant était membre de la GRC depuis 1981 au moment où lui furent reprochés les manquements à la déontologie.

[5]Le 18 mars 1999, alors qu’il était sous le coup d’une suspension pour une autre affaire qui n’est pas reliée à la présente, le caporal Verdon de la GRC fut informé par un membre de la section anti‑gang du Service de police de la Communauté urbaine de Montréal (SPCUM) que l’appelant était gérant d’un bar/restaurant contrôlé et fréquenté par des motards criminalisés. Suivant cette information, l’appelant aurait même fermé la porte au nez aux enquêteurs de la section moralité du SPCUM alors qu’ils étaient dans l’exercice de leurs fonctions (dossier d’appel, vol. 1, page 57).

[6]Le caporal Verdon informe le surintendant Fournier, officier responsable du Service divisionnaire de renseignements pour la division « C » de la GRC, des renseignements obtenus du SPCUM. Le jour même où il reçoit cette information, le surintendant Fournier en transmet la teneur à l’officier responsable des enquêtes criminelles (l’OREC), en l’occurrence le surintendant principal Sugrue (dossier d’appel, vol. 1, page 85). Sans attendre, ce dernier se réunit avec le sergent d’état‑major Wafer du Bureau des enquêtes spéciales de la GRC à Montréal, le surintendant Dion (un adjoint de l’OREC) et le surintendant Fournier. La réunion de ces intervenants débouche sur une décision de confier à la section des Enquêtes spéciales de la GRC, qui relève de l’OREC, le mandat d’enquêter sur l’information reçue. Le sergent d’état‑major Wafer est chargé de coordonner l’enquête avec le SPCUM (dossier d’appel, page 116).

[7]À ce stade, l’information détenue par la GRC était embryonnaire et ténue. Il fallait en vérifier la teneur et l’approfondir. Aussi, le sergent d’état‑major Wafer communique‑t‑il, le 19 mars 1999, avec le lieutenant Plante du SPCUM. Il apprend alors de ce dernier deux choses : la documentation concernant l’appelant sera disponible au cours de la semaine suivante et une opération d’agent double visant le bar/restaurant en question et le trafic de stupéfiants serait bientôt menée.

[8]Une rencontre a lieu le 23 avril 1999 entre le lieutenant Plante du SPCUM et les sergents d’état‑major Wafer et Martel. Ces derniers sont informés du déroulement de l’opération d’infiltration. Ils apprennent que l’appelant a tenté d’obtenir de la cocaïne pour l’agent double. On leur dit qu’un rapport détaillé portant sur les contraventions commises par l’appelant leur serait fourni sous peu (dossier d’appel, pages 61 et 62).

[9]Le 10 mai 1999, le sergent Hardy se joint à la section des enquêtes spéciales et se voit confier la responsabilité de l’enquête concernant l’appelant. Il relève à ce moment du sergent d’état‑major Martel qui vient de remplacer le sergent d’état‑major Wafer. Monsieur Martel est, aux fins de cette affaire, sous l’autorité directe du surintendant Sugrue (dossier d’appel, page 120).

[10]Le sergent Hardy reçoit le 23 juin 1999, du lieutenant Plante du SPCUM, les notes prises par l’agent double lorsque ce dernier a rencontré l’appelant. Le 27 juillet 1999, le sergent d’état‑major Couture, de la section des enquêtes internes de la GRC, prend connaissance des notes en la possession du sergent Hardy lors d’une rencontre avec ce dernier (dossier d’appel, page 59). À cette occasion, il est convenu que les informations en main sont suffisantes pour mettre en branle une enquête interne aux termes de la Partie IV [art. 37 à 45.17 (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 16) de la Loi. Celle‑ci toutefois ne débutera qu’à la fin de l’été 1999 selon le témoignage du surintendant Sugrue (dossier d’appel, page 119).

[11]De mai à octobre 1999, le surintendant Sugrue qui, rappelons‑le, était le directeur de l’OREC et le superviseur de l’enquête sur l’appelant, a été nommé de façon intérimaire commandant de la division « C » en remplacement du commandant en titre, le commissaire‑adjoint Lange (voir au dossier d’appel, page 63, l’acte de nomination intérimaire). Le remplacement fut intermittent, mais dura au total 44 jours. Le surintendant Sugrue possédait en tant qu’intérimaire tous les pouvoirs du commandant en titre, y compris les « pouvoirs financiers de signer » qui se rattachaient au poste. Les documents de nomination émis pour chaque période de remplacement indiquent que, pour les périodes du 25 mai au 5 juin 1999, du 11 au 21 juin 1999, du 16 au 18 août 1999, du 19 au 30 août 1999 et du 11 au 16 septembre 1999, le surintendant Sugrue pouvait « remplir les fonctions de la nomination temporaire ainsi que les fonctions permanentes du poste » (dossier d’appel, vol. 2, pages 236 à 239). Je le mentionne en passant : le paragraphe 23(5) de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21, énonce que lorsqu’un pouvoir est conféré ou un devoir est imposé au titulaire d’un poste en cette qualité, le pouvoir peut être exercé et le devoir doit être accompli par la personne alors chargée de l’exercice des attributions relatives à ce poste.

[12]Le commandant en titre, M. Lange, est la personne qui, en tant qu’officier compétent au terme de l’article 43 de la Loi, a décidé de convoquer une audience disciplinaire contre l’appelant vu la gravité des gestes reprochés à ce dernier. Je reproduis l’article 43 dans son entier étant donné la pertinence de plusieurs de ses paragraphes et le fait que le paragraphe 43(8) se situe au cœur du présent litige :

Mesures disciplinaires graves

43. (1) Sous réserve des paragraphes (7) et (8), lorsqu’il apparaît à un officier compétent qu’un membre a contrevenu au code de déontologie et qu’eu égard à la gravité de la contravention et aux circonstances, les mesures disciplinaires simples visées à l’article 41 ne seraient pas suffisantes si la contravention était établie, il convoque une audience pour enquêter sur la contravention présumée et fait part de sa décision à l’officier désigné par le commissaire pour l’application du présent article.

(2) Dès qu’il est avisé de cette décision, l’officier désigné nomme trois officiers à titre de membres d’un comité d’arbitrage pour tenir l’audience et en avise l’officier compétent.

(3) Au moins un des trois officiers du comité d’arbitrage est un diplômé d’une école de droit reconnue par le barreau d’une province.

(4) Dès qu’il est ainsi avisé, l’officier compétent signifie au membre soupçonné d’avoir contrevenu au code de déontologie un avis écrit de l’audience accompagné des documents suivants :

a) une copie de la preuve écrite ou documentaire qui sera produite à l’audience;

b) une copie des déclarations obtenues des personnes qui seront citées comme témoins à l’audience;

c) une liste des pièces qui seront produites à l’audience.

(5) L’avis d’audience signifié à un membre en vertu du paragraphe (4) peut alléguer plus d’une contravention au code de déontologie et doit contenir les éléments suivants :

a) un énoncé distinct de chaque contravention alléguée;

b) un énoncé détaillé de l’acte ou de l’omission constituant chaque contravention alléguée;

c) le nom des membres du comité d’arbitrage;

d) l’énoncé du droit d’opposition du membre à la nomination de tout membre du comité d’arbitrage comme le prévoit l’article 44.

(6) L’énoncé détaillé visé à l’alinéa (5)b) doit être suffisamment précis et mentionner, si possible, le lieu et la date où se serait produite chaque contravention alléguée dans l’avis d’audience, afin que le membre qui en reçoit signification puisse connaître la nature des contraventions alléguées et préparer sa défense en conséquence.

(7) L’officier compétent ne peut convoquer une audience en vertu du présent article relativement à une contravention au code de déontologie censément commise par un membre à qui la mesure disciplinaire simple visée à l’alinéa 41(1)g) a déjà été imposée à l’égard de cette contravention.

(8) L’officier compétent ne peut convoquer une audience en vertu du présent article relativement à une contravention au code de déontologie censément commise par un membre plus d’une année après que la contravention et l’identité de ce membre ont été portées à sa connaissance.

(9) En l’absence de preuve contraire, un certificat présenté comme signé par l’officier compétent et faisant état du moment où ont été portées à sa connaissance une contravention au code de déontologie censément commise par un membre et l’identité de ce dernier, constitue une preuve de ce moment sans qu’il soit nécessaire d’établir l’authenticité de la signature ni la qualité du signataire.

[13]La décision du commandant en titre Lange de convoquer, à titre d’officier compétent, un Comité d’arbitrage pour déterminer s’il y avait lieu de prendre des mesures disciplinaires graves contre l’appelant fut prise le 23 octobre 2000 (dossier d’appel, page 194). Devant le Comité d’arbitrage, M. Lange a indiqué qu’il avait été mis au courant verbalement des allégations contre l’appelant par Me Stéphanie Andrégnette le 8 novembre 1999. Cette dernière lui a suggéré de contacter l’OREC pour avoir plus de preuves (dossier d’appel, vol. 2, pages 226 et 227). M. Lange a aussi affirmé qu’il n’avait pas discuté avec le surintendant Sugrue des questions concernant l’appelant avant le 8 novembre 1999 (ibid, à la page 229).

[14]Ce sont là les données factuelles qui constituent la toile de fond du présent litige.

LA DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE

[15]Il n’est pas nécessaire à ce stade‑ci de reprendre les justifications données par le Comité d’arbitrage et le Comité externe à l’appui de leurs positions respectives. J’y reviendrai plus tard. Il suffit pour l’instant d’indiquer que la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire de l’appelant, mais pour des motifs différents de ceux exprimés par les deux comités ci‑auparavant mentionnés.

[16]De fait, tel qu’il appert du paragraphe 43 des motifs de sa décision, le juge de la Cour fédérale s’est dit d’avis que le surintendant Sugrue ne possédait pas le niveau ou le degré de connaissance requis par le paragraphe 43(8) de la Loi pour enclencher la prescription lorsqu’il a occupé les fonctions d’officier compétent entre les mois de mai et octobre 1999.

[17]Le juge de la Cour fédérale s’est aussi dit d’avis que la prescription commence à courir à partir de la connaissance requise par le paragraphe 43(8) et qu’il importe peu que la personne en poste en soit le titulaire permanent ou le titulaire intérimaire ou temporaire. Ceci m’amène donc à discuter de la connaissance requise par le paragraphe 43(8) de la Loi. Mais je ne me livrerai pas à l’exercice avant d’avoir au préalable établi la norme de contrôle applicable et fait une courte digression sur le but et les objectifs de la prescription, particulièrement celle du paragraphe 43(8), qui semblent empreints d’une certaine confusion.

LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[18]Le juge de la Cour fédérale a conclu au paragraphe 20 de sa décision que la norme de la décision correcte s’appliquait à la révision d’une interprétation erronée du texte législatif. Par contre, dira‑t‑il, les questions mixtes de fait et de droit, dont celle de savoir si la convocation d’une audience disciplinaire était prescrite, sont soumises à la norme de la raisonnabilité.

[19]Le rôle de notre Cour en appel d’une décision judiciaire portant sur une demande de contrôle judiciaire d’une décision administrative consiste à déterminer si le juge a choisi la bonne norme de contrôle de la décision administrative et l’a correctement appliquée : Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226.

[20]Dans le cas présent, la question en litige revenait à définir ce que signifient les termes « connaissance de l’officier compétent » que l’on retrouve au paragraphe 43(8) de la Loi et à appliquer cette définition aux faits de l’espèce. Je suis d’accord avec le juge de la Cour fédérale que la norme de la décision correcte s’applique à la définition de ces termes par l’autorité administra-tive, et celle de la raisonnabilité à son application aux faits de la cause.

[21]Sans le dire expressément, le juge de la Cour fédérale est intervenu à bon droit pour corriger la définition que le commissaire a donnée à ces termes. Malheureusement, ceci dit avec respect, je crois, comme nous le verrons plus loin, que celle qu’il y a substituée était aussi erronée. Il nous appartient donc de définir correctement ces termes et d’examiner la décision du commissaire à la lumière de cette définition.

LES BUTS ET LES OBJECTIFS DE LA PRESCRIP-TION

[22]Il n’est pas rare en matière disciplinaire, à l’instar des principes qui régissent la poursuite des actes criminels, que les contraventions à la déontologie soient imprescriptibles (par exemple au Québec, sur l’imprescriptibilité, voir Béchard c. Roy, [1975] C.A. 509; Guy Cournoyer et et Patrick de Niverville, La procédure disciplinaire du Barreau du Québec, Collection de Droit : Éthique, déontologie et pratique professionnelle, Vol. I, Cowansville : Éditions Yvon Blais, 2006-2006, à la page 56; S. Poirier, La discipline professionnelle au Québec : principes législatifs, jurisprudentiels et aspects pratiques, Cowansville : Éditions Yvon Blais, 1998,  à la page 76; M. Goulet, Le droit disciplinaire des corporations professionnelles, Cowansville : Éditions Yvon Blais, 1993, aux pages 49 et 50). La raison en est que les normes déontologiques, imposées à des professionnels ou à des policiers investis de pouvoirs spéciaux pour faire respecter les lois, sont édictées à la fois pour assurer la protection du public et promouvoir la confiance de ce dernier dans les organismes professionnels ou publics. Elles visent également, dans les corps policiers, à y maintenir la discipline et l’intégrité, deux éléments essentiels pour s’assurer du respect et de la collaboration du public qui sont indispensables à l’exercice efficient des fonctions policières et à la poursuite des objectifs de mise en œuvre des lois.

[23]L’introduction d’un mécanisme de prescription dans un système de poursuite disciplinaire a pour but d’y apporter une certaine équité dans le traitement des contrevenants et de leur permettre de présenter une défense pleine et entière que peuvent compromettre l’écoulement du temps ou les retards indus à procéder. Même en l’absence d’un délai de prescription, il demeure possible de présenter une requête fondée sur l’écoulement d’un délai déraisonnable si l’accusé est en mesure d’établir que le délai entre l’infraction et l’inculpation et/ou le délai après l’inculpation lui ont causé un préjudice qui compromet son droit à une défense pleine et entière ou l’équité de l’audience : J. M. Brown et John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, feuilles mobiles. Toronto : Canvasback, 1998, aux pages 9 à 81; Cournoyer et de Niverville, à la page 56; S. Poirier, aux pages 76 à 97. Dans Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307, au paragraphe 102, le juge Bastarache écrit :

Lorsqu’un délai compromet la capacité d’une partie de répondre à la plainte portée contre elle, notamment parce que ses souvenirs se sont estompés, parce que des témoins essentiels sont décédés ou ne sont pas disponibles ou parce que des éléments de preuve ont été perdus, le délai dans les procédures administratives peut être invoqué pour contester la validité de ces procédures et pour justifier réparation […] Il est donc reconnu que les principes de justice naturelle et l’obligation d’agir équitablement comprennent le droit à une audience équitable et qu’il est possible de remédier au délai injustifié dans des procédures administratives qui compromettent l’équité de l’audience [. . .]

[24]En règle générale, les délais statutaires de prescription, d’une durée variable, courent du jour où la contravention a été commise. Lorsque les contraven-tions, de par leur nature, s’avèrent difficiles à détecter ou nécessitent des enquêtes longues et laborieuses, il arrive que le législateur ait prévu dans les lois une double prescription, c’est‑à‑dire une prescription plus longue courant à partir du jour de la commission de l’infraction, ou un point de départ de la computation du délai autre que la simple commission de l’acte fautif.

[25]Par exemple, dans la Loi sur les prêts destinés aux améliorations agricoles et à la commercialisation selon la formule coopérative, L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 25, le paragraphe 17(4) énonce que les poursuites visant l’infraction prévue à cet article se prescrivent par un délai d’un an suivant la date où le ministre a connaissance d’un élément de preuve qu’il estime suffisant pour les intenter mais, en tout état de cause, au maximum par trois ans à compter de la perpétration de l’infraction.

[26]Aussi bien le paragraphe 10.1(1) [édicté par L.C. 1997, ch. 6, art. 50] de la Loi sur les engrais, L.R.C. (1985), ch. F‑10, le paragraphe 38(4) [mod. par L.C. 2001, ch. 9, art. 583] de la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 32 que le paragraphe 987(1) [édicté par L.C. 2001, ch. 9, art. 183] de la Loi sur les banques, L.C. 1991, ch. 46, prévoient comme seul point de départ de la prescription la connaissance que le ministre, le surintendant ou le commissaire, selon le cas, a eu des éléments constitutifs de l’infraction.

[27]Dans le cas qui nous occupe, sans doute par souci de mieux protéger le public et d’assurer la crédibilité de l’institution, le législateur a prévu que la prescription ne courait que du jour où l’officier compétent avait connaissance des deux éléments essentiels à la poursuite d’une contravention, soit son existence et l’identité de son auteur. Ce deuxième élément ajoute à la durée de la prescription dans tous les cas où la contravention constatée n’a pu être reliée à son auteur immédiatement et a nécessité une enquête plus longue.

[28]Il n’est donc pas tout à fait exact de postuler que le législateur a voulu, et de mettre l’emphase sur ce point, que les poursuites disciplinaires en vertu de la Loi procèdent avec célérité. Car si c’était le cas, il aurait fait courir la prescription du jour de la contravention. Ou encore, s’il l’avait fait courir du jour de la connaissance de la contravention, il n’y aurait pas ajouté celle de l’identité de son auteur.

[29]Je crois qu’en édictant le délai de prescription du paragraphe 43(8), le législateur visait à en déterminer un point de départ qui concilie la nécessité de protéger le public et la crédibilité de l’institution et celle d’octroyer un traitement équitable aux membres qui la composent et s’y dévouent. Le mécanisme du paragraphe 43(8) offre donc une flexibilité désirable à des fins d’enquête et de poursuite. Mais il a ses limites. Et inévitablement le couperet du temps finit par tomber sur l’inaction et trancher la question en faveur du contrevenant. Comme le mentionne le Comité d’examen dans sa décision, il est malheureux, et j’ajouterais toujours périlleux, lorsque la contravention et son auteur sont connus, d’attendre à la 11e heure ou, j’ajouterais, juste avant le coup de minuit pour intenter une poursuite (dossier d’appel, vol. I, page 178). Qu’en est‑il dans le présent cas?

DÉFINITION DE LA CONNAISSANCE REQUISE PAR LE PARAGRAPHE 43(8), DEGRÉ ET NORME

Les faits que l’officier compétent doit connaître

[30]En vertu du paragraphe 43(8) de la Loi, je le rappelle, l’officier compétent doit, pour actionner le délai de prescription d’un an, avoir connaissance de deux faits : la contravention et l’identité de son auteur. Il va de soi que de simples rumeurs, soupçons ou insinuations quant à l’existence d’une contravention ou quant à l’identité de son auteur ne suffisent pas à en faire des faits, c’est‑à‑dire à établir la contravention et l’identité de son auteur.

[31]Je suis d’accord avec le juge Keenan dans l’affaire R. v. Fingold (1999), 45 B.L.R. (2d) 261 (Div. gén. Ont.), au paragraphe 56 où il s’agissait d’interpréter un délai de prescription d’un an de la connaissance des faits par la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario, que [traduction] « lorsque l’on parle de “faits”, il ne s’agit pas simplement de rumeurs ou de commérages ou même de “lourds” soupçons. Il doit s’agir de renseignements obtenus auprès d’une source identifiable dont on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’elle possède ces renseignements et ceux-ci doivent avoir été obtenus dans des circonstances qui tendent à étayer leur exactitude et leur fiabilité ».

[32]Dans l’affaire Ontario (Securities Commission) v. International Containers Inc., [1989] O.J. no 1007 (H.C.J.), approuvée par l’affaire Fingold, et par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans Romashenko v. Real Estate Council of British Columbia (2000), 77 B.C.L.R. (3d) 237, aux paragraphes 17 et 18, le juge Carruthers retient comme faits ou informations qui enclenchent la prescription ceux qui constituent les éléments matériels ou essentiels requis par la loi pour l’accusation. Dans l’affaire Romashenko, le juge Huddart réfère à la preuve [au paragraphe 17] [traduction] « relative aux allégations essentielles de l’acte d’accusation ». Cette approche est celle qui prévaut en l’espèce. D’ailleurs, elle rejoint les clauses de prescription analogues que l’on retrouve dans les trois lois précitées à titre d’exemples (Loi sur les banques, Loi sur les engrais et Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension) où la connaissance réfère à la connaissance des éléments constitutifs de l’infraction.

Le degré de connaissance des éléments essentiels de la contravention

[33]Tout comme pour l’établissement d’un fait, il va aussi de soi que de simples soupçons quant à l’existence d’une contravention ou quant à l’identité de son auteur, s’ils peuvent justifier la mise en branle d’une enquête, ne peuvent fonder la connaissance requise pour actionner le mécanisme de la prescription du paragraphe 43(8).

[34]Selon les termes du dictionnaire (Le Petit Larousse illustré, Paris : Larousse, 1997, pages 260 et 941, Le Petit Robert 1 : Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris : Le Robert, 1992, pages 368 et 1844), connaître un fait, c’est savoir qu’il existe et être renseigné sur ses éléments constitutifs. Le soupçonner, c’est en conjecturer l’existence et en supposer les éléments qui le définiraient. En d’autres termes, celui qui connaît sait; celui qui soupçonne présume ou spécule.

[35]Dans le contexte aussi bien de poursuites disciplinaires que de poursuites pénales, la connaissance d’une contravention et de l’identité de son auteur signifie que la personne investie du pouvoir d’engager les poursuites doit avoir suffisamment d’information crédible et convaincante quant à la contravention alléguée et quant à son auteur pour raisonnablement croire que cette contravention a été commise et que la personne à qui on l’impute en est l’auteur.

[36]Il s’agit là, à mon humble avis, du degré de connaissance requis pour les fins d’actionner le mécanisme de la prescription du paragraphe 43(8) de la Loi. Il n’est pas nécessaire à ce moment d’avoir en main toute la preuve qui peut s’avérer nécessaire ou être admise au procès : voir Ontario (Securities Commission) v. International Containers Inc. Il n’est également pas nécessaire de posséder à ce stade les détails nécessaires pour répondre à une éventuelle demande de précisions : ibid.

[37]De même, pour les fins du point de départ de la prescription, je ne crois pas que l’officier compétent doive connaître les informations qu’il est requis de communiquer au contrevenant avec l’avis d’audience et que l’on retrouve aux paragraphes 43(4) et (6) de la Loi. Cette communication de la preuve au contrevenant n’est pas dictée par les règles de la prescription, mais par les règles de justice naturelle et d’équité procédurale à l’audience.

[38]Il importe bien de ne pas confondre les deux situations au plan juridique. Il se peut qu’au moment où il acquiert, pour fins du déclenchement de la prescription, la connaissance de l’existence d’une contravention, l’officier compétent ne dispose pas de toute l’information lui permettant de satisfaire aux paragraphes 43(4) et (6). Mais il n’est pas obligé à ce stade de convoquer une audience disciplinaire si, au terme du paragraphe 43(1), il ne connaît pas la gravité de la contravention et si les circonstances ne lui permettent pas de savoir si des mesures disciplinaires simples sont suffisantes. Il peut poursuivre l’enquête ou demander des compléments d’enquête pour s’en satisfaire et rencontrer les obligations des paragraphes 43(4) et (6).

[39]De fait, les paragraphes 43(1) et (8) se complètent, mais pas dans le sens que le procureur des intimés nous a soumis à l’audience.

[40]Selon le paragraphe 43(1), l’officier compétent se voit imposer l’obligation de convoquer une audience disciplinaire lorsqu’il lui apparaît qu’une contravention a été commise au code de déontologie et qu’eu égard à la gravité de la contravention et aux circonstances, des mesures disciplinaires graves s’imposent. À ce moment‑là, il dispose de plus d’informations que ce qui est requis pour amorcer la prescription. Il possède les informations nécessaires pour satisfaire aux principes de justice naturelle consacrés dans les paragraphes 43(4) et (6). D’où l’obligation qui lui est faite de maintenant convoquer l’audience disciplinaire.

[41]Le procureur des intimés soumet que toute cette information dont il est fait mention au paragraphe 43(1) doit aussi être à la connaissance de l’officier pour et avant que, sous le paragraphe 43(8), le point de départ de la prescription puisse être activé. La difficulté avec cette prétention est triple.

[42]Premièrement, les mots « eu égard à la gravité de la contravention et aux circonstances » n’apparaissent pas dans le texte du paragraphe 43(8). Pour accéder à la prétention des intimés, il faut nécessairement réécrire le texte du paragraphe 43(8) pour qu’il se lise « après que la contravention, sa gravité et les circonstances de sa commission, et l’identité de ce membre ont été portées à sa connaissance ».

[43]Deuxièmement, le législateur n’est pas censé parler pour ne rien dire. S’il avait voulu que la règle de la prescription de la poursuite soit soumise aux mêmes conditions que celle justifiant et contraignant l’officier de convoquer une audience, il aurait repris dans le paragraphe 43(8) les mêmes termes qu’il a utilisés au paragraphe 43(1).

[44]Troisièmement, la référence « à la gravité de la contravention et aux circonstances » que l’on retrouve au paragraphe 43(1) s’ajoute au fait que l’officier compétent connaît l’existence de la contravention. Il ne saurait en être autrement. Comment peut‑il s’interroger sur sa gravité et les circonstances de sa commission s’il en ignore l’existence? C’est à cette connaissance de l’existence de la contravention que réfère la prescription du paragraphe 43(8) et non à la gravité et aux circonstances de celles‑ci qui, elles, sont nécessaires pour convoquer l’audience disciplinaire. Lorsque l’officier compétent acquiert la connaissance de l’existence d’une contravention (et de l’identité de son auteur), il dispose d’un délai d’un an pour en établir les circonstances et en mesurer la gravité aux fins de recourir à des mesures disciplinaires graves plutôt que simples.

[45]Je fais miens ces propos du juge Keenan dans l’affaire Fingold, en y faisant les adaptations nécessaires, soit en y remplaçant le mot « Commission » par « appropriate officer », c’est‑à‑dire l’officier compétent. Les propos du juge Keenan se retrouvent aux paragraphes 60 et 61 de sa décision et sont les suivants :

[traduction] Le délai de prescription mentionné à l’article 129 est un délai d’un an au cours duquel l’agent compétent doit enquêter et décider s’il existe une preuve suffisante quant à la perpétration d’une infraction pour justifier que l’on entreprenne une poursuite. L’agent compétent doit analyser et vérifier les renseignements initiaux puis décider s’il existe une preuve assez forte et assez crédible pour justifier que l’on entreprenne une poursuite avec la certitude raisonnable qu’elle aboutira à une déclaration de culpabilité. [. . .]

Le processus de cueillette, de vérification et d’analyse des éléments de preuve a lieu durant le délai de prescription. Ce processus ne doit pas être utilisé pour reporter le début du délai de prescription, lequel doit être objectivement considéré comme étant le moment auquel les renseignements assez convaincants pour établir l’existence des faits sur lesquels la poursuite est fondée ont été portés pour la première fois à la connaissance et l’agent compétent. Lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, le moment auquel le délai de prescription a commencé à courir fait l’objet d’un litige, c’est à la cour qu’il revient de décider selon une norme objective à quel moment les faits ont été portés pour la première fois à la connaissance de l’agent compétent. Il n’appartient pas à l’agent compétent de décider à partir de quel moment le délai de prescription commence à courir en faisant valoir qu’il doit faire enquête quant aux renseignements initiaux afin de vérifier leur exactitude. [Je souligne.]

[46]Généralement, et c’est certes le cas en l’espèce où l’une des contraventions reprochées réfère à une tentative de trafic de cocaïne par un membre de la GRC, la gravité de la contravention apparaît de la nature même de la contravention alléguée et du statut de son auteur. Il me semble qu’un délai d’un an est amplement suffisant pour établir les circonstances additionnelles requises pour en mesurer la gravité lorsque celle‑ci n’est pas immédiatement apparente.

[47]Pour conclure sur la question de la connaissance et du degré de connaissance requis par le paragraphe 43(8) de la Loi pour actionner le mécanisme de la prescription, je suis d’avis que l’officier compétent acquiert la connaissance d’une contravention et de l’identité de son auteur lorsqu’il possède suffisamment d’informations crédibles et convaincantes quant aux éléments constitutifs de la contravention alléguée et quant à l’identité de son auteur pour raisonnablement croire que cette contravention a été commise et que la personne à qui on l’impute en est l’auteur. De là, à l’intérieur du délai de prescription, une enquête de vérification et de confirmation des informations crédibles et convaincantes reçues et maintenant connues quant à la contravention et à son auteur peut se faire, si le besoin s’en fait sentir. Il n’est donc pas nécessaire, pour qu’il y ait une connaissance de ces faits aux fins de la prescription, qu’une preuve hors de tout doute raisonnable de ceux‑ci ait été colligée ou que leur existence ait été confirmée par une enquête de vérification ou de certification. Comme le dit si bien le juge Keenan dans l’affaire Fingold, au paragraphe 56 [traduction] « pour avoir “connaissance” d’un fait, il n’est pas nécessaire que celui-ci soit prouvé ou vérifié ».

La norme d’appréciation de la connaissance applicable à la connaissance de l’officier compétent

[48]Je crois qu’il est maintenant bien établi que la norme d’appréciation de la connaissance d’une personne habilitée à intenter une poursuite est, pour les fins d’une prescription dont le point de départ est la connaissance qu’elle a de la contravention, une norme objective : voir Romashenko v. Real Estate Council of British Columbia; R. v. Fingold; R. v. Sentes (2003), 175 Man. R. (2d) 84 (C. P.). Les raisons en sont bien simples, pour ne pas dire évidentes.

[49]Premièrement, il n’appartient pas à la personne ainsi habilitée, en l’occurrence l’officier compétent, de déterminer le moment où il acquiert une connaissance suffisante pour déclencher la prescription. Cette détermination appartient au tribunal devant qui il est allégué que les poursuites sont prescrites, c’est-à-dire. dans le cas qui nous occupe, le Comité d’arbitrage. Cette détermination de ce que savait l’officier compétent et du moment où il l’a su est faite objectivement par le Comité d’arbitrage à partir de la preuve qui est devant lui. L’opinion subjective de l’officier compétent quant à ces deux questions ou quant à ce qu’il avait besoin de savoir n’est aucunement déterminante. Elle n’est qu’un facteur pertinent dont le Comité d’arbitrage doit tenir compte dans l’analyse de la question qui lui est soumise.

[50]Dans l’affaire Fingold, le juge Keenan écrit au paragraphe 45, dans le contexte d’une poursuite devant une cour pénale en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières [L.R.O. 1990, ch. S.5] :

[traduction] C’est à la cour qu’il appartient de décider si la poursuite a prouvé [. . .] qu’elle a respecté les délais de prescription prévus dans la Loi sur les valeurs mobilières. Le critère utilisé est un critère objectif fondé sur la preuve soumise à la Cour. La conviction subjective de la Commission que le délai de prescription a commencé à courir le 27 janvier 1992 n’est pas déterminante malgré qu’elle constitue un élément, parmi tous les éléments de preuve, dont on doit tenir compte. [Soulignement ajouté.]

[51]Il serait évidemment trop facile de rendre inopérante une disposition relative à la prescription s’il fallait s’en remettre à l’appréciation subjective de la personne contre qui elle est invoquée.

[52]Deuxièmement, la norme objective d’apprécia-tion retenue par les tribunaux réfère à un critère de « raisonnabilité »  pour  qualifier  la  croyance que l’officier compétent doit avoir qu’une contravention a été commise et que la personne à qui on l’impute en est l’auteur. Confrontée à la même information dont dispose l’officier compétent, une personne raisonnable ne pourrait qu’en arriver à la même conclusion.

Application de ce test de la connaissance aux faits de l’espèce

[53]Le Comité d’arbitrage qui a entendu et vu les témoins a conclu que le surintendant Sugrue connaissait la contravention reprochée et l’identité de son auteur, mais que c’est à titre de directeur de l’OREC qu’il possédait cette connaissance. Évidemment, lorsque le surintendant Sugrue a agi à titre temporaire comme officier compétent avec les pleins pouvoirs du poste, il possédait toujours cette connaissance de la contraven-tion et de son auteur. Mais le Comité d’arbitrage l’a exclue au motif, bien artificiel selon moi, que lorsqu’il agissait comme officier compétent, il n’avait pas cette connaissance en cette capacité, mais plutôt en sa capacité de responsable de l’OREC. En d’autres termes, selon ce raisonnement, le surintendant Sugrue laissait sa connaissance au vestiaire avec son paletot lorsqu’il entrait dans le bureau de l’officier compétent et en assumait les pleines fonctions.

[54]Voici au dossier d’appel, vol. I, page 128, les termes utilisés par le Comité d’arbitrage pour décrire cette conception désincarnée de l’esprit :

Le surint. pr. Sugrue n’était pas commandant intérimaire lorsqu’il a pris connaissance de la conduite alléguée du gend. Thériault mais agissait plutôt à titre d’OREC et c’est en cette qualité qu’il a été informé puisque les Enquêtes spéciales relevaient de son commandement. Il n’était donc pas l’officier compétent à ce moment, n’agissait pas à ce titre et sa connaissance en était une de l’OREC. Lorsque le surint. pr. Sugrue occupait la fonction de commandant intérimaire, il n’a pas été informé des contraventions au Code de déontologie contre le gend. Thériault à titre d’officier compétent et n’a donc pas eu à exercer ce rôle. Autrement dit, le surint. pr. Sugrue n’a pas été saisi de l’affaire disciplinaire concernant le gend. Thériault en tant que commandant et au moment où il était commandant et sa connaissance des faits n’en était pas une de l’officier compétent, mais plutôt d’OREC. Cette connaissance n’est pas devenue celle de l’officier compétent du seul fait de sa présence à titre intérimaire dans ce poste.

[55]C’est à bon droit que le Comité externe a rejeté cette interprétation de la connaissance prévue au paragraphe 43(8) de la Loi. « Règle générale », dira le Comité externe, « si un membre a connaissance d’une allégation à l’effet qu’un autre membre a contrevenu au Code de déontologie, cette connaissance le suit lorsqu’il assume le commandement de la division, même s’il n’assume ses fonctions que de façon intérimaire » : dossier d’appel, vol. I, page 177.

[56]Là cependant où, ceci dit avec respect, le Comité externe s’est fourvoyé, c’est lorsqu’il a conclu « qu’il aurait probablement été mal venu de la part du surint. Sugrue d’intenter des procédures disciplinaires contre l’appelant,  bien  qu’il avait le droit de le faire, s’étant vu confier “les fonctions de la nomination temporaire ainsi que les fonctions permanentes du poste” :  à la page 178.

[57]De fait, le point de départ de la prescription du paragraphe 43(8) de la Loi n’est pas les bonnes relations interpersonnelles entre l’officier compétent en titre et l’officier compétent intérimaire, mais la connaissance que l’officier compétent a de la contravention et de son auteur.

[58]Peut‑être était il souhaitable pour les fins de gestion interne que les poursuites soient intentées par l’officier compétent en titre, le commandant Lange, plutôt que par l’officier compétent intérimaire, le surintendant Sugrue, mais là n’est pas l’objectif du paragraphe 43(8). Les deux officiers pouvaient se parler pour accomplir les objectifs de poursuite envisagés par la Loi et, par le fait même, respecter ceux de la prescription du paragraphe 43(8). En fait, la protection de l’intérêt public et de l’intégrité de l’institution n’exigeait pas moins qu’ils se parlent et qu’ils coordonnent leurs efforts puisque le mécanisme de la prescription fut actionné par la connaissance que l’officier compétent intérimaire Sugrue avait de la contravention et de son auteur. Le surintendant Sugrue, s’il ne voulait pas intenter lui‑même la poursuite, se devait d’informer le commandant Lange de la contravention et de l’identité de son auteur. Le commandant Lange disposait alors d’amplement de temps pour faire les vérifications nécessaires, si besoin était, et se conformer à la Loi en intentant des poursuites en temps permis, s’il jugeait à propos d’intenter des poursuites.

[59]Que l’officier compétent intérimaire devait communiquer sa connaissance à l’officier compétent en titre découle du fait que la connaissance dont fait état le paragraphe 43(8) est une connaissance qui se rattache au poste ou à la fonction et non à son titulaire. Il s’agit d’une connaissance institutionnelle et non personnalisée ou ad personam. Il ne peut en être autrement sans compromettre l’objectif même de la disposition et contrecarrer l’intention du législateur.

[60]En effet, une interprétation littérale du paragraphe 43(8) conduit à une absurdité que le législateur ne peut avoir voulue. Je rappelle que le paragraphe 43(8) stipule dans son essence que l’officier compétent ne peut convoquer une audience plus d’une année après que la contravention et l’identité de son auteur ont été portées à sa connaissance.

[61]Alors si on voit dans cet énoncé, et on se limite à y voir, une connaissance personnelle et individualisée des deux éléments requis, cela signifie qu’à une semaine de l’acquisition de la prescription, il suffit de nommer un nouvel officier compétent qui n’est pas au courant de la contravention et de l’identité de son auteur. Et la prescription de 12 mois ne commence à courir que du jour où il acquerra cette connaissance.

[62]Pire encore, la prescription pourrait déjà être acquise par rapport à l’officier en poste, mais il suffirait de nommer un nouvel officier compétent pour que le délai de prescription renaisse et ne commence à courir que du jour où il prendra personnellement connaissance de la contravention et de son auteur.

[63]In short, an interpretation which does not take into account the intended purpose and the context in which the provision occurs results in making it completely meaningless and depriving it of its content and consequences at the expense of the offender. As I mentioned at the start of these reasons, the subsection 43(8) limitation serves the twofold purpose of protecting the public and the credibility of the institution and providing fair treatment for the members of that institution.

[63]En somme, une interprétation qui ne tient pas compte de l’objectif recherché et du contexte dans lequel s’inscrit la disposition mène à une stérilisation complète de celle‑ci et la vide de son contenu et de ses effets au détriment du contrevenant. Comme je le mentionnais au début des présents motifs, la prescription du paragraphe 43(8) sert le double objectif de protéger le public et la crédibilité de l’institution et d’accorder un traitement équitable aux membres de cette institution.

[64]Par contre, une interprétation du paragraphe 43(8) de la Loi qui fait en sorte que la connaissance se rattache au poste ou à la fonction d’officier compétent plutôt qu’au titulaire permet de concilier ces deux objectifs. Ainsi, l’officier compétent qui signe le certificat attestant du moment de la connaissance de la contravention et de l’identité de son auteur ne certifie pas la date à laquelle il a pris personnellement connaissance de ces deux éléments, mais bien la date où la connaissance de ces éléments est imputable au poste ou à la fonction de l’officier compétent.

[65]Les objectifs recherchés par le législateur en édictant la norme de prescription du paragraphe 43(8) ne sauraient être contournés en permettant qu’un officier compétent fasse abstraction ou se départisse de la connaissance qu’il a et qu’un autre, qui finalement intente les poursuites, puisse invoquer une connaissance tardive ou une absence de connaissance alors qu’objectivement les conditions du paragraphe 43(8) étaient satisfaites : un officier compétent assumant les pleins pouvoirs de la fonction connaissait les éléments constitutifs de la contravention et l’identité de son auteur.

[66]Tant le Comité d’arbitrage que le Comité externe ont conclu que le surintendant Sugrue avait la connaissance requise par le paragraphe 43(8) de la Loi avant qu’il n’assume les fonctions d’officier compétent en mai 1999 : voir la décision du Comité d’examen, dossier d’appel, vol. I, page 177, paragraphe 12. Il n’y a pas de doute et c’est la conclusion inévitable à laquelle je dois en venir, que le dépôt des plaintes disciplinaires le 23 octobre 2000 se situait en dehors du délai de prescription du paragraphe 43(8) de la Loi. À ce moment, l’officier compétent ne pouvait convoquer une audience du Comité d’arbitrage.

[67]Tel que déjà mentionné, le juge a adopté une approche différente pour conclure que la prescription n’était pas acquise. Essentiellement, et l’on retrouve son cheminement et son approche aux paragraphes 34, 35 et 42 à 49 de sa décision, il a conclu que la connaissance dont il est fait mention au paragraphe 43(8) de la Loi ne pouvait exister tant que les enquêtes internes de la GRC n’étaient pas complétées et que tous les faits n’étaient pas connus pour pouvoir exercer le droit de poursuite. Cette conclusion ressort clairement du paragraphe 48 de sa décision que je reproduis :

J’adhère à la thèse du défendeur, selon laquelle « l’officier compétent doit avoir eu connaissance de l’ensemble des faits qui sont nécessaires pour lui permettre de juger en toute connaissance de cause de la question à savoir s’il doit convoquer ou non une audience disciplinaire » (dossier du défendeur, page 78). À mon avis, le Commandant Lange a été informé de l’ensemble des faits nécessaires le 8 novembre 1999 et c’est à partir de cette date que la prescription d’un an courait.

[68]Avec respect, le juge a confondu la prescription et l’exercice du droit de poursuite, lesquels ont des objectifs peut‑être complémentaires, mais nettement différents, de même qu’ils exigent des éléments de preuve différents.

[69]Pour démarrer la prescription, il n’est pas nécessaire d’avoir en main toute la preuve ou l’information qui est requise pour exercer le droit de poursuite. Il ne s’agit pas d’avoir des motifs raisonnables de poursuivre. La position prise par le juge a pour effet de proroger le délai de prescription au‑delà de ce qui est envisagé par le paragraphe 43(8) de la Loi. Elle revient à insérer dans la disposition des conditions qui n’y apparaissent pas. Le paragraphe 43(8) requiert la connaissance de la contravention et de l’identité de son auteur. Adopter la position du juge revient à la réécrire ainsi :

L’officier compétent ne peut convoquer une audience en vertu du présent article relativement à une contravention au code de déontologie censément commise par un membre plus d’une année après que la contravention et l’identité de ce membre ont été portées à sa connaissance et après que l’officier compétent ait eu connaissance de l’ensemble des faits qui vont lui permettre de décider s’il va poursuivre ou non. [Le souligné réfère aux ajouts à la disposition.]

CONCLUSION

[70]Pour ces motifs, je suis d’avis que les poursuites intentées contre l’appelant étaient prescrites et qu’une audience devant un Comité d’arbitrage ne pouvait être convoquée. Cette conclusion à laquelle j’en viens peut paraître choquante compte tenu de la preuve des faits déposés contre l’appelant lors de l’audience du Comité d’arbitrage. Mais elle résulte du traitement qui fut fait de ce dossier par les supérieurs de l’appelant et elle m’est imposée par la Loi.

[71]En conséquence, j’accueillerais l’appel avec dépens, j’annulerais la décision du juge de la Cour fédérale et, procédant à rendre la décision qui aurait dû être rendue, j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire avec dépens et j’annulerais la décision du dommissaire de la GRC ordonnant le renvoi de l’appelant.

Le juge Nadon, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le juge Pelletier, J.C.A. : Je suis d’accord.

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