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T‑1382‑05

2006 CF 466

Ministre du Développement des ressources humaines (demandeur)

c.

Ute Stiel (défenderesse)

Répertorié : Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Stiel (C.F.)

Cour fédérale, juge Snider—Ottawa, 3 et 11 avril 2006.

Pensions — Contrôle judiciaire d’une décision du tribunal de révision (Régime de pensions du Canada — Sécurité de la vieillesse) accordant une pension partielle de la Sécurité de la vieillesse (SV) à la défenderesse —  Celle-ci, une résidente des É.‑U., a vécu au Canada pendant 14 ans —  Les personnes qui ont résidé au Canada pendant une période totale de 20 ans ont droit à une pension partielle de la SV —  L’Accord entre le Canada et les États‑Unis permet de porter au crédit d’une personne demandant une pension de la SV les périodes de couverture reconnues par le programme de sécurité sociale des États‑Unis si ces personnes ne satisfont pas par ailleurs aux conditions de résidence —  Les cotisations de l’époux de la défenderesse au programme des États‑Unis pour établir une prestation de conjoint ne sont pas considérées comme des « trimestres de couverture » pour établir l’admissibilité de la défenderesse à une pension de la SV en vertu de l’Accord entre le Canada et les États‑Unis — La défenderesse devait cotiser personnellement au programme — Elle n’avait pas droit à une pension partielle de la SV —  Demande accueillie.

Interprétation des lois — Il s’agissait de savoir si les cotisations du conjoint au programme de sécurité sociale des États‑Unis pouvaient être considérées comme des « trimestres de couverture » en vertu de l’Accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États‑Unis en matière de sécurité sociale — Il faut marquer une distinction entre les « trimestres de couverture » et les « périodes de couverture » —  L’article pertinent de l’Accord (c.‑à‑d. l’article VIII(2)a)) fait expressément référence aux trimestres de couverture —  L’emploi d’une expression aussi précise qui est importée de la législation des États‑Unis est un indice clair de l’intention du législateur qui voulait que le non‑résident cotise personnellement au programme des États‑Unis pour avoir droit à une pension de la Sécurité de la vieillette.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision du tribunal de révision (Régime de pensions du Canada — Sécurité de la vieillesse) faisant droit à l’appel que la défenderesse a interjeté à l’encontre du refus de Développement des ressources humaines Canada (maintenant appelé Développement social Canada) d’accueillir sa demande de prestations de la Sécurité de la vieillesse (SV) et lui accordant les 36/40 d’une pension complète de la SV.

Au Canada, la pension complète de la SV est payée aux personnes ayant résidé au Canada pendant 40 ans. Des non‑résidents qui ont résidé au Canada pendant une période totale d’au moins 20 ans ont droit à une pension partielle. La défenderesse a résidé au Canada pendant 14 ans, mais elle vit aux États‑Unis depuis 1973. Elle n’avait donc pas droit aux prestations de la SV sous ce régime. Cependant, dans certains cas, il est possible de permettre l’admissibilité à des prestations dans le cadre d’accords bilatéraux conclus avec d’autres pays. L’article VIII de l’Accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États‑Unis d’Amérique en matière de sécurité sociale (l’Accord entre le Canada et les États‑Unis) permet de porter au crédit d’une personne demandant une pension de la SV les périodes de couverture reconnues par le programme fédéral d’assurance à l’intention des personnes âgées, des survivants et des invalides (le programme de sécurité sociale des États‑Unis) si ces personnes ne satisfont pas aux conditions de résidence que prévoit la Loi sur la sécurité sociale (la Loi sur la SV). L’unité de mesure, suivant l’article VIII(2)a), pour établir le droit au versement d’une prestation en vertu de la Loi sur la SV est « un trimestre de couverture en vertu des lois des États‑Unis ». La défenderesse n’a jamais cotisé au programme de sécurité sociale des États‑Unis, mais elle touche une prestation de conjoint.

La principale question en litige était celle de savoir si les années pendant lesquelles l’époux de la défenderesse a cotisé au programme des États‑Unis pouvaient être considérées comme des « trimestres de couverture » pour établir le droit de la défenderesse au versement d’une prestation de la SV en vertu de l’Accord entre le Canada et les États‑Unis.

Jugement : la demande doit être accueillie.

La défenderesse ne disposait d’aucun « trimestre de couverture » permettant de calculer les prestations de sécurité sociale des États‑Unis. Cependant, la question pertinente était de savoir si elle bénéficiait, à titre de prestataire d’une assurance de conjoint en vertu des lois des États‑Unis, d’une couverture au sens du droit canadien.

L’article 40 de la Loi sur la SV prévoit un certain allégement de l’exigence des 20 années de résidence puisqu’il permet la conclusion d’accords réciproques prévoyant « la totalisation des périodes de résidence et de cotisation dans [le pays avec lequel l’accord a été négocié] et des périodes de résidence au Canada ». Un examen de l’Accord entre le Canada et les États‑Unis a révélé que les périodes de résidence diffèrent des périodes de cotisation. Cela permet de considérer que dans l’Accord, seules les périodes de cotisation aux États‑Unis, et non les périodes de résidence, sont prises en compte dans la détermination de l’admissibilité à une pension de la SV au Canada. Le simple fait que la défenderesse ait résidé aux États‑Unis ne permet pas d’établir son admissibilité à la pension de la SV.

Pour ce qui est de la question de savoir si la « couverture » obtenue grâce aux cotisations d’un conjoint au programme de sécurité sociale des États‑Unis pour établir une prestation de conjoint pouvait être considérée comme des trimestres de couverture en vertu de l’article VIII de l’Accord entre le Canada et les États‑Unis, il importe de souligner que « trimestres de couverture » et « périodes de couverture » sont deux expressions différentes. Dans l’article VIII, l’expression « période de couverture » est utilisée exclusivement en rapport avec les calculs faits en vertu du Régime de pensions du Canada, et non en liaison avec la détermination de l’admissibilité à la SV. Les mots « trimestre de couverture en vertu des lois des États‑Unis crédité » que l’on trouve à l’article VIII sont très précis et importés de la législation des États‑Unis. L’emploi d’une expression aussi précise qui est clairement définie dans la législation des États‑Unis était un indice clair de l’intention du législateur. Ainsi, la prestation de conjoint que la défenderesse reçoit en vertu de la loi des États‑Unis ne peut être considérée comme des trimestres de couverture au sens de l’article VIII(2)a) de l’Accord entre le Canada et les États‑Unis.

Comme la défenderesse n’était pas une résidente du Canada, qu’elle ne satisfaisait pas au seuil d’admissibilité de 20 années de résidence et qu’elle n’avait pas cotisé personnellement au programme de sécurité sociale des États‑Unis, elle n’avait pas droit à une pension partielle de la SV.

Si la défenderesse avait rempli la condition concernant l’admissibilité à l’article VIII de l’Accord entre le Canada et les États‑Unis, sa pension partielle aurait été de 14/40 de la pension complète. Le tribunal n’a pas tenu compte des dispositions de l’article IX de l’Accord entre le Canada et les États‑Unis, qui précise la façon dont le montant de la pension de la SV doit être calculé. Les périodes de résidence obtenues par la totalisation faite en vertu de l’article VIII ne peuvent pas être prises en considération dans le calcul du montant de la pension.

lois et règlements cités

Accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États‑Unis d’Amérique en matière de sécurité sociale, TR/82‑105, art. I, VIII (mod. par TR/97‑111, art. 5), IX (mod., idem).

Accord supplémentaire modifiant l’Accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États‑Unis d’Amérique en matière de sécurité sociale, TR/84‑146.

Deuxième accord supplémentaire modifiant l’Accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États‑Unis d’Amérique en matière de sécurité sociale, TR/97‑111.

Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. (1985), ch. O‑9, art. 3(1), (2), (3), 40, 41.

Loi sur la sécurité de la vieillesse, S.R.C. 1970, ch. O‑6, art. 3(1.1) (édicté par S.C. 1976‑77, ch. 9, art. 1).

Loi sur le ministère du Développement social, L.C. 2005, ch. 35.

Proclamation avisant l’entrée en vigueur le 9 février 1982 de l’Accord sur la sécurité sociale entre le Canada et les États‑Unis d’Amérique, TR/82‑105.

Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C‑8.

Règlement sur la sécurité de la vieillesse, C.R.C., ch. 1246, art. 21(1).

Social Security Act, 42 U.S.C. § 402, 413, 414 (2000).

Social Security Regulations, 20 C.F.R. § 404.140.

jurisprudence citée

décisions examinées :

Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Chhabu, 2005 CF 1277; Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Ding, 2005 CF 76.

décisions citées :

Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Ontario Hydro c. Canada, [1997] 3 C.F. 565 (C.A.); Stachowski c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1435; Rafuse c. Canada (Commission d’appel des pensions), 2002 CAF 31.

doctrine citée

Débats de la Chambre des communes, vol. III, 2e sess., 30e Parl., 1976‑77.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision du tribunal de révision (Régime de pensions du Canada —  Sécurité de la vieillesse) accordant une pension partielle de la Sécurité de la vieillesse à la défenderesse qui a résidé au Canada pendant 14 ans. Demande accueillie.

ont comparu :

Laura Dalloo pour le demandeur.

Ute Stiel et Juergen George Stiel pour la défenderesse.

avocats inscrits au dossier :

Le sous‑procureur général du Canada pour le demandeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance rendus par

[1]La juge Snider : Mme Ute Stiel, la défenderesse en l’espèce, estime avoir droit à une pension partielle de la Sécurité de la vieillesse (SV) du Canada. Elle a résidé au Canada pendant 14 ans, soit du 7 mai 1959 au 1er juin 1973, mais elle vit aux États‑Unis depuis 1973.

[2]Aux États‑Unis, Mme Stiel n’a jamais cotisé au Programme fédéral d’assurance à l’intention des personnes âgées, des survivants et des invalides (Federal Old‑Age, Survivors and Disability Insurance Program). Cependant, comme son époux y a cotisé pendant 22 ans (de 1973 à 1994), Mme Stiel touche une prestation de conjoint en vertu des lois américaines applicables. Comme il est expliqué ci‑après, elle fonde sa demande de pension partielle de la SV du Canada sur les cotisations que son époux a effectuées dans le cadre du programme américain.

[3]Après avoir atteint l’âge de 65 ans en décembre 2002, Mme Stiel a présenté une demande de prestations de la SV à Développement des ressources humaines Canada (ministère aujourd’hui appelé Développement social Canada ou DSC). Dans une décision datée du 11 mars 2004, un agent de DSC a rejeté la demande. La demande de Mme Stiel en vue d’obtenir la révision de cette décision a elle aussi été rejetée dans une décision datée du 6 juillet 2004. Mme Stiel a interjeté appel devant un tribunal de révision (Régime de pensions du Canada—Sécurité de la vieillesse) (le tribunal). Après la tenue d’une audience et dans sa décision datée du 13 juillet 2005, le tribunal a fait droit à l’appel de Mme Stiel et lui a accordé une pension partielle de la Sécurité de la vieillesse (SV) correspondant aux 36/40 de la pension complète.

[4]Le demandeur, le ministre du Développement social (anciennement le ministre du Développement des ressources humaines; Loi sur le ministère du Développement social, L.C. 2005, ch. 35), sollicite le contrôle judiciaire de la décision du tribunal.

Les questions en litige

[5]La question en litige dans la présente demande est celle de savoir si le tribunal a commis une erreur en statuant que Mme Stiel avait droit aux 36/40 de la pension complète de la SV. À cette question générale se greffent deux sous‑questions :

1.             En statuant que Mme Stiel avait droit à une pension de la SV, le tribunal a‑t‑il mal interprété les dispositions de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. (1985), ch. O‑9 (la Loi sur la SV) ainsi que l’accord réciproque conclu entre le Canada et les États‑Unis (l’Accord entre le Canada et les États‑Unis [Accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis d’Amérique en matière de sécurité sociale, TR/82-105])? Plus précisément, le tribunal a‑t‑il commis une erreur en concluant que les années pendant lesquelles le mari de Mme Stiel a cotisé au programme de sécurité sociale des États‑Unis comptaient comme des « trimestre[s] de couverture » en vue de déterminer l’admissibilité de Mme Stiel à la pension de la SV dans le cadre de l’Accord entre le Canada et les États‑Unis?

2.             Si Mme Stiel avait droit à une pension de la SV, le tribunal a‑t‑il commis une erreur en calculant que cette pension correspond aux 36/40 de la pension complète de la SV?

Analyse

La norme de contrôle

[6]Dans la décision Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Chhabu, 2005 CF 1277, la juge Carolyn Layden‑Stevenson a appliqué une analyse pragmatique et fonctionnelle à une décision du même tribunal relativement à une question de « résidence » aux fins de la détermination du droit à la pension de la SV et elle a conclu que la norme qui s’appliquait était celle de la décision raisonnable simpliciter.

[7]Bien qu’une bonne partie de l’analyse pragmatique et fonctionnelle faite dans la décision Chhabu s’applique en l’espèce, ce n’est pas le cas de son résultat. La décision faisant l’objet du contrôle en l’espèce n’était pas axée sur des faits et portait exclusivement sur une interprétation de la loi et de l’accord pertinents. Cela suppose un degré considérablement moins élevé de retenue que dans la décision Chhabu, car la Cour se trouve dans une position égale, sinon meilleure, pour se prononcer sur le droit applicable. Dans la décision Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Ding, 2005 CF 76, le juge James Russell a appliqué la norme de la décision correcte lors du contrôle d’une décision du tribunal au sujet de questions de droit. C’est ce qu’il convient également de faire en l’espèce.

Le régime législatif applicable

[8]Pour déterminer si Mme Stiel a droit à une pension de la SV, et le montant de cette pension, le cas échéant, il convient d’examiner certaines dispositions de la Loi sur la SV, l’article 21 du Règlement sur la sécurité de la vieillesse, C.R.C., ch. 1246 (le Règlement), et les articles I, VIII [mod. par TR/97-111, art. 5] et IX [mod., idem] de l’Accord entre le Canada et les États‑Unis, lesquels sont expliqués ci‑après et cités intégralement à l’annexe A.

[9]En bref, le point de départ est le suivant : la pension complète de la SV est payée aux personnes ayant résidé au Canada pendant 40 ans (Loi sur la SV, paragraphe 3(1)). Cependant, dans certains cas, une personne a droit à une pension partielle. L’admissibilité à une pension partielle, ainsi que le calcul de cette dernière, sont prévus au paragraphe 3(2) de la Loi sur la SV.

[10]Pour une personne qui, comme Mme Stiel, ne réside pas au Canada lorsqu’elle demande la pension de la SV, l’alinéa 3(2)b) exige que sa « période totale » de résidence au Canada soit d’au moins 20 ans. Ce n’est que si cette personne satisfait à l’exigence des 20 ans de résidence qu’elle a le droit de recevoir une prestation quelconque de la SV. Si l’admissibilité de la personne est établie, le calcul de la pension se fait de la manière indiquée au paragraphe 3(3). En résumé, la fraction de la pension complète qui est payable à une personne est le résultat de la division du nombre d’années de résidence par 40. Ainsi, 25 années de résidence au Canada correspondraient aux 25/40 de la pension de la SV.

[11]Suivant l’alinéa 21(1)a) du Règlement, « une personne réside au Canada si elle établit sa demeure et vit ordinairement dans une région du Canada ».

[12]Si ce régime lui était appliqué, Mme Stiel n’aurait pas droit aux prestations de la SV. Pour dire les choses simplement, elle compte moins de 20 années de résidence au Canada et, de ce fait, ne satisfait pas aux exigences du paragraphe 3(2) de la Loi sur la SV. Cependant, le législateur a décidé que, dans certains cas, il est possible de permettre l’admissibilité à des prestations dans le cadre d’accords bilatéraux conclus avec d’autres pays. L’article 40 de la Loi sur la SV permet de conclure des accords ou des traités bilatéraux susceptibles d’avoir une incidence sur l’admissibilité aux pensions.

[13]Il existe un tel accord entre le Canada et les États‑Unis. L’Accord entre le Canada et les États‑Unis a été signé entre ces deux pays en vertu de l’article 40 de la Loi sur la SV et il a été proclamé le 9 février 1982 (Proclamation avisant l’entrée en vigueur le 9 février 1982 de l’Accord sur la sécurité sociale entre le Canada et les États‑Unis d’Amérique, 26 mai 1982, TR/82‑105, Gaz. C. 1982.II.  1932). Cette proclamation a force de loi au Canada (Loi sur la SV, art. 41). Deux accords supplémentaires, modifiant le traité initial, ont été conclus :

·              Accord supplémentaire modifiant l’Accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États‑Unis d’Amérique en matière de sécurité sociale, TR/84‑146, Gaz. C. 1984.II. 3239‑3242.

·              Deuxième accord supplémentaire modifiant l’Accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États‑Unis d’Amérique en matière de sécurité sociale, TR/97‑111, Gaz. C. 1997.II. Vol 131. 2879‑2885.

[14]Les dispositions pertinentes de l’Accord entre le Canada et les États‑Unis figurent aux articles I, VIII et IX. L’article I(6) définit ce qu’est une « période de couverture ». L’article VIII traite du droit au versement d’une prestation à une personne qui ne satisfait pas par ailleurs aux exigences de la Loi sur la SV en matière d’admissibilité. L’article IX prévoit la méthode de calcul de la pension de la SV, si le droit à cette dernière est établi en vertu de l’article VIII.

Démarche suivie à l’égard des prestations de pension de la SV

[15]Comme cela ressort de la description du régime législatif qui précède, toute analyse de la question d’une pension de la SV doit comporter deux étapes distinctes : 1) l’admissibilité et 2) le calcul.

[16]La première étape consiste à déterminer si Mme Stiel est admissible à une pension de la SV. Plus précisément, Mme Stiel, qui n’a que 14 années de résidence au Canada, satisfait‑elle à l’exigence de l’alinéa 3(2)b), c’est‑à‑dire a‑t‑elle au moins 20 années de résidence par l’application des dispositions de « totalisation » de l’article VIII de l’Accord entre le Canada et les États‑Unis?

[17]La seconde étape, si l’admissibilité est établie, est le calcul du montant de la pension. Cette étape exige l’application de l’article IX de l’Accord entre le Canada et les États‑Unis, de l’article 21 du Règlement et du paragraphe 3(3) de la Loi sur la SV.

Mme Stiel est‑elle admissible à des prestations de pension de la SV?

[18]La question de l’admissibilité dépend de celle de savoir si Mme Stiel peut compter, à titre de période de résidence aux fins de l’alinéa 3(2)b) de la Loi sur la SV, les 22 années pendant lesquelles son mari a cotisé au Programme fédéral d’assurance à l’intention des personnes âgées, des survivants et des invalides des États‑Unis (le programme de sécurité sociale des États‑Unis). Si la réponse à cette question est « oui », un nombre total de 36 années sera porté à son crédit, ce qui est plus que suffisant pour satisfaire au seuil de 20 ans qu’exige l’alinéa 3(2)b) de la Loi sur la SV. Par contre, si ces années de cotisation de M. Stiel ne compte pas, les 14 années de résidence de Mme Stiel au Canada ne seront pas suffisantes pour lui donner droit à une pension de la SV.

[19]DSC a refusé à deux reprises la demande de Mme Stiel pour le motif qu’elle ne satisfaisait pas à l’exigence des 20 années de résidence totalisées. Dans une lettre de refus datée du 6 juillet 2004, un évaluateur de DSC a dit ce qui suit :

[traduction] [. . .] pour avoir droit à la pension de la Sécurité de la vieillesse du Canada, vous devez avoir vécu au Canada et cotisé au Programme fédéral d’assurance à l’intention des personnes âgées, des survivants et des invalides aux États‑Unis […] pendant au moins 20 ans.

Comme vous n’avez pas vous‑même cotisé au Programme fédéral d’assurance à l’intention des personnes âgées, des survivants et des invalides aux États‑Unis, les cotisations de votre conjoint ne peuvent pas être prises en compte pour vous rendre admissible à la pension de la Sécurité de la vieillesse du Canada.

[20]Ces deux paragraphes résument la position adoptée par le demandeur devant le tribunal et devant la Cour. Le tribunal n’a pas retenu cet argument; il a plutôt souscrit aux observations de Mme Stiel.

Le tribunal ne peut pas accepter que l’appelante devait prouver qu’elle avait travaillé et contribué personnellement au programme de sécurité sociale des É.‑U.

De l’avis du tribunal, l’interprétation par le ministre des différents articles de [l’Accord entre le Canada et les États‑Unis] et de ses modifications est erronée : il ne s’agit pas d’une question de cotisation, mais de couverture.

Les paragraphes 1 et 2(a) de l’article VIII dudit Accord modifié sont clairs à cet effet et doivent être pris en considération pour déterminer l’admissibilité d’un demandeur à une pension de la SV.

Le ministre reconnaît que l’appelante est couverte par le Programme de sécurité sociale des États‑Unis [. . .]

Il est également prouvé que le mari de l’appelante a travaillé et cotisé au régime américain pendant 22 ans.

En vertu du paragraphe 2(a) de l’article VIII, cela permettra à l’appelante d’obtenir l’équivalence de 22 ans de résidence au Canada qui s’ajouteront au quatorze ans déjà reconnus par les parties, ce qui totalise 36 ans de résidence au Canada aux fins de la Loi sur la sécurité de la vieillesse.

[21]Nul ne conteste que l’article VIII de l’Accord entre le Canada et les États‑Unis permet de porter au crédit d’une personne demandant une pension de la SV les périodes de couverture reconnues par le programme de sécurité sociale des États‑Unis si ces personnes ne satisfont pas aux conditions de résidence que prévoit la Loi sur la SV. Les dispositions pertinentes sont l’article VIII(1)a) et l’article (2)a), décrits plus haut et cités à l’annexe A. L’unité de mesure, suivant l’article VIII(2)a), est « un trimestre de couverture en vertu des lois des États‑Unis ».

[22]Essentiellement, le nombre total d’années de cotisation ou de couverture dans le cadre du programme de sécurité sociale des États‑Unis peut être transformé en années de résidence supplémentaires aux fins de l’admissibilité à une pension de la SV. Le problème en l’espèce est que Mme Stiel n’a jamais cotisé au programme des États‑Unis; elle touche une « prestation d’épouse » ou « prestation de conjoint » dans le cadre de ce programme en vertu des 22 années de cotisations de son époux. La question qui se pose est de savoir si l’expression « trimestre de couverture » englobe les prestations de conjoint des États‑Unis.

[23]L’analyse de cette question comporte les étapes suivantes :

1.             Comment les lois des États‑Unis définissent‑elles l’expression « trimestre de couverture »?

2.             Sous quel angle faut‑il aborder cette question d’interprétation législative?

3.             Quels sont les objectifs du régime législatif?

4.             Les périodes de résidence aux États‑Unis, sans cotisations au programme de sécurité sociale de ce pays, peuvent‑elles être prises en compte pour atteindre le seuil de 20 ans qu’exige l’admissibilité à la SV?

5.             Pour l’application de la Loi sur la SV, la « couverture » obtenue grâce aux cotisations d’un conjoint au programme de sécurité sociale des États‑Unis peut‑elle être considérée comme des trimestres de couverture en vertu de l’article VIII de l’Accord entre le Canada et les États‑Unis?

1.            Comment les lois des États‑Unis définissent‑ elles l’expression « trimestre de couverture »?

[24]L’expression « trimestre de couverture » est définie dans la Social Security Act des États‑Unis, 42 U.S.C. (2000) (la Loi des États‑Unis), et le Social Security Regulations [20 CFR § 404.140] qui l’accompagne (le Règlement des États‑Unis). L’article 413a)(2)(A) de la Loi des États‑Unis prescrit ce qui suit :

[traduction]

Art. 413 [. . .]

(2) (A) L’expression « trimestre de couverture » signifie —

(i) pour les années civiles antérieures à 1978, et sous réserve des dispositions du sous‑alinéa (B), trimestre dans lequel une personne a reçu un salaire d’au moins 50 $ (à l’exception du salaire pour travail agricole payé après 1954) ou pour lequel un montant d’au moins 100 $ de revenu tiré d’un travail indépendant a été porté à son crédit (de la manière précisée à l’article 412 du présent titre);

(ii) pour les années civiles postérieures à 1977, et sous réserve des dispositions du sous‑alinéa (B), chaque fraction du total du salaire versé à une personne et du revenu tiré d’un travail indépendant porté à son crédit (conformément à l’article 412 du présent titre) dans une année civile qui équivaut au montant requis pour un trimestre de couverture dans l’année civile en question (tel que déterminé à l’alinéa d) du présent article), ledit trimestre de couverture étant affecté à un trimestre civil particulier dans l’année civile en question uniquement si cela s’avère nécessaire dans le cas d’une personne âgée de 62 ans, décédée ou frappée d’invalidité, et si les exigences relatives au statut d’assuré qui sont spécifiées aux paragraphes (a) ou (b) de l’article 414 du présent titre, les exigences d’admissibilité à un calcul ou à un nouveau calcul de son montant d’assurance principal, ou les exigences du troisième alinéa de l’article 416(i) du présent titre ne sont pas par ailleurs remplies. [Non souligné dans l’original.]

[25]L’article 413d) fixe un montant minimal de gains à gagner au cours d’une année civile [traduction] « pour qu’un trimestre de couverture soit porté au crédit de la personne ». L’article 404.140(a) du Règlement des États‑Unis prévoit ce qui suit :

§ 404.140 [. . .]

[traduction] (a) Général. Un trimestre de couverture (TC) est l’unité de base de la couverture de sécurité sociale que l’on utilise pour déterminer le statut d’assuré d’un travailleur. Les TC portés à votre crédit sont fondés sur les gains couverts par le régime de sécurité sociale.

[26]L’expression « trimestre de couverture » est importante pour, notamment, déterminer le statut d’assuré d’une personne dans le cadre du programme des États‑Unis. En vertu de l’article 402(a) de la Loi des États‑Unis, une personne a droit à des prestations d’assurance‑vieillesse si, notamment, elle est une [traduction] « personne entièrement assurée ». Une « personne entièrement assurée  », telle que Mme Stiel, est définie à l’article 414(a) : il s’agit d’une personne qui bénéficie d’un nombre minimal de trimestres de couverture. Par contre, pour pouvoir toucher des prestations d’assurance d’épouse, comme le fait Mme Stiel, une personne doit, suivant l’article 402(b), ne pas être admissible à des prestations d’assurance d’invalidité ou de vieillesse (c’est‑à‑dire ne pas avoir un nombre minimal de trimestres de couverture) ou être admissible à des prestations qui équivalent à moins de la moitié des prestations d’assurance de personne à charge de la personne en question. En l’espèce, Mme Stiel ne dispose d’aucun « trimestre de couverture » permettant de calculer les prestations de sécurité sociale des États‑Unis. Il s’ensuit que, d’après le sens ordinaire des termes employés à l’article VIII(2)(a), Mme Stiel ne bénéficie pas des dispositions de totalisation de l’Accord entre le Canada et les États‑Unis.

2.             Sous quel angle faut‑il aborder cette question d’interprétation législative?

[27]Cependant, cela ne clôt pas l’analyse. Au Canada, les dispositions législatives doivent être interprétées dans « leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, aux paragraphes 20 à 22). De plus, l’Accord entre le Canada et les États‑Unis doit être lu de manière à ce qu’il y ait une certaine « cohérence » avec la Loi sur la SV habilitante, ainsi que dans les limites établies par celle‑ci (Ontario Hydro c. Canada, [1997] 3 C.F. 565 (C.A.), au paragraphe 11; Stachowski c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1435, au paragraphe 34). Qu’il soit conclu ou non que Mme Stiel bénéficie de « trimestre[s] de couverture » en vertu du droit des États‑Unis, la question pertinente est de savoir si elle bénéficie d’une couverture au sens du droit canadien. Par conséquent, bien que le droit des États‑Unis soit utile pour mon travail d’interprétation, il n’est pas déterminant; il me faut examiner si l’on doit considérer qu’au Canada cette expression, qui figure dans l’Accord entre le Canada et les États‑Unis, englobe les prestations d’assurance d’épouse que prévoit le programme de sécurité sociale des États‑Unis. En d’autres termes, l’interprétation limitative que l’on relève dans le droit des États‑Unis—laquelle semble quelque peu contraire à l’approche que suit le Canada à l’égard du paiement de ces types de prestations—est‑elle défendable lorsqu’on lit les mots dans le contexte global du régime législatif canadien applicable?

3.             Quels sont les objectifs du régime législatif?

[28]Quel est l’objet de la Loi sur la SV et de l’Accord entre le Canada et les États‑Unis? Je dirais du régime de la SV qu’il a un objectif altruiste. Contrairement au Régime de pensions du Canada [L.R.C. (1985), ch. C-8], les prestations de la SV sont universelles et non contributives, et fondées exclusivement sur la résidence au Canada. Ce type de législation répond à un objectif social large et ouvert, que l’on pourrait même qualifier de caractéristique du paysage social au Canada. Il convient donc de l’interpréter de façon large, et il ne faudrait pas qu’une personne soit privée inconsidérément du droit aux prestations de la SV.

[29]Cependant, on ne peut pas faire abstraction du fait que la Loi sur la SV accorde des prestations, d’abord et avant tout, aux résidents du Canada; le régime a été décrit comme « la pierre d’assise du système canadien de prestations de retraite » (Débats de la Chambre des Communes, 2e session, 30e législature, volume III, 1976‑1977, 8 février 1977, page 2834 (Hansard)). C’est‑à‑dire que le régime législatif semble être axé sur l’octroi de prestations aux personnes qui vivent leur retraite au Canada. Ce n’est que par l’application de dispositions additionnelles et précises que des non‑résidents parviennent à obtenir ne serait‑ce qu’une pension partielle de la SV.

[30]En ajoutant l’alinéa 3(1.1)b) à la Loi sur la SV [Loi sur la sécurité de la vieillesse, S.R.C. 1970, ch. O‑6] dans le projet de loi C‑35, déposé et ensuite adopté par le Parlement et sanctionné le 29 mars 1977 (Loi modifiant la Loi sur la sécurité de la vieillesse, S.C. 1976-77, ch. 9, art. 1), le législateur a très clairement indiqué son intention d’offrir une couverture à des personnes ne résidant plus au Canada, mais il a restreint cette couverture aux personnes ayant accumulé plus de 20 années de résidence au Canada. En fin de compte, les non‑résidents comptant moins de 20 années de résidence au Canada sont exclus du régime de la SV.

[31]Cependant, dans le cadre du même régime législatif, un certain allègement a été introduit en rapport avec cette exigence de 20 ans. Plus précisément, le législateur a ajouté la possibilité, pour le gouvernement, de conclure des accords réciproques visant à rendre les prestations transférables avec les pays avec lesquels le Canada peut négocier des accords (Hansard, page 2834).

4.             Les périodes de résidence aux États‑Unis, sans cotisations au programme de sécurité sociale de ce pays, peuvent‑elles être prises en compte pour atteindre le seuil de 20 ans qu’exige l’admissibilité à la SV?

[32]Je vais maintenant examiner le texte de l’article 40 de la Loi sur la SV, la disposition qui a été introduite afin de permettre ces accords réciproques. Cet article confère au gouvernement un large pouvoir pour conclure ces accords. Suivant l’alinéa 40(1)d), qui revêt une pertinence particulière pour la question dont je suis saisie, le gouvernement peut conclure un accord qui prévoit « la totalisation des périodes de résidence et de cotisation dans ce pays et des périodes de résidence au Canada » [non souligné dans l’original]. Je souligne que cette disposition donne au gouvernement une latitude considérable; en effet, le gouvernement peut décider de créditer les périodes de résidence dans un autre pays, en plus des périodes de cotisation.

[33]Un examen de l’Accord entre le Canada et les États‑Unis ne révèle qu’une seule référence aux « périodes de résidence » aux États‑Unis. Suivant l’article I(6), la « période de couverture » est « une période de paiement de cotisations ou une période de gains »; ce paragraphe précise en outre qu’« une période de résidence n’est pas reconnue comme période de couverture ». Cette idée de cotisation plutôt que de simple résidence se retrouve à l’article VIII qui, comme nous l’avons vu plus haut, traite de « trimestre[s] de couverture ». Par contre, l’Accord entre le Canada et les États‑Unis fait maintes fois référence aux périodes de résidence au Canada. J’en déduis que le but visé est de considérer que la période de résidence est différente de la période de cotisation. Cela permet de considérer que dans l’Accord entre le Canada et les États‑Unis, seules les périodes de cotisation aux États‑Unis—et non les périodes de résidence—sont prises en compte dans le calcul de l’admissibilité à une pension de la SV au Canada. Si le Canada avait voulu totaliser les périodes de résidence aux États‑Unis, il aurait pu le faire; il ne l’a pas fait.

5.            La « couverture » obtenue grâce aux cotisations d’un conjoint au programme de sécurité sociale des États‑Unis peut‑elle être considérée comme des trimestres de couverture en vertu de l’article VIII de l’Accord entre le Canada et les États‑Unis?

[34]Il semble donc que le simple fait que Mme Stiel ait résidé aux États‑Unis ne permette pas d’établir son admissibilité à la pension de la SV. Cependant, Mme Stiel ne se fonde pas uniquement sur sa résidence; elle fait plutôt valoir qu’elle a bel et bien cotisé au régime de sécurité sociale des États‑Unis par l’entremise de son époux. Elle soutient que les cotisations de M. Stiel peuvent être prises en compte pour ses fins personnelles car elles ont été effectuées, en partie, pour établir une prestation de conjoint à son profit.

[35]À l’appui de son argument, Mme Stiel se reporte à la définition de l’expression « période de couverture » que l’on trouve à l’article I(6) de l’Accord entre le Canada et les États‑Unis. L’article I indique que cette expression « désigne une période de paiement de cotisations ou une période de gains », mais il inclut ensuite « toute autre période analogue dans la mesure où elle est reconnue aux termes de ces lois comme équivalant à une période de couverture ». Mme Stiel soutient que, pendant toute la période où son mari a cotisé au programme de sécurité sociale des États‑Unis, elle était « couverte » en ce sens que les cotisations de son époux lui donnaient droit plus tard à des prestations de conjoint. Elle affirme donc qu’elle est visée par la définition et que chaque période de paiement par M. Stiel équivalait à une période de couverture pour elle.

[36]De toute évidence, le tribunal a souscrit à cet argument. Il a jugé que la prestation de conjoint était une couverture aux fins de l’article VIII et il a porté au crédit de Mme Stiel 22 années de résidence supplémentaires, ce qui lui donnait droit à une pension mensuelle partielle de la SV. Si je donne au terme « couverture » son sens ordinaire, je conviens que Mme Stiel bénéficiait d’une sorte de « couverture » grâce aux cotisations de son époux. Cependant, à mon sens, cela ne permet pas de conclure qu’il convient de porter des trimestres de couverture au crédit de Mme Stiel, comme l’envisage l’article VIII(2)a) de l’Accord entre le Canada et les États‑Unis.

[37]Le problème que pose l’argument de Mme Stiel découle du fait que l’expression « période de couverture » n’est pas utilisée aux fins de l’admissibilité à la SV à l’article VIII(2)a). Dans l’article VIII, l’expression « période de couverture » est utilisée exclusivement en rapport avec les calculs faits en vertu du Régime de pensions du Canada, et non en liaison avec la détermination de l’admissibilité à la SV. À l’article VIII(1)a), il est fait référence aux « périodes de couverture en vertu du Régime de pensions du Canada ». La seule autre mention se trouve à l’article VIII(2)b), qui prévoit qu’« une année civile comprenant au moins un trimestre de couverture en vertu des lois des États‑Unis sera comptée comme une année de couverture en vertu du Régime de pensions du Canada ». La disposition applicable à la question qui m’est soumise n’est pas l’article VIII(2)b), mais l’article VIII(2)a), qui fait explicitement référence aux « trimestre[s] de couverture », et non aux « périodes de couverture ». Il s’agit de deux expressions différentes, dont chacune doit être interprétée de manière à ce que chacune des deux ait un sens. Appliquer l’interprétation que me suggère Mme Stiel m’oblige à faire abstraction de cette différence.

[38]En outre, selon moi, cette interprétation ne donne pas de sens aux mots utilisés dans la législation applicable, dont l’Accord entre le Canada et les États‑Unis. Les mots « trimestre de couverture en vertu des lois des États‑Unis crédité » que l’on trouve à l’article VIII sont très précis et importés de la législation des États‑Unis. L’emploi d’une expression aussi précise qui est clairement définie dans la législation des États‑Unis est un indice clair de l’intention du législateur. Je ne vois rien dans la Loi sur la SV ou l’Accord entre le Canada et les États‑Unis qui attribuerait un sens différent à l’expression « trimestre de couverture ».

6.             Sommaire

[39]Compte tenu de tout ce qui précède, j’estime que ni la résidence de Mme Stiel aux États‑Unis ni la prestation de conjoint qu’elle reçoit en vertu de la loi des États‑Unis ne peuvent être considérées comme des trimestres de couverture au sens de l’article VIII(2)a) de l’Accord entre le Canada et les États‑Unis. Bien que la Loi sur la SV doive être interprétée de manière large, de façon à privilégier l’admissibilité des personnes, je ne saurais faire abstraction des mots choisis délibérément par les rédacteurs de l’Accord. Interprétées en fonction du régime législatif applicable, les dispositions pertinentes de la loi signifient que les prestations de la SV ne sont pas destinées aux personnes qui sont des non‑résidents, qui ne satisfont pas à l’exigence d’au moins 20 années de résidence et qui n’ont pas cotisé personnellement au programme de sécurité sociale des États‑Unis.

[40]Je suis donc convaincue que le tribunal a commis une erreur en concluant que Mme Stiel avait droit à une pension partielle de la SV.

Calcul d’une pension partielle de la SV

[41]Comme j’ai établi que Mme Stiel ne satisfait pas au seuil d’admissibilité de 20 années de résidence et qu’elle n’a donc aucun droit à la pension de la SV, il est inutile de s’engager dans la seconde étape de l’évaluation. Cependant, je souligne que même si Mme Stiel remplissait la condition concernant l’admissibilité à l’article VIII de l’Accord entre le Canada et les États‑Unis, sa pension partielle aurait été de 14/40 de la pension complète et non de 36/40, ainsi que l’a établi le tribunal.

[42]Je ne peux comprendre comment le tribunal a pu conclure que la pension de Mme Stiel devrait correspondre aux 36/40 d’une pension mensuelle complète. Dans ses motifs, ce calcul n’est pas expliqué. Je présume toutefois que le tribunal a simplement ajouté 22 années de « couverture » aux 14 années de résidence canadienne pour arriver à un total de 36 ans.

[43]À mon avis, le tribunal n’a pas tenu compte des dispositions de l’article IX de l’Accord entre le Canada et les États‑Unis, qui précise la façon dont le montant de la pension de la SV doit être calculé. Le premier paragraphe indique ce qui suit :

(1) [. . .] l’organisme du Canada calcule le montant de la pension ou de l’allocation au conjoint payable à ladite personne conformément aux dispositions de la Loi sur la sécurité de la vieillesse régissant le versement d’une pension partielle ou d’une allocation au conjoint, uniquement en fonction des périodes de résidence au Canada depuis le 1er janvier 1952 ou après cette date qui peuvent être prises en compte en vertu de cette loi ou sont considérées comme telles aux termes de l’article VI du présent Accord. [Non souligné dans l’original.]

(L’article VI ne s’applique pas en l’espèce.)

[44]Il ressort de la lecture de cette disposition qu’il convient de donner au mot « résidence » le sens employé dans la Loi sur la SV et le Règlement. Ainsi qu’il a été dit plus tôt, l’alinéa 21(1)a) du Règlement prévoit qu’« une personne réside au Canada si elle établit sa demeure et vit ordinairement dans une région du Canada ». (Suivant le Règlement, certaines périodes de non‑résidence peuvent être considérées comme une période de « résidence »; ces dispositions ne s’appliquent pas en l’espèce.)

[45]Par exclusion, donc, les périodes de résidence obtenues par la totalisation faite en vertu de l’article VIII ne peuvent pas être prises en considération dans le calcul du montant de la pension. Cette méthode est conforme au bon sens, car l’intention du législateur était d’éviter et d’éliminer toute couverture de pension en double (voir le Hansard, précité, à la page 2835). Suivant l’esprit et l’objet de la Loi sur la SV, il convient de verser une pension mensuelle proportionnelle au nombre d’années pendant lesquelles une personne âgée de plus de 65 ans a résidé au Canada, jusqu’à concurrence de 40 ans. En ajoutant les années de cotisation de M. Stiel au programme des États‑Unis aux années de résidence de Mme Stiel au Canada, cette dernière obtiendrait une couverture en double à compter du 1er juin 1973, date à laquelle elle a commencé à résider aux États‑Unis.

[46]Le tribunal a commis une erreur en ne tenant pas compte des dispositions législatives pertinentes et, de ce fait, a calculé erronément le montant de la pension de la SV destinée à la défenderesse.

Conclusion

[47]Pour ces motifs, la demande sera accueillie, sans dépens. Dans la plupart des cas, j’ordonnerais que l’affaire soit renvoyée à une formation différente du tribunal en vue de déterminer, conformément aux présents motifs, si Mme Stiel a droit à une pension partielle de la SV et, dans l’affirmative, quel devrait en être le montant. Cependant, dans les circonstances, il est inutile, selon moi, de repousser l’issue inévitable à laquelle arrivera le tribunal en réexaminant l’affaire. Comme aucun fait n’est contesté, il s’agit de l’un de ces « cas les plus clairs » où la Cour est autorisée à donner des directives quant à la nature de la décision à rendre (Rafuse c. Canada (Commission d’appel des pensions), 2002 CAF 31, au paragraphe 14). Il convient donc de renvoyer l’affaire pour nouvelle décision fondée sur le fait que l’appel de Mme Stiel devrait être rejeté.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.             La demande de contrôle judiciaire est accueillie, sans dépens.

2.             L’affaire est renvoyée à une formation différem-ment constituée du tribunal pour nouvelle décision fondée sur le fait que l’appel devrait être rejeté.

ANNEXE A

des


Motifs de l’ordonnance et ordonnance datés du 11 avril 2006

dans le dossier :

MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES

et

UTE STIEL

T‑1382‑05

Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. (1985), ch. O‑9

3. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi et de ses règlements, la pleine pension est payable aux personnes suivantes :

a) celles qui avaient la qualité de pensionné au 1er juillet 1977;

b) celles qui, à la fois :

(i) sans être pensionnées au 1er juillet 1977, avaient alors au moins vingt‑cinq ans et résidaient au Canada ou y avaient déjà résidé après l’âge de dix‑huit ans, ou encore étaient titulaires d’un visa d’immigrant valide,

(ii) ont au moins soixante‑cinq ans,

(iii) ont résidé au Canada pendant les dix ans précédant la date d’agrément de leur demande, ou ont, après l’âge de dix‑huit ans, été présentes au Canada, avant ces dix ans, pendant au moins le triple des périodes d’absence du Canada au cours de ces dix ans tout en résidant au Canada pendant au moins l’année qui précède la date d’agrément de leur demande;

c) celles qui, à la fois :

(i) n’avaient pas la qualité de pensionné au 1er juillet 1977,

(ii) ont au moins soixante‑cinq ans,

(iii) ont, après l’âge de dix‑huit ans, résidé en tout au Canada pendant au moins quarante ans avant la date d’agrément de leur demande.

(2) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi et de ses règlements, une pension partielle est payable aux personnes qui ne peuvent bénéficier de la pleine pension et qui, à la fois :

a) ont au moins soixante‑cinq ans;

b) ont, après l’âge de dix‑huit ans, résidé en tout au Canada pendant au moins dix ans mais moins de quarante ans avant la date d’agrément de leur demande et, si la période totale de résidence est inférieure à vingt ans, résidaient au Canada le jour précédant la date d’agrément de leur demande.

(3) Pour un mois donné, le montant de la pension partielle correspond aux n/40 de la pension complète, n étant le nombre total—arrondi conformément au paragraphe (4)—d’années de résidence au Canada depuis le dix‑huitième anniversaire de naissance jusqu’à la date d’agrément de la demande.

[. . .]

40. (1) Le ministre peut, pour le compte du gouvernement du Canada et aux conditions agréées par le gouverneur en conseil, conclure avec le gouvernement de tout pays étranger dont la législation prévoit le versement de prestations notamment aux vieillards et invalides ou de pensions de réversion, un accord prévoyant la signature d’arrangements réciproques relatifs à l’application de cette législation et de la présente loi notamment en ce qui concerne :

[. . .]

b) la gestion des prestations payables aux termes de la présente loi à des personnes résidant dans ce pays, l’octroi de prestations payables en vertu de l’une ou l’autre de ces lois à des personnes employées ou résidant dans ce pays ainsi que la modification du montant des prestations;

[. . .]

d) la totalisation des périodes de résidence et de cotisation dans ce pays et des périodes de résidence au Canada;

e) le partage des prestations à payer en fonction, le cas échéant, de la totalisation des périodes de résidence et de cotisation dans ce pays et des périodes de résidence au Canada.

Règlement sur la sécurité de la vieillesse, C.R.C., ch. 1246

21. (1) Aux fins de la Loi et du présent règlement,

a) une personne réside au Canada si elle établit sa demeure et vit ordinairement dans une région du Canada; et

Accord sur la sécurité sociale entre le Canada et les États‑Unis d’Amérique

ARTICLE I

(6) « Période de couverture » désigne,

une période de paiement de cotisations ou une période de gains provenant d’un emploi ou d’un travail autonome, telle que définie ou reconnue par les lois en vertu desquelles la période en question a été accomplie, ou toute autre période analogue dans la mesure où elle est reconnue aux termes de ces lois comme équivalant à une période de couverture; une période de résidence n’est pas reconnue comme période de couverture;

[. . .]

ARTICLE VIII

(1)a) Lorsqu’une personne n’a pas droit au versement d’une prestation faute de périodes de résidence suffisantes en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, ou de périodes de couverture en vertu du Régime de pensions du Canada, le droit de ladite personne au versement de ladite prestation, sous réserve de l’alinéa (1)b), est déterminé par la totalisation de ces périodes et de celles précisées au paragraphe (2), pour autant que les périodes ne se chevauchent pas.

[. . .]

(2)a) Pour établir le droit au versement d’une prestation en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, un trimestre de couverture en vertu des lois des États‑Unis crédité le 1er janvier 1952 ou après cette date et après l’âge auquel les périodes de résidence au Canada sont comptabilisées aux fins de cette loi sera compté comme trois mois de résidence au Canada.

[. . .]

ARTICLE IX

(1) Lorsqu’une personne a droit au versement d’une pension de sécurité de la vieillesse ou d’une allocation au conjoint uniquement en application des dispositions relatives à la totalisation prévues à l’article VIII, l’organisme du Canada calcule le montant de la pension ou de l’allocation au conjoint payable à ladite personne conformément aux dispositions de la Loi sur la sécurité de la vieillesse régissant le versement d’une pension partielle ou d’une allocation au conjoint, uniquement en fonction des périodes de résidence au Canada depuis le 1er janvier 1952 ou après cette date qui peuvent être prises en compte en vertu de cette loi ou sont considérées comme telles aux termes de l’article VI du présent Accord.

[. . .]

(3) Nonobstant toute autre disposition du présent Accord :

a)       une pension de la Sécurité de la vieillesse est versée à une personne résidant à l’étranger uniquement si ses périodes de résidence, totalisées conformément à l’article VIII, sont au moins égales à la période minimale de résidence au Canada exigée par la Loi sur la sécurité de la vieillesse pour l’ouverture du droit au versement d’une pension hors du Canada [. . .]

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