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A-427-04

2005 CAF 132

Le procureur général du Canada (appelant)

c.

Michele Coscia (intimé)

Répertorié : Coscia c. Canada (Procureur général) (C.A.F.)

Cour d'appel fédérale, juges Noël, Sexton et Evans, J.C.A.--Toronto, 10 mars; Ottawa, 14 avril 2005.

Libération conditionnelle -- Appel d'une décision par laquelle la Cour fédérale a infirmé une décision de la Section d'appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles (la Section d'appel) qui confirmait le refus de la Commission nationale des libérations conditionnelles (la Commission) d'accorder une libération conditionnelle en vertu de l'art. 102 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC) -- L'intimé purgait une peine pour de multiples condamnations concernant principalement des infractions liées à la drogue -- Il a été jugé qu'il représentait un danger pour la sécurité publique et il a été ordonné qu'il soit expulsé -- Durant son incarcération, il a complété plusieurs programmes mais son comportement s'est détérioré -- À l'audience, la Commission a interrogé l'intimé sur ses liens avec le crime organisé -- Elle a notamment tenu compte des réponses évasives de l'intimé pour lui refuser une libération conditionnelle -- La Cour fédérale a conclu que la Commission et la Section d'appel ont commis une erreur en refusant la libération conditionnelle à l'intimé à cause de son rôle dans le crime organisé; elles ont également violé l'équité procédurale en utilisant, lors de l'interrogatoire de l'intimé, des termes ambigus et en tirant de ses réponses évasives une conclusion négative dans son évaluation du risque -- En vertu de l'art. 125(1)a)(vi) de la LSCMLC, un détenu n'est pas admissible à la libération conditionnelle anticipée s'il a été reconnu coupable d'un acte de gangstérisme en vertu du Code criminel -- Le rôle de l'intimé dans le crime organisé a aussi amené à l'identifier comme membre d'une organisation criminelle suivant la Directive du commissaire numéro 568-3 (la Directive) -- Les juges majoritaires (le juge Evans étant dissident) ont statué que la conclusion du juge des requêtes selon laquelle la Commission a conclu implicitement ou indirectement que l'intimé était membre du crime organisé était erronée -- Appliquant la norme de contrôle de la décision correcte, le juge des requêtes a eu raison de conclure que la Commission avait manqué à l'équité procédurale en posant de façon insistante des questions à double sens, sans apprécier ou comprendre la position difficile dans laquelle elle plaçait l'intimé -- Même si elle avait le droit de se renseigner sur les relations de l'intimé avec des criminels ou avec ce genre de personnes, la Commission aurait dû éviter d'utiliser des termes qui pouvaient donner lieu à un aveu quant à la perpétration d'une infraction criminelle pour laquelle aucune condamnation n'avait été obtenue -- La Commission a commis une erreur en n'entendant pas les réponses de l'intimé au sujet de son rôle dans le crime organisé -- Ce manquement a été aggravé par la Commission lorsqu'elle a tiré une conclusion négative du fait que l'intimé niait avoir des liens avec la « mafia » et d'autres criminels.

Il s'agissait de l'appel d'une décision par laquelle la Cour fédérale a infirmé une décision de la Section d'appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles (la Section d'appel) qui confirmait une décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles (la Commission) refusant à l'intimé sa libération conditionnelle en vertu de l'article 102 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC). L'intimé purge présentement une peine après avoir été reconnu coupable de diverses infractions graves concernant principalement les stupéfiants, les armes et le blanchiment d'argent. La semi-liberté qui lui avait été antérieurement accordée a été suspendue parce qu'il a proféré des menaces de mort envers son ex-épouse. En 1996, Citoyenneté et Immigration Canada a rendu une ordonnance d'expulsion à l'égard de l'intimé et a déclaré qu'il représentait un danger pour la sécurité publique. Durant son incarcération, l'intimé a complété un certain nombre de programmes qui n'ont pas été fructueux et son comportement institutionnel s'est détérioré. Sa demande de libération conditionnelle a été entendue par la Commission qui a tenu à lui poser une série de questions sur ses liens avec le crime organisé. Les réponses évasives de l'intimé au regard de son implication dans les activités du crime organisé et de la « mafia » étaient l'un des nombreux motifs invoqués par la Commission pour lui refuser une libération anticipée. L'intimé a fait appel de la décision devant la Section d'appel, alléguant entre autres que la Commission avait irrégulièrement tenté de lui faire admettre qu'il était membre d'une organisation criminelle, mais la Section d'appel a rejeté son appel. Lors du contrôle judiciaire, la Cour fédérale a jugé que la conclusion de la Commission et de la Section d'appel que l'intimé participait au « crime organisé traditionnel » ne pouvait être tirée sans condamnation en vertu du Code criminel; elle a également conclu que la Commission avait violé l'équité procédurale en utilisant, lors de l'interrogatoire de l'intimé, des termes qui avaient plus d'un sens et en tirant du manque de réaction de l'intimé une conclusion négative dans son évaluation du risque.

Arrêt (le juge Evans, J.C.A. étant dissident) : l'appel doit être rejeté.

Le juge Noël, J.C.A. (le juge Sexton, J.C.A. souscrivant) : L'objet, les principes et les critères qui doivent guider la Commission dans l'exercice de sa compétence en matière de libération conditionnelle sont énoncés aux articles 100, 101 et 102 de la LSCMLC. De plus, en vertu du sous-alinéa 125(1)a)(vi), un détenu n'est pas admissible à la libération conditionnelle anticipée s'il a été reconnu coupable d'un acte de gangstérisme en vertu du Code criminel. La Directive du commissaire no 568-3 (la Directive) prévoit une procédure particulière lorsqu'il s'agit d'identifier un détenu comme membre d'une « organisation criminelle », telle que définie, et attache des conséquences négatives à cette désignation, à savoir que cela constituera un facteur de risque important pour un délinquant. La conclusion du juge des requêtes selon laquelle la Commission a conclu implicitement ou indirectement que l'intimé était membre du crime organisé et qui a fondé le refus de sa libération conditionnelle était erronée. La conclusion selon laquelle on a refusé à l'intimé la libération conditionnelle en raison de sa participation au crime organisé n'était étayée ni par le dossier, ni par la décision de la Commission. La Commission était préoccupée par la non-acceptation par l'intimé de la responsabilité de ses crimes et sa série de questions était dirigée vers la perception qu'avait l'intimé de ses activités criminelles.

Toutefois, en appliquant la norme de contrôle de la décision correcte, le juge des requêtes a eu raison de conclure que la Commission avait manqué à l'équité procédurale en posant de façon insistante des questions à double sens, sans apprécier ou comprendre la position difficile dans laquelle elle plaçait l'intimé. Admettre être membre ou participant d'une organisation criminelle, c'est s'exposer à une condamnation en vertu du Code criminel et à être considéré membre d'une organisation criminelle suivant la Directive. La Commission n'était pas habilitée à accorder l'immunité à ce titre et elle ne prétendait pas le faire.

À supposer que l'intimé était ou est membre d'une organisation criminelle et n'a pourtant jamais été reconnu comme tel ni en vertu du Code criminel ni suivant la Directive, la série de questions de la Commission le plaçait dans une situation très difficile, soit celle de répondre à la satisfaction de la Commission sans faire un aveu enregistré selon lequel il était ou est membre d'une organisation criminelle ou un participant à une telle organisation. Même s'il était loisible à la Commission de se renseigner sur les relations de l'intimé avec d'autres criminels qui avaient comploté avec lui ou avec ce genre de personnes, elle aurait dû éviter d'utiliser des termes qui, advenant une réponse affirmative, auraient pu donner lieu à un aveu quant à la perpétration d'une infraction criminelle pour laquelle aucune condamnation n'avait été obtenue, ou au moins être attentive à la difficulté posée par son choix de mots. La Commission aurait pu examiner tous les aspects des antécédents de l'intimé et ses relations actuelles sans utiliser des termes ambigus ou sans aucunement se soucier de la difficulté qu'ils créaient pour l'intimé. L'intimé n'a pas été entendu par la Commission en ce qui concerne ses réponses à cette série de questions. Ce manquement a été aggravé par la Commission lorsqu'elle a tiré une conclusion négative du fait que l'intimé niait avoir des liens avec la « mafia » ou d'autres criminels.

Le juge Evans, J.C.A. (dissident) : La Commission n'a pas manqué à son devoir d'agir équitablement en insistant auprès de l'intimé sur la nature organisationnelle des crimes pour lesquels il avait été déclaré coupable et n'a pas non plus commis d'erreur donnant ouverture à révision judiciaire en concluant qu'il était resté évasif dans ses réponses. Aucun détenu n'a le droit à la libération conditionnelle. En vertu de l'alinéa 107(1)a) de la LSCMLC, la Commission a toute « compétence et latitude » pour accorder une libération conditionnelle. Cette attribution exceptionnellement large de pouvoir témoigne de la reconnaissance par le législateur des responsabilités extrêmement importantes et délicates de la Commission, tout comme la restriction imposée par la loi à la compétence de la Section d'appel d'infirmer une décision pour une erreur de droit. La plus importante responsabilité de la Commission est de protéger la société contre les crimes de manière à assurer la clarté et l'équité du processus. On ne doit pas dissuader la Commission de poser des questions pertinentes aux fins d'évaluer le risque de récidive et ses motifs ne doivent pas être soumis à un examen excessivement approfondi. En raison de son expertise, l'évaluation qu'elle fait de ce risque commande la plus grande déférence. Par conséquent, pour ne pas mettre en péril la capacité de la Commission de s'acquitter du mandat que lui confie la Loi, la Cour ne doit intervenir que si le requérant dont la libération conditionnelle a été refusée démontre clairement qu'elle a manqué à son devoir d'agir équitablement ou que sa décision était erronée en droit, fondée sur une conclusion de fait non appuyée par la preuve soumise ou encore, manifestement déraisonnable.

La norme de contrôle en droit administratif fédéral ne peut être déterminée que sur la base de l'analyse pragmatique et fonctionnelle de la loi, de l'expertise relative du tribunal et de la cour de révision, et de la nature de la question en litige. Elle n'est pas déterminée par les dispositions de la Loi sur les Cours fédérales (la Loi) (alinéas 18.1(4)a),b),c)) qui ne font qu'énoncer les motifs de contrôle. Comme la question en litige intéressait l'équité procédurale, la norme de contrôle était celle de la décision correcte et la décision de la Commission pouvait être infirmée en vertu de l'alinéa 18.1(4)d) si la conclusion au sujet des manières évasives a été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait, et si le refus de la Commission d'accorder la libération conditionnelle s'appuyait sur cette conclusion.

Les motifs de la Commission n'associaient pas expressément sa conclusion sur les manières évasives de l'intimé aux réponses aux questions posées au sujet de sa participation à des activités du crime organisé. La Commission a simplement dit qu'elle trouvait que l'intimé était resté « considérablement évasif dans ses réponses à certaines des questions posées ». Les références aux manières évasives de l'intimé faites par la Section d'appel étaient également générales. D'après les transcriptions de l'audience, les réponses de l'intimé à la plupart des questions posées par la Commission semblaient évasives et incohérentes. De plus, son dossier démontrait ses incohérences, ses manières évasives et son refus de reconnaître sa responsabilité dans la perpétration d'infractions criminelles graves. Lorsqu'on examine les motifs de la Commission à la lumière de la transcription, il était raisonnable de soutenir que, en concluant qu'il était évasif, la Commission avait probablement tenu compte des réponses de l'intimé à la série de questions au sujet du crime organisé.

Les questions de la Commission au sujet du rôle de l'intimé dans le crime organisé n'ont pas restreint ses droits de participation en l'empêchant de faire valoir ses prétentions et il n'y avait aucune allégation portant que les questions avaient soulevé une crainte raisonnable de partialité. En prenant en compte les réponses de l'intimé aux questions sur son appartenance au crime organisé, la Commission fondait sa décision sur une conclusion de fait--ses manières évasives --et n'a pas tiré cette conclusion de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait. La Commission disposait d'une preuve considérable, à la fois écrite et orale, pour appuyer sa conclusion que l'intimé était évasif, surtout qu'il s'agissait essentiellement d'une question de crédibilité. Même si ses réponses aux questions de la Commission ont influé sur la conclusion touchant ses manières évasives, la conclusion ne pouvait pas être qualifiée de manifestement déraisonnable au sens de l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi. Vu l'évaluation très mitigée des progrès de l'intimé et de son comportement faite par son équipe de gestion des cas, dont le rapport ne recommandait pas la libération conditionnelle, le refus de la Commission était manifestement raisonnable.

Pour éviter de qualifier d'évasive l'hésitation justifiable d'un requérant, la Commission devrait prendre soin de ne pas créer de confusion dans son esprit sur la question posée, ou de ne pas le mettre dans une situation où il serait forcé d'avouer avoir commis une infraction pour laquelle il n'a pas été condamné, ou encore dans une situation où il semblerait tergiverser.

lois et règlements cités

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 467.1(1) (mod. par L.C. 2001, ch. 32, art. 27), (3) (mod., idem), 467.11 (mod., idem).

Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, art. 100, 101, 102 (mod. par L.C. 1995, ch. 42, art. 27(F)), 107(1)a) (mod. par L.C. 2000, ch. 24, art. 36; 2004, ch. 21, art. 40), 125(1)a)(vi) (mod. par L.C. 1995, ch. 42, art. 39; 1997, ch. 17, art. 24(A)); 1999, ch. 5, art. 53), 126 (mod. parL.C. 1995, ch. 42, art. 40), 127 (mod., idem, art. 41; 1999, ch. 31, art. 66(A))), 132(1), 147(4).

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18.1(4) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27).

jurisprudence citée

décision différenciée :

De Luca c. Canada (Procureur général) (2003), 231 F.T.R. 8; 2003 CFPI 261.

décisions citées :

Cartier c. Canada (Procureur général), [2003] 2 C.F. 317; (2002), 2 Admin. L.R. (4th) 247; 300 N.R. 362; 2002 CAF 384; Migneault c. Canada (Procureur général) (2003), 232 F.T.R. 47; 2003 CFPI 245; Canadian Pasta Manufacturers' Assn. c. Aurora Importing & Distributing Ltd. (1997), 208 N.R. 329 (C.A.F.); Stelco Inc. c. British Steel Canada Inc., [2000] 3 C.F. 282 (C.A.); (2000), 20 Admin. L.R (3d) 159; 252 N.R. 364 (C.A.).

doctrine citée

Service correctionnel Canada. Directive du commissaire, no 568-3, « Identification et gestion des organisations criminelles », en date du 3 janvier 2003.

APPEL de la décision de la Cour fédérale ((2004), 257 F.T.R. 101; 2004 CF 1004) infirmant la décision de la Section d'appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles qui confirmait la décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles refusant à l'intimé sa libération conditionnelle en vertu de l'article 102 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Appel rejeté (le juge Evans, J.C.A. étant dissident).

ont comparu :

John Hill pour l'appelant.

Sadian G. Campbell pour l'intimé.

avocats inscrits au dossier :

John Hill, Toronto, pour l'appelant.

Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]Le juge Noël, J.C.A.: Il s'agit de l'appel d'une décision par laquelle le juge Phelan de la Cour fédérale [(2004), 257 F.T.R. 101] a infirmé une décision de la Section d'appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles (la Section d'appel) qui confirmait une décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles (la Commission) refusant à l'intimé sa libération conditionnelle en vertu de l'article 102 [mod. par L.C. 1995, ch. 42, art. 27(F)] de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (LSCMLC).

Faits

[2]L'intimé purge présentement une peine de 14 ans et huit mois après avoir été reconnu coupable, entre le 8 septembre 1995 et le 22 avril 1996, de complot pour importation de stupéfiants en vue d'en faire le trafic (13 ans); vente d'une arme prohibée (1 an consécutif); recyclage des produits de la criminalité (5 ans concurrents); et complot pour trafic (3 ans concurrents) (dossier d'appel, vol. I « Évaluation en vue d'une décision », daté du 11 juin 2003, page 184).

[3]L'intimé avait antérieurement été en semi-liberté, mais cette libération conditionnelle a été suspendue le 19 janvier 2000 parce qu'il a été accusé de menaces de morts envers son ex-épouse concernant un événement qui a eu lieu le 31 mai 1999, alors qu'il était incarcéré. Par la suite, l'intimé a été reconnu coupable de cette accusation, le 14 mars 2000 (dossier d'appel, vol. I « Rapport d'étape sur le plan correctionnel », daté du 10 avril 2003, page 186).

[4]En 1996, Citoyenneté et Immigration Canada a rendu une ordonnance d'expulsion à son endroit. En 2001, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration a déclaré que l'intimé représentait un danger pour la sécurité publique. L'intimé doit donc être expulsé en Italie (dossier d'appel, vol. I « Transcriptions de l'audience du 15 juillet 2003 devant la Commission », pages 90, 92 et 93. Dossier d'appel, Vol. I « Rapport d'étape sur le plan correctionnel », daté du 10 avril 2003, page 175).

[5]Durant son incarcération, l'intimé a complété un certain nombre de programmes. Cependant, au moment de sa demande de libération conditionnelle, ces programmes n'avaient pas été fructueux et son comportement institutionnel se détériorait (dossier d'appel, vol. I « Rapport d'étape sur le plan correctionnel », daté du 10 avril 2003, pages 186 et 187).

[6]Le 15 juillet 2003, la demande de libération conditionnelle de l'intimé a été entendue par la Commission nationale des libérations conditionnelles. Au cours de l'audience, la Commission a tenu à lui poser une série de questions sur ses liens avec le crime organisé. L'échange qui suit a eu lieu (dossier d'appel, vol. I, dossier du requérant, transcriptions de l'audience du 15 juillet 2003 de la Commission nationale des libérations conditionnelles, pages 103 à 105):

[traduction] LE PRÉSIDENT : Il semble que vous coupez les cheveux en quatre, alors que vous saviez que vous étiez mêlé à --

LE REQUÉRANT : Oui.

LE PRÉSIDENT : -- d'autres personnes qui avaient une propension à commettre des crimes et qui se livraient au crime organisé avec des criminels organisés?

LE REQUÉRANT : C'est exact. Parce que je ne veux pas donner l'impression -- Durant les cinq premières années dans le système, je n'étais pas connu comme une personne du crime organisé. Je reviens de -- ayant été libéré le même jour et accusé, où les accusations pour lesquelles on m'a libéré sous condition, à partir de cette date, mon dossier avait changé [. . .] 60. Je suis devenu une personne du crime organisé et tout a commencé à cette institution.

LE PRÉSIDENT : Nous parlons peut-être ici de deux définitions du crime organisé. L'une d'entre elles est la définition légale imposée par le juge et qui figure sur votre feuille SED. Nous ne voyons pas cette désignation particulière. Mais notre discussion depuis dix minutes traite de criminels organisés qui opèrent à très grande échelle. À mon sens, c'est du crime organisé. Je ne réfère pas à la définition légale d'un juge, sinon vous n'auriez probablement pas eu droit à une procédure d'examen expéditif, selon votre peine.

M. HILL [l'avocat de l'intimé] : Je pense que la confusion provient du fait qu'il interprète le crime organisé comme étant la mafia. Or, il a toujours prétendu ne jamais avoir été mêlé à ce genre de chose.

LE PRÉSIDENT : Nous savons tous que beaucoup de personnes sans lien avec la mafia sont mêlées au crime organisé. Il importe peu que vos amis qui ont une propension à commettre des crimes, comme vous le dites euphémiquement, avec lesquels vous vous êtes mêlé, soient la mafia ou qu'ils soient d'autres criminels organisés. Il s'agissait du crime organisé à grande échelle. Il s'agissait de trafic de drogues à grande échelle. Il s'agissait de blanchiment d'argent à grande échelle. Il y a aussi l'élément très perturbant de la mitraillette que vous avez pu obtenir de quelqu'un.

[7]Dans la version intégrale de sa décision, la Commission a formulé le commentaire suivant au sujet des réponses évasives de l'intimé au regard de son implication dans les activités du crime organisé et de la « mafia » (dossier d'appel, vol. II, page 420) :

[traduction] Vous continuez à nier votre participation aux activités liées au crime organisé en répétant que vous n'êtes pas lié à la « mafia ». Il est évident que vous étiez associé à d'autres criminels qui étaient très bien organisés dans le seul but de commettre des crimes d'envergure. Vos manières évasives et votre non-discernement demeurent des obstacles majeurs, de l'avis de la Commission, à une gestion des risques efficace dans n'importe quelle communauté. Les soupçons actuels au sujet de vos liens courants avec d'autres personnes liées au crime organisé ajoutent à ces obstacles à la libération.

[8]C'est l'un des nombreux motifs invoqués par la Commission pour refuser la libération anticipée de l'intimé.

[9]L'intimé a fait appel de la décision de la Commission devant sa Section d'appel en vertu du paragraphe 147(4) de la LSCMLC, alléguant, entre autres, que la Commission avait irrégulièrement tenté de lui faire admettre qu'il était membre d'une organisation criminelle. À cet égard, l'intimé a invoqué la décision de la Section de première instance de la Cour fédérale dans De Luca c. Canada (Procureur général) (2003), 231 F.T.R. 8.

Décision de la Section d'appel

[10]La Section d'appel a rejeté l'appel. Elle a disposé de l'argument fondé sur De Luca, comme suit (dossier d'appel, vol. I, page 78) :

[traduction] Vous n'êtes peut-être pas un membre du crime organisé au sens juridique, qui a été examiné à l'audience. Mais, vous avez, de votre propre aveu, participé avec des gens animés d'intentions criminelles, à des activités criminelles d'envergure sur le plan international, à savoir un important trafic de cocaïne et du blanchiment d'argent. L'affaire De Luca invoquée par votre assistant se distingue de votre cas. Elle s'applique dans la procédure d'examen expéditif prévue aux articles 125 et 126 de la LSCMLC, lorsqu'on a refusé à un détenu sa mise en liberté parce qu'il est membre d'un groupe lié au crime organisé alors qu'il n'a pas été déclaré coupable d'« une infraction d'organisation criminelle » prévue au Code.

[11]L'intimé a demandé la révision judiciaire de la décision de la Section d'appel devant la Cour fédérale.

Décision de la Cour fédérale

[12]Le juge Phelan a accueilli la demande. Il a conclu que l'intimé s'est vu refuser la libération conditionnelle en raison de sa participation au « crime organisé traditionnel » (paragraphes 6 et 7), conclusion qui ne pouvait être tirée sans condamnation en vertu du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46] (De Luca).

[13]Il était d'avis que l'appréciation par la Commission de l'historique criminel de l'intimé soulevait une question de droit, à laquelle s'appliquait la norme de la décision correcte (paragraphes 10 et 11).

[14]Selon le juge des requêtes, la Commission et sa Section d'appel ont effectivement conclu que l'intimé était de fait, sinon en droit, membre du crime organisé, et elles ont refusé la libération anticipée de l'intimée pour ce motif (paragraphe 15 et paragraphes 17 à 19).

[15]Le juge des requêtes a également conclu que la Commission avait violé l'équité procédurale en utilisant, lors de l'interrogatoire de l'intimé, des termes qui avaient plus d'un sens et en tirant du manque de réaction de l'intimé une conclusion négative dans son évaluation du risque (paragraphes 26 à 33).

[16]Le juge des requêtes a donc annulé la décision de la Section d'appel et ordonné la tenue d'une nouvelle audience de libération conditionnelle devant une Commission composée de nouveaux membres.

Erreurs alléguées dans la décision frappée d'appel

[17]L'avocat de l'appelant plaide que le juge des requêtes a appliqué la mauvaise norme de contrôle en révisant la décision de la Section d'appel et qu'il a mal interprété les motifs invoqués par la Commission pour refuser la libération anticipée.

[18]Il s'appuie sur la décision de la Cour dans Cartier c. Canada (Procureur général), [2003] 2 C.F. 317, aux paragraphes 7, 8 et 9, pour faire valoir que les décisions de la Section d'appel sur des questions de droit doivent être révisées suivant la norme de la décision raisonnable. Il ajoute que, correctement comprise, la question que devait trancher le juge des requêtes était une question de fait (à savoir si l'intimé présentait un risque pour la société), à laquelle s'applique la norme de la décision manifestement déraisonnable.

[19]L'avocat plaide que la Commission ne s'était pas proposée de décider que l'intimé était membre d'une organisation criminelle et qu'elle n'a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de refuser la libération de l'intimé pour ce seul motif (comparer avec De Luca), ainsi qu'il appert des autres nombreux motifs invoqués par la Commission pour refuser la libération conditionnelle.

[20]Il ajoute qu'en vertu du paragraphe 132(1) de la LSCMLC, la Commission doit prendre en compte « tous les facteurs utiles pour évaluer le risque que le délinquant commette [. . .] une infraction ». La série de questions au sujet des liens de l'intimé avec ses co-conspirateurs était très pertinente à cet égard, et comme la décision de la Commission était raisonnable, la Section d'appel n'avait aucun motif pour intervenir.

[21]En ce qui concerne l'autre conclusion du juge des requêtes selon laquelle la Commission a manqué à son devoir d'agir équitablement en continuant de poser des questions sur les liens de l'intimé avec le crime organisé, l'avocat concède que la Commission aurait pu mieux choisir ses mots, mais il insiste sur le fait que la procédure a été conduite de façon équitable.

Dispositions législatives pertinentes

[22]L'objet, les principes et les critères qui doivent guider la Commission dans l'exercice de sa compétence en matière de libération conditionnelle sont énoncés aux articles 100, 101 et 102 de la LSCMLC :

100. La mise en liberté sous condition vise à contribuer au maintien d'une société juste, paisible et sûre en favorisant, par la prise de décisions appropriées quant au moment et aux conditions de leur mise en liberté, la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants en tant que citoyens respectueux des lois.

101. La Commission et les commissions provinciales sont guidées dans l'exécution de leur mandat par les principes qui suivent :

a) la protection de la société est le critère déterminant dans tous les cas;

b) elles doivent tenir compte de toute l'information pertinente disponible, notamment les motifs et les recommandations du juge qui a infligé la peine, les renseignements disponibles lors du procès ou de la détermination de la peine, ceux qui ont été obtenus des victimes et des délinquants, ainsi que les renseignements et évaluations fournis par les autorités correctionnelles;

c) elles accroissent leur efficacité et leur transparence par l'échange de renseignements utiles au moment opportun avec les autres éléments du système de justice pénale d'une part, et par la communication de leurs directives d'orientation générale et programmes tant aux délinquants et aux victimes qu'au public, d'autre part;

d) le règlement des cas doit, compte tenu de la protection de la société, être le moins restrictif possible;

e) elles s'inspirent des directives d'orientation générale qui leur sont remises et leurs membres doivent recevoir la formation nécessaire à la mise en oeuvre de ces directives;

f) de manière à assurer l'équité et la clarté du processus, les autorités doivent donner aux délinquants les motifs des décisions, ainsi que tous autres renseignements pertinents, et la possibilité de les faire réviser.

102. La Commission et les commissions provinciales peuvent autoriser la libération conditionnelle si elles sont d'avis qu'une récidive du délinquant avant l'expiration légale de la peine qu'il purge ne présentera pas un risque inacceptable pour la société et que cette libération contribuera à la protection de celle-ci en favorisant sa réinsertion sociale en tant que citoyen respectueux des lois.

[23]Le droit à la libération conditionnelle, en ce qui concerne la présente affaire, est régi par les dispositions suivantes [art. 126 (mod. par L.C. 1995, ch. 42, art. 40), 127 (mod., idem, art. 41; 1999, ch. 31, art. 66(A))] :

126. (1) La Commission procède sans audience, au cours de la période prévue par règlement ou antérieurement, à l'examen des dossiers transmis par le Service ou les autorités correctionnelles d'une province.

(2) Par dérogation à l'article 102, quand elle est convaincue qu'il n'existe aucun motif raisonnable de croire que le délinquant commettra une infraction accompagnée de violence s'il est remis en liberté avant l'expiration légale de sa peine, la Commission ordonne sa libération conditionnelle totale.

(3) Si elle est convaincue du contraire, la Commission communique au délinquant ses conclusions et motifs.

(4) La Commission transmet ses conclusions et motifs à un comité constitué de commissaires n'ayant pas déjà examiné le cas et chargé, au cours de la période prévue par règlement, du réexamen du dossier.

(5) Si le réexamen lui apporte la conviction précisée au paragraphe (2), le comité ordonne la libération conditionnelle totale du délinquant.

(6) Dans le cas contraire, la libération conditionnelle totale est refusée, le délinquant continuant toutefois d'avoir droit au réexamen de son dossier selon les modalités prévues au paragraphe 123(5).

(7) Pour l'application du présent article, une infraction accompagnée de violence s'entend du meurtre ou de toute infraction mentionnée à l'annexe I; toutefois, il n'est pas nécessaire, en déterminant s'il existe des motifs raisonnables de croire que le délinquant en commettra une, de préciser laquelle.

(8) En cas de révocation ou de cessation de la libération conditionnelle, le délinquant perd le bénéfice de la procédure expéditive.

[. . .]

127. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, l'individu condamné ou transféré au pénitencier a le droit d'être mis en liberté à la date fixée conformément au présent article et de le demeurer jusqu'à l'expiration légale de sa peine.

(2) Sous réserve des autres dispositions du présent article, la date de libération d'office d'un individu condamné à une peine d'emprisonnement avant le 1er novembre 1992 est déterminée par soustraction de cette peine du nombre de jours correspondant à :

a) la réduction de peine, légale ou méritée, dont il bénéficie à cette date;

b) la réduction maximale de peine à laquelle il aurait eu droit sur la partie de la peine qui lui restait à subir en vertu de la Loi sur les pénitenciers et de la Loi sur les prisons et les maisons de correction, dans leur version antérieure à cette date.

(3) La date de libération d'office d'un individu condamné à une peine d'emprisonnement le 1er novembre 1992 ou par la suite est, sous réserve des autres dispositions du présent article, celle où il a purgé les deux tiers de sa peine.

(4) Lorsque les condamnations sont survenues avant le 1er novembre 1992 et le 1er novembre 1992 ou par la suite, la libération d'office survient, sous réserve des autres dispositions du présent article, à la plus éloignée des dates respectivement prévues par les paragraphes (2) et (3).

(5) Sous réserve des paragraphes 130(4) et (6), la date de libération d'office du délinquant dont la libération conditionnelle ou d'office est révoquée est celle à laquelle il a purgé les deux tiers de la partie de la peine qui lui restait à purger au moment de la réincarcération qui a suivi la suspension ou la révocation prévue à l'article 135.

(6) Lorsqu'un délinquant est condamné à purger une peine d'emprisonnement dans un établissement correctionnel provincial et est transféré au pénitencie r-- autrement qu'en vertu d'un accord visé au paragraphe 16(1) -- et qu'une partie de la réduction de peine prévue à la Loi sur les prisons et les maisons de correction, ne lui est pas accordée ou est annulée, la date de libération du délinquant est celle à laquelle celui-ci a purgé, au total :

a) la partie de la peine qu'il aurait dû purger en vertu du présent article s'il s'était vu accorder la réduction de peine ou que celle-ci n'avait pas été annulée;

b) la période d'incarcération correspondant à la réduction de peine qui ne lui a pas été accordée ou a été annulée et ne lui a pas été réattribuée aux termes de cette loi.

(7) Le délinquant qui, condamné ou transféré -- autrement qu'en vertu de l'accord visé au paragraphe 16(1) -- au pénitencier à compter du 1er août 1970, bénéficie de la libération d'office demeure sous surveillance aux termes de la présente loi; toutefois, les autres délinquants mis en liberté, au titre du présent article, ne sont en aucun cas assujettis à la surveillance.

[24]Il est également utile de souligner qu'en vertu du sous-alinéa 125(1)a)(vi) [mod. par L.C. 1995, ch. 42, art. 39; 1997, ch. 17, art. 24(A); 1999, ch. 5, art. 53] de la LSCMLC, un détenu n'est pas admissible à la libération conditionnelle anticipée s'il a été reconnu coupable d'un acte de gangstérisme en vertu du Code criminel :

125. (1) Le présent article et l'article 126 s'appliquent aux délinquants condamnés ou transférés pour la première fois au pénitencier -- autrement qu'en vertu de l'accord visé au paragraphe 16(1) --, à l'exception de ceux :

a) qui y purgent une peine pour une des infractions suivantes :

[. . .]

(vi) un acte de gangstérisme, au sens de l'article 2 du Code criminel, y compris l'infraction visée au paragraphe 82(2);

[25]À cet égard, les paragraphes 467.1(1) [mod. par L.C. 2001, ch. 32, art. 27] et (3) [mod., idem] et l'article 467.11 [mod., idem] du Code criminel disposent :

467.1 (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

«infraction grave» Tout acte criminel -- prévu à la présente loi ou à une autre loi fédérale -- passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans ou plus, ou toute autre infraction désignée par règlement.

«organisation criminelle» Groupe, quel qu'en soit le mode d'organisation :

a) composé d'au moins trois personnes se trouvant au Canada ou à l'étranger;

b) dont un des objets principaux ou une des activités principales est de commettre ou de faciliter une ou plusieurs infractions graves qui, si elles étaient commises, pourraient lui procurer -- ou procurer à une personne qui en fait partie --, directement ou indirectement, un avantage matériel, notamment financier.

La présente définition ne vise pas le groupe d'individus formé au hasard pour la perpétration immédiate d'une seule infraction.

[. . .]

(3) Au présent article et aux articles 467.11 à 467.13, le fait de commettre une infraction comprend le fait de participer à sa perpétration ou de conseiller à une personne d'y participer.

[. . .]

467.11 (1) Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans quiconque sciemment, par acte ou omission, participe à une activité d'une organisation criminelle ou y contribue dans le but d'accroître la capacité de l'organisation de faciliter ou de commettre un acte criminel prévu à la présente loi ou à une autre loi fédérale.

(2) Dans une poursuite pour l'infraction prévue au paragraphe (1), le poursuivant n'a pas à établir les faits suivants :

a) l'organisation criminelle a réellement facilité ou commis un acte criminel;

b) la participation ou la contribution de l'accusé a accru la capacité de l'organisation criminelle de faciliter ou de commettre un acte criminel;

c) l'accusé connaissait la nature exacte d'un acte criminel susceptible d'avoir été facilité ou commis par l'organisation criminelle;

d) l'accusé connaissait l'identité de quiconque fait partie de l'organisation criminelle.

(3) Pour déterminer si l'accusé participe ou contribue à une activité d'une organisation criminelle, le tribunal peut notamment prendre en compte les faits suivants :

a) l'accusé utilise un nom, un mot, un symbole ou une autre représentation qui identifie l'organisation criminelle ou y est associée;

b) il fréquente quiconque fait partie de l'organisation criminelle;

c) il reçoit des avantages de l'organisation criminelle;

d) il exerce régulièrement des activités selon les instructions d'une personne faisant partie de l'organisation criminelle.

[26]Est également pertinente en l'espèce la Directive du commissaire numéro 568-3 [« Identification et gestion des organisations criminelles »] (la Directive), qui énonce une procédure particulière lorsqu'il s'agit d'identifier un détenu comme membre d'une « organisation criminelle », telle que définie, et attache des conséquences négatives à cette désignation. L'alinéa qui suit est particulièrement pertinent :

19. L'appartenance ou l'association à une organisation criminelle doit être considérée comme un facteur de risque important lors de la prise de décision concernant un délinquant.

Analyse et décision

[27]Avec respect, je suis d'avis que la conclusion du juge des requêtes selon laquelle la Commission a conclu implicitement ou indirectement que l'intimé était membre du crime organisé au sens du Code criminel ou de la Directive, et qui a fondé le refus de sa libération conditionnelle, est erronée.

[28]Pour arriver à cette conclusion, le juge des requêtes a appliqué la mauvaise norme de contrôle (voir Cartier) et il a mal interprété les motifs invoqués par la Commission à l'appui de sa décision.

[29]Dans l'affaire De Luca, la Commission a refusé à un détenu la procédure d'examen expéditif sous le régime du sous-alinéa 125(1)a)(vi) de la LSCMLC parce que le requérant était, à son avis, membre d'une organisation criminelle, bien qu'il n'y avait pas eu de condamnation en vertu du Code criminel à cet effet. La Section de première instance de la Cour fédérale était d'avis que la décision de la Commission était contraire au sous-alinéa 125(1)a)(vi), qui exige expressément qu'il y ait eu condamnation antérieure en vertu du Code criminel pour qu'un requérant puisse être considéré inadmissible au processus accéléré de libération.

[30]La situation en l'espèce est différente. La conclusion du juge des requêtes selon laquelle on a refusé à l'intimé la libération conditionnelle « en raison de sa participation au "crime organisé traditionnel" » (motifs, paragraphes 1 et 6) n'est étayée ni par le dossier, ni par la décision de la Commission. Ce dont la Commission a tenu compte pour refuser la libération conditionnelle, parmi plusieurs autres facteurs, c'était ses réponses évasives aux questions, dont les questions au sujet de sa participation à l'organisation d'activités criminelles.

[31]Il est clair que la Commission ne s'est pas engagée dans cette série de questions dans le but d'établir que l'intimé participait aux activités d'une organisation criminelle au sens du paragraphe 467.11(1) du Code criminel ou qu'il était membre ou associé d'une organisation criminelle au sens de la Directive. La Commission était, cependant, préoccupée par la non-acceptation par l'intimé de la responsabilité de ses crimes, y compris ceux commis par d'autres. La Commission l'a dit explicitement et sa série de questions était dirigée vers la perception qu'avait l'intimé de ses activités criminelles, question qui est au coeur du mandat de la Commission.

[32]Lors de l'audience devant nous, l'avocat de l'intimé n'a pas tenté de soutenir la conclusion du juge des requêtes quant à la première partie de sa décision. Il a plutôt appuyé son argumentation sur la conclusion du juge selon laquelle la Commission a, par la série de questions posées, manqué à l'équité procédurale. J'aborderai maintenant cette question.

[33]Il est généralement reconnu que la question de savoir s'il y a eu manquement au devoir d'agir équitablement est soumise à la norme de contrôle de la décision correcte. Appliquant cette norme, je suis d'avis que le juge des requêtes avait raison de conclure que la Commission avait manqué à l'équité procédurale en posant de façon insistante des questions à double sens, sans apprécier ou comprendre la position difficile dans laquelle elle plaçait l'intimé.

[34]À cet égard, la Commission ne peut pas se justifier en disant qu'elle ne cherchait pas à déterminer si l'intimé était membre du crime organisé au sens légal du terme. Même si la Commission n'avait pas une telle préoccupation, il reste qu'admettre être membre ou participant d'une organisation criminelle, c'est s'exposer à une condamnation en vertu du Code criminel et à être considéré membre d'une organisation criminelle suivant la Directive. La Commission n'était pas habilitée à accorder l'immunité à ce titre et elle ne prétendait pas le faire.

[35]À supposer que le requérant était ou est membre d'une organisation criminelle, comme le croyait la Commission, et compte tenu du fait qu'il n'a jamais été reconnu comme tel, ni en vertu du Code criminel ni suivant la Directive, la série de questions de la Commission le plaçait dans une situation très difficile, soit celle de répondre à la satisfaction de la Commission sans faire un aveu enregistré selon lequel il était ou est membre d'une organisation criminelle ou un participant à une telle organisation. L'intimé et son avocat ont tous deux tenté sans succès de porter cette difficulté à l'attention de la Commission. La Commission a conclu que les réponses évasives de l'intimé à ces questions devaient être attribuées à la non-acceptation de sa responsabilité pour son comportement criminel.

[36]Bien qu'il soit loisible à la Commission de se renseigner sur les relations de l'intimé avec d'autres personnes (criminalisées) qui ont comploté avec lui pour commettre des infractions pour lesquelles il a été condamné (et d'ailleurs de se renseigner sur la poursuite de quelque relation avec ce genre de personne), elle devrait éviter d'utiliser des termes qui, advenant une réponse affirmative, peuvent donner lieu à un aveu quant à la perpétration d'une infraction criminelle pour laquelle aucune condamnation n'a été obtenue, ou au moins être attentive à la difficulté posée par son choix de mots.

[37]L'avocate de l'appelant, au cours de sa talentueuse présentation, a reconnu que la Commission pouvait se renseigner sur les relations de l'intimé avec ses conspirateurs et d'autres personnes sans utiliser des termes tels que « crime organisé ». De fait, rien n'empêchait la Commission d'examiner tous les aspects des antécédents de l'intimé et ses relations actuelles sans utiliser des termes ambigus.

[38]À mon avis, l'insistance de la Commission à utiliser de tels termes sans aucunement se soucier de la difficulté qu'ils créaient pour l'intimé est fondamentale-ment inéquitable et démontre que l'intimé n'a pas été entendu par la Commission en ce qui concerne ses réponses à cette série de questions. Ce manquement a été aggravé par la Commission lorsqu'elle a tiré une conclusion négative du fait que l'intimé niait avoir des liens avec la « mafia » ou d'autres criminels (voir paragraphe 7 ci-dessus).

[39]Le juge Phelan est arrivé à la bonne conclusion lorsqu'il a décidé qu'il y avait eu atteinte au droit de l'intimé à l'équité procédurale.

[40]Pour ces motifs, je rejetterais l'appel, avec dépens.

Le juge Sexton, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Evans, J.C.A. (dissident) :

Introduction

[41]J'ai eu l'avantage de prendre connaissance des motifs de mon collègue, le juge Noël. Je ne peux toutefois pas y souscrire. À mon avis, la Commission n'a pas manqué à son devoir d'agir équitablement en insistant auprès de Michele Coscia sur la nature organisationnelle des crimes pour lesquels il avait été déclaré coupable. La Commission n'a pas non plus commis d'erreur donnant ouverture à révision judiciaire en concluant que M. Coscia restait évasif dans ses réponses.

[42]Le juge Noël estime que la Commission a attribué à ses manières évasives et a interprété comme une preuve de son incapacité d'accepter la responsabilité de son passé le fait que M. Coscia niait avoir déjà été membre de la mafia ou d'une bande semblable, même s'il a subséquemment admis que les crimes pour lesquels il avait été condamné avaient été organisés avec d'autres personnes.

[43]En tirant cette conclusion, dit mon collègue, la Commission a manqué à son devoir d'agir équitablement parce qu'elle n'a pas entendu ce que M. Coscia tentait de dire : elle n'a pas considéré la position intenable dans laquelle ses questions le plaçaient quand elle a insisté pour lui faire admettre que la nature de ses infractions l'impliquait forcément dans des activités du crime organisé ou dans le crime organisé. Un aveu de la part de M. Coscia portant que ses infractions constituaient une activité criminelle organisée pouvait fonder des accusations en vertu du paragraphe 467.11(1) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-34, l'identifier comme membre ou associé d'une organisation criminelle suivant la Directive du commissaire, ou justifier le refus de sa libération conditionnelle, maintenant et dans l'avenir.

Pouvoirs et fonctions de la Commission

[44]Aucun détenu n'a le droit à la libération conditionnelle. La Commission a toute « compétence et latitude » pour accorder une libération conditionnelle : Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (LSCMLC), alinéa 107(1)a) [mod. par L.C. 2000, ch. 24, art. 36; 2004, ch. 21, art. 40].

[45]Cette attribution exceptionnellement large de pouvoir témoigne de la reconnaissance par le législateur des responsabilités extrêmement importantes et délicates de la Commission, tout comme la restriction imposée par la loi à la compétence de la Section d'appel d'infirmer une décision pour une erreur de droit (voir Cartier c. Canada (Procureur général), [2003] 2 C.F. 317 (C.A.), aux paragraphes 6 à 10). En particulier, la Commission est chargée d'arriver à un règlement des cas le moins restrictif possible compte tenu de sa plus importante responsabilité, soit la protection de la société contre les crimes, et de manière à assurer la clarté et l'équité du processus : voir la LSCMLC, article 101.

[46]La Cour doit faire preuve d'une grande prudence en contrôlant l'exercice par la Commission de son large pouvoir discrétionnaire, de crainte de mettre en péril la capacité de la Commission de s'acquitter du mandat que lui confie la loi. Ainsi, les motifs de la Commission ne doivent pas être soumis à un examen excessivement approfondi. En raison de son expertise, l'évaluation qu'elle fait du risque de récidive posé par un requérant commande la plus grande déférence : Migneault c. Canada (Procureur général) (2003), 232 F.T.R. 47 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 14 et 19. On ne doit pas non plus dissuader la Commission de poser des questions pertinentes aux fins d'évaluation du risque.

[47]Ainsi, la Cour ne doit intervenir que si le requérant dont la libération conditionnelle a été refusée démontre clairement que la Commission a manqué à son devoir d'agir équitablement ou que sa décision était erronée en droit, fondée sur une conclusion de fait non appuyée par la preuve soumise, ou encore manifestement déraisonnable.

Norme de contrôle judiciaire

[48]Sans avoir expressément appliqué les éléments de l'analyse pragmatique et fonctionnelle, le juge des requêtes a conclu que l'analyse commandait la norme de contrôle de la décision correcte lorsqu'il s'agit de déterminer si la Commission a commis une erreur de droit, tel qu'allégué. Il a dit (au paragraphe 11) que les alinéas 18.1(4)a) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27], b) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] et c) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 [art. 1 (mod., idem, art. 14)], « confirment que la norme applicable est celle de la décision correcte ».

[49]Avec respect, ces dispositions de la Loi sur les Cours fédérales (contrairement à l'alinéa 18.1(4)d) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27]) ne font qu'énoncer les motifs de contrôle; elles ne disent rien sur la norme de contrôle applicable lorsqu'il s'agit de déterminer si le requérant a démontré qu'un tribunal administratif fédéral a excédé sa compétence, a manqué à son devoir d'agir équitablement ou a commis une erreur de droit. Comme c'est le cas dans les ressorts où les motifs de contrôle n'ont pas été codifiés, la norme de contrôle en droit administratif fédéral ne peut être déterminée que sur la base de l'analyse pragmatique et fonctionnelle de la loi, de l'expertise relative du tribunal et de la cour de révision, et de la nature de la question en litige.

[50]Cependant, comme je suis d'accord avec le juge Noël que, dans la mesure où la Commission a commis une erreur, son erreur ne devrait pas être considérée comme une erreur de droit aux fins de contrôle judiciaire, il n'est pas nécessaire de formuler davantage de commentaires sur le choix de la norme de contrôle par le juge des requêtes.

[51]Si, comme le conclut le juge Noël, la question intéresse l'équité procédurale, la norme de contrôle est celle de la décision correcte. Mais si, comme je l'estime, ce qui est contesté est la conclusion de la Commission au sujet des manières évasives de l'intimé, il s'agit d'une question de fait. Pour cette raison, la décision de la Commission peut être infirmée en vertu de la Loi sur les Cours fédérales, alinéa 18.1(4)d), si la conclusion au sujet des manières évasives a été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait, et le refus de la Commission d'accorder la libération conditionnelle s'appuyait sur cette conclusion. Cette norme de contrôle prévue par la loi équivaut à la norme de la décision manifestement déraisonnable : Assoc. Canadienne des fabricants de pâtes alimentaires c. Aurora Importing & Distributing Ltd. (1997), 208 N.R. 329 (C.A.F.), aux paragraphes 6 et 7.

La conclusion de la Commission quant aux manières évasives de l'intimé était-elle fondée sur les réponses de ce dernier aux questions traitant du crime organisé?

[52]Une décision ne peut être infirmée en vertu de l'alinéa 18.1(4)d) que si elle est fondée sur une conclusion de fait manifestement déraisonnable. Le juge Noël estime que les réponses de M. Coscia aux questions posées par la Commission au sujet de sa participation au crime organisé ont fondé au moins en partie la conclusion de la Commission selon laquelle le témoignage de M. Coscia était évasif et incohérent.

[53]Je voudrais cependant souligner que les motifs de la Commission n'associent pas expressément sa conclusion sur les manières évasives de M. Coscia aux réponses de celui-ci aux questions posées au sujet de sa participation à des activités du crime organisé. Tout ce que la Commission a dit, c'est qu'elle trouvait que M. Coscia était resté [traduction] « considérablement évasif dans ses réponses à certaines des questions posées ». Les références aux « manières évasives » M. de Coscia faites par la Section d'appel, laquelle n'a pas tenu d'audience, sont également générales.

[54]Les réponses de M. Coscia à la plupart des questions posées par la Commission semblent, selon les transcriptions de l'audience, avoir été évasives et incohérentes, notamment sur les questions de savoir s'il voulait habiter au Canada ou en Italie; s'il avait participé à un « échange » d'argent plutôt qu'à un blanchiment d'argent, soit l'infraction pour laquelle il a été condamné; dans quelles circonstances il avait acquis une mitraillette; s'il était en contact avec son ex-épouse; et s'il avait des projets après sa libération. De plus, selon la Commission, le dossier de M. Coscia démontre ses incohérences, ses manières évasives et son refus de reconnaître sa responsabilité dans la perpétration d'infractions criminelles graves.

[55]Néanmoins, la Commission est revenue à la question des manières évasives de M. Coscia après avoir constaté qu'il continuait de contester son appartenance à la mafia, ou une bande semblable, tout en admettant qu'il était mêlé à d'autres criminels bien organisés pour commettre des crimes à grande échelle.

[56]Suivant les motifs de la Commission, surtout lorsqu'on les considère à la lumière des transcriptions de l'audience, il est raisonnable de soutenir que, en concluant qu'il était évasif, la Commission a probablement tenu compte des réponses de M. Coscia à la série de questions au sujet du crime organisé.

La nature de l'erreur commise par la Commission, le cas échéant

[57]Je ne crois pas que la Commission ait manqué à son devoir d'agir équitablement en tenant compte des réponses de M. Coscia aux questions sur son rôle dans le crime organisé lorsqu'elle a conclu qu'il restait évasif. Rien au dossier ne permet de conclure que les questions de la Commission ont restreint ses droits de participation en l'empêchant de faire valoir ses prétentions et il n'y a aucune allégation portant que les questions ont soulevé une crainte raisonnable de partialité.

[58]Le juge Noël était plutôt préoccupé par le fait que la Commission n'aurait pas considéré que M. Coscia restait évasif dans cette partie de son témoignage par crainte d'avouer sa culpabilité à l'égard d'une infraction du Code criminel ou de rendre la Directive du commissaire applicable à son cas. Autrement dit, en prenant en compte les réponses de M. Coscia aux questions sur son appartenance au crime organisé, la Commission fondait sa décision sur une conclusion de fait, à savoir ses manières évasives, conclusion tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait.

[59]Cependant, comme je l'ai déjà dit, la Commission disposait d'une preuve considérable, à la fois écrite et orale, pour appuyer sa conclusion que M. Coscia était évasif, surtout qu'il s'agissait essentiellement d'une question de crédibilité. Ainsi, même si ses réponses aux questions de la Commission ont influé sur la conclusion touchant ses manières évasives, la conclusion ne peut, à mon avis, être qualifiée de manifestement déraisonnable au sens de l'alinéa 18.1(4)d).

[60]Qui plus est, la conclusion touchant ses manières évasives n'était qu'un des motifs de la décision discrétionnaire de la Commission de refuser la libération conditionnelle. Vu l'évaluation très mitigée des progrès de M. Coscia et de son comportement faite par son équipe de gestion des cas, dont le rapport ne recommandait pas la libération conditionnelle, le refus de la Commission était manifestement raisonnable : Stelco Inc. c. British Steel Canada Inc., [2000] 3 C.F. 282 (C.A.), au paragraphe 22.

[61]Enfin, bien qu'il n'appartienne pas à la Cour d'offrir de façon opportuniste des conseils sur la façon d'exercer ses fonctions, la Commission entre en terrain délicat lorsqu'elle s'enquiert de la participation d'un requérant au crime organisé, du moins lorsque celui-ci n'a été ni condamné suivant le paragraphe 467.11(1) du Code criminel ni identifié comme membre ou affilié d'une organisation criminelle suivant la Directive du commissaire.

[62]Pour éviter de qualifier d'évasive l'hésitation justifiable d'un requérant, la Commission devrait prendre soin de ne pas créer de confusion dans son esprit sur la question posée, ou de ne pas le mettre dans une situation où il serait forcé d'avouer avoir commis une infraction pour laquelle il n'a pas été condamné, ou encore dans une situation où il semblerait tergiverser.

Conclusion

[63]Pour ces motifs, j'aurais accueilli l'appel.

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