Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A‑100‑03

2006 CAF 8

Linda McKay‑Panos (appelante)

c.

Air Canada et Office des transports du Canada (intimés)

et

Conseil des Canadiens avec déficiences (intervenant)

Répertorié : McKay‑Panos c. Air Canada (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juges Rothstein, Noël et Malone, J.C.A.—Edmonton, 15 décembre 2005; Ottawa, 13 janvier 2006.

Transports — Appel interjeté à l’encontre d’une décision rendue par l’Office des transports du Canada par laquelle il a rejeté la plainte déposée par l’appelante en vertu de l’art. 172 de la Loi sur les transports au Canada (la LTC), dans laquelle elle demandait réparation au motif qu’elle avait une déficience en raison de son obésité et qu’elle a rencontré un obstacle abusif à ses possibilités de déplacement en avion — L’appelante, qui souffre d’obésité, a réservé un vol aller‑ retour Calgary‑Ottawa auprès d’Air Canada — Elle a manqué de confort tout au long des deux vols malgré qu’elle eut expliqué sa situation lorsqu’elle a fait sa réservation — Lors de son vol de retour, l’appelante a dû acheter un billet pour un siège en classe affaire — Au cours des procédures, l’Office des transports du Canada a traité de la question de compétence préliminaire qui consiste à savoir si l’obésité constitue une déficience au sens de la partie V de la LTC — L’Office a jugé que l’obésité, en soi, n’est pas une déficience mais elle a reconnu que dans certains cas l’obésité peut constituer une déficience — La majorité du comité, composé de trois membres, a eu tort de conclure que la LTC prescrit que l’obstacle ne doit pas être examiné lorsque l’on évalue si une personne a une déficience au sens de la LTC —  Bien qu’un obstacle abusif suppose l’existence d’un obstacle, rien ne découle de la reconnaissance de l’obstacle en tant que tel — Par conséquent, l’Office n’entrave aucunement sa capacité d’agir au dernier stade en examinant l’obstacle à la première étape car ce n’est que si un obstacle est jugé « abusif » que la compétence de l’Office d’accorder une réparation est déclenchée — L’aisance relative avec laquelle l’existence d’une déficience peut être établie lors de la première étape ne devrait pas être interprétée comme empêchant l’Office de tenir compte de l’ensemble des considérations pertinentes à l’étape de l’obstacle abusif de l’analyse — Compte  tenu  de la concession que la demanderesse souffre d’une invalidité et compte tenu qu’elle s’est heurtée à une limitation d’activité en raison de cette invalidité, la seule conclusion que pouvait tirer l’Office était que la demanderesse est une personne ayant une déficience au sens de la LTC — Appel accueilli.

Interprétation des lois — Appel interjeté à l’encontre d’une décision rendue par l’Office des transports du Canada par laquelle il a rejeté la plainte déposée par l’appelante en vertu de l’art. 172 de la Loi sur les transports au Canada (la LTC), dans laquelle elle demandait réparation au motif qu’elle avait une déficience en raison de son obésité et qu’elle a rencontré un obstacle abusif à ses possibilités de déplacement en avion — En vertu de la LTC, aucune conséquence prévue par la loi, quelle qu’elle soit, n’est rattachée à une conclusion voulant qu’une personne se soit heurtée à un obstacle — Ce n’est que si un obstacle est jugé « abusif » que la compétence de l’Office d’accorder une réparation est déclenchée — Le seul obstacle qui est pertinent en vertu de la LTC est un « obstacle abusif » — Le libellé de la Loi ne permet pas de conclure que l’existence d’une déficience doit être établie sans égard au contexte — Le législateur n’a défini nulle part le mot « déficience » dans la LTC et le seul renvoi que l’on trouve à plusieurs reprises est « personne(s) ayant une déficience » — Compte tenu de la portée et de l’objet des dispositions relatives à l’accessibilité de la LTC, le législateur avait à l’esprit les « personnes ayant une déficience » dans le cadre du réseau fédéral de transport qui se heurtent à un « obstacle abusif à [leur] circulation » — La question de savoir si une personne relève de la catégorie des personnes visées par la LTC doit être tranchée en fonction de son invalidité ainsi que de la limitation particulière à laquelle elle s’est heurtée, du fait de son invalidité.

Il s’agissait d’un appel interjeté à l’encontre d’une décision rendue par l’Office des transports du Canada par laquelle il a rejeté la plainte déposée par l’appelante en vertu de l’article 172 de la Loi sur les transports au Canada (LTC). L’appelante devait convaincre l’Office qu’elle avait une déficience en raison de son obésité et qu’elle a rencontré un obstacle abusif à ses possibilités de déplacement en avion. La majorité du comité, composé de trois membres, a rejeté la demande pour le motif préliminaire que l’appelante n’avait pas satisfait à la première condition.

L’appelante souffre d’une obésité malsaine. Aucune preuve médicale n’établit la cause de son obésité bien que son état d’obésité malsaine a été établi médicalement (syndrome de Stein‑Leventhal). Elle devait prendre l’avion à Calgary pour se rendre à Ottawa et elle avait réservé son billet directement auprès d’Air Canada par téléphone. On lui a assigné un siège près cloison sur tous les segments du vol car on croyait que cela lui procurerait plus d’espace. Lorsqu’elle est montée à bord de l’avion à Calgary, l’appelante a découvert que les sièges près cloison étaient plus étroits que les autres sièges. Elle a manqué de confort tout au long du vol. Lors de son vol de retour, l’appelante a de nouveau éprouvé des difficultés et elle a dû acheter un billet pour un siège en classe affaire sur le segment Toronto‑Calgary pour un montant supplémentaire de 972 $. Elle a ultérieurement déposé une plainte auprès de la Direction des transports accessibles de l’Office.

Parce que l’obésité en tant que déficience était une question qui n’avait jamais été examinée, l’Office a sollicité des plaidoiries quant à la question de compétence préliminaire qui consiste à savoir si l’obésité constitue une déficience au sens de la partie V de la LTC. L’Office a reçu une preuve d’expert quant aux modèles de déficience, notamment quant à la Classification internationale du fonctionnement, handicap et de la santé, Genève, 2001, de l’Organisation mondiale de la santé (le modèle CIF) dans laquelle il est fait état de trois éléments qui servent à établir si une personne a une déficience : les invalidités, les limitations d’activité et les restrictions de participation. Contrairement au modèle médical, dans le modèle CIF on examine l’état de santé (appelé « invalidité »), puis on examine les limitations d’activité découlant de cet état. Les limitations d’activité sont définies comme étant des difficultés qu’une personne peut éprouver lors de l’exécution d’une tâche ou d’une action. En ce qui concerne les restrictions de participation, on tient compte de l’incidence des limitations d’activité sur la capacité de la personne à s’adonner à des activités élémentaires de la vie courante.

L’Office a jugé que l’obésité, en soi, n’est pas une déficience mais elle a reconnu que dans certains cas l’obésité peut constituer une déficience. En rejetant la plainte de l’appelante au motif que l’obésité de l’appelante ne constituait pas une déficience au sens de la partie V de la LTC, la majorité a conclu que l’appelante avait invoqué à tort le modèle CIF pour faire la preuve de sa déficience. L’Office a assimilé la limitation rencontrée par l’appelante à un obstacle (le siège) et a jugé que tenir compte de l’obstacle pour établir la déficience de la l’appelante était incompatible avec l’esprit de la LTC. Au cours de son analyse, la majorité déclare que, afin d’apporter des mesures correctives en vertu du paragraphe 172(3) de la Loi, l’Office doit être convaincu qu’il y a une personne ayant une déficience, que cette personne a fait face à un obstacle et que cet obstacle était abusif. C’est l’intégrité de ce processus en trois étapes qui, selon la majorité, serait compromise si l’Office examinait l’obstacle à la première étape.

La seule question en litige dans le présent appel consistait à savoir si la majorité a eu raison de conclure que la LTC prescrit que l’obstacle ne doit pas être examiné lorsque l’on évalue si une personne a une déficience au sens de la partie V.

Jugement : l’appel doit être accueilli.

Bien que la majorité a affirmé à juste titre que la réponse à la question de savoir si une personne a une déficience doit reposer sur la LTC, elle a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que, en vertu de la LTC, on ne doit pas tenir compte de l’obstacle (c’est‑à‑dire le siège) pour répondre à cette question. Il n’existait aucun fondement à l’appui de la conclusion que tenir compte du siège à l’étape de la déficience empêcherait ou compromettrait l’exercice de la compétence de l’Office à une étape ultérieure. En vertu de la LTC, aucune conséquence prévue par la loi, quelle qu’elle soit, n’est rattachée à une conclusion voulant qu’une personne se soit heurtée à un obstacle. Ce n’est que si un obstacle est jugé « abusif » que la compétence de l’Office d’accorder une réparation est déclenchée. Le mot « obstacle » ne figure nulle part dans les dispositions pertinentes de la LTC sans le qualificatif « abusif ». Bien qu’un obstacle abusif suppose l’existence d’un obstacle, rien ne découle de la reconnaissance de l’obstacle en tant que tel. Il s’ensuit que le seul obstacle qui est pertinent en vertu de la LTC est un « obstacle abusif » et l’Office n’entrave aucunement sa capacité d’agir au dernier stade en examinant l’obstacle à la première étape. Il faudrait des termes très clairs pour conclure que l’existence d’une déficience doit être établie sans égard au contexte. Aucune déficience n’existe dans l’abstrait.

Le législateur n’a défini nulle part le mot « déficience » dans la LTC. Le seul renvoi que l’on trouve à plusieurs reprises est « personne(s) ayant une déficience » au singulier et au pluriel. Néanmoins, il ne fait aucun doute, lorsque l’on considère la portée et l’objet des dispositions relatives à l’accessibilité de la LTC, que le législateur avait à l’esprit les « personnes ayant une déficience » dans le cadre du réseau fédéral de transport qui se heurtent à un « obstacle abusif à [leur] circulation ». La question de savoir si une personne relève de la catégorie des personnes visées par le législateur doit être tranchée en fonction de son invalidité ainsi que de la limitation particulière à laquelle elle s’est heurtée, du fait de son invalidité, au cours du transport. Compte tenu de la concession que l’appelante souffre d’une invalidité et compte tenu qu’elle s’est heurtée à une limitation d’activité en raison de cette invalidité, la seule conclusion que pouvait tirer l’Office était que la demanderesse est une personne ayant une déficience au sens de la LTC.

L’Office doit procéder à la tâche délicate qui consiste à soupeser les intérêts potentiellement divergents que la LTC cherche à faire valoir en voyant à ce qu’il existe un réseau de transport viable et efficace, à taux concurrentiel, libre d’obstacles abusifs aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience. Toutefois, c’est à l’étape de l’analyse du caractère abusif que l’Office devrait entreprendre cet exercice d’appréciation et non pas à l’étape de la déficience. À cet égard, l’aisance relative avec laquelle l’existence d’une déficience peut être établie lors de la première étape ne devrait pas être interprétée comme empêchant l’Office de tenir compte de l’ensemble des considérations pertinentes à l’étape de l’obstacle abusif de l’analyse. Il incombe à l’Office de juger en premier lieu de la portée de son examen et comme il n’a pas encore procédé à l’analyse du caractère abusif, il ne conviendrait pas de rejeter tout examen à ce stade.

lois et règlements cités

Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10, art. 5, 41, 170(1), 171, 172.

jurisprudence citée

décisions examinées :

Granovsky c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [2000] 1 R.C.S. 703; 2000 CSC 28; Relative à la question de juridiction, découlant d’une demande reçue par l’Office des transports du Canada de Linda McKay‑Panos c. Air Canada, visant à déterminer si l’obésité est une déficience aux termes de la Partie V de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, OTC décision no 646‑AT‑A‑2001.; VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25 (C.A.).

doctrine citée

Organisation mondiale de la santé. Classification internationale du fonctionnement, handicap et de la santé. Genève : Organisation mondiale de la santé, 2001.

APPEL interjeté à l’encontre d’une décision rendue par l’Office des transports du Canada (décision no 567‑AT‑A‑2002) par laquelle il a rejeté la plainte déposée par l’appelante en vertu de l’article 172 de la Loi sur les transports au Canada dans laquelle elle demandait réparation au motif qu’elle avait une déficience en raison de son obésité et qu’elle a rencontré un obstacle abusif à ses possibilités de déplacement en avion. Appel accueilli.

ont comparu :

Ritu Khullar et Jo‑Ann R. Kolmes pour l’appelante.

Gerald A. Chouest, Tae Mee Park et Louise‑Hélène Senecal pour l’intimée Air Canada.

Elizabeth C. Barker pour l’intimé l’Office des transports du Canada.

David Baker pour l’intervenant.

avocats inscrits au dossier :

Chivers Carpenter, Edmonton, pour l’appelante.

Bersenas Jacobsen Chouest Thomson Blackburn LLP, Toronto, et Air Canada, Dorval, pour l’intimée Air Canada.

Office des transports du Canada, Gatineau, pour l’intimé l’Office des transports du Canada.

Bakerlaw, Toronto, pour l’intervenant.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]Le juge Noël, J.C.A. : Il s’agit d’un appel interjeté à l’encontre d’une décision rendue par l’Office des transports du Canada (l’Office) le 23 octobre 2002 [McKay-Panos c. Air Canada, décision no 567-AT-A-2002] par laquelle il a rejeté la plainte déposée par Mme McKay‑Panos (l’appelante) en vertu de l’article 172 de la Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10 (la Loi ou la LTC).

[2]Afin d’obtenir la réparation qu’elle sollicitait, l’appelante devait convaincre l’Office qu’elle avait une déficience en raison de son obésité et qu’elle a rencontré un obstacle abusif à ses possibilités de déplacement en avion. La majorité du comité, composé de trois membres, a rejeté la demande pour le motif préliminaire que l’appelante n’avait pas satisfait à la première condition.

L’historique et les faits

[3]L’appelante souffre d’une obésité malsaine et attribue son état au syndrome de Stein‑Leventhal. Aucune preuve médicale n’établit la cause de son obésité. Toutefois, il n’est pas contesté que son état d’obésité malsaine a été établi médicalement.

[4]L’appelante devait prendre l’avion à Calgary le 21 août 1997 pour se rendre à Ottawa et elle devait revenir le 24 août 1997. Elle a réservé son billet directement auprès d’Air Canada par téléphone le 14 juin 1997. Elle a fait part au représentant d’Air Canada de son poids ainsi que de sa taille (le dossier ne fait que mentionner que son poids était d’environ 160 kg) et a affirmé craindre que le siège ne conviendrait pas. Elle a offert d’acheter deux billets de classe économique ou un seul billet de classe affaire.

[5]L’appelante prétend qu’on a acquiescé à sa demande en faisant de nombreux commentaires et en riant. Le représentant lui a assigné un siège près cloison sur tous les segments du vol car il croyait que cela lui procurerait plus d’espace. On lui a dit qu’il n’était pas nécessaire qu’elle achète deux billets.

[6]Lorsqu’elle est montée à bord de l’avion à Calgary le 21 août, l’appelante a découvert que les sièges près cloison étaient plus étroits que les autres sièges parce que les tables‑plateaux étaient incorporés aux accoudoirs plutôt qu’au siège avant comme c’était le cas pour les autres sièges. L’appelante a réalisé qu’elle pouvait à peine s’asseoir sur son siège. Le passager qui était assis à côté d’elle ne pouvait pas déplier sa table‑plateau parce que les hanches de la demanderesse débordaient sur l’accoudoir. Les agents de bord heurtaient l’appelante avec leurs chariots de service.

[7]Au cours du vol Toronto‑Ottawa, l’agent de bord a permis à l’appelante de s’asseoir sur un siège libre dans la classe affaire. L’appelante affirme que ce geste est le seul acte humanitaire qu’on a eu envers elle durant tout le voyage.

[8]Deux jours avant son vol de retour, l’appelante a téléphoné à Air Canada pour demander qu’on lui fou-rnisse de l’assistance en rapport avec son vol de retour. On lui a dit que les segments Ottawa‑Toronto et Toronto- Calgary étaient tous les deux en surréservation et qu’aucun siège n’était libre. Le représentant l’a infor-mée que, pour un montant supplémentaire de 972 $, elle pouvait acheter un billet pour un siège en classe affaire sur le segment Toronto‑Calgary mais qu’elle ne rece-vrait aucun crédit pour la partie classe économique du vol. On lui a laissé entendre que lorsqu’elle arriverait à l’aéroport, le personnel pourrait peut‑être la faire asseoir dans la classe affaire ou trouverait une autre façon de l’aider.

[9]À l’aéroport d’Ottawa, le 24 août 1997, l’appelante a été informée qu’on ne disposait d’aucun siège qui pouvait répondre à ses besoins sur le vol à destination de Toronto. On lui a dit qu’elle pouvait demander au personnel à l’aéroport de Toronto d’examiner s’il n’y avait pas une possibilité quant au vol à destination de Calgary. À Toronto, l’appelante a été informée qu’il était contraire à la politique d’Air Canada de transférer des passagers en classe affaire même si l’avion n’est pas plein. L’appelante a décidé d’acheter un billet de classe affaire pour un montant de 972 $.

[10]Le 10 novembre 1997, Mme McKay‑Panos a déposé une plainte auprès de la Direction des transports accessibles de l’Office. Elle a demandé qu’on lui fasse des excuses pour le traitement peu courtois qu’elle a prétendument reçu et elle a demandé qu’on oblige Air Canada à se doter de sièges conçus pour les personnes obèses qui sont disposées à payer des frais supplémentaires raisonnables.

[11]En réponse, Air Canada a offert ses excuses. Elle a également offert de rembourser le coût du billet de classe affaire pour le vol Toronto‑Calgary et de mettre en place un certain nombre de mesures visant à répondre à la plainte formulée par l’appelante, notamment l’émission d’une directive soulignant le fait que les sièges près cloison ne conviennent pas aux personnes obèses.

[12]Air Canada a également mentionné que sa politique quant aux voyages en Amérique du Nord consiste à offrir aux personnes qui ont besoin d’un siège supplémentaire la possibilité d’acheter un deuxième billet pour un montant équivalant à la moitié du tarif adulte ou pour un montant équivalant à 100 p. 100 du tarif excursion. Subsidiairement, un billet pour un siège individuel en classe affaire peut être acheté ou, si l’espace le permet, l’utilisation de deux sièges pour le tarif applicable à un seul siège sera accordée s’il reste suffisamment de places disponibles.

[13]L’appelante a remercié Air Canada pour sa réponse mais elle s’est élevée contre certaines explica-tions concernant le traitement qu’elle a prétendument reçu de la part du personnel du service à la clientèle à Toronto. Elle a également estimé que la politique d’Air Canada à l’égard des personnes qui ont besoin d’un siège supplémentaire n’a pas répondu adéquatement à ses besoins en matière de solution de rechange.

Les dispositions législatives pertinentes

[14]Les dispositions pertinentes suivantes de la LTC concernent la politique nationale des transports et le transport des personnes ayant une déficience :

POLITIQUE NATIONALE DES

TRANSPORTS

5. Il est déclaré que, d’une part, la mise en place d’un réseau sûr, rentable et bien adapté de services de transport viables et efficaces, accessibles aux personnes ayant une déficience, utilisant au mieux et aux moindres frais globaux tous les modes de transport existants, est essentielle à la satisfaction des besoins des expéditeurs et des voyageurs—y compris des personnes ayant une déficience—en matière de transports comme à la prospérité et à la croissance économique du Canada et de ses régions, et, d’autre part, que ces objectifs sont plus susceptibles de se réaliser en situation de concurrence de tous les transporteurs, à l’intérieur des divers modes de transport ou entre eux, à condition que, compte dûment tenu de la politique nationale, des avantages liés à l’harmonisation de la réglementation fédérale et provinciale et du contexte juridique et constitutionnel :

[. . .]

g) les liaisons assurées en provenance ou à destination d’un point du Canada par chaque transporteur ou mode de transport s’effectuent, dans la mesure du possible, à des prix et selon des modalités qui ne constituent pas :

[. . .]

(ii) un obstacle abusif à la circulation des personnes, y compris les personnes ayant une déficience,

[. . .]

Il est en outre déclaré que la présente loi vise la réalisation de ceux de ces objectifs qui portent sur les questions relevant de la compétence législative du Parlement en matière de transports.

[. . .]

PARTIE V

TRANSPORT DES PERSONNES

AYANT UNE DÉFICIENCE

170. (1) L’Office peut prendre des règlements afin d’éliminer tous obstacles abusifs, dans le réseau de transport assujetti à la compétence législative du Parlement, aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience et peut notamment, à cette occasion, régir :

[. . .]

c) toute mesure concernant les tarifs, taux, prix, frais et autres conditions de transport applicables au transport et aux services connexes offerts aux personnes ayant une déficience;

d) la communication d’information à ces personnes.

[. . .]

171. L’Office et la Commission canadienne des droits de la personne sont tenus de veiller à la coordination de leur action en matière de transport des personnes ayant une déficience pour favoriser l’adoption de lignes de conduite complémentaires et éviter les conflits de compétence.

172. (1) Même en l’absence de disposition réglementaire applicable, l’Office peut, sur demande, enquêter sur toute question relative à l’un des domaines visés au paragraphe 170(1) pour déterminer s’il existe un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience.

(2) L’Office rend une décision négative à l’issue de son enquête s’il est convaincu de la conformité du service du transporteur aux dispositions réglementaires applicables en l’occurrence.

(3) En cas de décision positive, l’Office peut exiger la prise de mesures correctives indiquées ou le versement d’une indemnité destinée à couvrir les frais supportés par une personne ayant une déficience en raison de l’obstacle en cause, ou les deux. [Non souligné dans l’original.]

Les procédures tenues devant l’Office

[15]Parce que l’obésité en tant que déficience était une question qui n’avait jamais été examinée, l’Office a sollicité des plaidoiries quant à la question de compétence préliminaire qui consiste à savoir si l’obésité constitue une déficience au sens de la partie V de la LTC. La question de savoir s’il y avait un obstacle abusif serait examinée lors d’une audience ultérieure si on concluait que l’obésité constituait une déficience. L’audience préliminaire a été tenue entre le 24 et le 27 septembre 2001 et entre le 1er et le 3 octobre 2001 à Calgary et elle a mené à ce que l’on a appelé « la décision de Calgary » [décision no 646-AT-A-2001].

[16]Au cours des procédures susmentionnées, l’Office a reçu une preuve d’expert quant aux modèles de déficience, notamment quant à la Classification internationale du fonctionnement, handicap et de la santé, Genève, 2001, de l’Organisation mondiale de la santé (le modèle CIF) dans laquelle il est fait état de trois éléments qui servent à établir si une personne a une déficience : les invalidités, les limitations d’activité et les restrictions de participation.

[17]Contrairement au modèle médical, dans lequel on met uniquement l’accent sur l’état de santé de la personne, dans le modèle CIF, on examine l’état de santé (appelé « invalidité »), puis on examine les limitations d’activité découlant de cet état. Les limitations d’activité sont définies comme étant des difficultés qu’une personne peut éprouver lors de l’exécution d’une tâche ou d’une action. En ce qui concerne les restrictions de participation, on tient compte de l’incidence des limitations d’activité sur la capacité de la personne à s’adonner à des activités élémentaires de la vie courante.

[18]Air Canada a adopté le point de vue que le modèle susmentionné était celui qu’il convenait d’utiliser pour établir si l’obésité est une déficience au sens de la LTC (décision de Calgary, page 31). En accord avec ce point de vue, Air Canada a également reconnu qu’il n’est pas nécessaire qu’un état de santé soit une maladie pour qu’il constitue une déficience au sens de la LTC (décision de Calgary, page 31) et que l’étiologie (c’est‑à‑dire la cause de l’état) n’a aucune pertinence quant à la décision (décision de Calgary, page 18).

[19]Le 12 décembre 2001, l’Office a publié la décision de Calgary. On a jugé dans cette décision que l’obésité, en soi, n’est pas une déficience au sens de la partie V de la LTC. Toutefois, on a reconnu qu’il pouvait y avoir des personnes dans la population qui sont obèses, qui souffrent d’une déficience au sens de la partie V de la LTC et que cette déficience peut être occasionnée par leur obésité (décision de Calgary, page 35).

[20]L’Office a adopté le modèle CIF comme outil utile pour traiter ces cas individuels. Renvoyant à ce modèle, il a décidé qu’une invalidité était une condition préalable pour que l’on conclue à la déficience mais ne suffisait pas, en soi, à étayer une conclusion qu’une personne souffre d’une déficience au sens de la LTC. Afin de se qualifier, l’invalidité doit donner lieu à des limitations d’activité et (ou) à des restrictions de participation dans le cadre du réseau fédéral de transport (décision de Calgary, page 35).

[21]L’Office a résumé ses conclusions de la manière suivante (décision de Calgary, page 35) :

(i) que la preuve produite sur la question de savoir si l’obésité est une maladie et au sujet de l’association entre l’obésité et les problèmes de santé, notamment les comorbidités et la qualité de vie liée à la santé, a été instructive sur la question de l’obésité, mais qu’elle ne permet pas de déterminer si l’obésité est une déficience aux termes de la partie V de la LTC;

(ii) qu’il faut qu’il y ait invalidité pour qu’il y ait déficience aux termes de la partie V de la LTC;

(iii) qu’une invalidité à elle seule ne suffit pas à conclure que l’obésité est une déficience aux termes de la partie V de la LTC;

(iv) que d’après la preuve produite, les personnes obèses ne se heurtent pas forcément à des limitations d’activité et/ou à des restrictions de participation dans le cadre du réseau fédéral de transport;

(v) que, pour déterminer qu’une personne obèse a une déficience aux termes de la LTC, il est nécessaire de démontrer que la personne se heurte à des limitations d’activité et/ou des restrictions de participation dans le cadre du réseau fédéral de transport;

(vi) qu’une preuve factuelle de l’existence de limitations d’activité et/ou des restrictions de participation est nécessaire pour conclure qu’une personne obèse est une personne ayant une déficience.

[22]Cela étant, l’Office a sollicité des observations quant à la question de savoir si l’obésité de l’appelante constituait une déficience au sens de la LTC. Dans ses observations, l’appelante, adhérant au modèle CIF, a prétendu que son obésité était une déficience et elle a souligné que c’était le siège qui avait été, selon elle, la limitation la plus importante qu’elle avait rencontrée.

La décision en litige

[23]Dans une décision partagée, l’Office, composé de la même formation de trois membres qui avait rendu la décision de Calgary, a rejeté la plainte de l’appelante. La majorité a conclu que l’appellante avait invoqué à tort le modèle CIF pour faire la preuve de sa déficience. L’Office a assimilé la limitation rencontrée par l’appelante à un obstacle et a jugé que tenir compte de l’obstacle pour établir la déficience de l’appelante était incompatible avec l’esprit de la LTC. La majorité a ensuite conclu que l’obésité de l’appelante ne constituait pas une déficience au sens de la partie V de la LTC et a rejeté la plainte de cette dernière pour ce motif.

[24]Le membre dissident a souligné que le modèle CIF a été accepté dans la décision de Calgary et a exprimé l’opinion que la majorité, en refusant de tenir compte du siège, se trouvait en fait à revoir la décision de Calgary. Invoquant le modèle CIF, il a conclu que l’obésité de l’appelante constituait une déficience et qu’elle avait fait l’objet d’une limitation d’activité en raison du siège. Il a également conclu qu’elle avait rencontré des restrictions de participation du fait qu’elle avait éprouvé des difficultés à voyager, difficultés que les personnes ordinaires ne rencontrent pas. Le membre dissident a ajouté que l’appelante avait une déficience au sens de la LTC et qu’il aurait ensuite examiné si le siège constituait un obstacle abusif.

[25]Le 14 janvier 2003, la Cour d’appel fédérale a accordé à l’appelante la permission d’interjeter appel, d’où le présent appel. L’appel n’a pas été entendu plus tôt en raison d’un arrêt des procédures découlant de la faillite d’Air Canada. Cet arrêt des procédures a été levé le 30 septembre 2004.

La position des parties

[26]En appel, l’appelante prétend que la majorité a commis une erreur susceptible de révision en rejetant la décision de Calgary, laquelle n’a pas été portée en appel. Selon l’appelante, la LTC envisage une appréciation contextuelle de la déficience car elle exige que des « obstacles abusifs » dans le transport d’une « personne ayant une déficience » soient rencontrés (paragraphes 170(1) et 172(3) sont invoqués). L’appelante prétend que le membre minoritaire a correctement appliqué la décision de Calgary et est arrivé à la bonne conclusion, et ce, pour les motifs qu’il a exposés.

[27]Selon Air Canada, la majorité a eu raison de conclure que l’obstacle ne doit pas être pris en compte lorsqu’il s’agit d’évaluer la déficience de l’appelante. L’avocat a concédé que l’obésité de l’appelante est une invalidité en vertu du modèle CIF, mais il prétend que cela ne suffit pas à étayer une conclusion que l’appelante avait une déficience au sens de la LTC. L’avocat a également souligné que le fait d’accepter que l’obésité est une déficience en l’espèce pourrait avoir d’importantes répercussions sur l’industrie du transport aérien, compte tenu de la partie importante de la population qui pourrait s’inscrire dans cette catégorie.

[28]L’intervenant prétend que l’obésité en soi est une déficience en vertu de la LTC et que, dans la décision de Calgary, on a adopté à tort un processus « bifurqué » qui n’est pas conforme au mandat conféré par la loi à l’Office de répondre aux besoins des personnes ayant une déficience. Je dois avouer que, selon moi, ces observations étaient peu utiles car elles visent directement la décision de Calgary dont il n’a pas été interjeté appel.

L’analyse et la décision

La question en litige

[29]Au cours de son analyse, la majorité déclare que, afin d’apporter des mesures correctives en vertu du paragraphe 172(3) de la Loi, l’Office doit être convaincu que :

1. il y a une personne ayant une déficience;

2. cette personne a fait face à un obstacle;

3. cet obstacle était abusif.

Selon la majorité, « ces trois étapes sont clairement délimitées par le Parlement et l’Office doit prendre la LTC telle qu’elle est » (motifs, page 7).

[30]C’est l’intégrité de ce processus en trois étapes qui, selon la majorité, serait compromise si l’Office examinait l’obstacle à la première étape. La prise en compte de l’obstacle afin de déterminer si une personne a une déficience compromettrait notamment le devoir qu’a l’Office d’examiner l’obstacle à la deuxième étape. Selon la majorité, ce processus à trois étapes comprend une directive législative que l’obstacle ne doit pas être examiné à la première étape.

[31]Le raisonnement précis de la majorité est formulé dans le passage suivant (motifs, page 8) :

L’Office n’accepte pas cette façon d’agir parce que cela oblige l’Office, lorsqu’il évalue la déficience d’une personne, à se concentrer sur l’obstacle, c’est‑à‑dire le siège. Une telle approche passe outre les trois étapes délimitées par la LTC qui suggèrent à l’Office de considérer l’obstacle au moment d’évaluer l’obstacle et non pas à l’étape où il doit évaluer la déficience d’un demandeur. Ce n’est pas l’obstacle qui rend une personne sourde, aveugle ou paraplégique et l’Office n’est pas d’accord pour dire que ce devrait être différent dans le cas de l’obésité. L’Office estime que la CIF, un outil utile, doit être lue parallèlement avec la LTC et non le contraire. Autrement, cela équivaudrait à dire que la CIF a préséance sur la LTC, une conclusion que l’Office, en tant que tribunal administratif, n’a pas l’autorité d’entériner. Dans le cadre de la partie V de la LTC, avant que l’Office discute de l’obstacle, il doit avoir, au préalable, déterminer que Mme McKay‑Panos est effectivement une personne ayant une déficience.

[32]La seule question en litige dans le présent appel consiste à savoir si la majorité a eu raison de conclure que la LTC prescrit, en effet, que l’obstacle ne doit pas être examiné lorsque l’on évalue si une personne a une déficience au sens de la partie V.

La norme de contrôle

[33]Il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse détaillée si on veut décider quelle est la norme de contrôle applicable à la question susmentionnée. La question de savoir si la LTC exclut l’examen de l’obstacle à la première étape est une question d’interprétation des lois. L’article 41 de la LTC prévoit qu’il peut être interjeté appel de la décision de l’Office à la Cour sur des questions de droit ou de compétence, et ce, avec l’autorisation de la Cour. Bien qu’il ne soit pas déterminant, un droit d’appel prévu par la loi donne à penser qu’une norme de contrôle plus stricte s’applique. Déterminer ce qui constitue une déficience en vertu de la partie V est nettement une question de compétence et ce n’est pas une question à l’égard de laquelle l’Office possède une grande expérience. L’interprétation législative relève en bout de ligne de la compétence des cours de justice. Selon moi, la norme applicable est celle de la décision correcte.

La décision

[34]Malgré qu’elle ait jugé que l’obésité peut, dans certains cas, être considérée comme étant une déficience aux fins de la LTC et qu’elle ait invité la demanderesse à démontrer par une preuve fondée sur les faits qu’elle s’est heurtée à des limitations d’activité, la majorité a refusé de tenir compte de la limitation mentionnée par l’appelante, c’est‑à‑dire le siège.

[35]Dans sa réponse à l’invitation de l’Office, l’appelante a expliqué que sa limitation d’activité découlait principalement du fait qu’elle devait s’asseoir sur un siège qui n’était pas assez large pour elle. Comme il a déjà été souligné, l’appelante a eu beaucoup de difficulté à s’asseoir sur le siège. Ni l’appelante, ni la personne qui était assise à côté d’elle ne pouvait avoir accès aux tables‑plateaux parce que les hanches de l’appelante débordaient sur les accoudoirs. De plus, on a heurté l’appelante à maintes reprises avec les chariots de service. Par conséquent, l’appelante a enduré ce qu’elle a décrit comme étant une terrible douleur.

[36]La majorité a refusé d’examiner cette preuve. Elle a expliqué que le modèle CIF était un outil utile, mais rien de plus. La majorité a jugé que l’application du modèle CIF créerait, de fait, une catégorie de personnes (c’est‑à‑dire les personnes obèses) ayant une déficience au sens de la Loi. Selon la majorité, le modèle  CIF ne peut pas supplanter la LTC (motifs, page 8).

[37]Bien que la majorité affirme à juste titre que la réponse à la question de savoir si une personne a une déficience doit reposer sur la LTC, elle a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que, en vertu de la LTC, on ne doit pas tenir compte de l’obstacle (c’est‑à‑dire le siège) pour répondre à cette question. Il n’existe aucun fondement à l’appui de la conclusion que tenir compte du siège à l’étape de la déficience empêcherait ou compromettrait l’exercice de la compétence de l’Office à une étape ultérieure.

[38]En vertu de la LTC, aucune conséquence prévue par la loi, quelle qu’elle soit, n’est rattachée à une conclusion voulant qu’une personne se soit heurtée à un obstacle. Ce n’est que si un obstacle est jugé « abusif » que la compétence de l’Office d’accorder une réparation est déclenchée. Le mot « obstacle » ne figure nulle part dans les dispositions pertinentes de la Loi sans le qualificatif « abusif ». Bien qu’un obstacle abusif suppose l’existence d’un obstacle, rien ne découle de la reconnaissance de l’obstacle en tant que tel.

[39]Il s’ensuit que le seul obstacle qui est pertinent en vertu de la LTC est un « obstacle abusif » et l’Office n’entrave aucunement sa capacité d’agir au dernier stade en examinant l’obstacle à la première étape. En effet, il est difficile de voir comment une personne peut être considérée comme ayant une déficience en vertu de la Loi, à moins qu’elle ne démontre qu’elle s’est heurtée à un obstacle en raison de la prétendue déficience.

[40]Selon moi, il faudrait des termes très clairs pour conclure que l’existence d’une déficience doit être établie sans égard au contexte. Il est permis de penser qu’aucune déficience n’existe dans l’abstrait. Comme le juge Binnie l’a déclaré dans un jugement unanime dans l’arrêt Granovsky c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [2000] 1 R.C.S. 703, dans lequel il était question de discrimination en milieu de travail en raison d’une prétendue déficience [aux paragraphes 28 et 29] :

Contrairement à la race ou à la couleur, par exemple, une déficience peut entraîner des limitations fonctionnelles pertinentes […] Une personne peut souffrir de graves affections qui ne l’empêchent pas de gagner sa vie. Beethoven était sourd lorsqu’il a composé certaines de ses plus grandes œuvres. Franklin Delano Roosevelt, confiné à un fauteuil roulant par la polio, a été le seul président américain à être élu quatre fois. Terry Fox, qui avait perdu une jambe à cause du cancer, a inspiré les Canadiens en entreprenant un marathon d’un océan à l’autre et en recueillant des millions de dollars pour la recherche sur le cancer. Le professeur Stephen Hawking, atteint de sclérose latérale amyotrophique et incapable de communiquer sans aide, s’est néanmoins brillamment illustré en tant que physicien théoricien. (Il aurait même dit, peut‑être avec une ironie teintée d’amertume, que ses déficiences lui donnaient plus de temps pour réfléchir.) Il va sans dire que, même si elles ont un emploi stable, ces personnes ne sont pas nécessairement à l’abri de toute discrimination dans leur milieu de travail. Nul ne prétendrait non plus que ces personnes n’ont pas de déficience grave, si on les évalue en fonction d’un autre critère que l’emploi (celui de l’accès aux soins de santé par exemple).

La notion de déficience doit donc englober une multitude d’affections tant physiques que mentales, superposées à une gamme de limitations fonctionnelles, réelles ou perçues, tout en reconnaissant la possibilité que la personne dite « déficiente » ne souffre d’aucune affection ni d’aucune limite en ce qui a trait à de nombreux aspects importants de sa vie. [Non souligné dans l’original.]

[41]Le législateur n’a défini nulle part le mot « déficience » dans la LTC. Le seul renvoi que l’on trouve à plusieurs reprises est « personne(s) ayant une déficience » au singulier et au pluriel (voir la disposition introductive de l’article 5, le sous-alinéa 5g)(ii), le paragraphe 170(1), l’article 171 et les paragraphes 172(1), (3)). Néanmoins, il ne fait aucun doute, lorsque l’on considère la portée et l’objet des dispositions relatives à l’accessibilité de la LTC, que le législateur avait à l’esprit les « personnes ayant une déficience » dans le cadre du réseau fédéral de transport qui se heurtent à un « obstacle abusif à [leur] circulation » (paragraphe 172(3)). La question de savoir si une personne relève de la catégorie des personnes visées par le législateur doit être tranchée en fonction de son invalidité ainsi que de la limitation particulière à laquelle elle s’est heurtée, du fait de son invalidité, au cours du transport.

[42]Compte tenu de la concession que l’appelante souffre d’une invalidité et compte tenu qu’elle s’est heurtée à une limitation d’activité en raison de cette invalidité, la seule conclusion que pouvait tirer l’Office était que l’appelante est une personne ayant une déficience au sens de la LTC.

[43]En concluant que l’obésité de l’appelante ne constituait pas une déficience, la majorité a manifestement été influencée par l’argument de l’avalanche de poursuites d’Air Canada. Elle s’est fondée sur la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25, au paragraphe 39 (motifs, page 5). Dans cette décision, le juge Sexton, s’exprimant au nom de la Cour, a expliqué que l’Office doit procéder à la tâche délicate qui consiste à soupeser les intérêts potentiellement divergents que la LTC cherche à faire valoir en voyant à ce qu’il existe un réseau de transport viable et efficace, à taux concurrentiel, libre d’obstacles abusifs aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience. Toutefois, il ressort clairement de la décision VIA Rail que c’est à l’étape de l’analyse du caractère abusif que l’Office devrait entreprendre cet exercice d’appréciation et non pas à l’étape de la déficience.

[44]À cet égard, l’aisance relative avec laquelle l’existence d’une déficience peut être établie lors de la première étape ne devrait pas être interprétée comme empêchant l’Office de tenir compte de l’ensemble des considérations pertinentes à l’étape de l’obstacle abusif de l’analyse notamment, par exemple, de l’étiologie, s’il est démontré qu’elle est pertinente. Il incombe à l’Office de juger en premier lieu de la portée de son examen et comme il n’a pas encore procédé à l’analyse du caractère abusif, il ne conviendrait pas de rejeter tout examen à ce stade.

[45]Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel, annulerais la décision de l’Office et renverrais l’affaire à l’Office afin qu’il puisse décider si l’appelante, à titre de personne ayant une déficience, s’est heurtée à un obstacle abusif à ses possibilités de déplacement. L’appelante a droit au paiement de ses dépens par l’intimée, Air Canada, et l’intervenant devra payer ses propres dépens.

Le juge Rothstein, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

Le juge Malone, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.