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IMM-1737-04

2005 CF 855

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (demandeur)

c.

Chan Cam Vong (défendeur)

Répertorié : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Vong (C.F.)

Cour fédérale, juge Heneghan--Toronto, 24 janvier et 15 juin 2005.

Citoyenneté et Immigration -- Pratique en matière d'immigration -- Contrôle judiciaire d'une décision par laquelle la Section d'appel de l'immigration (la SAI) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a accueilli l'appel interjeté à l'encontre du refus d'un agent des visas d'approuver les demandes d'établissement parrainées faites par la belle-mère du défendeur et ses deux enfants -- L'expression « regroupement familial » est définie à l'art. 12(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, et les membres de cette catégorie sont décrits à l'art. 117(1)c) du Règlement -- Le mot « mother » n'est pas défini et figure uniquement dans la version anglaise de l'art. 117(1)c) du Règlement; ce sont les mots « ses parents » qui sont employés dans la version française -- Le mot « parents » est défini uniquement dans la version française, à l'art. 2 du Règlement -- Il est défini comme signifiant « [l]es ascendants au premier degré de l'intéressé », ce qui donne à entendre qu'il vise des personnes qui sont liées par le sang -- Compte tenu de la définition des mots « membre de la parenté » figurant dans l'art. 2 du Règlement, la définition du mot « parents » figurant dans la version française englobe les parents biologiques et les parents adoptifs -- Le défendeur et sa belle-mère ne sont liés ni par le sang ni par l'adoption -- L'absence d'une définition, dans la version anglaise, des mots « mother » ou « parents » n'indique pas que le législateur voulait que les beaux-parents soient inclus dans la catégorie du regroupement familial -- La SAI a commis une erreur dans son interprétation du mot « mother » tel qu'il est employé dans la version anglaise de l'art. 117(1)c) -- Questions certifiées.

Interprétation des lois -- Art. 117(1)c) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés -- Une approche fondée sur l'objet visé doit être adoptée en matière d'interprétation législative -- La Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés vise à régulariser l'admission au Canada de personnes qui n'ont par ailleurs aucun droit d'être admises -- La Cour est tenue d'interpréter le texte mis à sa disposition, à moins qu'aucune interprétation raisonnable ne puisse être donnée -- Les textes français et anglais sont réputés d'égale valeur -- C'est l'interprétation qui favorise l'objet de la loi qui doit l'emporter en cas d'incompatibilité entre les deux textes -- Le mot « mother » figurant dans la version anglaise de l'art. 117(1)c) ne comprend pas une belle- mère.

Il s'agissait d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision par laquelle la Section d'appel de l'immigration (la SAI) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié avait accueilli l'appel interjeté à l'encontre du refus d'un agent des visas d'approuver les demandes d'établisse-ment parrainées faites par la belle-mère du défendeur et ses deux enfants. Le défendeur, un Vietnamien, est entré au Canada à titre d'époux parrainé et il est maintenant résident permanent du Canada. La belle-mère du défendeur est la veuve du père du défendeur, qu'elle a épousé à la suite du décès de la mère du défendeur. Elle a présenté une demande de résidence permanente à l'étranger sous le parrainage du défendeur. L'agent des visas a refusé la demande de la belle-mère parce que cette dernière ne faisait pas partie de la catégorie du regroupement familial au sens du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés. À la suite d'un appel, la SAI a conclu que le fait que le mot « mother » (mère) figurant dans la version anglaise du Règlement n'était pas défini indiquait que le législateur voulait attribuer à ce mot une interprétation large et libérale, afin de répondre à la dynamique changeante de la famille moderne. Elle a conclu qu'une belle-mère pouvait, dans les circonstances appropriées, être visée par la définition du mot « mother ». Elle a également procédé à une analyse téléologique de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et a conclu que l'absence de définition dans les régimes législatif et réglementaire était attribuable au fait que le concept traditionnel de mère avait changé radicalement et que la société canadienne était maintenant composée de divers arrangements familiaux. La question était de savoir si le mot « mother » employé dans la version anglaise de l'alinéa 117(1)c) du Règlement inclut une belle-mère aux fins de l'admission au Canada à titre de membre de la catégorie du regroupement familial.

Jugement : la demande est accueillie.

La demande soulevait une question d'interprétation législative. La Loi vise à régulariser l'admission au Canada de personnes qui n'ont par ailleurs aucun droit d'être admises. L'article 3 de la Loi énonce quelques objets visés par celle-ci, dont la réunification des familles au Canada. L'expression « regroupement familial » est définie au paragraphe 12(1) de la Loi et comprend maintenant les conjoints de fait et les partenaires comparables à un conjoint. Le paragraphe 117(1) du Règlement décrit les membres de la catégorie du regroupement familial. Concernant les répondants, l'alinéa 117(1)c) prévoit que le père ou la mère d'un répondant appartient à la catégorie du regroupement familial. Les mots « mother » (mère) et « father » (père) ne sont définis ni dans la version française ni dans la version anglaise du Règlement. Le mot « parents » est défini uniquement dans la version française, à l'article 2 du Règlement, et signifie « [l]es ascendants au premier degré de l'intéressé ». Bien que cette définition donne à entendre que seules les personnes qui sont unies par les liens du sang appartiennent à la catégorie du regroupement familial, la définition de l'expression « membre de la parenté » contenue dans le Règlement élargit les liens parentaux en vue d'englober l'adoption. Les « parents » comprennent donc les parents biologiques et les parents adoptifs. En outre, même si l'inclusion des conjoints de fait et des partenaires comparables à un conjoint comme membres de la catégorie du regroupement familial indique un changement dans la description de la « famille » aux fins de l'obtention de la résidence permanente au Canada, le fait que la catégorie a été élargie à l'égard d'un groupe de conjoints ou d'époux ne veut pas nécessairement dire que la catégorie a été élargie en ce qui concerne les liens parentaux. Puisque le défendeur et sa belle-mère, qui fait l'objet de la demande parrainée, ne sont pas liés par le sang ou par l'adoption, celle-ci n'est pas visée par la définition de « parents ». De plus, l'absence, dans la Loi ou le Règlement, d'une définition du mot « mother » ou d'une définition, dans la version anglaise, du mot « parents » n'indique pas que le législateur voulait que les beaux-parents soient inclus dans la catégorie du regroupement familial. La SAI a donc commis une erreur dans son interprétation du mot « mother » tel qu'il est employé dans la version anglaise de l'alinéa 117(1)c) du Règlement.

Le Règlement ne renferme pas de définition du mot « mother », et le mot « parents » est défini uniquement dans la version française, et la Cour est tenue d'interpréter le texte mis à sa disposition, à moins qu'aucune interprétation raisonnable ne puisse être donnée. Les textes français et anglais sont réputés d'égale valeur, et c'est l'interprétation qui favorise l'objet de la loi qui doit l'emporter en cas d'incompatibilité entre les deux textes.

Les questions de savoir si les beaux-parents sont inclus dans la catégorie du regroupement familial, si le mot « mother » figurant dans la version anglaise du Règlement comprend une belle-mère et si le mot « parent » figurant dans la version française comprend le mot « beau-parent » ont été certifiées.

lois et règlements cités

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3, 12(1), 74d).

Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 2 « membre de la parenté », « parents », 117(1)c).

Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, art. 2(1) « mère » (édicté par DORS/85-225, art. 1).

jurisprudence citée

décisions examinées :

Chartier c. Chartier, [1999] 1 R.C.S. 242; (1998), 168 D.L.R. (4th) 540; [1999] 4 W.W.R. 633; 134 Man. R. (2d) 19; 235 N.R. 1; 43 R.F.L. (4th) 1; Rizzo & Rizzo Shies Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; (1998), 36 O.R. (3d) 418; 154 D.L.R. (4th) 193; 50 C.B.R. (3d) 163; 33 C.C.E.L. (2d) 173; 221 N.R. 241; 106 O.A.C. 1; Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711; (1992), 90 D.L.R. (4th) 289; 2 Admin. L.R. (2d) 125; 72 C.C.C. (3d) 214; 8 C.R.R. (2d) 234; 16 Imm. L.R. (2d) 1; 135 N.R. 161; Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554; (1993), 100 D.L.R. (4th) 658; 13 Admin. L.R. (2d) 1; 46 C.C.E.L. 1; 17 C.H.R.R. D/349; 93 CLLC 17,006; 149 N.R.1.

décision citée :

Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] 4 R.C.F. 48; (2004), 238 D.L.R. (4th) 328; 116 C.R.R. (2d) 268; 35 Imm. L.R. (3d) 161; 318 N.R. 252; 2004 CAF 85; conf. par 2005 CSC 51; [2005] A.C.S. no 31 (QL).

doctrine citée

Cornu, Gérard. Vocabulaire juridique, 8e éd. revue et augmentée. Paris : Presses universitaires de France, 2000, « ascendant ».

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a accueilli l'appel interjeté à l'encontre du refus d'un agent des visas d'approuver les demandes d'établissement parrainées faites par la belle-mère du défendeur et ses deux enfants. Demande accueillie.

ont comparu :

Ann Margaret Oberst pour le demandeur.

Rose L. Legagneur pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier :

Le sous-procureur général du Canada, Ottawa, pour le demandeur.

Rose L. Legagneur, Toronto, pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance et de l'ordonnance rendus par

La juge Heneghan :

INTRODUCTION

[1]Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire d'une décision rendue le 6 février 2004 par la Section d'appel de l'immigration (la SAI) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Dans cette décision, la SAI a accueilli l'appel que M. Chan Cam Vong (le défendeur) avait interjeté du refus d'un agent des visas d'approuver les demandes d'établissement parrainées qui avaient été faites par sa belle-mère, Mme Cuc Anh Hoang, et ses deux enfants.

LES FAITS

[2]Le défendeur, qui est citoyen du Vietnam, est entré au Canada au mois de mai 1999 à titre d'époux parrainé; il est maintenant résident permanent de ce pays.

[3]En 2001, Mme Hoang, citoyenne vietnamienne, a présenté une demande de résidence permanente au Haut-commissariat du Canada, à Singapour, sous le parrainage du défendeur. Mme Hoang est la veuve du père du défendeur, qu'elle a épousé en 1989 à la suite du décès de la mère du défendeur. Mme Hoang et le père du défendeur sont les parents d'un fils, né en 1991, et d'une fille, née en 1994. À la suite du décès de son père en 1994, le défendeur est revenu de Hong Kong, où il avait vécu pendant six ans dans un camp de réfugiés en tentant de se réétablir à l'étranger. À son retour au Vietnam en 1996, le défendeur a résidé avec sa belle-mère jusqu'à ce qu'il se marie et il s'est par la suite installé au Canada en 1999. Mme Hoang a inscrit le défendeur dans le registre des ménages pendant que celui-ci vivait chez elle.

[4]L'agent des visas a refusé la demande de résidence permanente parrainée de Mme Hoang pour le motif que cette dernière ne faisait pas partie de la catégorie du regroupement familial au sens du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement).

[5]À la suite d'un appel, la SAI a conclu que le fait que le mot « mother » (mère) figurant dans la version anglaise du Règlement n'était pas défini indiquait que le législateur voulait que l'on attribue à ce mot une interprétation large et libérale, afin de répondre à la dynamique changeante de la famille moderne. La SAI a conclu qu'une belle-mère pouvait, dans les circonstances appropriées, être visée par la définition du mot « mère ». Selon ses motifs, la SAI considérait que le fait qu'il existait des bienfaits et des liens de dépendance réciproques pouvait constituer pareilles « circonstances appropriées ».

[6]La SAI a procédé à une analyse téléologique de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi). Elle a reconnu que le mot « mère » était défini dans le Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172 [édicté par DORS/85-225, art. 1], pris conformément à l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, dans sa forme modifiée. Elle a conclu que l'absence de définition dans les régimes législatif et réglementaire maintenant en vigueur est attribuable à deux raisons. En premier lieu, la SAI a conclu que le concept traditionnel de mère avait changé radicalement au cours des dernières années à la suite des progrès des technologies de reproduction. En second lieu, elle a reconnu que la société canadienne était composée de divers arrangements familiaux qui étaient devenus plus courants et mieux acceptés.

ARGUMENTS

[7]Le demandeur affirme que la question qui se pose en l'espèce est une question d'interprétation législative, plus précisément le sens à attribuer au mot « mother », tel qu'il est employé dans la version anglaise de l'alinéa 117(1)c) du Règlement. Le mot « mother » n'est pas défini et figure uniquement dans la version anglaise du Règlement; en effet, ce sont les mots « ses parents » qui sont employés dans la version française.

[8]Le demandeur affirme que la norme de contrôle applicable en l'espèce est celle de la décision correcte; il s'appuie à cet égard sur la décision que la Cour d'appel fédérale vient de rendre dans Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] 4 R.C.F. 48, confirmée par 2005 CSC 51.

[9]Le demandeur fait valoir que l'absence de définition du mot « mère » dans le Règlement actuel indique un changement par rapport à l'ancien régime législatif et réglementaire, à savoir la Loi sur l'immigration et le Règlement sur l'immigration de 1978. Selon lui, cela démontre que le gouverneur en conseil voulait déterminer l'appartenance à la catégorie du regroupement familial selon les critères qui s'appliquent maintenant et que l'absence de définition du mot « mère » n'invite pas pour autant la SAI à substituer sa propre opinion à celle du gouverneur en conseil.

[10]Le défendeur met également l'accent sur l'absence de définition du mot « mère » dans le Règle-ment actuel et fait valoir que ce silence n'est pas un oubli, mais une indication que le gouverneur en conseil voulait que ce mot soit interprété d'une façon large. Selon lui, il s'agit d'une approche téléologique raisonnable qui est conforme à la reconnaissance et à l'acceptation des relations familiales comprenant des éléments non traditionnels qui existent de nos jours. Il cite la mention précise dans le Règlement de l'union de fait et des situations assimilables à une union conjugale qui sont maintenant reconnues aux fins de l'inclusion dans la « catégorie du regroupement familial ». Il mentionne également la reconnaissance des mariages entre personnes du même sexe dans certaines parties du Canada.

[11]Le défendeur soutient qu'une interprétation du mot « mère » qui s'étend au-delà des liens du sang ou de la relation juridique créée par l'adoption est conforme aux critères sociaux qui s'appliquent de nos jours au Canada lorsqu'il s'agit de définir les liens parentaux et il s'appuie à cet égard sur l'arrêt Chartier c. Chartier, [1999] 1 R.C.S. 242.

ANALYSE

[12]Cette demande de contrôle judiciaire soulève strictement une question d'interprétation législative. Selon la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, une approche fondée sur l'objet visé doit être adoptée en matière d'interprétation législative.

[13]La Loi vise à régulariser l'admission au Canada de personnes qui n'ont par ailleurs aucun droit d'être admises. À cet égard, je mentionnerai l'arrêt Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, dans lequel la Cour suprême du Canada a dit ce qui suit, aux pages 733 et 734 :

Le Parlement a donc le droit d'adopter une politique en matière d'immigration et de légiférer en prescrivant les conditions à remplir par les non-citoyens pour qu'il leur soit permis d'entrer au Canada et d'y demeurer. C'est ce qu'il a fait dans la Loi sur l'immigration, dont l'article 5 dispose que seuls les citoyens canadiens, les résidents permanents, les réfugiés au sens de la Convention ou les Indiens inscrits conformément à la Loi sur les Indiens ont le droit d'entrer au Canada ou d'y demeurer. La nature limitée du droit des non-citoyens d'entrer au Canada et d'y demeurer se dégage nettement de l'art. 4 de la Loi.

[14]La Loi énonce, à l'article 3, l'objet visé, y compris, à l'alinéa 3(1)d), « la réunification des familles au Canada ».

[15]La seule question qui se pose en l'espèce est de savoir si le libellé de l'alinéa 117(1)c) du Règlement inclut une belle-mère, aux fins de l'admission au Canada à titre de membre de la catégorie du regroupement familial.

[16]L'expression « regroupement familial » est définie comme suit au paragraphe 12(1) de la Loi :

12. (1) La sélection des étrangers de la catégorie «regroupement familial» se fait en fonction de la relation qu'ils ont avec un citoyen canadien ou un résident permanent, à titre d'époux, de conjoint de fait, d'enfant ou de père ou mère ou à titre d'autre membre de la famille prévu par règlement.

[17]Le paragraphe 117(1) du Règlement décrit les membres de cette catégorie. Aux fins qui nous occupent, seul l'alinéa 117(1)c) est pertinent; il prévoit ce qui suit :

117. (1) Appartiennent à la catégorie du regroupement familial du fait de la relation qu'ils ont avec le répondant les étrangers suivants :

[. . .]

c) ses parents;

[18]Les mots « mother » (mère) et « father » (père) ne sont définis ni dans la version française ni dans la version anglaise du Règlement. Le mot « parents » est défini uniquement dans la version française, à l'article 2 du Règlement, comme signifiant « [l]es ascendants au premier degré de l'intéressé ».

[19]À première vue, la définition du mot « parents » figurant dans la version française donne à entendre que l'alinéa 117(1)c) du Règlement vise l'admission, à titre de membres de la catégorie du regroupement familial, des personnes qui sont liées par le sang. Cette interprétation est étayée par la mention de l'ouvrage de Gérard Cornu, intitulé Vocabulaire juridique, 8e édition, revue et augmentée Paris, Presses universitaires de France, 2000), s.v. « ascendant », à la page 74 :

Auteur direct d'une personne (appelée descendant), soit au premier degré (père, mère) [. . .]

[20]Le défendeur fait valoir que l'absence de définition du mot « mère » ou « père » dans la législation actuelle indique que le législateur voulait donner à ces mots une interprétation large, conforme aux critères sociaux subjectifs utilisés pour définir le lien parental, tel qu'il existe dans le droit interne canadien, en matière de relations familiales. À cet égard, il se fonde sur l'arrêt Chartier, dans lequel la Cour suprême a dit ce qui suit, au paragraphe 39 :

La question de savoir si une personne tient lieu de parent doit être tranchée à la lumière de l'ensemble des facteurs pertinents, examinés objectivement. Ce qu'il faut déterminer, c'est la nature du lien. La Loi sur le divorce ne fait aucune allusion à une quelconque expression formelle de la volonté. L'accent mis sur le caractère volontaire et sur l'intention dans Carignan était inspiré de l'approche de common law analysée précédemment. Il s'agissait d'une erreur. Le tribunal doit déterminer la nature du lien en examinant un certain nombre de facteurs, dont l'intention. L'intention ne s'exprime pas seulement de manière explicite. Le tribunal doit aussi déduire l'intention des actes accomplis et tenir compte du fait que même les intentions exprimées peuvent parfois changer. Le fait même de fonder une nouvelle famille constitue un facteur clé appuyant la conclusion que le beau-parent considère l'enfant comme un membre de sa famille, c'est-à-dire comme un enfant à charge. Parmi les facteurs à examiner pour établir l'existence du lien parental, signalons les points suivants : L'enfant participe-t-il à la vie de la famille élargie au même titre qu'un enfant biologique? La personne contribue-t-elle financièrement à l'entretien de l'enfant (selon ses moyens)? La personne se charge-t-elle de la discipline de la même façon qu'un parent le ferait? La personne se présente-t-elle aux yeux de l'enfant, de la famille et des tiers, de façon implicite ou explicite, comme étant responsable à titre de parent de l'enfant? L'enfant a-t-il des rapports avec le parent biologique absent et de quelle nature sont-ils?

[21]D'autre part, le demandeur fait valoir que si le législateur voulait qu'une interprétation large soit donnée des mots « mère » et « père », une indication de cette intention figurerait dans la Loi ou dans le Règlement ou même dans le Résumé de l'étude d'impact de la réglementation (le REIR). À cet égard, le demandeur fait remarquer que le REIR vise uniquement l'inclusion de conjoints de fait et de partenaires comparables à un conjoint comme membres de la catégorie du regroupement familial. Le REIR ne dit rien au sujet d'une interprétation élargie du mot « parents ».

[22]Je suis d'accord pour dire que l'inclusion des conjoints de fait et des partenaires comparables à un conjoint comme membres de la catégorie du regroupement familial indique un changement dans la description de la « famille » aux fins de l'obtention de la résidence permanente au Canada. Toutefois, je ne suis pas convaincue que le fait que la catégorie a été élargie à l'égard d'un groupe de conjoints ou d'époux veut nécessairement dire que la catégorie a été élargie en ce qui concerne les liens parentaux.

[23]Je ne suis pas convaincue que le mot « parents » doive se limiter aux parents biologiques, compte tenu de la définition du mot « membre de la parenté » figurant dans le Règlement, cette expression étant définie comme suit :

2. [. . .]

« membre de la parenté» Personne unie à l'intéressé par les liens du sang ou de l'adoption.

[24]À première vue, la définition du mot « parents » figurant dans la version française donne à entendre que l'alinéa 117(1)c) du Règlement vise l'admission, à titre de membres de la catégorie du regroupement familial, des personnes qui sont unies par les liens du sang. Toutefois, la définition de l'expression « membre de la parenté » élargit les liens parentaux en vue d'englober l'adoption. La Loi et le Règlement reconnaissent comme « parents » les personnes qui sont directement liées par le sang et celles qui sont liées par l'adoption.

[25]Il n'est pas contesté qu'en l'espèce, le défendeur et sa belle-mère, qui fait l'objet de la demande parrainée, ne sont pas liés par le sang ou par l'adoption. À mon avis, il s'ensuit que Mme Hoang n'est pas visée par la définition du mot « parents ». Je ne considère pas l'absence d'une définition, dans la version anglaise, des mots « mère » ou « parents » comme indiquant que le législateur voulait que les beaux-parents soient inclus dans la catégorie du regroupement familial.

[26]Quelle que soit la raison pour laquelle on a omis de définir les mots « mère » ou « parents », à savoir s'il s'agit d'une intention délibérée ou d'une faute d'inattention dans la rédaction, il reste que le Règlement ne renferme pas de définition de ces mots dans la version anglaise et qu'il existe une définition adéquate dans la version française. La Cour est tenue d'interpréter le texte mis à sa disposition, à moins qu'aucune interprétation raisonnable ne puisse être donnée : voir Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, à la page 618, où la Cour dit que, selon un principe établi d'interprétation, les textes français et anglais sont réputés d'égale valeur et que c'est l'interprétation qui favorise l'objet de la loi qui doit l'emporter en cas d'incompatibilité entre les deux textes.

[27]Je conclus donc que la SAI a commis une erreur dans son interprétation du mot « mother » tel qu'il est employé dans la version anglaise de l'alinéa 117(1)c) du Règlement et que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L'affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SAI pour que celui-ci statue à nouveau sur l'affaire.

[28]Je ferai remarquer qu'il peut être approprié pour le défendeur de demander au ministre d'exercer son pouvoir discrétionnaire, pour des raisons d'ordre humanitaire, conformément à la Loi.

[29]L'avocate du demandeur a proposé la certification des questions suivantes :

[traduction] Les beaux-parents sont-ils inclus dans la catégorie du regroupement familial et, en particulier, le mot « mother » figurant dans la version anglaise, à l'alinéa 117(1)c) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, comprend-il une belle-mère?

Le mot « parent » figurant dans la version française comprend-il le mot « beau-parent »?

L'avocate du défendeur était d'accord pour proposer la certification de ces questions.

[30]Je suis convaincue que la demande soulève un nouveau point et que les questions proposées satisfont aux exigences de l'alinéa 74d) de la Loi aux fins de la certification.

ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SAI pour que celui-ci statue à nouveau sur l'affaire. Les questions suivantes sont certifiées :

Les beaux-parents sont-ils inclus dans la catégorie du regroupement familial et, en particulier, le mot « mother » figurant dans la version anglaise, à l'alinéa 117(1)c) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés comprend-il une belle-mère?

Le mot « parent » figurant dans la version française comprend-il le mot « beau-parent »?

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