Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

IMM-2228-04

2005 CF 739

Chea Say et Vouch Lang Song (demandeurs)

c.

Le solliciteur général du Canada (défendeur)

Répertorié : Say c. Canada (Solliciteur général) (C.F.)

Cour fédérale, juge Gibson--Toronto, 25 et 26 avril 2005; Ottawa, 27 mai 2005.

Droit administratif -- Contrôle judiciaire -- Certiorari -- Contrôle judiciaire d'une décision d'un agent d'examen des risques avant renvoi (ERAR) portant que les demandeurs ne s'exposaient pas à un risque de torture, à une menace pour leur vie ou à un risque de traitements ou peines cruels ou inusités s'ils étaient renvoyés dans le pays de leur nationalité -- Partialité institutionnelle, absence d'indépendance ou d'impartialité du fait que les agents d'ERAR relevaient de l'Agence des services frontaliers du Canada au moment où la décision a été prise -- Critère de partialité sur le plan institutionnel : crainte raisonnable de partialité dans un grand nombre de cas de la part d'une personne parfaitement informée -- Une « personne parfaitement informée » n'aurait pas la crainte raisonnable que les décideurs du programme d'ERAR seraient préjugés « dans un grand nombre de cas ».

Citoyenneté et Immigration--Exclusion et renvoi -- Personnes interdites de territoire -- Les demandeurs sont des ressortissants cambodgiens -- Leur demande de protection à titre de réfugié a été rejetée au motif qu'il existait des raisons sérieuses de penser que le demandeur avait commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité -- Réponse négative à la demande d'examen des risques avant renvoi -- L'agent a-t-il commis une erreur de droit en ne se demandant pas si les demandeurs couraient le risque d'être torturés ou de subir une peine cruelle ou inusitée en raison de la désertion du demandeur de la police cambodgienne? -- La partialité institutionnelle et l'absence d'indépendance et d'impartialité étaient en cause -- Les motifs fondant une crainte raisonnable de partialité ou une perception d'absence d'indépendance et d'impartialité institutionnelles doivent être «  sérieux  » -- Absence de crainte raisonnable de partialité dans un grand nombre de cas, dans l'esprit d'une personne parfaitement informée.

Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue le 22 janvier 2004 par un agent d'examen des risques avant renvoi (ERAR) qui avait conclu que les demandeurs ne s'exposaient pas à un risque de torture, à une menace à leur vie ou à un risque de traitements ou peine cruels ou inusités s'ils étaient renvoyés au Cambodge, le pays de leur nationalité ou de leur résidence habituelle. Entre 1982 et 1993, le demandeur faisait partie de la police cambodgienne, dans laquelle il s'était engagé afin de se soustraire au service militaire. Il aurait critiqué publiquement la brutalité du gouvernement cambodgien, ce pourquoi il a prétendu avoir fait l'objet de représailles. En 1993, les demandeurs ont fui le Cambodge pour demander la protection du Canada comme réfugiés. La demande de protection du demandeur à titre de réfugié a été rejetée au motif qu'il existait des raisons sérieuses de penser qu'il avait commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité. Les demandeurs ont déposé une demande d'examen des risques avant renvoi qui a fait l'objet de décisions négatives faisant l'objet du présent contrôle judiciaire. La demande de contrôle judiciaire soulevait la question de la partialité institutionnelle, ou encore de l'absence d'indépendance, des agents d'ERAR entre le 12 décembre 2003 et le 8 octobre 2004, alors que ces agents relevaient de l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Le programme ERAR avait été placé sous la responsabilité du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration lors de l'entrée en vigueur de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, le 28 juin 2002. Le 12 décembre 2003, la responsabilité de certains secteurs du ministère où s'effectuait l'examen des risques avant renvoi a été transférée à l'ASFC, responsabilité qui était retransférée au ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration le 8 octobre 2004. C'est cette période du 12 décembre 2003 au 8 octobre 2004 qui est visée par l'allégation d'absence d'indépendance et d'impartialité suffisantes ou de partialité institutionnelle du programme d'ERAR en faveur du renvoi ou de l'application de la mesure de renvoi, et ce au détriment de la protection des individus à risque. La question en litige était de savoir si l'agent avait commis une erreur de droit en ne se demandant pas si les demandeurs couraient le risque d'être torturés ou de subir une peine cruelle ou inusitée du fait que le demandeur était et demeure toujours un déserteur de la police cambodgienne.

Jugement : la demande doit être rejetée.

La partialité, l'absence de partialité, ou l'insuffisance d'indépendance et d'impartialité, ou l'absence d'indépendance et d'impartialité suffisantes, constituent un aspect de l'équité procédurale. Les motifs fondant une crainte raisonnable de partialité ou une perception d'absence d'indépendance et d'impartialité institutionnelles doivent être « sérieux ». Il convient d'accorder une grande déférence aux décisions du gouvernement concernant l'organisation appropriée des fonctionnaires chargés de l'administration du vaste éventail de responsabilités incombant au gouvernement du Canada. Les éléments de preuve déposés par les demandeurs pour démontrer la partialité institutionnelle ou l'absence d'impartialité et d'indépendance étaient au mieux anecdo-tiques. Le critère applicable est celui de la perception dans l'esprit d'un observateur raisonnablement informé. Dans l'arrêt R. c. Lippé, la Cour suprême du Canada a statué que le critère applicable pour décider si des occupations soulèvent une crainte raisonnable de partialité sur le plan institutionnel est la crainte raisonnable de partialité dans un grand nombre de cas dans l'esprit d'une personne parfaitement informée. En l'espèce, il n'existerait pas de crainte raisonnable de partialité dans un grand nombre de cas, dans l'esprit d'une personne parfaitement informée. Cela ne veut pas dire qu'une crainte raisonnable de partialité soit inconcevable--sous la forme d'une première impression--dans un grand nombre de cas dans l'esprit de personnes moins bien informées. À tout le moins au cours de la période en litige, le mandat de l'ASFC était assez diversifié et un effort volontaire a été fait pour isoler le programme d'ERAR des fonctions relatives à la prise de mesures de renvoi et d'application de la loi incombant à l'ASFC. En conséquence, une « personne parfaitement informée » n'aurait pas la crainte raisonnable que les décideurs du programme d'ERAR seraient préjugés « dans un grand nombre de cas ». La décision du gouvernement de replacer le programme d'ERAR sous la tutelle administrative du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration après l'avoir placé sous la tutelle de l'ASFC parce qu'il avait conclu que ce programme s'apparentait davantage à une mesure de protection qu'à une mesure de contrôle d'application et de renvoi, ne permettait pas de conclure à l'existence d'une présomption de partialité institutionnelle ou d'absence d'impartialité ou d'indépendance au cours de la période durant laquelle ce programme relevait de l'ASFC. Cette opération reflétait plutôt la conclusion à laquelle le gouvernement en était arrivé, selon laquelle, le rattachement du programme à l'ASFC soulevait des craintes à titre de première impression dans l'esprit de personnes intéressées à la protection des individus susceptibles d'être renvoyés du Canada.

La question suivante a été certifiée : Lorsqu'elle relevait de l'Agence des services frontaliers du Canada, la section d'examen des risques avant renvoi était-elle dotée du degré d'indépendance institutionnelle voulu, en conformité avec les principes de justice naturelle et de justice fondamentale? Note de l'arrêtiste : La Cour d'appel fédérale a répondu par l'affirmative à la question certifiée et elle a rejeté l'appel dans une décision de deux pages prononcée à l'audience le 12 décembre 2005 (A-296-05, 2005 CAF 422, juge Evans, J.C.A.).

lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, art. 1Fa).

Décret transférant au ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration la responsabilité à l'égard de certains secteurs au sein de l'Agence des services frontaliers du Canada et transférant certaines attributions de la vice-première ministre et ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile à la ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, TR/2004-135.

Décret transférant certains secteurs du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration à l'Agence des services frontaliers du Canada, TR/2003-215.

Loi sur les restructurations et les transferts d'attribution dans l'administration publique, L.R.C. (1985), ch. P-34.

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 232.

jurisprudence citée

décisions appliquées :

R. c. Lippé, [1991] 2 R.C.S. 114; (1991), 64 C.C.C. (3d) 513; 5 C.R.R. (2d) 31; 5 M.P.L.R. (2d) 113; 128 N.R. 1; 39 Q.A.C. 241; Nalliah c. Canada (Solliciteur général), [2005] 3 R.C.F. 210; 2004 CF 1649; Hamade c. Canada (Solliciteur Général), IMM-7864-04, juge Dawson, ordonnance en date du 29-9-04, C.F.

décisions examinées :

Say c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 131 F.T.R. 76 (C.F. 1re inst.); Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l'énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369; (1976), 68 D.L.R. (3d) 716; 9 N.R. 115; infirmant sub nom. Pipeline de gaz arctique canadien Ltée (In re) et in re Loi sur l'Office national de l'énergie, [1976] 2 C.F. 20; (1975), 65 D.L.R. (3d) 660; 9 N.R. 150 (C.A.); Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone, [2003] 1 R.C.S. 884; (2003), 227 D.L.R. (4th) 193; [2004] 1 W.W.R. 1; 3 Admin. L.R. (4th) 163; 109 C.R.R. (2d) 65; 306 N.R. 34; 2003 SCC 36.

décisions citées :

Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] 3 R.C.F. 239; (2005), 249 D.L.R. (4th) 306; 41 Imm. L.R. (3d) 157; 329 N.R. 346; 2005 CAF 1; demande d'autorisation de pourvoi à la C.S.C. rejetée [2005] S.C.C.A. no 119 (QL); Nalliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 759; [2005] A.C.F. no 956 (QL).

doctrine citée

Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, Résumé de l'étude d'impact de la réglementation, Gaz. C., 01.I.4549.

DEMANDE de contrôle judiciaire d'une décision d'un agent d'examen des risques avant renvoi portant que les demandeurs ne s'exposeraient pas à un risque de torture, à une menace à leur vie ou à un risque de traitements ou peine cruels ou inusités s'ils étaient renvoyés dans le pays de leur nationalité ou de leur résidence habituelle. Demande rejetée.

ont comparu :

Lorne Waldman, Leigh Salsberg et Brena Parnes pour les demandeurs.

Marie-Louise Wcislo, Anshumala Juyal et Rhonda M. Marquis pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier :

Waldman & Associates, Toronto, pour les demandeurs.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Gibson :

INTRODUCTION

[1]Les présents motifs font suite à l'audition d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision rendue le 22 janvier 2004 par un agent d'examen des risques avant renvoi qui avait conclu que les demandeurs ne s'exposaient pas à un risque de torture, à une menace pour leur vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités s'ils étaient renvoyés dans le pays de leur nationalité ou de leur résidence habituelle.

[2]La présente demande de contrôle judiciaire est l'une des trois qui ont été entendues conjointement à Toronto les 25 et 26 avril 2005 et qui soulèvent la question de la partialité institutionnelle, ou du manque d'indépendance, des agents d'Examen des risques avant renvoi entre le 12 décembre 2003 et le 8 octobre 2004, alors que ces agents relevaient de l'Agence des services frontaliers du Canada. Les présents motifs traiteront de cette question, dont l'analyse sera simplement incorporée par renvoi dans les motifs concernant l'une des deux demandes de contrôle judiciaire connexes.

LES FAITS

[3]Chea Say, le demandeur, et Vouch Lang Song, la demanderesse, sont mariés. L'un et l'autre sont ressortissants du Cambodge. En 1993, ils ont fui ce pays pour revendiquer le statut de réfugié au Canada. Leur demande d'asile a été rejetée en juillet 1996. Dans le cas du demandeur, sa demande a été rejetée au motif qu'il tombait sous le coup de la section Fa) de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés [28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6; c'est-à-dire qu'il y avait en l'espèce des raisons sérieuses de penser qu'il avait commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité au sens des instruments internationaux applicables. En outre, plusieurs aspects essentiels de la déposition du demandeur ont été jugés non crédibles. La demanderesse a fondé sa propre demande sur celle du demandeur. En conséquence, sa demande a été rejetée également. En fait, on a jugé qu'elle n'avait même pas de crainte subjective d'être persécutée.

[4]En mai 1997, la demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision portant rejet de la revendica-tion du statut de réfugié au sens de la Convention des demandeurs a été rejetée [(1997), 131 F.T.R. 76; [1997] A.C.F. no 648]. Le juge Lutfy, aujourd'hui juge en chef, a résumé ainsi les faits sous-tendant leur revendication avant de rejeter la demande de contrôle judiciaire [au paragraphe 3] :

Durant la période allant de 1982 à 1993, le requérant faisait partie de la police cambodgienne, dans laquelle il s'est enrôlé pour se soustraire au service militaire. Il appartenait pendant tout ce temps au groupe de formation de la police. En 1985, après trois années de service à titre d'agent, il en a été nommé le vice-président. Après avoir gravi les rangs en 1990 et 1992, il a été promu major et président du groupe en 1993, peu de temps avant son arrivée au Canada. C'est en 1986 qu'il a appris des choses qui l'ont conduit à conclure que le gouvernement de l'État du Cambodge était, selon ses dires, impitoyable et corrompu.

[5]Le demandeur a dénoncé publiquement la brutalité du gouvernement cambodgien. Il a prétendu avoir fait l'objet de représailles. De crainte de faire l'objet de nouvelles représailles, les demandeurs ont fui le Cambodge en laissant derrière eux leurs enfants ainsi que des membres de leurs familles.

[6]En application de l'ancienne Loi sur l'immigration1, les demandeurs étaient réputés avoir déposé leurs demandes à titre de membres de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (DNRSRC). Leurs demandes réputées ont été rejetées et font elles aussi l'objet d'une demande de contrôle judiciaire. En outre, ils ont demandé le sursis à l'exécution de la mesure de renvoi en attendant l'issue de leurs demandes de contrôle judiciaire. Leur demande de sursis a été rejetée et leur demande d'autorisation de contrôle judiciaire des décisions défavorables à titre de DNRSRC a elle aussi été rejetée. Ces décisions datent du 15 janvier 1998.

[7]Les demandeurs ne se sont pas présentés à l'endroit, à la date et à l'heure fixés pour leur renvoi. En conséquence, des mandats d'arrêt ont été émis le 20 novembre 1997.

[8]En mars 1998, les demandeurs ont demandé l'autorisation de demeurer au Canada pour des raisons d'ordre humanitaire. Lorsque, dans le cadre de cette demande, avis de leur changement d'adresse a été déposé en novembre 2003, ils ont été promptement arrêtés.

[9]Enfin, les demandeurs ont déposé une demande d'ERAR [examen des risques avant renvoi] le 22 décembre 2003. Le rejet de ces demandes fait l'objet du présent contrôle judiciaire.

[10]À la date d'audition de la présente demande de contrôle judiciaire, les demandeurs étaient toujours au Canada.

[11]Essentiellement, l'agent dont la décision fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire n'a été saisi d'aucun fait nouveau concernant la situation des demandeurs dont la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié ne disposait pas déjà lorsqu'elle a tranché les demandes de statut de réfugié des demandeurs.

LA DÉCISION FAISANT L'OBJET DU CONTRÔLE

[12] C'est en ces termes que l'agent a décrit les risques que courait le demandeur :

[traduction] Dans ses observations écrites, l'avocat indique que le requérant craint de retourner au Cambodge en raison du risque qu'il court d'être persécuté, torturé, tué ou soumis à des traitements ou peines cruels et inusités de la part des autorités cambodgiennes parce qu'il est un ancien agent de police ayant critiqué ouvertement ses supérieurs.

L'avocat fait valoir dans ses observations que le requérant est un déserteur des forces policières cambodgiennes qui a dénoncé tout particulièrement les violations des droits de la personne commises par elles. Le risque est couru dans le pays tout entier.

L'avocat prétend que les craintes du requérant sont subjectives. Il craint que les agents de l'État au Cambodge ne lui fassent subir des mauvais traitements, ne le torturent ou ne le tuent en raison des opinions politiques qu'on lui impute.

L'avocat prétend dans ses observations que la désertion du requérant et ses critiques des pratiques et des techniques utilisées par les responsables de la sécurité cambodgiens le rendent vulnérable à des sanctions disproportionnées s'il est renvoyé au Cambodge.

L'avocat soutient dans ses observations que le requérant est une personne à protéger au sens de l'article 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés [. . .] Ses craintes sont fondées sur la désobéissance aux ordres et la démonstration de son manque de loyauté envers le PPC à plusieurs reprises, le fait qu'on a déjà attenté à sa vie, le fait qu'il a publiquement dénoncé les violations des droits de la personne commises par des collègues policiers, plusieurs visites à son domicile par des policiers qui étaient à sa recherche, le recours fréquent à la torture et à la persécution par les autorités cambodgiennes contre les individus soupçonnés d'allégeance envers d'autres partis que le PPC2. [Non souligné dans l'original.]

[13]L'agent a résumé ainsi les observations faites au nom de la demanderesse :

[traduction] On trouve dans les observations écrites de l'avocat :

En tant qu'épouse d'un déserteur de la police cambodgienne qui a critiqué ouvertement les autorités pour avoir commis des violations des droits de la personne, Mme Song craint d'être torturée et persécutée si elle est renvoyée au Cambodge.

Il ressort des observations de l'avocat que la requérante craint d'être persécutée en raison des opinions politiques imputées à son mari. Elle est particulièrement vulnérable en tant qu'épouse d'un déserteur et critique du PPC.

Il ressort des observations de l'avocat que la requérante craint également que le gouvernement et ses agents ne la torturent, ne lui fassent subir des traitements cruels et inusités, ne la tuent même.

Il ressort des observations de l'avocat que le risque auquel elle s'expose ne se limite pas à la province dans laquelle elle est domiciliée, mais vaut pour l'ensemble du pays. Sa crainte des autorités cambodgiennes n'est pas d'ordre général, mais bien d'ordre personnel3. [Non souligné dans l'original.]

[14]Après avoir analysé longuement les craintes des demandeurs à la lumière de la preuve dont il était saisi, l'agent a conclu :

[traduction] Bien que je reconnaisse que la situation dans le pays soit loin d'être favorable, je ne puis conclure que les craintes exprimées par les demandeurs les exposeraient au risque de préjudice que prévoit la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Par conséquent, je conclus qu'il n'y a guère plus qu'une simple possibilité que Vouch Lang Song soit persécutée par les autorités cambodgiennes pour l'un des motifs énumérés dans la Convention si elle était renvoyée au Cambodge.

Compte tenu de la preuve dont je suis saisi, je suis convaincu qu'il n'est pas probable que les demandeurs courent un risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumis à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture. Je suis également convaincu, selon la preuve prépondérante, que les demandeurs ne courent vraisemblablement pas le risque d'être tués ou d'être soumis à des traitements ou des peines cruels et inusités s'ils sont renvoyés au Cambodge4.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[15]Les demandeurs ont défini comme suit l'unique question litigieuse dans la présente demande de contrôle judiciaire : l'agent a-t-il commis une erreur de droit en n'étudiant pas la possibilité que les demandeurs courent le risque d'être torturés ou de subir une peine cruelle et inusitée du fait que le demandeur était et demeure toujours un déserteur des forces policières cambodgiennes?

[16]Bien que les observations des demandeurs et du défendeur aient soulevé la question de la norme de contrôle applicable, il a été admis devant la Cour que l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)5 revêt un caractère décisif et qu'aucune erreur susceptible de contrôle n'a été relevée à cet égard. Enfin, comme je l'ai indiqué précédemment, la Cour a été saisie de la question de la partialité institutionnelle ou du manque d'indépendance et d'impartialité. L'avocat des deman-deurs a formulé la question essentiellement en ces termes : la décision d'ERAR concernant les demandeurs a-t-elle été prise en violation des règles de justice naturelle et des principes de justice fondamentale sous le régime de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés6 en ce qu'elle a été prise par un tribunal dépourvu d'indépendance institutionnelle7?

ANALYSE

1)     L'omission de tenir compte de la désertion du demandeur des forces policières cambodgiennes comme un motif distinct de crainte

[17]Comme l'indiquent les extraits précédents tirés de la décision faisant l'objet du présent contrôle, l'agent a reconnu sans détour que le demandeur considérait qu'il avait déserté la police cambodgienne et qu'il était de ce fait, tout comme sa femme, vulnérable. Après avoir identifié la désertion comme source de préoccupa-tion des demandeurs, l'agent a analysé leurs craintes à la lumière de la preuve dont il disposait dans le cadre plus général de la conduite du demandeur, que l'agent a décrite généralement comme révélant une opinion politique imputée au demandeur. Je suis convaincu qu'en procédant de cette manière, l'agent n'a commis aucune erreur susceptible de révision. Le demandeur a allégué avoir dénoncé les violations des droits de la personne commises par la police dont il était un officier, et qu'en conséquence lui et son épouse ont fait l'objet de menaces et d'actes de violence. Il prétend qu'il a déserté la police en raison de ces menaces et de ces actes de violence. Je suis convaincu que la désertion alléguée n'était qu'un geste de plus de la part du demandeur reflétant les opinions politiques qu'on lui imputait, et qu'en conséquence il était loisible à l'agent d'introduire cet élément dans son analyse de l'ensemble des agissements du demandeur qui sous-tendent la crainte que suscite chez les demandeurs un retour au Cambodge.

2)     La partialité institutionnelle ou le manque d'indépendance et d'impartialité institutionnelles

a)    Introduction

[18]Devant la Cour, l'avocat des demandeurs a soutenu que la partialité institutionnelle ou le manque d'indépendance et d'impartialité institutionnelles minent la confiance du public dans les décisions rendues par des offices fédéraux, y compris celles des agents d'ERAR. L'avocat a souligné que la confiance du public est la pierre angulaire du processus décisionnel judiciaire qui, au cas par cas, peut porter atteinte aux droits fondamentaux et notamment à ceux qui sont consacrés par l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés--plus particulièrement le droit à la sécurité de la personne. L'avocat a dit qu'en l'espèce, le critère applicable à la décision de savoir si les agents d'ERAR ont démontré un parti pris ou un manque d'indépendance et d'impartialité en rendant leurs décisions--tout particulièrement celle qui fait l'objet du présent contrôle--était celui de la « crainte raisonnable de partialité » ou de la « crainte raisonnable d'absence d'indépendance et d'impartialité suffisantes ».

b)    Le critère approprié

[19]Dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l'énergie et autres8, le juge de Grandpré cite, à la page 394, les motifs suivants de la Cour d'appel fédérale [sub nom. Pipeline de gaz arctique canadien Ltée (In re) et in re Loi sur l'Office national de l'énergie, [1976] 2 C.F. 20] confirmant le jugement frappé d'appel :

En nous fondant sur l'ensemble des faits, qui n'ont été exposés que sommairement, nous sommes tous d'avis qu'une personne juste et raisonnable n'aurait pas lieu de craindre que Crowe ne soit pas impartial sur la question de savoir si la commodité et la nécessité publiques, présentes et futures, rendent nécessaire la construction d'un pipe-line ni sur la question de savoir, si elle se pose, laquelle des diverses requérantes devrait obtenir le certificat.

Suivant un court paragraphe dans lequel il souscrit à l'interprétation des faits par la Cour d'appel fédérale, le juge de Grandpré poursuit ainsi aux pages 394 et 395 :

La Cour d'appel a défini avec justesse le critère applicable dans une affaire de ce genre. Selon le passage précité, la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d'appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

Je ne vois pas de différence véritable entre les expressions que l'on retrouve dans la jurisprudence, qu'il s'agisse de « crainte raisonnable de partialité », « de soupçon raisonnable de partialité », ou « de réelle probabilité de partialité ». Toutefois, les motifs de crainte doivent être sérieux et je suis complètement d'accord avec la Cour d'appel fédérale qui refuse d'admettre que le critère doit être celui d'« une personne de nature scrupuleuse ou tatillonne ».

Telle est la façon juste d'aborder la question mais il faut évidemment l'adapter aux faits de l'espèce. La question de la partialité ne peut être examinée de la même façon dans le cas d'un membre d'un tribunal judiciaire que dans le cas d'un membre d'un tribunal administratif que la loi autorise à exercer ses fonctions de façon discrétionnaire, à la lumière de son expérience ainsi que de celle de ses conseillers techniques.

Évidemment, le principe fondamental est le même : la justice naturelle doit être respectée. En pratique cependant, il faut prendre en considération le caractère particulier du tribunal. Comme le remarque Reid, Administrative Law and Practice, 1971, à la p. 220 :

[traduction] [. . .] `tribunal' est un mot fourre-tout qui désigne des organismes multiples et divers. On se rend vite compte que des normes applicables à l'un ne conviennent pas à un autre. Ainsi, des faits qui pourraient être des motifs de partialité dans un cas peuvent ne pas l'être dans un autre.

[20]La partialité ou l'absence de partialité, ou une indépendance et une impartialité suffisantes, ou l'absence d'indépendance et d'impartialité suffisantes, constituent bien entendu un aspect de l'équité procédurale. Au paragraphe 21 de l'arrêt Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone9, la juge en chef McLachlin et le juge Bastarache ont écrit au nom de la Cour :

Les exigences de l'équité procédurale--comprenant les exigences d'indépendance et d'impartialité--varient d'un tribunal à l'autre. Comme le juge Gonthier l'a affirmé dans SITBA c. Consolidated-Bathurst Packaging Ltd., [] : « les règles de justice naturelle n'ont pas un contenu fixe sans égard à la nature du tribunal et aux contraintes institutionnelles auxquelles il est soumis » . Au contraire, leur contenu varie. Comme le juge Cory l'a expliqué dans Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [] les exigences procédurales qui s'appliquent à un tribunal particulier « tien[nent] à la nature et à la fonction du tribunal en question » [] Comme la Cour l'a fait remarquer dans Ocean Port Hotel Ltd. c. Colombie-Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), [] les tribunaux administratifs exercent différentes fonctions et « [o]n peut considérer [. . .] qu'ils chevauchent la ligne de partage constitutionnelle entre l'exécutif et le judiciaire » [] Certains tribunaux administratifs se situent davantage à l'extrémité exécutive de l'échelle : ils sont destinés avant tout à élaborer des politiques gouvernementales particulières et à en contrôler la mise en oeuvre. Ces tribunaux ne demandent pas nécessairement de bien grandes protections procédurales. D'autres tribunaux, toutefois, se situent davantage à l'extrémité judiciaire de l'échelle : ils sont destinés avant tout à régler des différends à la suite d'une audience quelconque. Les tribunaux de ce genre peuvent être dotés de procédures et de pouvoirs semblables à ceux des cours de justice. Ces pouvoirs sont parfois accompagnés d'exigences rigoureuses en matière d'équité procédurale, notamment d'une exigence d'indépendance plus élevée [] [Références omises.]

[21]L'avocat des demandeurs a soutenu que les agents d'ERAR se trouvent davantage à l'extrémité judiciaire de l'échelle, dans la mesure où leur fonction essentielle consiste à décider des questions concernant le risque posé par le refoulement d'individus, dont bon nombre ont revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention et dont certains ont perdu ce statut après l'avoir reçu. Que les individus qui demandent l'examen des risques avant renvoi aient ou non revendiqué le statut de réfugié, ils peuvent fort bien prétendre que la sécurité de leur personne est en cause et que l'article 7 de la Charte prévoit qu'il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'« en conformité avec les principes de justice fondamentale ». Par conséquent, fait valoir l'avocat, l'indépendance et l'impartialité, ou l'absence de partialité institutionnelle, des agents d'ERAR revêtent une importance fondamentale.

[22]Dans ce contexte, j'examinerai les allégations dont la Cour est saisie en ce qui concerne l'absence d'indépendance ou d'impartialité, ou la partialité institutionnelle, à la lumière du critère de la crainte raisonnable de partialité ou de l'absence d'indépendance ou d'impartialité, selon les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l'extrait qui précède, et non pas du point de vue d'une « personne de nature scrupuleuse ou tatillonne ». Ces principes m'obligent à garder à l'esprit la nécessité du caractère « sérieux » des motifs fondant une crainte raisonnable de partialité ou une perception de manque d'indépendance et d'impartialité institutionnelles. J'en suis d'autant plus convaincu en l'espèce qu'il convient d'accorder une grande déférence aux décisions du gouvernement concernant l'organisation appropriée des fonctionnaires chargés de l'administration du vaste éventail de responsabilités incombant au gouvernement du Canada.

c)    Historique

[23] Le programme ERAR a été créé lors de l'entrée en vigueur de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés10 le 28 juin 2002. Ce programme est décrit dans un résumé de l'étude d'impact de la réglementation concernant ce projet de règlement s'inscrivant dans le cadre du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés proposé et publié dans la partie I de la Gazette du Canada du 15 décembre 2001. La description du programme est jointe en annexe aux présents motifs.

[24] L'imputabilité du programme a été dévolue au ministre de la Citoyenneté de l'Immigration lors de l'entrée en vigueur de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Toutefois, ce sont les fonctionnaires du ministère en question, c'est-à-dire le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration, qui se sont vu déléguer le pouvoir de prendre des décisions sur une base individuelle dans le cadre du programme.

[25] Par souci de commodité, le court extrait suivant est tiré de la description beaucoup plus étendue du programme qui figure dans l'annexe aux présents motifs :

La justification, au niveau des politiques, de l'examen des risques avant renvoi se trouve dans les engagements nationaux et internationaux du Canada en faveur du principe de non-refoulement. En vertu de ce principe, les demandeurs ne peuvent être renvoyés du Canada dans un pays où ils risqueraient d'être persécutés, torturés, tués ou soumis à des traitements ou peines cruels ou inusités. Ces engagements exigent que les risques soient examinés avant le renvoi.

[26]Presque tous ceux et celles qui font l'objet d'une mesure de renvoi en vigueur ont le droit, en application du programme, de demander un examen des risques avant renvoi. Y ont notamment droit les personnes dont les revendications du statut de réfugié ont été rejetées par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, celles dont la demande du statut de réfugié au sens de la Convention ne peut être examinée et celles qui ont déjà fait l'objet d'une décision défavorable quant aux risques avant renvoi mais qui n'ont pas été renvoyées du Canada dans les six mois suivant la date de cette décision. Pour certains, l'examen des risques avant renvoi est la seule fois où on évalue les risques en fonction des faits qui leur sont propres. Pour d'autres, en raison des délais parfois très longs entre le prononcé d'une décision défavorable concernant le statut de réfugié au sens de la Convention et l'achèvement des préparatifs nécessaires à leur renvoi, l'examen des risques avant renvoi constitue une occasion d'évaluer l'impact d'un changement dans la situation de leur pays, soit sur le plan général, soit en ce qui les concerne.

[27]Pendant l'examen et l'évaluation d'une première demande d'examen des risques avant renvoi, l'article 232 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés11 impose un sursis légal au renvoi du demandeur.

[28]Le demandeur ne reconnaît pas l'impartialité institutionnelle ou le caractère suffisamment impartial et indépendant de l'administration du programme d'ERAR alors qu'il relevait du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration, mais la Cour n'est pas saisie de cette question dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.

[29]L'Agence des services frontaliers du Canada (l'ASFC) a été constituée au sein de la fonction publique canadienne le 12 décembre 2003. Voici un extrait d'un avis publié par le gouvernement ce jour-là :

Le gouvernement a créé ce vendredi 12 décembre 2003 l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), qui fera partie du ministère de la Sécurité publique et des Préparatifs d'urgence. En ce second anniversaire de la signature de la Déclaration sur la frontière intelligente entre le Canada et les États-Unis, l'ASFC s'appuiera sur les succès de celle-ci pour assurer le double objectif de la sécurité économique et de la sécurité publique. Elle maintiendra les principes de gestion du risque afin d'accélérer la circulation des personnes et des marchandises à faible risque et, ainsi, de mieux concentrer ses efforts à l'encontre des voyageurs et des marchandises à risque élevé.

[30]Le même jour, au moyen du décret C.P. 2003-2063 [TR/2003-215] pris en application de la Loi sur les restructurations et les transferts d'attributions dans l'administration publique12, la responsabilité de certains secteurs du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration a été transférée à l'Agence des services frontaliers du Canada :

(i) le secteur de la Région internationale qui s'occupe à temps plein du renseignement et de l'interception à l'étranger,

(ii) le secteur du Réseau de services responsable du Centre de confirmation des mandats de l'immigration,

(iii) le Bureau de l'exécution de la loi et l'Unité du renseignement de Vancouver,

(iv) la Direction de l'exécution de la loi de Toronto,

(v) la Direction de l'exécution de la loi et l'Unité du renseignement de Montréal,

(vi) les secteurs des bureaux du Canada, autres que les postes frontaliers, qui s'occupent à temps plein du renseignement et de l'exécution de la loi, des renvois, de la détention, des enquêtes, de l'examen des risques avant renvoi, des audiences, des appels, des interventions et des crimes de guerre; [] [Non souligné dans l'original.]

[31]Nul n'a contesté devant la Cour l'absence de consultation publique préalable au susdit transfèrement de la responsabilité en matière d'examen des risques avant renvoi du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration à l'ASFC. Cet aspect de la réorganisation institutionnelle a suscité des critiques d'Amnistie Internationale, du Conseil canadien pour les réfugiés, du Comité américain pour les réfugiés (U.S. Committee for Refugees), ainsi que d'autres organisations de soutien aux réfugiés.

[32]Le 8 octobre 2004, le décret C.P. 2004-1154 [TR/2004-135]--également pris en application de la Loi sur les restructurations et les transferts d'attributions dans l'administration publique--renvoyait au ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration « la responsabilité à l'égard des secteurs de l'administration publique au sein de l'Agence des services frontaliers du Canada qui s'occupent de l'examen des risques avant renvoi ». Selon un communiqué de presse sur cette question :

La responsabilité des examens des risques avant renvoi relèvera à nouveau de CIC, puisque cette activité s'apparente davantage à la fonction de protection selon le mandat de CIC. [Non souligné dans l'original.]

[33]L'allégation d'absence d'indépendance et d'impartialité suffisantes ou de partialité institutionnelle du programme d'ERAR en faveur du renvoi ou de l'application de la mesure de renvoi, et ce au détriment de la protection des individus risquant le renvoi et la persécution, la torture, la mort ou les traitements ou peines cruels et inusités, vaut pour une période de presque 10 mois s'étendant du 12 décembre 2003 au 8 octobre 2004.

d)    Les positions respectives des parties

[34]Comme il fallait s'y attendre, les seuls éléments de preuve déposés par les demandeurs pour démontrer l'existence d'une partialité institutionnelle ou de l'absence d'impartialité et d'indépendance étaient au mieux anecdotiques. Cela dit, le critère applicable ne consiste pas en une preuve concrète de partialité institutionnelle ou d'absence d'indépendance ou d'impartialité. Comme je l'ai déjà indiqué, le critère applicable est plutôt celui de la perception d'un observateur raisonnablement informé.

[35]Par contraste, l'avocate du défendeur a déposé des éléments de preuve indiquant qu'en règle générale, les décideurs chargés de l'ERAR ont la sécurité d'emploi dans la mesure où la grande majorité d'entre eux étaient, au cours de la période de 10 mois en cause, des employés permanents ou occupaient un poste à durée indéterminée et, à ce titre, jouissaient en plus d'une sécurité de revenu raisonnable. En outre, tant au début de leur entrée en fonction que durant leurs fonctions, ces individus ont reçu une formation assez complète, notamment sur l'importance de maintenir une indépendance et une impartialité perçues et réelles dans la prise de décision. Les surveillants immédiats des fonctionnaires chargés des ERAR et de déterminer les risques de renvoi n'avaient rien à voir avec la prise de mesures de renvoi ni avec l'application de telles mesures. Ces personnes, a-t-on plaidé, avaient un rôle d'isolants ou, pour reprendre un terme contemporain, de « coupes-feu » entre les décideurs responsables de l'ERAR et les fonctionnaires chargés directement de la prise de mesures de renvoi et de leur application. Peu d'éléments de preuve ont été déposés en ce qui concerne la sécurité du financement du programme ERAR, tant en ce qui concerne les ressources humaines que les ressources techniques et en matière de recherche. Il n'est pas contesté que c'est toujours le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration, et non pas l'ASFC, qui fournit les orientations en matière de politique aux agents du programme d'ERAR.

e)    Conclusions

[36]À la page 144 de l'arrêt R. c. Lippé13, le juge en chef Lamer, s'exprimant en son nom et au nom des juges Sopinka et Cory, a énoncé en ces termes le critère applicable quant à savoir si des occupations soulèvent une crainte raisonnable de partialité sur le plan institutionnel :

Première étape : Compte tenu d'un certain nombre de facteurs, y compris mais sans s'y restreindre, la nature de l'occupation en cause et les parties qui comparaissent devant ce genre de juge, une personne parfaitement informée éprouvera-t-elle une crainte raisonnable de partialité dans un grand nombre de cas?

Deuxième étape : Si la réponse à cette question est négative, on ne saurait alléguer qu'il y a crainte de partialité sur le plan institutionnel et la question doit se régler au cas par cas. [Non souligné dans l'original.]

[37]S'exprimant au nom de la majorité, le juge Gonthier a noté à la page 152 :

J'ai eu l'avantage de prendre connaissance des motifs de jugement du Juge en chef. Je partage ses conclusions et je suis essentiellement d'accord avec le raisonnement qui les sous-tend.

[38]Je suis convaincu que ce que le juge en chef Lamer a qualifié de « crainte raisonnable de partialité sur le plan institutionnel »--traitant le tribunal dans cette affaire comme une institution--vaut autant pour ce qu'on pourrait appeler une « partialité institutionnelle » ou « partialité systémique », ainsi que pour une crainte raisonnable de manque d'indépendance et d'impartialité de la part de tous les membres d'une institution, tels que les fonctionnaires chargés d'exercer une fonction essentiellement juridictionnelle et, tout particulièrement, les membres du groupe des décideurs du programme d'ERAR.

[39]Compte tenu de la preuve dont la Cour dispose en l'espèce, je conclus que dans un grand nombre de cas, il n'existerait aucune crainte raisonnable de partialité dans l'esprit d'une personne parfaitement informée. Cela ne veut pas dire qu'une crainte raisonnable de partialité soit inconcevable--sous forme de première impression--dans un grand nombre de cas dans l'esprit d'une personne moins bien informée. Dans un grand nombre de documents d'information au public diffusés au moment de la constitution de l'ASFC, on a dit que son mandat concernait la sécurité et l'application de la loi, ce qui se distingue tout à fait d'un mandat de « protection ». Cependant, il ressort de la preuve dont dispose la Cour que, du moins au cours de la période en litige, le mandat de cette agence était assez diversifié et qu'un effort conscient a été fait pour isoler le programme d'ERAR des fonctions relatives à la prise de mesures de renvoi et à l'application de la loi incombant à l'ASFC. Je conclus donc qu'une « personne parfaitement informée » n'aurait pas une crainte raisonnable que les décideurs du programme d'ERAR seraient partiaux « dans un grand nombre de cas ».

[40]La juge Snider s'est prononcée sur la structure en place lorsque les agents d'ERAR relevaient de l'ASFC, affirmant au paragraphe 20 de ses motifs dans l'arrêt Nalliah c. Canada (Solliciteur général)14 rendu antérieurement :

· Dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [] il a été dit que, pour satisfaire aux exigences relatives à l'équité procédurale, la personne touchée doit avoir accès à une procédure impartiale, adaptée au contexte légal, institutionnel et social de la décision. La preuve mise à ma disposition tend à démontrer que le gouvernement a élaboré une structure à l'intérieur de laquelle la fonction des agents d'ERAR respecte cette norme. [Références omises.]

[41]La juge Snider se prononçait alors sur la structure en place lorsque les agents d'ERAR relevaient de l'ASFC. Je souscris à sa conclusion. La décision du gouvernement de replacer, en l'espace de 10 mois, le programme d'ERAR sous la tutelle administrative du ministère de la Citoyenneté de l'Immigration après l'avoir placé sous la tutelle de l'ASFC par suite de consultations qui lui ont permis de conclure que son mandat s'apparentait davantage à un mandat de protection qu'à celui de la prise de mesures de renvoi et d'application de la loi ne permet pas, à mon avis, de conclure à l'existence d'une présomption de partialité institutionnelle ou d'absence d'impartialité ou d'indépendance au cours de la période durant laquelle ce programme relevait de l'ASFC. Je crois plutôt que cette opération reflète la conclusion à laquelle le gouverne-ment en était arrivé, selon laquelle le rattachement du programme à l'ASFC soulevait des craintes, comme première impression, dans l'esprit des personnes qui veillent à la protection des individus faisant l'objet d'une mesure de renvoi du Canada.

[42]Enfin, dans l'arrêt Hamade c. Canada (Solliciteur général)15 portant sur une demande de sursis à une mesure de renvoi, la juge Dawson a dit :

[traduction] Malgré l'exigence préliminaire peu rigoureuse, les demandeurs n'ont pas réussi à établir l'existence d'une question sérieuse. Sur ce point, il a déjà été conclu que l'allégation de partialité systémique n'était pas une question sérieuse. Voir : Awolor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), IMM-870-03 et Ariri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), IMM-871-03. Ces décisions ont été rendues avant la restructuration la plus récente de l'Agence des services frontaliers du Canada, mais selon la preuve mise à la disposition de la Cour, « [l]e bureau responsable de l'ERAR est organisé de façon à protéger l'indépendance du décideur qui procède à un ERAR » .

[43]Sur la foi de la preuve dont la Cour dispose, je tire les mêmes conclusions malgré les nombreux efforts déployés par les demandeurs et d'autres personnes dans une situation similaire pour démontrer l'existence d'une crainte raisonnable de partialité systémique dans l'esprit d'une personne parfaitement informée.

[44]Compte tenu de ce qui précède, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

f)    Post-scriptum

[45]Au cours de l'audience, l'avocate du défendeur a soulevé, bien que sans grand enthousiasme de l'avis de la Cour, la question de l'omission des demandeurs, ou de leur avocat, de soulever à la première occasion la question de la partialité institutionnelle ou de l'absence d'indépendance et d'impartialité. En raison de mes conclusions sur cette question, je suis convaincu qu'il n'est pas nécessaire que je me prononce sur ce point. Cela dit, si j'avais à le faire, je rejetterais sommairement cette prétention. En effet, l'ASFC n'a été investie de la responsabilité du programme d'ERAR qu'à compter du 12 décembre 2003. Dans les tout premiers jours de la mise en oeuvre de ce programme sous la tutelle de cette agence, il aurait été extrêmement difficile, voire impossible, de recueillir des éléments de preuve au soutien d'une allégation de partialité institutionnelle ou d'absence d'impartialité ou d'indépendance institution-nelle. En fait, même si on avait pu réunir de tels éléments de preuve, un agent d'ERAR ne les aurait probablement pas accueillis favorablement.

[46]La question a été effectivement soulevée devant la Cour très peu de temps après que les décisions relatives à l'ERAR subséquentes au 12 décembre 2003, prises sous le nouveau régime administratif, eurent été susceptibles de révision. C'est en janvier 2004 que la Cour a été saisie des premières contestations judiciaires fondées sur ce motif.

[47]En conséquence, je suis convaincu que le défendeur ne pouvait avoir gain de cause en accusant les demandeurs d'avoir tardé à soulever la question de la partialité institutionnelle ou de l'absence d'impartialité ou d'indépendance.

LA CERTIFICATION D'UNE QUESTION

[48]Les avocats des parties ont conjointement proposé que la question suivante soit certifiée :

[traduction] Lorsqu'elle relevait de l'Agence des services frontaliers du Canada, la section d'examen des risques avant renvoi était-elle dotée du degré d'indépendance institutionnelle voulu, en conformité avec les principes de justice naturelle et de justice fondamentale?

[49]Je suis convaincu que la question proposée conjointement par les parties est une question grave de portée générale, et qu'une réponse à cette question serait sans doute déterminante si l'ordonnance reprenant mes conclusions en l'espèce était portée en appel. La question proposée sera donc certifiée.

1 L.R.C. (1985), ch. I-2.

2 Dossier de demande des demandeurs, p. 11.

3 Dossier de demande des demandeurs, p. 12.

4 Dossier de demande des demandeurs, p. 18 et 19.

5 [2005] 3 R.C.F. 239, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2005] S.C.C.A. no 119 (QL).

6 Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

7 Dossier de demande du demandeur dans l'affaire Nalliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 759, vol. 2, p. 375, par. 32.

8 [1978] 1 R.C.S. 369.

9 [2003] 1 R.C.S. 884.

10 L.C. 2001, ch. 27.

11 DORS/2002-227.

12 L.R.C. (1985), ch. P-34.

13 [1991] 2 R.C.S. 114.

14 [2005] 3 R.C.F. 210 (C.F.).

15 Ordonnance en date du 29 septembre 2004; IMM-7864-04 (C.F.).

ANNEXE

XVII--EXAMEN DES RISQUES AVANT RENVOI-- PARTIE 7, SECTION 3

Description

L'article 112 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPRI) prévoit ou à certaines exceptions près, des personnes se trouvant au Canada peuvent, conformément au Règlement, demander la protection du ministre si elles sont visées par une mesure de renvoi en vigueur.

Le mécanisme prévu pour l'évaluation de ces demandes est l'Examen des risques avant renvoi (ERAR). Les personnes qui attendent d'être renvoyées du Canada et qui se disent exposées à des risques ne seront pas renvoyées tant qu'un examen des risques n'aura pas été effectué. Pour la plupart des demandeurs, une décision favorable leur permet d'obtenir une protection et, par la suite, le statut de résident permanent. Toutefois, dans le cas des demandeurs visés au paragraphe 112(3) de la LIPR, une décision favorable n'a pour effet que de surseoir à l'exécution de la mesure de renvoi. Une décision défavorable entraîne le renvoi du Canada.

Le paragraphe 112(3) concerne les personnes :

--    qui sont interdites de territoire pour raison de sécurité, atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée; ou

--    dont la demande de protection à titre de réfugié a été rejetée en vertu de la section F de l'article 1 de la Convention sur les réfugiés; ou

--    qui sont nommées dans un certificat de sécurité, aux termes du paragraphe 77(1) de la LIPR.

La justification, au niveau des politiques, de l'examen des risques avant renvoi se trouve dans les engagements nationaux et internationaux du Canada en faveur du principe de non-refoulement. En vertu de ce principe, les demandeurs ne peuvent être renvoyés du Canada dans un pays où ils risqueraient d'être persécutés, torturés, tués ou soumis à des traitements ou peines cruels ou inusités. Ces engagements exigent que les risques soient examinés avant le renvoi.

L'article 116 de la LIPR autorise la prise de règlement concernant l'examen des risques avant renvoi. En particulier, il permet de mettre en place des dispositions relatives aux procédures à suivre à propos des demandes de protection, notamment de préciser les facteurs permettant de déterminer si une audience doit être tenue.

But de ces dispositions réglementaires

Les dispositions réglementaires concernant l'examen des risques avant renvoi prévoient un cadre pour la conduite de l'ERAR, de façon que le Canada remplisse les obligations qu'il a prises au niveau national et international et que les garanties fournies par la Charte canadienne des droits et libertés soient respectées.

En outre, les dispositions réglementaires incitent les intéressés à faire preuve de diligence pour présenter leurs demandes dans des délais précis et objectifs, afin de faire en sorte que l'ERAR demeure associé au renvoi dans le temps.

Effet des dispositions réglementaires

Les dispositions réglementaires sur l'examen des risques avant renvoi :

--    stipulent que les demandeurs éventuels doivent être avisés officiellement qu'ils peuvent faire une demande de protection par le processus d'ERAR avant leur renvoi du Canada;

--    établissent les délais et les modalités pour la communication de cet avis;

--    précisent les délais pour la présentation d'une demande et des documents qui la justifient et prévoient un sursis de la mesure de renvoi dans les cas où la demande est présentée à temps, jusqu'à ce qu'une décision finale soit prise;

--    permettent la présentation de demandes subséquentes sans avis, une fois que le délai pour-la demande initiale s'est écoulé ou après le rejet d'une première demande, et précisent que ces demandes supplémentaires n'entraînent pas de sursis de la mesure de renvoi;

--    précisent les facteurs dont les décideurs doivent tenir compte pour déterminer s'il convient de tenir une audience, c'est-à-dire :

--    l'existence d'éléments de preuve qui sont directement reliés à la crédibilité du demandeur et ont trait aux motifs de protection particuliers au dossier;

--    le fait que ces éléments de preuve soient essentiels à la décision;

--    le fait que ces éléments de preuve, s'ils sont accueillis, justifieraient d'accorder la protection.

--    fixent les règles et procédures régissant la tenue d'audiences, tels que :

--    lés demandeurs reçoivent un préavis des questions qui seront abordées lors de l'audience;

--    l'audience se limite aux questions reliées aux points décrits dans l'avis;

--    un avocat peut être présent à l'audience pour aider le demandeur;

--    des tiers peuvent présenter des éléments de preuve par écrit;

--    ces tiers peuvent être interrogés si la véracité de ces éléments doit être vérifiée;

--    prévoient qu'un demandeur-est réputé avoir renoncé à sa demande lorsqu'il omet de se présenter à une audience, lorsqu'il est convoqué à une date ultérieure mais ne se présente pas ou lorsqu'il quitte le Canada avant la tenue de l'ERAR;

--    permettent aux demandeurs de retirer leur demande en avisant le Ministère par écrit;

--    précisent qu'un désistement ou le retrait d'une demande entrainent le rejet de la demande de protection;

--    fixent des procédures particulières pour l'examen des demandes de protection présentées par les personnes visées au paragraphe 112(3).

Dans les cas décrits au paragraphe 112(3), les risques ne sont pas examinés d'après les motifs exposés dans la Convention de Genève. Ils le sont plutôt à partir d'un ensemble de critères plus restreint qui comprennent les motifs décrits dans la Convention contre la torture ainsi que les risques d'être tué ou de subir des traitements ou des peines cruels ou inusités. Les dispositions réglementaires stipulent qu'on doit fournir au ministre une évaluation des risques auxquels le demandeur prétend qu'il serait exposé dans un pays donné s'il y était renvoyé. Dans une évaluation distincte, on détermine si le demandeur constitue une menace pour la population au Canada, on examine la nature et la gravité des actes qu'il a commis et on décide s'il représente un danger pour la sécurité publique au Canada. Pour décider s'il doit accorder un sursis, le ministre prend connaissance de ces évaluations et de toute réplique écrite du demandeur à l'égard de ces évaluations.

Dans les cas où le ministre est justifié de revoir une décision antérieure d'accorder un sursis, les dispositions réglementaires fixent une procédure similaire pour ces réexamens.

Les dispositions réglementaires prévoient en outre qu'on doit fournir par écrit au demandeur, s'il en fait la demande, un exposé des motifs pour lesquels une décision en matière de protection a été prise.

Nature des modifications

Comme l'Examen des risques avant renvoi est un mécanisme nouveau, il n'a pas d'équivalent dans la Loi actuelle.

Étant donné que la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR) examine maintenant les motifs de protection regroupés (la Convention de Genève, la Convention contre la torture ainsi que les risques de mort ou de traitements ou peines cruels et inusités), l'évaluation prévue pour la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (DNRSRC) est maintenant réalisée dans le cadre de la prise de décisions de la CISR. L'examen des mêmes motifs de protection regroupés au stade de l'ERAR simplifie l'évaluation des risques dont font l'objet les réfugiés déboutés, puisqu'elle se limite à l'étude des nouveaux éléments de preuve et qu'elle constitue une mise à jour du dossier.

L'évaluation des risques effectuée dans le cadre de la DNRSRC était limitée aux réfugiés déboutés, mais divers autres groupes ont maintenant accès à l'ERAR. Les demandeurs potentiels comprennent les personnes dont la demande a été jugée irrecevable pour la CISR, les personnes ayant présenté des demandes réitérées qui n'ont plus accès à la CISR ainsi que celles qui ont fait l'objet d'une évaluation du risque antérieurement, dans le cadre de l'ERAR, mais qui n'ont pas été renvoyées du Canada après qu'une décision négative a été rendue. Dans ce dernier cas, l'ERAR consistera en une mise à jour du dossier si de nouveaux éléments de preuves sont présentés.

L'ERAR est étroitement liée dans le temps aux renvois et son processus les précède immédiatement.

Même si l'ERAR se déroulera sur papier dans la plupart des cas, elle permettra de tenir des audiences lorsque le décideur entretiendra des doutes sur la crédibilité du demandeur. La décision de tenir une audience sera prise à partir des facteurs imposés et décrits plus haut. Comme les décideurs auront la possibilité d'ordonner des audiences, ils disposeront des outils nécessaires pour procéder à un examen impartial et efficace des risques.

La nouvelle structure réglementaire officialise les procédures associées à l'ERAR en exposant clairement par règlement les règles et les normes pertinentes, ce qui garantira une façon de procéder plus transparente et uniforme.

Solutions envisagées

Les procédures relatives à l'Examen des risques avant renvoi auraient pu être exposées dans des directives administratives plutôt que dans un règlement. Toutefois, ces directives auraient comporté les mêmes faiblesses que celles qui étaient associées à la catégorie DNRSRC, en ce sens qu'elles n'auraient été obligatoires ni pour les demandeurs ni pour les décideurs, elles auraient manqué de transparence et elles n'auraient pas garanti un traittent uniforme.

Parmi les facteurs considérés pour la mise en place d'un mécanisme adéquat pour l'Examen des risques avant renvoi figurait la nécessité d'assurer un équilibre entre un processus d'examen équitable et efficace et l'intégrité du processus de renvoi.

La jurisprudence dans ce domaine indiquait que même si les tribunaux avaient ordonné une évaluation des risques avant renvoi, surtout dans les cas où une longue période s'était écoulée depuis la prise de décision sur la protection, ils ne fixaient pas de cadre précis pour cette évaluation. Les exigences légales auraient pu être remplies par un processus d'évaluation des risques par lequel la décision était fondée sur la demande écrite accompagnée de la possibilité de faire des représentations écrites.

Il a toutefois été admis que par souci de transparence, ce processus devait être géré par des décideurs indépendants et que l'ERAR devait fournir l'occasion de présenter des éléments de preuve, pour que soient respectées les obligations imposées par la Charte des droits. De plus, le processus devait être efficace et conçu de manière à fournir au moins la possibilité de surseoir au renvoi tout en satisfaisant aux obligations de la Charte et à celles qui ont trait aux droits de la personne.

Avantages et coûts

Avantages

Une grande partie des avantages que comportent ces dispositions réglementaires ne sont pas facilement quantifiables puisqu'ils sont directement liés à la justice fondamentale, à l'équité des procédures et aux valeurs canadiennes. II est également important de noter que les dispositions réglementaires garantissent le respect des engagements et des obligations internationaux du Canada en matière de protection.

Les principales améliorations découlant des dispositions sont l'équité des procédures, la clarté des règles, l'homogénéité du processus et l'uniformité de la prise de décision. On encourage les intéressés à se soumettre au processus en leur garantissant un sursis automatique au renvoi s'ils se conforment aux règles.

Coûts

On prévoit que l'ERAR entraînera des coûts d'importance moyenne en raison surtout de l'universalité de son accès, du caractère officiel du processus et de la possibilité de tenir des audiences. Le processus actuel concernant la catégorie DNRSRC souffrait d'un manque de ressources et donnait lieu à des arriérés et à des retards substantiels.

Il faudra former les nouveaux agents d'ERAR et de renvoi pour garantir la mise en oeuvre, l'uniformité et l'intégrité de ce nouveau programme.

Les dispositions réglementaires concernant l'ERAR ont une forte incidence sur les ressources consacrées à l'exécution de la loi. Les agents de renvoi sont chargés de coordonner les modalités de renvoi et, de ce fait, il faudra obtenir les documents de voyage et établir les itinéraires conjointement avec le processus ERAR lui-même. Il faudra donc porter une attention particulière à la planification des demandes de documents de voyage et des préparatifs de voyage si l'on veut que le renvoi s'effectue rapidement en cas de décision défavorable à la suite d'un ERAR.

Étant donné le court délai entre l'ERAR et le renvoi, certains demandeurs qui craignent le renvoi imminent réagissent à la réception de l'avis pour faire une demande d'ERAR et adoptent un mode de vie clandestin. Une réaction similaire peut se produire quand un avis d'audience est envoyé aux demandeurs. Même si le même phénomène a été constaté sous le sytème [sic] d'ERAR actuel, on prévoit que le nombre de demandeurs qui s'enfuient va augmenter puisqu'ils recevront maintenant un préavis de l'évaluation de l'ERAR. En conséquence, l'augmentation de l'utilisation des ressources d'enquête sera probablement requise dans le contexte d'ERAR.

Il faudra recruter et former les nouveaux décideurs ERAR avant de mettre le processus en place.

Consultations

On a rédigé et remis à un certain nombre d'intervenants, pour qu'ils les commentent, des documents de travail justifiant les orientations des dispositions réglementaires; on s'en est inspiré pour les consultations. Des consultations, de caractère officiel ou non, ont été menées auprès d'intervenants comme le Conseil canadien pour les réfugiés (CRR), le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR).

Même si la jurisprudence pertinente accordait le droit de faire des représentations pas écrit, des intervenants de l'extérieur ont soutenu que les demandeurs d'ERAR, tous selon certains, devraient bénéficier d'audiences. Les critères définis par règlement aident les décideurs à déterminer si une audience s'impose. Ces critères prennent en compte les problèmes cernés, l'importance de la décision ERAR pour l'intéressé; et la nécessité de ne recourir aux audiences que dans les cas où elles sont vraiment essentielles pour garantir l'efficacité du processus de renvoi.

Selon certains intervenants, les intéressés devraient être autorisés à demander plusieurs ERAR dans les cas où la situation a évolué depuis la prise de décision antérieure sur la protection. Toujours selon eux, toutes les demandes devraient entraîner automatiquement un sursis de la mesure de renvoi. Le Ministère a reconnu que les intéressés devraient pouvoir demander un nouvel ERAR en cas de changement de situation. Cependant, il a été jugé irréaliste d'accorder un sursis pour chaque demande puisque des demandeurs désireux de retarder leur renvoi pourraient recourir à l'ERAR pour arriver à leurs fins. Par conséquent, une première demande d'ERAR, présentée dans les délais prescrits, entraîne automatiquement un sursis de la mesure de renvoi, mais les demandes subséquentes n'ont pas cet effet.

À la suite de commentaires émis pas les intervenants consultés, il a été décidé de procéder à des rajustements comme le fait d'autoriser plusieurs demandes--le délai de six mois entre les demandes n'a pas été retenu.

Respect et exécution

Étant donné que les dates clés du processus seront inscrites dans les systèmes de CIC, il suffrira de les consulter pour savoir si les délais prescrits pour les demandes, les présentations d'éléments et les décisions ont été respectés. Les intéressés qui tardent à présenter une demande ne bénéficieront pas du sursis accordé à ceux qui respectent les délais.

Les demandes des intéressés qui omettent de se présenter à une audience peuvent être déclarées abandonnées. S'ils soumettent une nouvelle demande, ils ne profiteront cependant pas du sursis automatique accordé à ceux qui se conforment aux exigences.

Pour garantir les respect des exigences des dispositions réglementaires en matière d'équité des procédures et d'impartialité, tous les décideurs recevront une formation complète, condition préalable pour pouvoir exercer les fonctions d'agent d'ERAR. Le respect de ces exigences sera vérifié au moyen de mesures d'assurance de la qualité.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.