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T‑3‑05

2006 CF 182

Van Phat Hoang (demandeur)

c.

Le ministre du Revenu national et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (défendeurs)

Répertorié : Hoang c. M.R.N. (C.F.)

Cour fédérale, juge Kelen—Toronto, 7 février; Ottawa, 13 février 2006.

Douanes et accise — Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes — Requête visant à obtenir un jugement sommaire concernant l’action intentée par le demandeur en vertu de l’art. 30, par laquelle il interjetait appel de la décision du ministre de ne pas restituer les fonds confisqués, étant donné que la seule véritable question litigieuse était une question de droit — L’introduction de marchandises dans un pays est un acte physique qui n’exige pas l’intention d’importer — L’obligation de déclaration prévue à l’art. 12 de la Loi est analogue à l’obligation de déclarer les marchandises importées figurant dans la Loi sur les douanes — Le droit d’appel conféré à l’art. 30 de la Loi a été examiné — Requête accueillie.

Interprétation des lois — Art. 12 et 30 de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes — Requête en jugement sommaire concer-nant l’action intentée par le demandeur en vertu de l’art. 30, par laquelle il interjetait appel de la décision du ministre de ne pas restituer les fonds confisqués — Interprétation des termes « exportation » et « importation » à l’art. 12 — L’art. 12 n’exige pas l’intention d’importer — Obiter : l’art. 30 ne crée pas deux procédures d’appel à la Cour fédérale pour deux parties différentes d’une même décision.

Droit administratif — Appels prévus par la loi — L’art. 30 de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes permet à une personne qui a présenté une demande au ministre en vertu de l’art. 25 d’interjeter appel de « la décision » par voie d’action devant la Cour fédérale — Le législateur n’avait pas l’intention de créer deux procédures d’appel pour différentes parties d’une même décision.

Il s’agissait d’une requête visant à obtenir un jugement sommaire à l’égard de l’action intentée par le demandeur en vertu de l’article 30 de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (la Loi), par laquelle il interjetait appel de la décision du ministre de ne pas restituer les fonds confisqués, étant donné que la seule véritable question litigieuse était une question de droit. Le demandeur traversait le Canada en voiture lorsqu’il s’est perdu et a emprunté une route vers les États‑Unis. Il a fait demi‑tour après avoir traversé la frontière, mais avant d’arriver au poste de contrôle frontalier américain. Au poste de contrôle frontalier canadien, il a dit aux agents des douanes qu’il n’avait pas en sa possession des espèces ou des effets d’une valeur égale ou supérieure à 10 000 $CAN. Or, une fouille de son véhicule a permis de découvrir 70 000 $CAN en espèces dans des sacs de plastique cachés dans la doublure du hayon arrière de la camionnette. Comme le fait de ne pas déclarer l’importation d’espèces ou d’effets d’une valeur égale ou supérieure à 10 000 $CAN aux agents des douanes constitue une infraction suivant l’article 12 de la Loi, les espèces ont été saisies à titre de confiscation en vertu de l’article 18 de la Loi. Le demandeur a demandé au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile de lui restituer les fonds en vertu de l’article 25 de la Loi, mais le ministre a considéré que la confiscation était justifiée par la Loi. La Cour devait décider si l’obligation de déclarer l’importation d’espèces d’une valeur égale ou supérieure à 10 000 $CAN s’applique à une personne qui n’a pas l’intention subjective d’importer ces espèces.

Jugement : la requête doit être accueillie.

La question du jugement sommaire est régie par les règles 213 à 219 des Règles des Cours fédérales. La Cour fédérale peut rendre un jugement sommaire si la seule véritable question litigieuse est une question de droit, qui sera tranchée sur la foi d’une preuve conjointe.

La seule véritable question litigieuse était une question de droit, à savoir l’interprétation de l’article 12 de la Loi. Étant donné que le mot « importation » n’est pas défini dans la Loi ni dans le Règlement, le législateur voulait que le sens ordinaire de ce mot s’applique. Selon les définitions des dictionnaires, le fait d’introduire des marchandises dans un pays est un acte physique qui n’exige pas l’intention d’importer.

L’obligation de déclaration prévue à l’article 12 de la Loi est analogue à l’obligation de déclarer les marchandises importées figurant à l’article 12 de la Loi sur les douanes. Il ressort de la jurisprudence relative à cette dernière disposition qu’il y a contravention à la Loi sur les douanes quand une déclaration erronée est faite au nom de l’importateur, même si l’erreur n’a pas été faite dans le but de tromper les Douanes. Une erreur commise par inadvertance dans la déclaration des marchandises importées ne porte pas atteinte à la validité de la saisie de ces marchandises. En outre, l’article 3 de la Loi exige la déclaration des importations d’effets et d’espèces. Un système de dépistage est nécessaire à cette fin. Par conséquent, l’article 12 de la Loi n’est pas subordonné à la question de savoir si la personne en cause avait l’intention d’importer les espèces.

Finalement, la Cour fédérale a indiqué, en obiter, que la procédure d’appel prévue au paragraphe 30(1) de la Loi ne permet pas de conclure que l’appel est limité à une seule partie de la décision du ministre (portant sur la question de savoir s’il y a eu contravention à l’article 12) ou que le législateur avait l’intention de créer deux procédures d’appel pour une même décision (portant sur la question de savoir si le ministre avait des motifs raisonnables de soupçonner que les espèces saisies étaient des produits de la criminalité). Le droit d’appel prévu à l’article 30 est libellé en des termes relativement larges et prévoit que la personne qui a présenté une demande au ministre en vertu de l’article 25 peut appeler de « la décision » par voie d’action devant la Cour fédérale. Bien que la demande présentée au ministre ait pour but de déterminer s’il y a eu contravention au paragraphe 12(1) de la Loi, la décision qui peut être portée en appel est prise en application des articles 27, 28 et 29 de la Loi. Selon la méthode moderne d’interprétation des lois, cette interprétation est conforme à l’esprit de la loi, à l’objet de la loi et à l’intention du législateur.

lois et règlements cités

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21, art. 12.

Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, L.C. 2000, ch. 17, art. 1 (mod. par L.C. 2001, ch. 41, art. 48), 3 (mod., idem, art. 50), 12 (mod., idem, art. 54), 18 (mod., idem, art. 134), 25 (mod., idem, art. 61), 26, 27 (mod., idem, art. 62), 28, 29, 30 (mod., idem, art. 139).

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27).

Loi sur les douanes, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 1, art. 12.

Règlement sur la déclaration des mouvements transfrontaliers d’espèces et d’effets, DORS/2002‑412, art. 2.

Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, règles 1 (mod. par DORS/2004‑283, art. 2), 213, 214, 215, 216, 217, 218, 219.

jurisprudence citée

décisions examinées :

Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Pfizer Co. Ltd. c. Sous‑ministre du Revenu national (Douanes et Accise), [1973] C.F. 3 (C.A.); Dokaj c. M.R.N., [2006] 2 R.C.F. 152; 2005 CF 1437.

décision différenciée :

Succession MacNeil c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [2004] 3 R.C.F. 3; 2004 CAF 50.

décisions citées :

Bell c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 471; He c. Canada, [2000] A.C.F. no 93 (1re inst.) (QL); Marstar Canada Inc. c. Canada, [1998] A.C.F. no 1296 (1re inst.) (QL); R. c. Letarte, [1981] 2 C.F. 76 (C.A.).

doctrine citée

Black’s Law Dictionary, 7th ed. St. Paul, Minn. : West Group, 1999, « exportation » « import », « importa-tion ».

Canadian Oxford Dictionary, 2nd ed. Don Mills, Ont. : Oxford Univ. Press, 2004, « import ».

Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed. Toronto : Butterworths, 1983.

REQUÊTE visant à obtenir un jugement sommaire à l’égard de l’action intentée par le demandeur en vertu de l’article 30 de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, par laquelle il interjetait appel de la décision rendue par le ministre en application de l’article 25 de ne pas restituer les fonds confisqués, étant donné que la seule véritable question litigieuse était une question de droit. Requête accueillie.

ont comparu :

Harald A. Mattson pour le demandeur.

Elizabeth N. Kikuchi pour les défendeurs.

avocats inscrits au dossier :

Harald A. Mattson, Kitchener, pour le demandeur.

Le sous‑procureur général du Canada pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance rendus par

[1]Le juge Kelen: Il s’agit d’une requête présentée par les défendeurs afin d’obtenir un jugement sommaire à l’égard de l’action du demandeur, au motif que la seule véritable question litigieuse est une question de droit.

[2]Cette question de droit nécessite l’interprétation du paragraphe 12(1) [mod. par L.C. 2001, ch. 41, art. 54] et de l’alinéa 12(3)a) [mod., idem] de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, L.C. 2000, ch. 17 [art. 1 (mod. par L.C. 2001, ch. 41, art. 48)] (la Loi). Ces dispositions sont libellées ainsi :

12. (1) Les personnes ou entités visées au paragraphe (3) sont tenues de déclarer à l’agent, conformément aux règlements, l’importation ou l’exportation des espèces ou effets d’une valeur égale ou supérieure au montant réglementaire.

[. . .]

(3) Le déclarant est, selon le cas :

a) la personne ayant en sa possession effective ou parmi ses bagages les espèces ou effets se trouvant à bord du moyen de transport par lequel elle est arrivée au Canada ou a quitté le pays ou la personne qui, dans les circonstances réglementaires, est responsable du moyen de transport;

Il faut, en l’espèce, décider si l’obligation de déclarer l’importation d’espèces d’une valeur égale ou supérieure à 10 000 $CAN s’applique à une personne qui n’a pas l’intention subjective d’importer ces espèces.

Faits

[3]Le 13 mars 2004, le demandeur, Van Phat Hoang, traversait le Canada en voiture. Il s’est perdu et a emprunté une route vers les États‑Unis à Pigeon River, en Ontario. Il a fait demi‑tour après avoir traversé la frontière, mais avant d’arriver au poste de contrôle frontalier américain.

[4]Le demandeur a été interrogé par des agents des douanes à son arrivée au poste de contrôle frontalier canadien. Lorsqu’on lui a demandé s’il avait en sa possession des espèces ou des effets d’une valeur égale ou supérieure à 10 000 $CAN, le demandeur a répondu par la négative. Or, une fouille de son véhicule a permis de découvrir 70 000 $CAN en espèces dans des sacs de plastique cachés dans la doublure du hayon arrière de la camionnette.

[5]Le fait de ne pas déclarer l’importation d’espèces ou d’effets d’une valeur égale ou supérieure à 10 000 $ CAN aux agents des douanes constitue une infraction suivant l’article 12 de la Loi. Les espèces ont été saisies à titre de confiscation par les agents des douanes, en vertu de l’article 18 [mod. par L.C. 2001, ch. 41, art. 134] de la Loi.

[6]Le demandeur a demandé au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile de lui restituer les fonds en vertu de l’article 25 [mod., idem, art. 61] de la Loi, lequel prévoit :

25. La personne entre les mains de qui ont été saisis des espèces ou effets en vertu de l’article 18 ou leur propriétaire légitime peut, dans les quatre‑vingt‑dix jours suivant la saisie, demander au ministre de décider s’il y a eu contravention au paragraphe 12(1) en donnant un avis écrit à l’agent qui les a saisis ou à un agent du bureau de douane le plus proche du lieu de la saisie.

Décision du ministre faisant l’objet de l’appel

[7]Par une décision datée du 5 octobre 2004, le ministre a fait savoir au demandeur que les 70 000 $ ne lui seraient pas restitués et que la confiscation était considérée comme justifiée par la Loi [traduction] « en raison de la somme d’argent trouvée, de la façon dont elle était transportée et emballée ainsi que de l’absence de documents établissant son origine légitime ou légale ».

[8]Le demandeur a interjeté appel de la décision du ministre conformément à l’article 30 [mod., idem, art. 139] de la Loi. Cette disposition prévoit que la décision du ministre visée à l’article 25 peut faire l’objet d’un appel par voie d’action devant la Cour fédérale.

Dispositions législatives pertinentes

[9]Les lois suivantes sont pertinentes en l’espèce :

1. la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, L.C. 2000, ch. 17;

2. la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 1.

Les dispositions pertinentes sont reproduites à l’annexe A.

[10]Le montant dont il est question au paragraphe 12(1) est fixé à 10 000 $CAN par le paragraphe 2(1) du Règlement sur la déclaration des mouvements transfrontaliers d’espèces et d’effets, DORS/2002‑412 (le Règlement). Cette disposition est reproduite à l’annexe A.

Thèse du demandeur

[11]Le demandeur affirme qu’il ne savait pas qu’il avait quitté le Canada et que les agents des douanes canadiens ne lui ont rien dit à ce sujet. Il soutient qu’il n’avait pas l’intention de traverser la frontière et de quitter le Canada, de sorte qu’il n’a ni exporté ni importé les espèces en question.

[12]Le demandeur demande instamment à la Cour d’appliquer l’article 12 en tenant compte du contexte et de l’objet de la Loi, qui est de lutter contre le recyclage de l’argent à l’échelle internationale et non de détenir des personnes qui traversent accidentellement la frontière sans avoir l’intention de quitter le Canada. Selon lui, il faut une intention pour qu’il y ait exporta-tion ou importation de marchandises.

[13]Le demandeur s’appuie sur les définitions suivantes du Black’s Law Dictionary, 7e éd. (St. Paul, Minnesota : West Group Co., 1999) :

[traduction]

Importation, n. 1. Un produit introduit dans un pays en provenance d’un pays étranger d’où il provenait.

Importation. Le fait d’introduire dans un pays des marchandises provenant d’un autre pays.

Le demandeur soutient qu’il n’a pas importé les espèces puisque celles‑ci n’ont pas été introduites au Canada [traduction] « en provenance d’un pays étranger d’où [elles] proven[aient] ». En effet, les espèces n’ont jamais été introduites aux États‑Unis et n’ont jamais été importées au Canada en provenance des États‑Unis.

Thèse des défendeurs

[14]Les défendeurs prétendent que le fait qu’une personne ait eu l’intention de traverser la frontière ou non n’est pas pertinent. L’obligation imposée par l’article 12 s’applique à la personne qui quitte le Canada ou y entre avec des espèces ou des effets d’une valeur supérieure à 10 000 $CAN, peu importe son intention. Les défendeurs soutiennent que cette interprétation de l’article 12 est conforme au sens ordinaire des mots « exportation » et « importation » ainsi qu’au contexte et à l’objet de la Loi.

[15]Les défendeurs s’appuient sur la méthode moderne d’interprétation des lois qui est décrite dans l’ouvrage de Driedger, Construction of Statutes (2e éd., 1983) et qui a été approuvée par la Cour suprême du Canada dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27 [au paragraphe 21] :

[traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

[16]Le sens ordinaire des mots « exportation » et « importation » est le suivant, selon le Black’s Law Dictionary : l’« exportation » est [traduction] « [l]’action d’envoyer ou de transporter des marchan-dises d’un pays à un autre » et l’importation est [traduction] « [l]e fait d’introduire dans un pays des marchandises provenant d’un autre pays ». Selon l’interprétation de la Cour suprême du Canada (dans Bell c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 471, une affaire relative aux stupéfiants), importer au Canada signifie faire entrer à un endroit quelconque au Canada des marchandises provenant d’un endroit quelconque à l’extérieur du Canada, ce qui comporte nécessairement le franchissement de la frontière.

[17]Les défendeurs soutiennent que, lorsqu’elle interprète une loi fédérale, la Cour doit avoir à l’esprit l’article 12 de la  Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21. Cette disposition prévoit que tout texte s’interprète de la manière la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.

[18]La Loi a pour objet de repérer les opérations financières douteuses et les mouvements transfrontaliers de grandes quantités d’espèces. Elle ne limite pas le montant d’argent qui peut être introduit au Canada ou sorti du Canada, ni ne rend une telle pratique illégale. Elle crée simplement une obligation de déclaration dans les cas où des sommes égales ou supérieures au montant réglementaire — 10 000 $CAN actuellement — sont importées ou exportées.

[19]Une personne peut importer ou exporter des espèces ou des effets d’une valeur supérieure à ce montant si elle les déclare et si elle est en mesure d’expliquer leur présence. Si elle ne fait pas cette déclaration, un agent des douanes peut saisir les espèces ou les effets à titre de confiscation en vertu de l’article 18 de la Loi. Les fonds saisis peuvent ensuite être restitués à leur propriétaire sur réception du paiement d’une pénalité, sauf s’il y a des motifs raisonnables de soupçonner qu’il s’agit de produits de la criminalité, auquel cas ils seront confisqués au profit de Sa Majesté.

[20]Selon les défendeurs, cette obligation de déclaration s’applique dans tous les cas, peu importe l’intention de la personne concernée. Exiger une intention particulière rendrait inefficace la détection des mouvements transfrontaliers de sommes d’argent. Ce n’est pas ce que le législateur souhaite; il est déraisonnable d’interpréter une loi d’une manière qui va à l’encontre de son objet.

[21]On dit que l’interprétation de l’obligation de déclaration prévue par la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 1, selon laquelle un importateur doit déclarer la quantité et la valeur des marchandises et payer les droits et taxes afférents, peut être utile en l’espèce. Un manquement à cette obligation entraîne une pénalité, peu importe la source de l’erreur ou l’intention de l’importateur. Ni l’absence d’intention de tromper, ni la présence d’une erreur commise par inadvertance ne porte atteinte à la validité de la saisie : voir He c. Canada, [2000] A.C.F. no 93 (1re inst.) (QL). On soutient que l’obligation de déclaration imposée par la Loi est analogue à celle‑ci et que l’intention de la personne en cause n’a aucune importance. On dit que le défaut de faire la déclaration en conformité avec la Loi constitue une infraction, peu importe que la personne ait eu l’intention d’exporter ou d’importer les espèces ou les effets ou non.

Critère servant à déterminer s’il convient de rendre un jugement sommaire

[22]La question du jugement sommaire est régie par les règles 213 à 219 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)]. La règle 216 est particulièrement important en l’espèce :

216. (1) Lorsque, par suite d’une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, elle rend un jugement sommaire en conséquence.

(2) Lorsque, par suite d’une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue que la seule véritable question litigieuse est :

[. . .]

b) un point de droit, elle peut statuer sur celui‑ci et rendre un jugement sommaire en conséquence.

(3) Lorsque, par suite d’une requête en jugement sommaire, la Cour conclut qu’il existe une véritable question litigieuse à l’égard d’une déclaration ou d’une défense, elle peut néanmoins rendre un jugement sommaire en faveur d’une partie, soit sur une question particulière, soit de façon générale, si elle parvient à partir de l’ensemble de la preuve à dégager les faits nécessaires pour trancher les questions de fait et de droit.

[23]La Cour peut rendre un jugement sommaire si la seule véritable question litigieuse est une question de droit qui sera tranchée sur la foi d’une preuve conjointe. La Cour d’appel fédérale a limité les cas dans lesquels un juge peut rendre un jugement sommaire, par crainte que ne soient rendues des décisions inéquitables compte tenu de la preuve : voir Succession MacNeil c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [2004] 3 R.C.F. 3 (C.A.F.). Les faits n’étant pas contestés en l’espèce et la présente instance portant uniquement sur une question de droit, cette mise en garde ne s’applique pas.

Analyse

[24]Les faits ne sont pas contestés en l’espèce. Le seul point en litige est une question de droit. Le demandeur est aussi de cet avis. Conformément au paragraphe 216(1) des Règles des Cours fédérales, j’ai conclu que la seule véritable question litigieuse en l’espèce était une question de droit, à savoir l’interprétation de l’article 12 de la Loi.

[25]Le mot « importation » n’est pas défini dans la Loi ni dans le Règlement. Le législateur voulait donc que le sens ordinaire de ce mot s’applique.

[26]Le sens de l’expression « l’importation […] des espèces » au paragraphe 12(1) de la Loi est une question de droit que la Cour doit trancher à l’aide de dictionnaires. Voir Pfizer Co. Ltd. c. Sous‑ministre du Revenu national (Douanes et Accise), [1973] C.F. 3 (C.A.), où le juge en chef Jackett a écrit à la page 7 :

En droit, le principe général est qu’il y a lieu d’interpréter les textes de lois ou les décrets ayant force de loi, en donnant aux termes leur sens ordinaire et usuel dans le contexte que le sens des mots est une question de droit qui doit être tranchée par la Cour à l’aide de dictionnaires ou d’autres moyens légitimes d’interprétation.

[27]Le demandeur prétend que le terme « importation » désigne le fait d’introduire intentionnel-lement au Canada des espèces d’un autre pays. Avec respect pour l’opinion contraire, la Cour n’est pas de cet avis. Pour connaître le sens grammatical et ordinaire du mot « importation » employé par les Canadiens, la Cour s’est référée à la définition du Canadian Oxford Dictionary, 2e éd. (Toronto (Ontario) : Oxford University Press, 2004). Cet ouvrage définit le verbe « importer » de la façon suivante :

[traduction] [. . .] Introduire (en particulier des marchan-dises ou des services étrangers) dans un pays.

(Le Canadian Oxford Dictionary ne renferme pas de définition d’« importation ».)

Le Black’s Law Dictionary définit le terme « importation » de la façon suivante :

[traduction] Le fait d’introduire dans un pays des marchandises provenant d’un autre pays.

Les définitions parlent de la notion d’introduire des marchandises dans un pays. Il s’agit d’un acte physique. Je ne suis pas d’accord avec le demandeur lorsqu’il prétend que ces définitions exigent une intention.

[28]L’obligation de déclaration prévue à l’article 12 de la Loi est analogue à l’obligation de déclarer les marchandises importées figurant à l’article 12 de la Loi sur les douanes. Il ressort de la jurisprudence concernant cette dernière disposition qu’il y a contravention à la Loi sur les douanes quand une déclaration erronée est faite au nom de l’importateur, même si l’erreur n’a pas été faite dans le but de tromper les Douanes. Une erreur commise par inadvertance dans la déclaration des marchandises ne porte pas atteinte à la validité de la saisie de ces marchandises (voir He c. Canada, le juge Pinard, au paragraphe 8; Marstar Canada Inc. c. Canada, [1998] A.C.F. no 1296 (1re inst.) (QL), le juge Denault, au paragraphe 4 et R. c. Letarte, [1981] 2 C.F. 76 (C.A.F.), à la page 76).

[29]L’analyse de l’objet de la Loi renforce la thèse des défendeurs en l’espèce. Le demandeur affirme que la Loi a pour objet de lutter contre le recyclage de l’argent à l’échelle internationale. Il ne s’agit cependant pas de son seul objet. Comme il est indiqué à l’article 3 [mod. par L.C. 2001, ch. 41, art. 50], la Loi exige la déclaration des importations d’espèces et d’effets. Or, un système de dépistage est nécessaire à cette fin.

[30]J’arrive à la conclusion que l’application de l’article 12 de la Loi n’est pas subordonnée à la question de savoir si la personne en cause avait l’intention d’importer les espèces ou les effets transportés. Le demandeur ne peut invoquer aucun autre moyen de défense concernant son omission de déclarer les espèces transportées. Par conséquent, je dois faire droit à la requête en jugement sommaire.

Obiter

[31]Le demandeur n’a pas contesté, dans le présent appel, la question de savoir si le ministre avait des motifs raisonnables de soupçonner que les espèces saisies étaient des produits de la criminalité. La décision du ministre porte également sur ce point. Dans Dokaj c.  M.R.N., [2006] 2 R.C.F. 152 (C.F.), la Cour a statué que cette partie de la décision du ministre rendue en application de la Loi devait être contestée au moyen d’un contrôle judiciaire conformément à l’article 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7 [art. 1 (mod., idem, art. 14)], et non au moyen d’une action intentée en vertu de l’article 30 de la Loi. La Cour a déclaré que cette dichotomie dans la procédure d’appel était « maladroit[e] et peu commode » et était « injuste » : voir le paragraphe 39 de la décision Dokaj.

[32]J’aimerais mentionner que la procédure d’appel à la Cour fédérale qui est prévue au paragraphe 30(1) de la Loi ne me permet pas de conclure que le législateur avait l’intention de créer deux procédures d’appel à la Cour fédérale pour la même décision ou qu’il aurait accordé à une partie le droit d’interjeter appel de la décision par voie d’action devant la Cour fédérale tout en limitant cet appel à un seul aspect de la décision.

[33]En l’espèce par exemple, la décision du ministre a été prise en application de l’article 27 [mod. par L.C. 2001, ch. 41, art. 62] de la Loi — il y a eu contravention à l’article 12 de la Loi — et de l’article 29 — les espèces saisies d’une valeur de 70 000 $ ont été confisquées. Le droit d’appel prévu à l’article 30 est libellé en des termes relativement larges. Suivant cette disposition, la personne qui a présenté une demande de révision au ministre en vertu de l’article 25 peut en appeler de « la décision » du ministre par voie d’action devant la Cour fédérale. Bien que la demande de révision vise à déterminer s’il y a eu contravention au paragraphe 12(1) de la Loi, la décision qui peut être portée en appel est prise en application des articles 27, 28 ou 29 de la Loi, le droit d’appel étant prévu à l’article 30. Appliquant la méthode moderne d’interprétation des lois, j’estime que mon interprétation est conforme à l’esprit de la loi, à l’objet de la loi et à l’intention du législateur. Une interprétation stricte serait, comme la Cour l’a dit dans Dokaj, « maladroit[e] », « peu commode » et « injuste ». Je ne peux conclure que le législateur souhaitait un tel résultat, et je ne pense pas que le libellé de l’article 30 soit suffisamment clair pour imposer ce résultat.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La requête en jugement sommaire présentée par les défendeurs est accueillie et, en conséquence, l’action est rejetée avec dépens.

ANNEXE A

1.            Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, L.C. 2000, ch. 17

12. (1) Les personnes ou entités visées au paragraphe (3) sont tenues de déclarer à l’agent, conformément aux règlements, l’importation ou l’exportation des espèces ou effets d’une valeur égale ou supérieure au montant réglementaire.

(2) Une personne ou une entité n’est pas tenue de faire une déclaration en vertu du paragraphe (1) à l’égard d’une importation ou d’une exportation si les conditions réglementaires sont réunies à l’égard de la personne, de l’entité, de l’importation ou de l’exportation et si la personne ou l’entité convainc un agent de ce fait.

(3) Le déclarant est, selon le cas :

a) la personne ayant en sa possession effective ou parmi ses bagages les espèces ou effets se trouvant à bord du moyen de transport par lequel elle est arrivée au Canada ou a quitté le pays ou la personne qui, dans les circonstances réglementaires, est responsable du moyen de transport;

b) s’agissant d’espèces ou d’effets importés par messager ou par courrier, l’exportateur étranger ou, sur notification aux termes du paragraphe 14(2), l’importateur;

c) l’exportateur des espèces ou effets exportés par messager ou par courrier;

d) le responsable du moyen de transport arrivé au Canada ou qui a quitté le pays et à bord duquel se trouvent des espèces ou effets autres que ceux visés à l’alinéa a) ou importés ou exportés par courrier;

e) dans les autres cas, la personne pour le compte de laquelle les espèces ou effets sont importés ou exportés.

(4) Une fois la déclaration faite, la personne qui entre au Canada ou quitte le pays avec les espèces ou effets doit :

a) répondre véridiquement aux questions que lui pose l’agent à l’égard des renseignements à déclarer en application du paragraphe (1);

b) à la demande de l’agent, lui présenter les espèces ou effets qu’elle transporte, décharger les moyens de transport et en ouvrir les parties et ouvrir ou défaire les colis et autres contenants que l’agent veut examiner.

(5) L’agent fait parvenir au Centre les déclarations recueillies en application du paragraphe (1).

[. . .]

18. (1) S’il a des motifs raisonnables de croire qu’il y a eu contravention au paragraphe 12(1), l’agent peut saisir à titre de confiscation les espèces ou effets.

(2) Sur réception du paiement de la pénalité réglementaire, l’agent restitue au saisi ou au propriétaire légitime les espèces ou effets saisis sauf s’il soupçonne, pour des motifs raisonnables, qu’il s’agit de produits de la criminalité au sens du paragraphe 462.3(1) du Code criminel ou de fonds destinés au financement des activités terroristes.

(3) L’agent qui procède à la saisie‑confiscation prévue au paragraphe (1) :

a) donne au saisi, dans le cas où les espèces ou effets sont importés ou exportés autrement que par courrier, un avis écrit de la saisie et du droit de révision et d’appel établi aux articles 25 et 30;

b) donne à l’exportateur, dans le cas où les espèces ou effets sont importés ou exportés par courrier et son adresse est connue, un avis écrit de la saisie et du droit de révision et d’appel établi aux articles 25 et 30;

c) prend les mesures convenables, eu égard aux circonstances, pour aviser de la saisie toute personne dont il croit, pour des motifs raisonnables, qu’elle est recevable à présenter, à l’égard des espèces ou effets saisis, la requête visée à l’article 32.

(4) Il suffit, pour que l’avis visé à l’alinéa (3)b) soit considéré comme signifié, qu’il soit envoyé en recommandé à l’exportateur.

[. . .]

25. La personne entre les mains de qui ont été saisis des espèces ou effets en vertu de l’article 18 ou leur propriétaire légitime peut, dans les quatre‑vingt‑dix jours suivant la saisie, demander au ministre de décider s’il y a eu contravention au paragraphe 12(1) en donnant un avis écrit à l’agent qui les a saisis ou à un agent du bureau de douane le plus proche du lieu de la saisie.

26. (1) Le commissaire signifie sans délai par écrit à la personne qui a présenté la demande visée à l’article 25 un avis exposant les circonstances de la saisie à l’origine de la demande.

(2) Le demandeur dispose de trente jours à compter de la signification de l’avis pour produire tous moyens de preuve à l’appui de ses prétentions.

27. (1) Dans les quatre‑vingt‑dix jours qui suivent l’expiration du délai mentionné au paragraphe 26(2), le ministre décide s’il y a eu contravention au paragraphe 12(1).

(2) Dans le cas où des poursuites pour infraction de recyclage des produits de la criminalité ou pour infraction de financement des activités terroristes ont été intentées relativement aux espèces ou effets saisis, le ministre peut reporter la décision, mais celle‑ci doit être prise dans les trente jours suivant l’issue des poursuites.

(3) Le ministre signifie sans délai par écrit à la personne qui a fait la demande un avis de la décision, motifs à l’appui.

28. Si le ministre décide qu’il n’y a pas eu de contravention au paragraphe 12(1), le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, dès qu’il est informé de la décision du ministre, restitue la valeur de la pénalité réglementaire, les espèces ou effets ou la valeur de ceux‑ci au moment de la saisie, selon le cas.

29. (1) S’il décide qu’il y a eu contravention au paragraphe 12(1), le ministre, aux conditions qu’il fixe  :

a) soit décide de restituer les espèces ou effets ou, sous réserve du paragraphe (2), la valeur de ceux‑ci à la date où le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux est informé de la décision, sur réception de la pénalité réglementaire ou sans pénalité;

b) soit décide de restituer tout ou partie de la pénalité versée en application du paragraphe 18(2);

c) soit confirme la confiscation des espèces ou effets au profit de Sa Majesté du chef du Canada, sous réserve de toute  ordonnance  rendue  en application des articles 33 ou 34.

Le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, dès qu’il en est informé, prend les mesures nécessaires à l’application des alinéas a) ou b).

(2) En cas de vente ou autre forme d’aliénation des espèces ou effets en vertu de la Loi sur l’administration des biens saisis, le montant de la somme versée en vertu de l’alinéa (1)a) ne peut être supérieur au produit éventuel de la vente ou de l’aliénation, duquel sont soustraits les frais afférents exposés par Sa Majesté; à défaut de produit de l’aliénation, aucun paiement n’est effectué.

30. (1) La personne qui a présenté une demande en vertu de l’article 25 peut, dans les quatre‑vingt‑dix jours suivant la communication de la décision, en appeler par voie d’action devant la Cour fédérale à titre de demandeur, le ministre étant le défendeur.

(2) La Loi sur les Cours fédérales et les règles prises aux termes de cette loi applicables aux actions ordinaires s’appliquent aux actions intentées en vertu du paragraphe (1), avec les adaptations nécessaires occasionnées par les règles propres à ces actions.

(3) Le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, dès qu’il en a été informé, prend les mesures nécessaires pour donner effet à la décision de la Cour.

(4) En cas de vente ou autre forme d’aliénation des espèces ou effets en vertu de la Loi sur l’administration des biens saisis, le montant de la somme qui peut être versée en vertu du paragraphe (3) ne peut être supérieur au produit éventuel de la vente ou de l’aliénation, duquel sont soustraits les frais afférents exposés par Sa Majesté; à défaut de produit de l’aliénation, aucun paiement n’est effectué.

2.            Loi sur les douanes, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 1

12. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, ainsi que des circonstances et des conditions prévues par règlement, toutes les marchandises importées doivent être déclarées au bureau de douane le plus proche, doté des attributions prévues à cet effet, qui soit ouvert.

3.             Règlement sur la déclaration des mouvements trans-frontaliers d’espèces et d’effets, DORS/2002‑412

2. (1) Pour l’application du paragraphe 12(1) de la Loi, les espèces ou effets dont l’importation ou l’exportation doit être déclarée doivent avoir une valeur égale ou supérieure à 10 000 $.

(2) La valeur de 10 000 $ est exprimée en dollars canadiens ou en son équivalent en devises selon :

a) le taux de conversion officiel de la Banque du Canada publié dans son Bulletin quotidien des taux de change en vigueur à la date de l’importation ou de l’exportation;

b) dans le cas où la devise ne figure pas dans ce bulletin, le taux de conversion que le déclarant utiliserait dans le cours normal de ses activités à cette date.

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