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T‑64‑02

2005 CF 1630

La Société canadienne des postes (demanderesse)

c.

United States Postal Service (défenderesse)

Répertorié : Société canadienne des postes c. United States Postal Service (C.F.)

Cour fédérale, juge Mactavish—Ottawa, 4 et 5 octobre et 30 novembre 2005.

Marques de commerce — Contrôle judiciaire de la décision du registraire des marques de commerce de donner un avis public d’adoption et emploi de marques officielles par la United States Postal Service (USPS), empêchant ainsi la Société canadienne des postes (SCP), en vertu de l’art. 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce, d’employer ces marques ou des marques similaires en liaison avec ses marchandises et services postaux, sauf pour ce qui est des marques qu’elle employait déjà avant l’avis public — 1) L’autorité publique mentionnée à l’art. 9(1)n)(iii) doit‑elle être une autorité publique au Canada? — Ce terme n’est pas défini dans la Loi — Application de la règle d’interprétation fondée sur le sens commun — La version française de la disposition est retenue — Les marques officielles sont disponibles seulement pour les autorités publiques au Canada — Cette conclusion est étayée par le reste de l’art. 9(1) et par l’examen de l’historique de l’art. 9(1)n)(iii) — La décision Société canadienne des postes c. Post Office, statuant que l’art. 9(1)n)(iii) de la Loi n’est pas restreint aux autorités publiques au Canada, n’a pas été suivie car elle a été rendue avant que la C.A.F. ne décide qu’il ne faut pas donner un sens extensif à l’art. 9(1)n)(iii) — La Convention pour la protection de la propriété industrielle ne s’applique pas car elle ne vise pas les marques officielles — 2) La USPS est‑elle une autorité publique au Canada? — Il ne suffit pas que l’organisme en question soit assujetti à des contrôles à l’extérieur du Canada — Une autorité publique doit être assujettie à des contrôles à l’intérieur du Canada — La USPS n’est pas assujetti à de tels contrôles, et n’est donc pas une autorité publique au Canada — Demande rejetée.

Interprétation des lois — L’art. 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce interdit à quiconque d’adopter une marque « adopté[e] et employé[e] par une autorité publique au Canada comme marque officielle » — L’« autorité publique » doit‑elle être une autorité publique au Canada? — Le terme n’étant pas défini dans la Loi, il faut examiner le libellé de la disposition — Il y a ambiguïté dans la version anglaise, à savoir si les mots « in Canada » visent à qualifier les mots « adopted and used » ou les mots « by any public authority » — La version française n’est pas ambiguë — En application de la règle d’interprétation fondée sur le sens commun, le sens de la version française est retenu : les mots « in Canada » qualifient les mots « by any public authority » — Cette conclusion est étayée par un examen de l’historique de l’art. 9(1)n)(iii) et des dispositions qui l’ont précédé dans la Loi sur la concurrence déloyale — L’examen révèle que la virgule créant une ambiguïté a fait sa première apparition dans la version de la Loi publiée dans les Lois révisées du Canada de 1985 — La virgule a été introduite à l’occasion d’une modification de nature administrative par la Commission de révision des lois en vertu de la Loi sur la révision des lois, qui ne permet pas à la Commission d’en modifier le fond — L’insertion de la virgule ne semble pas découler d’un choix réfléchi du législateur — L’examen de l’art. 9 dans son ensemble conduit à la conclusion que le législateur, s’il avait voulu que l’art. 9(1)n)(iii) s’applique à l’égard des autorités publiques étrangères, l’aurait dit explicitement dans la Loi.

La Société canadienne des postes (SCP) demandait le contrôle judiciaire de la décision par laquelle le registraire des marques de commerce a donné un avis public d’adoption et emploi de 13 marques officielles par la société United States Postal Service (USPS), interdisant ainsi à la SCP, en vertu du sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce, d’employer, en liaison avec ses marchandises et services postaux, l’une ou l’autre de ces marques ni aucune marque similaire, sauf pour ce qui est des marques qu’elle employait déjà avant la date à laquelle le registraire a donné son avis public.

La question était de savoir si la USPS avait le droit de se prévaloir du sous‑alinéa 9(1)n)(iii) en ce qui a trait aux marques officielles. Pour répondre à cette question, il fallait d’abord répondre aux deux questions suivantes : 1) le sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi exige‑t‑il que l’« autorité publique » soit une autorité publique au Canada, et 2) la USPS est‑elle une « autorité publique » au sens du sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi?

Jugement : la demande doit être accueillie.

1) La principale exigence concernant la publication d’une marque officielle est que la partie qui en fait la demande doit être une « autorité publique ». Cette expression n’est pas définie dans la Loi. Il fallait donc examiner le libellé du sous‑alinéa 9(1)n)(iii) pour vérifier si l’« autorité publique » doit être une autorité publique au Canada. Or, les versions anglaise et française du sous‑alinéa 9(1)n)(iii) ne sont pas identiques. En anglais, en raison de la virgule après « public authority », il n’est pas clair si les mots « in Canada » visent à qualifier les mots « adopted and used » ou les mots « by any public authority ». La version française est claire : les mots « au Canada » qualifient l’expression « une autorité publique ». Comme l’a affirmé la Cour suprême du Canada, l’interprétation des lois bilingues doit se faire en appliquant la règle du sens commun aux deux versions, de sorte que c’est le sens du texte français qui a été retenu. De plus, le texte français renvoie à « une autorité publique » et non pas à « any public authority ». Encore une fois, en appliquant la règle du sens commun aux deux versions, c’est la version française, dont le sens est plus restreint, qui a été retenue.

La conclusion selon laquelle l’autorité publique dont il est question au sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi doit être une autorité publique au Canada était étayée par l’examen de l’historique législatif de ce sous‑alinéa et des dispositions qui l’ont précédé dans la Loi sur la concurrence déloyale. Cet examen a révélé que la virgule figurant dans la version anglaise actuelle de cette disposition et qui créait une ambiguïté avait fait sa première apparition dans la version de la Loi publiée dans les Lois révisées du Canada de 1985. La virgule a été introduite dans la disposition à l’occasion d’une des modifications de nature administrative permises par la Loi sur la révision des lois, qui ne permet pas d’en modifier le fond. L’insertion de la virgule ne semblait donc pas découler d’un choix réfléchi du législateur. Ce facteur militait encore davantage pour l’adoption du sens formulé dans la version française de cette disposition, qui reflète plus fidèlement l’intention du législateur lorsqu’il a adopté le sous‑alinéa 9(1)n)(iii).

Enfin, l’examen du paragraphe 9(1) de la Loi dans son ensemble a conduit à la conclusion qu’il y avait lieu de lire les mots « in Canada » en conjonction avec les mots « any public authority ». Si le législateur avait voulu que le sous‑alinéa 9(1)n)(iii) s’applique à l’égard des autorités publiques étrangères, il l’aurait dit explicitement dans la Loi.

La décision de la Cour dans Société canadienne des postes c. Post Office, dans laquelle la Cour a statué que le sous‑alinéa 9(1)n)(iii) n’est pas restreint aux « autorités publiques du Canada », n’a pas été suivie, car elle a été rendue avant que la Cour d’appel fédérale ne décide dans l’affaire Ordre des architectes de l’Ontario c. Assn. of Architectural Technologists qu’il faut se garder de donner un sens extensif au sous‑alinéa 9(1)n)(iii), compte tenu des pouvoirs étendus conférés par cette disposition.

La Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle, que le Canada a ratifiée en 1951, prévoit que les ressortissants de chacun des pays de l’Union jouiront dans tous les autres pays de l’Union, en ce qui concerne la protection de la propriété industrielle, de la même protection que celle alors garantie par la loi. La protection conférée aux autorités publiques en vertu du sous‑alinéa 9(1)n)(iii) est une création essentiellement canadienne. La Convention de Paris n’est d’aucune utilité à la USPS car elle ne vise pas à protéger ces types de marques (c’est‑à‑dire les marques officielles).

2) Le critère pour décider si un organisme est une « autorité publique » a été articulé dans l’arrêt Ordre des architectes de l’Ontario. Premièrement, la Cour doit décider si l’organisme en question est assujetti au contrôle gouvernemental. Deuxièmement, elle doit évaluer la mesure dans laquelle le public profite des activités de l’organisme. La question en l’espèce n’était pas de savoir si la USPS était une autorité publique, mais de savoir si elle était une autorité publique au Canada. Il n’y avait aucune jurisprudence traitant de la question de savoir si le contrôle gouvernemental doit être exercé par un gouvernement canadien, ou s’il suffit que l’organisme dont il est question soit assujetti à un contrôle gouvernemental à l’extérieur du Canada. Étant donné que les avantages étendus réservés aux titulaires de marques officielles n’existent qu’à l’intérieur des limites géographiques du Canada, tout préjudice causé aux propriétaires de marques de commerce et au public sera causé à des propriétaires canadiens de marques de commerce et au public canadien. Par conséquent, pour satisfaire au critère établi dans l’arrêt Ordre des architectes de l’Ontario, l’autorité publique doit être assujettie à un contrôle gouvernemental à l’intérieur du Canada. La USPS n’était pas assujetti à un tel contrôle et n’était donc pas une autorité publique au Canada au sens du sous‑alinéa 9(1)n)(iii).

lois et règlements cités

Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle, 20 mars 1883, révisée à Bruxelles le 14 décembre 1900, à Washington le 2 juin 1911, à La Haye le 6 novembre 1925, à Londres le 2 juin 1934, à Lisbonne le 31 octobre 1958 et à Stockholm le 14 juillet 1967, et modifiée le 28 septembre 1979, art. 1, 2, 6ter.

Loi sur la concurrence déloyale, 1932, S.C. 1932, ch. 38, art. 14(1)j).

Loi sur la révision des lois, L.R.C. (1985), ch. S‑20, art. 6e),f),h).

Loi sur la Société canadienne des postes, L.R.C. (1985), ch. C‑10, art. 5(1)a), (2)e).

Loi sur la Société canadienne des postes, S.C. 1980-81-82-83, ch. 54.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18.1(1) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).

Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T‑13, art. 2 «Convention», 9(1) (mod. par L.C. 1990, ch. 14, art. 8; 1993, ch. 15, art. 58; ch. 44, art. 226; 1994, ch. 47, art. 191; 1999, ch. 31, art. 209(F)), 11, 12 (mod. par L.C. 1990, ch. 20, art. 81; 1993, ch. 15, art. 59(F); 1994, ch. 47, art. 193).

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

Postal Reorganization Act, 39 U.S.C. § 101, 201 (2000).

jurisprudence citée

décision non suivie :

Société canadienne des postes c. Post Office, [2001] 2 C.F. 63 (1re inst.).

décisions appliquées :

Ordre des architectes de l’Ontario c. Assn. of Architectural Technologists of Ontario, [2003] 1 C.F. 331; 2002 CAF 218; Big Apple Ltd. c. Bab Holdings, Inc., 2002 CFPI 72; [2002] A.C.F. no 89 (QL); Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); Esteban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 539; 2005 CSC 51.

décisions examinées :

United Grain Growers Ltd. c. Lang Michener, [2001] 3 C.F. 102; 2001 CAF 66; Congrès juif canadien c. Chosen People Ministeries, Inc., [2003] 1 C.F. 29; 2002 CFPI 613; conf. par 2003 CAF 272; [2003] A.C.F. no 980 (C.A.) (QL); Insurance Corporation of British Columbia c. Registraire des marques de commerce, [1980] 1 C.F. 669 (1re inst.).

décisions citées :

Independent Contractors and Business Assn. c. Canada (Ministre du Travail), [1998] A.C.F. no 352 (C.A.) (QL); FileNET Corp. c. Canada (Registraire des marques de commerce), [2002] 1 C.F. 266; 2001 CFPI 865; Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F. 145 (C.A.); Mihaljevic c. Colombie‑Britannique (1988), 23 C.P.R. (3d) 80; 22 F.T.R. 59 (C.F. 1re inst.) (QL); Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; MacDonald et al. c. Vapour Canada Ltd., [1977] 2 R.C.S. 134; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Salomon v. Commissioners of Customs and Excise, [1967] 2 Q.B. 116 (C.A.); National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324.

doctrine citée

Sullivan, Ruth. Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4th ed. Toronto : Butterworths, 2002.

Hughes, Roger T. Hughes on Trade Marks, 2nd ed. Markham : LexisNexis Canada, 2005.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision du registraire des marques de commerce de donner un avis public d’adoption et emploi de marques officielles par la société United States Postal Service, interdisant à quiconque, en application du sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce, d’adopter ces marques. Demande accueillie.

ont comparu :

A. David Morrow et Jeremy E. Want pour la demanderesse.

Anthony M. Prenol et Antonio Turco pour la défenderesse.

avocats inscrits au dossier :

Smart & Biggar, Ottawa, pour la demanderesse.

Blake, Cassels & Graydon, s.r.l., Toronto, pour la défenderesse.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance rendus par

[1]La juge Mactavish : La Société canadienne des postes (SCP) demande le contrôle judiciaire des décisions par lesquelles le registraire des marques de commerce a donné un avis public d’adoption et emploi par la société United States Postal Service (USPS) de 13 marques officielles, soit « United States Postal Service », « Express Mail », « First‑class Mail », « Standard A Mail », « Standard B Mail », « Parcel Select », « Priority Mail », « Global Priority Mail », « Delivery Confirmation », « Signature Confirmation », « Global Express Guaranteed », « Netpost », et de son dessin « Eagle Design ».

[2]En conséquence de ces décisions du registraire des marques de commerce, la SCP ne peut employer, en liaison avec ses marchandises et services postaux, aucune des marques énumérées ci‑dessus ni aucune marque qui présente avec elles une grande ressemblance, sauf pour ce qui est des marques qu’elle employait déjà avant les dates à lesquelles le registraire a donné dans le Journal des marques de commerce un avis public de leur adoption et emploi au Canada comme marques officielles par USPS.

[3]La SCP soutient que la défenderesse USPS n’a pas droit à des marques officielles parce qu’elle n’est pas une autorité publique au Canada. Elle prétend aussi que USPS n’a pas adopté ni employé les marques en cause en liaison avec des marchandises ou services au Canada avant leur date de publication. Subsidiairement, la SCP affirme que USPS n’a aucun droit découlant d’un emploi antérieur de ces marques au Canada parce qu’un tel emploi était illégal étant donné qu’il contrevenait aux dispositions de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T‑13 [la Loi], de la Loi sur la Société canadienne des postes, L.R.C. (1985), ch. 10 et de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

[4]La SCP prétend en outre que l’approbation par le registraire de la publication de certaines des marques est contraire à l’ordre public parce que ces marques sont identiques ou essentiellement identiques aux termes usuels couramment employés par d’autres sociétés de services postaux pour désigner divers produits et services. Certains de ces termes, selon la SCP, sont aussi employés comme termes génériques dans la documentation de l’Union postale universelle, un organisme qui regroupe diverses administrations postales.

[5]Pour les motifs exposés ci‑dessous, je suis d’avis d’accueillir la demande car je suis convaincue que USPS n’a pas droit à des marques officielles parce qu’elle n’est pas une « autorité publique » au Canada au sens du sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce.

Les parties

[6]La Société canadienne des postes, une société d’État créée en 1981 par la Loi sur la Société canadienne des postes [S.C. 1980-81-82-83, ch. 54], a succédé à l’ancien ministère des Postes du gouvernement du Canada. La SCP a pour mission, notamment, de créer et d’exploiter un service postal au Canada, d’assurer les prestations ainsi que la réalisation et la fourniture des produits utiles à son exploitation et d’assurer les prestations dont elle s’estime capable sans inconvénient pour la réalisation des autres objectifs de sa mission.

[7]Le gouvernement fédéral continue d’exercer un contrôle considérable sur la SCP. Par exemple, le président de la Société ainsi que les administrateurs et le président du conseil d’administration sont nommés par le gouverneur en conseil.

[8]L’alinéa 5(2)e) de la Loi sur la Société canadienne des postes prévoit que, dans l’exercice de sa mission, la SCP doit mettre en œuvre, pour ce qui la concerne et selon les modalités approuvées par le gouverneur en conseil, le programme de symbolisation fédérale.

[9]United States Postal Service est une institution autonome relevant du pouvoir exécutif du gouvernement américain. Cette institution a été créée pour offrir des services de livraison et de distribution du courrier partout dans le monde ainsi que d’autres services complémentaires comme des services de consultation. La mission essentielle de USPS est [traduction] « la prestation de services postaux destinés à souder la nation en permettant aux gens qui la composent de communiquer entre eux à des fins personnelles, éducatives, littéraires et commerciales » : [Postal Reorganization Act], 39 U.S.C. § 101(a) (2000).

Historique des procédures

[10]À l’origine, la SCP a engagé la présente instance à titre de [traduction] « demande de contrôle judiciaire et appel ». Cependant, compte tenu de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Ordre des architectes de l’Ontario c. Assn. of Architectural Technologists of Ontario, [2003] 1 C.F. 331 (C.A.), elle reconnaît maintenant que, n’ayant pas été partie à la procédure initiale devant le registraire des marques de commerce, elle n’a pas qualité pour interjeter appel des décisions en litige. Par conséquent, il s’agit essentielle-ment d’une demande de contrôle judiciaire.

La qualité de la SCP pour présenter la demande de contrôle judiciaire

[11]USPS admet que la SCP a un intérêt suffisant pour contester les décisions du registraire en présentant une demande de contrôle judiciaire relativement à 11 des marques officielles en litige. Toutefois, USPS soutient que la SCP n’est pas « directement touchée » par les décisions du registraire concernant le nom « United States Postal Service » et le dessin « Eagle Design » (dessin d’un aigle). En conséquence, USPS est d’avis que la SCP n’a pas qualité pour contester les décisions du registraire de donner un avis public quant à ces deux marques.

[12]Le paragraphe 18.1(1) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7 [art. 1, mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14], confère qualité pour présenter une demande de contrôle judiciaire à « quiconque est directement touché par l’objet de la demande ». Une partie est réputée avoir été « directement touchée » par une décision lorsque cette décision pourrait lui conférer un avantage ou lui infliger un préjudice de façon directe : Independent Contractors and Business Assn. c. Canada (Ministre du Travail), [1998] A.C.F. no 352 (C.A.) (QL), au paragraphe 30.

[13]En l’espèce, je suis convaincue que la SCP a un intérêt suffisamment direct dans l’attribution de la marque officielle « United States Postal Services » pour se voir reconnaître qualité pour solliciter un redresse-ment en présentant une demande de contrôle judiciaire. En vertu de l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur la Société canadienne des postes, la mission de la Société comprend le relevage, la transmission et la distribution de courrier dans le régime intérieur et dans le régime international, ce qui inclurait les États‑Unis. Du fait de la publication de la marque officielle « United States Postal Service », les possibilités pour la SCP d’associer les mots « United States » et « postal service » dans la promotion de ses services seront restreintes, ce qui la gênera dans l’accomplissement de la mission que lui confie la loi et, dès lors, nuira directement à ses intérêts.

[14]Je suis également convaincue que la SCP est directement touchée par la décision du registraire concernant le dessin « Eagle Design » de USPS. Il convient, à cet égard, de reproduire le « Eagle Design » :

Image

[15]La SCP est propriétaire d’une marque officielle et d’une marque de commerce toutes deux connues sous le nom « Wing Design ». La SCP a abondamment employé cette marque au Canada en liaison avec les services qu’elle propose. Le dessin « Wing Design » est reproduit ci‑dessous :

Image

[16]USPS et la SCP emploient toutes les deux leur marque respective en liaison avec le relevage, le traitement et la distribution de courrier et, selon USPS, toutes deux offrent au moins certains de ces services au Canada. Chacune des deux marques consiste en la représentation stylisée d’un objet en vol, pointant vers la droite et comportant des traits suggérant la vitesse et la célérité. Dans les circonstances, je suis convaincue que les ressemblances entre les deux marques sont suffisantes pour que la décision du registraire soit susceptible d’infliger à la SCP un préjudice de façon directe.

[17]Ces facteurs m’apparaissent suffisants pour reconnaître à la SCP qualité pour contester la décision du registraire concernant la marque « Eagle Design » : voir FileNET Corp. c. Canada (Registraire des marques de commerce), [2002] 1 C.F. 266 (1re inst.).

Le contexte

[18]Suivant la preuve, USPS fait la promotion de ses services au Canada depuis 1999. De plus, des employés de USPS viennent régulièrement au Canada pour promouvoir et vendre les services de USPS à des clients au Canada dont le volume d’envois vers les États‑Unis est important. USPS offre des services de consultation aux entreprises au Canada et prête son concours pour la préparation et la distribution de courrier destiné aux États‑Unis.

[19]Une fois que ce courrier est prêt pour la distribution, USPS le fait transporter par camions affrétés à cette fin à son unité postale la plus proche aux États‑Unis. Le courrier est ensuite placé dans le système postal de USPS et, de là, acheminé vers sa destination finale aux États‑Unis.

[20]Par voie de lettres datée du 21 juin et du 17 octobre 2001, USPS a demandé au registraire des marques de commerce de donner, conformément au sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce, un avis au public indiquant qu’elle avait adopté et employait les marques en litige comme « marques officielles » pour des marchandises et services.

[21]Le registraire des marques de commerce a répondu en demandant à USPS de fournir la preuve de son statut d’autorité publique. USPS a alors transmis copie d’extraits du 39 U.S.C. § 201 (2000), qui établit que USPS est une institution indépendante du gouvernement des États‑Unis. Le registraire n’a soulevé aucune question quant à savoir si USPS était une autorité publique au Canada.

[22]Bien que le registraire n’ait rendu aucune décision formelle sur cette question, il appert qu’il a accepté que USPS est une autorité publique aux fins de l’application du sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce, puisqu’il a donné un avis public relativement à 12 des 13 marques concernées dans le Journal des marques de commerce du 12 décembre 2001. Le registraire a publié l’avis relatif à la marque « Netpost » dans le Journal [Vol. 49, no 2463] du 9 janvier 2002. Ce sont les décisions du registraire de donner cet avis public qui sont à l’origine de la présente demande de contrôle judiciaire.

Les questions en litige

[23]Comme il a été mentionné au début de la présente décision, la SCP a soulevé plusieurs questions en ce qui a trait au droit de USPS aux marques officielles en cause. Il s’agit notamment de la question préalable de savoir si le registraire a conclu à tort que USPS est une autorité publique aux fins de l’application du sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce.

[24]Pour les motifs énoncés ci‑dessous, j’estime que la réponse à cette question est déterminante quant à l’issue de la demande et qu’il est donc inutile d’exami-ner les autres questions en litige.

La norme de contrôle

[25]Pour décider si USPS a le droit de se prévaloir du sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce relativement à des marques officielles, il faut répondre à deux questions.

[26]La première question est celle de savoir si, interprété correctement, le sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce exige que l’« autorité publique » soit une autorité publique au Canada. Il s’agit là d’une question d’interprétation législative. Comme l’a fait remarquer la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt United Grain Growers Ltd c. Lang Michener, [2001] 3 C.F. 102, au paragraphe 9, les questions relatives à l’interprétation de la Loi sur les marques de commerce ne relèvent pas du champ d’expertise du registraire des marques de commerce.

[27]De plus, dans la décision Big Apple Ltd. c. Bab Holdings, Inc., 2002 CFPI 72, au paragraphe 8, la Cour a statué que la norme de contrôle applicable aux décisions du registraire des marques de commerce qui soulèvent des questions de droit est celle de la décision correcte. Je souscris à cette conclusion.

[28]La seconde question est celle de savoir si USPS est elle‑même une « autorité publique » au sens du sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce. Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit, pour laquelle la norme de contrôle applicable serait normalement celle de la décision raisonnable, étant donné que USPS n’a pas déposé devant la Cour une preuve additionnelle qui aurait pu avoir un effet sur les conclusions de fait du registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire : Brasseries Molson c. John Labatt Ltée., [2000] 3 C.F. 145 (C.A.), au paragraphe 51.

[29]Toutefois, pour répondre à cette question mixte de fait et de droit, il importe de bien comprendre ce que signifie l’expression « autorité publique » utilisée dans la loi ainsi que la portée du critère qui permet d’établir si un organisme particulier est effectivement une « autorité publique ». Il s’agit de pures questions de droit à l’égard desquelles la norme de contrôle applicable est aussi celle de la décision correcte.

Les principes régissant les marques officielles en vertu de la Loi sur les marques de commerce

[30]Les marques officielles sont, de toute évidence, un concept essentiellement canadien et sont régies par les dispositions du sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce, dont voici le texte :

9. (1) Nul ne peut adopter à l’égard d’une entreprise, comme marque de commerce ou autrement, une marque composée de ce qui suit, ou dont la ressemblance est telle qu’on pourrait vraisemblablement la confondre avec ce qui suit :

[. . .]

n) tout insigne, écusson, marque ou emblème :

[. . .]

(iii) adopté et employé par une autorité publique au Canada comme marque officielle pour des marchandises ou services,

à  l’égard  duquel  le  registraire,  sur  la  demande  de [. . .] [l’]autorité publique [. . .], a donné un avis public d’adoption et emploi; [Non souligné dans l’original.]

[31]Le sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi interdit l’adoption de marques officielles par des tiers, alors que l’article 11 interdit l’emploi des marques par des tiers et l’article 12 [mod. par L.C. 1990, ch. 20, art. 81; 1993, ch. 15, art. 59(F); 1994, ch. 47, art. 193], l’enregistre-ment par des tiers.

[32]Le sous‑alinéa 9(1)n)(iii) confère aux titulaires de marques officielles une protection étendue qui comporte notamment des avantages importants dont ne jouissent pas les propriétaires de simples marques de commerce : Ordre des architectes de l’Ontario, au paragraphe 4. Par exemple, il n’est pas nécessaire qu’une marque officielle distingue des marchandises ou des services; elle peut être simplement descriptive et elle peut créer de la confusion avec la marque d’un tiers : Ordre des architectes de l’Ontario, au paragraphe 63.

[33]Une fois qu’un avis public a été donné au sujet de l’adoption et de l’emploi d’une marque officielle, la marque est [traduction] « résistante et pratiquement ineffaçable » : Mihaljevic c. British Columbia (1988), 23 C.P.R. (3d) 80 (C.F. 1re inst.), à la page 89.

[34]Ces considérations ont amené la Cour d’appel fédérale à déclarer qu’il faut se garder de donner au sous‑alinéa 9(1)n)(iii) un sens extensif : Ordre des architectes de l’Ontario, au paragraphe 64.

[35]La principale exigence concernant la publication d’une marque officielle est que la partie qui en fait la demande doit être une « autorité publique » : Congrès juif canadien c. Chosen People Ministries, Inc., [2003] 1 C.F. 29 (1re inst.);  conf. par 2003 CAF 272. L’expression « autorité publique » n’est pas définie dans la Loi.

[36]La SCP reconnaît que USPS est une autorité publique, mais elle fait néanmoins valoir que USPS n’a pas le droit de se prévaloir du sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce parce qu’elle n’est pas une autorité publique au Canada. USPS prétend au contraire être une autorité publique et avoir adopté et employé les marques en question au Canada. USPS affirme donc avoir droit à la protection étendue réservée aux marques officielles.

[37]La première question consiste donc à savoir si, interprété correctement, le sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce exige que, pour se prévaloir de cette disposition, l’autorité publique soit une autorité publique au Canada.

L’autorité publique doit‑elle être une autorité publique au Canada?

[38]Pour répondre à cette question, il convient d’examiner le libellé du sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce. Il faut aussi tenir compte de la mise en garde de la Cour suprême du Canada qui a rappelé que, en matière d’interprétation législative, il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global, en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur : voir Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21.

[39]En l’espèce, l’interprétation de la disposition concernée se complique du fait que ses versions anglaise et française ne sont pas identiques.

[40]Il convient de noter, à cet égard, que la version anglaise du sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce indique que, pour être une marque officielle légitime, une marque doit avoir été « adopted and used by any public authority, in Canada as an official mark for wares or services ».

[41]Toutefois, la version française de cette disposition prévoit que la marque doit avoir été « adopté[e] et employé[e] par une autorité publique au Canada comme marque officielle pour des marchandises ou services ».

[42]Dans la version anglaise, comme on le voit, une virgule est placée après les mots « public authority ». Il en résulte une certaine ambiguïté puisqu’il n’est pas tout à fait clair si les mots « in Canada » visent à qualifier les mots « adopted and used » ou les mots « by any public authority ».

[43]En revanche, l’absence de virgule dans la version française du sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi établit clairement que la marque officielle doit avoir été « adopté[e] et employé[e] par une autorité publique au Canada » [non souligné dans l’original].

[44]Comme l’a récemment réaffirmé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); Esteban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 539, au paragraphe 25, l’interprétation des lois bilingues doit se faire en appliquant la règle du sens commun aux deux versions. Autrement dit, lorsque les deux versions d’une loi bilingue ne disent pas la même chose, le sens commun, qui est généralement le sens le plus restreint, doit prévaloir, à moins qu’il ne soit inacceptable pour quelque raison. Voir aussi Ruth Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd., (Toronto: Butterworths, 2002), à la page 80.

[45]En l’espèce, la version anglaise de la disposition législative peut avoir deux significations alors que la version française ne peut en avoir qu’une. En conséquence, appliquant la règle du sens commun, je suis convaincue que les mots « in Canada » / « au Canada » viennent préciser les mots « by any public authority » / « par une autorité publique ». Il en découle que, pour avoir droit à une marque officielle, l’autorité publique doit être une autorité publique au Canada.

[46]USPS souligne également que la version anglaise du sous‑alinéa 9(1)n)(iii) vise « any public authority » [non souligné dans l’original] et que, en conséquence, la protection conférée par cette disposition ne doit pas être limitée aux autorités publiques au Canada. Si c’était le cas, selon USPS, la loi comporterait les mots « Canadian public authority » ou, à tout le moins, le mot « a » aurait été employé plutôt que le mot « any » pour qualifier « public authority ».

[47]Les versions anglaise et française de la disposition législative diffèrent sur ce point également. La version française du sous‑alinéa 9(1)n)(iii) est exactement conforme à cet égard à ce qui, selon USPS, permettrait de donner à la loi le sens restreint préconisé par la SCP. La version française, en effet, parle d’« une autorité publique ». Autrement dit, la version française du sous‑alinéa 9(1)n)(iii) emploie en fait le mot « une » pour qualifier « autorité publique ».

[48]Appliquant, cette fois encore, la règle du sens commun, je suis d’avis qu’il y a lieu de retenir la version française plus restreinte et qu’il faut comprendre que seules les autorités publiques au Canada ont droit aux marques officielles.

[49]Ma conclusion à cet égard est étayée par l’examen de l’historique législatif du sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce et des dispositions qui l’ont précédé dans la Loi sur la concurrence déloyale, 1932, S.C. 1932, ch. 38 [alinéa 14(1)j)], qui révèlent que la virgule figurant dans la version anglaise actuelle de cette disposition n’y figurait pas à l’origine. Cette virgule a fait sa première apparition dans la Loi sur les marques de commerce publiée dans les Lois révisées du Canada de 1985, L.R.C., ch. T‑13.

[50]Il semble que la virgule a été introduite dans la disposition à l’occasion d’une des modifications de nature administrative permises par la Loi sur la révision des lois, L.R.C. (1985), ch. S‑20. L’alinéa 6e) de cette Loi autorise la Commission de révision des lois à « apporter à la forme des lois les changements nécessaires à l’uniformité de l’ensemble, sans en modifier le fond » [non souligné dans l’original]. De même, la Commission peut apporter à la forme des lois les améliorations mineures « nécessaires pour mieux exprimer l’intention du Parlement » (alinéa 6f)). Là encore, cependant, la Commission doit se garder de modifier le fond d’une disposition. L’alinéa 6h) de la Loi sur la révision des lois permet aussi à la Commission de corriger les erreurs de présentation, de grammaire ou de typographie dans les lois.

[51]En d’autres termes, l’insertion de la virgule dans la version anglaise du sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce ne semble pas découler d’un choix réfléchi du législateur, mais bien plutôt d’une mesure administrative de la Commission de révision des lois, mesure qui a eu pour effet de créer une ambiguïté entre les versions française et anglaise de la loi. À mon avis, ce facteur milite pour l’adoption du sens formulé dans la version française de cette disposition, qui reflète plus fidèlement l’intention du législateur.

[52]Enfin, l’examen du paragraphe 9(1) dans son ensemble conduit lui aussi à la conclusion qu’il y a lieu de lire les mots « in Canada » en conjonction avec les mots « any public authority » ou « une autorité publique » plutôt qu’avec les mots « adopted and used » ou « adopté et employé ».

[53]Il appert, à cet égard, qu’il est possible de classer les dispositions du paragraphe 9(1) en quatre catégories :

1. les dispositions qui interdisent l’emploi d’une marque ou d’un symbole particulier : par exemple, les alinéas 9(1)a), b), c), f) [mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 58], g) [mod., idem], h), h.1) [édicté par L.C. 1990, ch. 14, art. 8], j), k), l), m);

2. les dispositions par lesquelles le législateur vise clairement les institutions étrangères, comme les alinéas 9(1)i) [mod. par L.C. 1994, ch. 47, art. 191], i.1) [édicté par L.C. 1993, ch. 15, art. 58; 1994, ch. 47, art. 191] et i.2) [édicté par L.C. 1993, ch. 15, art. 58; ch. 44, art. 226], qui s’appliquent expressément à l’égard d’« un pays de l’Union » et l’alinéa 9(1)i.3) [édicté par L.C. 1993, ch. 15, art. 58; 1994, ch. 47, art. 191], qui concerne expressément une « organisation intergouver-nementale internationale »;

3. les dispositions par lesquelles le législateur vise uniquement des institutions canadiennes : par exemple, le sous‑alinéa 9(1)n)(iii), qui s’applique expressément à l’égard d’une « autorité publique au Canada » / « public authority, in Canada »; le sous‑alinéa 9(1)n)(i), qui vise expressément « l’une des forces de Sa Majesté telles que les définit la Loi sur la défense nationale »; l’alinéa 9(1)e), qui s’applique expressément à l’égard du « Canada » ou d’« une province ou municipalité au Canada »; l’alinéa 9(1)o), qui vise expressément la « Gendarmerie royale du Canada » et l’alinéa 9(1)n.1) [édicté par L.C. 1993, ch. 15, art. 58; 1999, ch. 31, art. 209(F)], qui concerne expressément le « gouverneur général »;

4. les dispositions destinées à s’appliquer à l’égard de n’importe quel organisme, où qu’il se trouve : par exemple, le sous‑alinéa 9(1)n)(ii), qui s’applique à l’égard « d’une université ».

[54]Compte tenu de cette analyse, on peut penser que, si le législateur avait voulu que le sous‑alinéa 9(1)n)(iii) s’applique à l’égard des autorités publiques étrangères, il l’aurait dit explicitement dans la Loi. À tout le moins, on ne s’attendrait pas, dans ce cas, à trouver dans la disposition la précision « au Canada ».

[55]Par conséquent, je suis convaincue que, interprété correctement, le sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce exige que, pour avoir droit à une marque officielle, l’institution qui la revendique soit une autorité publique au Canada.

[56]Pour étayer sa position selon laquelle elle a le droit de se prévaloir du sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce, USPS invoque la décision Société canadienne des postes c. Post Office, [2001] 2 C.F. 63 (1re inst.), dans laquelle la Cour a statué que cette disposition n’est pas restreinte aux « autorités publiques du Canada » [au paragraphe 44].

[57]Il convient de souligner que cette décision a été rendue avant que la Cour d’appel fédérale ne se prononce dans l’affaire Ordre des architectes de l’Ontario, où elle a statué qu’il faut se garder de donner un sens extensif au sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce, compte tenu des pouvoirs étendus conférés par cette disposition.

[58]En outre, mon interprétation de cette disposition n’est pas nécessairement incompatible avec la conclusion de la Cour dans la décision Post Office. À mon avis, pour se prévaloir du sous‑alinéa 9(1)n)(iii), l’autorité publique doit être une autorité publique au Canada, alors que la conclusion de la Cour dans Post Office était en un sens un peu différente en ce qu’elle indiquait que cette disposition législative n’est pas restreinte aux autorités publiques du Canada.

[59]Dans la mesure, cependant, où mon interprétation de la disposition en litige peut être incompatible avec celle énoncée dans Post Office, je dois, en toute déférence et pour les motifs exposés ci‑dessus, ne pas suivre cette dernière.

[60]Avant d’examiner si USPS est une autorité publique au Canada, je dois traiter d’un autre argument avancé par cette dernière. Pour étayer sa prétention qu’il suffit, aux fins du sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce, que l’autorité publique ait adopté et employé les marques en question au Canada, USPS affirme que toute autre interprétation contreviendrait aux dispositions relatives au « traitement national » de la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle du 20 mars 1883, telle qu’elle a été révisée.

[61]Le paragraphe pertinent de l’article 2 de la Convention prévoit ce qui suit :

Article 2

1) Les ressortissants de chacun des pays de l’Union jouiront dans tous les autres pays de l’Union, en ce qui concerne la protection de la propriété industrielle, des avantages que les lois respectives accordent actuellement ou accorderont par la suite aux nationaux, le tout sans préjudice des droits spécialement prévus pour la présente Convention. En conséquence, ils auront la même protection que ceux‑ci et le même recours légal contre toute atteinte portée à leurs droits, sous réserve de l’accomplissement des conditions et formalités imposées aux nationaux.

[62]L’article premier de la Convention précise que la « propriété industrielle » a pour objet « les brevets d’invention, les modèles d’utilité, les dessins ou modèles industriels, les marques de fabrique ou de commerce, les marques de service, le nom commercial et les indications de provenance ou appellations d’origine ».

[63]Le Canada a ratifié la Convention de Paris [Loi de Londres de 1934] le 26 juin 1951, et l’article 2 de la Loi sur les marques de commerce inclut la Convention dans la section des définitions. Cependant, la Convention n’a pas été incorporée dans le droit canadien : voir MacDonald et al. c. Vapour Canada Ltd., [1977] 2 R.C.S. 134, aux pages 167 à 172. (Voir aussi Hughes on Trade Marks, 2e éd., 2005, au paragraphe 5.) Néanmoins, les instruments internatio-naux peuvent servir à interpréter le droit interne, même lorsqu’ils n’ont pas été officiellement incorporés dans le droit canadien : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.

[64]Dans ce contexte, USPS soutient que toute ambiguïté dans la Loi sur les marques de commerce doit être résolue en donnant à la loi une interprétation conforme aux obligations internationales du Canada : Salomon c. Commissioners of Customs and Excise, [1967] 2 Q.B. 116 (C.A.), à la page 143, et National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324, à la page 1371.

[65]J’estime que les dispositions de la Convention de Paris ne sont d’aucune utilité à USPS. Bien que l’expression « marque officielle » soit employée couramment dans son acception générique pour désigner la catégorie de marques visées par l’article 9 de la Loi sur les marques de commerce, la seule occurrence de l’expression « marque officielle » dans la Loi se trouve au sous‑alinéa 9(1)n)(iii).

[66]Comme je l’ai déjà dit, la protection conférée aux autorités publiques en vertu du sous‑alinéa 9(1)n)(iii) est une création essentiellement canadienne. Peut‑être est‑ce la raison pour laquelle la Convention de Paris ne traite pas des véritables « marques officielles » comme celles dont il est question au sous‑alinéa 9(1)n)(iii) et restreint la portée de son objet aux éléments suivants : « les marques de fabrique ou de commerce, les marques de service, le nom commercial et les indications de provenance ou appellations d’origine ».

[67]L’élément qui, dans la Convention de Paris, se rapproche le plus d’une marque officielle est la protection qu’accorde l’article 6ter de la Convention aux emblèmes d’État, comme les armoiries et les drapeaux, ainsi qu’aux signes officiels de contrôle et aux emblèmes d’organisations intergouvernementales. Il s’agit là de marques bien différentes de celles dont il est question en l’espèce.

[68]Je suis donc convaincue que la Convention de Paris ne s’étend pas au genre de marques officielles qui font l’objet du présent litige. De ce fait, il n’y a pas en l’espèce de conflit avec les dispositions relatives au « traitement national » dans la Convention de Paris.

[69]Il reste à examiner si USPS est une autorité publique au Canada.

USPS est‑elle une autorité publique au Canada?

[70]Comme il a été mentionné plus haut dans la présente décision, l’expression « autorité publique » n’est pas définie dans la Loi sur les marques de commerce. C’est plutôt la jurisprudence qui a établi le critère servant à déterminer ce qu’est une autorité publique.

[71]Dans l’arrêt Ordre des architectes de l’Ontario, la Cour d’appel fédérale a énoncé un critère à deux volets pour déterminer si un organisme est une « autorité publique » aux fins du sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce. Premièrement, la Cour doit décider si l’organisme en question est assujetti au contrôle gouvernemental et, deuxièmement, elle doit évaluer la mesure dans laquelle le public profite des activités de l’organisme (aux paragraphes 47 à 53).

[72]Il n’y a aucun doute que USPS est une autorité publique dans l’acception générale du terme, en ce qu’elle a été constituée par le pouvoir exécutif du gouvernement américain pour offrir un service au public. La question est de savoir si USPS est une « autorité publique » au Canada aux fins de l’application du sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce.

[73]En d’autres termes, la présente affaire soulève la question de savoir si le « contrôle gouvernemental » dont fait état l’arrêt Ordre des architectes de l’Ontario doit être exercé par un gouvernement canadien ou s’il suffit que l’organisme dont il est question soit assujetti à un contrôle gouvernemental à l’extérieur du Canada.

[74]Il semble n’y avoir aucune jurisprudence traitant précisément de ce point. La seule décision portée à mon attention qui se rapporte expressément à une autorité publique étrangère est Post Office. La question du contrôle gouvernemental n’a pas été examinée dans cette affaire. Néanmoins, dans l’arrêt Congrès juif canadien c. Chosen People Ministries, Inc., la Cour devait décider si un organisme religieux américain constituait une autorité publique aux fins de l’application du sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce. En répondant par la négative à cette question, la Cour a tenu compte du fait que le gouvernement canadien n’a aucun droit de regard dans la manière dont les églises conduisent leurs affaires.

[75]Avant d’aborder cette question, il convient de rappeler que la Cour d’appel fédérale a fait remarquer que le sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce confère des avantages très importants auxquels n’ont pas droit les propriétaires de marques de commerce. À ces avantages s’ajoute un risque de préjudice pour les propriétaires de marques de commerce et le public. C’est pourquoi la Cour d’appel a conclu qu’il faut se garder de donner un sens extensif à cette disposition : Ordre des architectes de l’Ontario, aux paragraphes 63 et 64.

[76]Compte tenu de ces principes, il convient de mentionner les observations suivantes du juge Cattanach dans la décision Insurance Corporation of British Columbia c. Registraire des marques de commerce, [1980] 1 C.F. 669 (1re inst.), à la page 684 :

Une autorité publique se lance dans l’entreprise de fournir au public des marchandises et des services et pour ce faire, adopte une marque officielle. Après quoi, tout le monde se voit interdire l’emploi de cette marque. Ce qui revient à dire que, de sa propre initiative, elle s’approprie ladite marque sans aucune autre restriction ou contrôle que sa propre conscience et la volonté que le corps électoral exprimera éventuellement par les moyens dont il dispose. [Non souligné dans l’original.]

[77]Étant donné que les avantages étendus réservés aux titulaires de marques officielles n’existent qu’à l’intérieur des limites géographiques du Canada, tout préjudice causé aux propriétaires de marques de commerce et au public sera causé à des propriétaires canadiens de marques de commerce et au public canadien.

[78]Dans ce contexte, je ne doute pas que la volonté du corps électoral dont parlait le juge Cattanach doit être celle d’un corps électoral canadien.

[79]Je conclus donc que, pour satisfaire au critère établi par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Ordre des architectes de l’Ontario, l’autorité publique doit être assujettie à un contrôle gouvernemental à l’intérieur du Canada. Comme je ne dispose d’aucun élément de preuve indiquant qu’un ordre de gouvernement au Canada exerce un degré de pouvoir ou de contrôle sur quelque aspect des activités de USPS, je suis convaincue que USPS n’est pas une autorité publique aux fins de l’application du sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce. De ce fait, USPS n’a pas le droit de se prévaloir du sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce.

Conclusion

[80]Pour ces motifs, la demande est accueillie. Les décisions du registraire de donner un avis public d’adoption et emploi des marques en question sont annulées.

ORDONNANCE

LA COUR :

1. Déclare que USPS n’est pas une « autorité publique » au Canada aux fins de l’application du sous‑alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce;

2. Déclare que les marques suivantes :

- « United States Postal Service‑Express Mail »

- « First‑class Mail »

- « Standard A Mail »

- « Standard B Mail »

- « Parcel Select »

- « Priority Mail »

- « Global Priority Mail »

- « Delivery Confirmation »

- « Signature Confirmation »

- « Global Express Guaranteed »

- « Netpost »

- le dessin « Eagle Design » de USPS

ne sont pas des marques officielles;

3. Ordonne que les décisions du registraire de donner un avis public d’adoption et emploi des marques suivantes :

- « United States Postal Service‑Express Mail »

- « First‑class Mail »

- « Standard A Mail »

- « Standard B Mail »

- « Parcel Select »

- « Priority Mail »

- « Global Priority Mail »

- « Delivery Confirmation »

- « Signature Confirmation »

- « Global Express Guaranteed »

- « Netpost »

‑ le dessin « Eagle Design » de USPS

soient annulées.

4. Aucuns dépens n’ont été demandés; en conséquence, aucuns dépens ne sont adjugés.

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