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A-149-05

2006 CAF 107

Addison & Leyen Ltd., Concrest Corporation Ltd., John Joseph Dietrich, Jeannette Marie Dietrich, Rofamco Investments Ltd., Wilfred Daniel Roach et Helen Ann Roach (appelants)

c.

Sa Majesté la Reine du Chef du Canada et l’Agence des douanes et du revenu du Canada (intimées)

Répertorié  : Addison & Leyen Ltd. c. Canada (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juges Rothstein, Sharlow et Malone, J.C.A.—Vancouver, 18 janvier; Ottawa, 15 mars 2006.

Impôt sur le revenu — Cotisation — Obligation fiscale du fait d’autrui en vertu de l’art. 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu —  Appel d’un jugement de la Cour fédérale accueillant une requête en radiation d’une demande de contrôle judiciaire de cotisations établies en 2001 en vertu de l’art. 160, qui obligeaient chacun des appelants à assumer, en totalité ou en partie, l’obligation fiscale de la débitrice fiscale découlant de transactions survenues en 1989 —  Les appelants ont produit des avis d’opposition à l’encontre de chacune des cotisations fondées sur l’art. 160, mais le ministre n’y avait pas encore donné suite —  L’obligation fiscale fondée sur l’art. 160 de la Loi est une sorte de responsabilité du fait d’autrui —  Distinction marquée entre l’obligation fiscale principale et l’obligation fiscale du fait d’autrui — Conditions qui doivent être réunies sous le régime de l’art. 160 —  Une cotisation établie en vertu de l’art. 160 n’est assujettie à aucun délai de prescription  — Le ministre a le pouvoir discrétionnaire d’établir ou non une cotisation en vertu de l’art. 160 —  La Cour fédérale a compétence pour annuler une cotisation fiscale —  La demande de contrôle judiciaire devrait être renvoyée à la Cour fédérale — Appel accueilli.

Compétence de la Cour fédérale — Le ministre du Revenu national a établi une cotisation à l’encontre des appelants en vertu de l’art. 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu — La Couronne a soutenu que la demande de contrôle judiciaire devrait être radiée parce que la réparation demandée n’était pas du ressort de la Cour fédérale — L’art. 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales restreint la compétence de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire  — Il s’agissait de savoir si l’art. 18.5 interdit à la Cour fédérale de connaître d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur une allégation d’exercice inapproprié, de la part du ministre, de son pouvoir discrétionnaire d’établir une obligation fiscale du fait d’autrui en vertu de l’art. 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu — L’art. 18.5 est suffisamment explicite dans le cas des cotisations fondées sur l’art. 152 de la Loi de l’impôt sur le revenu —  Toutefois, il n’est pas suffisamment explicite pour interdire à la Cour fédérale de connaître d’une demande de contrôle judiciaire du pouvoir discrétionnaire du ministre d’établir une cotisation en vertu de l’art. 160 — La Cour fédérale avait le pouvoir d’annuler la cotisation fiscale.

Il s’agissait d’un appel d’un jugement de la Cour fédérale accueillant la requête des intimées visant à radier une demande de contrôle judiciaire de cotisations établies en 2001 en vertu de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu. L’article 160 permet que la dette fiscale d’une personne (le débiteur fiscal) soit attribuée à une deuxième personne si trois conditions sont réunies  : 1) la deuxième personne a un lien de dépendance avec le débiteur fiscal (ou a moins de dix-huit ans, ou est le conjoint du débiteur fiscal), 2) le débiteur fiscal a transféré un bien à la deuxième personne en contrepartie d’une valeur inférieure à la juste valeur marchande de ce bien, et 3) le débiteur fiscal a une obligation fiscale principale impayée pour l’année durant laquelle le transfert a eu lieu, ou pour une année antérieure. Si ces conditions sont réunies, le débiteur fiscal et la deuxième personne sont solidairement tenus d’acquitter la dette fiscale, jusqu’à concurrence de la juste valeur marchande du bien transféré. L’article 160 est un outil de recouvrement des impôts qui vise à empêcher les débiteurs fiscaux de mettre leurs actifs hors de la portée du fisc.

La société au centre du litige, la débitrice fiscale principale, s’appelait York Beverages (1968) Ltd. (York). Les appelants étaient des actionnaires de York qui avaient reçu des paiements au titre de dividendes, d’honoraires et d’allocations avant que la société cesse d’exercer ses activités en septembre 1989. Après avoir versé tous ces montants, York n’avait plus d’actifs, sinon assez de liquidités pour acquitter la dette fiscale estimative se rapportant à son dernier exercice, soit environ 2,8 millions de dollars. La société a reçu une nouvelle cotisation en 1992 pour un total de 3,2 millions de dollars. Au mois de février 2001, la dette fiscale de York, y compris des intérêts et une pénalité, totalisait environ 6,7 millions de dollars; le ministre a imposé chacun des appelants, en vertu de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu, pour une partie ou la totalité de cette dette. Chacune des 21 cotisations était fondée sur la prémisse du ministre selon laquelle les appelants avaient reçu des paiements directs ou indirects de York pendant ou après son exercice clos le 28 septembre 1989. Ces cotisations ont fait en sorte que chacun des appelants était légalement tenu d’assumer, en totalité ou en partie, l’obligation fiscale d’une société se rapportant à des transactions survenues en 1989. Les appelants ont allégué que la décision d’établir une cotisation à leur égard en vertu de l’article 160 constituait un exercice inapproprié d’un pouvoir discrétionnaire, qui leur a causé un préjudice indu parce qu’il leur était difficile, voire impossible, de se prévaloir de leur droit légal d’être indemnisés par la débitrice fiscale, étant donné les 12 ans qui s’étaient écoulés. Les intimées ont soutenu que la demande de contrôle judiciaire devrait être radiée parce que la réparation demandée par les appelants n’est pas du ressort de la Cour fédérale. Cet argument était fondé sur l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales, qui restreint le pouvoir de la Cour fédérale de connaître d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision administrative dans la mesure où cette décision est susceptible d’appel en vertu d’une loi fédérale.

Arrêt : (le juge Rothstein, J.C.A., dissident), l’appel est accueilli.

La juge Sharlow, J.C.A. (le juge Malone, J.C.A. souscrivant à ses motifs)  : La présente affaire soulevait pour la première fois la question de savoir si l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales interdit à la Cour fédérale de connaître d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur une allégation d’exercice inapproprié, de la part du ministre, de son pouvoir discrétionnaire d’établir l’obligation fiscale du fait d’autrui d’une personne en vertu de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu. L’expression « obligation fiscale principale  » s’entend de l’impôt qu’une personne doit payer en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu relativement à son propre revenu, et elle se distingue de l’« obligation fiscale du fait d’autrui  » découlant de l’application de l’article 160 qui, dans certaines circonstances, rend une personne solidairement responsable de l’obligation fiscale principale d’une autre personne. L’article 160 est généralement considéré comme un moyen de recouvrement draconien pour plusieurs raisons, dont l’absence d’un délai de prescription pour établir une cotisation en vertu de l’article 160; le fait que le ministre peut exercer son pouvoir discrétionnaire d’établir ou non une cotisation en vertu de l’article 160 à l’encontre d’un débiteur fiscal sans avoir d’abord employé ou épuisé d’autres moyens de recouvrement; on peut établir une cotisation en vertu de l’article 160 sans alléguer ou prouver une intention d’évasion fiscale, et la personne visée ne peut opposer une défense de diligence raisonnable; l’obligation fiscale principale d’une personne pour une année d’imposition naît à la fin de l’année, alors que l’article 160 peut s’appliquer à un transfert de biens qui survient n’importe quand durant cette année; et la Loi de l’impôt sur le revenu ne contient aucune disposition permettant au bénéficiaire d’un transfert de biens d’obtenir, à l’avance, une décision exécutoire rapide quant à un assujettissement éventuel à l’article 160. La principale caractéristique de l’article 160 est que le ministre a le pouvoir discrétionnaire de l’appliquer ou non. Cela signifie, par exemple, qu’une personne qui a reçu un dividende d’une société familiale risque automatiquement d’être tenue responsable de payer l’obligation fiscale principale de la société qui est antérieure ou contemporaine à l’année du versement du dividende. Il était loisible au législateur d’édicter une loi qui fait courir à une personne le risque perpétuel d’être assujettie à l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu en rapport avec une transaction donnée, et ce, à l’entière discrétion du ministre qui peut décider d’établir ou de ne pas établir une cotisation. Toutefois, le législateur doit employer un libellé clair et explicite pour priver une telle personne de la possibilité de se prévaloir de la protection minimale que lui confère le droit de demander le contrôle judiciaire de l’exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire. Il a été jugé que l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales est suffisamment explicite dans le cas des cotisations fondées sur l’article 152 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Toutefois, l’article 18.5 n’est pas suffisamment explicite en ce qui a trait aux cotisations fondées sur l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu, compte tenu de l’étendue du pouvoir discrétionnaire qu’a le ministre de recourir à l’article 160, du fait que l’article 160 est essentiellement un outil de recouvrement et non de cotisation, et compte tenu de la compétence limitée de la Cour de l’impôt pour superviser les actes des fonctionnaires du fisc dans le cadre d’un appel d’une cotisation fondée sur l’article 160. L’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales n’empêche pas la Cour fédérale de connaître d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de l’exercice, par le ministre, de son pouvoir discrétionnaire d’établir une cotisation en vertu de l’article 160.

La Cour de l’impôt peut annuler une cotisation dans le cadre d’un appel en matière d’impôt sur le revenu si elle est jugée incorrecte en droit ou en fait. Si la Cour fédérale peut connaître de la demande de contrôle judiciaire dans la présente affaire, aucune loi ni aucun principe de droit n’empêcherait la Cour d’accorder une réparation analogue s’il est statué que le ministre a abusé de son pouvoir discrétionnaire. Le droit d’interjeter appel d’une cotisation fondée sur l’article 160 devant la Cour canadienne de l’impôt n’est pas le recours approprié pour corriger les irrégularités que les appelants disent avoir été commises par le ministre dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’établir les cotisations en vertu de l’article 160. Comme ces allégations, même si elles sont prouvées, ne peuvent toucher le bien-fondé des cotisations fondées sur l’article 160, la Cour canadienne de l’impôt n’a pas compétence pour connaître de ces allégations ni pour y remédier. De même, le droit de demander un redressement discrétionnaire au ministre sous forme de renonciation aux intérêts n’était pas un recours approprié en l’espèce. Compte tenu de la jurisprudence, il était impossible de conclure que si les appelants avaient été empêchés de demander un contrôle judiciaire, une action en dommages-intérêts aurait constitué un autre recours approprié. Les appelants n’ont pas établi non plus que les cotisations fondées sur l’article 160 devaient être annulées. La demande de contrôle judiciaire des appelants devrait être renvoyée à la Cour fédérale pour audition.

Le juge Rothstein, J.C.A. (dissident)  : Le retard de la part du ministre à établir une cotisation fondée sur l’article 160 n’est pas susceptible d’examen par la Cour fédérale par voie de contrôle judiciaire. Selon le paragraphe 160(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, « [l]e ministre peut, en tout temps, établir une cotisation à l’égard d’un contribuable pour toute somme payable en vertu du présent article ». Les mots « en tout temps  » signifient qu’il n’y a pas de délai de prescription qui s’applique. Le ministre peut établir une cotisation en tout temps et, par conséquent, le moment où la cotisation est établie ne peut pas faire l’objet d’un contrôle judiciaire. La Loi de l’impôt sur le revenu contient, lorsque le législateur estime qu’ils sont appropriés, des délais de prescription et des moyens de défense fondés sur la diligence raisonnable ou autres. Il ne l’a pas fait au paragraphe 160(2). Les affaires où la Cour est intervenue parce que le délai déraisonnable donnait lieu à un résultat inéquitable ne prévoyaient pas de disposition législative allant dans le sens contraire. Une telle disposition législative existe au paragraphe 160(2). Dans une situation où le libellé d’un texte législatif se prête à une interprétation ayant ou non pour résultat une obligation perpétuelle, l’interprétation rejetant l’obligation perpétuelle refléterait normalement l’intention la plus probable du législateur. Toutefois, lorsque les mots employés par le législateur ne se prêtent pas à une telle autre interprétation, la Cour est liée par le libellé employé par le législateur. C’est le cas pour les mots « en tout temps  ». Comme le paragraphe 160(1) s’applique dans des circonstances précises et limitées, le législateur voulait manifestement que le ministre puisse recouvrer les montants transférés dans ces circonstances limitées afin de régler l’obligation fiscale du premier contribuable, auteur du transfert, et qu’il n’y ait pas de délai de prescription ni aucune autre condition applicable au moment de la cotisation par le ministre. Le résultat draconien des cotisations fondées sur l’article 160 laisse entendre que celui-ci a une portée excessive. La portée excessive de l’article 160 est une question qui relève du législateur, ou peut-être, dans la mesure où il existe, du pouvoir discrétionnaire du ministre en ce qui a trait aux intérêts et à la pénalité. Ce n’est pas une question qui relève des tribunaux, et plus particulièrement, d’un contrôle judiciaire par la Cour fédérale.

lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.

Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appendice III, art. 1.

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 116, 150, 151, 152 (mod. par L.C. 1998, ch. 19, art. 181; 1999, ch. 22, art. 63.1), 159(2) (mod. par L.C. 1998, ch. 19, art. 185), 160 (mod., idem, art. 186; 2000, ch. 12, ann. 2, art. 1), 161 (mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. VIII, art. 96; 1997, ch. 25, art. 50), 165 (mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. VIII, art. 98), 166, 166.1 (édicté, idem, ann. II, art. 139), 166.2 (édicté, idem), 167 (mod., idem), 169(1)b) (mod., idem, art. 140) 171, 220 à 244, 220(3.1) (édicté, idem, art. 181; ann. VIII, art. 127), 222, 225.1 (mod., idem, ann. II, art. 184), 227.1(2) (mod., idem, ann. V, art. 90), (3), 249(4).

Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1948, ch. 52, art. 49A (édicté par S.C. 1951, ch. 51, art. 17).

Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 160 (mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 140, art. 107).

Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1.

Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2000, ch. 8, art. 14), 2(1) « office fédéral » (mod., idem, art. 15), 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26); 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27), 18.5 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2000, ch. 8, art. 28), 27 (mod., idem, art. 34).

jurisprudence citée

décisions examinées :

Webster c. Canada, 2003 CAF 388; autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2004] 1 R.C.S. xv; Burton (Her Majesty’s Collector of Taxes) v. Mellham Limited, [2006] UKHL 6; Markevich c. Canada, [2003] 1 R.C.S. 94; 2003 CSC 9; Reg. v. Inland Revenue Comrs., Ex parte Preston, [1985] A.C. 835 (H.L.); Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307; 2000 CSC 44.

décisions citées :

David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (C.A.); Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959; Galway c. Ministre du Revenu national, [1974] 1 C.F. 600 (C.A.); Hillier c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 197; Bolton c. Canada, [1996] A.C.F. no 820 (C.A.) (QL); Ginsberg c. Canada, [1996] 3 C.F. 334 (C.A.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [1997] 1 R.C.S. viii; Main Rehabilitation Co. Ltd. c. Canada, 2004 CAF 403; autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2005] 1 R.C.S. xii; Canada c. O’Neill Motors Ltd., [1998] 4 C.F. 180 (C.A.); Markevich c. Canada, [1999] 3 C.F. 28 (1re inst.); infirmée [2001] 3 C.F. 449 (C.A.); conf. [2003] 1 R.C.S. 94; Ministre du Revenu national c. Parsons, [1984] 2 C.F. 331 (C.A.); Walker c. Canada, 2005 CAF 393; Mullins c. Canada, [1991] 2 C.T.C. 2503; (1991), 91 DTC 173 (C.C.I.); Fournier c. Canada (1991), 91 DTC 743  (C.C.I.); Groupe d’investissement Savoie, Lavoie, Inc. c. Canada (1992), 92 DTC 1519 (C.C.I.); Algoa Trust c. Canada, [1993] A.C.I. no 15 (C.C.I.) (QL); Davis c. Canada, [1994] A.C.I. no 242 (C.C.I.) (QL); McClurg c. Canada, [1990] 3 R.C.S. 1020; Gaucher c. Canada, [2000] A.C.F. no 1869 (C.A.) (QL); Obonsawin c. Canada, 2004 CCI 3; appel abandonné, 2005 CAF 5; Canada c. Grenier, [2006] 2 R.C.F. 287; 2005 CAF 348; Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038.

doctrine citée

Thivierge, Manon. « Emerging Income Tax Issues : Substance over Form Revisited, Section 160 of the Income Tax Act, and Series of Transactions » in  Report of Proceedings of the Forty-Fifth Tax Conference, 1993 Conference Report. Toronto : Association canadienne d’études fiscales, 1994.

APPEL d’un jugement de la Cour fédérale (2005 CF 411) accueillant la requête des intimées visant à radier une demande de contrôle judiciaire de certaines décisions rendues par des fonctionnaires de l’Agence des douanes et du revenu du Canada, à titre de mandataires du ministre du Revenu national. Appel accueilli.

ont comparu  :

Roderick A. McLennan, c.r. et Curtis R. Stewart, pour les appelants.

William L. Softley et Marta E. Burns, pour les intimées.

avocats inscrits au dossier  :

McLennan Ross LLP, Calgary, et Bennett Jones LLP, Calgary, pour les appelants.

Le sous-procureur général du Canada pour les intimées.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]La juge sharlow, J.C.A. : Il s’agit d’un appel d’un jugement rendu par la Cour fédérale (2005 CF 411) accueillant la requête des intimées (collectivement, la Couronne) visant à radier une demande de contrôle judiciaire de certaines décisions rendues par un ou plusieurs fonctionnaires de l’Agence des douanes et du revenu du Canada, à titre de mandataires du ministre du Revenu national. La demande visait un certain nombre de cotisations d’impôt établies en vertu de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1. L’article 160 est un outil de recouvrement des impôts. Il vise à empêcher les débiteurs fiscaux de mettre leurs actifs hors de la portée du fisc en les transférant à des amis. Il est généralement admis que l’article 160 est une disposition draconienne (voir le paragraphe 65 plus loin).

[2]Les cotisations fondées sur l’article 160 qui font l’objet de la présente affaire font en sorte que chacun des appelants est légalement tenu d’assumer, en totalité ou en partie, l’obligation fiscale d’une société (la débitrice fiscale) se rapportant à des transactions survenues en 1989. Le ministre a établi les cotisations à l’égard des appelants en 2001. Les appelants allèguent que dans les circonstances particulières de l’espèce, la décision d’établir une cotisation à leur égard en vertu de l’article 160 constitue un exercice inapproprié du pouvoir discrétionnaire du ministre, lequel leur a causé un préjudice indu parce qu’il leur était difficile, voire impossible, de se prévaloir de leur droit légal d’être indemnisés par la débitrice fiscale, étant donné les 12 ans qui se sont écoulés.

[3]La Couronne soutient que la demande de contrôle judiciaire doit être radiée en l’absence d’audience parce que le recours demandé par les appelants n’est pas du ressort de la Cour fédérale. Cet argument est fondé sur l’article 18.5 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 28] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7 [art. 1 (mod., idem, art. 14)], qui restreint le pouvoir de la Cour fédérale de se saisir d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision administrative dans la mesure où cette décision est susceptible d’appel en vertu d’une loi fédérale.

[4][Note de l’arrêtiste : La table des matières a été supprimée pour raisons de brièveté.]

A. Le critère applicable à la radiation d’une demande

[5]Une demande introduisant une procédure som-maire ne doit pas être radiée sans qu’il y ait d’audience, à moins qu’elle ne soit manifestement irrégulière au point de n’avoir aucune chance d’être accueillie : David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (C.A.). Si la barre est placée si haut, c’est qu’il est habituellement plus efficace pour la Cour de traiter des arguments préliminaires à l’audition de la demande plutôt que sur requête. Si une requête en radiation est considérée et échoue, la procédure interlocutoire aura été une perte de temps. Dans la présente affaire, le juge a accueilli la requête en radiation parce qu’il a conclu que le critère établi dans David Bull avait été satisfait. La question soulevée par le présent appel est de savoir si cette décision contenait une erreur de principe.

B. Les faits

[6]Dans le cas d’une requête en radiation d’une déclaration, il faut tenir pour avérés les faits allégués dans la déclaration : Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, à la page 979. Par analogie, dans le cas d’une requête en radiation d’une demande, il faut tenir pour avérés les faits allégués par le demandeur. Les allégations factuelles dans la présente affaire sont résumées ci‑après.

1) La situation en octobre 1988

[7]La société au centre du présent litige, la débitrice fiscale principale, s’appelait jadis York Beverages (1968) Ltd. Sa dénomination sociale a changé après les événements décrits plus bas, mais je continuerai à l’appeler « York ».

[8]York a été constituée en Saskatchewan et a poursuivi ses activités en Alberta. Son exercice prenait normalement fin le 30 septembre. Avant octobre 1988, York exploitait une entreprise d’embouteillage de boissons gazeuses à Regina. Le ou vers le 1er octobre 1988, York a vendu les actifs de l’entreprise d’embouteillage pour environ 10 millions de dollars comptant et 3 millions de dollars en dette prise en charge. York a conservé des comptes débiteurs d’environ 1,8 million de dollars. Le dossier n’indique pas la valeur de ces comptes débiteurs.

[9]Au moment de la vente des actifs, les propriétaires de York étaient les suivants :

1) Wilfred Roach détenait six actions avec droit de vote, Jeannette Marie Dietrich détenait six actions avec droit de vote, et 5988 actions sans droit de vote appartenaient à une société albertaine du nom de Addison & Leyen Ltd. (Addison). Le dossier n’indique pas si Addison avait d’autres avoirs que les actions de York.

2) Des 1000 actions ordinaires en circulation de Addison, 50 % appartenaient à M. Roach (400 actions) et à son épouse Helen Roach (100 actions), et 50 % appartenaient à Mme Dietrich (100 actions) et à son époux John Dietrich (400 actions).

3) M. Roach et ses frères et sœurs étaient les actionnaires d’une société albertaine appelée Rofamco Investments Ltd. (Rofamco).

4) M. Dietrich et ses frères et sœurs étaient les actionnaires d’une société albertaine appelée Concrest Corporation Ltd. (Concrest).

5) Rofamco et Concrest étaient les associées d’une société en nom collectif appelée Vanir Corporation Partnership (Vanir). Le dossier n’indique pas si Vanir avait des actifs, ou si Rofamco ou Concrest avaient des actifs autres que leur participation dans Vanir.

[10]Le dossier n’indique pas si la famille Roach est parente de la famille Dietrich.

2) Les paiements effectués par York entre octobre 1988 et octobre 1989

[11]Après la vente des actifs, il était entendu que York cesserait finalement ses activités. Entre la clôture de la vente des actifs et le mois de septembre 1989, des mesures ont été prises pour recouvrer les comptes débiteurs de York, acquitter les dettes impayées et verser les indemnités de retraite, les allocations de présence des administrateurs et les honoraires de gestion.

[12]Entre le 31 décembre 1988 et le 28 septembre 1989, York a effectué des paiements totalisant environ 13,5 millions de dollars, répartis comme suit :

1) York a payé des allocations de présence et des indemnités de retraite totalisant environ 290 000 $ à M. Roach, Mme Roach, M. Dietrich et Mme Dietrich, et des honoraires de gestion d’environ 1,6 million de dollars à Vanir. Le dossier n’indique pas quels services ont été fournis en contrepartie de ces montants. Il n’y a rien non plus au dossier qui permettrait de conclure qu’il n’y a pas eu de services, ou que les services ne valaient pas les montants payés.

2) York a versé environ 315 000 $ à Addison qui, en contrepartie, a pris en charge certaines de ses créances. Le dossier ne fournit pas de détails sur ces titres de créance.

3) York a prêté environ 5 millions de dollars à Addison. Le dossier n’indique pas le but ou les modalités de ce prêt. Rien au dossier ne permet de conclure que le prêt était entaché de quelque irrégularité que ce soit, pas plus qu’il ne révèle si le prêt a été remboursé ou à quel moment il l’aurait été.

4) York a payé des dividendes totalisant environ 6,2 millions de dollars. La plus grande partie de ce montant a été versée à Addison. M. Roach et Mme Dietrich ont chacun reçu des dividendes de York pour un montant d’environ 4000 $.

[13]Il semble qu’après avoir versé tous les montants mentionnés plus haut, York n’avait plus d’actifs, sinon assez de liquidités pour acquitter la dette fiscale estimative se rapportant à son dernier exercice et à la vente de ses actifs d’exploitation en octobre 1988. En septembre 1989, l’obligation fiscale potentielle de York était estimée à environ 2,8 millions de dollars. Cette dette serait devenue réelle à la fin de son exercice, le 30 septembre 1989, n’eussent été certains événements survenus entre le 26 et le 28 septembre 1989.

3) La vente de York à Senergy

[14]À un certain moment (on ne sait trop quand), les actionnaires de York ont convenu de vendre leurs actions de York à une société alors nommée 388777 Alberta Ltd.—plus tard Senergy Inc. (Senergy). Le prix d’achat total était de 1 115 000 $, la plus grande partie de ce montant étant versée à Addison, détentrice des 5988 actions sans droit de vote. M. Roach et Mme Dietrich ont chacun reçu un montant nominal pour leurs six actions avec droit de vote. La vente a été conclue le 28 septembre 1989.

[15]Pourquoi les actions de York auraient‑elles valu plus de 1 million de dollars alors que la société avait des actifs de plus de 2 millions et une dette fiscale potentielle d’un montant équivalent? C’est que Senergy, a‑t‑on appris, prévoyait utiliser les liquidités disponibles de York afin d’acquérir des données sismiques pour lesquelles elle réclamerait une déduction. Il était espéré qu’en raison de cette déduction, York n’aurait plus de dette fiscale pour 1989. Les actionnaires de York savaient que Senergy prévoyait effectuer une transaction qui aurait ce résultat sur le plan fiscal, mais n’en connaissaient pas les détails. Il ne ressort pas du dossier ce qu’ils savaient au juste.

[16]M. et Mme Roach ainsi que M. et Mme Dietrich ont démissionné comme administrateurs de York et ont été remplacés par un représentant de Senergy le 26 septembre 1989, soit deux jours avant la clôture de la vente des actions de York à Senergy. Le dossier n’indique pas pour quelle raison ce moment précis a été choisi, mais je crois qu’on peut légitimement croire que la démission visait à faciliter l’achat des données sismiques avant la conclusion de la vente des actions de York à Senergy.         

[17]Pourquoi les transactions ont‑elles été effectuées dans cet ordre? Les parties ont vraisemblablement compris que la vente des actions de York, le 28 septembre 1989, aurait pour effet de mettre fin à son année d’imposition en raison du changement de contrôle de la société (paragraphe 249(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu). Pour profiter pleinement de la déduction de l’impôt à payer sur la vente de York en octobre 1988 résultant de l’achat des données sismiques, il fallait acheter lesdites données sismiques avant la fin réputée de l’exercice, soit le 28 septembre 1989.

[18]M. et Mme Roach ainsi que M. et Mme Dietrich savaient que York devait possiblement payer de l’impôt sur la vente de ses actifs d’exploitation à la fin de son exercice clos le 28 septembre 1989. Le contrat de vente des actions de York contenait une clause par laquelle Senergy s’engageait à produire les déclarations de revenu de York et à payer l’impôt sur le revenu dû. Les actionnaires vendeurs de York ont aussi obtenu un avis juridique déclarant notamment qu’en date du 28 septembre 1989, il était [traduction] « raisonnable de conclure » que York serait en mesure de payer sa dette fiscale pour l’année d’imposition se terminant à cette date. Cet avis juridique serait fondé sur l’examen que les avocats auraient fait des « transactions », que je comprends désigner l’achat des données sismiques. L’avis juridique ne fait pas référence à l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu.

[19]Le contrat de vente des actions de York ne contenait aucune modalité conférant aux vendeurs le droit de vérifier que Senergy respecte son engagement afin de s’assurer que l’impôt de York serait payé. En vertu du contrat, les vendeurs n’avaient pas non plus le droit d’obliger Senergy à les mettre au fait d’une nouvelle cotisation établie ou proposée à l’égard de York. Les vendeurs n’ont obtenu aucune sûreté pour garantir que Senergy s’acquittera­it de son obligation de payer l’impôt. Le dossier ne révèle pas si les vendeurs ont cherché à obtenir une protection contractuelle autre que l’engagement de Senergy, ou s’ils l’ont fait, pourquoi ils ne l’ont pas obtenue et pourquoi ils sont allés de l’avant sans l’avoir obtenue.

4) Les paiements effectués par Addison en 1989

[20]Au cours du mois d’octobre 1989, Addison a versé des dividendes totalisant près de 1,8 million de dollars  au  pro  rata  à  M. Roach  (40 %), Mme Roach (10 %), M. Dietrich (40 %) et Mme Dietrich (10 %). En octobre 1989, M. et Mme Roach ont transféré leurs actions de Addison à Rofamco, et M. et Mme Dietrich ont transféré leurs actions de Addison à Concrest, de manière à ce que Rofamco et Concrest deviennent chacune actionnaire à 50 % de Addison. Après le transfert d’actions, Addison a versé des dividendes totalisant 4,8 millions de dollars, partagés à parts égales entre Rofamco et Concrest. Le dossier ne contient rien qui permettrait de conclure que les dividendes versés par Addison ont quelque chose à voir avec les dividendes ou les prêts que Addison a reçus de York.

[21]Au cours de l’année 1989, Addison a payé des allocations de présence d’administrateur d’environ 4000 $ chacun à M. Roach, Mme Roach, M. Dietrich et Mme Dietrich, et a remboursé des prêts d’environ 950 000 $ à Concrest et d’environ 1,2 million de dollars à Rofamco. Encore une fois, il n’y a aucune information au dossier concernant les transferts d’actions, les allocations ou les prêts. Rien au dossier ne permet de conclure que l’un ou l’autre des montants versés par Addison a quelque chose à voir avec les montants qu’Addison a reçus de York.

5) Les communications avec les fonctionnaires du fisc en 1990, 1991 et 1992

[22]À l’automne 1990, M. Kirker, le comptable des appelants et de leurs sociétés, a reçu du fisc une demande de produire les rapports d’impôt sur le revenu de York. Il a transmis la demande à un représentant de Senergy, et n’a plus eu de nouvelles. En 1991 et 1992, le fisc a demandé certains renseignements à M. Kirker au sujet de la vente de l’entreprise d’embouteillage de York et du paiement de dividendes. M. Kirker a fourni l’information. À sa connaissance, le seul changement qui a résulté de ces échanges a été un changement dans le calcul de certains dividendes en capital payés par York.

6) La nouvelle cotisation de York en 1992

[23]Il semble que le fisc a examiné la transaction concernant les données sismiques et conclu que York ne pouvait déduire que 1 696 500 $ parce que les données étaient surévaluées. York a reçu une nouvelle cotisation datée du 29 décembre 1992 pour un total d’environ 3,2 millions de dollars, soit l’impôt totalisant environ 2 millions, des intérêts d’environ 1 million et une pénalité (dont la nature n’est pas précisée—peut‑être due au retard à produire la déclaration).

[24]Un avis d’opposition a été déposé au nom de York le 5 mars 1993. En date de l’audition de la présente affaire devant la Cour fédérale le 29 mars 2005, le ministre n’y avait pas encore répondu. Il semble qu’il n’y ait pas encore répondu à ce jour. Il n’y a rien au dossier qui explique le retard à répondre à l’avis d’opposition de York. Il n’y a rien non plus qui explique pourquoi York n’a pas interjeté appel devant la Cour canadienne de l’impôt, comme il lui était loisible de le faire, lorsque le ministre a omis de répondre à son opposition dans les 90 jours (voir le paragraphe 40 plus loin). On se souviendra que, depuis 1989, York était contrôlé par Senergy.

7) Les événements survenus en 1989 et en 1999

[25]Ni les appelants ni M. Kirker n’ont été informés de la nouvelle cotisation de York lorsqu’elle a été établie en 1992, ni au cours des quelques années suivantes. M. Kirker déclare qu’il n’a plus entendu parler de York avant la fin de l’année 1998 ou au début de 1999, lorsque le fisc a demandé des éclaircissements au sujet de certains des appelants. Il a réuni les documents demandés afin de faire le suivi. M. Kirker et les appelants disent qu’ils n’ont eu connaissance d’aucune autre activité de la part des autorités fiscales avant de recevoir les cotisations fondées sur l’article 160 en février 2001.

[26]Les appelants ont présenté diverses demandes d’information en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A‑1, et de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P‑21. Le dossier n’indique pas clairement quand ces demandes ont été faites, mais il semble qu’une réponse ait été reçue en décembre 2001.

[27]Je résume comme suit l’interprétation que font les appelants des documents qu’ils ont reçus en réponse à leurs demandes. Entre 1992 et 1997, les autorités fiscales n’ont rien fait en réponse à l’avis d’opposition de York ou pour vérifier si York avait les ressources pour payer l’impôt exigé. En août 1997, le fisc a constaté qu’aucune analyse du « risque de perte » n’avait été effectuée relativement à York. En septembre 1997, un examen a permis d’apprendre que les actifs apparaissant au bilan de York étaient constitués des données sismiques, d’une valeur comptable d’environ 6 millions de dollars. Vers le milieu de l’année 1998, les fonctionnaires du fisc ont conclu que l’impôt ne pourrait pas être recouvré de York. C’est ce qui a donné lieu aux demandes d’éclaircissements mentionnées plus haut, auxquelles il a été répondu au début de 1999. C’est à partir de ces éclaircissements que le fisc a décidé de retracer les paiements effectués par York en 1989. Les fonctionnaires du fisc n’ont communiqué avec aucun des appelants avant de produire les avis de cotisation fondés sur l’article 160 deux ans plus tard, soit en février 2001, et ils leur ont délibérément dissimulé des renseigne-ments pertinents.

[28]L’allégation de dissimulation délibérée est fondée sur une note versée au dossier d’impôt, datée du 15 février 2001, qui se lit comme suit : [traduction] « La section d’appel a convenu de retenir l’avis de confirmation [confirmant apparemment la cotisation de York du 29 décembre 1992] tant que la question du risque n’aura pas été réglée, afin de ne pas révéler notre position au débiteur fiscal ». Les appelants croient qu’ils sont le « débiteur fiscal » auquel cette note fait référence.

8) Les cotisations fondées sur l’article 160

[29]Au mois de février 2001, la dette fiscale de York totalisait environ 6,7 millions de dollars, soit la cotisation de 3,2 millions établie le 29 décembre 1992, plus les intérêts courus. En février 2001, le ministre a imposé chacun des appelants, en vertu de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu, pour un montant représentant une partie ou la totalité de cette dette.

[30]Il y a 21 avis de cotisation en tout. Chaque cotisation est fondée sur la prémisse du ministre que les appelants auraient reçu des paiements directs ou indirects de York pendant ou après son exercice clos le 28 septembre 1989. Pour chacun des appelants, le montant total de la cotisation fondée sur l’article 160 représente le moindre de la dette totale de York à la date des cotisations et du montant total reçu par la personne visée par la cotisation. Les montants réclamés, et les transferts de biens auxquels ils se rapportent, sont résumés dans le tableau suivant :

Appelant       Montant réclamé Transfert de biens      

imposé

Addison &        6 664 634 $     Dividendes reçus de York

Leyen Ltd.                                    Prêt de York

(Le montant réclamé représente la dette totale de York en février 2001.)

Concrest           4 327 468 $     Honoraires de gestion reçus

Corporation Ltd.                          de York (par l’intermédiaire

de Vanir)

Prêt remboursé par Addison

Dividendes reçus de Addison

Rofamco          4 611 528 $     Honoraires de gestion reçus Investments de York (par l’intermédiaire Ltd. de Vanir)

Prêt remboursé par Addison

Dividendes reçus de Addison

John Joseph         714 263 $   Allocations de présence

Dietrich                                           reçues de York

Allocation de retraite reçue de York

Dividendes reçus de Addison

Allocations de présence reçues de Addison

Jeannette Marie    228 849 $ Dividendes reçus de York

Dietrich                                           Allocations de présence reçues de York

Allocation de retraite reçue de York

Dividendes reçus de Addison

Allocations de présence reçues de Addison

Wilfred Danie      741 626 $   Dividendes reçus de York

 Roach                                           Allocations de présence reçues de York

Allocation de retraite reçue de York

Allocations de présence reçues de Addison

Prêt remboursé par Addison

Dividendes reçus de Addison

Helen Ann           224 584 $   Allocations de présence reçues Roach de York

Allocation de retraite reçue de York

Allocations de présence reçues de Addison

Dividendes reçus de Addison

TOTAL                                17 512 952 $

[31]Le total des montants réclamés est de loin supérieur au total de la dette fiscale de York. Cela tient au fait que, si les cotisations sont justes, chacune des parties est solidairement responsable de la totalité de la dette fiscale de York, jusqu’à concurrence du montant total qu’elle a reçu.

[32]Les appelants ont produit des avis d’opposition en temps opportun à l’encontre de chacune des cotisations fondées sur l’article 160. Le ministre n’y a pas donné suite. Le dossier ne fournit aucune explication à cet égard, ni quant à savoir pourquoi les appelants n’ont pas interjeté appel devant la Cour canadienne de l’impôt, comme c’était leur droit, lorsque le ministre a omis de répondre à leurs oppositions dans les 90 jours.

[33]Le dossier n’indique pas si les conseillers de York, en 1988 et 1989, avaient envisagé l’application possible de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu aux dividendes ou autres montants versés par York ou Addison durant ces années. Toutefois, on ne se serait pas attendu à ce que plusieurs des paiements effectués par York en 1989 puissent faire l’objet d’une cotisation fondée sur l’article 160 (par exemple, le versement d’allocations de présence, d’honoraires de gestion et d’allocations de retraite, et le fait de consentir ou de rembourser un prêt : voir le paragraphe 62 plus loin). De fait, certains documents au dossier indiquent que les fonctionnaires du fisc ont reconnu la possibilité que certaines des nouvelles cotisations visaient des paiements qui n’auraient pas dû être assujettis à l’article 160.

[34]Selon ce que révèle le dossier, les actifs de York à la fin de septembre 1989 consistaient en des données sismiques d’une valeur comptable d’environ 6 millions de dollars, que le ministre estimait valoir environ 1,7 million de dollars. Le dossier n’indique pas si York a fini par réunir d’autres capitaux ou si elle a exploité une entreprise après septembre 1989.

[35]Les appelants allèguent qu’au moment où ils ont reçu les avis de cotisation établis en vertu de l’article 160, ils n’avaient plus aucun moyen de se faire indemniser par York pour les montants qu’ils pourraient devoir payer en raison de ces cotisations. Ils allèguent aussi que si le ministre avait agi plus tôt, leurs chances de recouvrement auraient été ou auraient pu être meilleures. Comme il a été dit plus haut, aux fins des questions soulevées dans le présent appel, il faut tenir pour avérées ces allégations.

C. Les dispositions législatives pertinentes

[36]Dans l’analyse qui suit, j’emploie l’expression « obligation fiscale principale » pour désigner l’impôt qu’une personne doit payer en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu relativement à son propre revenu. Il y a lieu de faire la distinction avec ce que j’appellerai l’« obligation fiscale du fait d’autrui » découlant de l’application de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu qui, dans certaines circonstances, rend une personne solidairement responsable de l’obligation fiscale principale d’une autre personne.

1) Les dispositions législatives applicables à l’établisse-ment de l’obligation fiscale principale

[37]Les articles 150 à 152 de la Loi de l’impôt sur le revenu décrivent de quelle manière le ministre, agissant par l’intermédiaire de l’Agence du revenu du Canada, détermine l’obligation fiscale principale d’une personne. On appelle ce processus une « cotisation » (ou une « nouvelle cotisation »—aux fins du présent appel, les deux mots sont synonymes). L’effet juridique d’une cotisation est énoncé au paragraphe 152(8) de la Loi de l’impôt sur le revenu, formulé comme suit :

152. [. . .]

(8) Sous réserve des modifications qui peuvent y être apportées ou de son annulation lors d’une opposition ou d’un appel fait en vertu de la présente partie et sous réserve d’une nouvelle cotisation, une cotisation est réputée être valide et exécutoire malgré toute erreur, tout vice de forme ou toute omission dans cette cotisation ou dans toute procédure s’y rattachant en vertu de la présente loi.

[38]En principe, il est toujours possible de déterminer l’obligation fiscale principale d’une personne avec certitude. Cela tient au fait que l’on calcule l’obligation fiscale principale d’une personne pour une année donnée en appliquant une formule fixe définie par la loi à son revenu imposable pour cette année, et que le montant du revenu imposable d’une personne est fonction des événements survenus avant la fin de cette année.

[39]En pratique, les faits qui permettent d’établir l’obligation fiscale principale d’une personne peuvent être difficiles à déterminer en raison de la complexité des calculs, des incertitudes et des différends touchant les éléments à calculer, et de certains choix que le contribuable peut faire à différentes étapes du calcul. La tâche du ministre, malgré ces complexités, est d’établir l’obligation fiscale principale de chaque personne en conformité avec la Loi de l’impôt sur le revenu. Le ministre n’a pas le pouvoir discrétionnaire de ne pas établir l’obligation fiscale principale d’une personne, ou de le faire autrement qu’en application de la Loi de l’impôt sur le revenu : Galway c. Ministre du Revenu national, [1974] 1 C.F. 600 (C.A.).

2) Contester le bien‑fondé d’une cotisation

[40]On peut contester le bien‑fondé d’une cotisation en signifiant un avis d’opposition au ministre, ce qui doit être fait dans un certain délai après l’envoi de l’avis de cotisation (article 165 de la Loi de l’impôt sur le revenu, sous réserve d’une prorogation accordée conformément aux articles 166.1 [édicté par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 139] et 166.2 [édicté, idem]). Le ministre doit traiter l’opposition « avec diligence », soit en la ratifiant, soit en établissant une nouvelle cotisation (paragraphe 165(3) [mod., idem, ann. VIII, art. 98] de la Loi de l’impôt sur le revenu). L’avis d’opposition peut donner lieu à une décision du ministre de réduire le montant d’impôt réclamé, auquel cas le ministre peut établir une nouvelle cotisation, ou à une décision portant que l’opposition n’est pas fondée, auquel cas le ministre confirmera la cotisation (paragraphe 165(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu). Si le ministre ne confirme pas la cotisation contestée ou n’établit pas de nouvelle cotisation dans les 90 jours de la signification de l’avis d’opposition, le contribuable peut interjeter appel de la cotisation devant la Cour canadienne de l’impôt (alinéa 169(1)b) [mod., idem, ann. II, art. 140] de la Loi de l’impôt sur le revenu).

[41]La Loi de l’impôt sur le revenu ne prévoit aucune conséquence en cas d’omission du ministre de traiter un avis d’opposition « avec diligence ». Toutefois, la Cour fédérale peut obliger le ministre à tenir compte d’un délai indu si une demande est produite en vertu du paragraphe 220(3.1) [édicté, idem, art. 181; ann. VIII, art. 127] de la Loi de l’impôt sur le revenu afin qu’il soit renoncé aux intérêts : Hillier c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 197.

[42]Le contribuable qui est insatisfait de la réponse donnée par le ministre à un avis d’opposition peut interjeter appel de la cotisation devant la Cour canadienne de l’impôt, à condition de respecter certains délais (article 169 de la Loi de l’impôt sur le revenu; une prorogation de délai peut être autorisée en vertu de l’article 167 [mod., idem, ann. II, art. 139]). La Cour peut statuer sur l’appel en le rejetant ou en l’admettant. Si l’appel est admis, la Cour peut annuler ou modifier la cotisation, ou la déférer au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation (article 171 de la Loi de l’impôt sur le revenu). En vertu de l’article 27 [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 34] de la Loi sur les Cours fédérales, il peut être interjeté appel de la décision de la Cour canadienne de l’impôt devant la Cour fédérale du Canada.

[43]Dans un appel relatif à l’impôt sur le revenu, la Cour de l’impôt doit décider si, relativement aux questions formulées dans l’avis d’appel et la réponse du ministre, la cotisation contestée est fondée en droit et en fait. Parce que l’obligation fiscale principale d’une personne pour une année donnée est fonction des événements pertinents survenus durant cette année, le délai indu ou la conduite inappropriée de la part d’un fonctionnaire du fisc dans le processus de cotisation ou d’opposition ne sont pas des facteurs pertinents pour le calcul du montant de cette obligation : voir, par exemple, Bolton c. Canada, [1996] A.C.F. no 820 (C.A.) (QL); Ginsberg c. Canada, [1996] 3 C.F. 334 (C.A.) (demande d’autorisation d’appel rejetée, [1997] 1 R.C.S. viii). Ce principe est consacré à l’article 166 de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui restreint le pouvoir de la Cour de l’impôt. L’article 166 est ainsi libellé (non souligné dans l’original) :

166. Une cotisation ne peut être annulée ni modifiée lors d’un appel uniquement par suite d’irrégularité, de vice de forme, d’omission ou d’erreur de la part de qui que ce soit dans l’observation d’une disposition simplement directrice de la présente loi.

[44]Il s’ensuit que le rôle de la Cour de l’impôt n’est pas de superviser la conduite des fonctionnaires du fisc, sauf dans la mesure où la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] Charte] peut restreindre l’admissibilité de certains éléments de preuve devant la Cour de l’impôt : voir Main Rehabilitation Co. Ltd. c. Canada, 2004 CAF 403 (demande d’autorisation d’appel rejetée, [2005] 1 R.C.S. xii); Canada c. O’Neill Motors Ltd., [1998] 4 C.F. 180 (C.A.).

3) Le contrôle judiciaire des mesures de recouvrement de l’impôt

[45]L’obligation fiscale principale d’une personne constitue une dette portant intérêt tant qu’elle n’a pas été payée (articles 161 [mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. VIII, art. 96; 1997, ch. 25, art. 50] et 222 de la Loi de l’impôt sur le revenu). Le ministre dispose de différents moyens pour recouvrer une dette fiscale (même si, en l’absence de circonstances spéciales, il lui est interdit d’en utiliser la plupart tant que le bien‑fondé de la cotisation n’a pas été établi et qu’elle fait toujours l’objet d’une opposition ou d’un appel devant la Cour de l’impôt; voir l’article 225.1 [mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 184] de la Loi de l’impôt sur le revenu). On trouve la plupart des moyens de recouvrement de l’impôt à la disposition du ministre dans la partie XV de la Loi de l’impôt sur le revenu (articles 220 à 244).

[46]Il est bien établi que le ministre ou un délégué du ministre invoquant une disposition de recouvrement de la Loi de l’impôt sur le revenu est un « office fédéral » (federal board, commission or other tribunal) au sens du paragraphe 2(1) [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 15] de la Loi sur les Cours fédérales; voir Markevich c. Canada, [1999] 3 C.F. 28 (1re inst.) (infirmé sur un autre point par la Cour dans [2001] 3 C.F. 449 (C.A.), conf. par [2003] 1 R.C.S. 94). Il s’ensuit que la contestation de la légitimité ou du bien‑fondé d’une mesure de recouvrement prise en vertu de la partie XV peut faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, conformément aux articles 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26] et 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 28] de la Loi sur les Cours fédérales.

[47]L’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales limite le pouvoir de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire. Il prévoit :

18.5 Par dérogation aux articles 18 et 18.1, lorsqu’une loi fédérale prévoit expressément qu’il peut être interjeté appel, devant [. . .] la Cour canadienne de l’impôt [. . .] d’une décision ou d’une ordonnance d’un office fédéral, rendue à tout stade des procédures, cette décision ou cette ordonnance ne peut, dans la mesure où elle est susceptible d’un tel appel, faire l’objet de contrôle, de restriction, de prohibition, d’évocation, d’annulation ni d’aucune autre intervention, sauf en conformité avec cette loi.

[48]La Cour fédérale ne se saisira pas d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre d’établir ou de confirmer l’obligation fiscale principale d’une personne parce qu’il peut être interjeté appel de cette décision devant la Cour canadienne de l’impôt, et parce que l’obligation fiscale principale d’une personne ne peut être touchée par une mesure discrétionnaire du ministre : voir, par exemple, Ministre du Revenu national c. Parsons, [1984] 2 C.F. 331 (C.A.); Webster c. Canada, (2003 CAF 388 (demande d’autorisation d’appel rejetée, [2004] 1 R.C.S. xv) et Walker c. Canada, 2005 CAF 393.

4) Le contrôle judiciaire de la décision de recourir à l’article 160

[49]La présente affaire soulève pour la première fois la question de savoir si l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales interdit à la Cour fédérale de se saisir d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur une allégation d’exercice inapproprié, de la part du ministre, de son pouvoir discrétionnaire d’établir l’obligation fiscale du fait d’autrui d’une personne en vertu de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu. S’il n’y a aucune distinction pertinente entre l’établissement de l’obligation fiscale principale d’une personne et l’établissement de son obligation fiscale du fait d’autrui en vertu de l’article 160, alors la Cour fédérale a eu raison d’accueillir la requête en radiation de la Couronne, et le présent appel doit échouer.

[50]Les parties pertinentes de l’article 160 [art. 160(1) (mod. par L.C. 2000, ch. 12, ann. 2, art. 1)] sont libellées comme suit :

160. (1) Lorsqu’une personne a, depuis le 1er mai 1951, transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon à l’une des personnes suivantes :

a) son époux ou conjoint de fait ou une personne devenue depuis son époux ou conjoint de fait;

b) une personne qui était âgée de moins de 18 ans;

c) une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance,

les règles suivantes s’appliquent :

[. . .]

e) le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d’un montant égal au moins élevé des montants suivants :

(i) l’excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien,

(ii) le total des montants dont chacun représente un montant que l’auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi au cours de l’année d’imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d’une année d’imposition antérieure ou pour une de ces années;

aucune disposition du présent paragraphe n’est toutefois réputée limiter la responsabilité de l’auteur du transfert en vertu de quelque autre disposition de la présente loi.

[51]D’autres parties de l’article 160 garantissent qu’un montant versé en quittance d’une obligation découlant d’une cotisation fondée sur l’article 160 a pour effet de réduire le montant de cette obligation. Cela évite la possibilité qu’une dette fiscale soit payée en trop sans que personne n’ait le droit de réclamer le remboursement du trop‑payé. Pour les fins de la présente affaire, il n’est pas nécessaire de se pencher sur les dispositions relatives au paiement.

i) Les éléments constitutifs de l’article 160

[52]Comme je l’ai mentionné plus haut, l’obligation fiscale fondée sur l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu est une sorte de responsabilité du fait d’autrui. De façon générale, l’article 160 permet que la dette fiscale d’une personne (le débiteur fiscal) soit attribuée à une deuxième personne si trois conditions sont réunies : 1) la deuxième personne a un lien de dépendance avec le débiteur fiscal (ou a moins de 18 ans, ou est le conjoint du débiteur fiscal), 2) le débiteur fiscal a transféré un bien à la deuxième personne en contrepartie d’une valeur inférieure à la juste valeur marchande de ce bien, et 3) le débiteur fiscal a une obligation fiscale principale impayée pour l’année durant laquelle le transfert a eu lieu, ou pour une année antérieure. Si ces conditions sont réunies, le débiteur fiscal et la deuxième personne (bénéficiaire du transfert) sont solidairement tenus d’acquitter la dette fiscale, jusqu’à concurrence de la juste valeur marchande du bien transféré (déduction faite de la valeur de toute contrepartie donnée pour le bien transféré).

[53]L’article 160 s’applique aux transferts « directs » et « indirects ». Un transfert direct est une transaction par laquelle une personne transfère un bien à une autre. Un transfert indirect inclurait une transaction par laquelle une personne transfère un bien à une autre par l’intermédiaire d’un tiers. Par exemple, si A donne à B un cadeau de 100 $ en espèces, alors A a fait un transfert direct de 100 $ à B. Si A donne 100 $ en espèces à B à la condition ou dans l’espoir que B donne 100 $ en espèces à C, et si B donne effectivement 100 $ en espèces à C, alors A a fait un transfert indirect de 100 $ à C.

[54]L’article 160 peut s’appliquer à une série de transferts, ce qui donne lieu à ce qu’on appelle parfois des cotisations « en cascade » fondées sur l’article 160. Supposons par exemple que A, qui doit un montant d’impôt de 100 $, fait un cadeau inconditionnel de 100 $ à B, son conjoint. Supposons ensuite que B fait un cadeau inconditionnel de 100 $ à C, sa sœur. L’article 160 permettrait au ministre d’établir une cotisation à l’égard de B en réclamant les 100 $ de l’obligation fiscale principale de A, de sorte que A et B seraient solidairement responsables de cette obligation. L’article 160 permettrait aussi au ministre d’établir une cotisation à l’égard de C en réclamant les 100 $ de l’obligation fiscale du fait d’autrui de B. L’effet net serait que A, B et C seraient solidairement responsables de la même obligation fiscale principale de A s’élevant à 100 $. Dans ce cas, il n’y aurait pas eu de transfert indirect, mais bien deux transferts directs, l’un de A à B, l’autre de B à C. Cependant, le risque qu’une cotisation soit établie à l’égard de C en vertu de l’article 160 est le même que s’il y avait eu un transfert indirect de 100 $ entre A et C.

ii) L’historique de l’article 160

[55]L’article 160 [à l’époque l’article 49A] a été édicté pour la première fois en 1951 [S.C. 1951, ch. 51, art. 17]. À cette époque, il ne s’appliquait qu’aux transferts de biens entre un débiteur fiscal et son conjoint ou une personne de moins de 19 ans. La transaction typique visée par cette version de l’article 160 était le transfert par le débiteur fiscal du titre de la maison familiale ou d’autres éléments du patrimoine familial.

[56]L’article 160 a été modifié en 1981 par S.C. 1980‑81‑82‑83, ch. 140, article 107, afin d’en étendre la portée. Après 1981, l’article 160 pouvait s’appliquer à tout transfert d’un bien à une personne avec laquelle le débiteur fiscal avait un lien de dépendance (sauf si cette personne avait payé une contrepartie égale à la juste valeur marchande du bien en question). L’une des conséquences de cette modification de 1981 était que, pour la première fois, il était possible de recouvrer la dette fiscale d’une société grâce à l’article 160. On aurait normalement anticipé que les bénéficiaires éventuels d’un transfert des biens d’une société soient limités aux actionnaires contrôlants d’une société ayant peu d’actionnaires, et aux membres de leur famille. En 1989, cette modification était encore relativement nouvelle.

iii) L’article 160 et les dividendes

[57]L’une des questions soulevées par la modification apportée à l’article 160 en 1981, mais à laquelle aucune réponse n’a été apportée, consistait à savoir si le paiement d’un dividende constituait un « transfert de biens » au sens de l’article 160. Il est possible d’imaginer qu’une société, surtout si elle a peu d’actionnaires, ait recours au paiement de dividendes pour se départir de certains actifs afin d’éviter de payer de l’impôt, mais dans la plupart des cas, le paiement de dividendes est une transaction commerciale ordinaire. Les dividendes constituent aussi un revenu imposable pour le bénéficiaire (sauf pour certains bénéficiaires qui sont des sociétés). Certains ont fait valoir qu’il était incongru d’imposer les dividendes à 100 %, surtout s’ils constituent déjà un revenu imposable, pour la seule raison que la société qui les verse est une débitrice fiscale avec laquelle le bénéficiaire a un lien de dépendance.

[58]Ce n’est pas avant 1991 que la Cour canadienne de l’impôt a décidé pour la première fois que les dividendes pouvaient faire l’objet de l’article 160 : Mullins c. Canada, [1991] 2 C.T.C. 2503 (C.C.I.); décision suivie quelques mois plus tard par Fournier c. Canada (1991), 91 D.T.C. 743 (C.C.I.); Groupe d’investissement Savoie, Lavoie, Inc. c. Canada (1992), 92 D.T.C. 1519 (C.C.I.); Algoa Trust c. Canada, [1993] A.C.I. no 15 (C.C.I.) (QL). La Cour canadienne de l’impôt a aussi décidé que l’article 160 ne s’appliquait pas aux dividendes versés en contrepartie de services : Davis c. Canada, [1994] A.C.I. no 242 (C.C.I.) (QL); voir aussi McClurg c. Canada, [1990] 3 R.C.S. 1020.

[59]En 1993, la question de l’application de l’article 160 aux dividendes a été qualifiée de « question émergente » lors de la conférence annuelle de l’Association canadienne d’études fiscales (voir les commentaires de Manon Thivierge, publiés dans « Emerging Income Tax Issues : Substance over Form Revisited, Section 160 of the Income Tax Act, and Series of Transactions » dans Report of Proceedings of the Forty‑Fifth Tax Conference, 1993 Conference Report (Toronto : Association canadienne d’études fiscales, 1994), aux pages 4:1 à 4:15). Cette analyse aurait été amorcée dans le sillage de l’affaire Algoa Trust.

[60]Le 4 février 1998, la Cour a rejeté un appel de la décision Algoa Trust dans un jugement oral et non publié (A‑201‑93). À ma connaissance, aucune autre décision subséquente de la Cour n’a jeté un doute sur le bien‑fondé de cette décision. Ainsi, la décision rendue en 1993 par la Cour canadienne de l’impôt dans Algoa Trust fait autorité en ce qui a trait à la proposition selon laquelle l’article 160 peut s’appliquer aux dividendes.

iv) L’application de l’article 160 à d’autres paiements effectués par une société

[61]Outre le paiement des dividendes, de nombreuses transactions permettent à une société de transférer des biens à un actionnaire majoritaire ou à une autre personne avec laquelle elle a un lien de dépendance. Toutefois, l’article 160 ne s’appliquerait pas à un tel transfert à moins que la société n’ait pas obtenu une contrepartie correspondant à la juste valeur marchande des biens transférés.

[62]Par exemple, une société peut payer un actionnaire pour des services rendus. L’article 160 ne pourrait s’appliquer à un tel paiement sauf si la valeur des services obtenus par la société est inférieure au montant payé. Une société peut prêter de l’argent à un actionnaire. L’article 160 ne pourrait s’appliquer à un tel prêt sauf si la valeur du remboursement convenu est inférieure au montant du prêt. Une société peut rembourser un prêt à un actionnaire. Il est difficile d’imaginer comment l’article 160 pourrait s’appliquer à un tel paiement.

v) L’article 160 comme moyen de recouvrement

[63]L’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu ne fait pas partie du mécanisme servant à établir l’obligation fiscale principale de quiconque. Son rôle est de faciliter le recouvrement de l’obligation fiscale principale d’une personne auprès d’une autre qui, en droit, est responsable de la payer. Toutefois, le moyen par lequel le ministre applique l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu est un avis de cotisation envoyé au bénéficiaire à qui le débiteur fiscal a transféré des biens. Une cotisation fondée sur l’article 160 est, en droit, une cotisation comme n’importe quelle autre en ce sens qu’elle cristallise l’obligation fiscale de la personne visée.

[64]Ceux qui font l’objet d’une cotisation fondée sur l’article 160 ont le même droit de s’opposer et d’interjeter appel que ceux qui reçoivent une cotisation pour leur propre obligation fiscale principale. Une opposition ou un appel relatif à une cotisation fondée sur l’article 160 peut soulever toute question relative au bien‑fondé de la cotisation (par exemple, des biens ont‑ils été transférés pour une contrepartie d’une valeur inférieure à leur juste valeur marchande? Le débiteur fiscal et le bénéficiaire du transfert ont‑ils un lien de dépendance?), ainsi que toute question relative au bien‑fondé de la cotisation sous-jacente (c’est‑à‑dire la cotisation établissant l’obligation fiscale principale du débiteur fiscal) : Gaucher c. Canada, [2000] A.C.F. no 1869 (C.A.) (QL). Toutefois, en raison des restrictions imposées par l’article 166 (voir le paragraphe 43 plus haut), il n’est pas loisible à la Cour de l’impôt de remettre en question la décision du ministre d’invoquer l’article 160 sur le fondement d’un principe traditionnel du droit administratif.

D. Analyse

[65]J’ai dit que l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu est généralement considéré comme un moyen de recouvrement draconien, et ce, notamment pour les motifs suivants :

1) La loi ne prescrit aucun délai de prescription pour établir une cotisation en vertu de l’article 160. Elle n’en prescrit pas non plus pour la cotisation fondée sur l’article 152 (c’est‑à‑dire la cotisation initiale établissant l’obligation fiscale principale d’une personne). Cependant, la plupart des différends en matière d’impôt sur le revenu découlent d’une nouvelle cotisation et, dans la majorité des cas, la loi impose des délais pour l’établissement des nouvelles cotisations. La période normale de nouvelle cotisation est de trois ou quatre ans, selon la situation du contribuable (paragraphe 152(3.1) [mod. par L.C. 1998, ch. 19, art. 181; 1999, ch. 22, art. 63.1] de la Loi de l’impôt sur le revenu), mais elle peut être prolongée d’une période additionnelle de trois ans dans certains cas (alinéa 152(4)b) [mod. par L.C. 1998, ch. 19, art. 181] de la Loi de l’impôt sur le revenu). Aucune limite de temps ne s’applique pour établir une nouvelle cotisation si le contribuable a renoncé au délai prescrit (et n’a pas annulé sa renonciation), ou si le contribuable qui a produit une déclaration de revenu ou fourni des renseignements a commis quelque fraude ou fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire (alinéa 152(4)a) [mod., idem]).

2) Même si les conditions légalement requises pour l’application de l’article 160 sont réunies, le ministre a le pouvoir discrétionnaire d’établir ou de ne pas établir de cotisation en vertu de cet article. En revanche, le ministre n’a pas le pouvoir discrétionnaire d’établir ou non une cotisation en vertu de l’article 152.

3) Le ministre a le pouvoir discrétionnaire d’établir ou non une cotisation en vertu de l’article 160 à l’égard d’un débiteur fiscal sans avoir d’abord employé ou épuisé d’autres moyens de recouvrement (à comparer avec le paragraphe 227.1(2) [mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. V, art. 90] de la Loi de l’impôt sur le revenu).

4) Le ministre a le pouvoir discrétionnaire d’établir une cotisation en vertu de l’article 160 à l’égard d’un nombre indéterminé de personnes pour la même dette fiscale (dans chaque cas, jusqu’à concurrence de la valeur du bien qu’elles ont reçu du débiteur fiscal, déduction faite de toute contrepartie payée).

5) S’il y a plusieurs personnes susceptibles de répondre de la dette fiscale établie sous le régime de l’article 160, le ministre peut choisir parmi elles. Par exemple, si une personne a une dette fiscale de 1000 $ et fait un cadeau de 500 $ à chacun de ses trois enfants, chacun des enfants peut être tenu solidairement responsable de payer 500 $. Chacun des enfants aura donc formellement une dette fiscale de 500 $, soit un total de 1500 $ qui demeurera impayé jusqu’à ce que la dette fiscale de 1000 $ soit remboursée. Le ministre peut cependant décider d’établir une cotisation de 500 $ à l’égard de seulement deux des trois enfants, le troisième demeurant libre de toute dette fiscale. Dans l’un ou l’autre des cas, il faudrait régler toute question relative aux droits de contribution et d’indemnité entre les enfants et le débiteur fiscal sous le régime de droit commun.

6) Le ministre peut établir une cotisation en vertu de l’article 160 sans alléguer ou prouver une intention d’évasion fiscale, et la personne visée ne peut opposer une défense de diligence raisonnable (à comparer avec le paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui permet d’invoquer une défense fondée sur la diligence raisonnable dans le cas des administrateurs d’une société tenus responsables de ne pas avoir remis les déductions à la source retenues sur le salaire versé aux employés).

7) La personne visée par une cotisation fondée sur l’article 160 ne peut se soustraire à sa responsabilité en démontrant qu’elle ignore tout ou n’a pas le contrôle des affaires du débiteur fiscal, ou qu’elle ne peut les connaître ou les contrôler.

8) Comme les faits de la présente affaire le démontrent, l’article 160 peut s’appliquer même si les événements à l’origine de l’obligation fiscale principale se produisent après le transfert de biens qui déclenche l’application de l’article 160. C’est que l’obligation fiscale principale d’une personne pour une année d’imposition naît à la fin de l’année, alors que l’article 160 peut s’appliquer à un transfert de biens qui survient n’importe quand durant cette année.

9) La Loi de l’impôt sur le revenu ne contient aucune disposition permettant au bénéficiaire d’un transfert de biens d’obtenir, à l’avance, une décision exécutoire rapide quant à un assujettissement éventuel à l’article 160 (à comparer, par exemple, avec le « certificat avant répartition » qui peut servir à protéger ceux qui sont chargés de répartir les biens d’une fiducie ou d’une succession, ou ceux qui autrement pourraient être tenus responsables de ne pas avoir retenu l’impôt sur certaines sommes versées à une personne non‑résidente : paragraphe 159(2) [mod. par L.C. 1998, ch. 19, art. 185] et article 116 de la Loi de l’impôt sur le revenu, respectivement).

[66]Comme cette liste le démontre, la principale caractéristique de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu est que, dans toute situation où l’article 160 peut s’appliquer, le ministre a le pouvoir discrétionnaire de l’appliquer ou non.

[67]Que veut‑on dire, concrètement, lorsqu’on affirme que l’article 160 est un moyen de recouvrement que le ministre peut, à sa discrétion, choisir d’utiliser ou de ne pas utiliser? Cela signifie, par exemple, qu’une personne qui reçoit un dividende d’une société familiale risque automatiquement d’être tenue responsable de payer l’obligation fiscale principale de la société qui est antérieure ou contemporaine à l’année du versement du dividende. Parce que la loi ne prévoit aucune limite de temps à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre, qu’elle ne prévoit aucun mécanisme par lequel une personne risquant de faire l’objet d’une cotisation fondée sur l’article 160 pourrait calculer elle‑même le montant de son obligation fiscale, et parce qu’il n’existe aucun mécanisme par lequel une personne pourrait obliger le ministre soit à établir une cotisation en vertu de l’article 160, soit à rendre une décision exécutoire portant qu’il n’y en aura pas, le risque pour une personne de se voir assujettie à l’article 160 est perpétuel.

[68]À cela s’oppose la relative certitude des dispositions législatives touchant l’établissement de l’obligation fiscale principale de chaque contribuable. Les contribuables sont légalement tenus de produire une déclaration de revenus chaque année et d’estimer l’obligation fiscale principale qu’ils doivent pour cette année, la présomption étant qu’ils ont connaissance ou le moyen de prendre connaissance de leurs propres affaires fiscales. Le ministre n’a aucun pouvoir discrétionnaire dans l’établissement des cotisations et le calcul de l’obligation fiscale principale des contribua-bles. Le ministre doit établir cette obligation fiscale conformément aux dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu. Les contribuables peuvent se plaindre du retard ou de la mauvaise gestion des fonctionnaires du fisc dans le traitement de ces cotisations, ou même de leur conduite répréhensible, mais aucun de ces actes de la part d’un fonctionnaire du fisc ne peut réduire le montant de l’obligation fiscale principale d’une personne. Enfin, le droit du contribuable de s’adresser à la Cour de l’impôt signifie qu’il y a toujours un moyen d’établir avec exactitude le montant de son obligation fiscale en cas de différend.

[69]J’admettrai que la notion d’une obligation légale qui peut exister à perpétuité, sous réserve uniquement du pouvoir discrétionnaire du ministre, me rend très inconfortable. Cette situation rappelle une décision récente rendue par la Chambre des lords, Burton (Her Majesty’s Collector of Taxes) v. Mellham Limited, [2006] UKHL 6, dans laquelle lord Walker de Gestingthorpe fait la remarque suivante [au paragraphe 19] :

[traduction] [. . .] une obligation perpétuelle de payer des intérêts, sous réserve uniquement d’un pouvoir officiel discrétionnaire (et possiblement douteux) de recouvrement, serait une peine si disproportionnée qu’elle soulèverait un doute réel à savoir si le législateur a vraiment voulu que le système fonctionne ainsi.

Il s’agissait dans cette affaire d’une question d’interprétation d’une loi, plus précisément du sens du mot « paiement » utilisé dans une loi en matière d’impôt sur le revenu pour désigner un événement qui mettrait fin à la période durant laquelle des intérêts continuent de courir sur une dette fiscale. Le contribuable devait payer des impôts à une certaine date, et avait droit à un remboursement d’impôt à une date ultérieure. L’interprétation proposée par le contribuable aurait eu pour effet d’annuler son obligation de payer des intérêts à compter de la date d’admissibilité au remboursement, puisque le remboursement aurait opéré ou aurait dû compenser la dette fiscale. Les autorités fiscales ont plaidé qu’un « paiement » ne pouvait inclure une « compensation ». Toutefois, l’interprétation préconisée par le fisc aurait signifié que la dette fiscale porterait intérêt à perpétuité. La Chambre des lords a rejeté cette interprétation.

[70]Il est loisible au législateur d’édicter une loi qui fait courir à une personne le risque perpétuel d’être assujettie à l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu en rapport avec une transaction donnée, et ce, à l’entière discrétion du ministre qui peut décider d’établir ou de ne pas établir une cotisation. Il est loisible au législateur de ne fournir aucun mécanisme légal permettant à cette personne de prendre des mesures pour obtenir une décision exécutoire sur l’assujettissement à l’article 160.

[71]À mon avis, toutefois, le législateur doit employer un libellé clair et explicite pour priver une telle personne de la possibilité de se prévaloir de la protection minimale que lui confère le droit de demander le contrôle judiciaire de l’exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire. L’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales est‑il suffisamment explicite? On a répondu par l’affirmative à cette question dans le cas des cotisations fondées sur l’article 152 de la Loi de l’impôt sur le revenu, et même en ce qui concerne les dispositions permettant l’établissement d’une cotisation ou d’une nouvelle cotisation en tout temps (comme dans le cas d’un contribuable qui a commis une fraude). Toutefois, l’article 18.5 ne m’apparaît pas suffisamment explicite en ce qui a trait aux cotisations fondées sur l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu, compte tenu de l’étendue du pouvoir discrétionnaire qu’a le ministre de recourir à l’article 160, du fait que l’article 160 est essentiellement un outil de recouvrement et non de cotisation (même s’il établit un mécanisme de cotisation), et compte tenu du pouvoir limité qu’a la Cour de l’impôt de superviser les actes des fonctionnaires du fisc dans le cadre d’un appel d’une cotisation fondée sur l’article 160. J’interprète l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales comme n’empêchant pas la Cour fédérale de se saisir d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de l’exercice, par le ministre, de son pouvoir discrétion-naire d’établir une cotisation en vertu de l’article 160.

E. La Cour fédérale a‑t‑elle le pouvoir d’annuler une cotisation fiscale?

[72]Les appelants ont demandé, à titre de réparation, une ordonnance annulant les cotisations. La Couronne prétend que cette mesure corrective ne peut être accordée que par la Cour de l’impôt. Je ne suis pas de cet avis.

[73]La Cour de l’impôt peut annuler une cotisation dans le cadre d’un appel en matière d’impôt sur le revenu si elle est jugée incorrecte en droit ou en fait, elle qui a le pouvoir exclusif d’entendre les appels en cette matière. Toutefois, si mon interprétation de l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales est correcte et si la Cour fédérale peut connaître de la demande de contrôle judiciaire dans la présente affaire, aucune loi ou principe de droit n’empêcherait la Cour d’accorder une réparation analogue s’il est statué que le ministre a abusé de son pouvoir discrétionnaire.

[74]Il va sans dire qu’une réparation aussi extrême ne serait pas accordée à la légère, et ne le serait que dans les cas d’abus les plus flagrants. Même si elle relevait une quelconque irrégularité dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre, la Cour fédérale pourrait accorder une réparation moindre, ou aucune. Il reviendrait à la Cour fédérale, en étudiant la demande visant à obtenir une telle réparation, d’accorder l’importance voulue à la volonté du législateur d’imposer une responsabilité du fait d’autrui dans les circonstances décrites à l’article 160, ainsi qu’à la volonté du législateur d’accorder au ministre un pouvoir discrétionnaire sans limite de temps fixée par la loi. À mon avis, le délai en lui‑même ne serait pas une justification suffisante, mais si le délai est injustifié, et qu’il est démontré qu’il a causé une perte qui n’aurait pu être évitée ou atténuée grâce à la diligence raisonnable de la personne visée par la cotisation, une quelconque réparation pourrait alors être justifiée.

F. Autres recours appropriés

[75]La Couronne a plaidé que même si la Cour fédérale avait compétence pour se saisir de la demande de contrôle judiciaire des appelants, elle devrait refuser de le faire parce que ceux‑ci ont d’autres recours possibles, notamment le droit d’interjeter appel devant la Cour canadienne de l’impôt, le droit de demander au ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire de renoncer aux intérêts, et le droit d’engager une poursuite en dommages‑intérêts. Compte tenu des allégations particulières qui ont été formulées dans la présente affaire, je ne peux souscrire à l’argument de la Couronne.

[76]À mon avis, le droit d’interjeter appel d’une cotisation fondée sur l’article 160 devant la Cour canadienne de l’impôt n’est pas le recours approprié pour corriger les irrégularités que les appelants disent avoir été commises par le ministre dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’établir des cotisations en vertu de l’article 160. Comme ces allégations, même si elles sont prouvées, ne peuvent toucher le bien‑fondé des cotisations fondées sur l’article 160, la Cour canadienne de l’impôt n’a pas compétence pour connaître de ces allégations ni pour y remédier.

[77]De même, le droit de demander un redressement discrétionnaire au ministre sous forme de renonciation aux intérêts n’est pas un recours approprié en l’espèce. Les appelants allèguent qu’un retard indu leur a causé un préjudice injuste se rapportant au montant principal de leur obligation fiscale du fait d’autrui, de même qu’aux intérêts courus.

[78]Selon une certaine jurisprudence, un contribuable peut intenter une poursuite en dommages‑intérêts devant  la Cour fédérale ou la cour supérieure d’une province en alléguant des irrégularités commises par le ministre dans l’administration de la législation fiscale (voir Obonsawin c. Canada, 2004 CCI 3, appel abandonné, 2005 CAF 5). Cependant, la Cour a déjà dit qu’une décision administrative devait d’abord être contestée par voie de contrôle judiciaire plutôt que de poursuite en dommages‑intérêts : Canada c. Grenier, [2006] 2 R.C.F. 287 (C.A.F.). Compte tenu de la jurisprudence, il est impossible de conclure que si les appelants étaient empêchés de demander un contrôle judiciaire dans la présente affaire, une action en dommages‑intérêts constituerait un autre recours approprié (à supposer qu’ils soient en mesure de prouver leurs allégations).

[79]J’insiste sur le fait que je ne suis pas arrivée à la conclusion que les appelants ont établi que les cotisations fondées sur l’article 160 contestées devaient être annulées. Je ne peux pas conclure au fond sur leur demande de contrôle judiciaire, ni sur le bien‑fondé d’un recours en particulier, parce que tous les faits ne sont pas encore connus. Ma conclusion a pour seul effet de renvoyer la demande de contrôle judiciaire des appelants à la Cour fédérale pour audition.

G. Délai de présentation de la demande de contrôle judiciaire

[80]La demande de contrôle judiciaire des appelants a été déposée devant la Cour fédérale le 20 janvier 2005, près de quatre ans après l’établissement des cotisations en vertu de l’article 160. Le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales prévoit que les demandes de contrôle judiciaire d’une décision sont à présenter dans les 30 jours qui suivent la communication de cette décision à l’appelant, ou dans le délai supplémentaire qu’un juge de la Cour fédérale peut accorder. Bien que le dossier n’indique pas que la Cour fédérale a accordé un délai supplémentaire, la Couronne n’a pas plaidé, ni devant la Cour, ni devant la Cour fédérale, que la demande était hors délai. Aux fins du présent appel, j’ai présumé que la question du délai de présentation de la demande n’était pas en cause.

H. Conclusion

[81]J’accueillerais le présent appel, j’annulerais l’ordonnance de la Cour fédérale datée du 29 mars 2005, et je rejetterais la requête de la Couronne en radiation de la demande. Les appelants n’ayant fait aucune demande à cet effet, il n’y aura pas d’adjudication de dépens.

Le juge Malone, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[82]Le juge rothstein, J.C.A. (dissident) : J’ai lu les motifs de ma collègue, la juge Sharlow, mais je me vois incapable de convenir avec elle qu’il y a lieu d’accueillir l’appel.

[83]Je suis par contre d’accord avec les faits exposés dans ses motifs. Je conviens aussi que des fiscalistes ont critiqué l’article 160 comme étant un moyen de recouvrement draconien pour les raisons qu’elle a résumées. Enfin, je suis également d’avis que si la Cour fédérale avait compétence pour entendre la demande de contrôle judiciaire dans la présente affaire, il n’y aurait pas d’autre recours approprié.

[84]Cependant, je ne puis être d’accord avec sa prémisse fondamentale selon laquelle le retard du ministre à produire un avis de cotisation en vertu de l’article 160 peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire de la part de la Cour fédérale.

[85]Les juges majoritaires concluent que les mots « dans la mesure où elle est susceptible d’un tel appel », à l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales, donnent à la Cour fédérale la possibilité de contrôler la décision du ministre de produire une cotisation fondée sur l’article 160. À mon avis, même si cela est vrai de façon générale, le retard de la part du ministre à établir une cotisation fondée sur l’article 160 n’est pas susceptible d’examen par la Cour fédérale par voie de contrôle judiciaire.

[86]Selon le paragraphe 160(2) [mod. par L.C. 1998, ch. 19, art. 186], « [l]e ministre peut, en tout temps, établir une cotisation à l’égard d’un contribuable pour toute somme payable en vertu du présent article » [non souligné dans l’original]. Les mots « en tout temps » signifient qu’il n’y a pas de délai de prescription qui s’applique. Dans l’arrêt Markevich c. Canada, [2003] 1 R.C.S. 94, le juge Major a conclu que là où le législateur a employé les mots « en tout temps », il n’a voulu aucun délai de prescription. Au paragraphe 16 du jugement, le juge Major fait expressément référence au paragraphe 160(2) de la Loi :

De nombreuses dispositions de la LIR prévoient expressément que le ministre peut établir une cotisation en tout temps : voir les par. 152(4), 152(4.2), 159(3), 160(2), 160.1(3), 160.2(3), 160.3(2), 160.4(3) et 227(10.1). Le législateur démontre une intention claire de traiter de la question des délais de prescription dans la LIR lorsqu’il le juge nécessaire. Comme le souligne le juge Rothstein au par. 22, « [l]e législateur a réfléchi à la question de la prescription relativement à la Loi de l’impôt sur le revenu et quand il souhaite qu’aucun délai de prescription ne s’applique, il le dit clairement. »

[87]Si les mots « en tout temps » n’avaient pas été employés au paragraphe 160(2), on pourrait plaider que le retard du ministre à produire un avis de cotisation en vertu de l’article 160 devrait faire l’objet d’un contrôle judiciaire par la Cour fédérale pour des motifs d’équité ou autres. Je dois dire en toute déférence que les mots « en tout temps » signifient ce qu’ils disent : que le ministre peut établir une cotisation en tout temps et que, par conséquent, le moment où la cotisation est établie ne peut pas faire l’objet d’un contrôle judiciaire.

[88]Le législateur a dit que le ministre pouvait établir une cotisation en tout temps. Il n’y a pas d’autre condition qui s’applique. L’effet de la décision rendue par les juges majoritaires est d’incorporer dans le paragraphe 160(2) une condition, à savoir que le ministre peut établir une cotisation en tout temps sauf si, par exemple, son retard est trop important, le contribuable a fait preuve de diligence raisonnable, ou encore le retard lui a causé un préjudice. La Loi de l’impôt sur le revenu contient, lorsque le législateur estime qu’ils sont appropriés, des délais de prescription et des moyens de défense fondés sur la diligence raisonnable ou autres. Il ne l’a pas fait au paragraphe 160(2). La Cour doit prendre le texte législatif en l’état. Il ne lui est pas permis d’incorporer dans une disposition législative une condition imposant une restriction à ce que le législateur a expressément édicté dans les mots qu’il a employés.

[89]Je reconnais qu’il existe une certaine jurisprudence selon laquelle un délai déraisonnable peut donner lieu à un résultat inéquitable et donnera à la Cour la possibilité d’intervenir pour octroyer une réparation (voir Reg. v. Inland Revenue Comrs., Ex parte Preston, [1985] A.C. 835, à la page 851, le lord juge Scarmon et Blencoe c. Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307, au paragraphe 151, le juge LeBel, cités par les appelants). Toutefois, il s’agissait d’affaires où la Cour pouvait appliquer des règles de common law parce qu’il n’y avait pas de disposition législative allant dans le sens contraire. Une telle disposition législative existe au paragraphe 160(2). Je ne crois pas que ces décisions appuient la décision rendue par les juges majoritaires dans la présente affaire.

[90]Comme eux, je trouve gênant qu’une obligation imposée par la loi puisse, en théorie, exister à perpétuité, même si cela semble peu vraisemblable en pratique. Dans une situation où le libellé d’un texte législatif se prête à une interprétation ayant ou non pour résultat une obligation perpétuelle, l’interprétation rejetant l’obligation perpétuelle refléterait normalement l’intention la plus probable du législateur (voir Burton (Her Majesty’s Collector of Taxes) v. Mellham Limited, [2006] UKHL 6, lord Walker de Gestingthorpe). Toutefois, lorsque les mots employés par le législateur ne se prêtent pas à une telle autre interprétation, la Cour est liée par le libellé employé par le législateur. C’est le cas pour les mots « en tout temps ».

[91]Le paragraphe 160(1) s’applique dans des circonstances précises :

1. les transferts de biens à un époux ou à un conjoint de fait;

2. les transferts de biens à une personne de moins de 18 ans;

3. les transferts de biens à une personne avec laquelle l’auteur du transfert a un lien de dépendance.

La disposition ne vise que les transferts de biens en contrepartie d’une valeur inférieure à leur juste valeur marchande.

[92]Même si dans le sens retenu par les juges majoritaires, le paragraphe 160(1) peut être considéré comme un moyen de recouvrement draconien, il vise aussi une cible précise. Il ne vise que les transferts de biens à des personnes se trouvant dans des relations ou des situations particulières, et seulement lorsque le transfert est en contrepartie d’une valeur inférieure à la juste valeur marchande des biens transférés. Comme le paragraphe 160(1) s’applique dans des circonstances précises et limitées, l’intention du législateur n’est pas obscure. Le législateur voulait que le ministre puisse recouvrer les montants transférés dans ces circonstances limitées afin de régler l’obligation fiscale du premier contribuable, auteur du transfert. Compte tenu des circonstances entourant de telles transactions, il est clair que le législateur souhaitait qu’il n’y ait pas de délai de prescription ni aucune autre condition applicable au moment de l’établissement de la cotisation par le ministre.

[93]Si on considère qu’il y a un délai de prescription qui s’applique au moment où le ministre peut établir une cotisation fondée sur le paragraphe 160(2), on ouvre la porter à l’argument voulant que de pareils délais de prescription s’appliquent à d’autres dispositions de la Loi qui contiennent les mots « en tout temps ». Par exemple, la version anglaise du paragraphe 152(4) [mod. par L.C. 1998, ch. 19, art. 181] dispose que le ministre peut « at any time » (en tout temps) établir une cotisation si le contribuable a fait une présentation erronée des faits ou a commis une fraude. Le paragraphe 152(4) est formulé en partie comme suit :

152. [. . .]

(4) Le ministre peut établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire concernant l’impôt pour une année d’imposition, ainsi que les intérêts ou les pénalités [. . .] dans les cas suivants :

a) le contribuable [. . .]

(i) soit a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis quelque fraude en produisant la déclaration ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la présente loi.

[94]En anglais, les premiers mots du paragraphe 152(4) sont identiques aux premiers mots du paragraphe 160(2). Malgré la distinction établie par la juge Sharlow entre les cotisations fondées sur l’article 152 et les cotisations établies en vertu du paragraphe 160(2), je crois que si un délai de prescription s’applique dans le cas du paragraphe 160(2), il sera difficile de plaider qu’il ne s’applique pas au paragraphe 152(4). Or s’il s’appliquait, le contribuable qui a volontairement fait une présentation erronée des faits ou commis une fraude pourrait opposer le retard comme moyen de défense, de la même manière que l’ont fait les appelants dans la présente affaire. Je ne crois pas que le législateur ait eu l’intention de permettre aux contribuables qui ont agi de la sorte de soulever le retard du ministre à établir une cotisation comme moyen de contester une cotisation fondée sur le paragraphe 152(4).

[95]Dans leur mémoire, mais pas dans leur plaidoirie orale, les appelants ont fait référence à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés et à l’article premier de la Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appendice III [Déclaration des droits]. Ils n’ont pas laissé entendre que l’article 160 était inconstitutionnel et devrait être abrogé ou interprété de manière plus étroite. Ils ont simplement dit que l’existence de la Charte et, semble‑t‑il, de la Déclaration des droits exige qu’un pouvoir illimité conféré par la loi soit interprété en y incorporant une réserve implicite d’équité quant à son usage.

[96]Les appelants n’ont pas fourni d’analyse élaborée expliquant pourquoi le libellé clair d’une disposition législative devrait être assujetti à des réserves implicites. Je déduis que ce qu’ils veulent dire, c’est qu’un large pouvoir discrétionnaire ne doit pas être exercé d’une manière qui contrevient à la Charte ou à la Déclaration des droits (voir Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, à la page 1079, le juge Lamer (tel était son titre) en partie dissident).

[97]Le problème que pose cet argument tient au fait que le paragraphe 160(2) confère expressément au ministre le pouvoir d’établir une cotisation en tout temps. Quelles que soient les restrictions que la Charte ou la Déclaration des droits peuvent imposer au pouvoir discrétionnaire du ministre d’établir une cotisation fondée sur le paragraphe 160(2), ces restrictions ne peuvent pas toucher le moment auquel le ministre choisit de le faire, parce que la disposition législative—que les appelants ne contestent pas—confère expressément un pouvoir au ministre d’établir une cotisation en tout temps.

[98]Par conséquent, la Charte et la Déclaration des droits n’appuient guère la thèse des appelants.

[99]Pour ces motifs, lorsque la question en litige a trait au retard dans l’établissement d’une cotisation fondée sur l’article 160, je crois que le raisonnement exposé dans Webster c. Canada, 2003 CAF 388, quant à l’effet de l’article 18.5 de la Loi sur la Cour fédérale [maintenant Loi sur les Cours fédérales] ne peut se distinguer de la présente affaire. Au paragraphe 19 de cet arrêt, la juge d’appel Sharlow a déclaré :

Selon le paragraphe 169(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, la décision d’un préposé aux appels, prise en application du paragraphe 165(3) de cette même Loi, de confirmer une cotisation peut être l’objet d’un appel devant la Cour canadienne de l’impôt. Par conséquent, selon l’article 18.5 de la Loi sur la Cour fédérale, la décision en question ne peut être l’objet d’une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale.

[100]Selon l’article 18.5, il ne peut y avoir de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale lorsqu’il est possible d’interjeter appel devant une autre cour. Le recours dont disposent les appelants dans la présente affaire consiste à interjeter appel devant la Cour canadienne de l’impôt. Ils pourront y contester le bien‑fondé de la cotisation établie à l’égard du premier contribuable, York, ainsi que de celles établies à leur égard. La seule question est de savoir si les montants établis sont fondés en droit.

[101]Je ne suis pas arrivé à ma conclusion sans me soucier des difficultés que les cotisations fondées sur l’article 160 semblent avoir imposées aux appelants. Il semble qu’ils aient à bon droit retiré de York, en 1989, le produit de la vente des actifs de York. Le problème a trait à la vente de leurs actions de York à  388777 Alberta Limited, pour lesquelles ils ont reçu 1 115 000 $.

[102]Aujourd’hui, les cotisations fondées sur l’article 160 visent à leur faire assumer l’obligation fiscale de York s’élevant à 1 978 665,97 $, la pénalité imposée à York qui s’élève à 229 527,82 $ ainsi que les intérêts courus sur la dette fiscale et la pénalité de York, qui s’établissaient à 4 456 440,80 $ en date du 12 février 2001. Depuis cette date, d’autres intérêts se seront ajoutés. Au vu des faits établis dans l’avis de demande de contrôle judiciaire et les affidavits souscrits à l’appui, le résultat draconien des cotisations fondées sur l’article 160 dans la présente affaire permet de penser que l’article 160 a une portée excessive. La portée excessive de l’article 160 est une question qui relève du législateur, ou peut‑être, dans la mesure où il existe, du pouvoir discrétionnaire du ministre en ce qui a trait aux intérêts et à la pénalité. Ce n’est pas une question qui relève des tribunaux, et plus particulièrement, d’un contrôle judiciaire de la part de la Cour fédérale.

[103]J’aurais rejeté l’appel, avec dépens.

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