Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

IMM‑3836‑05

2006 CF 311

Maria Bonnie Arias Garcia et Robert Salgado‑Arias et Rodolfo Valdes‑Arias (alias Rodolfo Arias‑Garcia) (demandeurs)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (défendeurs)

Répertorié : Garcia c. Canada (Ministre de la Citoyen-neté et de l’Immigration) (C.F.)

Cour fédérale, juge Tremblay‑Lamer—Montréal, 1er février; Ottawa, 9 mars 2006.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi —  Renvoi de visiteurs — Contrôle judiciaire de la décision de l’agente chargée du renvoi de ne pas accorder de sursis statutaire en vertu de l’art. 50a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) après que les demandeurs ont été frappés d’une mesure d’expulsion — Les demandeurs mexicains, une mère et ses deux enfants, sont arrivés au Québec avec un statut de visiteur —  Litige portant sur la garde de leur fils devant les tribunaux mexicains et canadiens —  La Cour d’appel du Québec a annulé la décision de la Cour supérieure du Québec ordonnant le retour du fils au Mexique —  La décision a eu un effet direct sur la mesure de renvoi —  Le pouvoir discrétionnaire de l’agent chargé du renvoi est restreint aux considérations portant sur le moment où la mesure de renvoi doit être exécutée —  L’agent chargé du renvoi n’a d’autre choix que d’accorder le sursis statutaire prévu à l’art. 50a) de la LIPR lorsqu’il constate qu’un demandeur fait l’objet d’une ordonnance judiciaire —  Cependant, les décisions judiciaires qui entraînent un sursis de la mesure de renvoi ne permettent pas aux demandeurs de se soustraire aux autres obligations prévues par la même loi —  En conséquence, le sursis ne peut qu’être temporaire et ne peut avoir pour effet d’empêcher indéfiniment la mesure de renvoi —  De même, l’intérêt supérieur de l’enfant ne fait pas obstacle au renvoi de son parent se trouvant illégalement au Canada —  Demande accueillie — La question de savoir quel effet un jugement d’un tribunal provincial peut avoir sur l’exécution d’une mesure de renvoi prise en application de la LIPR a été certifiée.

Interprétation des lois —  Art. 50a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) —  Contrôle judiciaire de la décision de l’agente chargée du renvoi de ne pas accorder de sursis statutaire en vertu de l’art. 50a) de la LIPR) après que les demandeurs ont été frappés d’une mesure d’expulsion —  L’art. 50a) dispose qu’il y a sursis de la mesure de renvoi lorsqu’une décision judiciaire a pour effet direct d’en empêcher l’exécution —  Examen des critères qui doivent guider la Cour dans une analyse  sous  l’art. 50a) de la LIPR —  Les mots « a pour effet direct d’en empêcher » doivent être interprétés restrictivement lorsqu’il s’agit d’évaluer l’application de la décision judiciaire —  L’art. 50a) a été interprété restricti-vement  et  comme  étant une mesure temporaire suspendant la  procédure  de  renvoi  en  attendant  que le décideur prenne une décision finale dans le dossier —  L’interprétation doit  être  en  harmonie  avec  l’esprit  de  la LIPR et permettre aux lois fédérale et provinciale de co‑exister —  La décision de la Cour d’appel du Québec n’était pas incompatible avec une interprétation restreinte de l’art. 50a) de la LIPR.

Conflit de lois —  Application du principe de la prépondérance de la loi fédérale sur toute règle de droit provinciale incompatible —  La loi provinciale serait donc inopérante —  L’effet d’un sursis permanent en l’espèce entraînerait un conflit entre la loi fédérale et la loi provinciale, mais l’interprétation de l’art. 50a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés en tant que mesure temporaire écarterait un tel conflit —  Cette interprétation permettrait aux deux lois de co‑exister.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agente chargée du renvoi de ne pas accorder aux demandeurs le sursis statutaire prévu à l’alinéa 50a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR). L’alinéa 50a) dispose qu’il y a sursis de la mesure de renvoi si une décision judiciaire a pour effet direct d’en empêcher l’exécution. Les demandeurs, une mère et ses deux enfants, sont arrivés au Québec alors qu’une ordonnance d’un tribunal mexicain accordait la garde de l’enfant Rodolfo à son père. Par la suite, les demandeurs ont été arrêtés à un poste frontalier au motif d’enlèvement en contravention à une ordonnance de garde et en vertu de deux mandats d’arrestation émis par le Mexique. Un rapport d’immigration a alors été émis contre les demandeurs et leur dossier a été déféré aux autorités canadiennes de l’immigration. La demanderesse a alors demandé l’asile pour elle et ses enfants. La Cour supérieure du Québec a ordonné le retour immédiat de Rodolfo au Mexique en vertu d’une loi provinciale relative à la protection des enfants, mais la Cour d’appel du Québec a cassé ce jugement. Une mesure d’expulsion a ensuite été émise contre les demandeurs et une agente immigration a refusé d’accorder un sursis en vertu de l’alinéa 50a). La question en litige était celle de savoir si la décision de la Cour d’appel du Québec avait pour effet d’imposer un sursis statutaire en vertu de l’alinéa 50a) de la LIPR.

Jugement : la demande doit être accueillie.

La question s’est articulée exclusivement autour de l’interprétation de l’alinéa 50a) de la LIPR. La jurisprudence a établi les critères qui doivent guider la Cour dans une analyse sous l’alinéa 50a) de la LIPR. Le premier critère exige qu’une analyse sous cet alinéa ait une portée restreinte. Les mots « a pour effet direct d’en empêcher » doivent être interprétés restrictivement lorsqu’il s’agit d’évaluer l’application de la décision judiciaire. Ainsi, puisque la décision de la Cour d’appel du Québec ne vise que l’enfant Rodolfo, elle ne peut avoir d’effet direct sur la mesure de renvoi contre les autres demandeurs. Le deuxième critère fait ressortir l’importance qu’il faut donner aux décisions rendues sous l’emprise de l’alinéa 50(1)a) de l’ancienne Loi sur l’immigration, qui ressemble à l’alinéa 50a) de la LIPR. Cette jurisprudence appuie donc l’interprétation étroite qu’il faut donner à l’alinéa 50a) selon laquelle il faut qu’il y ait une disposition expresse inconciliable avec le renvoi de la personne visée afin qu’il y ait contravention directe à une ordonnance judiciaire. Selon le troisième critère, les dispositions législatives doivent s’interpréter en harmonie avec l’esprit et l’objet de la LIPR ainsi qu’avec l’intention du législateur.

La Cour d’appel du Québec a décidé de façon non équivoque que le retour de Rodolfo au Mexique ne devrait pas avoir lieu puisqu’il s’était intégré dans son nouveau milieu. L’alinéa 50a) de la LIPR reconnaît qu’il peut exister des situations qui entraînent un sursis statutaire dont l’objectif unique sera de respecter l’esprit d’une décision judiciaire. De telles circonstances sont exceptionnelles et ne peuvent avoir pour effet d’empiéter sur le champ de compétence du Parlement en matière d’immigration. La décision d’accorder ou non le sursis statutaire revient à l’agent de renvoi. Conformément au but de la LIPR et à l’article 49 en particulier, le pouvoir discrétionnaire de l’agent chargé du renvoi est clairement restreint aux considérations portant sur le moment où la mesure de renvoi doit être exécutée. L’agent n’a pas à se livrer à un examen des raisons d’ordre humanitaire avant le renvoi, mais il peut à bon droit tenir compte d’une gamme de facteurs, entre autres, si le demandeur fait l’objet d’une ordonnance judiciaire exigeant sa présence au Canada. Vu la discrétion restreinte de l’agent, celui‑ci n’a d’autre choix que d’accorder le sursis statutaire prévu à l’alinéa 50a) lorsqu’il constate qu’un demandeur fait l’objet d’une ordonnance judiciaire. Le sursis permettra à l’autorité compétente d’examiner le dossier afin de déterminer si l’intérêt supérieur de l’enfant, ou d’autres facteurs, empêche le renvoi définitif. Cependant, le sursis ne peut être que temporaire et ne peut avoir pour effet d’empêcher indéfiniment la mesure de renvoi. Ainsi, la décision de la Cour d’appel du Québec n’était pas incompatible avec une interprétation restrictive de l’alinéa 50a) de la LIPR.

De plus, il est bien établi qu’en cas de conflit de lois, la prépondérance de la loi fédérale sur toute règle de droit provinciale incompatible rendra celle‑ci inopérante. L’effet d’un sursis permanent en l’espèce entraînerait un conflit entre la loi provinciale, soit la Loi sur les aspects civils de l’enlèvement international et interprovincial d’enfants (LACEE), et la LIPR fédérale en ce sens que l’observance de l’une entraîne l’inobservance de l’autre. Cependant, l’interprétation du sursis de l’alinéa 50a) comme temporaire écarte un tel conflit. Cette interprétation est la plus harmonieuse dans les circonstances puisqu’elle permet à la LACEE et à la LIPR de co‑exister.

L’intention du législateur fédéral était claire. Les décisions judiciaires qui entraînent un sursis de la mesure de renvoi ne permettent pas aux demandeurs de se soustraire aux autres obligations prévues par la même loi. Le sursis statutaire prévu à l’alinéa 50a) est donc une mesure temporaire suspendant la procédure de renvoi en attendant que le décideur prenne une décision finale dans le dossier.

Il appartient au décideur de se montrer réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant et de lui accorder le poids qu’il mérite dans les circonstances de l’espèce. Dans le cas où il s’agit de considérer l’impact d’une décision judiciaire qui interprète l’article 20 de la LACEE et qui conclut à l’intégration de l’enfant dans son milieu, il est évident que l’intérêt de l’enfant sera un facteur auquel il faudra attribuer un poids important.

Le fait que Rodolfo puisse bénéficier du sursis statutaire n’empêchait pas le renvoi de sa mère puisque l’intérêt supérieur de l’enfant ne fait pas absolument obstacle au renvoi de son parent se trouvant illégalement au Canada. La question de savoir si le jugement d’un tribunal provincial refusant d’ordonner le retour d’un enfant en conformité avec une loi provinciale et une convention internationale peut avoir pour effet d’empêcher directement et indéfiniment l’exécution d’une mesure de renvoi prise en vertu de la LIPR a été certifiée.

lois et règlements cités

Loi sur les aspects civils de l’enlèvement international et interprovincial d’enfants, L.R.Q., ch. A‑23.01, art. 20.

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I‑2, art. 50(1)a).

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 44(1), 49, 50.

jurisprudence citée

décisions appliquées :

Alexander c. Canada (Solliciteur général), [2006] 2 R.C.F. 681; 2005 CF 1147; Perez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1317.

décisions examinées :

R.V.M. c. M.B.G.A., [2004] R.D.F. 154 (C.S. Qué.); inf. par sub nom. M.B.G.A. c. R.V.M., [2004] R.D.F. 500 (C.A. Que.); Cuskic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 3 (C.A.); Mobtagha c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 108 (1re inst.) (QL); Multiple Access Ltd. c. McCutcheon et autres, [1982] 2 R.C.S. 161; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.

décisions citées :

Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 936 (1re inst.) (QL); Adviento c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1430; Smith v. The Queen, [1960] R.C.S. 776; (1960), 25 D.L.R. (2d) 225; 128 C.C.C. 145; 33 C.R. 318; Louis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1344; Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 4 C.F. 358; 2002 CAF 125; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Liyanagamage, [1994] A.C.F. no 1637 (C.A.) (QL).

doctrine citée

Citoyenneté et Immigration Canada. Guide de l’immigration : Exécution de la loi (ENF). Chapitre ENF 10 : Renvois, en ligne : <http ://www.cic.gc.ca/ manuals‑guides/francais/enf/enf10f.pdf>

Sullivan, Ruth. Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4th ed. Toronto : Butterworths, 2002.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision de l’agente chargée du renvoi de ne pas accorder de sursis statutaire aux demandeurs en vertu de l’alinéa 50a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) après qu’un jugement de la Cour d’appel du Québec a refusé d’ordonner le retour de l’enfant de la demanderesse à son ex‑mari au Mexique. Demande accueillie.

ont comparu :

Jean El Masri pour les demandeurs.

Ian Demers pour les défendeurs.

avocats inscrits au dossier :

El Masri, Dugal, Montréal, pour les demandeurs.

Le sous‑procureur général du Canada pour les défendeurs.

Voici les motifs du jugement et le jugement rendus en français par

[1]La juge Tremblay-Lamer: Les demandeurs contestent la décision de l’agente de renvoi, datée du 17 juin 2005 de ne pas leur avoir accordé de sursis statutaire tel qu’il est prévu à l’alinéa 50a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

[2]En juillet 1999, au Mexique, la demanderesse et son mari, M. Valdes, se séparèrent et entamèrent des procédures judiciaires concernant la garde de leur enfant Rodolfo.

[3]Le 6 décembre 2001, un tribunal mexicain accordait la garde provisoire de Rodolfo à la demanderesse et des droits d’accès à M. Valdes.

[4]La demanderesse fit émettre pour Rodolfo un certificat de naissance portant un nom autre que le sien. Un passeport mexicain fut émis pour Rodolfo sous ce faux nom.

[5]Le 24 juin 2002, les demandeurs sont arrivés au Québec avec un statut de visiteur.

[6]En février 2003, ils sont retournés au Mexique pour des entrevues avec les autorités québécoises au sujet des certificats de sélection du Québec.

[7]Le 28 avril 2003, des certificats de sélection du Québec ont été émis au nom des demandeurs, incluant le certificat de sélection pour Rodolfo émis sous son faux nom.

[8]Cette même journée, un jugement mexicain renversa le jugement du 6 décembre 2001 et confia la garde de Rodolfo à M. Valdes.

[9]Le 28 mai 2003, suite à un séjour de plus de deux mois au Mexique, les demandeurs sont revenus au Québec.

[10]Le 22 octobre 2003, la garde de Rodolfo fut restituée à la demanderesse suite à un nouveau jugement mexicain.

[11]Leur statut de visiteur prenant bientôt fin, la demanderesse et ses deux enfants sont allés aux États‑Unis le 9 novembre 2003. Ils furent arrêtés au poste frontalier de Lacolle au motif d’enlèvement en contravention à une ordonnance de garde et en vertu de deux mandats d’arrestation émis par le Mexique les 25 juin et 25 septembre 2002.

[12]Un rapport prévu au paragraphe 44(1) a été émis contre les demandeurs, et leur dossier a été déféré à la Section de l’immigration (SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

[13]La demanderesse demanda alors l’asile pour elle et ses enfants.

[14]Le 17 novembre 2003, la demanderesse a présenté, devant la Cour supérieure du Québec, une requête en vue d’obtenir la garde de Rodolfo. Ce même jour, M. Valdes présenta, devant la même cour, une requête exigeant le retour immédiat de Rodolfo au Mexique, en vertu de la Loi sur les aspects civils de l’enlèvement international et interprovincial d’enfants, L.R.Q., ch. A‑23.01 (la LACEE).

[15]Le 7 janvier 2004, la Cour supérieure du Québec accueillit la requête de M. Valdes et ordonna le retour immédiat de Rodolfo au Mexique [R.V.M. c. M.B.G.A., [2004] R.D.F. 154].

[16]Le 8 juin 2004, la Cour d’appel du Québec accueillit l’appel interjeté par la demanderesse à l’encontre du jugement de la Cour supérieure, cassa ce jugement, et rejeta la requête de M. Valdes [M.B.G.A. c. R.V.M., [2004] R.D.F. 500].

[17]Le 6 octobre 2004, un jugement mexicain prononçant le divorce entre les parties, confia la garde de Rodolfo à la demanderesse et attribua l’autorité parentale aux deux parents.

[18]Le 19 janvier 2005, la SI émit une mesure d’expulsion contre les demandeurs.

[19]Le 26 mai 2005, l’agente d’ERAR [examen des risques avant renvoi] a rendu une décision négative à l’encontre de la demande d’ERAR présentée par la demanderesse aux motifs qu’il n’y a pas de risque personnel pour elle et ses enfants au Mexique et que la protection de l’État leur est disponible.

[20]Le 17 juin 2005, l’agente de renvoi a refusé d’accéder à la demande des demandeurs voulant qu’un sursis leur soit accordé en vertu de l’alinéa 50a) de la LIPR.

ANALYSE

[21]Pour ce qui est de la norme de contrôle concernant le sursis statutaire, je suis d’avis qu’il s’agit de la décision correcte puisque le litige porte exclusivement sur une question d’interprétation de l’alinéa 50a) de la LIPR : Alexander c. Canada (Solliciteur Général), [2006] 2 R.C.F. 681 (C.F.).

[22]L’alinéa 50a) de la LIPR prévoit ce qui suit :

50. Il y a sursis de la mesure de renvoi dans les cas suivants :

a) une décision judiciaire a pour effet direct d’en empêcher l’exécution, le ministre ayant toutefois le droit de présenter ses observations à l’instance

[23]La décision de la Cour d’appel du Québec a‑t‑elle pour effet d’entraîner un sursis statutaire en vertu de l’alinéa 50a) de la LIPR?

[24]L’interprétation de cette disposition législative a fait l’objet de deux décisions récentes lesquelles ont établi les critères qui doivent nous guider dans une analyse sous l’alinéa 50a) de la LIPR.

[25]Dans l’arrêt Alexander, ci‑dessus, il s’agissait de savoir si une ordonnance de la Cour de justice de l’Ontario donnant à la demanderesse la garde de ses deux enfants (citoyens canadiens), et prévoyant qu’ils ne pourront pas être déplacés de l’Ontario, créait un sursis statutaire conformément à l’alinéa 50a) de la LIPR afin d’empêcher une mesure de renvoi contre la demanderesse. La juge Eleanor Dawson a conclu que l’application de la mesure de renvoi contre la demanderesse n’aura pas l’effet direct de contredire l’ordonnance de la Cour de justice de l’Ontario puisque la mesure de renvoi n’avait aucun effet sur le lieu matériel où se trouvaient les enfants. Elle a proposé les critères suivants qui ont été résumés par le juge Paul Rouleau dans l’arrêt Perez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1317 comme suit au paragraphe 16 :

(i)            Une analyse fondée sur l’alinéa 50a) doit avoir une portée restreinte et, par conséquent, les mots « a pour effet direct d’en empêcher » doivent être interprétés restrictivement dans l’évaluation d’une décision judiciaire.

(ii)           La jurisprudence se rapportant à l’alinéa 50(1)a) de l’ancienne Loi sur l’immigration doit se voir accorder toute l’importance voulue puisque la disposition actuelle est semblable à l’ancienne.

(iii)          Les dispositions législatives doivent être interprétées en harmonie avec l’esprit et l’objet de la Loi ainsi qu’avec l’intention du législateur, compte tenu notamment que les non‑citoyens n’ont pas un droit absolu d’entrer au Canada ou d’y demeurer et qu’une mesure d’expulsion valide doit être exécutée dès que les circonstances le permettent.

[26]Quant à l’application de ces trois critères, le juge Rouleau a ajouté qu’il ne s’agissait pas d’une liste exhaustive mais plutôt illustrative. Il est important que chaque cas soit étudié au mérite, le décideur déterminant le poids qu’il faut accorder à chacun des critères établis. Le juge Rouleau écrit ce qui suit au paragraphe 17 :

Les trois facteurs énoncés par la juge Dawson et résumés ci‑dessus ne constituent pas une liste exhaustive des facteurs à prendre en considération dans l’analyse faite en vertu de l’alinéa 50a), mais ils constituent plutôt une liste exemplative. Chaque cas doit être considéré sur le fond et les faits, et les facteurs décrits constituent un ensemble de principes directeurs exemplatifs auxquels se référer dans pareille analyse. De plus, ces facteurs ne sont pas nécessairement cumulatifs. Chaque cas doit être examiné sur le fond et celui à qui revient la décision doit décider de l’importance à accorder à chaque facteur eu égard aux circonstances particulières. Compte tenu des trois facteurs énoncés par la juge Dawson, la présente affaire peut faire l’objet d’un examen.

[27]Le premier critère exige qu’une analyse sous l’alinéa 50a) ait une portée restreinte. Les mots « a pour effet direct d’en empêcher » doivent être interprétés restrictivement lorsqu’il s’agit d’évaluer l’application de la décision judiciaire.

[28]Ainsi, dans le présent dossier, puisque la décision de la Cour d’appel du Québec ne vise que l’enfant Rodolfo, elle ne peut avoir d’effet direct sur la mesure de renvoi contre les autres demandeurs.

[29]Le deuxième critère réitère l’importance qu’il faut donner aux décisions rendues sous l’empire de l’alinéa 50(1)a) de l’ancienne Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I‑2 (l’ancienne Loi), laquelle est fondamentalement semblable à l’alinéa 50a) de la LIPR. Dans l’arrêt Cuskic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 3 (C.A.), la Cour d’appel fédérale a déterminé qu’une ordonnance de probation requérante du contrevenant de rapporter régulièrement à un agent de probation n’empêchera pas une mesure de déportation. Dans l’arrêt Mobtagha c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 108 (1re inst.) (QL), le juge Rouleau a décidé qu’une ordonnance émise par le lieutenant‑gouverneur du Québec n’était pas une « ordonnance judiciaire ». Le juge Rouleau a fait une revue exhaustive de la jurisprudence antérieure pour conclure que la LIPR accordait un sursis dans le seul cas où l’ordonnance judiciaire renfermait des dispositions précises dont l’exécution de la mesure d’expulsion entraînerait la violation.

[30]Cette jurisprudence appuie donc l’interprétation étroite qu’il faut donner à l’alinéa 50a) selon laquelle il faut qu’il y ait une disposition expresse inconciliable avec le renvoi de la personne visée afin qu’il y ait contravention directe à une ordonnance judiciaire.

[31]Quant au troisième critère, selon lequel les dispositions législatives doivent s’interpréter en harmonie avec l’esprit et l’objet de la LIPR ainsi qu’avec l’intention du législateur, la juge Dawson [dans l’arrêt Alexander] reprend les propos de la Cour d’appel dans Cuskic, où le juge Gilles Létourneau affirmait que l’on ne peut donner une interprétation à l’alinéa 50(1)a) de l’ancienne Loi qui irait à l’encontre de l’objectif de la LIPR qui est l’expulsion rapide du Canada des individus non admissibles. Elle énonce ce qui suit, au paragraphe 35 :

En troisième lieu, les dispositions législatives doivent s’interpréter en harmonie avec l’esprit et l’objet de la Loi ainsi qu’avec l’intention du législateur. Dans l’arrêt Cuskic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 3, la Cour d’appel fédérale a examiné la question de savoir si l’exécution d’une mesure de renvoi à l’encontre d’une personne visée par une ordonnance de probation renfermant l’obligation de se présenter devant un agent de probation sur une base périodique précise irait directement à l’encontre de l’ordonnance de probation et permettrait ainsi d’invoquer le sursis prévu à l’alinéa 50(1)a) de l’ancienne Loi. La Cour d’appel a reconnu que l’obligation de la personne visée de se présenter régulièrement devant son agent de probation exigeait la présence au Canada. Néanmoins, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’alinéa 50(1)a) ne pouvait être interprété de manière littérale sans prendre dûment en considération l’esprit général de l’ancienne Loi. Aux paragraphes 25 et 26, le juge Létourneau a écrit au nom de la Cour :

À mon avis, l’interprétation large que l’on a donnée aux exceptions précises prévues à l’article 50, en particulier à l’alinéa 50(1)a), mène à des conséquences injustes et déraisonnables que le législateur fédéral n’a pu vouloir produire. J’estime qu’il convient, dans les circonstances de l’espèce, [traduction] « où il semble que les conséquences de l’adoption d’une interprétation seraient absurdes […] de la rejeter en faveur d’une solution de rechange plausible qui évite l’absurdité » : voir R. Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd., 1994, Toronto : Butterworths, à la page 79. La solution de rechange consiste, selon moi, à considérer que les ordonnances de probation n’étaient pas destinées à surseoir à l’exécution d’une mesure de renvoi valable et à empêcher le ministre de remplir l’obligation que lui impose l’article 48 de la Loi d’agir de façon diligente et expéditive.

Accepter l’interprétation que le juge saisi en révision a donnée à l’alinéa 50(1)a) va à l’encontre de l’objectif de la partie III de la Loi, qui, répétons‑le, est l’expulsion rapide du Canada des individus non admissibles, et compromet l’efficacité de la Loi dans son ensemble.

[32]En l’espèce, il convient donc de choisir une interprétation en harmonie avec l’esprit de la LIPR.

[33]C’est en me guidant sur ces facteurs que j’ai conduit la présente analyse. En l’espèce, la Cour d’appel du Québec a décidé de façon non équivoque quant à moi que le retour de l’enfant Rodolfo au Mexique ne devrait pas avoir lieu puisqu’il s’était intégré dans son nouveau milieu. Je reproduis intégralement la conclusion de la juge Louise Mailhot, au paragraphe 41 :

Je conclus que la preuve démontre l’intégration de l’enfant dans son nouveau milieu et je propose, pour ces raisons, d’accueillir l’appel, de casser le jugement de première instance et de rejeter la requête pour retour immédiat de l’enfant Rodolfo au Mexique, chaque partie payant ses frais.

[34]Il est difficile de prétendre, comme le suggèrent les défendeurs, que cette décision n’a pas un effet direct sur la décision de l’agente de renvoi qui a ordonné le retour de l’enfant Rodolfo.

[35]D’une part, les demandeurs prétendent que dans de telles circonstances, l’agente de renvoi n’avait d’autre choix que d’accorder le sursis statutaire prévu à l’alinéa 50a) de la LIPR.

[36]D’autre part, les défendeurs prétendent qu’une telle interprétation est absurde puisqu’elle permettrait de contourner les dispositions impératives de la LIPR en matière d’obtention de la résidence permanente et du droit de demeurer au Canada.

[37]Quelle est donc la portée de l’alinéa 50a) de la LIPR dans les circonstances?

[38]À mon avis, l’alinéa 50a) reconnaît qu’il peut exister des situations qui entraînent un sursis statutaire dont l’objectif unique sera de respecter l’esprit d’une décision judiciaire. De telles circonstances sont exceptionnelles et ne peuvent avoir pour effet d’em-piéter sur le champ de compétence du Parlement en matière d’immigration.

[39]Je remarque d’abord que la décision d’accorder ou non le sursis statutaire revient à l’agent de renvoi (Guide de l’immigration : Exécution de la loi (ENF), Chapitre ENF 10 : Renvois). Il est important de rappeler que conformément au but de la LIPR et à l’article 49 en particulier, le pouvoir discrétionnaire de l’agent chargé du renvoi est clairement restreint aux considérations portant sur le moment où la mesure de renvoi doit être exécutée (Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 936 (1re inst.) (QL), au paragraphe 12).

[40]Il ne s’agit pas, comme l’indique mon collègue le juge Luc Martineau dans Adviento c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1430, d’exiger un « mini » examen des raisons d’ordre humanitaire avant le renvoi. L’agent peut à bon droit tenir compte d’une gamme de facteurs, entre autres, comme il le s’agit dans la présente affaire, si le demandeur fait l’objet d’une ordonnance judiciaire exigeant sa présence au Canada.

[41]À mon avis, vu la discrétion restreinte de l’agent chargé du renvoi qui ne lui permet pas de conduire un examen des raisons humanitaires, celui‑ci n’a d’autre choix que d’accorder le sursis statutaire prévu à l’alinéa 50a) lorsqu’il constate qu’un demandeur fait l’objet d’une ordonnance judiciaire. Le sursis permettra à l’autorité compétente d’examiner le dossier afin de déterminer si l’intérêt supérieur de l’enfant, ou d’autres facteurs, empêche le renvoi définitif.

[42]Cependant, ce sursis ne peut qu’être temporaire et ne peut avoir pour effet d’empêcher indéfiniment la mesure de renvoi. L’alinéa 50a) s’inscrit dans le contexte des alinéas 50b) à e) de la LIPR qui accordent un sursis temporaire à l’intéressé dans certaines circonstances et non pas un sursis permanent.

[43]Ainsi, la décision de la Cour d’appel du Québec n’est pas incompatible avec une interprétation restrictive de l’alinéa 50a).

[44]Une décision judiciaire ne pourrait avoir pour effet d’accorder un sursis permanent à un demandeur puisque, si l’autorité compétente ne lui octroie pas la résidence permanente, celui‑ci resterait sans statut au Canada et ce, pour une durée indéterminée. Ce résultat serait absurde. Le législateur ne peut avoir voulu adopter une telle logique. Il convient donc de rejeter une telle interprétation en faveur d’une solution de rechange plausible qui évite l’absurdité : (Ruth Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd. (Toronto : Butterworths, 2002)).

[45]De plus, il est bien établi qu’en cas de conflit de lois, la prépondérance de la loi fédérale sur toute règle de droit provinciale incompatible rendra celle‑ci inopérante. L’effet d’un sursis permanent en l’espèce entraînerait un conflit entre la LACEE provinciale et la LIPR fédérale en ce sens que « l’observance de l’une entraîne l’inobservance de l’autre » : le juge Dickson [tel était alors son titre] dans l’affaire Multiple Access Ltd. c. McCutcheon et autres, [1982] 2 R.C.S. 161, à la page 191 s’appuyant sur la conclusion du juge Martland dans l’arrêt Smith v. The Queen, [1960] R.C.S. 776. Par contre, interpréter le sursis de l’alinéa 50a) comme temporaire écarte un tel conflit. Cette interprétation est la plus harmonieuse dans les circonstances puisqu’elle permet à la LACEE et à la LIPR de co‑exister.

[46]Selon moi, l’intention du législateur fédéral est claire. Les décisions judiciaires qui entraînent un sursis de la mesure de renvoi, ne permettent pas aux demandeurs de se soustraire aux autres obligations prévues par la même loi : Louis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1344, au paragraphe 14. Le sursis statutaire prévu à l’alinéa 50a) est donc une mesure temporaire suspendant à la procédure de renvoi en attendant que le décideur prenne une décision finale dans le dossier1.

[47]Quant à la question de l’intérêt supérieur de l’enfant, il appartient au décideur de se montrer « réceptif, attentif et sensible à cet intérêt » (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 75) et de lui accorder le poids qu’il mérite dans les circonstances de l’espèce (Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 4 C.F. 358 (C.A.)). Je considère que dans les cas où il s’agit de considérer l’impact d’une décision judiciaire qui interprète l’article 20 de la LACEE et qui conclut à l’intégration de l’enfant dans son milieu, il est évident que l’intérêt de l’enfant sera un facteur auquel il faudra attribuer un poids important.

[48]En résumé, l’agent de renvoi ne pouvait refuser le sursis temporaire prévu à l’alinéa 50a) puisque la décision judiciaire avait un effet direct sur la mesure de renvoi. Le jugement de la Cour d’appel a cependant une portée restreinte. Il ne peut être interprété comme ayant pour effet d’accorder un statut de résident permanent à Rodolfo, statut qui devra être accordé ou non par l’autorité compétente.

[49]Quant à la mère, le fait que l’enfant Rodolfo puisse bénéficier du sursis statutaire n’empêche pas son renvoi puisque l’intérêt supérieur de l’enfant ne fait pas absolument obstacle au renvoi de son parent se trouvant illégalement au Canada (Legault). Comme le suggère la juge Dawson dans Alexander, la garde parentale n’impose pas la garde physique de l’enfant à tout moment mais le droit de contrôler son lieu de résidence. La mère confrontée au renvoi peut s’adresser à la Cour d’appel pour obtenir une modification de son ordonnance afin de permettre le retour de Rodolfo au Mexique ou prendre des dispositions pour le laisser au Canada.

[50]En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l’agente de renvoi refusant la demande de sursis statutaire pour l’enfant Rodolfo en application de l’alinéa 50a) de la LIPR est cassée. L’affaire est retournée pour un nouvel examen par un autre agent de renvoi en conformité avec ces motifs.

[51]Le procureur de la demanderesse a demandé que les questions suivantes soient certifiées :

1.            Un agent chargé de l’examen des risques avant renvoi (ERAR) doit‑il motiver sa décision de ne pas suivre une décision contraire à la sienne—également en matière d’ERAR—mais dont les faits son semblables en tous points pertinents?

2.            Le rejet par un tribunal d’une requête pour retour immédiat d’un enfant, en application de la Loi sur les aspects civils de l’enlèvement international et interprovincial d’enfants (ou d’une autre loi provinciale similaire), au motif d’intégration de l’enfant, opère‑t‑il un sursis statutaire en sa faveur en vertu de l’article 50a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés?

[52]Je considère que seule la deuxième question satisfait aux critères établis pour la certification d’une question (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Liyanagamage, [1994] A.C.F. no 1637 (C.A.) (QL)). Bien que les circonstances du présent dossier soient exceptionnelles, la question de la portée de l’article 50a) de la Loi est d’importance générale. Cependant, la question telle que formulée par les défendeurs reflète mieux la question en litige. Je certifie donc la question suivante :

Le jugement d’un tribunal provincial refusant d’ordonner le retour d’un enfant en conformité avec la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, [1989] R.T. Can. no 35, et l’art. 20 de la Loi sur les aspects civils de l’enlèvement interprovincial et international d’enfants, L.R.Q., ch. A‑23.01 « LACEE » peut‑il avoir pour effet d’empêcher directement et indéfiniment l’exécution d’une mesure de renvoi qui a pris effet conformément à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 « LIPR »?

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que

1. La présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie.

2. La décision de l’agente de renvoi refusant la demande de sursis statutaire pour l’enfant Rodolfo en application de l’alinéa 50a) de la LIPR soit cassée.

3. L’affaire soit retournée pour un nouvel examen par un autre agent de renvoi en conformité avec ces motifs.

Image

1 Il n’y a présentement aucune directive prévoyant expressément quel officier d’immigration serait chargé d’un tel examen.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.